Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #policier tag

Coyote attend, de Tony Hillerman

Publié le par Nébal

Coyote attend, de Tony Hillerman

HILLERMAN (Tony), Coyote attend, [Coyote Waits], traduit de l’anglais (États-Unis) par Danièle et Pierre Bondil, Paris, Rivages, coll. Rivages/Noir, [1990-1991] 1993, 271 p.

 

Note préalable : je vais essayer d’éviter de balancer trop de SPOILERS, ça serait tout particulièrement fâcheux dans la chronique d’un roman policier, mais il y en aura sans doute quelques-uns pour s’insinuer ici ou là ; disons donc méfiance à partir de la section « Coyote et l’Université », et jusqu’à la fin de la chronique.

 

POLICE TRIBALE NAVAJO

 

Retour aux polars navajos de Tony Hillerman, après une très, très longue interruption : j’avais lu il y a très exactement quatre ans de cela le précédent titre, Dieu-qui-parle et rien depuis. Sachant qu’après un démarrage un peu chaotique, je me suis lancé dans la lecture de l’ensemble de la série dans l’ordre (américain : les publications françaises ne le respectent pas…) – car, si les romans sont globalement indépendants, l’auteur prend soin de faire vieillir chaque fois un peu plus ses personnages, au premier chef les flics Joe Leaphorn et Jim Chee, mais aussi leur entourage (notamment sentimental, et c’est d’ailleurs très sensible dans le présent volume) ; à cet égard, lire la série dans l’ordre fait vraiment sens, cela apporte clairement une dimension supplémentaire à l’ensemble.

 

Coyote attend (prix Nero 1991) est le dixième roman de la série. Les trois premiers constituaient la « trilogie Joe Leaphorn », avec à mon sens pour sommet le deuxième, Là où dansent les morts ; puis il y eut la « trilogie Jim Chee », culminant clairement avec Le Vent sombre. Ensuite, Tony Hillerman a commencé à réunir ses deux policiers navajos, et Coyote attend est donc le quatrième à les envisager en parallèle ; parmi ces quatre romans, on met souvent en avant Porteurs-de-peau, mais, si je l’avais aimé, bien sûr, il ne m’avait pas paru si exceptionnel… Par contre, le présent Coyote attend est clairement un très bon cru, du niveau au moins de Là où dansent les morts et Le Vent sombre. Tâchons de voir en quoi...

 

LE FUMIER ET LE SALE PETIT CON

 

En commençant par nos héros ? Coyote attend met donc en scène aussi bien le « légendaire lieutenant » Joe Leaphorn que son bien plus jeune collègue Jim Chee. Mais ils sont pour l’essentiel envisagés en parallèle : comme tels, ils ne se croisent pas (enfin, si – mais au bout d’un assez long moment), et une bonne partie de l’astuce du roman consiste justement à amener les deux enquêteurs sur les mêmes pistes mais par des voies différentes, et avec une manière de voir le monde on ne peut plus opposée.

 

Plus que leur âge, c’est en effet surtout ceci qui distingue les deux personnages. Tous deux sont navajos, tous deux sont policiers, tous deux ont fait quelques études d’anthropologie (avec un rapport à la discipline forcément différent de celui de leurs comparses blancs), mais les similitudes, non négligeables certes, s’arrêtent là. Joe Leaphorn, le vieil homme un peu bougon, est porté au rationalisme à tout crin, à l’approche scientifique de son métier ; s’il s’intéresse à la culture navajo, c’est surtout en tant qu’objet d’étude et de curiosité intellectuelle, et donc dans une perspective, disons, scientifique. Jim Chee est très différent : il est, littéralement, un homme entre deux mondes, qui est devenu flic, mais voulait devenir hataalii, « chanteur », au sens du « prêtre » qui conduit les rites navajos, notamment ceux de guérison, comme la Voie de l’Ennemi – l’homme aussi qui exécute les peintures de sable, etc. En fait, Jim Chee pensait pouvoir suivre ces deux voies (si j’ose dire) en même temps… Ce qui pour Joe Leaphorn, est parfaitement absurde : il ne développe guère son argumentaire, nul besoin – Jim Chee ne peut pas faire cela, c’est tout.

 

Bizarrement, c’est pourtant cette double ambition de Chee qui a pu, un bref instant, rapprocher les deux hommes. Quand la femme de Joe Leaphorn est morte, le « légendaire lieutenant », guère pieux, a demandé à Jim Chee de conduire les cérémonies – pour que tout soit fait dans les formes, par respect pour la défunte et son clan, et pour donner malgré tout un petit coup de main au jeune homme, guère sollicité pour ce genre de tâches ; Jim Chee s’est acquitté de sa mission avec sérieux, mais ce fut sans lendemain : depuis, plus personne n’a jamais requis ses services de chanteur… Il est juste un flic.

 

Les deux hommes se sont donc croisés, et à plusieurs reprises – à l’occasion de cette cérémonie, qui comptait tant pour les deux, mais pour des raisons bien différentes, ils ont brièvement été proches. Mais ils ne sont pas des amis pour autant : en fait, ils ne s’apprécient pas. Chacun reconnaît sans doute que l’autre est un homme intelligent, et un bon enquêteur, mais c’est tout. Joe Leaphorn, un peu psychorigide, reproche à Jim Chee, bien plus que son tiraillement entre deux voies incompatibles, d’être un individualiste, un homme incapable de travailler en équipe (ce dont le début du roman est la dramatique confirmation), un policier qui ne joue pas selon les règles, un curieux futé mais bien trop insouciant et fondamentalement pas fiable – dans Coyote attend, pour Leaphorn, tout part d’une boulette (en fait bien plus que cela, il y a eu mort d’homme...) de Chee ; la première fois qu’il mentionne le nom de son collègue, c’est en des termes éloquents : « le sale petit con »… Chee est lui-même accablé par sa responsabilité, voire sa culpabilité ; mais, quand il apprend que Leaphorn enquête sur « son » affaire (en fait l’affaire ni de l’un ni de l’autre, elle est de toute façon du ressort du FBI…), il y voit une ingérence inqualifiable du vieux bonhomme arrogant si porté à sermonner tout le monde – il essaye de de le dissimuler, au nom de sa culpabilité, mais ne mâche pour autant pas ses mots quand il comprend ce que fait Leaphorn : « le fumier »…

 

Aussi travaillent-ils séparément, pour l’essentiel ; et c'est parfois assez cocasse, au fond... La fin du roman, cependant, sera une occasion de les rapprocher un peu plus, en préalable aux romans ultérieurs de la série, plus apaisé eu égard aux relations entre nos deux héros (pour autant que je sache)...

 

MORT D’UN FLIC – ET COUPABLE TOUT TROUVÉ

 

Delbert Nez est un collègue de Jim Chee, et ils travaillent en binôme, parcourant inlassablement, mais séparément, les interminables routes des Four Corners. Ils ont convenu par radio de se retrouver pour prendre un café – d’ici-là, Nez, jovial, prévient tout de même son collègue qu’il va faire un petit détour… C’est qu’il pense avoir mis la main sur ce vandale qu’il traquait depuis des semaines ! Le type qui répand de la peinture blanche sur des rochers de la réserve, qui sait pourquoi… Mais que Chee se rende directement au café, Nez ne tardera pas !

 

Dont acte – sauf que Nez se fait bien trop attendre. Chee part enfin à sa recherche… et découvre sa voiture en train de brûler. Au péril de sa vie, et au prix de cruelles brûlures, il extrait le corps de son collègue de la carcasse incendiée – et découvre qu’il a été tué par balle.

 

Un peu plus loin, Chee croise un vieil homme – un certain Ashie Pinto. Visiblement ivre, et une bouteille de bon whisky en main, le vieillard ne cesse de répéter les mêmes mots, en navajo : « Mon fils, j’ai honte... » Et il ne dit rien de plus. Mais il a sur lui un pistolet qui vient d’être employé…

 

On déterminera très vite que c’est bien une balle tirée par ce pistolet qui a tué Delbert Nez. On apprend, par ailleurs, que Pinto, il y a longtemps de cela, avait fait de la prison pour avoir tué un homme en état d’ivresse… Il est un coupable tout désigné – même s’il refuse de parler de l’affaire, que ce soit pour s’innocenter ou pour affirmer sa culpabilité.

 

Qu’importe – les jeux sont faits. Ashie Pinto est forcément coupable. Pour le FBI, car pareille enquête est de son ressort, l’affaire est pour ainsi dire classée – le bureau ne va pas perdre son temps à travailler sur quelques petites bizarreries quand l’essentiel, soit l'identification et l'arrestation du coupable, est acquis...

VOIES PARALLÈLES ET COÏNCIDENCES

 

Mais il y a bien des petites bizarreries dans cette histoire. Jim Chee, en congé de convalescence, et oppressé par sa responsabilité dans la mort de son collègue (il aurait dû se trouver là !), et Joe Leaphorn, à plusieurs centaines de kilomètres de là et qui songe plus que jamais à prendre sa retraite, s’en rendent compte très vite – même si chacun à sa manière, et avec des motivations différentes. Tous deux ne doutent pas vraiment de la culpabilité de Hosteen Ashie Pinto, qui leur paraît assurée, mais ils sont poussés à mener leur petite enquête, pour comprendre certaines choses a priori incompréhensibles...

 

Joe Leaphorn y est incité par Mary Keeyani, la nièce de Pinto, du clan de sa défunte Emma, et surtout une exubérante anthropologue du nom de Louisa Bourebonette, qui se présente comme une amie de l’accusé. Du côté de Jim Chee, c’est la charmante avocate Janet Pete, qu’il aime d’un amour douloureux car guère payé de retour, qui, outre son sentiment de culpabilité latent, l’incite à éclaircir certaines choses – ils ont tous deux une relation très ambiguë, où l’amitié, voire l’amour, ne font pas vraiment bon ménage avec leurs emplois respectifs… Car Janet Pete est désignée pour être l’avocate commise d’office chargée de la défense de Pinto ! Cet homme dont Chee est persuadé qu’il a tué son collègue, et qu’il a lui-même arrêté – aussi a-t-il un statut de témoin dans cette affaire ; cependant, il ne peut s'empêcher de ressentir une certaine empathie pour ce vieil homme qui est aussi un puits de sciences en matière d'histoire et de pratiques culturelles des Navajos...

 

Il me faudra revenir sur Louisa Bourebonette et Janet Pete ; mais, d'’ici-là, on ne peut qu’admirer le brio dont fait preuve l’auteur pour entrelacer ces deux enquêtes parallèles, qui aboutissent régulièrement aux mêmes conclusions, mais sans suivre les mêmes chemins. L’effet est remarquable, car il n’y a jamais redondance : la même piste, évoquée deux fois, conserve pourtant toujours son originalité et sa pertinence – au regard des besoins de l’enquête, mais aussi des caractères psychologiques des protagonistes ; lesquels ont leur propre fil rouge au-delà de la seule enquête, témoignant de leur insertion bien pensée dans le contexte plus global de la série : ils sont de vrais personnages, qui ont de la chair et de l’âme, et une histoire qui leur est propre.

 

Tout cela, par ailleurs, s’inscrit dans une sorte de méta-récit, où les deux enquêteurs sont amenés à se poser la question des coïncidences dans un ensemble aussi complexe. À moins que les gouttes de pluie ne semblent aléatoires qu’à ceux qui ne savent pas les envisager pour ce qu’elles sont ? Le fait est que les coïncidences sont nombreuses dans cette histoire… Et, pourtant, elles font toujours sens – pas comme autant d’éléments d’un vaste complot où absolument tout a sa raison d’être, où tout est lié ; c’est plutôt que ces coïncidences, en tant que telles, sont parfaitement crédibles. En fait, le hasard a peut-être davantage sa part que ne veulent le croire nos enquêteurs – mais, si tout n’est pas lié, tout est à sa place. Ou devrait l'être, mais en prendre conscience permet justement d'y remédier. Ce qui, j’imagine, peut nous ramener au principe navajo de l’harmonie, souvent rappelé ici – mais, sur le plan narratif, cela a aussi un bel avantage : les coïncidences n’impliquent jamais de deus ex machina. Miraculeusement.

 

Une fois n’est pas coutume, Tony Hillerman a mis en place une intrigue passablement complexe – plus encore que d’habitude, même, ai-je l’impression (mais mes souvenirs des autres volumes datent un peu, certes). Cependant, cette approche très rusée, et à plusieurs niveaux, contribue tant à asseoir cette complexité qu’à assurer la cohérence de l’ensemble. C’est une belle prouesse narrative, et un immense point fort de ce très bon cru qu’est Coyote attend.

 

COYOTE ET L’UNIVERSITÉ

 

Bien sûr, un atout essentiel des polars navajos de Tony Hillerman est leur contenu anthropologique, et Coyote attend ne déroge pas à cette règle. La mythologie navajo y joue un très grand rôle – et pas seulement concernant Coyote, même si ce dieu trickster joue bien sûr un grand rôle ici : « Coyote est toujours là, dehors, à attendre, et Coyote a toujours faim. » Coyote, intrinsèquement, doit faire peur – ou le devrait… Mais les temps ont changé : pour les jeunes Navajos qui ont encore une vague idée des croyances de leur peuple, Coyote a bien trop souvent pâti de la tendance à en livrer des récits édulcorés – où il ne devient plus guère qu’un farceur finalement innocent, un personnage amusant avant tout… Mais il ne devrait pas être amusant – car il est avant tout redoutable ; il l'a toujours été, et l'est encore.

 

(Forcément, ces développements m’ont ramené à deux passions personnelles : Le Roman de Renart, dans ses sources authentiques et dans les récits édulcorés qui en ont été dérivés au XIXe siècle, au point de changer radicalement la donne… et bien sûr ce cher Cthulhu, qui, en tant qu’icône pop déclinée en peluches kawaï, ne fait certes plus guère peur aujourd’hui ; Alan Moore, sauf erreur, en a notamment fait la remarque, et en le déplorant – je ne prétendrai pas être totalement hermétiques aux kawaïeries tentaculaires et indicibles, mais dans l’ensemble je suis tout à fait d’accord...)

 

Coyote guette, donc – et il frappe quand l’occasion se présente ; or elle peut se présenter sous bien des formes ; une bouteille de whisky, par exemple… Faut-il y voir une forme de fatalisme ? Peut-être – mais à intégrer dans le concept global de l’harmonie.

 

Ce qui nous ramène au tiraillement de Jim Chee entre ses ambitions incompatibles… Son rapport à Ashie Pinto n’en est que plus compliqué – car il admire en lui un Homme-qui-Lit-dans-le-Cristal, un mystique aux connaissances étendues. C’est d’ailleurs notoire : le vieil homme a souvent travaillé avec des anthropologues, qu’il régalait de ses récits précis et sérieux sur les croyances et les rites des Navajos. Louisa Bourebonette en témoigne, bien sûr, mais d’autres sont également de la partie : Pinto a de nombreux contacts à l’Université – et pas seulement parmi les anthropologues ! Car ses récits peuvent se mêler, à l’occasion, à d’autres aspects de l’histoire de la région – celle des Blancs, tout particulièrement impliqués dans les conceptions propres à la Frontière de la loi et de l’ordre : un sujet western s'il en est. Des noms fameux surgissent dans le roman – Butch Cassidy au premier chef… mais d’autres également, dont Kit Carson et quelques autres bouchers des Amérindiens, dont la résonance est forcément particulière dans les récits navajos.

 

Du coup, une partie non négligeable de l’enquête se déroule à l’Université : auprès, sinon des professeurs, du moins de leurs doctorants, qui sont tous autant de larbins traités sans la moindre considération, dans un monde cruel où la reconnaissance par les pairs fait figure de critère ultime, « légitimant » bien des déviations et des politiques guère scientifiques. L’enquête ne se fait en tout cas pas que sur le terrain : lire des livres, écouter des bandes, effectuer des corrélations… Le savoir concernant les rites navajos dont Jim Chee dispose sera en fait crucial dans la résolution de l’enquête – pour le coup, un Joe Leaphorn ne pouvait qu'être désavantagé.

 

Et tout ceci est absolument passionnant.

 

FEMMES-QUI-FONT-BIEN-PLUS-QU’ÉCOUTER

 

Mais c’est souvent le cas, dans les romans de Tony Hillerman – c’est leur « plus » caractéristique et, je ne vais pas vous mentir, ce qui m’a amené à m’y intéresser au premier chef.

 

Pourtant, un autre aspect m’a frappé, ici – même si je ne saurais dire s’il était forcément moins présent auparavant : le rôle joué par certaines femmes dans l’intrigue.

 

L’auteur, sans doute, sait créer de bons personnages : Joe Leaphorn et Jim Chee au premier chef. Mais certains autres personnages, soutiens, antagonistes, autres choses encore, sont tout à fait admirables ; ici, à mon sens, cela vaut surtout pour des personnages féminins.

 

Ils gravitent certes autour des deux flics comme autant de perspectives plus ou moins avancées de romance, ce que l’on pourra regretter ; ceci étant, cet aspect du récit est bien géré, qui implique les divers protagonistes au plus intime et avec une sensibilité remarquable – et ces femmes ont bien plus à offrir qu’une simple épaule compatissante, heureusement.

 

Il faut sans doute mettre en avant Janet Pete, qui était déjà apparue dans la série il y a quelques romans de cela. Elle est liée à Jim Chee – qui en est de toute évidence fou amoureux. Il a tiré un trait sur sa compagne Mary Landon, après des années d’incertitude, mais il n’est pas si évident de la « remplacer » ; et Janet Pete ne voit certes pas les choses ainsi. Chee en a douloureusement conscience, et la relation entre les deux personnages a donc quelque chose de fatalement cruel, sans mauvaises intentions de part et d’autre. Cette dimension est accentuée dans ce roman, car les professions des deux personnages les amènent plus ou moins consciemment à s’affronter quand ils souhaiteraient pourtant collaborer – et à redouter que les véritables intentions de l’autre soient éminemment suspectes. Janet Pete est l’avocate d’Ashie Pinto, Jim Chee l’homme qui l’a arrêté pour le meurtre de son collègue et qui est persuadé de sa culpabilité… tout en admirant en lui le vieux Navajo aux connaissances innombrables. « L’amitié », dans ce couple qui n’en est pas vraiment un, en est forcément affectée – même si sans pathos, avec une délicatesse appréciable… et de vrais moments d’émotion en définitive. Mais Janet Pete est donc tout sauf un faire-valoir : femme indépendante et qui s’affiche comme telle, intelligente et cultivée, sérieuse et impliquée, elle écrase souvent Jim Chee, qu’elle rend tout particulièrement timide. Elle est un vrai personnage, à part entière, pas un expédient en forme de quota nécessaire de romance pour le héros masculin.

 

Du côté de Joe Leaphorn, on peut dire la même chose de l’anthropologue Louisa Bourebonette – qui, contrairement à Janet Pete, apparaît sauf erreur pour la première fois dans ce roman. Elle n’est par ailleurs pas du tout navajo (Janet Pete est métisse, il me semble). Joe Leaphorn ne l’envisage pas le moins du monde comme une opportunité de romance – d’autant que le souvenir de sa défunte épouse Emma ne le quitte pas. En fait, il se méfie extrêmement de l’anthropologue – dont les motivations en l’espèce lui paraissent plus que suspectes : une « amie » du vieil Ashie Pinto ? Et quoi, encore… Impossible : au mieux, l’expansive bonne femme a besoin du vieux bonhomme pour finir un bouquin, car elle l’exploite forcément, au pire elle est carrément mouillée dans l’histoire, et mieux vaut garder un œil sur elle… Eh bien, non, M. Leaphorn : Louisa Bourebonette était parfaitement sincère tout du long, et valait et vaut toujours bien mieux que vos préventions cyniques. Ce que le « légendaire lieutenant » devra bien admettre à terme, en faisant véritablement connaissance avec l’anthropologue, ce qui passera par de longues discussions passionnées sur sa discipline et les us et coutumes des Navajos. Nulle romance à proprement parler dans cet épisode – mais la fin laisse entendre que cela pourra changer… Et j’avais de toute façon déjà lu deux romans ultérieurs (Blaireau se cache et L'Homme Squelette) – je me souvenais que Louisa Bourebonette y vivait avec Joe Leaphorn…

 

Janet Pete et Louisa Bourebonette sont donc deux très beaux personnages féminins, et tout sauf des faire-valoir, c’est toujours appréciable. D’autres personnages plus secondaires pourraient éventuellement être mentionnés, comme la doctorante en histoire Jean Jacobs, qui fait elle aussi forte impression. Globalement, le roman témoigne d’une véritable attention aux personnages en général, mais tout particulièrement, ai-je l’impression, concernant ces femmes admirables, complexes, authentiques, et libres.

L’HARMONIE… ET L’ÉCHEC ?

 

Finalement, ces personnages, de même que le jeu sur les coïncidences, sont peut-être une occasion de plus de témoigner de ce que le monde est toujours plus complexe qu’on ne le voudrait ? L’attente de Coyote pourrait aussi se situer à ce niveau-là – en justifiant par ailleurs un certain comparatisme qui intervient à plusieurs reprises dans le roman, souvent via l’anthropologie (d’où l’ultime proposition de Joe Leaphorn à Louisa Bourebonette), mais pas nécessairement : ainsi quand Jim Chee use du « proverbe » de Coyote en présence d’immigrés vietnamiens qui ne disent pas autre chose, mais dans leur langue et avec leur symbolique éventuellement cultuelle.

 

À cet égard, les « gouttes d’eau » des coïncidences répercutent sur le véritable monde les punaises que pique Joe Leaphorn sur sa carte des Four Corners, dans une tentative souvent vaine de comprendre. L’harmonie révérée par les Navajos – et au premier chef les traditionalistes tel que Jim Chee – passe peut-être aussi par ces déconvenues, pouvant déboucher sur un vertige de fascination mystique ; plus qu’un fait, elle est ainsi une lecture – et un effort ; en témoigne ultimement, ici, un vieil ivrogne qui a finalement quelque chose à dire...

 

Un autre aspect du roman me paraît aller dans ce sens, mais d’autant plus qu’il me fait l’effet d’être assez récurrent dans les polars navajos de Tony Hillerman – et c’est l’échec (relatif) de l’enquête. Ne pas s’y méprendre : la résolution de l’enquête est intellectuellement satisfaisante, et Joe Leaphorn et Jim Chee sont de brillants investigateurs qui, en ultime recours, comprennent ; quitte donc à succomber au vertige, au moins temporairement. Mais, ici comme ailleurs, au fond, cela ne leur sert guère : cela arrive trop tard, ou bien ne s’avère que d’une importance secondaire. La satisfaction du lecteur n’implique pas celle des enquêteurs – qui, eux, sont en définitive plus frustrés qu’autre chose…

 

Mais ils composent avec cet échec relatif – car la vie continue. Le roman est des plus sombre, assurément, mais nos derniers aperçus de Joe Leaphorn et de Jim Chee nous les laissent pourtant supposer souriants… Et, en définitive, l’enquête, vaine aux plans policier et judiciaire, se montre fructueuse sur d’autres plans davantage inattendus.

 

LE LÉGENDAIRE PICK-UP TRUCK

 

Coyote attend est un excellent titre, un des meilleurs Tony Hillerman que j’ai lus. Est-ce à dire qu’il est sans défaut ? Certainement pas… car il en est un, particulièrement pénible, qui affecte l’ensemble de la série.

 

Et c’est une plume dégueulasse. La langue est moche et lourde – de manière systématique. Tony Hillerman sait sans l’ombre d’un doute raconter une histoire, et construire et faire vivre des personnages fouillés et authentiques, mais son style est déplorable, au point où c’en est très souvent agaçant. Faut faire avec, mais, bon sang...

 

Enfin, « son » style… Je suppose qu’il y a bien quelques soucis en version originale, mais, pour être franc, la traduction française de Danièle et Pierre Bondil, comme pour tous les autres titres de la série, n’arrange probablement rien à l’affaire. C’est moche, très moche – et daté, sans doute ; ça ne remonte pourtant pas à si longtemps que cela : 1991…

 

Enfin, on se consolera peut-être avec la traditionnelle note de bas de page expliquant ce qu’est un « pick-up truck » et qui figure dans les premières pages de tous les romans de la série, visiblement (ici, on a aussi droit à « cheerleader » et « redneck »). Traditions et couleur locale...

 

BRILLANT

 

Passons. Retenons seulement que Coyote attend figure parmi les sommets de la série des polars navajos de Tony Hillerman. Oui, je le hisse décidément sans peine au niveau de Là où dansent les morts et Le Vent sombre, jusqu’alors mes préférés.

 

C’est un polar prenant, subtil et riche ; il offre une belle immersion anthropologique dans le quotidien des Navajos contemporains, autant que dans la recherche sur leurs us et coutumes, en évitant toujours l’écueil du didactisme ; il repose sur des personnages complexes et attachants... Oui, un très bon cru.

 

La « suite » un de ces jours, avec Les Clowns sacrés...

Voir les commentaires

La Lumière de la nuit, de Keigo Higashino

Publié le par Nébal

La Lumière de la nuit, de Keigo Higashino

HIGASHINO Keigo, La Lumière de la nuit, [白夜行, Byakuyakô], roman traduit du japonais par Sophie Refle, Arles, Actes Sud, coll. Babel Noir, [1999, 2015] 2017, 741 p.

 

AU PIF

 

Toujours désireux de découvrir petit à petit ce qui se fait maintenant en littérature japonaise, au-delà des seuls classiques, je me suis rendu compte, en déambulant dans une librairie, que je ne savais absolument rien du polar nippon – à vrai dire, je ne sais guère plus du polar non nippon, certes… Mais passons. J’en reste ici à mes lectures japonaises ! Or cette totale ignorance de ma part ne vaut au fond pas que pour le polar contemporain, dans la mesure où, même en remontant au premier XXe siècle, je ne suis pas allé (pour l’heure) au-delà de quelques lectures du maître ayant introduit la matière au Pays du Soleil Levant (mais pour le coup en prisant la nuit et les utopies souterraines...), à savoir Edogawa Ranpo.

 

Or, si l’on fait dudit l’introducteur du polar au Japon, ce qu’il fut bel et bien – statut confirmé par le prix qui porte son nom, et qui est toujours l’ultime récompense du polar littéraire japonais –, il faut cependant noter que son approche est tout de même très spécifique à l’occasion : au-delà du polar « classique », il emprunte aussi à son maître à écrire Edgar Allan Poe un goût des traitements à la lisière du fantastique… et des sujets éventuellement très scabreux. Et, à tout prendre, c’est plutôt cet Edogawa Ranpo-là que j’ai apprécié – celui de L’Île panorama et de La Bête aveugle bien avant celui du Lézard Noir (même si ce roman n’est certes pas avare en bizarreries par ailleurs) ; peut-être même pourrait-on aller jusqu’à dire que ce n’est pas tant l’introducteur du récit policier qui m’intéresse, mais bien plutôt le chef de file du courant « ero guro », éventuellement prolongé dans ses adaptations en BD par Maruo Suehiro (par exemple L'Île panorama), etc.

 

Au-delà ? Rien de rien. J’avais relevé quelques titres, notamment au catalogue des Éditions d’Est en Ouest, qui avaient l’air assez intéressants, mais sans trouver encore le temps de m’y mettre. Puis je suis tombé complètement par hasard sur ce pavé relativement conséquent en Babel Noir qu’est La Lumière de la nuit. Je dois avouer qu’à simplement parcourir d’un œil plus ou moins distrait les rayonnages, j’ai eu comme un frisson vaguement méprisant à la lecture de ce titre en forme d’oxymore – un réflexe dont je ne parviens pas à me débarrasser, ça me fait toujours redouter le pire… J’ai quand même jeté un œil à la quatrième de couverture… Et, ma foi, ça m’a paru plutôt intéressant, en fin de compte. Au point où je me suis dit que cela valait peut-être le coup de tenter l’expérience, même comme ça, largement au pif…. Dont acte.

 

UN AUTEUR À SUCCÈS

 

Je ne savais absolument rien de l’auteur, donc – un certain Higashino Keigo, dont je n’avais jamais entendu parler… Or le bonhomme, très prolifique par ailleurs, a son succès. En fait, au Japon, il a été abondamment primé (dont, bien sûr, le prix Edogawa Ranpo, donc, et ce dès son premier roman), et plus abondamment encore adapté au cinéma et à la télévision (cela vaut pour le présent bouquin, et de manière particulièrement éloquente, puisqu’il a été adapté à la scène tout d’abord, en 2005, puis deux fois au cinéma – la première en Corée en 2009, la seconde seulement au Japon mais dès l’année suivante – et, surtout, a donné lieu à une série télévisée, dès 2005, qui a rencontré un immense succès) ; et ses ventes là-bas sont colossales, se chiffrant en millions d’exemplaires !

 

Quand la présentation de l’auteur, en quatrième de couverture, en fait « l’une des figures majeures du roman policier japonais », ce n’est donc pas une exagération promotionnelle – en fait, c’est peut-être même limite un euphémisme, au plan commercial tout du moins…. Mais justement, c’est donc Actes Sud qui publie son œuvre en français – aux côtés de plein de trucs scandinaves qui marchent bien. Il y a déjà au moins huit titres à ce catalogue, tout de même... Et, ne connaissant rien au polar, je n’en avais comme de juste pas idée, mais au moins un de ces romans a rencontré un beau succès critique en France, La Maison où je suis mort autrefois, récompensé par le prix Polar international de Cognac en 2010.

 

FORENSIQUE

 

Mais, au-delà de ces histoires de ventes et de gros sous (qui sont forcément vulgaires, hein), le parcours de l’auteur présente des particularités notables. Sans doute faut-il mentionner qu’il est né à Osaka, car cela a son importance dans le cas de La Lumière de la nuit. Mais une de ces particularités m’interpelle particulièrement, et qui est sa formation d’ingénieur. Sorti de la fac, Higashino Keigo n’a finalement guère travaillé dans ce domaine, car il a profité du succès critique et commercial de son premier roman (prix Edogawa Ranpo, donc) pour lâcher l’affaire et devenir écrivain professionnel – en 1985, à l’âge de 27 ans (il s'est montré depuis très prolifique, avec en moyenne deux parutions chaque année).

 

Pour autant, il n’a certes pas tiré un trait sur cette extraction scientifique et technique – car il lui a régulièrement ménagé une place de choix dans ses livres. C’est tout particulièrement vrai, semble-t-il, d’une de ses séries, et semble-t-il celle qui a connu le plus grand succès (mais là je m’avance peut-être un peu trop), dite en France « Physicien Yukawa » (ailleurs, au Japon et aux États-Unis en tout cas, on dit plutôt « Détective Galileo » ; trois titres au moins en ont été publiés en français, Le Dévouement du suspect X, Un café maison et L’Équation de plein été). Le principe de la série consiste à associer deux personnages, un classique et rusé inspecteur de police du nom de Kusanagi, et son ami Yukawa, professeur de physique à l’Université de Tokyo – qui l’assiste dans ses enquêtes en brodant des théories très improbables mais parfaitement sérieuses sur la base d’éléments parfois bien limités, mais toujours avec pertinence. La série a ainsi pu traiter, et semble-t-il de manière assez pointue, de choses comme les mathématiques ou le fonctionnement des centrales nucléaires, en insérant parfaitement ces éléments scientifiques et techniques dans la trame policière. J’avoue, je suis assez curieux de lire ça...

 

Et c’est un aspect qui persiste au-delà de cette seule série. À titre d’exemple, La Lumière de la nuit, qui est un roman totalement indépendant (de la série du « Physicien Yukawa », mais aussi des autres, car l’auteur use régulièrement d’autres personnages récurrents), contient à son tour nombre d'éléments d’ordre scientifique et technique, concernant essentiellement cette fois l’informatique naissante (ou, plus exactement, commençant à se démocratiser au Japon) ; et j’avouerai sans peine que ce sont les passages du roman consacrés à cette thématique qui m’ont le plus emballé, ceci alors même que je n’y connais à peu près rien (ou peut-être justement pour cette raison).

 

MEURTRE D’UN PRÊTEUR SUR GAGES

 

Mais nous n’en sommes pas encore là. Quand le roman débute, en 1973, c’est sous la forme d’un policier parfaitement classique – avec le meurtre de Kirihara Yôsuke, un prêteur sur gages, dans un quartier populaire d’Osaka, et plus concrètement dans un immeuble en construction. Une affaire a priori tout ce qu’il y a de banal – d’autant que la disparition d’une forte somme d’argent, retirée peu avant par la victime, laisse supposer un motif crapuleux.

 

Ce qui n’exclut pas d’autres dimensions, mais somme toute très classiques là encore : l’inspecteur Sasagaki s’intéresse à la famille de la victime – sa veuve, Yaeko, leur petit garçon, Ryôji… et le très suspect employé de l’agence, Matsuura ; ne vivrait-il pas une aventure avec Mme Kirihara ? Cela dit, M. Kirihara était probablement un époux volage lui aussi… L’enquête conduit Sasagaki et ses collègues auprès d’une jeune veuve du nom de Nishimoto Fumiyo, qui vit seule avec sa fille Yukiho… et que M. Kirihara fréquentait assidûment. En fait, Mme Nishimoto devient bien vite un suspect de choix – mais plus encore un étrange énergumène du nom de Terasaki Tadao, qui la fréquente également.

 

À ce stade, l’enquête piétine – parce qu'elle croule sous les suspects ? Mais Terasaki meurt dans un accident de la circulation, et quelques indices laissent supposer qu’il était bien l’assassin. Impossible d’en jurer, cependant, aucune certitude… mais, sur la base de ce retournement plus ou moins inattendu, l’affaire, sans être classée, est remisée de côté. Elle demeure un relatif mystère, mais dont tout le monde se désintéresse de plus en plus – le travail ne manque pas, pour la police d’Osaka ; et décider de la culpabilité ou non d'un mort n'a rien d'une priorité.

 

Sasagaki, toutefois, n’est pas satisfait. La culpabilité de Terasaki, il en doute – il faisait un peu trop « coupable idéal » pour cela. L’inspecteur subodore qu’il y a quelque chose d’autre, dans cette affaire, quelque chose de bien plus compliqué, de bien plus dérangeant, peut-être… Mais il n’a plus guère le temps d’enquêter là-dessus. Tenace, il ne lâche pourtant jamais totalement l’affaire – mais, pour la résoudre enfin, il lui faudra attendre une vingtaine d’années… bien au-delà du délai de prescription, et bien au-delà de sa carrière de policier.

DEVENIR ADULTE DANS LE JAPON DES VINGT DERNIÈRES ANNÉES DE SHÔWA

 

Or c’est la particularité la plus flagrante du roman – à la fois la plus déstabilisante, et la plus enthousiasmante. Sur ce gros pavé, l’inspecteur Sasagaki, que l’on serait tout d’abord porté à envisager comme le héros de l’histoire, n’apparaît, disons, que dans les cent premières pages, puis, mais de manière bien moins systématique, dans les cent dernières, en gros ; entre les deux, un tunnel de 500 pages… et de dix-neuf années (1973-1992).

 

Sur cette longue période, le propos se décale donc – adieu Sasagaki, place aux jeunes ! C’est-à-dire à Ryôji et Yukiho, qui ont tous deux une dizaine d’années au moment de l’assassinat de Kirihara Yôsuke (le père de Ryôji, donc). Nous les voyons grandir, devenir adultes même, avec d’importantes ellipses – j’ai cru comprendre d’ailleurs que le roman avait initialement été publié en feuilleton, entre 1997 et 1999, et totalement remanié pour sa publication en volume en 1999 : c’était sans doute un format qui s’y prêtait très bien, mais la cohérence du roman ne fait aucun doute

 

Après la mort de la mère de Yukiho, un an plus tard et dans des circonstances un peu troubles (accident ? suicide ? ou… autre chose?), la jeune fille est adoptée par une parente vivant seule, et bien différente de Fumiyo. Pour la jeune fille, cette adoption équivaut à une soudaine ascension sociale, qui lui permet d’intégrer une école privée autrement cotée que les collèges et lycées publics des quartiers pauvres d’Osaka qu’elle aurait dû autrement fréquenter. Et cette ascension sociale se double d’un certain raffinement, car la mère adoptive de Yukiho est une femme de goût et sensible, qui enseigne la cérémonie du thé et l’arrangement floral. Yukiho, toujours plus belle, acquiert dans ce milieu les traits d’une jeune femme idéale de la bonne société japonaise. Avec l’entrée à l’université se dessine toujours un peu plus un futur qui se doit de passer par un bon mariage (arrangé), avec un homme de bonne famille et au compte en banque solide. Pourtant, c’est là un sort, si commun, auquel la florissante jeune femme ne semble pas vraiment pouvoir se résoudre – car, si elle veut bien jouer le jeu en façade, elle n’a aucune envie de se plier au rôle traditionnel de l’épouse, calfeutrée dans le foyer marital, et compte bien avoir sa propre vie… ou du moins une carrière : elle boursicote, comme tout le monde alors mais avec bien plus de succès, et, à terme, elle crée une boutique de mode, très luxueuse, qui devient à terme une chaîne de boutiques, etc.

 

Ryôji ? Son cas est bien différent. Lui n’a pas eu la chance de quitter les quartiers populaires d’Osaka, et vivote dans un collège puis un lycée miteux, et passablement violents. Beau garçon par ailleurs, et à l’évidence d’une intelligence supérieure, à l’instar de Yukiho, il vise lui aussi l’ascension sociale – simplement, en usant de moyens plus troubles… du moins en apparence. Il magouille, tout d’abord – baignant dans de scabreuses histoires de trafics de photos voyeuristes, puis, un cran au-delà, en jouant au proxénète, « fournissant » des camarades adolescents et éventuellement vierges à des femmes entre deux âges mais qui se sentent toujours un peu plus vieillir, jour après jour… Puis il découvre l’informatique – qui devient sa passion, alors même qu’elle commence tout juste à se démocratiser au Japon. En façade, il ne tarde guère à ouvrir sa boutique, vendant des ordinateurs pour des sommes conséquentes ; dans l’ombre, cela va plus loin – il pirate des cartes bancaires, il pirate (surtout) ces jeux-vidéos qui commencent à rencontrer le succès, à partir de Space Invaders, mais qui ne sont alors guère protégés par le droit d’auteur du fait d’un flou dans la législation en matière de propriété intellectuelle ; jusqu’à Super Mario Bros… Il découvre aussi le piratage au sens du hacking – s’infiltrant dans des réseaux d'entreprises alors guère protégés pour se livrer à de l’espionnage industriel…

 

QUI, POURQUOI, COMMENT

 

Vous vous doutez que ces trajectoires parallèles ne sont pas si indépendantes que cela ? Vous avez bien raison. Faut-il alors placer ici la traditionnelle balise SPOILERS ? Faisons-le au cas où… Même si je ne suis pas persuadé que cela fasse vraiment sens.

 

En effet – et j’ai cru comprendre que c’était un trait récurrent des romans de Higashino Keigo –, La Lumière de la nuit n’a rien d’un classique « whodunit ». Le pitch suffit à comprendre ce qu’il en est : au fond, dans mon résumé, je ne me suis montré ni plus ni moins secret que la quatrième de couverture – mais je ne lui fais aucun reproche à cet égard. Higashino Keigo ne nous révèle pas le « truc » dans les premières pages, certainement pas – il attend pour ce faire les vingt dernières du roman, et non sans habilité, j’y reviendrai. Mais nous savons dès le départ, d’une manière ou d’une autre, ce qu’il en est.

 

Disons-le : nous savons que les enfants Yukiho et Ryôji, d’une manière ou d’une autre, sont les « coupables » du meurtre – et nous devinons, au fil d’allusions cryptiques semées çà et là dans cette « comédie humaine », qu’ils sont liés d’une manière ou d’une autre, dans les vingt années qui suivent le crime.

 

Bien évidemment, cela n’est pas sans poser problème – on peut tout spécialement se demander si tout cela est bien « plausible »… Je n’en suis vraiment pas convaincu. Même si, je suppose, en concevant son récit, Higashino Keigo pouvait se référer à la fameuse sentence d’Arthur Conan Doyle : « Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité. » Ou, plus exactement, c’est ici Sasagaki qui pourrait reprendre les mots de son prestigieux devancier, Sherlock Holmes…

 

Car, s’il ne le dit pas, il sait au fond de lui qu’il y a « quelque chose » avec les enfants Ryôji et Yukiho – et c’est bien pour cela qu’il les suit, sans se montrer (pas même au lecteur, le plus souvent), vingt années durant… Et, à la façon d’un reflet, c’est ce que nous lecteurs faisons également – aussi met-on plus ou moins consciemment l’accent, au fil de notre lecture, sur les traits de caractère qui nous semblent aller dans ce sens, qu’il s’agisse des « mauvaises fréquentations » de Ryôji, auprès de yakuzas ou pseudo-yakuzas qui ne se présentent certes pas toujours comme tels tout en jouant leur rôle à fond, ou qu’il s’agisse des manœuvres que l’on soupçonne chez Yukiho, dont la dimension subversive (et souvent réjouissante !) pourrait sans peine évoquer quelque avatar nippon et non moins fascinant et terrible de la marquise de Merteuil… Ce en quoi nous pouvons très facilement nous égarer, pourtant.

 

Le fait demeure : dans La Lumière de la nuit, on sait donc très vite qui a fait le coup – on ne nous le dit pas explicitement, mais on le sait ; et l’auteur en est pleinement conscient, ce n’est pas un « défaut » de son roman, mais un principe délibéré d’élaboration. C’est que le lecteur peut et même doit, selon les intentions du romancier, se raccrocher à d’autres composantes essentielles du récit policier, à d’autres questions, à même de susciter et maintenir son intérêt tout au long de ces 740 pages : nous savons en effet qui, mais nous ne savons pas comment (« howdunit ») et pourquoi (« whydunit »).

 

Le récit policier, dans La Lumière de la nuit, se focalise donc sur ces deux questions, et habilement – si l’on peut suspecter à terme le mobile, encore que sans grande certitude (sa révélation convainc peut-être plus ou moins, même si elle est bien amenée), on devine par contre assez tôt que ses implications dépassent la seule commission du meurtre à proprement parler ; cette fresque sociologique de vingt années nous y incite, et même plus – en fait, au point de nous entraîner sur de fausses pistes…

 

Quant au « comment », il demeurera largement un mystère jusque dans les toutes dernières pages – où l’auteur, pour le coup virtuose, rassemble une infinité d’indices et de motivations qui ne faisaient pas sens séparément, et les agence avec méticulosité pour assurer la parfaite cohérence de la narration policière.

 

DU CHOC PÉTROLIER À L’ÉCLATEMENT DE LA BULLE SPÉCULATIVE

 

Cependant, cette virtuosité est sensible avant tout, car de manière plus inventive et originale, peut-être, dans la trame de fond des vingt années durant lesquelles les enfants Yukiho et Ryôji deviennent des adultes – car la subtile mécanique du récit policier se décale ici au niveau de la fresque historique et sociologique… Et, dans le cadre de cette fresque, se posent à nouveau les questions du pourquoi et du comment – cependant, sans jamais verser dans le simplisme didactique, bien au contraire. En fait, la documentation resserrée de l’auteur se sent, à chaque page, et pourtant sans que jamais son récit ne vire à la démonstration encyclopédique – loin de là, il n’en est que plus fluide, et d’un naturel étonnant à ce stade.

 

Higashino Keigo se fait donc notre guide au fil des vingt dernières années de Shôwa, dans un Japon qui, au lendemain de la « Haute Croissance », s’achemine vers la crise sans bien s’en rendre compte, et, surtout ? qui change à toute allure. Pourtant, le spectre de la crise est là dès le début – simplement, les Japonais, sur le moment, ne le percevaient pas forcément très bien.

 

La « Haute Croissance » des années 1960, qui avait vu le pays se développer et s’enrichir de façon exponentielle, se met à ralentir progressivement à partir de ce que les Japonais appellent les « Chocs Nixon » de 1971. Quand le roman débute, en 1973, c’est cette fois le choc pétrolier qui se fait ressentir – et le roman abonde en anecdotes traduisant l’impact de ce lointain phénomène sur l’économie et les mentalités japonaises, ainsi avec cette ruée des consommateurs sur des produits tel que le papier toilette…

 

À l’autre bout de la période, en 1992, se profile l’éclatement de la bulle spéculative – la fin de Shôwa et le début de Heisei donnent alors la vague impression d’un pays qui est allé trop vite, trop loin, et de manière bien trop insouciante, et qui en fera bientôt les frais, même si un peu tardivement. Là encore, le roman comprend nombre d’allusions plus ou moins discrètes aux phénomènes ayant conduit à cet éclatement, mais toujours avec un grand naturel, et ces allusions s’insèrent donc parfaitement dans la narration ; c’est pourquoi on nous parle tant de la véritable folie spéculative qui s’était alors emparée du Japon, et qui voyait tout le monde ou presque se mettre à boursicoter, dans les mythes conjoints de cette vaste classe moyenne hégémonique sensément caractéristique du pays, croyait-on alors, et de perspectives d’enrichissement proprement infinies… Ici, c’est surtout Yukiho qui en témoigne – mais elle a pour elle d’être extrêmement compétente à ce petit jeu qui, à terme, en a ruiné plus d’un, et le pays dans la foulée. Mais la bulle a d’autres aspects, et ce n’est sans doute pas un hasard si la question de l’immobilier revient plus qu’à son tour dans le récit, même si essentiellement sous l’angle commercial.

 

Entre les deux, durant cette vingtaine d’années, bien d’autres traits caractéristiques de la société japonaise d’alors sont de même mis en avant par l’auteur, et toujours avec une grande pertinence. Ce qui peut valoir pour des choses à nos yeux parfaitement futiles, et pourtant significatives – ainsi de l’engouement des Japonais d’alors pour la pratique du golf, qui permet en outre d’appuyer sur la thématique de l’ascension sociale, dans le roman comme dans l’histoire et la sociologie du Japon des vingt dernières années de Shôwa.

MANIPULATIONS DERRIÈRE LES ICÔNES

 

Cependant, le roman met avant tout l’accent sur deux thématiques plus particulièrement développées : l’émancipation des femmes, et le développement de l’informatique personnelle et d’entreprise. Inutile sans doute d’en dire beaucoup plus ici, j’en ai dit quelques mots plus haut, que je crois bien suffisants dans le cadre de ce compte rendu.

 

Mais, pour le coup, c’est sans doute ici que le roman se montre le plus passionnant ; en ce qui me concerne, la thématique des jeux-vidéos, tout particulièrement, m’a vraiment enthousiasmé.

 

C’est aussi là qu’il se montre le plus lucide, notamment quand il traite de l’émancipation des femmes – lucide, et madré, peut-être aussi, car l’auteur prend plaisir à jouer avec les préjugés à cet égard, ceux de ses personnages… mais aussi ceux du lecteur ? Tout particulièrement en raison de la défiance que nous inspire d’emblée Yukiho, la trop parfaite Yukiho… Devinant ses manipulations dans l’ombre, et suspectant qu’il en a toujours été ainsi, nous sommes portés, ou du moins je l’ai été, à redouter et mépriser, derrière la façade de parfaite respectabilité de la jolie, intelligente et active jeune femme, quelque monstre froid d’un cynisme révoltant (je maintiens qu’elle a quelque chose d’une Merteuil, peut-être la cruauté en moins mais ce n’est pas dit ; surtout, cela vaut aussi, mais à terme, pour les aspects positifs de la marquise !). Si elle boursicote, par ailleurs, c’est qu’elle est matérialiste au sens vulgaire ; en outre, une femme aussi attentive à son apparence ne saurait être que superficielle, dans une société qui l’est certes tout autant ? Eh bien, non... Car, à tout prendre, les accusations plus ou moins conscientes portées contre le personnage se contredisent d’elles-mêmes – témoignant, comme de juste, de ce que rien n’est jamais simple : ni le personnage, ni la société dans laquelle il vit.

 

Et, par répercussion, nous pouvons enfin en dire autant de Ryôji – qui n’a jamais été le simple petit escroc que nous voulions y voir, et qui a toujours été plus complexe que cela ; y compris et peut-être avant tout sur le plan éthique.

 

UN MAILLAGE COMPLEXE

 

La forme du roman n’en demeure pas moins surprenante, au travers de cette longue fresque historico-sociologique mêlée de polar. Les premiers chapitres, avec Sasagaki, nous donnent la fausse impression d’un récit policier lambda, bavard par ailleurs – avec de longs dialogues en forme d’interrogatoires, où le rusé policier ne laisse pas passer le moindre détail… Sauf que c’est bien ce qu’il fait, en fin de compte.

 

Sasagaki ne revient donc véritablement qu’à la toute fin du roman – dix-neuf ans plus tard… C’est alors un vieil homme, et même plus un policier – il a pris sa retraite… Mais il poursuit son enquête – pour lui, sinon pour la justice ; un peu dans le vide, un peu absurdement...

 

Il récapitule, notamment – il rassemble et ordonne les milliers d’indices que nous avions pu entrevoir au fil des 500 pages où nous avons vu grandir Yukiho et Ryôji ; car il y avait bien des milliers d’indices, mais toujours amenés avec un certain naturel – encore que le sourire en coin de l’auteur manipulateur soit de la partie, qui sait jouer, donc, avec les attentes et les préjugés du lecteur, attentes et préjugés aussi bien sociaux et psychologiques, que pleinement littéraires.

 

Mais ce qui est vraiment remarquable, c’est la densité et la cohérence de ce maillage d’une extrême complexité. La Lumière de la nuit est un roman qui ne laisse rien au hasard – sa dimension historico-sociologique participe en fait pleinement de la narration policière, et jusque dans son ampleur (le roman ne se disperse pas, il n'y a pas de scènes proprement gratuites). Tout donne l’impression d’être lié ; l’habileté, c’est que cette intuition se vérifie parfois (souvent), mais s’avère donc en d’autres occasions seulement révélatrice des préjugés du lecteur… Et cela fonctionne parfaitement aussi bien dans un cas que dans l’autre.

 

UNE PLUME FLUIDE ET UNE SENSATION DE NATUREL...

 

Le style de l’auteur y est, je crois, pour beaucoup – non qu’il soit d’une grande élégance, il ne l’est pas, visant plutôt à la fluidité et à la clarté de l’exposition.

 

C’est le style d’un habile conteur d’histoires – il a pu me faire penser à un Stephen King, de par son aptitude à poser un contexte et à définir rapidement mais sans jamais verser dans le simplisme une kyrielle de personnages (oui, il y en a vraiment beaucoup dans ces 740 pages), qui sont tous ancrés dans le réel et psychologiquement comme sociologiquement consistants (aussi ne se perd-on pas dans leur foule qui n'a rien d'indifférencié).

 

En tout cas, tout cela coule très bien – et le pavé se lit tout seul, assez vite somme toute, car il est entraînant d’emblée et le demeure jusqu’à la dernière page, même avec tous ces détours délibérés au fil de vingt années de vie bien plus que d’enquête.

 

Je suppose donc que la traduction de Sophie Refle fonctionne globalement très bien – puisqu’elle communique cette sensation de fluidité et de naturel. C’est sans doute là l’essentiel.

 

MAIS UN (GROS) SOUCI EN FRANÇAIS ?

 

Mais j’ai eu l’impression de quelques vagues pains de temps à autre dans ce texte français – des aspects perfectibles ? En fait, il y a surtout un problème en particulier, qui m’a fait très, très peur au début du roman, disons les 100 ou 150 premières pages, car il se montre bien plus discret, voire inexistant, par la suite. Mais c’est une question très complexe – voire insoluble de manière véritablement satisfaisante ?

 

Il s’agit de la question des « dialectes », disons. Le roman débute à Osaka, ville natale de l’auteur, et y reste assez longtemps, ou y revient en tout cas, même si l’intrigue, via Yukiho tout spécialement, se décale globalement vers Tokyo. Or, à Osaka et à Tokyo, on ne parle en fait « pas tout à fait » la même langue. Le japonais « de Tokyo » a été élevé au rang de « japonais standard » (assez récemment, somme toute, et notamment dans une perspective de développement international, ai-je cru comprendre, au-delà de la seule « unification » interne). Mais le japonais « d’Osaka » peut être très différent – on le dit « dialectal », donc, mais c’est sans doute plus compliqué que cela ; en tout cas, c’est plus qu’un simple argot – on est à la limite d’une « autre langue », parfois.

 

Le problème, dans le cadre de ce roman, ou du moins de ses premiers chapitres, c’est que les personnages (d'Osaka) passent sans cesse et tout naturellement, au sein d’une même conversation, d’une réplique à l’autre, du japonais « d’Osaka » au japonais « standard », et inversement. C’est sans doute une dimension non négligeable du style de l’auteur en VO, une dimension qui, par ailleurs, n’est peut-être pas que formelle, mais peut aussi renvoyer au fond ; comme telle, il fallait bien trouver une manière de la rendre en français… Mais la solution adoptée ici ne m’a pas convaincu – parce que, pour le coup, elle rompt bien trop la fluidité essentielle du récit, et s’alourdit encore de répétitions que j’ai trouvées pour le coup vraiment très pénibles…

 

En VO, je suppose que tout cela demeure du domaine de l’implicite : le lecteur japonais, à vue de nez, doit percevoir ces nuances dialectales, ces variations dans la langue employée, sans qu’on ait besoin de le les lui rapporter de manière explicite – les répliques elles-mêmes suffisent, du moins je le crois. Or le texte français fait tout le contraire : à chaque réplique ou presque, dans les premiers chapitres, nous avons donc droit, en substance, à des « dit-il en japonais standard », « répondit-il dans le dialecte d’Osaka », « avança-t-il en japonais de Tokyo », « avec un fort accent d’Osaka », « passant au japonais standard », « faisant comme son interlocuteur et employant le japonais standard », « revenant au japonais d’Osaka après avoir employé jusqu’alors essentiellement celui de Tokyo » (je ne cite pas, mais je vous jure qu’il y a des passages comme ça, je n’exagère pas), etc. Et c’est pour le coup très, très pénible – parce que ces variations, dans un sens ou dans l’autre, ne se comptent pas dans les premiers chapitres du roman ; cela arrive alors au moins une fois par page, en gros, et cela peut aller bien au-delà – quatre, cinq fois, peut-être même plus ! En français, cela m’a vraiment donné une impression de balourdise d’autant plus envahissante qu’elle implique des répétitions à la pelle. Pour être franc, j’ai failli remiser le bouquin pour ne plus y revenir – ce qui ne m’arrive pas très souvent… Heureusement, j’ai persévéré – et tant mieux, car ce problème disparaît par la suite, et le roman, en définitive, m’a tout à fait séduit.

 

Je me rends bien compte que la traduction de ces nuances est particulièrement problématique. Je ne vois pas de solutions alternatives. Il y en a sans doute – avec des camarades, on a pu mentionner, pas très sérieusement (ah bon ?), le recours à l’argot connoté provincial, mais je ne me leurre pas : Patrick Honnoré et Sahé Cibot, traducteurs du Gourmet solitaire de Taniguchi Jirô et Kusumi Masayuki, ont beau comparer Osaka à Marseille face à Tokyo qui serait Paris (ça vaut ce que ça vaut, et ça n’est sans doute pas à prendre au pied de la lettre), on ne pouvait tout simplement pas glisser un « Peuchère ! » dans les répliques de Sasagaki – hypothèse que je ne mentionne bien sûr que pour la blague, hein (même si le recours à l’argot, simplement « moins voyant », semble bel et bien employé dans des cas pas si éloignés que cela). Mais que faire, alors ? La solution adoptée dans La Lumière de la nuit m’a paru mauvaise, mais je n’ai aucune idée de ce que pourrait être une « meilleure » solution… Alors une « bonne » solution...

 

Ce n'est certes pas avec mon infime et globalement désastreuse expérience en tant que traducteur de l'anglais, et après seulement un an de japonais, que je serais en mesure de dire quoi que ce soit à ce propos, bien sûr ; je n'exprime mes doutes qu'en tant que lecteur, ici.

 

Je vous engage cependant, si vous deviez lire ce roman, à ne pas vous arrêter à cette première impression assez effrayante : par la suite, le problème ne se pose heureusement plus. Mais c’est quand même un sacré souci au démarrage…

 

(Note : je suis tombé sur cette interview de Sophie Refle, portant entre autres sur Higashino Keigo, et datant de 2012, c’est assez intéressant ; ce problème est d’ailleurs hâtivement mentionné, mais en rapport avec un manga, pas un roman de Higashino Keigo.)

 

BONNE SURPRISE, HEUREUSE RENCONTRE

 

Ceci mis à part, cette lecture « au pif » s’est avérée plus que satisfaisante. Je ne vais pas aller jusqu’à crier au génie, d’autant que je manque de référents en matière de polar, mais j’ai eu l’impression d’un roman inventif et intelligent, roublard et efficace mais non sans charme et non sans personnalité, et dont le maillage complexe, entre policier et fresque historico-sociologique, constitue un atout essentiel et tout à fait appréciable. Et, du coup, je l'ai lu avec beaucoup de plaisir.

 

Une bonne surprise et une heureuse rencontre, donc, qui me donne d’ores et déjà envie d'approfondir un peu ma découverte de l’auteur – par exemple avec La Maison où je suis mort autrefois, ou peut-être avec un « Détective Galileo », car cette dernière approche me séduit particulièrement.

 

On verra bien.

Voir les commentaires

<< < 1 2 3