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Articles avec #nebal regarde des bons films tag

"THX 1138", de George Lucas

Publié le par Nébal

THX-1138.jpg

 

Titre original : THX 1138

Réalisateur : George Lucas.

Années : 1970 / 2004.

Pays : Etats-Unis.

Genre : Science-fiction.

Durée : 88 min (« Director’s Cut »).

Acteurs principaux : Robert Duvall, Donald Pleasance, Don Pedro Colley, Maggie McOmie…

 

 Hop, ma chro est à lire (ou pas) sur le beau site du Cafard Cosmique.

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"Rocky IV" n'est pas un nanar

Publié le par Nébal


Juste en passant : alors que débutais tout juste dans la ouébitude (sur le forum de Nanarland), j’avais été amené à participer à une conversation édifiante avec un troll improbable (fil énorme ici). Dans le fil du, euh, « débat », j’ai pondu un texticule, dont je n’ai découvert que tout récemment qu’il avait finalement intégré le site, dans la chronique de Rocky IV.

 

Alors, voilà (onglet bonus)

(Au passage, hors contexte, je ne sais pas ce que ça peut donner, je suis assez sceptique…)

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"La Nuit des morts-vivants", de George A. Romero

Publié le par Nébal


Titre original : Night of the Living Dead.

Réalisateur : George A. Romero.

Année : 1968.

Pays : États-Unis.

Genre : Horreur / « Gore » ? / Science-fiction ? / Fantastique ?.

Durée : 96 min.

Acteurs principaux : Duane Jones, Judith O’Dea, Karl Hardman, Marilyn Eastman…

 

Il y a peu, ma curiosité malsaine et quelque peu perverse m’a poussé à faire l’acquisition du roman de John Russo La Nuit des morts-vivants, novélisation du célébrissime film de George A. Romero (dont Russo était le co-scénariste). Oui, vous pouvez me traiter de fanboy. Mais avant de vous en faire le compte rendu, il m’a semblé nécessaire de faire la même chose pour l’œuvre originelle (et autrement plus essentielle). Adonc, voilà (purée, ça faisait un bail que j’avais pas chroniqué de film, tiens…).

 

Et, histoire d’annoncer franchement la couleur, autant vous le dire tout de suite : s’il n’est certainement pas irréprochable, et si ce n’est pas à mon sens le meilleur film de Romero (voyez Zombie – le plus grand film de zombies de tous les temps – et Martin – le film de vampires le plus intelligent de tous les temps –), ce film séminal est en ce qui me concerne un des plus importants de l’histoire du cinéma. Du cinéma fantastique, du cinéma de science-fiction, du cinéma d’horreur, oui, mais aussi du cinéma tout court. Et je pèse mes mots (ah mais).

 

Contexte : dans les années 1960, George A. Romero (qui est Américain, et pas Mexicain, contrairement à ce que j’avais pu lire dans Les Inrocks, revue sérieuse et pertinente s’il en est…) est un jeune réalisateur fauché de Pittsburgh. Avec quelques amis également sans le sou, il a fondé Latent Image, une petite compagnie de production tournant essentiellement des spots publicitaires et des films d’entreprise. Mais Romero, notamment, et son ami John Russo, aimeraient bien faire autre chose, et tourner un « vrai » film. Le problème est de trouver le financement… On est encore clairement dans l’ère des studios, l’idée d’un cinéma indépendant est à peu près inconcevable, et Pittsburgh n’est certainement pas Hollywood… Mais Russo soutient, un peu par bravade, qu’il suffirait de rassembler une dizaine de personnes apportant chacune quelques centaines de dollars, pour avoir un budget, dérisoire certes, mais suffisant pour tourner un petit film d’horreur, un film d’exploitation qui ferait la joie des drive-in et des salles de quartier (à la Corman, disons) ; probablement pas une grande œuvre d’art, mais quelque chose qui pourrait rapporter assez d’argent pour passer à quelque chose de plus solide ultérieurement. Romero se montre assez enthousiaste. Avec Latent Image, il commence à mettre un peu d’argent de côté, fait quelques tentatives infructueuses, et se met en quête d’investisseurs. Ceux-ci seront au final 10, et fonderont une compagnie qui prendra du coup le nom d’Image Ten. Chacun apporte initialement 600 $, conformément à la « vision » de Russo ; au fil des rallonges, le film coûtera finalement 114 000 $ (dont 60 000 investis, le reste étant constitué d’emprunts). Dès lors, il n’y a pas de petites économies : comédiens amateurs et totalement inconnus – parfois membres d’Image Ten, d’ailleurs (Karl Hardman, Marilyn Eastman…), – matériel « emprunté » à l’Université, pellicule – noir et blanc – plus ou moins volée, diverses autres petites magouilles ici ou là, musique de stock, effets spéciaux réduits au strict nécessaire, implication totale de la petite équipe initiale dans le film (chacun ou presque adoptant plusieurs casquettes)…

 

Évidemment, dans ces conditions, il est impensable de faire un film d’horreur « comme les autres ». Romero, plus ou moins contraint et forcé par les circonstances (et plus lucide et talentueux qu’un certain Ed Wood – mais on avouera que, jusqu’à présent, l’histoire de ces réalisateurs présente des similitudes…), ne peut pas jouer la carte de l’esthétique « classique » des films d’horreur, des productions de l’Universal des années 1930, et a fortiori du chatoiement technicolor de la Hammer et de ses rivales (productions fauchées de Roger Corman incluses, dans l’ensemble), qui rencontrent à l’époque le succès que l’on sait avec leurs productions gothiques. Sa posture, pour le coup, ne manque pas de rappeler celle du fameux duo constitué jadis par Jacques Tourneur et Val Lewton, mais dans des conditions pires encore puisqu’il ne bénéficie pas du soutien de quoi que ce soit de comparable à la RKO, et que les goûts du public ont changé. Mais là où Tourneur, notamment dans La Féline, avait brillamment pallié à ce manque en jouant la carte de l’ambiance et du fantastique « psychologique », qui l’autorisait à ne rien « montrer », Romero, lui, va prendre une direction radicalement opposée et extrêmement audacieuse : celle du « cinéma-vérité ». Dans la foulée du néo-réalisme italien – je pense notamment aux splendides Rome ville ouverte et Allemagne année zéro de Roberto Rossellini –, et probablement aussi des premiers coups d’éclat de la Nouvelle Vague française, il relègue aux oubliettes théâtralisation, artifice et esthétisme pour y privilégier le réalisme et l’authenticité. Son film d’horreur sera contemporain, américain, tourné en extérieurs, et plus ou moins à la manière d’un documentaire : on est aux antipodes de Terence Fisher comme de Mario Bava. Mais, à l’encontre de Tourneur ou de Carnival of Souls, le « réalisme » s’appliquera également à la matière même du film : il s’agira de « montrer » l’insoutenable, de livrer une horreur graphique. Avec les moyens du bord, certes ; mais, déjà auparavant, Hershell Gordon Lewis, influencé par le grand-guignol, avait procédé de la sorte, avec des budgets tout aussi ridicules, pour ses mythiques films d’exploitation fondateurs du cinéma « gore », le nanardesque Blood Feast (1963) et le bien plus réjouissant 2000 Maniacs (1964). Certes, avec La Nuit des morts-vivants, on est très loin des déferlements de gore des épisodes ultérieurs de la série des zombies, sans même parler des films de cannibales ou de zombies d’un Lucio Fulci, d’un Ruggero Deodato ou d’un Umberto Lenzi, ou des joyeux délires outranciers d’un Sam Raimi ou d’un Peter Jackson premières périodes ; mais les maquillages, quand bien même rudimentaires, et la mémorable séquence anthropophage (même s’il ne s’agit que d’abats dégoulinant de chocolat…), suffisent à conférer une place particulière à La Nuit des morts-vivants dans l’histoire du genre, alors à ses premières expérimentations. Le tollé que suscitera le film à sa sortie en témoigne assez…

 

Reste à trouver un scénario, tout de même… George A. Romero n’a jamais caché s’être inspiré du chef-d’œuvre de Richard Matheson Je suis une légende (déjà « adapté » au cinéma en 1964 sous le titre The Last Man on Earth, avec Vincent Price), et Matheson lui-même a plus ou moins reconnu son bébé quand il a vu La Nuit des morts-vivants… Mais il était bien sûr impensable d’en faire une adaptation « officielle ». Finalement, ne restera que l’idée de cette « épidémie » submergeant la planète, et d’adopter le point de vue des survivants plus ou moins combatifs. Sans le savoir, en s’inspirant ainsi de la science-fiction vampirique de Matheson, George A. Romero a posé les bases du mythe moderne du zombie (complètement coupé de ses bien différentes racines vaudoues, déjà illustrées au cinéma à maintes reprises – White Zombie, l’excellent Vaudou de Tourneur…). Mais le terme lui-même n’apparaît pas une seule fois dans le film de Romero (et je n’en ai compté qu’une occurrence dans le roman de Russo) : le script désignait les « zombies » sous le seul nom de « flesh eaters », puis de « living dead ». L’amalgame ne se fera qu’ultérieurement, notamment avec le deuxième (et le meilleur) film de la saga, titré Dawn of the Dead outre-Atlantique, mais rebaptisé Zombie pour son exploitation européenne par son producteur et distributeur Dario Argento. Mais se pose le problème de « l’explication » du phénomène : La Nuit des morts-vivants est un film d’horreur matérialiste, et, à l’instar des épisodes ultérieurs, les « explications » mystiques, eschatologiques ou vaudoues, ne sauraient y être de mise (sauf au détour d’une punchline ironique, bien sûr : « When there’s no more room in hell, the dead shall walk the earth… »). L’idée de la contamination est reprise à Matheson (et promise à un brillant avenir…), mais reste le problème de l’origine : ici, Romero et Russo commettent sans doute une erreur, en ressentant ce besoin de justification (que les meilleurs films de zombies, par la suite, évacueront assez souvent, à moins de jouer du thème moins troublant des simples « infectés » – Romero lui-même dans The Crazies, Danny Boyle dans 28 Jours plus tard…) ; mais, pour peu convaincante que soit cette étrange histoire de radiations, évoquée rapidement en passant (là n’est pas l’essentiel, heureusement), elle ancre néanmoins La Nuit des morts-vivants davantage du côté de la science-fiction que du fantastique (le roman de Russo insiste d’ailleurs un peu plus sur cet aspect – l’anticipation y est plus franche –, et les films ultérieurs de la saga, plus « apocalyptiques » ou « post-apocalyptiques », enfonceront le clou – on n’en doute plus avec Land of the Dead…). Sur ces bases, Romero et Russo co-écrivent un scénario, d’abord très ambitieux et en trois parties, puis se resserrant sur l’essentiel (uniquement la première partie du projet initial : le film devient ainsi à peu de choses près un huis-clos – c’est toujours ça d’économisé…).

 

Est-il vraiment nécessaire de rappeler l’histoire de La Nuit des morts-vivants ? Probablement pas, mais bon, ainsi que le veut l’usage… Tout commence avec Barbara (Judith O’Dea) et Johnny, deux jeunes américains du Midwest, frère et sœur, qui se rendent dans un cimetière au crépuscule : Barbara tenait à honorer la tombe de leur père ; Johnny, lui, y voit une corvée, et ne cesse de se plaindre de la longueur du trajet… puis de se moquer cruellement de sa sœur : « They’re coming to get you, Barbara! » La blague ne dure pas longtemps : Johnny est attaqué par un individu mystérieux rodant dans le cimetière, et Barbara, terrorisée, s’enfuit. Elle se réfugie dans une ferme isolée, où d’autres maniaques, plus ou moins en état de décomposition avancée, l’assaillent également. Elle ne doit finalement son salut qu’à l’arrivée de Ben (Duane Jones), qui repousse les morts-vivants et entreprend de fortifier la maison dans l’attente d’hypothétiques secours, tandis que Barbara, traumatisée, sombre, après quelques crises d’hystérie, dans une catatonie dont elle ne sortira plus. Mais se sont également cachés dans la cave la famille Cooper (Harry – Karl Hardman –, Helen – Marilyn Eastman – et leur fille Karen, malade – Kyra Schon) et le jeune couple formé par Tom (Keith Wayne) et Judy (Judith Ridley). Dehors, les morts-vivants sont de plus en plus nombreux à assiéger la ferme, et il ne fait aucun doute que, le moment venu, ils sauront trouver un moyen d’y pénétrer et de massacrer les réfugiés : c’est du moins ce que prétend l’énergique Ben, qui entend bien agir – d’abord protéger la maison, trouver à s’informer, puis, si les secours ne se montrent pas, trouver un moyen de s’enfuir… Mais Harry Cooper, lâche et égoïste, soutient que la meilleure solution est de s’enfermer dans la cave en attendant les secours. Les deux hommes s’affrontent, tandis que leur sort inéluctable semble se préciser à mesure que les mangeurs de chair humaine s’amassent à l’extérieur…

 

Le résultat, très moderne, reste encore aujourd’hui remarquablement efficace car réfléchi et maîtrisé, en dépit des mauvaises conditions de tournage et de l’amateurisme des comédiens (cela dit, Duane Jones s’en tire plutôt bien, et Karl Hardman de même, son rôle justifiant assez son cabotinage). L’ambiance est oppressante du début à la fin, et nombre d’images marquent durablement les esprits : la mort de Johnny, la fuite vers la citerne, les bras innombrables jaillissant dans les fenêtres – désormais une séquence incontournable du genre –, le festin cannibale – idem –, le sort d’Helen (une scène qui a considérablement choqué à l’époque), et, bien sûr, cette « chute » stupéfiante, déprimante et d’une audace invraisemblable ; le générique de fin, jouant plus que jamais la carte documentaire, est d’une force rarement (jamais ?) égalée dans le cinéma d’horreur. Dans la forme comme dans le fond, La Nuit des morts-vivants est un film qui ne ressemble à rien de ce que l’on avait pu voir auparavant, et qui passe tous les codes et tous les tabous à la moulinette.

 

C’est que La Nuit des morts-vivants n’est pas seulement un bon film d’horreur, un huis-clos bien ficelé. Ici, je ne peux m’empêcher de citer la jaquette du DVD de The Crazies (dans l’excellente collection des « Introuvables », chez Wild Side) : « George Romero est un maître du film d’épouvante, c’est un fait « établi » par les fans du genre. Pourtant en y regardant de plus près et en occultant certaines scènes « chocs », il devient évident que Romero est avant tout un cinéaste « social » et que l’ensemble de son œuvre est hautement contestataire, anti-militariste, anti-fasciste, anti-consumériste, profondément écologiste. » Oui, moi aussi, cette formulation digne d’un tract anar et saturée de « -iste » m’a fait sourire… Mais, en y apportant quelques bémols – le « avant tout » est exagéré, et l’occultation des scènes « chocs » une erreur en ce qui me concerne –, cette description est tout à fait vraie (et son ton caricatural, avouons-le, est d’autant plus approprié que Romero, s’il a bien des choses intéressantes à nous dire, ne se montre généralement pas très subtil dans son discours : ses idées radicales, il ne les présente pas exactement avec le dos de la cuillère…). La thématique anti-capitaliste ressortira de la plupart des films ultérieurs de Romero (Zombie en tête, bien sûr), et l’anti-militarisme est central dans The Crazies et Le Jour des morts-vivants. Même Creepshow, en apparence plus léger, ne se prive certainement pas de taper là ou ça fait mal. Martin joue très adroitement des tabous religieux et sexuels. Quant au terriblement fauché Season of the Witch, si c’est un film d’horreur raté, c’est par contre un film « social » pertinent (qui n’a donc rien à voir avec les nullités pleines de vide que les alter-bobos franco-anglais nous infligent régulièrement sous cet intitulé généralement annonciateur du pire). On pourrait évoquer toute sa filmographie de la sorte (à part peut-être La Part des ténèbres, où c’est moins sensible…).

 

Et, quand bien même Romero a toujours prétendu le contraire, c’est déjà vrai pour ce qui est de La Nuit des morts-vivants : que le film n’ait été à l’origine qu’un projet commercial n’y change rien, c’est le traitement qui importe. Or les relations sociales – et notamment les relations de pouvoir – y sont bien cruellement disséquées. L’Amérique profonde y sombre dans un chaos qui n’a rien à voir avec la menace « extérieure » toujours évoquée jusqu’alors, et ne maquillant qu’à peine l’Union soviétique : elle est à l’intérieur même de la société américaine. Violer le sacro-saint tabou de la famille américaine et de l’innocence enfantine, c’est une chose qui n’a finalement que rarement été faite depuis. Afficher un tel matérialisme – ressortant notamment du festin cannibale (les scènes « chocs » doivent d’autant moins être occultées que ce renvoi de l’homme à sa condition la plus animale, et son assimilation à un simple tas de viande, sont au cœur du propos…) – dans un genre généralement imprégné de mystique chrétienne n’était certainement pas « innocent ». Refuser le « happy end » à ce point, c’était quasiment du jamais vu (à part peut-être, dans un tout autre genre, l’Allemagne année zéro de Rossellini précédemment évoqué), et Romero a refusé de changer la fin de son film, en dépit des demandes pressantes de distributeurs éventuellement intéressés, mais ne pouvant accepter cette conclusion éprouvante. Et, enfin, il y a la question du racisme… Romero a toujours dit que, si Duane Jones avait été engagé pour interpréter Ben, le héros du film – ou ce qui s’en rapproche le plus –, ce n’était pas parce qu’il était noir – le scénario ne prévoyait rien à cet égard –, mais tout simplement parce que c’était celui qui s’en était le mieux tiré au casting. Je veux bien le croire… mais peu importe : quelle que soit la raison qui a conduit à ce choix, La Nuit des morts-vivants n’en est pas moins un film dont le héros est noir, et n’a rien de caricatural ; ce qui, dans le cinéma américain, est peut-être bien une première, et, hélas, n’a pas eu forcément beaucoup de suites… Dans l’Amérique des années 1960, que ce choix ait été délibéré ou non, il n’en a pas moins une résonance particulière, a fortiori si l’on tient compte de la conclusion du film ; on l’a souvent rappelé, mais à juste titre : le 4 avril 1968, alors que Romero se rend à New York en quête d’un distributeur pour son film, Martin Luther King est assassiné à Memphis…

 

Le film sort finalement le 2 octobre 1968, et rencontre très vite un grand succès public (ce qui ne l’empêche certainement pas de se faire écharper par la critique, qui y voit une monstruosité immorale…). Tourné pour 114 000 $, La Nuit des morts-vivants a rapporté plus de 20 millions de dollars en l’espace de trente ans (et déjà entre 4 et 5 pour les seules années 1969-1970), ce qui en fait un des films les plus rentables de l’histoire du cinéma. Hélas, Romero et ses comparses d’Image Ten ne toucheront rien sur ces bénéfices, s’étant fait escroquer par leur distributeur… Quand Romero gagne son procès en 1975, il ne récupère pas la moindre somme pour autant, du fait de la banqueroute dudit margoulin. Et diverses embrouilles juridiques autoriseront la multiplication des versions bâtardes du film de Romero, remontées à la hache, « complétées » avec de « nouvelles scènes », colorisées, dotées d’une nouvelle bande-son, etc. C’est à bien des égards pour récupérer ses droits sur son film que Romero a parrainé son seul remake officiel (par ailleurs très mauvais), réalisé par Tom Savini en 1990. Aujourd’hui, le film de Romero est dans le domaine public (ce qui explique ses nombreuses éditions en DVD, de qualité très « variable »…), et on le trouve gratuitement et légalement sur le ouèbe.

 

Quoi qu’il en soit, La Nuit des morts-vivants est bien devenu un film culte : doublé en 17 langues, il est projeté chaque jour quelque part dans le monde depuis l’année de sa sortie (il a même été projeté au Museum of Modern Art…). Créateur d’un mythe contemporain, instaurant une nouvelle charte du cinéma d’horreur (qui allait générer les chefs-d’œuvre les plus subversifs et fascinants des années 1970), il a également inauguré les fameux « Midnight Movies », et il a démontré qu’un film indépendant et audacieux, réalisé en dehors des contraintes des studios et sans argent ou presque par une bande de débutants réfractaires aux codes, pouvait être un succès (Easy Rider, sorti la même année, a participé de ce phénomène, largement à l’origine du développement du cinéma indépendant américain – pas seulement d’horreur, loin de là – ainsi que des tentatives les plus personnelles de ce que l’on appellera bientôt le « nouvel Hollywood » – on peut penser notamment à la belle expérience d’American Zoetrope…).

 

Alors, oui, je maintiens : s’il n’est certainement pas exempt de défauts, La Nuit des morts-vivants est bien un des films les plus importants de l’histoire du cinéma. Du cinéma fantastique, du cinéma de science-fiction, du cinéma d’horreur, oui, mais aussi du cinéma tout court.

 



Bon, la novélisation, maintenant…

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"Atomic Café", de Kevin Rafferty, Jayne Loader & Pierce Rafferty

Publié le par Nébal

Atomic-Caf-.jpg

Réalisateurs : Kevin Rafferty, Jayne Loader & Pierce Rafferty.
Année : 1982.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Documentaire.
Durée : 88 min.
 
Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas fait de compte rendu de films sur mon blog miteux… Je lis trop, c’est horrible. Bon, je vais m’en accorder un petit, pour le coup. Concernant un film tout simplement phénoménal, que je ne me lasse pas de voir et revoir (merci, Wild Side !). Pas n’importe quel film, d’ailleurs : un documentaire. Oui, ma bonne dame. Un documentaire, mais un modèle du genre, à la fois intelligent, passionnant et divertissant, et l’œuvre d’authentiques cinéastes.
 
Citons la jaquette, tiens, une fois n’est pas coutume (et puis je suis une grosse larve, après tout) :
 
« Les Etats-Unis. La Guerre Froide.
 
« The Atomic Café est un portrait à la fois effrayant et hilarant d’un pays devenu totalement paranoïaque, à travers un montage virtuose de documents d'archives mêlant actualités, archives gouvernementales, archives militaires.
 
« Un pays qui, des abris anti-atomiques à la propagande gouvernementale, transforme ses citoyens, du plus petit au plus grand, en véritables paranoïaques, réfractaires à tout ce qui ne porte pas le label « made in USA! »
 
« Kevin Rafferty, Jayne Loader et Pierce Rafferty ont réalisé un véritable joyau d’humour noir, qui n’est pas sans rappeler Docteur Folamour de Stanley Kubrick, et brossé un portrait au vitriol d’une Amérique de la Guerre Froide qui n’a jamais semblé autant d'actualité. Un chef-d’œuvre. »
 
Du pur baratin promotionnel, certes. Mais pour une fois, c’est aussi la pure vérité.
 
Atomic Café est bien un modèle de documentaire, qui prend dans un sens le contre-pied des principes posés par (le par ailleurs très agaçant mais là n’est pas la question) Claude Lanzmann pour Shoah. Ici, pas de témoignages ultérieurs et de « mise en scène » (ou implication, au choix) de l’enquêteur : Atomic Café est entièrement constitué de documents d’époque, visuels ou sonores, dénués de tout commentaire, donnant ainsi une apparence (fausse, comme de bien entendu) de « neutralité » ; mais le travail – exceptionnel – de réalisation repose alors sur un montage phénoménal de ces archives toutes plus sidérantes les unes que les autres, qui fait bien d’Atomic Café, non pas une simple compilation d’archives, aussi intéressantes soient-elles, mais un film à thèse remarquablement pertinent, une charge extraordinairement efficace, à la fois terrifiante et à mourir de rire.
 
Les soldats manœuvrant stoïquement dans un champignon atomique (rien à craindre !), les abris anti-atomiques en bois, la « nucléarose » omniprésente (taxis atomiques, cocktails atomiques, parfums atomiques, amours atomiques…), Nixon menant les enquêtes de la Commission des activités anti-américaines et « révélant » à ses concitoyens terrifiés les moyens employés par les Rouges pour s’emparer du secret de l’arme atomique (des microfilms dans une pastèque creuse, peut-être ?), avant de célébrer avec le sourire l’inauguration de la « semaine de la santé mentale », décrétée priorité n° 1 du pays (non, non, je ne suis pas en train de chroniquer un roman de Philip K. Dick)… De toutes ces scènes, et de bien d’autres encore, on ne se remet jamais véritablement.
 
Pas plus que des invraisemblables et innombrables chansons de variétoche country / rock jouant sur ces thèmes et constituant une bonne part de la bande-son, stupéfiantes de beauferie, de racisme et de haine à l’état pur.
 
Ou encore de ces « interviews » ahurissantes, celle de ce pasteur conseillant à ses fidèles de n’accepter aucun étranger dans leur abri anti-atomique, voire de tirer à vue ; celle de ce citoyen lambda expliquant jovialement que, si une bombe tombe sur Los Angeles, comme les trois-quarts des habitants seront morts, ça fera plus de nourriture pour les survivants ; celle, encore, de ce présentateur d’un consternant documentaire de propagande anti-communiste concluant son film en remerciant les supermarchés qui ont permis de le produire, leurs beaux parkings et leurs jolies boutiques représentant tout ce qui fait l’esprit de la civilisation capitaliste américaine en opposition au « fascisme matérialiste rouge » dénoncé par un jeune curé, ardent défenseur du développement et de l’emploi de la bombe H…
 
Parallèlement, on est frappé par la manipulation des esprits, l’aveuglement généralisé, où l'on ne sait ce qui est le plus à craindre, de la « théorie du complot » ou de l’incompréhension du phénomène nucléaire, à base d’expérimentations consternantes d’apprentis sorciers au choix cyniques ou naïfs et de conseils de survie qui laissent pantois… « Duck and cover! »
 
Tout cela paraît inconcevablement absurde ; on comprend d’autant mieux, à vrai dire, l’état d’esprit d’un Kubrick renonçant à livrer une adaptation sérieuse du très sérieux Red Alert, et préférant en sublimer le fond à travers la farce burlesque et irrévérencieuse de Docteur Folamour.
 
Mais, dans Atomic Café comme dans Docteur Folamour, si l’on rit de bon cœur, c’est d’un rire jaune ; et, en nombre de passages, on ne rit plus du tout, ainsi avec l’effroyable récit de l’exécution de Julius et Ethel Rosenberg, l’étude « à froid » des effets de la bombe sur les populations d’Hiroshima et de Nagasaki… ou, dans un autre genre, cette scène stupéfiante issue d’un talk-show, où les fiers intervenants acharnés à prôner l’emploi de la bombe en Corée et en Mandchourie apprennent en direct que les Russes disposent de la bombe à hydrogène… et s’effondrent littéralement.
 
Un documentaire exceptionnel, et un véritable chef-d’œuvre, le mot n’est pas trop fort. Les archives collectées sont démentielles, et, de manière surprenante – et terrifiante – intemporelles : ce film réalisé au début des années 1980 à base de documents datant des années 1940 et 1950 est incroyablement pertinent aujourd’hui ; devant la paranoïa et l’aveuglement qui ressortent de ces archives, on ne peut s’empêcher de faire un lien avec certains délires de l’Amérique post-11-Septembre, où, tout autant qu’alors, la mise en scène de « l’Ennemi » omniprésent vient justifier tout et n’importe quoi ; et reste cet éternel conseil de la Tortue Burt : « Duck and cover! Duck and cover! » Répété en boucle, le slogan parano semble ainsi justifier tant la politique de l’autruche que les protestations ambiguës de sécurité, comme s’il suffisait de se coucher sous une nappe pour survivre à l’inévitable (bien sûr...) assaut des Barbares… Cette scène mémorable illustre ainsi remarquablement la mise en place d’un cercle vicieux où l’angoisse et l’hostilité se renforcent sans cesse.
 
Rien à voir, du coup, avec un pamphlet bas du front (l’inévitable « anti-américanisme primaire »…), ou encore avec les films à la Michael Moore, où la charge se retrouve affaiblie par la manipulation protestant hypocritement de son « objectivité » et l’ego démesuré du réalisateur-enquêteur croisé de la Justice et de la Vérité. Si Atomic Café est bien une charge, et ne saurait prétendre être véritablement « objectif » (tout film, après tout, consiste en premier lieu en l’imposition littérale d’un point de vue), l’effet produit sur le spectateur est tout autre, d’autant qu’il fonctionne à un double degré, avec la nécessaire prise de conscience du biais introduit par le montage à l’égard des documents « neutres » (notamment dans les nombreuses scènes de transition, avec ces familles américaines on ne peut plus WASP et propres sur elles écoutant la radio ou regardant la télévision, une excellente idée de montage) ; à l’instar du très bon Opération Lune de William Karel (… et à l’inverse de son Monde selon Bush ?), Atomic Café est ainsi un film sur la manipulation et reposant sur la manipulation. Autrement dit, un documentaire politique qui a le bon goût de ne pas prendre les spectateurs pour des cons.
 
Et tout à la fois une remarquable œuvre cinématographique, à la réalisation virtuose et intelligente. Et un film effrayant et drôle comme le monde qu'il dépeint.
 
Je m’arrête là ; à voir à tout prix : chef-d’œuvre, vous dis-je…

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"La trilogie de la mort", de Nacho Cerdà

Publié le par Nébal

La-trilogie-de-la-mort.jpg

Nacho Cerdà, de son vrai prénom Ignacio, est un assez jeune réalisateur espagnol qui n’a que tout récemment sorti son premier long-métrage, Abandonnée, que je n’ai hélas pas vu, mais dont on a dit semble-t-il plutôt du bien. Quoi qu’il en soit, Nacho Cerdà n’a de toute façon pas attendu ce film pour faire parler de lui. Il avait en effet déjà attiré une forte attention sur lui avec trois courts-métrages atypiques fédérés plus ou moins artificiellement sous le titre général de « Trilogie de la mort », et qui ont gagné pléthore de récompenses dans les festivals internationaux : trois films de respectivement 8 minutes, 30 minutes et 28 minutes, abordant le thème de la mort sous un angle différent, fantastique ou non, mais présentant néanmoins certaines similitudes ; les trois films sont en effet totalement dénués de dialogues, mais on ne saurait parler de « films muets » pour autant, le travail du son étant le plus souvent remarquable ; enfin, toujours pour ce qui est de la bande son, Nacho Cerdà a souvent recours à des thèmes fameux de la musique classique pour appuyer sa réalisation. Il est assez rare de trouver des courts-métrages dans les circuits traditionnels de distribution ; on peut donc bien louer l’initiative originale de Wild Side, éditeur par ailleurs fort recommandable et au catalogue riche en merveilles.
 
Abordons maintenant chaque film isolément.
____________________ 
 
Titre : The Awakening.
Réalisateurs : Ignacio Cerdà, Ethan Jacobson & Francisco Stohr.
Année : 1990.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Fantastique.
Durée : 8 min.
Acteurs principaux : Elliot Blankenship, Ignacio Cerdà…
 
Le premier film de Nacho Cerdà (qui signe encore de son vrai prénom) est en fait co-réalisé par Ethan Jacobson et Francisco Stohr, tous trois âgés d’une vingtaine d’années, et étant alors étudiants en cinéma à l’USC (University of Southern California), ce qui explique qu’il s’agisse d’un film « américain ». Il s’agit donc clairement d’un film d’étudiants, tourné très rapidement en 16 mm et en noir et blanc, mais qui n’en a pas moins été sélectionné pour le Festival International du Film Fantastique de Sitges en 1991, et a été alors « gonflé » en 35 mm et agrémenté d’un générique de fin en couleur.
 
Un jeune lycéen (Elliot Blankenship, très mauvais acteur, hélas…) assiste à un cours, le professeur étant par ailleurs incarné par Nacho Cerdà (pour l’anecdote, la classe dans laquelle le film a été tourné serait celle utilisée par John Carpenter pour Prince des ténèbres… On s’en fout ? … Oui…). Il s’endort après que son professeur lui ait rendu une très mauvaise copie. A son réveil, le temps semble s’être arrêté pour tout le monde sauf lui… Je ne révélerai pas la fin ici, quand bien même elle est très prévisible.
 
Pas grand chose de plus à dire sur ce métrage, banal film d’étudiants plutôt médiocre, assez maladroit, et sans grand intérêt en tant que tel… La suite de la « trilogie » (qui n’était donc clairement pas envisagée comme telle à l’origine) est heureusement bien plus intéressante.
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Titre : Aftermath.
Réalisateur : Nacho Cerdà.
Année : 1994.
Pays : Espagne.
Genre : Horreur / Schocker / Gore.
Durée : 30 min.
Acteurs principaux : Pep Tosar, Xevi Collelmir, Jordi Tarrida, Angel Tarris…
 
Avec Aftermath, on passe à tout autre chose. Nacho Cerdà (qui emploie pour la première fois ce surnom) retourne en Espagne et monte sa propre maison de production, Waken Prod, pour tourner ce film étrange avec ses propres économies, quasiment « en famille », la plupart des membres de la petite équipe technique étant de ses amis, et ayant d’ailleurs pour plusieurs d’entre eux accepté de travailler gratuitement.
 
Le pitch est lapidaire : dans une salle d’autopsie, un médecin-légiste, après avoir fait son office, viole le cadavre d’une jeune femme récemment morte dans un accident de voiture. Et bon appétit, bien sûr ! Rien d’étonnant à ce que le film ait suscité la controverse… « Le film le plus choquant de l’histoire du cinéma ! », à en croire la jaquette pour une fois très racoleuse… Je n’irais peut-être pas jusque-là, mais c’est effectivement du lourd : non content de manier des thèmes déjà très rudes à la base, Nacho Cerdà filme également d’une manière très graphique et même « scientifique », quasi documentaire ; sa réalisation est une véritable dissection. Effectivement, ça fait très mal au ventre ; la première partie, très clinique, est déjà assez répugnante, mais ce n’est rien à côté de la séquence nécrophile… Le quart du (très petit) budget du film est passé dans les effets spéciaux, et force est de reconnaître qu’ils sont dans l’ensemble assez convaincants. Voilà bien un film qui ne passera probablement jamais en prime-time, à faire crever tout le CSA d’une crise cardiaque (… tiens, c’est une idée, ça…).
 
Aftermath est ainsi un shocker jusqu’au-boutiste et extrêmement gore. Un peu gratuit, aussi, inévitablement… Mais il a tout de même bien des qualités en-dehors de ce seul aspect bien cracra. Nacho Cerdà a fait d’évidents progrès depuis The Awakening, et son deuxième opus, traitant de la mort d’une manière on ne peut plus matérialiste (l’homme comme un amas puant de barbaque… et qui peut encore subir de répugnants outrages quand la question de l’âme ne se pose même plus !), est remarquablement bien filmé et monté (si l’on excepte un générique en vidéo avec quelques effets numériques ratés). La photographie de Christopher Baffa, comparse de Cerdà à l’USC venu spécialement des Etats-Unis à cette occasion et ayant accepté de travailler gratuitement, est parfaitement sublime. Il se dégage de ce court-métrage une véritable esthétique de l’abominable. Le travail du son, enfin, est remarquable, et c’est là un trait que l’on retrouvera également dans Genesis : Nacho Cerdà a choisi de tourner son film en muet (il est de toute façon dénué de dialogues), pour être en mesure de travailler ultérieurement le son à sa manière, et le résultat est particulièrement probant. Il en va de même pour ce qui est de la musique, extraite du superbe Requiem de Mozart, et remarquablement appropriée. Aftermath dépasse ainsi la vaine exploitation pour accéder au rang d’œuvre d’art parfaitement maîtrisée, ce qui explique sans doute ses prix du meilleur court-métrage obtenus à Séville et à Montréal. Maintenant, il serait intéressant de voir Nacho Cerdà travailler avec un « vrai » scénario ; c’est bien ce qui se produira pour Genesis, de très loin le fragment le plus intéressant de cette « trilogie ».
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Titre : Genesis.
Réalisateur : Nacho Cerdà.
Année : 1998.
Pays : Espagne.
Genre : Horreur / Fantastique / Mélodrame.
Durée : 28 min.
Acteurs principaux : Pep Tosar, Trae Houlihan.
 
Un sculpteur (Pep Tosar, le pathétique nécrophile d’Aftermath, dans un rôle bien différent…) ne parvient pas à se remettre de la mort de son épouse dans un accident de voiture, et livre tout son amour dans la réalisation d’une superbe sculpture de son adorée. Un jour, une fente apparaît sur la sculpture, qui se met à saigner… tandis que le sculpteur commence à se pétrifier.
 
Une très belle histoire pour un authentique bijou, qui a très justement été récompensé par de nombreux Goyas et prix internationaux. Le thème de la mort est cette fois envisagé sous l’angle du deuil, de la perte de l’être cher, et avec une certaine finesse. Si l’horreur reste assez graphique (à un degré incomparablement moindre que le brûlot Aftermath, bien sûr…), l’atmosphère est cette fois davantage gothique, et le résultat est de toute beauté. Rien à redire à quelque niveau que ce soit (si l’on excepte une heureusement fort brève séquence MTVesque…), Nacho Cerdà livre avec Genesis un véritable petit bijou, somptueux et fort, à la fois émouvant et terrifiant, dont on aurait tort de se priver. Les images sont sublimes, et la bande-son (encore une fois sans une seule réplique) de même, magnifiée de temps à autre par l’incontournable et splendide Sonate au clair de lune de Beethoven. Nacho Cerdà affirme ici son statut de réalisateur, non plus seulement prometteur, mais tout simplement brillant. Reste à savoir s’il a fait ses preuves sur la forme longue ? J’essaye prochainement de jeter un œil à Abandonnée, et je vous tiens au courant…
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Belle initiative, donc, que ce DVD de la « trilogie de la mort » ; je ne le qualifierais certainement pas d’indispensable, d’autant qu’il est assez inégal : ainsi qu’on l’a vu, The Awakening est parfaitement dispensable, et Aftermath… euh… « particulier », et un peu stérile. Genesis, ceci dit, justifie à lui seul que l’on accorde un minimum d’attention à la carrière future de Nacho Cerdà.

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"Cannibal! The Musical", de Trey Parker

Publié le par Nébal

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Titre original : Alferd Packer: The Musical
Réalisateur : Trey Parker.
Année : 1996.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Comédie / « Horreur » / « Gore ».
Durée : 95 min.
Acteurs principaux : Juan Schwartz (= Trey Parker), Mathew Stone (= Matt Stone), Toddy Walters…
 
C’est marrant, quand on y pense, le nombre de couples célèbres formés par un Juif et un antisémite : H.P. Lovecraft et Sonia Greene, Israël et la Palestine, Elie et Dieudonnée, Karl Marx et Pierre-Joseph Proudhon, Jésus et l’Eglise… Mon préféré, et de loin, c’est quand même l’impayable duo formé par Trey Parker et Matt Stone. Deux jeunes gens bourrés de talent, voués corps et âme à la propagation du bon goût, du respect des aînés et de l’amitié entre les peuples. On les connaît surtout pour leur remarquable série tout juste animée South Park, narrant avec tendresse les péripéties naïves d’un quatuor de charmants bambins au langage rafraîchissant. Mais Parker et Stone se sont également livrés avec bonheur à l’exercice bien différent du long-métrage, et ce au-delà de South Park ; ainsi avec le subtil et pertinent film de marionnettes intitulé Team America, Police du Monde (contenant une remarquable analyse des relations internationales en fonction du paradigme réaliste, que n’auraient certes pas renié Thucydide, Clausewitz ou encore Hans Morgenthau, et fondée sur la distinction entre les « p’tites chattes », les « gros nœuds » et les « trous du cul »). Mais déjà, sous une forme plus traditionnelle, avec le superbe Captain Orgazmo, où Trey Parker, par ailleurs réalisateur du film, incarnait avec brio et sobriété un Mormon intégrant contraint et forcé le monde interlope du « cinéma » pornographique et super-héroïque. Et avant Captain Orgazmo, et avant même South Park, il y eut donc Alferd Packer: The Musical, plus connu sous son titre ultérieur de distribution en vidéo : Cannibal! The Musical.
 
Et là je crois qu’il est bien temps de changer de ton, parce que merde, quoi.
 
Cannibal! The Musical est donc si je ne m’abuse le premier long métrage des deux trublions. Enfin, surtout de Trey Parker, puisqu’il a « réalisé » le « film », « écrit » le « scénario » (« d’après une histoire vraie », bien sûr…) et les « chansons » et « interprété » sous l’étrange pseudonyme de Juan Schwarz le « héros » de la chose.
 
Surtout, Cannibal! The Musical est un film Troma, ce qui en dit long. La firme de Lloyd Kaufman et Michael Herz, pour ceux qui ne la connaîtraient pas, s’est en effet spécialisée dans le Z le plus stupide et affligeant, pour le plus grand bonheur de ceux que l’on appelle couramment les « cinéphiles déviants ». Leur titre de gloire, c’est essentiellement le fameux Toxic Avenger, rapidement devenu l’emblème de la boîte. Et à vrai dire une de ses rares réussites, le reste du catalogue étant souvent bien moins intéressant. Il y a parfois des choses sympa, ceci dit, et, de toute façon, perso, je suis incapable de dire du mal d’une maison de production dont le catalogue renferme des titres aussi improbables que Sgt. Kabukiman, Class Of Nuke’em High, Troméo & Juliette, Rabid Grannies (là, je préfère le titre français, Les mémés cannibales), Surf Nazis Must Die (paraît-il pourri malgré ce titre alléchant) ou encore Maniac Nurses Find Ecstasy (je ne sais pas ce que vaut celui-ci, mais, rien que pour le titre, je veux voir cette chose). Et Cannibal! The Musical représente à mon sens clairement le haut du panier de linge sale en famille : c’est hideux, c’est mal fait, c’est stupide, c’est consternant de mauvais goût… et à mourir de rire. J’adore.
 
Nous sommes en 1874 dans les montagnes Rocheuses. Le film commence de la pire manière, avec un grain ignoble de vidéo, du cabotinage atroce, une musique pourrie au synthé pourri et du gore vraiment très très artisanal, alors que le TERRRRRRRIBLE Alferd Packer (Trey Parker, donc) se jette sur des innocents apeurés pour les dévorer vivants, à grands renforts de « Gniahahah ! ». L’exemple même du mauvais film de potaches, et on en a tous réalisés des comme ça (sauf si l’on a été élevée dans la religion et le sarkozysme). C’est ignoble. Mais ce n’est pas vraiment le film ; on enchaîne en effet immédiatement sur ce que la décence ne devrait pas permettre de qualifier de « tribunal », tant le décor et les costumes sont indigents et affligeants. Ce que nous venons de voir / subir, c’est la version des faits qui sont reprochés au pauvre Alferd Packer par un procureur avec écrit « je suis un méchant » sur le front ou presque. Bon, on n’ira quand même pas jusqu’à parler de mise en abyme, hein… Clin d’œil sympathique au nanardeur, ceci dit, le réquisitoire de l’infâme moustachu n’étant pas sans évoquer le grandiose Virus Cannibale du regretté Bruno Mattei. En substance : « Cet homme a tué, et on n’a pas le droit de tuer ; et c’est pour cela qu’il faut le CONDAMNER A MORT ! » Et la foule en délire d’applaudire à tout crin. Evidemment, de la part de ces deux trublions que sont Trey Parker et Matt Stone, tout cela n’est pas vraiment innocent… Quoi qu’il en soit, le pauvre Alferd Packer est reconduit dans sa cellule, où il essaye désespérément de construire une maquette en attendant le verdict, qui ne saurait faire de doute. Mais voilà que la jeune et jolie journaliste Polly Pry, subjuguée par les yeux de braise (heu…) du futur condamné, entend en apprendre un peu plus. Elle se rend auprès de Packer, et obtient de lui qu’il raconte sa version des faits. Tout, en fait, provient de l’amour fou de Packer pour Liane.
 
Sa jument.
 
Un an plus tôt, Packer était un jeune, gentil et naïf cow-boy solitaire de l’Utah, et il n’avait que Liane au monde. Une petite communauté de mineurs de l’Etat a entendu dire que l’on avait trouvé de l’or dans le Colorado voisin, et, subjugués par le discours héroïque d’un pasteur mormon, certains d’entre eux entendent bien accomplir le périlleux voyage à travers les Rocheuses. Mais le guide meurt terrassé par la foudre… Qu’à cela ne tienne ! Un mineur insupportablement gentil a appris que Packer venait du Colorado, et convainc un petit groupe qu’il saura bien faire l’affaire. Et Packer de prendre la tête d’une petite expédition, composée du gentil mineur, du Mormon, d’un Juif neuneu (Matt Stone dans un rôle préfigurant clairement Kyle pour ce qui est de l’accoutrement, avec un peu de Kenny aussi), d’un jeune cow-boy ambitieux qui aimerait bien rencontrer un jour une femme histoire de ne pas mourir puceau, et d’un « boucher » particulièrement hargneux et asocial (et au ventre improbable, mais on va dire qu’on n’a rien vu). Et tout ce beau monde de prendre la route du Colorado.
 
Packer est bien sûr un guide pitoyable, et les difficultés s’enchaînent, ponctuées de temps à autre d’ahurissantes séquences de comédie musicale d’une naïveté stupéfiante (« It’s a shpadoinkle day ! »), mélodies ridicules interprétées au Bontempi et chantées généralement d’une manière affligeante (même si Trey Parker est un poil au-dessus du lot). Autant ne pas parler des chorégraphies… Les choses vont s’aggraver quand la petite troupe va tomber sur trois infects trappeurs puant (avec un costume de fourrure improbable, patchwork d’ours, de marmotte et de zèbre, et « Trappers » écrit dans le dos à la manière des Hell’s Angels), dont le chef n’est autre que l’arrogant Frenchy Cabazone (tout un programme…), ses deux comparses faisant figure de brutes épaisses narquoises aux moustaches douteuses. Frenchy affirme que Liane est un cheval de trappeur, mouhahahaha ! Et quand, quelques jours plus tard, Liane disparaît, Packer de se mettre à sa poursuite, persuadé qu’elle a été enlevée par les méchants trappeurs… Les choses s’aggravent sacrément, la traversée des rivières est épique, la tension sexuelle monte, les cyclopes sudistes chantent affreusement mal et, si les Indiens de la tribu des Nihon-Jin, très fiers de leurs tipis ornés d’un soleil rouge et de leurs katanas certifiés « Américains d’origine », sont plutôt sympathiques à l’égard de Packer-san et lui apprennent même quelques rudiments d’arts martiaux (« mais oui, indiens, j’ai une plume sur la tête, trou du cul ! »), tout cela va indéniablement mal finir, alors que les vivres manquent, que les voyageurs sont indéniablement perdus, et que l’autre con de gentil mineur, là, ne pense à rien d’autre qu’à faire un bonhomme de neige, ce crétin ! Il va bien falloir trouver de quoi manger…
 
Tout cela est d’un mauvais goût effroyable, les gags les plus improbables s’enchaînent à une fréquence que ne renieraient pas les ZAZ de la grande époque, l’humour est douteux, corrosif et ignoble, tout le monde s’en prend plein la poire, et le spectateur est aux anges. Une comédie musicale de western cannibale ! C’est franchement à mourir de rire. S’il n’y a quasiment pas de gore (de toute façon drôle tant il est artisanal, avec des vrais morceaux de pioches en polystyrène dedans…), et si l’horreur est bien évidemment totalement absente, la comédie est efficace pour qui n’est pas trop coincé du rectum, et l’on se prend bien vite à chanter en chœur, aussi mal que les protagonistes, « It’s A Shpadoinkle Day! », la chanson des trappeurs, l’insupportablement enthousiaste « Let’s Build A Snowman », la chanson d’amour de Polly pour Alferd et celle d’Alferd pour Liane, et plein d’autres encore, avant d’arriver au sublime final à la West Side Story de « Let’s Hang The Bastard! »
 
Des « mauvais » films comme celui-là, moi, j’en reveux. L’exercice du « nanar volontaire » est particulièrement périlleux, mais Trey Parker l’a « brillamment » négocié, et on ne s’ennuie pas un seul instant devant cette préfiguration de Captain Orgazmo, Team America, et bien sûr South Park. Shpadoinkle !
 
 
 
PS : Ne pas manquer un bonus du DVD infiniment plus sérieux, dans lequel Lemmy Kilminster de Mötörhead abandonne un instant sa réjouissante musique de routiers sous amphétamines pour nous entretenir, avec Trey Parker et Matt Stone, d’un sujet particulièrement grave et tristement négligé en ces temps d’individualisme triomphant : la dure condition des hermaphrodites. Merci pour eux.

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"The Honeymoon Killers", de Leonard Kastle

Publié le par Nébal

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Titres alternatifs : Dear Martha, The Lonely Hearts Killers, Les tueurs de la lune de miel.
Réalisateur : Leonard Kastle.
Année : 1969.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Drame / Mélodrame / Thriller.
Durée : 108 min.
Acteurs principaux : Shirley Stoler, Tony Lo Bianco …
 
« D’après une histoire vraie ». Un classique du racolage cinématographique, qui n’a la plupart du temps aucune sincérité, et que l’on retrouve particulièrement souvent pour vendre tel ou tel film d’horreur ou thriller. Un fameux exemple : Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, qui, s’il joue la carte du réalisme sordide et s’inspire en partie des méfaits bien réels d’Ed Gein pour brosser ceux de Leatherface et de sa charmante famille, n’en est pas moins une œuvre de pure imagination. La mention apparaît même parfois dans des films où le fantastique intervient, et il s’en trouve toujours pour y croire… Il en va de même pour certains films qui prennent une apparence de documentaire, comme Cannibal Holocaust, Le projet Blair Witch… ou, dans un genre bien différent, le très réjouissant Opération lune de William Karel. Sans parler des « Mondo »… La jaquette de The Honeymoon Killers ne déroge pas, un sticker très « Détective » précisant qu’il s’agit de « l’histoire vraie d’un couple de serial killers ».
 
Sauf que cette fois ce n’est pas une blague. Les « tueurs de la lune de miel » (plus connus en fait à l’époque sous le nom de « lonely hearts killers », les « tueurs des cœurs solitaires ») ont bel et bien existé. Et si le film de Leonard Kastle condense leur histoire et s’autorise quelques libertés, il n’en reste pas moins la recension cinématographique la plus fidèle de cet ahurissant fait divers.
 
Commençons donc par évoquer brièvement la véritable histoire des « tueurs de la lune de miel », qui nous est détaillée dans un bonus du DVD par le « spécialiste » des tueurs en série Stéphane Bourgoin, à sa manière habituelle : sordide et racoleuse, mais néanmoins documentée… et fascinante. C’est avant tout l’histoire d’une rencontre déterminante, celle de deux individus au passé certes trouble, mais qui ne seraient probablement jamais devenus des tueurs s’ils ne s’étaient pas rencontrés. Martha Beck a eu une enfance pour le moins malheureuse, une fois n’est pas coutume : violée par un membre de sa famille et punie par sa mère quand elle lui raconte ce drame, abandonnée ultérieurement par un mari volage qui la laisse seule avec leur enfant (qu’elle abandonne à son tour) et victime très tôt d’un dérèglement hormonal qui la rend obèse, elle ne parvient pas vraiment à s’intégrer dans la société américaine ; bien qu’ayant obtenu brillamment son diplôme d’infirmière en chef à une époque (la seconde guerre mondiale) où on en a besoin plus que jamais, elle ne trouve cependant que rarement du travail… et le plus souvent dans des morgues, où elle a pour charge de rendre les cadavres « présentables ». C’est en adhérant par dépit à une agence matrimoniale qu’elle va faire la rencontre de Raymond Fernandez. Celui-ci n’a tout d’abord pas de passé criminel ; il est même relativement estimé et intégré, semble-t-il, et l’on s’accorde pour dire qu’il s’est battu héroïquement durant la guerre. Il aurait été victime d’un accident durant le voyage de retour vers les Etats-Unis qui aurait modifié totalement sa personnalité (anecdote à prendre avec des pincettes ; on a souvent évoqué ce genre de cas, mais aucune preuve scientifique n’a pu être apportée pour l’instant) ; quoi qu’il en soit, il devient alors un petit délinquant de bas étage, et fait même un peu de prison pour un vol dérisoire. Après quoi cet homme chauve et un peu bedonnant, qui n’a donc a priori rien d’un séducteur, va se lancer avec succès dans une vaste entreprise d’escroquerie au mariage, séduisant et épousant des veuves, nombreuses après la guerre, pour disparaître ensuite avec leur argent. Un jour, il répond donc à une lettre de Martha Beck (qui a menti sur son age, son apparence et sa situation). Comprenant vite qu’elle n’a pas le profil de ses victimes (en clair : elle n’a pas d’argent), il disparaît rapidement. Mais Martha est tombée follement amoureuse du gigolo, et la connaissance de son triste petit commerce n’y change rien. Elle retrouve sa trace, fait du chantage au suicide (et à la dénonciation à la police)… et Raymond de céder finalement à un sentiment qu’il avait voulu ignorer jusqu’alors : il est bien éperdument amoureux de cette femme peu avenante et très perturbée. Martha devient sa complice ; Raymond la présente à ses victimes comme étant sa sœur (et une sœur infirmière, c’est un atout pour ces veuves souvent âgées). Mais Martha est terriblement jalouse et possessive : elle ne supporte pas l’idée que Raymond – dont c’est pourtant, si l’on peut dire, le travail – couche avec d’autres femmes qu’elle. Cela la conduira bientôt au meurtre. Et les circonstances feront que Raymond la suivra bien vite sur cette pente fatale. Le couple, qui s’est livré à ces activités criminelles pendant deux ans à travers nombre d’Etats américains, sera finalement arrêté (dans des circonstances que je suppose différentes de celles du film, que je ne révélerai pas ici). La presse s’emparera de cette étrange histoire des « tueurs des cœurs solitaires ». Martha et Raymond seront condamnés à mort pour deux assassinats, mais on les a suspectés dans 17 cas. Ils passeront sur la chaise électrique l’une immédiatement après l’autre en 1951. Leur histoire sera bien vite récupérée, et on en connaîtra nombre de versions plus ou moins fidèles. Mais celle de Leonard Kastle (par ailleurs la seule à conserver les noms originaux) est largement au-dessus du lot.
 
Leonard Kastle n’est en rien un homme de cinéma. Il est avant tout un auteur et metteur en scène d’opéras (notamment un sur le mormon Brigham Young, un peu antérieur au film), et plutôt estimé semble-t-il. Il est néanmoins contacté un jour par son ami producteur Warren Steibel, qui lui propose de travailler sur un film inspiré par l’étrange histoire des « tueurs des cœurs solitaires ». Kastle, fasciné par ce fait-divers morbide, accepte, et se met à rédiger un scénario extrêmement détaillé. On embauche alors un jeune réalisateur prometteur pour tourner le film, mais celui-ci ne parvient pas à obtenir quoi que ce soit de satisfaisant, que ce soit pour lui ou pour Kastle, et abandonne rapidement le projet : il s’appelle Martin Scorcese… Steibel suggère alors à Kastle de réaliser lui-même le film ; mais, s’il a monté plusieurs opéras, il ne connaît strictement rien au cinéma… Il se met cependant au travail, étudiant avec le sérieux du novice des scénarii de Truffaut, Rossellini et Antonioni (on voit bien à ces influences « recommandables » qu’on est bien loin de la pure exploitation, contrairement à ce que le thème du film pouvait laisser supposer). Et c’est ainsi qu’il réalisera The Honeymoon Killers, qui restera à jamais son unique contribution au septième art. Kastle s’en amuse, et explique avec un sourire que c’est un argument en sa faveur : « Je peux ainsi affirmer n’avoir jamais réalisé de mauvais film après The Honeymoon Killers. » Certes… On peut bien se permettre d’être plus généreux à son égard : Leonard Kastle n’a jamais réalisé un seul mauvais film ; The Honeymoon Killers est en effet un chef-d’œuvre méconnu du cinéma américain, qui mériterait sans aucun doute une plus ample reconnaissance ; et l’amateur à l’origine de ce que la revue Positif a pu qualifier de « plus belle tragédie moderne que le cinéma nous ait donnée depuis fort longtemps » (il a écrit le scénario, choisi et dirigé les acteurs, réalisé le film et imposé sa version du montage ; j’imagine que ce directeur d’opéra n’est enfin pas pour rien dans le choix des partitions de Gustav Mahler qui l’accompagnent) pourrait à bon droit donner des leçons de cinéma à bon nombre de « professionnels » établis.
 
The Honeymoon Killers est vendu comme un thriller, mais – si cet aspect n’est pas négligeable, les scènes de meurtre (au nombre de quatre), particulièrement brillantes, n’ayant rien à envier aux plus grands maîtres du genre (la réalisation, sous cet angle, ne manque pas de faire penser à Hitchcock, et ultérieurement à De Palma), et étant bien évidemment au coeur du récit – ce n’est pourtant pas l’aspect dominant du film, qui reste avant tout un drame amoureux superbement construit et subtil. Une chose est claire, en tout cas : Leonard Kastle le revendique, il n’a certainement pas voulu faire un film policier. Cet aspect est en effet totalement inexistant dans le film, et Kastle va plus loin, en prenant le contre-pied des poncifs hollywoodiens : méprisant envers le pathos outrancier et la tendance à magnifier la réalité propre à l’usine à rêves, Kastle décide de livrer un film tendant vers le « cinéma-vérité », et appliquant une lecture clinique et détachée à cette sordide histoire, bien plus efficace pour susciter l’empathie, car plus « vraie ». Les victimes ne sont donc pas de belles innocentes au-dessus de tout soupçon, mais le plus souvent des vieilles biques, pingres, menteuses, bigotes, hypocrites, écervelées… Elles n’en sont que plus vraies, et leur sort n’en est que plus abominable et marquant. Il en va de même pour les tueurs. Martha Beck et Raymond Fernandez n’avaient rien d’icônes hollywoodiennes, et Kastle va là encore chercher le réalisme, en engageant deux acteurs au physique peu avenant, dont la carrière cinématographique se limitera le plus souvent à des seconds rôles. La grosse Martha Beck, clairement le personnage central du film, sera incarnée par Shirley Stoler (dont la carrière est essentiellement théâtrale, mais que l’on a pu revoir à l’occasion au cinéma, notamment dans Voyage au bout de l’enfer), tout simplement phénoménale ; quand à Raymond Fernandez, ce sera Tony Lo Bianco qui l’interprétera, avec son accent à couper au couteau (on le reverra notamment dans French Connection et Malcolm X, mais son physique particulier l’amènera surtout à interpréter des seconds rôles de petites frappes ou de « prolétaires »). Excellents choix, qui confèrent au film une atmosphère unique, et renforcent au final l’empathie.
 
Car The Honeymoon Killers me semble avant tout un drame, assez expressionniste et réaliste en même temps, où la psychologie des personnages, et en premier lieu de Martha, passe clairement au premier plan. Ainsi dès la première scène, avec un assez remarquable travelling qui nous permet de découvrir celle que le film présente d’emblée comme une infirmière en chef (première liberté), autoritaire et frigide. La scène suivante poursuit dans cette voie, l’infirmière boulimique et nerveuse ayant à supporter son insupportable mère, et les conseils avisés d’une « amie » qui l’a inscrite, sans lui demander son avis, dans une agence matrimoniale. C’est ainsi qu’elle fera la rencontre de Ray, caricature hautement cabotine de latin lover dans ses premières apparitions, mais qui révélera bientôt sa véritable personnalité sous ce masque un peu vain, celle d’un petit délinquant minable, et finalement guère entreprenant. C’est clairement Martha, dont on comprend bien vite qu’elle est très manipulatrice, et pour ainsi dire une menteuse compulsive, qui va prendre le dessus dans le couple, tout d’abord au travers d’épiques scènes de jalousie où le chantage au suicide n’a rien d’une menace en l’air, puis en prenant l’initiative des premiers meurtres. Ray lui appartient. Si ce « métier » peut leur rapporter beaucoup d’argent, elle refuse néanmoins qu’il couche avec d’autres femmes. Elle le lui dit clairement : elle préfère le voir pourrir en prison, et elle, sa complice, avec, plutôt que de l’imaginer ne serait-ce qu’un instant auprès d’une autre femme. Dès lors, elle se met à l’épier, à profiter du moindre prétexte pour le suivre… et bientôt à tuer avant l’instant fatidique de la lune de miel, pour préserver l’intégrité de son amant. Si le premier meurtre n’est pas « graphique », l’infirmière Martha administrant à sa « rivale » une overdose de somnifères, la situation dégénère bien vite, ainsi dans le premier meurtre unissant les deux amants, Martha assommant une insupportable vieille bigote paranoïaque (à raison…) à coups de marteau, puis aidant Ray à étrangler la victime. Une scène remarquable, dure et sèche, superbement filmée. Quant au meurtre suivant, il tient de la scène d’anthologie, notamment dans ce passage tétanisant où la victime paralysée écoute ses assassins débattre de la marche à suivre, de qui fera quoi, et comment : gros plan sur les yeux affolés de la pauvre veuve, qui s’éternise… jusqu’à ce que soudain… Mais reste la fille de la veuve. La charitable Martha veut bien s’en occuper à la place de Ray…
 
Je n’en dirais pas plus sur la fin (on m’accusera peut-être d’en avoir déjà trop dit, mais, encore une fois, la dimension thriller ne me semble clairement pas être celle qui domine dans le film, et, quand elle apparaît, elle joue sur le suspense au sens strict : l’angoisse ne vient pas de la surprise, mais du fait que l’on sait parfaitement ce qui va se produire…). Mais sachez qu’elle est fabuleuse, et durablement marquante.
 
Pour un amateur, Leonard Kastle fait preuve d’un savoir-faire remarquable : s’il y a de temps à autre quelques inévitables maladresses de débutant, le film, superbement cadré, n’en offre pas moins de nombreuses scènes que l’on aurait envie de qualifier de virtuoses, si ce terme ne renvoyait pas si souvent à une certaine gratuité totalement absente ici. Chaque plan, chaque mouvement, chaque cadrage, est mûrement réfléchi. Et le résultat est bien un chef-d’œuvre, injustement méconnu, et qui mériterait bien des éloges. Une authentique perle du cinéma américain, à découvrir ou redécouvrir absolument.

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"Frayeurs", de Lucio Fulci

Publié le par Nébal

Frayeurs.jpg

Titre original : Paura nella città dei morti viventi.
Titres alternatifs : City Of The Living Dead, Fear In The City Of The Living Dead, Pater Thomas, The Gates Of Hell.
Réalisateur : Lucio Fulci.
Année : 1980.
Pays : Italie.
Genre : Horreur / Gore / Zombies.
Durée : 93 min.
Acteurs principaux : Christopher George, Catriona MacColl, Carlo De Mejo, Antonella Interlenghi, Fabrizio Jovine…
 
Âmes sensibles s’abstenir : on va parler ici d’un film bien gore qui glougloute. La grande tradition du bis rital pas avare en ketchup, avec un de ses plus beaux (?) spécimens. Et un maître incontesté du genre, qui a plus fait pour le Spasfon et les anti-émétiques divers et variés (mais surtout le Coca-cola, bien sûr) que Jean-Claude Van Damme pour la reconnaissance internationale de la pensée diagonale belge : j’ai nommé Lucio Fulci.
 
Un peu d’histoire. En 1968, le génial réalisateur américain (et pas mexicain, comme on a pu le lire dans Les Inrocks, bande de…) George A. Romero livre un monument du film d’horreur et du cinéma tout court avec son phénoménal et révolutionnaire La nuit des morts-vivants. Un film au budget ridicule, tourné dans des conditions quasi-amateur, et néanmoins brillant, beau, fort, inventif et intelligent. Un monument, vous dis-je. D’autant que cette quasi-adaptation du classique de Richard Matheson Je suis une légende, outre qu’elle apporte la preuve qu’un film totalement indépendant et débarrassé de tout poncif hollywoodien (et notamment le sacro-saint happy end… ah, et accessoirement la nécessité pour le héros d’être blanc, quoi qu’ait pu en dire par la suite le trop modeste Romero) peut remporter un franc succès critique et commercial, vient également établir à jamais une nouvelle figure du monstre et de l’horreur : le zombie. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : des zombies, on en a vu un paquet au cinéma avant La nuit des morts-vivants, et parfois de très bons (voyez le sublime Vaudou aka I Walked With A Zombie du grand Jacques Tourneur) ; seulement, on en était aux racines du genre, puisant directement leur inspiration dans le vaudou. Romero, non. Le terme de « zombies » n’est d’ailleurs pas employé une seule fois dans le film, et ne lui sera accolé qu’a posteriori. Chez Romero, on a donc des morts-vivants, plein de morts-vivants, une horde d’infectés qui se nourrissent de chair humaine : c’est bien le vampirisme pandémique de Je suis une légende que l’on trouve à la base de cette merveille. Quoi qu’il en soit, après ce film, l’amalgame se fera entre les « zombies » traditionnels (qui n’ont franchement rien à voir) et ces morts-vivants infectés et anthropophages.
 
Enfin, plus exactement, l’amalgame se fera surtout une dizaine d’années plus tard, avec la « suite » de La nuit des morts-vivants, et sans doute le meilleur opus de la tétralogie de Romero, intitulée à l’origine Dawn Of The Dead. Un chef-d’œuvre. Pas la peine d’en dire plus ici (d’autant que, comme vous êtes des gens de bon goût, vous l’avez nécessairement vu et adoré). Juste ceci : ce film où la référence au vaudou n’apparaît qu’une seule fois, comme un clin d’œil, a bénéficié de fonds italiens, le producteur n’étant autre que Dario Argento, encore à l’époque grand maître du giallo et du fantastique à l’italienne. Pour l’exploitation du film en Europe, Argento refait le montage du film, insistant davantage encore sur le gore et sur l’action, et le rebaptise Zombi. Et c’est bien sous le titre de Zombie que nous le connaissons encore aujourd’hui en France.
 
Or le cinéma populaire italien, depuis longtemps, jouait sur la reprise des grands mythes hollywoodiens : vous avez tous adoré des « westerns spaghetti »… Et le « film de zombies » ne va pas échapper à la règle, devenant même, pour le meilleur et surtout pour le pire (Bruno Mattei, entre autres…) un genre presque spécifiquement transalpin. Presque immédiatement après la sortie de Zombie en Italie, les producteurs ritals, qui n’ont décidément peur de rien, sortent un Zombi 2 (qui n’a bien évidemment rien à voir avec le film de Romero…), qui sera exploité aux Etats-Unis sous le titre de Zombie (puisque « notre » Zombie, là-bas, c’est Dawn Of The Dead…) et en France, pour de mesquines raisons juridiques sans doute, L’enfer des zombies.
 
Réalisateur : Lucio Fulci (oui, on y arrive). Fulci est un honnête artisan du bis transalpin, qui s’est essayé à un peu tous les genres, mais va désormais trouver son créneau dans le fantastique tendance tripes apparentes. C’est que L’enfer des zombies, s’il est très cheap, à peu près totalement dénué de scénario et « interprété » par des « acteurs » grotesques, n’en remporte pas moins un beau succès commercial, ceci sans doute grâce à une ambiance assez travaillée… et à des scènes de gore bien vomitives, dont un joli festin cannibale, et surtout une énucléation qui est rentrée dans l’histoire du genre. Et Fulci, qui a ainsi trouvé « son truc », va récidiver à plusieurs reprises, en s’éloignant néanmoins de plus en plus du zombie à la Romero pour livrer des films de morts-vivants plus connotés « fantastique », souvent inspirés par Lovecraft (j’y reviendrai), bien loin de l’horreur « réaliste » du maître de Pittsburgh. Et pour en rajouter toujours et encore plus dans la tripaille, avec les moyens du bord, certes, mais pour un résultat qui reste encore assez souvent efficace aujourd’hui (du gore, du vrai ; quand on voit aujourd’hui d’infects petits moralisateurs fascisants se plaindre de la violence au cinéma parce qu’il y a trois gouttes de sang dans tel ou tel film, on n’ose imaginer ce qu’ils diraient de ce genre de pellicules, qui ont pourtant remporté en leur temps de francs succès commerciaux… Manière de dire une fois de plus – je sais, je me répète, je suis lourd, mais je m’en fous – que l’on était bien plus libres dans les années 1970-1980, à tous les niveaux, que dans la sinistre époque puritaine qui est la nôtre).
 
Frayeurs (ayé, on y est) est donc une de ces récidives, et sans doute la plus connue avec L’au-delà (dont je vous entretiendrai en principe dans quelque temps). Et de même que dans L’Au-delà et (semble-t-il, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir) La maison près du cimetière, Fulci en fait une œuvre au croisement du film gore avec plein de zombies dedans et de l’épouvante lovecraftienne. La référence, ici, est évidente, l’action se situant pour l’essentiel dans la petite bourgade de Dunwich (oui, celle de « l’abomination »), paumée certes, mais quand même bien moins glauque que le saisissant clapier à dégénérés décrit par le reclus de Providence. Le drame commence quand un prêtre se pend dans le cimetière jouxtant l’église, permettant ainsi à l’une des portes de l’enfer (comme dans L’au-delà…) de s’ouvrir. La ville devient alors le théâtre d’événements étranges, les morts sortant de leur tombes pour y tourmenter les vivants. Pour parer à cet inquiétant prélude à l’apocalypse, nous croisons bien vite nos deux héros, un journaliste new-yorkais (Christopher George, essentiellement un acteur de séries TV) et une médium « ressuscitée » (Catriona MacColl, que l’on retrouvera dans L’au-delà et La maison près du cimetière, autant dire une habituée, même si sa filmographie est très hétéroclite).
 
Et on va s’arrêter là. Parce que, inutile de prétendre le contraire, le scénario est à peu près inexistant. Et les acteurs sont mauvais. Et le tout est souvent ridicule, avec quelques scènes à la limite du nanar (j’aime beaucoup, notamment, ce dialogue effarant de lucidité entre deux clients d’un bar : « – Mais pourquoi ne veulent-ils pas que nous allions dehors ? – Ca doit être à cause des morts qui sortent de leurs tombes… » Chapeau.). Pas fameux tout ça. La fin ridicule n’arrangeant rien.
 
Oui, on est bien devant un film de Fulci. Un réalisateur qui se fout totalement de la direction d’acteurs, et n’attache guère d’importance au scénario. Mais un réalisateur brillant à l’occasion. Frayeurs ne déroge pas à la règle : on y passe sans cesse du sublime (et je pèse mes mots) au ridicule (et je pèse mes mots ; oui, encore ; j’aime bien peser mes mots). Le tout donne un sentiment de bâclage assez dommageable. Certains bisseux n’y prêtent guère attention, et continuent de louer les films de Fulci. Moi, j’avoue avoir du mal, parce que je trouve vraiment triste de voir des guignoleries insipides succéder à des scènes d’anthologie, filmées avec une science remarquable de l’image et de l’atmosphère, pour un résultat parfois à couper le souffle.
 
Frayeurs contient en effet ce qui est probablement l’une des plus extraordinaires et éprouvantes scènes de toute l’histoire du cinéma d’horreur, Fulci jouant sur nos peurs les plus profondes avec une maestria incomparable. Catriona MacColl enterrée vivante. Je ne veux pas en dire plus ici, il faut voir cette scène à tout prix. Vous vous en souviendrez durablement… Pour l’anecdote, il est indéniable que Tarantino s’en est inspirée pour une scène similaire dans son très décevant Kill Bill, pour un résultat guère convaincant ; où l’on voit que Fulci, quand il le voulait bien (hélas, trop rarement…) était un réalisateur d’exception.
 
Il y a quelques autres scènes fort réussies, avec une atmosphère remarquable (Fulci aime la brume, qu’on se le dise !)… et du gros gore qui tache. Ainsi quand le curé zombie fait – littéralement – vomir ses tripes à une jeune fille. Zbeuarh. Et la perceuse en pleine tête, ça fait toujours son petit effet. Mais, dans l’ensemble…
 
Déçu, donc. Comme la plupart des Fulci m’ont déçu (à part peut-être L’Emmurée vivante, plus traditionnel, pas gore, mais plus « égal » et assez sympathique). Je lui préfère – avec leurs défauts – L’enfer des zombies et L’au-delà. Ceci dit, Frayeurs reste un classique à même de satisfaire les bisseux les plus intégristes. Et, au-delà, la scène du cercueil constitue un monument à part entière que tout cinéphile se doit d’avoir vu au moins une fois. Laquelle suffit de toute façon pour s’en souvenir à jamais.
 
Hop, petit bonus, et pour contrebalancer éventuellement, un lien vers un chouette article d’un fan absolu, le dénommé Snake Void (avec plein de zoulies photos).

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"New Rose Hotel", d'Abel Ferrara

Publié le par Nébal

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Réalisateur : Abel Ferrara.
Année : 1998.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Science-fiction / Cyberpunk / Espionnage / « Noir » / Drame.
Durée : 93 min.
Acteurs principaux : Christopher Walken, Willem Dafoe, Asia Argento, Yoshitaka Amano…
 
Une affiche alléchante. Et je ne dis pas ça – voyons, pour qui me prenez-vous ? – à cause de la jeune fille lubrique qui s'y exhibe. Seulement, il faut bien dire qu’un film d’Abel Ferrara, d’après une nouvelle de William Gibson (tirée du recueil Gravé sur chrome), avec pour principaux acteurs les excellents Christopher Walken et Willem Dafoe et la… euh… ben… désolé, mais je trouve pas de meilleur mot que « bandulatoire » pour caractériser Asia Argento, là… bref, ça fait beaucoup, quand même. Pour les maniaques, on peut même rajouter à la liste Cat Power et Yoshitaka Amano. Une affiche alléchante, donc.
 
Pour un résultat qui a divisé. Certes, ce n’est pas le seul film dans ce cas, mais le fait est que, de part et d’autre, on a crié au chef-d’œuvre et hué le navet avec la même virulence. Une très grande virulence. Ce qui n’a finalement guère joué en faveur du film. Mais on s’en fout. Enfin, en tout cas, moi, je m’en fous. Ne serait-ce que pour Gibson, Walken et Dafoe, je voulais voir ce film depuis un petit moment déjà.
 
Une chose, d’entrée de jeu : Abel Ferrara a remarquablement saisi l’atmosphère propre aux écrits de William Gibson, et plus précisément aux plus récents d’entre eux. Très loin de l’esbrouffe ratée du peu séduisant Johnny Mnemonic, on est ici plongé dans un monde très discrètement futuriste, où la science-fiction ne ressort qu’au travers de brèves allusions, de petites touches minimalistes. Ne pas s’attendre, avec New Rose Hotel, à un délire matrixien saturé d’effets spéciaux. Ici, des effets spéciaux, il n’y en a quasiment pas… Et le très clipesque générique, en dépit des apparences, reste bien dans la ligne générale du film, avec ses crédits en trois langues (anglais, allemand, japonais). C’est le monde des multinationales, des zaibatsus. Celui de l’information, de son pouvoir et de son coût. La tour de Babel, ou plus exactement la fosse : sordide, glauque, recelant de vilains secrets. Inutile, pour ce faire, de passer par l’illustration crue, si courante dans le genre, avec ces ruelles crades débordant de carcasses de voitures, et un parfum d’apocalypse qui flotte dans l’air vicié. La saleté, ici, c’est celle des hôtels de grand standing, bien davantage que celle, plus graphique, de l’Hotel New Rose où se réfugie X (à la différence de la nouvelle, il ne s’agit pas d’un hôtel à « cercueils », au passage) ; une crasse plus profonde, dans les bureaux clinquants des zaibatsus, dans le hall du Ritz, et dans les bars à putes de luxe de Shinjuku saturés de néons roses et rouges. Peu importe, d’ailleurs, où l’on se trouve : Tokyo, Marrakech, Vienne, Berlin, Paris, Londres… Tout cela n’a guère d’importance, et bien souvent on n’en sait rien. On trouve de toute façon les mêmes choses partout, et partout cette même cacophonie de japonais, d’italien, d’anglais, de français, d’allemand, d’arabe, dans une mosaïque de conversations qui se cherchent, se croisent, s’ignorent ou se fuient. Sandii, l’Italienne de Shinjuku, peut bien avoir passé son enfance à Amsterdam, ou à Paris. Quelle importance ? Son passé change avec la nuit… Et elle peut bien séduire les hommes en italien, en anglais, en allemand ou en japonais : au final, c’est son corps qui parle.
 
C’est le sous-monde qu’écument Fox (extraordinaire Christopher Walken) et X (troublant Willem Dafoe). A la fois hommes d’un autre âge, anachroniques souvenir de vieux films noirs, gangsters tout en classe et en bagout, et à la pointe de leur époque, au milieu des transactions les plus obscures, de celles qui changent tout, qui définissent le lendemain. Ce sont des mercenaires de l’information, des dandys de l’espionnage industriel. Leur boulot, pour l’essentiel, c’est de saisir le sens du vent, pour organiser des transferts de cerveaux, d’une multinationale à l’autre, en fonction de qui paye le plus. Pas un job de tout repos, c’est clair. Hosaka, Maas-Neotek et toutes les autres zaibatsus tiennent à leurs petits génies respectifs, noyés sous le pognon, ou cloitrés dans une arcologie. Et cela fait bien longtemps déjà que Fox s’intéresse au cas de Hiroshi ; un type à la Pointe, comme il les aime, et que Hosaka aimerait bien récupérer. Problème : « Qu’est-ce que l’on peut bien donner à un homme qui a déjà tout ? »
 
« Sandii. »
 
La tentatrice. L’idée, finalement, est vieille comme le monde (et le métier qui va avec). Sandii (phénoménale Asia Argento), c’est cette gamine italienne terriblement sexy, cette allumeuse diabolique qui fait fondre les hommes en leur sussurant à l’oreille des chansons suaves et moites dans le club de Madame Rosa. Le genre de fille paumée et sublime qui pourrait avoir tout pour elle, mais se complait dans des passes minables et sans lendemain. Fox, arrogant et cynique, la convainc sans trop de peine de rejoindre sa petite entreprise : elle est l’élément manquant, celui qui permettra de faire basculer Hiroshi, bien las de sa Gretchen, dans les griffes d’Hosaka. Maintenant, à X de jouer : il lui faut former Sandii, la préparer pour son rôle. Chacun le sien, d’ailleurs : pendant quelque temps, X sera Hiroshi, et Sandii… on verra bien. Une fille bien, en tout cas. Plus classe, désintéressée, et follement amoureuse. Et tout marchera comme sur des roulettes, avec à la clé, cette Pointe qui obsède Fox, et, plus prosaïquement, un très très gros paquet de pognon. Ben tiens…
 
Un film bizarre, une fois n’est pas coutume. Et qui laisse un peu perplexe quand débute le générique de fin. Sans trop en révéler, la dernière demi-heure du film, en gros, consiste essentiellement en des retours sur des scènes précédentes. Ce qui a été très critiqué. Notons déjà que, quoi qu’on ait pu (bêtement) en dire, il ne s’agit pas de repasser des scènes antérieures, mais de les éclairer sous un angle nouveau (souvent au sens strict, d’ailleurs). Certains, sans doute assez imbus d’eux-mêmes, se sont plaints qu’avec ce procédé Ferrara les prenait pour des cons… Je ne crois pas. Il y a là quelque hose d’assez intéressant et pertinent, quand on prend le temps d’y réfléchir, et qui n’est pas sans rappeler la structure alambiquée, toute en réminiscences, de la nouvelle originale de William Gibson. Pas un hasard, d’ailleurs, si le titre (de la nouvelle comme du film) est New Rose Hotel, et pas « Fox et X montent un plan avec Sandii la bombasse »… La critique n’est donc guère fondée à mon sens, même si l’on peut très légitimement être assez dubitatif dans un premier temps. On a pu dire, bien plus justement, que New Rose Hotel est un film sans véritable début, et sans véritable fin. Un fragment. Et là il y a sans doute quelque chose, effectivement… Le renforcement du sentiment d’absurdité qui gagne le spectateur tout au long du film ; et une sorte de mise au point sur la question centrale du regard.
 
Le regard du spectateur, dans New Rose Hotel, c’est essentiellement celui de X. Un personnage bien plus discret que les fantasques Fox et Sandii. L’anonymat lui va comme un gant. Mais ce n’est pas pour autant un réceptacle vide. C’est sans doute le personnage le plus attachant du film. La performance de Willem Dafoe est remarquable : sa « gueule » si particulière l’a souvent amené à interpréter des personnages inquiétants et un peu dingues (et même Jésus, c’est dire…). Ici, pourtant, le quadra rugueux se fait jeune premier sensible, et X devient ainsi un personnage déchirant, très humain, très vrai, grace à une interprétation tout en finesse et sobriété de Dafoe, qu’on a rarement vu aussi en forme. Walken, a contrario, se lâche totalement, pour notre plus grand plaisir. Il est le bagout incarné, l’arrogance faite homme, séduisant et agaçant, brillant et absurde ; vous n’oublierez pas de si tôt son dernier coup d’éclat… Quant à Asia Argento… Elle est extraordinaire. Je n’appréciais guère cette actrice avant ce film ; mais elle a ici un rôle taillé sur mesure, où la vulgarité et la majesté se mêlent pour produire un fantasme hors du commun. La fille de vous-savez-qui tétanise par sa présence et son charisme, son charme et sa finesse, soufflant le chaud et le froid avec un égal savoir-faire. Icône érotique, femme fatale… Elle est tout ça, et plus encore. Bravo.
 
Trois acteurs d’exception, et un réalisateur qui ne l’est pas moins. Mais que dire de plus ici qui n’ait pas déjà été répété mille fois par ailleurs ? Ferrara était jusqu’alors une de mes grosses lacunes cinématographiques, mais je compte bien combler ce retard au plus vite : il livre en effet ici un véritable festival de scènes de toute beauté, aux éclairages très travaillés, pour un résultat souvent très sensuel et expressioniste, en parfaite adéquation avec l’atmosphère générale du film et l’ahurissant travail de son tiercé d’acteurs.
 
Un film troublant, qui demande à être gagné. Mais, passé un certain temps, le doute ne saurait plus être de mise : c’est un grand film, réalisé par un auteur virtuose et porté par des acteurs à leur sommet.

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"Driller Killer", d'Abel Ferrara

Publié le par Nébal

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Titre original : The Driller Killer.
Réalisateur : Abel Ferrara.
Année : 1979.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Horreur / Schocker / « Gore » / Drame.
Durée : 96 min.
Acteurs principaux : Jimmy Laine (= Abel Ferrara), Carolyn Marz, Baybi Day, Harry Schultz…
 
Objet filmique non identifié. Cette fois, l’expression prend tout son sens. Non que l’on soit, avec Driller Killer, devant une œuvre de pure expérimentation, tenant davantage de l’art plastique que du cinéma à proprement parler. Il ne s’agit pas davantage d’un pur trip d’art et d’essai déstabilisant et psychotrope à la Eraserhead ou Tetsuo (quoique…). Simplement, Driller Killer tend à jouer avec les catégories, à faire le grand écart entre les genres, pour un résultat finalement assez unique. Hélas, aurait-on envie de dire, confrontés que nous sommes à de trop nombreux métrages sans saveur et sans personnalité, « œuvres » de yes-men ayant depuis longtemps vendu leur âme au Diable, produites à la chaîne par les plus cyniques commerciaux de l’univers pourri des studios. Tant mieux, en même temps, le plaisir n’étant que plus grand pour le spectateur qui a la chance de tomber un peu par hasard sur un film « autre » ; tant mieux aussi, parce qu’on ne survivrait sans doute guère longtemps à un assaut massif de brûlots de ce genre, plus ou moins bien foutus qui plus est…
 
Driller Killer, en effet, est plus ou moins bien foutu. Un film fauché, réalisé par une bande de débutants diversement sincères et compétents. Il s’agit en effet du premier film « officiel » d’Abel Ferrara (qui aurait semble-t-il tourné auparavant un porno), bien éloigné de la plupart de ses œuvres ultérieures ; une œuvre quelque peu cynique, dans un sens, cherchant bel et bien à jouer sur le succès du Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper, et louchant clairement vers une horreur sordide et glauque tenant à bien des égards de l’exploitation pure et simple. En même temps, on y trouve déjà la patte d’un auteur, et, à mille lieues du schéma que je viens de décrire, Driller Killer est ainsi, entre deux giclées d’hémoglobines (ou pendant ces dernières…) un drame passablement arty et introspectif. Driller Killer n’aura certainement pas le succès rencontré par Leatherface et ses consanguins, même s’il aura lui aussi maille à partir avec la censure. Aujourd’hui encore, il reste un métrage parfois mis de côté dans la filmographie de Ferrara, qui a depuis gagné ses galons d’auteur « fréquentable » (je pense en connaître un qui pourra confirmer eh eh…) ; Driller Killer, s’il a sans aucun doute joué un rôle dans la vertigineuse ascension de son réalisateur (aidé notamment en cela par un certain William Friedkin, oui Madame, le réalisateur de L’exorciste – entre autres – étant paraît-il tombé sous le charme de ce foutraque premier essai), tendra ainsi à rejoindre la catégorie des « films cultes », regroupant tous ces machins bizarres dont tout le monde a entendu parler mais que personne n’a vu (sauf un pote), d’autant qu’il ne connaîtra véritablement son tout relatif succès qu’à partir de sa sortie en vidéo (ainsi en France, près de 10 ans après la sortie du film aux Etats-Unis – il n’avait de toute façon pas eu les honneurs des écrans français…).
 
Le film commence par ordonner de monter le volume à fond. Obéissez.
 
Reno Miller, incarné par « Jimmy Laine », c’est-à-dire Abel Ferrara himself (qui, il faut le reconnaître, est quand même bien meilleur réalisateur qu’acteur…), est un minable petit artiste new-yorkais qui s’échine à (ne pas arriver à) peindre un putain de gros tableau avec un putain de gros buffle dessus. Il vit dans un étrange ménage à trois avec sa compagne Carol et l’écervelée Pamela, maîtresse de la précédente. Il a du mal à payer son loyer (et tout le reste avec), et achève de péter un cable quand un pathétique groupe de sous-punk du nom de The Roosters (avec son cabot de chanteur Tony Coca Cola, oui certes) s’installe dans un appartement voisin pour y répéter entre deux pseudo-orgies, jouant inlassablement et toujours aussi mal le même morceau poussif. On avouera qu’il y a bien de quoi péter un cable, en effet, le vacarme permanent devenant bien vite insupportable pour le « héros » comme pour le spectateur, chacun étant bientôt saisi de pulsions meurtrières à devoir supporter à longueur de temps les jérémiades niaises et vulgos de Pamela et de ses abjectes semblables de miniputes idiotes qui n’ont de punk que leur laideur épique, les vantardises de la sous-rock-star devant cet amas purulent et dégoulinant de maquillage de groupies en solde, les accords désaccordés et piteux des piteux Roosters et l’assaut permanent des tapettes en costard et autres pouilleux de proprios unis par-delà leurs différences extérieures par une même soif de thune, cette thune que Miller ne parvient de toute façon pas à gagner (à tout cela, le spectateur peut d’ailleurs rajouter les insupportables éclats de voix de gangsta rital d’un Ferrara en roue libre…). Bref. Reno Miller en a marre. Frustré dans tout ce qui peut susciter la frustration (sexe, argent, art, foi, intimité, et plus si affinités…), il craque. Et nous avec.
 
Un soir, c’est le déclic, alors qu’il regarde plus ou moins la téloche avec ses deux femelles. Une pub débile dans un télé-achat grotesque, vantant les mérites d’une perceuse sans fil. Reno achète. Et il est bientôt possédé par des hallucinations sanguinaires, son propre visage dément disparaissant sous une gerbe de bon vieux krovi rouge rouge des familles, et des victimes… Des victimes. Il y en a de toutes désignées, là, juste en bas, au coin de la rue. La multitude grouillante des clochards et des ivrognes qui dorment sur le trottoir, avec leur conversation brisée, leur puanteur. Préfigurant Patrick Bateman, Reno Miller se rue sur ces victimes dont personne n’a rien à foutre, pour des meurtres brutaux et sanguinaires, filmés en gros plan, comme autant d’inserts pornographiques venant rythmer le drame de la folie naissante du « héros ». Un massacre collectif, plusieurs victimes pouvant s’enchaîner en une même nuit : blancs, noirs, jeunes, vieux, hommes, femmes, tout y passe. Un triste exutoire, Miller soulageant ses frustrations à grand coup de perceuse en plein front. Il y prend goût. La soudaineté orgasmique des premiers meurtres cède progressivement la place au jeu sadique avec la victime, qui a dès lors le temps de voir la perceuse, de l’entendre vibrer, tandis que le foret se rapproche inlassablement de son visage hurlant. Bientôt, toutefois, ces victimes innocentes ne seront plus satisfaisantes. Et Reno se tournera vers son entourage, vers ces gens nécessairement coupables, de stupidité, d’hypocrisie, d’imposture…
 
Si le terme de « gore » peut sembler exagéré, la violence n’en est pas moins présente dans Driller Killer. Régulièrement, avec une accélération sur la fin, les lambeaux de chair voltigent, le sang gicle, le vacarme de l’appartement cède la place aux hurlements des victimes. Et l’horreur est là, très clairement. Une horreur physique qui n’a rien à voir avec l’angoisse : Driller Killer n’est pas un film qui fait peur, mais un drame ponctué de scènes de meurtre sèches et rudes. Le résultat est assez déstabilisant, et il est difficile d’avoir un avis tranché sur ce film. Le meilleur y cotoie le pire, que ce soit dans la dimension auteurisante ou dans celle du schocker. Reste que tout cela n’est pas aussi gratuit que cela peut en avoir l’air, et que l’effet désiré par Ferrara est obtenu, d’autant que, en dépit d’une interprétation plutôt médiocre, le spectateur tend à éprouver une certaine sympathie pour le meurtrier frustré (au sens étymologique, d’ailleurs : il s’agit bien de souffrir avec lui). Ferrara, enfin, même s’il commet régulièrement quelques maladresses de débutant, montre amplement dans ce film « autre » l’éclosion d’un indéniable talent et d’une forte personnalité cinématographique.
 
Driller Killer est ainsi un film unique, à la fois bancal et fascinant, sordide et pertinent, tenant la corde raide entre l’exploitation et l’art. A voir.

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