CR Adventures in Middle-Earth : Mauvais Présages (2/4)
Suite de notre campagne d’Adventures in Middle-Earth ! Si nous avons doucement entamé la Mirkwood Campaign avec le précédent scénario, nous en sommes encore pour l’essentiel au « prologue » que constitue la « mini campagne » de Wilderland Adventures.
Si vous souhaitez remonter au début de la campagne, vous pouvez suivre ce lien.
La présente séance correspond à la deuxième partie du scénario de Wilderland Adventures intitulé « Kinstrife & Dark Tidings » (pp. 37-58).
À noter, je me suis référé, pour la version française, au supplément Contes et légendes des Terres Sauvages pour L’Anneau Unique, où le scénario original avait été traduit sous le titre « Fratricide et mauvaises nouvelles » (pp. 42-63).
Il y avait cinq joueurs, qui incarnaient…
… Agariel, une Dúnedain (Vagabonde/Chasseuse d’ombres 3)…
… Aldamar le Laconique, un Homme des Bois (Protecteur/Frontalier 3)…
… Fredegar Sanglebuc, un Hobbit de la Comté (Protecteur/Héraut 3)…
… Jorinn, un Bardide (Chasseur de trésors/Espion 3)…
… et enfin Nárvi, un Nain du Mont Solitaire (Frère d’armes/Maître d’armes 3).
Pour la bande originale, je ne suis pas allé chercher bien loin : j’ai utilisé les compositions de Howard Shore pour la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson.
La plupart des illustrations sont empruntées aux gammes de L'Anneau Unique et d'Adventures in Middle-Earth. Mais j’en ai aussi chipé à l'excellent compte rendu de campagne très détaillé (pour L’Anneau Unique) signé Ego, que vous trouverez ici sur le forum Casus NO.
Pour ceux que ça intéresserait, vous trouverez juste en dessous l’enregistrement brut, ou « actual play », de la séance :
Mais en voici autrement le compte rendu écrit...
RUMEURS ET RAGOTS
Les compagnons sont toujours au village de Pierregué. Ava leur a dit qu’ils pourraient passer la nuit dans la maison d’Oderic. Nárvi soumet leur logis à une investigation poussée, en quête d’indices qui pourraient leur en apprendre davantage sur le fugitif, et éventuellement ses allées et venues. Hélas, c’est en vain : rien de bien révélateur ne saurait être déniché ici, sinon l’assurance que personne n’y est passé depuis fort longtemps – Oderic est bien repassé par Pierregué, pour une ultime discussion avec Brunhild, mais il n’a pas couru le risque supplémentaire de retourner chez lui.
La veuve éplorée, interrogée à ce propos par Agariel, dit ne pas connaître véritablement d’endroits où Oderic aurait pu se cacher dans les environs – et elle n’a presque jamais franchi l’Anduin, même s’il est tout proche.
Il n’y a pas vraiment de tradition de maison commune à Pierregué, peut-être un héritage d’une civilisation antérieure, mais la maison de Hartwulf remplit occasionnellement un rôle similaire. Quand les compagnons s’y rendent, plusieurs villageois, sous la supervision d’Ava, s’affairent à préparer le repas – sans doute s’attendaient-ils à ce que leurs visiteurs viennent, et si l’hospitalité n’est visiblement pas une valeur cardinale à Pierregué, ces Béornides ne laisseront pas les voyageurs se débrouiller sans un bon repas. Helmgut et Brunhild ne sont en revanche pas présents.
Jorinn essaye de tirer les vers du nez à Hartwulf, mais l’ancien du village, si bien des choses indiquent qu’il a été un grand guerrier en son temps, a sombré depuis longtemps dans le gâtisme : on l’honore pour son âge, parce que les anciens sont sages, c’est notoire – ou bien ils sont fous, et c’est une forme de sagesse. C’est en vérité sa fille Ava qui gère les affaires du village, tandis que Hartwulf marmonne des choses étranges dans sa barbe. Le vieil homme n’a pas l’air de porter grand-monde dans son cœur : Brunhild, Oderic, Rathfic, Helmgut, Beorn même… Il a des récriminations contre tous. Ava intervient pour pondérer ses propos devant les voyageurs, et même l’inciter à se taire, avec plus ou moins de succès. Mais il est difficile d’en obtenir un discours cohérent, de toute façon.
Jorinn aimerait s’entretenir également avec Helmgut, mais Ava le lui déconseille formellement. Le pauvre homme a beaucoup souffert : son gendre est mort, son fils adoptif est l’assassin, sa fille ne veut plus lui parler… Depuis le drame, il passe son temps à boire – et il a l’alcool mauvais, violent même ; déjà qu’il a menacé plusieurs villageois de sa hache, il risquerait clairement de se montrer d’autant plus agressif à l’encontre d’étrangers venant remuer son malheur… Même s’il serait sans doute trop ivre pour se montrer véritablement dangereux. De toute façon, l’interroger n’apporterait rien aux compagnons, et certainement rien de bon non plus au pauvre homme…
Tandis qu’Aldamar et Fredegar cherchent à en apprendre davantage sur Rathfic (un homme globalement apprécié, aux multiples talents ; les villageois ne savent pas très bien d’où il venait – de l’ouest, très certainement, probablement de quelque petite communauté sur les contreforts des Monts Brumeux, peut-être vers Castel-Pic…), Agariel demande à Hartwulf et Ava s’ils ne sauraient pas où Oderic aurait pu se cacher dans la région. La ferme des « vrais » parents du fugitif, située sur la rive est de l’Anduin, n’est pas une piste crédible.
Mais comment peut-on traverser la Grande Rivière, à Pierregué ? Il y a des embarcations… Ava pâlit : elle n’avait pas fait le lien, mais doit maintenant confesser qu’une de ces barques a visiblement été « empruntée » par un inconnu deux ou trois nuits plus tôt ; quand les villageois s’en sont rendus compte, au matin, ils n’ont pas eu à la chercher bien loin, elle se trouvait sur l’autre rive, et les villageois ont pu la ramener sans y prêter davantage attention. Ils n’ont pas eu la curiosité de chercher des traces de l’indélicat. Pour Agariel, Ava est sincère – mais elle suppose que les villageois, plus ou moins consciemment, avaient probablement établi le lien avec Oderic ; seulement, ils ne voulaient plus entendre parler de la honte du village, aussi ne se sont-ils pas montrés très rigoureux ni loquaces à cet égard…
Ceci étant, tous les villageois ont leur opinion sur ce qui s’est passé. Si beaucoup demeurent fermés face aux « enquêteurs » étrangers dépêchés par Beorn, d’autres, surtout après quelques pintes d’hydromel, se montrent plus loquaces – mais la teneur de leurs récits varie fortement : si tous sont d’accord pour dire qu’Oderic a tué Rathfic et que cela justifie sa condamnation, certains dénigrent violemment le meurtrier, qui a toujours été une petite brute colérique, mais d’autres lui cherchent des excuses ; Rathfic est parfois présenté comme une pure victime, et il est généralement regretté, mais d’autres villageois dressent le portrait d'un type assez désagréable au fond, qui avait effectivement spolié Oderic de bien des choses, et se montrait au mieux méfiant, au pire carrément mesquin voire cruel, à l’encontre de son rival ; Brunhild est le plus souvent une épouse aimante et fidèle, mais d'autres l'évoquent comme une traînée incestueuse, voire la grande responsable de tout ça… Quant aux circonstances exactes du drame, elles sont inconnues, ce qui ne favorise que davantage les fantasmes : bien des villageois disent aux compagnons « ce qui s’est passé exactement », à ceci près qu’ils n’en savent absolument rien, et n’ont absolument rien pour appuyer leurs dires…
Agariel ne pense pas qu’ils en apprendront davantage. Elle propose de se retirer dans la maison d’Oderic pour la nuit. Méfiants (et désarmés), les compagnons établissent un tour de garde – et, au cœur de la nuit, Jorinn s’éclipse pour une petite escapade nocturne. Le petit village est profondément endormi, il n’y a personne dehors (Jorinn est convaincu que personne ne les surveillait – il n’y a pas de gardes à la porte d’entrée du village, par ailleurs). La seule maison où il y a de la lumière est celle de Helmgut ; Jorinn s’en approche, mais ne parvient pas à distinguer le moindre bruit à l’intérieur – après quelque temps d’hésitation, le Bardide choisit de ne pas courir de risque, et retourne discrètement à la maison d’Oderic. Il n’y a pas le moindre incident durant la nuit.
DE L’AUTRE CÔTÉ DE L’ANDUIN
Au petit matin, Agariel demande à ce qu’on les conduise aux barques, pour qu’ils étudient les lieux et traversent l’Anduin – dans ces circonstances particulières, les villageois n’exigeront pas de paiement pour ce service.
Williferd est toujours aussi nerveux, mais il rend leurs armes aux compagnons, avec un regard noir, la main toujours prête à sortir sa hache… Agariel glisse un mot à l’oreille d’Ava : ce jeune homme n’est pas fait pour ce poste, il pourrait se montrer dangereux – la jeune femme adopte instinctivement une mine outrée, n’appréciant pas qu’on s’immisce dans les affaires du village, mais cela n’a qu’un temps : dans un soupir, elle admet que la Dúnedain a raison… ajoutant que c’était le même problème avec Oderic : les deux jeunes gens sont de bons guerriers – mais pas des meneurs d’hommes, pas non plus des gens qui inspirent la confiance, et certainement pas des combattants avisés en même temps que diplomates, prêts à mettre de côté leurs impulsions les plus agressives pour le bien du village… Ava a plus de respect pour Williferd que pour Oderic, qu’elle méprise viscéralement, mais, à demi-mots, elle semble reconnaître qu’un nouvel incident est peut-être à craindre.
Les compagnons traversent l’Anduin, et on leur indique l’endroit où les villageois ont retrouvé la barque sans doute « empruntée » par Oderic. Agariel, avec l’assistance de Nárvi, étudie les lieux, et en vient même à coller son oreille à la terre pour en écouter la rumeur. La vagabonde trouve plusieurs indices témoignant de ce qu’Oderic s’est rapidement éloigné des berges de l’Anduin pour progresser à l’intérieur des terres ; il avait établi un campement un peu plus vers l’ouest, et les compagnons trouvent sans problème les restes d’un foyer, bien conçu mais pas dans l’optique de se cacher – le fugitif un peu nonchalant s’est même débarrassé dans les cendres de la lame brisée d’un couteau autrement de belle facture (et qui appartenait probablement à Mérovée ou à Odon – on n’y avait pas prêté attention chez Beorn parce que ça n’était pas bien important). D’autres traces désignent alors la direction du sud, sud-ouest.
Agariel incite les compagnons à presser le pas – ils ont du retard à rattraper ; ils ne peuvent cependant pas progresser à marche forcée, car ils ne savent pas vraiment où ils vont, et doivent régulièrement interrompre leur progression pour relever les marques du passage d’Oderic. La vagabonde ne connaît pas spécialement la région, mais elle est coutumière de ce genre d’environnement, ce qui permet à la compagnie d’avancer relativement vite, et sûrement.
Après plusieurs jours de marche (sans rencontrer ni même apercevoir quiconque : les terres à l’ouest de l’Anduin sont encore plus sauvages qu’à l’est, parfois un peu marécageuses, guère propices à l’installation permanente de manière générale), et des indices réguliers de ce qu’ils sont sur la bonne piste, les compagnons arrivent à l’orée d’un bois de bonne taille, un peu au nord des Champs d’Iris. Agariel y remarque quelque chose qui échappe à ses camarades : les signes d’un combat, qui a dû avoir lieu un ou deux jours plus tôt (la Dúnedain est convaincue qu’ils ont pour partie rattrapé leur retard). De l’herbe piétinée, les échardes d’un bouclier, une tête de lance brisée… Ils parviennent à se figurer une image assez claire de ce qui s’est produit : le combat a opposé un homme seul à un petit groupe de trois ou quatre personnes ; le premier s’est sans doute bien battu, mais il a fini par être submergé par le nombre, et fait prisonnier – avant d’être entraîné dans la forêt au sud.
Jorinn, à l’orée du bois, découvre vite diverses traces d’un groupe bien plus conséquent (plusieurs dizaines de personnes) qui est passé par là. Mais le Bardide comprend autre chose : ces inconnus n’étaient pas dans leur élément, il ne s’agissait clairement pas d’Hommes des Bois, en tout cas – des arbres ont été mutilés n’importe comment pour récupérer du bois de chauffe, il n’y a pas un seul animal à chasser à des lieues à la ronde, etc. Il s’agissait sans doute d’hommes, cependant – pas d’Orques. Des hors-la-loi venus d’ailleurs, peut-être ?
La compagnie s’engage plus avant dans la forêt, en prenant ses précautions...
LES DANGERS DU MÉTIER D’ÉCLAIREUR
Jorinn part en éclaireur, avec quelques heures d’avance sur la compagnie… mais il ne se montre pas aussi discret qu’il le souhaiterait. Il réalise, un peu tard, qu’une patrouille rôde dans les environs – composée de deux lanciers et deux archers, aux aguets ; leur équipement est disparate, et ils n’ont clairement pas l’allure d’Hommes des Bois. Or, comme il se doit, le Bardide fait craquer une brindille au mauvais moment… Les guerriers ne l’ont pas encore repéré, mais ils ont clairement entendu ce bruit et scrutent la forêt alentour. Ils ne tardent guère, ensuite, à localiser l’éclaireur ! Ils avancent sur lui en l’interpellant et en le menaçant de leurs armes…
Un des archers, sans doute le chef de la patrouille, accuse Jorinn d’espionnage – mais il relève aussi que le Bardide a l’air riche, au vu de sa tenue... Le chasseur de trésors décide de jouer la comédie – le voyageur égaré. Il faisait partie d’une caravane de marchands à destination de Castel-Pic, mais elle a été attaquée par des bêtes sauvages… Une caravane de marchands ? Un des lanciers, visiblement pas le plus finaud, lâche aussitôt : « Ça, ça va intéresser Valter ! » L’archer lui intime de se taire – mais il demande aussi à Jorinn de lui en dire davantage. Le récit du Bardide est confus et guère convaincant – par chance, les patrouilleurs ne sont pas bien malins, et semblent disposés à le croire… Le lancier est le pire de tous, qui ne sait pas s’il faut tuer Jorinn sur place ou l’emmener.
L’archer met un terme à la discussion : le Bardide a besoin qu’on le guide pour qu’il puisse quitter cette forêt ? Il n’a qu’à les suivre, ils vont faire ça…. Les patrouilleurs dépouillent Jorinn de ses armes et de sa bourse (il ne fait pas le moindre geste pour se défendre, il sait que ça serait perdu d’avance), et ils partent avec leur prisonnier au plus profond de la forêt.
SANS JORINN
À l’orée du bois, les compagnons sont inquiets : cela fait beaucoup trop longtemps que Jorinn est parti, ça n’est pas normal… Il leur faut avancer.
Agariel relève bientôt des traces de ce que des patrouilles rôdent dans les environs, si elle ne saurait dire selon quel rythme et de combien d’individus. La compagnie n’était pas très discrète, mais elle a pu, par chance, se faufiler sans faire de mauvaises rencontres.
Les coupes dans les bois laissent supposer que les compagnons sont maintenant assez près d’un campement – et de bonne taille –, en plein cœur de la forêt, ce qui saute aux yeux d’Aldamar (lequel avait également trouvé l’endroit où Jorinn avait été capturé, le Bardide ayant pu leur laisser un signe en « échappant » sa broche en forme d’ours). La nuit tombant, les héros peuvent bientôt repérer des feux de camp – une bonne quinzaine…
DANS LA TANIÈRE DU LOUP
Jorinn a été emmené par la patrouille dans ce grand campement de hors-la-loi ; il estime qu’il y a au moins une bonne cinquantaine de guerriers et d’archers, et autant d’esclaves sous leur domination. Leur accoutrement ne permet pas au Bardide d’en savoir davantage.
La patrouille conduit Jorinn au centre du camp. Là, son regard est forcément attiré par un homme colossal, arborant une grande hache, qui en impose et qui est visiblement le chef de la bande – le nommé Valter, donc. Les hors-la-loi de sa suite observent Jorinn avec un rictus cruel.
Mais, juste à côté de Valter, un jeune homme a l’air bien plus indécis – il n’a rien du caractère menaçant des hors-la-loi, et donne l’impression de ne pas vraiment savoir ce qu’il fait là. Il n’a pas l’air d’un prisonnier pour autant (en chemin, Jorinn a pu constater que nombre d’esclaves étaient enchaînés).
Valter invite Jorinn à s’asseoir devant lui – les patrouilleurs le jettent pour ainsi dire au sol. Le chef s’adresse à lui – il y a une affectation de noblesse un peu compassée dans son expression, qui tranche sur la rudesse des hors-la-loi. « Dites-moi, nous avons un invité… » Valter le dévisage longuement – puis : « Oh, ces vêtements… Ils viennent de l’est, n’est-ce pas ? De Dale ? » Jorinn acquiesce. Valter explique que lui aussi vient de Dale, « d’une certaine manière. Comment se passent les choses, là-bas, depuis que l’usurpateur a pris le pouvoir ? » Ce qualificatif étonne le Bardide, mais il ne le relève pas.
Valter se présente (Jorinn lui répond s’appeler Lifstan – ce nom d’emprunt ne trompe visiblement pas son interlocuteur, qui se contente de sourire). Le chef hors-la-loi explique alors que son ancêtre, Valind, était un chevalier de la suite de Girion – avant que le Dragon ne fonde sur Dale. Les choses ont mal tourné, ensuite… Son ancêtre a vadrouillé un peu partout, son fils de même, et, ainsi, après bien des pérégrinations, on en est arrivé à lui. Qui n’est pas très satisfait que le pouvoir là-bas ait échu à « un archer chanceux » ; il se moque de l’ascendance de Bard, qu’il suppose infondée, et considère que nombreux sont ceux qui auraient en vérité bien plus de titres à gouverner la ville – dont lui, de toute évidence. « Le pouvoir coule dans mes veines, pour ainsi dire. »
Jorinn/Lifstan fait le benêt complaisant – certes, Valter est d’une majesté qui saute aux yeux et qui en dit long… Le chef hors-la-loi l’en remercie – ajoutant que ses « sujets », comme il désigne les hors-la-loi alentour, ne se montrent pas toujours aussi perspicaces, sans même parler de courtoisie : « Ils sont un peu… sauvages. » Bon prince, il ne leur en veut pas : ce sont de braves gens (les brigands qui assistent à la scène ne se sentent visiblement pas méprisés, ils rient de bon cœur, sardoniquement). Et, après tout, c’est en s’appuyant sur eux qu’il pourra bâtir son propre royaume ici-même… en attendant de l’étendre ailleurs. Car un jour il retournera à Dale – à la tête d’une armée.
« D’ici-là, nous verrons bien ce que nous pourrons faire ici. N’est-ce pas, Oderic ? », dit-il en posant lourdement sa main sur l’épaule du jeune homme indécis à ses côtés… qui ne sait visiblement pas comment réagir.
Jorinn/Lifstan se montre plus servile que jamais : il apparaît clairement que tous ces guerriers suivraient Valter jusqu’au bout du monde et braveraient la mort pour lui, ce qui est admirable… Valter acquiesce : « Tout à fait. Je suppose que je bénéficie d’un certain magnétisme, auquel ils se montrent réceptifs. La réputation, voyez-vous, est essentielle en ces matières. Figurez-vous qu’ils me surnomment ''le Sanguinaire !''. J’imagine que cela incite à obéir à mes ordres… » Les hors-la-loi éclatent de rire. « Cela n’est sans doute pas un nom très approprié pour un roi établi – mais, pour un roi en devenir, c’est plus qu’à propos. »
Valter interroge son « invité » sur son passé et sur le récit très confus qu’il a fait à ses patrouilleurs. Jorinn/Lifstan mêle des éléments authentiques dans sa narration pour la rendre plus crédible (tout en sachant que Valter n’est pas un imbécile crédule, et qu’il ne gobe pas ses mensonges). Il en ressort que le prétendu « voyageur égaré » est en fait un homme plein de ressource, qui est parti à l’aventure, ce qui plaît au chef brigand !
Du moins est-ce ce qu’il dit. Quand le chasseur de trésors en a fini, Valter se lève et demande à l’assistance : « Que faisons-nous de ce M. Lifstan ? Le laissons-nous en vie, ou nous amusons-nous avec ? »
RETROUVER JORINN
Pendant ce temps, les compagnons approchent discrètement du camp – Nárvi n’étant pas très doué pour cela, il reste un peu en arrière.
Quand ils arrivent à l’orée de l'installation, sans encombre, l’agile et discret Fredegar grimpe dans les arbres pour en avoir un aperçu plus conséquent. Il y a bien une centaine d’individus, dont au moins la moitié est en mesure de se battre, les autres étant très visiblement des esclaves, appartenant individuellement à tel ou tel brigand (ils ne sont pas parqués ensemble dans une « prison »). Les patrouilles sont erratiques, mais il y en a plusieurs, certaines proches du camp, d’autres, comme celle qui a capturé Jorinn, plus éloignées – elles témoignent tout de même d’une organisation plus rigoureuse que pour une vulgaire bande de brigands (ne serait-ce que parce qu’elles se composent systématiquement de deux lanciers et deux archers).
Il lui faut s’approcher davantage pour en apprendre plus. Le Hobbit aventureux prend ce risque, en naviguant dans les branches. Le camp a été établi dans une clairière brutalement agrandie. La bande est faite de bric et de broc : les hors-la-loi sont d’origines très diverses, ce qui ressort de leur équipement, de leur comportement, de leur accent ; leurs esclaves, en revanche, sont probablement pour l’essentiel des locaux, Hommes des Bois ou peut-être même Béornides. Au centre du camp, devant une sorte de petite place dégagée, il y a une tente bien plus grande que les autres, et davantage ornementée – tout indique que c’est celle du chef.
Et, en plissant les yeux, Fredegar reconnaît Jorinn, soumis à l’interrogatoire du chef ! Le Hobbit se replie pour rejoindre ses camarades et leur faire son rapport. Agariel et Aldamar sont furieux à l’idée de ce que ces brigands ont des esclaves… mais ils savent maintenant où est Jorinn.
UN ALLIÉ DANS LA PLACE ?
« Que faisons-nous de ce M. Lifstan ? Le laissons-nous en vie, ou nous amusons-nous avec ? » Valter, hilare, avance que leur invité aurait peut-être une suggestion à faire à ce propos ? « Lifstan » vante ses qualités, il pourrait se montrer utile, il est effectivement un homme plein de ressource, il se débrouille avec un arc, et la perspective d’un changement politique à Dale pourrait l’intéresser…
Valter acquiesce, mais affirme que son sort dépendra du choix de la communauté : « Que fait-on de cet espion ? » « Lifstan » s’offusque : il n’est pas un espion ! S’il avait su ce qui se cachait dans cette forêt, il ne s’y serait pas aventuré… Mais ses explications sont couvertes par les suggestions de « la communauté » : on pourrait le rôtir ! On pourrait le pendre ! On pourrait en faire une cible pour s’entraîner au lancer de couteau ! Cependant, le lancier idiot a entendu les propos de « Lifstan », et les a semble-t-il jugé concluants – et d’autres se mettent à penser comme lui : ça ne peut pas être un espion…
Valter, lui, n’est pas crédule, de toute évidence : d’un geste ample, il obtient le silence. « L’affaire est compliquée. Il me faut me retirer auprès de mon conseiller le plus avisé en ces matières. » Valter pénètre dans sa tente, et, tout le temps qu’il reste à l’intérieur, un silence de mort plane sur le camp – les brigands sont dans l’expectative, et n’osent pas prononcer le moindre mot. Jorinn entend le hors-la-loi discuter avec quelqu’un à l’intérieur de la tente, mais ne perçoit pas la voix de son interlocuteur – et les paroles de Valter sont étouffées par la toile, impossibles à distinguer.
Puis Valter ressort de la tente : « C’est fâcheux. Mon conseiller n’a pas vraiment d’opinion concernant M. Lifstan – si c’est bien ainsi qu’il s’appelle, et je ne le crois pas un seul instant. Il est un espion. Que devons-nous faire des espions ? »
Mais, avant que les hors-la-loi de l’assistance ne répondent à leur chef, Oderic, jusqu’alors très hésitant, visiblement mal à l’aise en fait, intervient : « Mais justement, Valter ! Si c’est un espion, il vient probablement de Pierregué. Il doit savoir ce qui s’y est passé récemment – plus récemment que moi… Il pourrait nous apprendre des choses très utiles pour attaquer le village ! »
Jorinn comprend sans peine que l’intervention d’Oderic n’a pas d’autre raison que de lui sauver la vie. Des hors-la-loi ont pu prendre ses paroles au premier degré, mais certainement pas Jorinn, ni Valter – et Oderic le sait probablement. Le chef regarde Oderic en souriant : « Un point de vue intéressant, cher ami. Oui, vous devez avoir raison. Je suis ravi que vous ayez intégré notre petite compagnie. » Il donne l’ordre aux patrouilleurs qui avaient capturé Jorinn de le conduire dans une tente pour la nuit, et de monter la garde devant.
QUE FAIRE ?
Aldamar aimerait informer ses compatriotes de Castel-Pic de la présence de cette troupe de hors-la-loi… Mais, même à marche forcée, il faudrait bien trois jours ne serait-ce que pour s’y rendre, autant pour en revenir – et le sort de Jorinn pourrait être décidé bien avant. L’Homme des Bois ne connaît pas de communautés plus proches : la région est très sauvage, tout spécialement cette forêt, sans même parler des Champs d’Iris au sud.
Il leur faut agir maintenant. Se faire passer pour des esclavagistes, ou des brigands désireux d’intégrer la bande, ne tromperait sans doute personne, aussitôt après la capture de Jorinn. S’infiltrer dans le camp demeure la meilleure option pour l’heure – mais ce n’est pas quelque chose qu’ils peuvent faire tous ensemble. Les compagnons finissent par décider d’envoyer le discret Fredegar dans le camp, pour libérer Jorinn – après quoi ils aviseront.
Il faut d’abord déterminer où se trouve Jorinn – son interrogatoire sur la « place » s’est achevé. Plusieurs des hors-la-loi sont allés se coucher, et les patrouilles semblent un peu moins fréquentes – mais il y en a toujours. Mais Fredegar parvient à repérer la tente où est gardé Jorinn – du moins le suppose-t-il, car cette tente, un peu à l’écart, sans être à proprement parler à la lisière, est gardée par un lancier et un archer, et c’est la seule dans ce cas.
Mais le Hobbit, à ce moment précisément, constate que le jeune homme qu’il avait vu au côté du chef hors-la-loi s’approche de cette tente, échange quelques mots avec les gardes, puis pénètre à l’intérieur…
UN VISITEUR DANS LA NUIT
Oderic pénètre donc dans la tente où est enfermé Jorinn, ligoté. Le jeune homme s’assied sans dire un mot. Jorinn finit par lui demander, en chuchotant, ce qu’il fait ici. « Ce serait plutôt à moi de vous poser cette question… Vous venez de Pierregué, c’est ça ? » Jorinn l’admet. « Je m’en doutais… Alors, c’est quoi l’idée ? Vous êtes venus me chercher ? Pour me ramener au Carrock, où je serai jugé et condamné ? » Jorinn concède que Beorn le recherche – mais son histoire a l’air plus compliquée qu’il n’y paraît. Oderic l’invite à en dire davantage, sur ce qu’il sait… ou croit savoir. Mais il glisse aussi : « Vous vous rendez bien compte que je vous ai sauvé la vie. Valter n’est pas surnommé ‘’le Sanguinaire’’ pour rien… » Jorinn en est bien conscient, et choisit de faire confiance à Oderic.
Ils reprennent ensemble l’histoire depuis le sort de Mérovée et Odon. Oderic déplore (sincèrement) ce qui leur est arrivé, même s’ils le conduisaient au Carrock, où il serait probablement condamné à mort, ou au mieux à l’exil. Mais il n’y est pour rien – les Orques ont abattu les deux Béornides, et par chance ils ne l’ont pas repéré lui. Il y a vu une seconde chance, à saisir – patientant après le départ des Orques, il a défait ses liens avec l’épée de Mérovée, et, par réflexe, il a pris la route de Pierregué.
Mais il s’agit maintenant de parler du meurtre de Rathfic. Oderic comprend sans peine que Jorinn a parlé avec Brunhild – que lui a-t-elle dit ? Le ton de cette question n’a rien de menaçant, il est plutôt angoissé, et a visiblement honte de ce qui s’est passé. Il confirme le récit de Brunhild : il était allé la voir pour lui dire qu’il comptait quitter le village. Il n’avait certainement pas l’intention de tuer Rathfic. Il ne l’aimait pas, il ne prétendra pas le contraire : Rathfic l’avait supplanté partout… Mais il ne voulait pas faire couler le sang. C’est un accident – une bagarre qui a mal tourné. Mais il ne niera pas le fait : il a bel et bien tué Rathfic. Ce qui lui vaudra d’être condamné pour fratricide. Jorinn avance qu’en expliquant à Beorn qu’il s’agissait bel et bien d’un accident, il pourrait écoper d’une peine allégée… Mais Oderic n’y croit pas : tout le village parlerait contre lui – ils ne l’ont jamais aimé, à Pierregué. À part Brunhild… et peut-être Helmgut… « Ils n’étaient que trop heureux de me balancer à Beorn, pour que cet homme qui ne m’avait jamais vu et ne savait rien de mon histoire décide de mon sort… »
Jorinn comprend tout cela. Mais il demeure étonné par autre chose : que fait donc Oderic au milieu de ces brigands ? Oui, il a bien conscience qu’il lui a sauvé la vie… mais justement… Oderic explique que Valter et ses hommes l’ont capturé peu ou prou dans les mêmes circonstances que Jorinn. Mais, quand il est arrivé au camp, Valter a pris soin d’écouter son histoire – une chose qu’il n’avait à peu près jamais connu à Pierregué, et qu’il n’espérait plus désormais. Les hors-la-loi étaient menaçants, mais Valter ne leur a pas demandé leur avis : « Il m’a proposé de rejoindre sa bande. Je ne pouvais rien espérer de mieux. »
Pourtant Jorinn comprend bien qu’Oderic est différent de ces brigands – et il le fait remarquer assez brusquement : servir un hors-la-loi sanguinaire, aux ambitions mégalomanes ? Vivre dans ce camp rempli d’esclaves ? Cela ne lui ressemble pas, Jorinn en est convaincu – malgré ce qui s’est passé à Pierregué, le Bardide comprend qu’Oderic a un certain sens moral, et qu’il n’apprécie rien de tout ça. Cependant, c’est Oderic qui s’aveugle : il semble persuadé, malgré tout (ou du moins fait-il beaucoup d’efforts pour s’en persuader), que Valter est un homme bien – et un meneur d’hommes, ce dont on a bien besoin, ici. « Il m’offre une chance de briller, de devenir ce à quoi j’ai toujours aspiré, un grand guerrier… Je ne suis pas venu vous parler pour le trahir. Je voulais seulement… savoir quand on me laisserait en paix, pour… ce qui s’est passé… »
Jorinn sent qu’il a brusqué Oderic, et semble même comprendre, à certains égards, sa situation. Reste que la vie qui l’attend ici n’est pas la sienne, n’est pas honorable : ce n’est pas le destin d’un guerrier qui se profile devant lui, mais celui d’un brigand, tranchant des gorges pour quelques pièces… Il vaut mieux que ça. Jorinn fait appel aux traditions, aux modèles de héros perpétués par les chansons… Une approche qui ne laisse pas Oderic indifférent : il est visiblement empli de doute – au fond de lui, il sait que Valter est un homme mauvais, et que marcher dans ses pas n’aura jamais rien d’honorable ; mais, en même temps, il se sent redevable – ne serait-ce que parce que Valter l’a écouté. Les paroles de Jorinn le touchent, visiblement, l’évocation de Brunhild aussi – le Bardide comprend qu’il suffirait de pas grand-chose pour que le jeune homme admette la vérité et rejette Valter et le destin que le brigand lui a offert. Pour le moment, toutefois, Oderic demeure indécis. Visiblement tourmenté, il quitte enfin la tente, sans dire un mot de plus.
À LA RESCOUSSE DE L’ESPION
Fredegar a fait son rapport. Il pense pouvoir s’approcher sans trop de risques de la tente où Jorinn est retenu prisonnier. La clairière a été agrandie nonchalamment – il n’y a pas de palissade, et les tentes sont proches de la lisière des arbres. Cette tente en particulier n’est pas à proprement parler à l’extérieur du camp, mais, en passant de tente en tente, il pense pouvoir y accéder, sans être repéré par les deux gardes, visiblement somnolents. Dès lors, il pourrait arriver par derrière, et percer la toile de la tente avec son épée roide – elle est sans doute épaisse, mais c’est jouable.
Le Hobbit parvient à s’infiltrer dans le camp sans se faire repérer, et son plan fonctionne, même s’il lui demande de procéder très prudemment et lentement. Progressant de tente en tente, il gagne l’arrière de celle où Jorinn est retenu prisonnier.
À l’intérieur, Jorinn ne dormait pas – la discussion avec Oderic remontait à quelque chose comme une vingtaine de minutes à peine. Soudain, il voit une lame traverser la toile non loin de lui – par chance, il n’était pas assis à cet endroit… Il comprend qu’on est venu le sauver. Oderic, peut-être ? Non – Fredegar ! Le Hobbit libère Jorinn de ses liens.
Il leur faut maintenant quitter le camp… Ça n’est pas un problème pour les discrets compagnons. Ils rejoignent les autres à quelque distance.
Jorinn remercie chaleureusement Fredegar. Puis le Bardide explique ce qui s’est passé depuis qu’ils ont été séparés. Il livre un portrait exhaustif de Valter et de ses ambitions « royales » (évoquant au passage son mystérieux « conseiller » dans sa tente). Jorinn a retrouvé Oderic, par ailleurs – il explique ce qui lui est arrivé, et ce qu’il lui a raconté ; Oderic lui a probablement sauvé la vie, et c’est un jeune homme tourmenté, qui sait sans doute, tout au fond de lui, ce qu’il en est au juste de Valter et de sa bande, mais qui n’ose pas se l’avouer.
Il apparaît clairement que Valter compte s’attaquer à Pierregué – peut-être est-ce d’ailleurs pour cela qu’il s’est montré aussi protecteur avec Oderic, qui connaît bien les lieux ; et le jeune homme en a peut-être plus ou moins vaguement conscience, lui qui a précisément usé de cet argument pour sauver la vie de Jorinn.
Il faudrait prévenir Pierregué – et Beorn. Mais celui-ci leur a demandé de lui ramener Oderic… En agissant vite, peut-être pourront-ils faire en sorte qu’il les suive d’une manière ou d’une autre, de plein gré ou pas. Jorinn a la conviction qu’il est encore possible de le convaincre de se rendre auprès de Beorn avec eux – et il sait qu’il sera possible, en cas de procès, de témoigner en sa faveur, si la décision finale appartiendra de toute façon à Beorn (qui a la réputation d’être sévère mais juste). Mais si Oderic fait des difficultés, tant pis pour lui : Agariel notamment ne rechignera pas à l’assommer et l’enlever.
Mais, dans tous les cas, le temps presse : ils n’auront probablement pas de meilleure occasion que dans les quelques heures qui demeurent avant l’aube – au matin au plus tard, les hors-la-loi se rendront compte que Jorinn a disparu, avec l’aide de quelqu’un d’extérieur…