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Articles avec #nebal regarde des bons films tag

"Culloden", de Peter Watkins

Publié le par Nébal

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Titre original : Culloden.

Titre alternatif : La Bataille de Culloden.

Réalisateur : Peter Watkins.

Année : 1964.

Pays : Grande-Bretagne.

Genre : Documentaire / Docu-fiction / Drame / Guerre.

Durée : 69 min.

Acteurs principaux : Olivier Espitalier-Noel, George McBean, Robert Oates, Peter Watkins…

 

J’ai récemment fait l’acquisition d’un coffret comprenant cinq films de Peter Watkins : Culloden, La Bombe, La Commune, Punishment Park et The Gladiators. Je pensais tout d’abord me contenter d’un compte rendu générique de ces cinq titres, mais la richesse du matériau (et la peur qui m’étreint quand je pense au visionnage de La Commune, que je vais sans doute faire durer…) m’a convaincu qu’il était plus opportun d’en traiter séparément.

 

Cela faisait très longtemps que je voulais voir ces films. J’avais entendu dire le plus grand bien, notamment, de La Bombe et de Punishment Park, et j’avais tenté le visionnage de La Commune (il me semble que c’était lors de sa première diffusion sur Arte ; je me souviens avoir tenu environ trois heures sur les 345 minutes de ce film monstre…), qui m’avait fait une forte impression. Un auteur au service du documentaire (engagé, c’est rien de le dire…) : telle est l’impression que m’avait dès lors fait Peter Watkins. Rien d’étonnant à ce que j’aie voulu en savoir davantage.

 

J’ai donc décidé de commencer par Culloden, premier film pour la BBC du réalisateur, et pierre fondatrice de son œuvre. On y trouve en effet déjà bien des éléments qui figureront plus tard dans La Commune, pour m’en tenir au seul que j’avais déjà vu. Il s’agit en effet d’un documentaire d’un genre très particulier – un « docu-fiction », pour dire les choses comme elles sont, et sans doute un, voire le film fondateur du genre –, brillante reconstitution historique sous la forme d’un film à thèse, usant des techniques du reportage télévisé (avec caméra libre et interviews des personnages en voix off) et reposant sur l’interprétation de comédiens amateurs « impliqués » : en l’occurrence, ici, d’une part des Anglais et des Écossais des Lowlands, d’autre part des Écossais des Highlands, pour certains descendants des combattants de Culloden.

 

Culloden est un nom qui n’évoque probablement pas grand-chose au spectateur français, mais ce fut la dernière bataille livrée en Grande-Bretagne, et l’écrasement de la dernière tentative de rébellion contre la couronne britannique. Nous sommes en avril 1746. La rébellion jacobite menée par Charles Édouard Stuart (qui deviendra, par un étrange jeu de l’histoire, le fameux « Bonnie Prince Charlie »…) est acculée dans les Highlands, où a été recruté l’essentiel de ses forces. Face à lui, le duc de Cumberland, 25 ans, troisième fils du roi… qui gagnera suite à la répression ayant frappé les Highlands après sa « glorieuse victoire » le surnom de « Boucher ».

 

Le film commence sur le champ de bataille même, où l’armée des Highlands, désorganisée, sous-équipée et mal dirigée par une triste brochette d’incompétents, s’apprête à se faire massacrer par les forces loyalistes autrement disciplinées. Peter Watkins se promène parmi les troupes, qu’il interviewe, du chef au clampin, et use volontiers d’un montage éloquent mettant en parallèle les conditions de vie de tout un chacun. Sa démonstration est impitoyable, et Culloden constitue bien – dans un premier temps – un réquisitoire féroce contre la sottise militaire et l’idiotie du « bon droit », de même que la brutalité du système des clans présidant à « l’organisation » de l’armée rebelle. Au soir de la bataille, reconstituée quasiment en temps réel (il faut dire qu’elle a duré à peine plus d’une heure), pour chaque mort de l’armée anglaise, on en comptera 24 dans les rangs jacobites…

 

Mais Watkins ne s’arrête pas là, et, si son film est déjà une brillante réussite dans sa reconstitution historique originale de la bataille de Culloden, plus vraie que nature, il entend dans un second temps aller plus loin, et dénoncer plus généralement les atrocités impliquées par la guerre et les opérations dites de « pacification ». Le contexte n’y est pas pour rien : nous sommes alors en pleine guerre du Vietnam, et Watkins entend bien dénoncer, par un parallèle sans doute évident pour les spectateurs de l’époque (même s’il n’est pas une seule fois souligné dans le film), les exactions perpétrées par l’armée américaine, les assimilant à celles qui valurent à Cumberland son surnom pour le moins évocateur. Car la bataille marqua le début d’une opération d’éradication de la culture des Highlands, passant d’abord par la brutalité « policière » puis par les lois…

 

Le résultat est une charge aussi brillante qu’audacieuse, un « docu-fiction » très fort (Watkins ne rechigne certes pas à tirer sur la corde sensible, j’imagine qu’on pourrait le lui reprocher, mais cela fait indéniablement son petit effet…), qui porte en germe l’œuvre future d’un auteur à nul autre pareil. Remarquable.

 

Suite des opérations bientôt avec La Bombe.

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"Die Farbe", de Huan Vu

Publié le par Nébal

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Titre original : Die Farbe.

Réalisateur : Huan Vu.

Année : 2010.

Pays : Allemagne.

Genre : Fantastique / Science-fiction / Horreur.

Durée : 85 min.

Acteurs principaux : Marco Leibnitz, Michael Kausch, Erik Rastetter, Ingo Heise…

 

Adapter l’œuvre de H.P. Lovecraft au cinéma est un exercice particulièrement délicat, et bien rares sont ceux qui sont parvenus à obtenir un résultat correct ce faisant ; finalement, si l’on excepte les films qui n’ont qu’une inspiration lovecraftienne, lesquels peuvent être tout à fait réussis (par exemple, The Thing ou L’Antre de la folie, tous deux de John Carpenter), et tout en accordant le bénéfice du doute aux rigolos Re-Animator de Stuart Gordon et Dagon de Brian Yuzna (en fait une adaptation du « Cauchemar d’Innsmouth »), je n’ai véritablement trouvé mon bonheur en la matière qu’avec les films pourtant très « amateurs » des joyeux drilles de la HPLHS (voyez mon compte rendu de The Whisperer In Darkness).

 

Mais j’avais entendu dire plutôt du bien de Die Farbe, adaptation teutonne de « La Couleur tombée du ciel », qu’un aimable citoyen a bien voulu me prêter. Pari risqué, cependant : « La Couleur tombée du ciel », très certainement une des plus belles réussites de Lovecraft, me paraissait à la base un texte particulièrement difficile à adapter, en ce qu’il repose énormément sur une ambiance magistrale, qui suinte avec délices du papier, mais qu’on pouvait douter de retrouver sur pellicule… Mais bon, fallait bien voir, hein.

 

Nous sommes au milieu des années 1970 : Jonathan Davis, un jeune Américain d’Arkham, Massachusetts, se rend en Allemagne, dans une région paumée près de la frontière française, pour y retrouver la trace de son disparu de père, qui y avait été en garnison à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Là, il tombe sur le fermier Pierske, qui se souvient d’avoir vu son père à cette époque… et se met à lui conter l’étrange histoire survenue à ses voisins les Gärtener, après qu’une météorite des plus mystérieuses s’est écrasée non loin de leur ferme, suscitant moult événements déconcertants…

 

Pas besoin d’en dire vraiment plus ici, vous avez reconnu la nouvelle originale (avec les noms germanisés). L’adaptation est ensuite assez fidèle, en dehors de quelques manipulations justifiées par le contexte, dont on peut se demander si elles étaient vraiment nécessaires. Reconnaissons cependant que le riche matériau lovecraftien est plutôt bien employé dans ce cadre-là, qui vaut bien les recoins les plus bouseux de la Nouvelle-Angleterre.

 

Maintenant, s’agit-il d’une bonne adaptation ? J’imagine que cela dépend de ce qu’on en attend… Mais j’avoue, au sortir du visionnage, avoir un sentiment plutôt mitigé. L’impression, en fait, que si le film tient la route – et il tient relativement la route –, cela vient du fait que le texte source est excellent, et que le scénario lui fait passer la frontière des arts avec une certaine astuce. Mais le film, hélas, me paraît dénué de qualités qui lui soient propres…

 

Dès les premières images, en effet, quelques fâcheux défauts font leur apparition, et ne lâcheront plus le spectateur tout au long du métrage : la réalisation est plus ou moins inspirée (même si certaines scènes d’horreur sont plus que correctes – quand elles ne sont pas gâchées par de vilains effets spéciaux numériques…), la photographie plutôt dégueulasse, et la direction d’acteurs franchement approximative (le cabotin Pierske – surtout dans sa version « jeune » –, Nahum Gärtener et son épouse étant heureusement ceux qui s’en tirent le mieux, mais c’est un mieux tout relatif).

 

Tout cela, en fait, renforce l’impression générale d’amateurisme de ce film. À l’évidence, Die Farbe est un film de fans, sincèrement intéressés par le matériau original pour le transporter à l’écran avec un minimum de bonheur, mais pas forcément très compétents pour autant, et flirtant parfois – bien malgré eux sans doute – avec le mauvais goût… Et, à ce compte-là, j’avoue préférer le « mythoscope » autrement plus ludique des productions de la HPLHS ; certes, Die Farbe est probablement l’adaptation de Lovecraft la plus « sérieuse » que j’aie jamais vue. Un bon point pour ce film, assurément. Je ne le qualifierais d’ailleurs pas de mauvais… Mais je maintiens : si Die Farbe se regarde, c’est parce que « La Couleur tombée du ciel » est une nouvelle excellente.

 

Sentiment mitigé, donc. Et je ne peux que regretter une fois de plus l’absence, à l’heure actuelle, d’une adaptation de Lovecraft véritablement réussie ET professionnelle.

 

Bon, alors, quelqu’un les fait, ces Montagnes hallucinées ?

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Quinze... non, TRENTE films de fantastique et/ou d'horreur qui éviscèrent ta meuf

Publié le par Nébal

Chose promise, chose due. Sauf que, quand j’ai commencé à élaborer cette liste, je me suis retrouvé confronté à une fâcheuse difficulté. C’est que fantastique et horreur ne sont pas synonymes, quand bien même ils se recoupent largement… Il est des films fantastiques qui ne sont pas des films d’horreur, et inversement. Une difficulté supplémentaire tient au caractère « flou » de la notion de fantastique, l’ambiguïté en étant souvent caractéristique. D’où ce choix, finalement, de livrer deux listes de quinze films : la première comprend des films où l’élément fantastique (voire SF, mais je n’ai pas repris les films de ce genre que j’avais déjà cités dans mon précédent article) est prédominant ; la seconde se consacre aux films d’horreur non fantastiques (et là c’est la distinction avec le thriller qui peut poser problème, parfois…). Du coup, ces deux listes sont passablement arbitraires (enfin, plus que prévu, quoi). Mais bon. Hop.

 

On commence par les films fantastiques à proprement parler.

 

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Les Autres, d’Alejandro Amenabar

On pense très fort au Tour d’écrou dans ce très beau film d’Alejandro Amenabar, à la photographie somptueuse. Et Nicole Kidman y est tout simplement exceptionnelle. Un magnifique film fantastique « à l’ancienne », par certains côtés, doté d’une très chouette ambiance. Quant au scénario, il est remarquablement bien ficelé (oui, je me suis fait avoir, je plaide coupable). Irréprochable.

 

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Candyman, de Bernard Rose

J’adore cette adaptation de Clive Barker (voyez ici), qui figure probablement parmi les premiers films d’horreur que j’ai vus (et m’avait alors passablement traumatisé). Bien réalisé, correctement interprété, mais surtout magnifiquement écrit et nettement plus subtil qu’il n’y paraît (et accessoirement accompagné d’une très chouette partition de Philip Glass), Candyman reste à mes yeux un film culte.

 

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Dark Water, de Hideo Nakata

Si je ne devais en retenir qu’un seul, ce serait probablement celui-ci. Le chef-d’œuvre de Hideo Nakata, qui brode à partir d’une nouvelle très anodine de Koji Suzuki un film très personnel, film d’auteur assurément, mais non moins flippant pour autant. Excellente bande originale de Kenji Kawai (forcément) pour ce film aussi émouvant qu’effrayant. Un chef-d’œuvre.

 

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The Descent, de Neil Marshall

Probablement le meilleur survival fantastique de ces dernières années, The Descent est un film finalement assez original et en tout cas très fort. L’ambiance est remarquable (les claustrophobes apprécieront), et le film moins couillon qu’il n’y paraît. Une sacrée réussite.

 

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Dracula, de Francis Ford Coppola

On pourrait dire bien du mal du film de Coppola, critiquer par exemple sa mégalomanie, la romance un peu niaise, la lourde parabole sur le sida… Mais je m’en fous : ce film, c’est le sommet de l’imagerie gothique. Chaque plan est d’une beauté plastique incomparable, Gary Oldman est excellent, la bande originale de Wojceh Kilar marque durablement… Un film que j’ai vu et revu des dizaines de fois, jusqu’à l’overdose à vrai dire (et le doubler intégralement avec des potes était une très mauvaise idée…).

 

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L’Exorciste, de William Friedkin

« Le film le plus terrifiant de tous les temps » ? Certainement pas. Mais un vrai jalon dans l’histoire du cinéma fantastique, qui a rarement connu un tel succès, à tous points de vue. Le film de Friedkin a sans doute un peu vieilli, mais il reste encore aujourd’hui très fort, très efficace.

 

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Fog, de John Carpenter

Un de mes Carpenter préférés… même si j’ai pu constater qu’il ne faisait pas le même effet sur tout le monde, quelques amis à moi y ayant vu un gros nanar. Mais moi, j’adore. Superbe ambiance, exellente musique, un film que je trouve très efficace et que je ne me lasse pas de revoir.

 

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Kwaïdan, de Masaki Kobayashi

J’en cause en détail ici.

 

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La Maison du diable, de Robert Wise

On préfèrera le titre original, The Haunting. Fantastique ou pas ? Eh eh… c’est ambigu, justement. Mais c’est bel et bien un chef-d’œuvre, très moderne dans son approche. Le film de maison hantée par excellence, indémodable.

 

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Le Masque du démon, de Mario Bava

J’en cause en détail ici.

 

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La Nuit des morts-vivants, de George A. Romero

J’en cause en détail ici.

 

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Ring, de Hideo Nakata

Un des très rares films d’horreur à m’avoir fait cauchemarder… et aucun autre n’a été aussi traumatisant pour moi, à vrai dire. Cette adaptation de Koji Suzuki n’est pas parfaite, elle a un fort côté « série B », mais je la trouve d’une efficacité incomparable. Chef-d’œuvre de la J-Horror, pour le meilleur et pour le pire, Ring comprend nombre de séquences extrêmement fortes. Et la musique de Kenji Kawai est délicieusement brrrrrrrrrrrrrrr…

 

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Rosemary’s Baby, de Roman Polanski

Ambigu, là encore, mais tellement bon… Superbe adaptation du roman d’Ira Levin, sommet du fantastique psychologique, magnifiquement interprété et réalisé, un des plus grands chefs-d’œuvre de Roman Polanski.

 

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Shining, de Stanley Kubrick

Kubrick. Alors forcément… Peu m’importe que Stephen King n’ait pas reconnu son roman dans cette adaptation : c’est un film génial, évidemment d’une beauté plastique exceptionnelle, et très efficace. Mention spéciale pour l’interprétation de Jack Nicholson, qui cabotine comme un taré, mais c’est ça qu’est bon.

 

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Zombie, de George A. Romero

Dawn Of The Dead… Quand je l’ai vu pour la première fois, j’étais jeune et ignorant, et m’attendais à un petit nanar (jetez-moi des cailloux dessus) ; mais j’ai très vite compris (la superbe introduction y étant pour beaucoup) que j’étais complètement à côté de la plaque. Chef-d’œuvre du film de zombie, dont il constitue sans doute le type-idéal, Zombie est un film brillant, intelligent (même si Romero ne présente pas exactement son message politique et social avec le dos de la cuillère, mais plutôt à la faucille et au marteau), qui n’a jamais été égalé.

 

Passons maintenant aux films d’horreur non fantastiques

 

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Black Christmas, de Bob Clark

Le premier véritable slasher… et, à mon sens, c’est encore aujourd’hui le meilleur. Halloween (voir plus bas) en est un pompage intégral. Mais ce qui est fabuleux, dans le film de Bob Clark, c’est qu’on a l’impression qu’il pulvérise les codes en même temps qu’il les instaure… Un film qui gagnerait à être beaucoup plus connu.

 

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Calvaire, de Fabrice du Welz

Le premier long-métrage du belge Fabrice du Welz est probablement le meilleur survival non fantastique de ces dernières années. Remarquablement réalisé, il bénéficie en outre de l’interprétation extraordinaire de Jackie Berroyer, qu’on n’attendait pas vraiment dans ce genre de film. J’aime vraiment beaucoup.

 

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Cannibal Holocaust, de Ruggero Deodato

Le film de cannibale ultime, et probablement le seul qui présente un intérêt, à vrai dire ; c’est que, derrière la provocation mondo, les séquences de snuff animalier, etc., le film de Ruggero Deodato porte en lui une vraie réflexion, et se montre très astucieux. Et puis, bien sûr, c’est un film qui m’a mis remarquablement mal à l’aise… Et j’adore la musique à contre-emploi.

 

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Les Dents de la mer, de Steven Spielberg

Ce film, qu’on présente souvent comme le premier blockbuster de l’histoire du cinéma, reste inégalé dans son genre. Authentiquement flippant, et même étrangement gore pour un film au tel succès populaire, c’est à coup sûr un des meilleurs films de Steven Spielberg, et il n’a pas pris une ride.

 

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La Dernière Maison sur la gauche, de Wes Craven

Wes Craven m’a toujours fait l’effet d’un réalisateur surestimé, mais j’aime beaucoup ses premiers films. J’ai hésité avec La Colline a des yeux, mais c’est finalement La Dernière Maison sur la gauche qui a intégré cette liste ; parce que ce film emblématique du rape and revenge est incroyablement malsain, et m’a mis terriblement mal à l’aise. Aussi peut-on fermer les yeux sur les nombreux défauts du film (techniques ou scénaristiques) : malgré tout, il fait indéniablement son effet.

 

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Duel, de Steven Spielberg

Le premier film de Steven Spielberg (un téléfilm à l’origine), et probablement toujours son meilleur. Pitch diabolique (merci monsieur Matheson), dont on se demande bien comment il est possible de faire un film entier avec ; mais Spielberg y parvient avec brio. Indispensable.

 

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Freaks, de Tod Browning

Oui, je sais, Freaks n’est sans doute pas à proprement parler un film d’horreur – sauf à la fin, bien sûr –, mais il use de ses codes avec maestria. Là encore, le film, dans son principe même, a de quoi mettre mal à l’aise. Pourtant, il sait adroitement éviter les écueils du pathos comme du voyeurisme, ou plus exactement l’excès dans ces deux risques. Très fort.

 

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Halloween, de John Carpenter

Un pompage, donc (voir plus haut), mais c’est quand même le slasher de référence. Un des meilleurs Carpenter, avec tous les atouts dont il est capable. Et un des méchants les plus énigmatiques du cinéma de genre (d’ailleurs, son côté « intuable » lorgne vers le fantastique, mais il m’a quand même semblé plus approprié de le mettre dans cette seconde liste).

 

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Martin, de George A. Romero

La plus intelligente des variations sur le vampire. Le film de Romero, injustement méconnu, est beau et fort à bien des égards. Pour ma part, j’adore, et je ne m’en lasse pas.

 

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Massacre à la tronçonneuse, de Tobe Hooper

J’ai mis beaucoup de temps avant d’apprécier Massacre à la tronçonneuse. Au premier visionnage (sur une bande pourrie…), j’ai même été sacrément déçu, d’autant que je m’attendais à de l’ultra-violence, alors qu’en fait non pas du tout. Mais, aujourd’hui, je reconnais pleinement les qualités de ce film séminal ; Tobe Hooper n’a jamais, par la suite, atteint ne serait-ce que la cheville de ce coup d’essai, coup de maître (sauf peut-être avec le rigolo Crocodile de la mort).

 

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May, de Lucky McKee

Un premier long-métrage époustouflant, et une preuve supplémentaire qu’un film de genre peut parfaitement être un film d’auteur. La réalisation est irréprochable, et l’interprétation bluffante. Parmi les meilleures surprises du cinéma d’horreur récent.

 

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Misery, de Rob Reiner

Pas sûr que ce soit un film d’horreur – on parlerait sans doute plus justement de thriller –, mais je ne me sentais pas de faire cette liste sans y inclure ce petit bijou d’adaptation de Stephen King. Intelligent, angoissant comme c’est pas permis, le film de Rob Reiner bénéficie en outre d’une excellente interprétation, Kathy Bates en tête.

 

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Psychose, d’Alfred Hitchcock

Là encore, c’est sans doute plus un thriller qu’un film d’horreur à proprement parler, même si Hitch en use des codes, notamment par le choix du noir et blanc et des décors. Mais il me paraissait indispensable de le faire figurer ici, tant ce film est de toute évidence l’ancêtre du giallo comme du slasher. Un chef-d’œuvre, bien sûr ; et mention spéciale à l’époustouflante musique de Bernard Herrmann.

 

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Saw, de James Wan

Eh oui, Saw. Je ne parle que du premier, hein, pas des guignolades qui ont suivi… Mais celui-ci m’avait vraiment plu, à sa sortie. Je l’avais trouvé assez original, et avais beaucoup apprécié son sadisme. Une série B de qualité, inventive et astucieuse. Probablement pas un chef-d’œuvre, mais il me semblait néanmoins avoir sa place ici.

 

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Les Yeux sans visage, de Georges Franju

Est-ce un film d’horreur ? Il y a un peu de ça, tout de même (pour l’époque, c’est même étrangement teinté de gore)… Très beau, en tout cas. Un film qui marque durablement. Et pourtant, il est français… dingue, ça…

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Quinze films de science-fiction qui désanussent les Ewoks

Publié le par Nébal

Ces derniers temps, au sein de la blogosphère SF, chacun ou presque y est allé de sa liste de quinze films de science-fiction à voir absolument. Je n’ai certes pas été tagué pour ce faire, mais la chose me disait bien… Alors voilà, hop, par ordre alphabétique, mes quinze films de SF préférés.

 

2001 l'odyssée de l'espace

2001 : l’odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick

S’il ne devait en rester qu’un, ce serait très probablement celui-là, bien sûr… Un film totalement mégalomane, mais heureusement visionnaire et d’une intelligence qui n’a d’égale que son incroyable beauté plastique. Le film de SF par excellence (sans explosions, pourtant). Bon, certes, Kubrick fait partie de mes réalisateurs préférés (voire est mon préféré), ça aide. Mais n’empêche : quelle richesse ! Un chef-d’œuvre, un vrai. Et incomparablement meilleur que le roman d’Arthur C. Clarke écrit en parallèle, qui m’a toujours fait l’effet d’un fâcheux mélange entre scénario mal dégrossi et notice explicative.

 

 Alien

Alien, le 8ème passager, de Ridley Scott

J’adore la série « Alien » (c’est-à-dire les trois premiers…), et je ne pouvais pas décemment passer à côté du film inaugural, datant de l’époque où Ridley Scott était vraiment brillant. Ambiance et interprétation parfaites pour ce superbe film mêlant astucieusement science-fiction et horreur, et créant pour l’occasion le plus beau monstre de toute l’histoire du cinéma. Évidemment indispensable.

 

Aliens

Aliens, le retour, de James Cameron

Ben voui, je vous l’ai dit, j’adore la série « Alien » (donc), et ce deuxième opus signé James Cameron (c’est probablement son meilleur film, d’ailleurs) me paraît presque aussi bon que le premier, quoique dans un genre très différent – où ça pète de partout. Sigourney Weaver est toujours au top, l’ambiance excellente – c’est probablement le film qui crée le plus la « mythologie » de l’Alien. Tonitruant, mais irréprochable.

 

L'Armée des 12 singes

L’Armée des 12 singes, de Terry Gilliam

Oui, j’aurais pu mettre ici La Jetée… Mais j’ai préféré m’en tenir aux longs-métrages, et celui-ci (que j’ai vu avant l’original) a beaucoup compté pour moi (à tel point que je l’ai vu et revu je ne sais combien de fois, et que, du coup, je ne suis pas certain de pouvoir à nouveau le regarder aujourd’hui). Scénario génial, interprétation brillante… Ce n’est certes pas le film le plus « personnel » de Terry Gilliam (je crois même que c’était un film de commande), mais il figure néanmoins parmi ses meilleurs.

 

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A Scanner Darkly, de Richard Linklater

Tout simplement la meilleure adaptation de Philip K. Dick. Le roman est génial, et – ô surprise ! – le film aussi, pour une fois. Je me suis pris une énorme baffe à sa sortie, et en suis devenu un ardent propagandiste. C’est que l’on tient là un petit bijou qui arrive à être vraiment dickien sur le fond et sur la forme. Wa. C’est tellement bon et tellement bien fait qu’on a l’impression que Keanu Reeves est un acteur, c’est dire…

 

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Blade Runner, de Ridley Scott

Encore une adaptation de Philip K. Dick, mais très libre, cette fois. Et un deuxième film de la grande époque de Ridley Scott. Ce qui est très fort, dans Blade Runner, c’est la création méticuleuse d’un univers où le moindre détail est réfléchi. Le résultat est évidemment mythique ; l’ambiance noire au possible de ce film est un modèle indépassable. Passons sur les innombrables versions du film Redux Final Ultimate Director’s Cut Really For Real : c’est de toute façon une merveille.

 

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Brazil, de Terry Gilliam

Oui, encore un Terry Gilliam, et cette fois je crois bien que c’est son meilleur film. Un modèle de dystopie, teintée d’onirisme déjanté, qui s’est inscrit durablement dans l’inconscient collectif. Aussi jubilatoire que terrifiant, c’est là le meilleur héritier cinématographique de Zamiatine, Huxley et Orwell.

 

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Mad Max 2, de George Miller

Un petit plaisir un peu pervers, là… C’est que ce film, bien plus que le premier de la franchise (qui ne m’a pas plus emballé que ça), est le type-idéal du post-apo, pour le meilleur et (surtout) pour le pire. Mais ne jugeons pas ce film à l’aune de sa postérité peu glorieuse : en tant que tel, il est très bon, parfaitement réjouissant, un peu con con, certes, mais diablement efficace. Et le costume du méchant, fallait oser, quand même.

 

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Orange mécanique, de Stanley Kubrick

Eh oui, un deuxième Kubrick – je l’aime, vous dis-je. De nouveau un film mythique, donc, et proche de la perfection. Cette adaptation d’Anthony Burgess, riche en séquences inoubliables à tous points de vue, reste encore aujourd’hui d’une pertinence indéniable (quand bien même l’ultra-violence a pris de nouveaux atours entre-temps). C’est baroque, c’est drôle, c’est horrible, c’est génial.

 

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Ouvre les yeux, d’Alejandro Amenabar

Si A Scanner Darkly est la meilleure adaptation de Philip K. Dick, nombre de films sont néanmoins très dickiens de manière inavouée (ou parfois sans le savoir). J’aurais pu citer ici, par exemple, L’Échelle de Jacob, mais je préfère celui-ci. Un très grand film, très beau, intelligent et référencé, qui méritait mieux qu’un bête remake hollywoodien. J’adore.

 

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Planète interdite, de Fred M. Wilcox

Le sommet du film de SF du prétendu « âge d’or ». D’ailleurs, la preuve que c’est un chef-d’œuvre de la SF : y a Leslie Nielsen dedans, et il ne fait même pas le guignol… Certes, ça a pris un coup de vieux, et l’adorable Robby, entre autres, est passablement kitsch aujourd’hui, mais ça n’en rend le film que plus délicieux. Le scénario est remarquable, et l’ensemble a un côté visionnaire qui le place bien au-dessus de la concurrence de l’époque, et justifie sa pérennité.

 

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Starship Troopers, de Paul Verhoeven

J’en parle en détail ici.

 

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The Thing, de John Carpenter

Le meilleur film de Carpenter assurément. Un remake brillant, à l’ambiance superbe (Antarctique teintée de Lovecraft, miam) et aux effets spéciaux toujours forts. Une fois de plus un parfait hybride entre science-fiction et horreur, un monument de paranoïa cinématographique qui ne saurait vous laisser froid (aha).

 

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THX 1138, de George Lucas

J’en parle en détail ici.

 

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Videodrome, de David Cronenberg

Sans aucun doute un des meilleurs films de Cronenberg, et celui qui développe le plus la mythologie de ses premières réalisations : longue vie à la Nouvelle Chair ! C’est génialement glauque et malsain, et irréprochable de bout en bout. J’aimerais bien que le réalisateur canadien revienne à ce genre de choses, moi…

 

Allez, bientôt, je vais tenter une liste de quinze films de fantastique et/ou d’horreur, je trouve que ça manque.

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La 9e Nuit Excentrique

Publié le par Nébal

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J’avais été contraint de rater la 8e Nuit Excentrique, après m’être régalé lors de la 7e. Pas question que je rate la 9e, donc, parce que bon, c’est quand même la NUIT EXCENTRIQUE ! Une déception d’emblée, cependant : j’ai voulu y rameuter quelques amis, mais ils n’ont hélas pas pu récupérer de places, tant le serveur de la Fnac comme la Cinémathèque ont été pris d’assaut… Une prochaine fois, peut-être ? Je l’espère, en tout cas. Mais bon : ça ne m’a pas empêché d’y aller quand même, hein (même si j’ai pu constater une fois de plus mes difficultés d’intégration, alors que les Nanarlandais sont des gens nécessairement sympathiques, quand bien même déviants ; ma faute…).

 

Au programme de la soirée, pardon, de la nuit, quatre films, donc, entrecoupés de quizz, de cuts, de bande-annonces et, tant qu’à faire cette année, d’extraits de comédies ritales scatos (c’était un peu rude, ça… même si le p’tit chien, je dois dire…). Je n’ai pas pu rester jusqu’à la fin pour des raisons personnelles (nan, j’ai pas dormi), mais il semblerait que cette année la programmation ait fait l’impasse sur les traditionnelles bandes-annonces de boulards du petit matin. Ceci dit, question dépravation sexuelle, on a quand même été amplement servis, mais j’y reviendrai…

 

Commençons donc par les films. Le premier fut Vulcan, dieu du feu d’Emmimo Salvi, péplum italien complètement fauché et kitschissime. J’avoue que j’étais un peu sceptique devant ce choix, que je craignais un peu molasson, mais ce fut pourtant une introduction aimable à souhait. Scénario stupide et pas toujours très cohérent – c’est rien de le dire –, acteurs navrants, actrices… éloquentes, effets spéciaux vraiment très spéciaux, et une bizarre obsession consistant à martyriser un pauvre nain : autant d’ingrédients qui font de ce film un nanar tout ce qu’il y a de recommandable. C’est cependant celui qui m’a le moins parlé (des trois que j’ai pu voir…) : c’est qu’il y avait du lourd pour la suite.

 

En témoigna immédiatement la sélection de la Cinémathèque, à savoir Brigade anti-sex de John W. Rental (pseudonyme collectif employé cette fois par un certain François-Xavier Morel, dont ce fut l’unique réalisation, ce qui paraît somme toute compréhensible), thriller « sexploitation » belge. Une équipe de choc de flics poseurs et incompétents menés par le ô combien charismatique commissaire Jason se lance sur les traces d’un maniaque sexuel, qui leur mâche le boulot, ce qui ne les empêche pas de tout foirer. Le film vaut surtout par son côté sordide jusqu’au-boutiste : les répliques sont à tomber, d’une misogynie et d’une grossièreté pas croyables. Les scènes érotiques sont parfois longuettes, mais peu importe : je me suis bien marré devant ce spectacle aussi glauque qu’affligeant (mais il semblerait, à en croire les comptes rendus sur le forum de Nanarland, que ce ne fut pas le cas de tout le monde ; c’est vrai que c’était… spécial).

 

Le troisième film, cependant, fut mon préféré, alors que je n’en attendais pas tant : The Intruder de Jopi Burnama est un sous-Rambo indonésien (le héros s’appelle Sambo – Rambu dans la version originale – au cas où on aurait raté un épisode…), excessif en tout, d’un rythme infernal, et riche en petits bijoux de nanardise (dont une fabuleuse baston entre motos et triporteurs). Idéalement positionné – ce troisième film n’avait vraiment rien d’un somnifère –, ce joli nanar de « slyploitation » fut la belle surprise de la Nuit en ce qui me concerne.

 

Pour des raisons indépendantes de ma volonté, j’ai dû quitter la salle alors que débutait Ninja : American Warrior du maître du 2-en-1 Godfrey Ho. Bon, pas grave, j’ai quand même eu ma dose…

 

Mais la Nuit Excentrique, ce n’est pas « que » quatre films. C’est aussi, notamment, une sélection de cuts par la Team Nanarland (« les salauds ! ») qui vaut son pesant de cacahuètes. Or, les cuts, c’est décidément ce que je préfère dans la NE : du gros gros concentré de nanardise, qui promet moult éclats de rire. Avec cette année un film qui a fait l’unanimité, et dont on a retrouvé des extraits éloquents (mais « soft ») dans les quatre sélections de cuts, à savoir l’improbable boulard Deux sœurs à enculer, destiné à rentrer (…) dans les annales (…) du doublage nanar par la grande porte (…) ; des dialogues surréalistes, « interprétés » faut voir comment, qui font de ce film un concurrent de poids pour un Eaux sauvages ou un Blood Freak. Impressionnant.

 

Et puis il y a aussi une sélection de bandes-annonces par la Cinémathèque, en quatre temps là encore. Bilan mitigé pour cette année, j’ai trouvé, mais bon, ça c’est moi (j’ai trouvé les dernières un peu fades ; et si c’est toujours un plaisir de revoir ce bon vieux Cüneyt Arkin, là j’avoue avoir un peu ressenti l’overdose… mais ça faisait partie du jeu, j’imagine). J’en retiens notamment, tout de même, l’improbable bande-annonce rappée façon Benny B. du Jumeau d’Yves Robert avec Pierre Richard…

 

Un mot sur les quizz, aussi. Je ne suis pas plus fan que ça de l’exercice, mais il faut dire ce qui est : c’est quand même très bien fait, et finalement très drôle. La thématique du plagiat, dominante cette année, fut pour le moins édifiante.

 

 

Maintenant le truc qui m'a saoulé : je sais pas si ça vient de moi ou quoi (bon, ça vient sans doute de moi…), mais j'ai trouvé que cette année il y avait vraiment du gros lourdeau dans la salle... Parce que bon, les « Non mais allô, quoi ! », « Moustache ! », « À poil ! » et « Philippe ! » à répétition, hein, bon. D’autant que j’étais cerné par les crétins : l’un, à quelques sièges sur ma gauche, a assez vite déguerpi (ouf) ; mais l’autre, dans la rangée devant moi, soulignait chaque truc drôle en direct live, c'était plutôt pénible. Au début j'ai même eu peur que ça me gâche la soirée ; bon, finalement, non (ouf), parce que c'est quand même la NUIT EXENTRIQUE. Mais j'aurais bien distribué quelques baffes au passage, et me suis retenu de faire dans le « Ta gueule, PUTE ! » à plusieurs reprises…

  

Ce qui ne m’empêchera pas, si la chose est possible, de participer à nouveau à la grand-messe du nanar, parce que c’est quand même quelque chose…

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"Dracula, pages tirées du journal d'une vierge", de Guy Maddin

Publié le par Nébal

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Titre original : Dracula: Pages from a Virgin’s Diary.

Réalisateur : Guy Maddin.

Année : 2002.

Pays : Canada.

Genre : Fantastique / Épouvante / Gothique / Comédie musicale / Ballet.

Durée : 73 min.

Acteurs principaux : Zhang Wei-Qiang, Tara Birtwhistle, David Moroni, CindyMarie Small…

 

Cela faisait très longtemps que je comptais voir un film de Guy Maddin, et ce Dracula, pages tirées du journal d’une vierge me faisait plus particulièrement de l’œil. Il faut dire que le projet, en soi, a quelque chose de particulièrement réjouissant : adaptation en noir et blanc teinté et muet, d’abord pour la télévision, puis pour le cinéma, d’un ballet inspiré du Dracula de Bram Stoker sur une musique de Gustav Mahler, ce film a tout de l’objet filmique non identifié, ce qui convient bien à la réputation de réalisateur d’avant-garde du Canadien fou.

 

À l’origine, il y a donc le roman de Bram Stoker. Je ne vous ferai pas l’affront de vous en résumer le propos ici, pas plus que je n’évoquerai en détail les diverses adaptations cinématographiques du fameux livre gothique, de Murnau à Coppola en passant par Bela Lugosi et la Hammer. Un ballet en a donc été tiré, interprété par le Royal Winnipeg Ballet, qui reprend pour la caméra de Guy Maddin cette transposition plus ou moins saugrenue.

 

Mais le Dracula de Guy Maddin diffère de ses (plus ou moins…) illustres prédécesseurs à plus d’un titre, et non uniquement pour son aspect chorégraphié. Maddin, ici, ne cherche pas tant à exploiter l’horreur (à quoi bon, cela a déjà été fait tant de fois…) qu’à sublimer le contenu plus ou moins insidieux du livre, et notamment sa dimension érotique et ses forts relents xénophobes. D’où ce comte Dracula présenté d’emblée comme un « immigrant », avec toutes les connotations que cela implique (une vague de sang qui se déverse sur l’Angleterre, dont il « vole » l’argent…), et qui prend l’aspect – très « péril jaune » – d’un jeune Chinois (Zhang Wei-Qiang, tout à fait remarquable et époustouflant de charisme et de sensualité).

 

Le film diffère également de la plupart des adaptations antérieures en ce qu’il est clairement découpé en deux parties, qui ne mettent pas l’accent sur la trame « classique » des Dracula et autres Nosferatu. Ce sont ici les femmes qui sont au cœur de l’œuvre, et Dracula représente l’incarnation de leur désir. La première partie, en Angleterre, tourne donc autour de Lucy Westernra (superbement incarnée par Tara Birtwhistle), et ce n’est que tardivement, vers le milieu du film, que Jonathon Harker (très secondaire) et, surtout, Mina Murray (CindyMarie Small), font leur apparition, dans un endroit indéterminé (mais, ainsi que le note Guy Maddin lui-même, il y a de la « synagogue » dans le château gothique de Dracula…).

 

La dimension érotique, certes présente dès l’origine et classique dans les adaptations précédentes, est ici particulièrement mise en valeur. Le ballet, bien sûr, y est pour beaucoup, avec le subtil jeu des corps, notamment lors des duos. Mais Guy Maddin va au-delà, presque jusqu’au grivois à vrai dire, au travers de plans relativement explicites (ainsi, la quasi-fellation de Harker par Mina, après que celle-ci a lu ses actes de « débauche » avec les vampiresses de Dracula ; ce n’est pas le seul journal du film, loin de là, et on peut se demander qui est la vierge du titre, d’autant que la connotation féminine n’apparaît bien évidemment pas dans le titre original : pour Guy Maddin, peut-être est-ce du côté de Van Helsing – David Moroni, parfait – qu’il faudrait chercher…) et d’intertitres plus ou moins naïfs au sous-texte passablement comique. C’est que l’humour ne manque pas dans ce ballet filmé, qui rajoute encore une forme de distanciation supplémentaire par rapport à l’œuvre originale. En traitant des hypocrisies victoriennes, de la domination masculine et de la jalousie, Guy Maddin se montre ici un critique acerbe et facétieux, toujours le sourire au coin des lèvres, sans perdre son sérieux pour autant.

 

Plastiquement, et ce malgré un rendu DVD qui m’a semblé plutôt médiocre, le film est de toute beauté. Filmé en Super 8, 16 mm et Super 16, puis monté en vidéo, et enfin transféré en 35 mm, le Dracula de Guy Maddin assume et revendique son statut de petite production, bien loin des débauches d’effets spéciaux traditionnellement associées au genre. C’est pour le mieux, l’inventivité et le pragmatisme se conjuguant pour offrir un résultat unique, collant admirablement au propos. Le ballet est bien mis en valeur, et alterne plans larges propices au déploiement de la chorégraphie avec des plans serrés qui font ressortir le jeu admirable de la distribution, évidemment très expressionniste le plus souvent. Les danseurs jouent, littéralement, avec l’ensemble de leur corps, et leur performance n’en est que plus singulière. Les plans sont superbement composés, les décors et costumes bien pensés, et l’utilisation de gimmicks gothiques (ainsi la brume presque omniprésente) participe de la réussite visuelle du film. Les teintes sont parfois déconcertantes, mais servent bien le propos ; le sang, évidemment, ressort souvent en rouge dégoulinant sur le noir et blanc général, pour un résultat tantôt esthétique, tantôt comique, fonction du moment.

 

Et puis il y a la musique de Gustav Mahler, bien sûr. Parfois très « olympique », selon l’expression du réalisateur, elle n’en est pas moins splendide, et Guy Maddin a su tirer tout le sel de la partition, quitte à la triturer un peu. Il faut y ajouter quelques bruitages, qui créent une atmosphère très particulière, et contribuent parfois à l’humour du film (la décapitation à la pelle de Lucy par Van Helsing est un grand moment).

 

Drôle et intelligent, d’une beauté indéniable sur tous les plans, Dracula, pages tirées du journal d’une vierge est une vraie réussite, une relecture finalement originale et bien vue du plus grand classique du cinéma d’épouvante. À n’en pas douter, il s’agit là de l’une des meilleures transpositions du roman de Bram Stoker, digne à sa façon d’un Murnau ou d’un Coppola.

 

Premier contact avec l’œuvre de Guy Maddin tout à fait convaincant, donc. Va falloir que j’approfondisse tout ça…

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"Kwaïdan", de Masaki Kobayashi

Publié le par Nébal

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Titre original : Kaidan.

Titre alternatif : Ghost Stories.

Réalisateur : Masaki Kobayashi.

Année : 1964-1965.

Pays : Japon.

Genre : Fantastique / « Horreur » / « Historique » / Film à sketches.

Durée : 188 min.

Acteurs principaux : Rentaro Mikuni, Michiyo Aratama, Misako Watanabe, Keiko Kishi, Tatsuya Nakadai, Yukio Mochizuki, Katsuo Nakamura, Tetsuro Tamba, Takashi Shimura, Kan-Emon Nakamura, Osamu Takizawa, Haruko Sugimura, Noboru Nakaya, Seiju Miyaguchi, Ganjiro Nakamura…

 

La lecture de Fantômes du cinéma japonais, puis du n° 21 du Visage Vert, et enfin de Kwaidan de Lafcadio Hearn m’en avaient convaincu, ainsi que divers avis exprimés ici ou là : il fallait à tout prix que je comble une importante lacune cinématographique en regardant enfin le Kwaïdan de Masaki Kobayashi. Je n’avais encore, honte sur moi, jamais rien vu de ce réalisateur à la réputation de grand esthète (mais on m’a depuis fait remarquer qu’il était également l’auteur de Hara-Kiri, sur lequel il faudra bien que je mette la main) ; je peux cependant d’ores et déjà confirmer ce jugement, et, inutile de faire de mystères, proclamer à la face de la Nébalie entière que ce Kwaïdan est un époustouflant chef-d’œuvre, qui n’a certes pas volé ce titre. En fait, c’est peut-être bien le plus beau film fantastique que j’aie jamais vu… Oui, rien de moins.

 

Kwaïdan est un film à sketches, d’une durée d’environ trois heures dans sa version intégrale (bien évidemment indispensable : merci, une fois de plus, à Wild Side et à la splendide collection des « Introuvables »…), regroupant quatre histoires de fantômes (à la différence du recueil éponyme, le film se concentre effectivement sur cette thématique), inspirées, donc, de Lafcadio Hearn (mais seulement deux des quatre histoires, « La Femme des neiges » et « Hoïchi sans oreilles », qui sont aussi à mon avis les plus réussies – ce qui ne revient certes pas à dénigrer le reste ! –, proviennent effectivement du Kwaidan dont je vous avais entretenu il y a peu). Il constitue à vrai dire un moment clé de ce genre à part entière qu’est le kaidan-eiga dans sa forme « classique » (qui ne s’est pas encore mué, loin de là, en J-Horror, même si on y trouve en toute logique des éléments précurseurs – notamment dans ces fantômes féminins aux longs cheveux noirs…), et obtint une reconnaissance internationale, puisque ce « Ghost Stories » fut récompensé en 1965 par le Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes. Ce qui n’est que justice : le film de Masaki Kobayashi est d’une beauté rare, riche en images à couper le squeele, et d’une perfection formelle qui n’a d’égales que son intelligence et sa sensibilité.

 

Tour d’horizon : le premier fragment, « Les Cheveux noirs », nous conte l’histoire d’un samouraï ambitieux qui, las de la pauvreté, renie sa femme pour épouser la fille arrogante et dure d’un dignitaire, et ainsi faire carrière. Bien évidemment, il en vient assez vite à regretter cette cruelle décision, et, après avoir fini son service de quelques années, retourne auprès de sa première femme… On voit ici un des caractères essentiels du film de Kobayashi : il ne joue presque jamais sur la surprise, bien loin d’une bête épouvante « presse-bouton ». Dès le début, on sait en gros comment tout cela va se terminer… même si le réalisateur parvient en définitive à rajouter des éléments imprévus : ici, en l’occurrence, on restera bluffé par le maquillage du héros lors de la conclusion inévitable et édifiante, châtiment du destin pour l’ambitieux coupable… Mais entre-temps, on aura également pu se régaler de nombreux plans de toute beauté, d’une composition exemplaire et bénéficiant d’une très belle photographie – autant de traits qui se vérifieront tout au long de ce Kwaïdan.

 

« La Femme des neiges » est à mon sens encore plus réussi, et plonge le film dans une délicieuse atmosphère surréaliste en usant de somptueux décors peints (cet œil dans le ciel !) et d’éclairages improbables pouvant évoquer, avec quelques années d’avance, la manière d’un Dario Argento en forme. Ce sketch bénéficie en outre de l’interprétation impeccable, dans le rôle du héros, de l’immense Tatsuya Nakadai, qui parvient à faire preuve d’un charisme et d’une séduction impressionnants dans son rôle de petit paysan. Deux bûcherons sont pris dans une tempête de neige (d’une beauté telle qu’on aimerait en vivre de semblables…) ; incapables de traverser une rivière dans ces conditions, ils se réfugient dans la cabane du passeur absent. Là, une « femme des neiges » à la beauté spectrale tue le plus âgé de son souffle glacial. Elle épargne le plus jeune, à la condition qu’il ne révèle jamais à qui que ce soit ce à quoi il a assisté. Plus tard, il épouse une jolie jeune femme… et en vient inévitablement à oublier sa promesse. Le destin frappe encore dans ce récit d’une grande beauté – accessoirement (ou pas) une belle et tragique histoire d’amour, de même que le premier – et le spectateur ne peut que tomber sous le charme onirique des images de Kobayashi.

 

Mais le meilleur est à mon sens encore à venir, avec « Hoïchi sans oreilles », qui était déjà un de mes contes préférés dans le recueil de Lafcadio Hearn. Le fragment débute par la reconstitution de la bataille navale de Dan-no-Ura sur laquelle s’achève Le Dit des Heike, grand classique de la littérature japonaise (qu’il faut que je lise enfin ; je sais, je me répète) ; et la bataille est peu ou prou refaite… dans une piscine entourée de décors peints. Mais bien loin d’être ridicule, ce procédé audacieux entraîne des plans absolument sublimes et d’une poésie douloureuse, qui marquent durablement. Bien des siècles plus tard, nous faisons la connaissance du jeune conteur aveugle Hoïchi, qui vit dans le temple construit pour apaiser les morts du clan des Heike. Un soir, un samouraï vient le chercher pour lui demander de conter l’épopée dont il s’est fait l’interprète talentueux devant une cour ô combien auguste… Splendide du début à la fin, ce sketch marque à mon sens le point culminant de ce film génial de bout en bout qu’est Kwaïdan. Pourtant, j’émettrais un (tout petit) bémol : la très légère touche de burlesque apportée par les personnages des deux serviteurs me paraît inappropriée. Mais peu importe : du récit de la bataille au sort cruel d’Hoïchi, Masaki Kobayashi nous offre un festival d’images exceptionnelles, servies par un très beau travail du son. Un chef-d’œuvre dans le chef-d’œuvre.

 

Reste enfin « Dans un bol de thé », la plus courte des quatre histoires, et pour cause : elle est inachevée… Ce qui est un peu frustrant, du coup, mais aussi diablement malin, concluant ainsi le film sur une mise en abyme (si j’ose dire) d’autant plus efficace que ce récit est probablement celui des quatre qui se montre le plus ouvertement angoissant. La fin ouverte a dès lors quelque chose de terrible. Pourtant, on est bien loin de la débauche d’effets spéciaux ou que sais-je : non, Kobayashi parvient à susciter des frissons avec le simple reflet d’un homme dans un bol…

 

Immense film à la plastique phénoménale, monument du cinéma japonais comme du cinéma fantastique faisant à vrai dire fi de ces limitations pour atteindre au statut de chef-d’œuvre universel et intemporel, Kwaïdan est une merveille comme on en voit peu. Au risque de me répéter, c’est peut-être bien le plus beau film fantastique que j’aie jamais vu. Soufflé je suis, et j’encourage chaudement ceux qui n’ont pas encore eu la chance de regarder ce bijou à se précipiter dessus ; vous ne le regretterez pas.

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"Le Cas Lovecraft", de Patrick Mario Bernard & Pierre Trividic

Publié le par Nébal

Le Cas Lovecraft

 

Titres alternatifs : Howard Phillips Lovecraft ; Le Cas Howard Phillips Lovecraft ; Toute marche mystérieuse vers un destin.

Réalisateurs : Patrick Mario Bernard & Pierre Trividic.

Année : 1998.

Pays : France.

Genre : Documentaire / Biopic.

Durée : 45 min.

 

Ça s’est un peu vu que j’adore Lovecraft, non ? Entre mes comptes rendus d’essais sur le bonhomme (comme celui – polémique, mais on aura l’occasion d’y revenir… – de Houellebecq, que je lis et relis contre vents et marées, ou plus récemment Discovering H.P. Lovecraft), de lovecrafteries diverses, sans parler du jeu de rôle L’Appel de Cthulhu et de ses nombreux suppléments, il ne se passe guère de temps sans que je vous cause de cet écrivain génial et de son abondante postérité dans ces pages interlopes. Et, dans tous les cas, vous n’en avez pas fini : j’ai récupéré, entre autres, le Cahier de l’Herne consacré à Lovecraft (merci à qui de droit !), tous les petits bouquins de La Clef d’argent qui sont en rapport avec lui (et ça en fait quelques-uns…), de même qu’un Robert Bloch de plus, d’autres anthologies de Robert M. Price, et bien évidemment d’autres suppléments de jeu de rôle (L’Appel de Cthulhu et Cthulhu) ; et peut-être bientôt plus puisque affinités (même si, hélas, la biographie « définitive » de S.T. Joshi me paraît encore inaccessible… quelqu’un se dévoue pour la traduire ?). Sans oublier, de temps à autre, des films, comme récemment le très sympa The Whisperer In Darkness des joyeux dingues de la Howard Phillips Lovecraft Historical Society.

 

Et justement, c’est d’un film que je vais vous entretenir aujourd’hui. Un film qui a fait polémique en son temps auprès des exégètes lovecraftiens (tels Joseph Altairac ou, à ce qu’on m’en a dit, l’excellent Michel Meurger), et ça continue, encore et encore…

 

Seulement voilà : moi, j’aime. J’adule, même. Et je vais essayer, avec mes maigres moyens – je ne prétends certainement pas rivaliser en pertinence avec les exégètes susnommés –, d’expliquer pourquoi. Le maître mot de ce compte rendu, plus encore que d’habitude, sera celui de « ressenti ». Ce qui suit est éminemment personnel, mes propos concernant ce film sont évidemment très contestables, et je vous invite d’ailleurs, si jamais, à venir me casser la gueule (et ruiner la réputation de ce documentaire, si vous y tenez) en commentaire. Le débat m’intéresse.

 

Ceci étant posé, revenons donc au film. Il s’agit d’un court documentaire de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, connu sous différents titres (voir plus haut), qui fut en son temps programmé dans l’émission de Bernard Rapp Un siècle d’écrivains (oui, oui : vous avez bien lu. Un documentaire sur Lovecraft dans l’émission très « intellectuellement correcte » Un Siècle d’écrivains, sur France 3…), puis repris en DVD par Arte vidéo. Si je ne m’abuse, il avait été primé en son temps – à très juste titre en ce qui me concerne.

 

Le propos n’a a priori rien de bien original : il s’agit de raconter la vie et l’œuvre du bonhomme (doit-on l’appeler « le reclus de Providence » ? On y reviendra…). Pour ce faire, les auteurs ont choisi – idée qui me paraît plutôt bonne, mais qui a des conséquences non négligeables sur le fond, pouvant d’ores et déjà expliquer les jugements contrastés – d’adopter la structure en chapitres de L’Affaire Charles Dexter Ward. Ceci mis à part, nous sommes donc en présence d’un documentaire littéraire finalement très classique dans le fond, même s’il s’autorise quelques pirouettes narratives que j’ai trouvées plutôt intéressantes – ainsi de commencer, non pas par l’enfance de Lovecraft, mais pas l’ambiance si particulière de ses nouvelles d’horreur ; ou de finir sur une sorte d’épiphanie cette fois plus contestable, mais on y reviendra (ça fait beaucoup de choses sur lesquelles on doit revenir…).

 

Mais la vraie force du Cas Lovecraft, son atout majeur qui me paraît indéniable – mais ce n’est pourtant pas l’avis de tout le monde… –, c’est sa forme, son esthétique, son visuel. Sur ce pur plan plastique – on met donc de côté le fond pour l’instant –, le film de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic est tout simplement bluffant. Tourné le plus souvent dans un noir et blanc somptueux, mêlant plusieurs techniques, ce documentaire se montre ici très atypique, et c’est ce qui fait sa force (ce qui fait aussi, au passage, qu’on peut tout à fait le regarder d’un œil « différent », comme une fiction à la limite…). Les auteurs ont en effet dû composer avec un problème majeur : le manque de documents « visuels » concernant Lovecraft – quelques photos par-ci par-là, et c’est à peu près tout. Mais ils sont tombés, dans ses archives, sur un dessin titré « This is my silhouette », représentant le profil passablement caractéristique de Lovecraft en noir sur fond blanc…

 

Et ce sera là le moteur graphique du film : plutôt que de se livrer, comme de coutume, à des interviews de commentateurs divers et variés (pour les témoins, c’était un peu tard…), les auteurs ont privilégié une pure narration ininterrompue, et adopté un dispositif très original : dans un décor unique – représentant un appartement new-yorkais de Lovecraft –, ils ont filmé les déplacements d’une silhouette en bois le représentant, manière pour le moins inventive de donner corps et « chair » à l’auteur absent. Ce dispositif est en outre « mis en évidence », si j’ose dire : nulle illusion, ici ; la silhouette de bois s’affiche comme telle, on voit au sol les rails permettant son déplacement, etc. Ce qui, à mes yeux, colle pas mal à la philosophie matérialiste de Lovecraft.

 

En dehors de ces scènes – voire en parallèle : le montage est très travaillé, et use et abuse des fondus, etc. –, il est fait un usage abondant de films d’archives. Rien de bien original cette fois, à première vue. Sauf que ces films viennent appuyer la narration (à la deuxième personne), et davantage illustrer « l’ambiance » lovecraftienne que sa vie à proprement parler. Parfois oniriques, surtout vers l’enfance (sans doute un peu idéalisée), parfois « gothiques », le plus souvent à nouveau « matérialistes » (images de cellules, d’opérations chirurgicales…), ces divers documents soulignent le récit et l’environnent de toutes parts. Un usage donc finalement très original, et qui contribue à conférer à ce Cas Lovecraft une esthétique remarquable, non seulement « belle » – ce qu’elle est assurément –, mais aussi, à mon sens tout du moins, merveilleusement appropriée à l’univers lovecraftien.

 

La bande-son est également intéressante : outre la narration (masculine) à la deuxième personne, il est fait un usage assez pertinent de diverses musiques de stock (on reconnaît entre autres quelques jolies partitions de Danny Elfman et Wojcieh Kilar – qui contribuent certes à l’atmosphère « gothique » du métrage), et l’on a aussi droit à quelques belles lectures, en anglais et en français.

 

Voilà pour la forme. En ce qui me concerne, elle est donc non seulement originale, mais irréprochable, et colle à merveille à l’ambiance des écrits de Lovecraft – mais d’aucuns ont une opinion différente… Je vous laisse en débattre.

 

Passons maintenant au fond, car c’est sans doute lui qui explique le caractère « polémique » du film de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic – ce qui fait que certains, comme moi, voient dans ce documentaire un vrai petit chef-d’œuvre, quand d’autres n’hésiteront pas à le qualifier de vilaine bouse.

 

Alors on a pu parler d’indigence, d’approximations, voire d’erreurs ou même – carrément – de « mensonges », ce qui me paraît pour le moins exagéré… Encore une fois, sans prétendre atteindre à la pertinence et à l’érudition des meilleurs et des plus critiques des exégètes lovecraftiens, je pense tout de même ne pas être totalement ignare en la matière, et rien ou presque dans le contenu narratif de ce film ne m’a gêné ni a fortiori choqué. Tout au plus pourra-t-on s’interroger sur cette figure du « reclus de Providence » qui est ici clairement adoptée ; même si, du fait du dispositif scénique, c’est davantage du « reclus de New York » que l’on aurait envie de parler, mais dans une certaine mesure seulement ; la narration insiste à juste titre sur la fascination, la joie et la sociabilité de Lovecraft dans les premiers temps de son « exil » new-yorkais… C’est après que les choses se gâtent. Ce qui me paraît assez crédible.

 

Mais on en arrive ici aux deux points qui font peut-être jaser (enfin, sinon, je ne vois vraiment pas de quoi il pourrait s’agir…), et que je suppose (ça ne m’étonnerait pas, du moins…) avoir été passablement influencés par l’essai décrié de Houellebecq : d’une part, en dehors de l’enfance et des premiers temps de la période new-yorkaise, Lovecraft y est donc présenté comme un « reclus » et une personnalité fondamentalement dépressive ; d’autre part, le documentaire insiste beaucoup sur le racisme de Lovecraft, et le rôle qu’il a joué dans sa création littéraire.

 

Si l’on peut s’interroger sur le caractère de « reclus » de Lovecraft, qui ne l’était probablement pas autant que ce que prétend le film (qui en rajoute effectivement ici une bonne couche), le reste, pour ma part, me paraît plutôt sensé. Dépressif, Lovecraft ? Ben probablement. C’est pas parce qu’on a une photo où il sourit et qu’on le voit parfois faire preuve d’humour qu’il ne l’est pas, hein… Raciste, c’est une évidence. Réactionnaire, aussi. Le lapsus (volontaire, ce n’est donc pas un vrai lapsus…) du narrateur sur la signification de « WASP » est d’ailleurs intéressant : si Lovecraft était farouchement athée, et ne saurait donc être qualifié de « protestant », on sait par contre qu’il admirait la morale puritaine. Oui, Lovecraft était – le terme est employé – un salaud, à certains égards. Avec toute l’admiration que j’ai pour son œuvre, je ne le nierai certainement pas. Le racisme et la réaction imprègnent ses écrits ; on ne s’en rend peut-être pas compte quand on découvre Lovecraft à l’adolescence – j’ai mis pour ma part du temps avant de l’admettre –, mais c’est une certitude.

 

Dès lors, je ne vois guère ce que l’on peut reprocher au fond de ce film : il ne nous apprend pas grand-chose ? Ce n’est probablement pas son rôle : il constitue avant tout une première approche, un très bon moyen d’initier des gens qui, sans cela (et sans la « légitimation » apportée par Un siècle d’écrivains et Arte), n’auraient jamais eu l’idée de s’intéresser à Lovecraft et à son œuvre. En outre, comme j’en ai déjà évoqué la possibilité plus haut, il est parfaitement envisageable – et à certains égards tentant – de regarder ce Cas Lovecraft comme une fiction… Et c’est alors un très beau récit, un très beau portrait. Bien moins critiquable, à titre d’exemple, que le Kafka de Soderbergh, qui lui, malgré son caractère de fiction assumée, et son esthétique tout à fait appréciable, a quand même de quoi faire sauter au plafond…

 

Le Cas Lovecraft a cependant quelque chose d’édifiant, et c’est là le seul point qui, personnellement, me gêne un (tout petit) peu. Mais c’est en bonne partie dû à l’aspect « narratif » du documentaire, et donc quasi fictionnel. L’idée, en effet, et qui provient à certains égards de la structure de L’Affaire Charles Dexter Ward adoptée pour « découper » le film, est que l’œuvre de Lovecraft, elle, contenait une certaine vérité. Le documentaire s’achève ainsi sur une épiphanie : Lovecraft, à la veille de sa mort, comprend qu’il est vain, voire dangereux, de se tourner vers un passé idéalisé. Si, dans une approche fictive, cette révélation finale va presque de soi, il est vrai qu’elle a quelque chose de gênant dans un documentaire. Cela, je l’accorde volontiers. Mais c’est la seule réserve que je pourrais véritablement émettre concernant ce court film que je ne me lasse pas de voir et revoir (il est vrai surtout pour son esthétique). Qu’il soit parfois indigent, c’est possible ; qu’il contienne quelques approximations, je le crois volontiers, mais nous n’avons pas affaire à une œuvre d’érudition, ou d’exégèse stricto sensu. Mais, en dehors de cette dernière réserve, parler d’erreurs et a fortiori de mensonges me paraît injustifié.

 

Et putain, c’est beau. Et c’est surtout ça qui prime. Avec aussi cette ambition un peu dingue de faire venir à Lovecraft des amateurs de « grande littérature » qui auraient naturellement tendance à snober le vilain petit canard des pulps. Merde, quand on ne cesse de se plaindre du manque de reconnaissance des « mauvais genres » et qu’on a pour une fois une exception, je trouve qu’on aurait tort de faire la fine bouche…

 

Je vous encourage donc pour ma part chaudement à regarder ce film, que vous soyez un amateur de Lovecraft ou pas. Les amateurs n’y apprendront sans doute pas grand-chose, mais peu importe : il y a amplement de quoi se régaler devant ce très beau portrait, somptueusement mis en scène.

 

Maintenant, si vous voulez en débattre, la place est libre.

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"24 Hour Party People", de Michael Winterbottom

Publié le par Nébal

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Réalisateur : Michael Winterbottom.

Année : 2002.

Pays : Royaume-Uni.

Genre : Comédie / Biopic / Musical / « Documenteur ».

Durée : 117 min.

Acteurs principaux : Steve Coogan, Lennie James, Shirley Henderson, Mike Pickering, Andy Serkis, Sean Harris…

 

Je suis présentement en pleine lecture du (jusque-là) très chouette Manchester Music City de John Robb, dont je vous entretiendrai prochainement. Ce qui m’a incité à replonger dans les divers avatars de la scène mancunienne et de ce que l’on a pu faire et dire à son sujet. Si je n’ai pas à nouveau regardé Control d’Anton Corbijn (mais j’ai hésité…), je me suis fait un très chouette documentaire sobrement intitulé Joy Division, par exemple. Et aujourd’hui, j’ai envie de tricher un peu en vous causant d’un film que je n’ai pas revu récemment… mais que j’ai si souvent regardé que je le connais à force presque par cœur.

 

Il s’agit donc de l’excellent – à mes yeux, mais j’imagine que ça peut prêter à polémique ; n’hésitez pas à rebondir sur la question si jamais – 24 Hour Party People (le titre est bien entendu emprunté aux Happy Mondays) de Michael Winterbottom, qui se présente sous la forme d’un biopic farouchement comique (malgré la scène nécessairement tragique du suicide de Ian Curtis – on est cependant bien loin de l’atmosphère, uh uh, de Control) de Tony Wilson, le patron du légendaire label Factory (superbement interprété, dans le genre cabotin, par Steve Coogan) ; ce qui offre une magnifique occasion de revenir sur l’histoire de la scène musicale mancunienne, de 1976 à la faillite du label et la fermeture de l’Haçienda (la vraie, hein).

 

Tout commence donc en 1976, quand les Buzzcocks à peine formés et pas encore au point invitent les Sex Pistols encore inconnus à venir jouer à Manchester. Or, comme disait John Ford (et Tony Wilson dans le film), « When the legend becomes fact, print the legend ». C’est là l’optique adoptée par Michael Winterbottom pour l’ensemble de son film – à plus ou moins bon droit, je vous laisse en débattre (mais cela implique de ne pas tout prendre au sérieux dans 24 Hour Party People – même si, de l’avis des principaux intéressés, le plus dingue est souvent tout à fait authentique…). La légende, ici, c’est que ce premier concert a eu lieu devant seulement 42 personnes, parmi lesquelles on trouvait déjà bon nombre des futurs acteurs de la scène mancunienne. Ici, les témoignages divergent sur l’authenticité de la chose ; mais ce qui est certain, c’est que quand les Sex Pistols ont joué à Manchester, cela eut l’effet d’une authentique révolution…

 

Tony Wilson était alors présentateur à Granada TV. Dans son émission So It Goes, il se met à passer les groupes punks dont personne d’autre ne voulait. Puis il va organiser les soirées Factory dans une boîte minable, soirées où s’illustreront bon nombre d’artistes locaux, dont un groupe alors inconnu du nom de Warsaw, qui deviendra Joy Division, puis – après la mort du chanteur Ian Curtis (assez joliment interprété par Sean Harris, même s’il ne lui ressemble pas vraiment, en tout cas bien moins que Sam Riley dans Control) – New Order. Voilà sans doute les deux signatures les plus célèbres du label Factory qui sera monté ensuite, véritable symbole de la musique indépendante ; mais il y en aura bien d’autres, comme A Certain Ratio, ou, plus tard, les Happy Mondays (en fait, si deux groupes occupent le devant de la scène – uh uh – dans 24 Hour Party People, ce sont clairement Joy Division et les Happy Mondays, un peu au détriment du reste…). Et Manchester deviendra même Madchester, à l’âge d’or de l’Haçienda, la boîte créée par le label avec la thune de New Order, âge d’or de l’acid house et des raves, à la fin des années 1980… Le film, à travers le point de vue nécessairement biaisé de Tony Wilson – qui s’adresse directement au spectateur, procédé fort intéressant de « mise en abyme », adopté dès les premières minutes du film, et souvent hilarant –, permet ainsi de survoler l’histoire – pour l’essentiel culturelle, mais pas uniquement en fin de compte – de Manchester, et dresse un magnifique panorama de la musique indépendante anglaise – surtout – de l’époque. Et pour qui s’y intéresse, c’est un véritable régal.

 

« Icarus », donc : le film, sans jamais (ou presque…) se départir de son caractère de comédie, adopte une structure de (double ?) « rise and fall », pour le coup parfaitement appropriée. Il permet d’en apprendre long sur ce sujet passionnant – même s’il faut donc parfois se méfier –, et accessoirement (ou pas ; non, sans doute pas…) de régaler ses oreilles avec les chefs-d’œuvre musicaux de la scène mancunienne et au-delà (24 Hour Party People est nettement plus un film musical que Control). Régal des yeux, également, tant la réalisation de Michael Winterbottom comme le montage sont inspirés, sans même parler du jeu des acteurs, tous très bons (outre Steve Coogan et Sean Harris, déjà évoqués, on ne manquera pas de relever la très belle – et étonnante, et hilarante – performance d’Andy Serkis dans le rôle du fameux producteur Martin Hannett). Mais (surtout ?) 24 Hour Party People offre l’occasion de nombreuses et franches barres de rire, avec ses héros si pittoresques ; on ne compte pas à cet égard les scènes d’anthologie…

 

Il y aurait sans doute encore bien des choses à dire, mais je préfère m’arrêter là. C’est que 24 Hour Party People repose pour une bonne part sur un enthousiasme communicatif, que j’espère (?) avoir réussi à retranscrire dans ces quelques lignes. Si vous êtes fans de Joy Division, New Order, des Happy Mondays, etc., il y a fort à parier que vous jubilerez tout au long du film, dès lors incontournable. Mais – et là je parle d’expérience : c’est que, dans ma passion pour le film de Michael Winterbottom, je l’ai infligé à bon nombre de personnes qui s’en battaient les coucougnettes de Factory et de tout ce qui gravitait autour… – ce n’est pas là une condition sine qua non : il est parfaitement possible de regarder 24 Hour Party People comme une pure comédie définitivement anglaise, avec des retours de Trainspotting. Preuve à mes yeux difficilement contestable de la réussite du film sur tous les plans.

 

Je l’ai découvert un peu par hasard, mais il eut sur moi le caractère d’une révélation, m’incitant – enfin – à aller au-delà de Joy Division. Ne serait-ce que pour cette raison, j’ai envie de multiplier les éloges. Et le fait est que, après des dizaines de visionnages, et même si je le connais aujourd’hui par cœur, 24 Hour Party People suscite toujours en moi le même enthousiasme débridé, et les mêmes crises de fou rire. C’est un euphémisme que de dire que je vous engage chaudement à regarder cette petite merveille, aussi passionnante que drôle ; pour ma part, je ne m’en suis toujours pas lassé.

 

Je reviendrai très vite sur le sujet, avec Manchester Music City, qui, de manière plus sérieuse (encore que…), m’a fait encore davantage approfondir le sujet et m’en a appris beaucoup. À bientôt, donc.

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"La Moustache", d'Emmanuel Carrère

Publié le par Nébal

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Réalisateur : Emmanuel Carrère.

Année : 2005.

Pays : France.

Genre : Drame / « Fantastique » ? / « Science-fiction » ?

Durée : 87 min.

Acteurs principaux : Vincent Lindon, Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric, Hippolyte Girardot, Cylia Malki…

 

Non, non, vous ne rêvez pas : non seulement je vais vous entretenir d’un film, mais en plus il s’agit d’un film… français.

 

Diantre.

 

Serais-je tombé malade ?

 

Eh bien, peut-être. Mais il y a une raison bien simple à ce visionnage, qui tient au nom du réalisateur de la chose : Emmanuel Carrère est surtout connu en tant qu’écrivain, et je dois confesser ne pas l’avoir vraiment pratiqué ; mais ça me travaille depuis un moment, dans la mesure où nombre de personnes de bon goût de mon entourage m’ont éloquemment vanté les mérites de son œuvre. Pour ma part, j’avoue cependant n’en avoir lu qu’un seul bouquin : il s’agit – sans surprise – de son excellente « biographie romancée » de Philip K. Dick Je suis vivant et vous êtes morts.

 

Or La Moustache – à l’origine un roman du monsieur, qu’il a donc décidé de porter lui-même à l’écran ; je voulais au passage lire le livre avant de voir le film, mais les circonstances ont fait que… –, La Moustache, disais-je, repose sur un postulat que l’on pourra très légitimement trouver éminemment dickien (c’en est du moins une des trois grilles de lecture possibles ; dans les entretiens – assez inintéressants par ailleurs – qui accompagnent le film sur le DVD, Emmanuel Carrère évoque lui-même cette piste… sans toutefois citer explicitement le nom de Dick). Mais voyez plutôt.

 

Marc (Vincent Lindon, excellent) et Agnès Thiriez (Emmanuelle Devos, pas terrible) forment un couple parisien passablement bourge – y a qu’à voir leur putain d’appart’ –, a priori heureux et sans histoire. Marc porte la moustache depuis dix ans. Sur un coup de tête, pour faire une blague à sa femme et à ses amis, il décide subitement de la raser. Seulement voilà : ni sa femme, ni ses amis, ni ses collègues ne semblent s’en apercevoir ; ce qui l’agace un tantinet… Il finit par s’en plaindre… et on lui rétorque qu’il n’a jamais porté la moustache.

 

Et ce n’est que le début d’une spirale infernale qui plongera Marc dans un terrible cauchemar paranoïaque : devient-il fou ? est-ce sa femme qui délire et qui a incité son entourage à jouer le jeu, par un complot pervers ? est-il en train de glisser insidieusement dans un autre univers, voire de s’effacer progressivement ?

 

Une des réussites de La Moustache, un de ses atouts indéniables, est que c’est un film – et sans doute aussi un roman – qui ne donne pas d’explication, et laisse le spectateur/lecteur confronté à ces différentes interprétations sans lui en imposer une. Bien entendu, c’est dans tous les cas – et pas uniquement selon la grille de lecture la plus ouvertement « fantastique » voire « science-fictive » – franchement dickien. J’ai immédiatement pensé, devant ce pitch, à la fameuse anecdote concernant l’interrupteur pour allumer la lumière dans une pièce, qui semblait avoir mystérieusement changé de place ; mais on pourrait aussi évoquer nombre de nouvelles ou de romans de Philip K. Dick, même si la référence (le terme n’est peut-être pas très bien choisi…) la plus flagrante est l’excellent Coulez mes larmes, dit le policier (voire Le Maître du haut château, dont on ne répétera jamais assez que l’uchronie nazie, en dépit des apparences, n’est pas le sujet principal) ; de même, j’ai tout naturellement pensé aux deux conférences hallucinées sur la nature de la réalité et sur les modifications qu’elle subit pour une raison ou une autre que l’on trouve dans Si ce monde vous déplaît… Et si Emmanuel Carrère n’évoque donc pas explicitement Dick, je l’imagine cependant tout à fait conscient de cette filiation, de cette influence, qui n’a pas spécialement de raison de surprendre de sa part.

 

Certes, La Moustache, ce n’est pas que cela (même si, à partir de ce postulat, Carrère brode une intrigue remarquable, baignant dans une ambiance oppressante tout à fait réussie). C’est aussi – plus prosaïquement, et de manière plus, euh, « française » – l’histoire d’un couple ordinaire, qui bascule progressivement dans la suspicion, la peur et la colère. Les personnages de Marc et Agnès sont fort bien pensés, et le résultat est tout à fait saisissant (malgré l’interprétation en demi-teinte, donc, d’Emmanuelle Devos). Voilà un sujet qui en temps ordinaire ne m’intéresse pas plus que ça, mais qui est ici magnifiquement illustré, à tel point que le sort des deux époux ne saurait laisser indifférent.

 

Vous aurez compris (…) que j’ai beaucoup aimé ce film. Certes, la dimension dickienne, donc, n’y est sans doute pas pour rien ; même si l’on n’est pas ici dans une adaptation directe de l’auteur d’Ubik, j’aurais pourtant envie de dire que c’est malgré tout le film qui a le plus et le mieux saisi l’atmosphère de son œuvre que j’ai jamais vu, avec L’Échelle de Jacob, Ouvre les yeux, Fight Club et The Truman Show (mais derrière une adaptation officielle, cette fois, en l’occurrence l’excellent A Scanner Darkly de Richard Linklater).

 

Ce n’est pas pour autant un chef-d’œuvre, n’exagérons rien, et je lui reconnais volontiers bien des défauts. Sur le plan purement technique et esthétique, le film oscille entre l’intéressant – ainsi ce très beau plan où Vincent Lindon se retourne vers le miroir de la salle de bain, mais qu’une barre lui dissimule son absence de moustache – et, le plus souvent hélas, une banalité parfois un brin ennuyeuse. Notons également, dans ces considérations esthétiques, l’usage pour le moins déroutant qui est fait de la musique (un concerto pour violons de Philip Glass), qui vient, part, revient et s’interrompt abruptement, pas toujours à bon escient, même si, dans l’idée, ce n’est pas inintéressant. Il y a cependant plus gênant, à savoir le jeu des acteurs : si Vincent Lindon est irréprochable (euphémisme), les autres sont assez franchement médiocres (et notamment Emmanuelle Devos, donc ; c’est ennuyeux dans la mesure où une bonne part du film repose sur ses épaules…), voire pires (on notera ici, pour le plaisir, la brève, euh, « performance » de Mathieu Amalric, incroyablement mauvais dans la courte scène où il fait son apparition…). Un dernier reproche, enfin : j’ai trouvé la partie à Hong Kong un brin longuette, tout de même.

 

Oui, je sais, ça fait pas mal de choses. Mais ça ne m’a pas empêché d’apprécier très sincèrement ce film dont je trouve le point de départ fascinant, et qui parvient – mine de rien, c’est pas évident – à construire une œuvre entière autour de cette idée très simple. Grâces en soient rendues à Emmanuel Carrère et à Vincent Lindon, qui parviennent à insuffler à cette Moustache une ambiance unique en son genre, et qui fait froid dans le dos.

 

 

Putain, j’ai aimé un film français. Serais-je en train, moi aussi, de « basculer » ? Si j’en donne trop l’impression, n’hésitez pas à m’abattre, vous serez fort aimables.

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