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Adventures in Middle-Earth : Rivendell Region Guide

Publié le par Nébal

Adventures in Middle-Earth : Rivendell Region Guide

Adventures in Middle-Earth : Rivendell Region Guide, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2018, 144 p.

Je poursuis l’exploration de la gamme d’Adventures in Middle-Earth, cette fois avec le Rivendell Region Guide, transposition D&D5 du supplément Fondcombe pour L’Anneau Unique – et, à l’instar de son prédécesseur, ce supplément de contexte et de règles est intimement lié à un recueil de scénarios, en l’espèce Eriador Adventures, transposition des Vestiges du Nord, et j'y reviendrai plus tard.

 

Or j’avais chroniqué en leur temps ces deux suppléments de manière assez détaillée (surtout Les Vestiges du Nord, certes) – et les différences entre les deux gammes, système mis entre parenthèses car je ne me sentirais pas encore très bien de le critiquer de manière approfondie, ces différences donc ne justifient pas fondamentalement une « nouvelle » chronique, « nouvelle » de bout en bout. En fait de différences, il n’y a probablement que trois choses à mettre en avant : tout d’abord, un ajout, en toute fin de volume, avec un chapitre intitulé « A Barren and Pathless Country », addition très bienvenue visant à personnaliser les événements tirés sur les tables de voyage – en notant, c’est important, que les suggestions contenues dans ces pages prennent souvent Eriador Adventures pour base, et il faudra donc sans doute y revenir en traitant de cet autre supplément. Ensuite, en dehors de cet ajout, il nous faut relever au rang des différences deux « absences »… qui n’en sont en fait pas vraiment : en effet, si la culture héroïque des Rôdeurs du Nord ne figure pas dans ce supplément… c’est tout simplement qu’elle apparaissait dans la gamme d’Adventures in Middle-Earth dès le Player’s Guide ! De même, les règles de création d’objets magiques, qui étaient un apport essentiel du supplément Fondcombe dans la gamme de L’Anneau Unique, sont ici à vue de nez moins détaillées ou inédites, pour la simple raison que le Loremaster’s Guide comprenait déjà un système développé à cet égard (ce qui ne suffit pas à régler totalement la question : les chapitres dédiés aux objets magiques et aux armes et armures légendaires dans le Rivendell Region Guide demeurent assez amples, car il faut traiter des règles sur les jets pour trouver des objets magiques, de celles sur les objets maudits, du principe de l’index et de son illustration…). Mais, pour tout le reste, c’est bien de transposition qu’il s’agit.

 

Le Rivendell Region Guide ne couvre pas que Fondcombe, bien sûr – la demeure cachée d’Elrond le Demi-Elfe est assurément un endroit important et même probablement crucial pour les héros, qui ne trouveront en principe guère d’autres sanctuaires dans le coin, mais le supplément couvre plus globalement l’Eriador oriental : nous avons franchi les Monts Brumeux qui marquaient la frontière occidentale de la gamme jusqu’alors, et envisageons désormais le pays qui s’étend à l’ouest jusqu’à Bree (cette ville et ses environs immédiats ne sont toutefois pas décrits ici, mais réservés pour un autre supplément, déjà sorti semble-t-il – quand je le lirai, ce sera la première fois que je me pencherai sur un supplément d’Adventures in Middle-Earth sans avoir lu au préalable « l’original » dans la gamme de L’Anneau Unique), au nord jusqu’aux Monts d’Angmar, et au sud jusqu’aux ruines de Tharbad.

 

Et il faut bien prendre en compte un aspect fondamental de la région ici dépeinte : elle est en fait bien plus « sauvage », incomparablement plus, que les Terres (pourtant dites) Sauvages à l’est des Monts Brumeux ; en effet, si la Forêt Noire au cœur de la région jusqu’ici dépeinte n’était certes guère propice à l’établissement des « Peuples Libres du Nord », l’Ombre y planant de nouveau et les araignées rôdant entre les arbres, on trouvait cependant çà et là des foyers de « civilisation » (certes, le terme est parfois un peu fort…) de part et d’autre – dans la vallée de l’Anduin à l’ouest et surtout, à l'est, dans les environs du Mont Solitaire, avec Dale et la Ville du Lac en redescendant vers le sud, non loin du Palais de Thranduil à la lisière nord-est de la Forêt Noire. La situation est tout autre dans l’Eriador oriental ; c’est bien simple : entre Bree à l’ouest et Fondcombe à l’est, il n’y a peu ou prou… rien. Aucun centre urbain de quelque taille que ce soit ; on évoque bien des fermes, voire des hameaux à l’occasion, mais, pour l’essentiel, nous sommes dans un désert ; et si les Rôdeurs du Nord, héritiers des Dúnedain, l’arpentent sans cesse, et éventuellement de même pour certains Hauts Elfes de Fondcombe, plus rares encore sans doute, le fait est que la région est on ne peut plus sauvage et dangereuse, tout sauf propice à l’établissement des hommes – ou du moins de ceux d’entre eux qui ne succombent pas à l’appel du Mordor… Mais même ces derniers ne peuvent véritablement être rattachés à des centres urbains de quelque importance que ce soit (on déconseillera cependant aux novices de s'aventurer en Angmar). La carte de la région est éloquente à cet égard, qui comprend plusieurs régions, et vastes encore, simplement appelées « terres désertes » (et dont on ne saura rien de plus) ; or les régions nommées et décrites dans le supplément ne sont guère plus peuplées… Si l’ensemble de la région n’est pas qualifié de « sauvage », à l’encontre de ce qui se produit à l’est des Monts Brumeux, c’est sans doute parce que cette zone géographique n’a pas toujours été ainsi : elle a abrité des civilisations importantes, les Elfes d’Eregion s’alliant (outre les Nains de la Moria) aux héritiers de Númenor ayant fondé le royaume d’Arnor, bien vite cependant scindé en trois royaumes concurrents, qui ont succombé progressivement. Les ruines sont partout dans le Nord… à condition de pouvoir les repérer, tant nombre d’entre elles, sous le poids des ans et des assauts des Orques et autres troupes du Roi-Sorcier d’Angmar, ont été peu ou prou réduites à néant. Et la défaite, au bout du compte, du chef des Nazgûl… n’y a en fait rien changé : l’Eriador oriental n’est plus que le reflet désert et déprimant d’une vaine gloire depuis longtemps oubliée… Et, aux araignées géantes de la Forêt Noire, qui formaient une part essentielle du bestiaire de la gamme antérieure pour compléter les inévitables Orques, répondent ici les Trolls, qui ont fait des régions les plus orientales de l’Eriador leur terrain de chasse, tandis que les morts-vivants, d’une espèce ou d’une autre, y abondent plus que partout ailleurs, des sinistres Hauts des Galgals aux inquiétants reliquats de l’Angmar…

 

C’est là la force indéniable et l'éventuelle faiblesse de ce cadre de jeu : il est superbement rendu dans ce supplément, qui met bien en valeur l’ambiance très particulière de cette région maudite ; mais c’est aussi un cadre très rude, plus sauvage encore que les Terres Sauvages, donc, qu’il peut être délicat de mettre en scène, et je suppose qu'il ne se montre pertinent qu’à la condition d’une adversité à la hauteur – même si, à la différence de Fondcombe, et probablement en raison du système D&D5 avec la progression des héros par niveaux, mais aussi, en face, les niveaux de challenge adaptables, etc., le Rivendell Region Guide n’avance pas explicitement que l’Eriador oriental devrait être réservé à des héros ayant déjà beaucoup de bagage (ce qui ressort particulièrement dans le traitement très distinct des « nouvelles » cultures héroïques dans les deux gammes : dans AiME, on pouvait jouer un Dúnedain dès le départ, et un Haut Elfe de Fondcombe « relativement jeune », à la suggestion de ce supplément cette fois, n’est pas absurdement plus puissant que tout autre personnage du même niveau).

 

Le cadre de jeu décrit dans ce supplément fait l’objet de deux chapitres constituant clairement son cœur. Le premier, portant sur l’histoire de l’Eriador, est remarquablement bien fait, d’une lecture passionnante et, en même temps, il transmet bien au lecteur le caractère passablement dépressif associé à la région. Tout au plus émettrais-je une très mesquine et pinailleuse remarque – en fait exactement la même que celle que j’avais formulée en chroniquant Fondcombe : outre la chronologie des événements passés, très bien faite, une autre, même très souple et guère détaillée, portant sur l’époque de jeu, aurait peut-être été utile – à moins certes de se contenter de dire qu'il ne se passe rien dans ce désert, mais ce serait tout de même un peu frustrant... C'est que l’écoulement du temps, dans la gamme, a une importance toute particulière, en collant au canon tolkiénien, et ce supplément précis semble qui plus est couvrir une période immédiatement postérieure à celle de la gamme des Terres Sauvages ; l’agitation de Sauron en témoigne, on aura l’occasion d’y revenir. On n'a pas besoin de quelque chose d'aussi détaillé que dans Mirkwood Campaign, hein ! Mais peut-être est-ce un faux problème et une critique infondée...

 

Le second, et le plus long, de ces chapitres de background, est donc géographique, et décrit l’Eriador oriental, zone par zone. Comme dit plus haut, il y a cependant des « Terres désertes » laissées absolument à la seule imagination du Gardien des Légendes, le cas échéant – ce que je trouve un brin regrettable, tout de même… Mais le reste est très bien fait, en donnant les informations utiles en matière de géographie générale, de faune, etc., et en décrivant aussi quelques « lieux » à visiter (ou à fuir comme la mort…) et des « rencontres » potentielles. Mais, concernant ces dernières, il faut noter une différence essentielle par rapport à la gamme antérieure et tout spécialement au « modèle » du présent supplément, le Rhovanion Region Guide : les PNJ de l’Eriador Oriental ne se contentent pas d’être beaucoup, beaucoup moins nombreux que ceux du Rhovanion (Fondcombe au sens strict étant bien sûr une exception), ils sont aussi incomparablement plus souvent des antagonistes, qu’il s’agisse d’Orques, de Trolls, de Wargs ou de morts-vivants ; les PNJ « positifs » sont vraiment très rares, une Elfe mélancolique ici, un Rôdeur bourru là, et un vieux débris excentrique entre les deux… C’est dans l’ordre des choses, au regard des caractères propres à cette région, mais c’est décidément une dimension sur laquelle il me paraît important d’insister.

 

Pour en finir avec le background pur, revenons brièvement sur le premier chapitre, « Imladris », et qui décrit donc la maison d’Elrond le Demi-Elfe – que l’on peut bien sûr croiser, de même qu’Arwen, etc. Le format est comparable à ce que l’on a déjà pu lire dans les précédents éléments de contexte de la gamme : on y trouve l’essentiel, et pas grand-chose de plus – les plans assez pointilleux de la demeure et de ses environs ne bénéficient du coup pas nécessairement de développements liés : au boulot, Gardien des Légendes ! C’était là un aspect que je regrettais en chroniquant Fondcombe, mais mon ressenti a évolué, et j’envisage aujourd’hui cette approche assez caractéristique d’un œil plus favorable. Ce chapitre a bien sûr des aspects techniques essentiels, liés à l’idée de faire de Fondcombe un sanctuaire (et, encore une fois, ils ne sont pas exactement nombreux dans cette région déserte…), ce qui autorise ensuite diverses entreprises de la phase de communauté spécifiques (consulter un maître du savoir – ce qui peut s’avérer utile notamment au regard des objets magiques, j’y reviendrai –, mais aussi composer une poésie…), outre la possibilité de faire de certains personnages des garants de poids – dont bien sûr Elrond lui-même, mais d’autres options peuvent être envisagées, comme celle liant les héros, non pas à un personnage unique, mais à une « association » des grands de ce monde, à savoir le Conseil Blanc.

 

Passons au chapitre « Evils of the North », qui est une sorte de « bestiaire amélioré », lié à la base au cadre de jeu de l’Eriador oriental (en y incluant nombre de PNJ antagonistes uniques, donc), mais dont les développements peuvent en fait se montrer utile dans d’autres cadres de jeu – d’une part en étoffant un peu un bestiaire relativement succinct jusqu’alors (qui combinait les éléments du Loremaster’s Guide et du Rhovanion Region Guide), en mettant l’accent surtout sur les Trolls et les morts-vivants, endémiques dans la région couverte mais que l’on peut éventuellement rencontrer ailleurs (à vrai dire, j’avais fait cette remarque concernant les morts-vivants en chroniquant le Loremaster’s Guide ; le chapitre se montre particulièrement détaillé les concernant, avec une typologie utile, des capacités propres, etc.) ; d’autres part en développant de nouvelles facultés, de nouveaux traits, destinés à produire des antagonistes « puissants », qu’il s’agisse de créatures uniques ou, et c’est là peut-être quelque chose de plus spécialement pertinent dans le système D&D5, de troupes pas moins puissantes en raison d’aptitudes propres et qui jouent régulièrement de la synergie. Et c’est bien fait : de quoi donner du challenge à ceux qui en veulent (j’avais noté des critiques de ce type sur le ouèbe, en chroniquant les précédents volumes de la gamme d’Adventures in Middle-Earth), mais sans déséquilibrer l’univers au seul motif d’abreuver les héros en équivalents simili-tolkiéniens de déités et demi-dieux à défoncer au marteau de guerre pour pexer comme des porcs. En fait, à tort ou à raison, ce chapitre me paraît plus « subtil » et adéquat que son équivalent dans Fondcombe.

 

Au plan technique, reste enfin deux sujets à traiter qui, là encore, dépassent le seul cadre de l’Eriador oriental. On trouve tout d’abord deux chapitres consacrés aux « objets magiques » (ou du moins de valeur), ainsi qu’aux armes et armures légendaires. Chroniquant Fondcombe, j’avais fait part de mon scepticisme au regard de cet intitulé, puis de mon enthousiasme après lecture – et c’est ce même sentiment qui domine aujourd’hui, en relevant cependant, donc, que le système ici décrit, s’il comprend nombre d’apports appréciables, est peut-être moins « exhaustif » que dans le supplément de L’Anneau Unique, dans la mesure où le Loremaster’s Guide comprenait déjà nombre d’éléments à ce propos. Mais, oui, c’est vraiment très bien fait : les auteurs ont su éviter le travers de l’artefact grobillesque, tout en offrant la possibilité au Gardien des Légendes de semer dans sa campagne des trésors d’un ordre à part, aux capacités éventuellement amusantes (et même « magiques »), mais pouvant aussi (surtout ?) jouer un rôle crucial dans l’histoire. Car on y insiste : si la méthode ici décrite, combinée à celle du Loremaster’s Guide, peut le cas échéant générer des objets magiques sur le pouce, ce n’est pas sans danger… et c’est même assez fortement déconseillé. Non, si la découverte de ces objets tiendra éventuellement du hasard (avec des règles simples sur les « jets de trésor »), ou à vrai dire d'un hasard un peu forcé par la prédestination (on y revient souvent), le MJ doit quant à lui créer au préalable un « index » directement approprié à sa campagne : y figureront de simples objets précieux, mais aussi des reliques merveilleuses (c’est-à-dire des objets « magiques » hors armes et armures) et des armes et armures fabuleuses, personnalisés pour qu’ils puissent servir la campagne en tombant dans les mains de qui en aura l’utilité, et par ailleurs dotés d’un nom et d’une histoire – détails en apparence, qui changent pourtant tout. Trois exemples d’index en témoignent, le premier approprié au cadre des Terres Sauvages (avec les personnages prétirés de ce cadre dans L’Anneau Unique comme dans Adventures in Middle-Earth), un autre adapté aux scénarios d’Eriador Adventures/Les Vestiges du Nord, et enfin un exemple sans doute plus parlant dans l’absolu, mon chouchou – portant sur la compagnie de Bilbo dans Le Hobbit. Mentionnons enfin qu’il se trouve des objets maudits, et que le rôle de la corruption dans l’acquisition et l’utilisation de ces merveilles s’inscrit là encore pleinement dans les concepts tolkiéniens.

 

Reste enfin un chapitre sur l’Œil du Mordor : Sauron se manifeste de plus en plus (d’autant que nous sommes en principe quelques années après le début de la campagne dans les Terres Sauvages, comme défini dans les suppléments antérieurs), et ce n’est pas sans incidences pour nos héros – quels qu’ils soient, d’ailleurs : ils peuvent attirer son attention, chose toujours dangereuse… D’où l’idée de tenir un compte de la Vigilance de l’Œil, fluctuante au gré des situations et incidents (dépendant par exemple du nombre de personnages de la compagnie, de leurs origines, de la région où ils se trouvent, de leur démonstration de facultés hors-normes voire « magiques »…) ; passé un certain seuil (car les héros peuvent se montrer précautionneux), il en résulte la Traque – qui n’est pas à prendre au pied de la lettre : bien sûr, il ne s’agit pas de faire systématiquement apparaître une bien opportune bande d’Orques de passage, mais bien plutôt, pour le MJ, de traduire d’une manière ou d’une autre une adversité plus forte – ou « pesante », ce mot me paraît très indiqué : plus que de confronter systématiquement les héros à tel ou tel combat ou obstacle, l’idée sera donc d’exprimer une « mauvaise volonté » de la nature elle-même à laisser faire les choses – évocatrice d'un sombre destin, s’acharnant tout particulièrement sur la communauté. À condition de prendre bien soin d’éviter les solutions de facilité, il y a sans doute là un bel outil d’ambiance – et qui, comme toujours dans cette gamme décidément subtile, s’avère parfaitement approprié à l’univers tolkiénien. Il faut toutefois prendre garde à ne pas rendre l’épreuve des PJ insurmontable avec ce genre de règle optionnelle ; mais avec des héros un peu aguerris, et un MJ qui fait preuve de souplesse, c’est sans doute tout à fait pertinent.

 

Un bon supplément, donc – voire très bon ; même si à manier avec quelques précautions. Il comprend un cadre aussi fascinant que rude, et des éléments techniques ou de background pouvant changer la perspective du jeu – d’où la nécessité de prendre bien garde à ce que l’on en fait.

 

Prochain épisode, le supplément jumeau de celui-ci : Eriador Adventures, transposition des Vestiges du Nord. À un de ces jours…

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Adventures in Middle-Earth : Mirkwood Campaign

Publié le par Nébal

Adventures in Middle-Earth : Mirkwood Campaign

Adventures in Middle-Earth : Mirkwood Campaign, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2017, 144 p.

Retour à la gamme d’Adventures in Middle-Earth, avec Mirkwood Campaign. Comme pour le Rhovanion Region Guide et Wilderland Adventures précédemment, il s’agit d’une transposition (presque mot pour mot, si le système diffère, et si l’on trouve en annexe un bref complément inédit sur les événements de voyage adaptés à certains backgrounds, qui ne m'a pas convaincu plus que ça), une transposition disais-je d’un supplément de la gamme de L’Anneau Unique, en l’espèce Ténèbres sur la Forêt Noire – une campagne, ou un squelette de campagne, qui se déroule sur trente années... Et, même si je ne vais pas rentrer dans les détails, quelques SPOILERS sont à craindre : alors ouste les joueurs !

 

Trente années, donc – plus précisément, la campagne se déroule entre les années 2947 et 2977 du Troisième Âge, et se situe intégralement dans les Terres Sauvages, si pas toujours dans la Forêt Noire. Le Rhovanion Region Guide est peu ou prou indispensable pour mener cette campagne, non seulement parce que certains lieux et personnages y sont décrits qui y jouent un rôle parfois crucial sans qu'ils soient détaillés plus avant dans le présent supplément, mais aussi, j’y reviendrai, parce que le MJ sera probablement amené à développer des épisodes de son cru pour faire le liant.

 

Quoi qu’il en soit, la campagne compte parmi ses principaux atouts une ambiance remarquable, parfaitement adaptée à l’univers tolkiénien, et qui parvient à se montrer à la fois farouchement épique… et foncièrement déprimante. Et c’est un aspect à prendre en compte, tout particulièrement si vos joueurs, sur un mode donjonnesque plus classique, s’attendent à voir leurs héros surpuissants vaincre le Mal. Les PJ seront bien les héros de cette aventure, aucun doute à ce sujet, mais, aussi brillants et courageux soient-ils, ils ne parviendront pas à triompher de leurs ennemis – ils ne seront pas ceux qui vaincront l’Ombre, cette tâche appartiendra à une certaine Communauté un demi-siècle après la fin de cette aventure ; ils pourront, cependant, retarder un peu la domination de l’Ombre, ou la contenir pour un temps – et il faudra leur faire sentir combien c’est déjà quelque chose d’énorme et de digne des plus grands héros.

 

Maintenant, dans tous les cas, comme le titre de la campagne dans la gamme de L’Anneau Unique l’exprime plus ouvertement que cette transposition D&D5, les ténèbres s’abattront sur la Forêt Noire, sous la forme de trois Nazgûl que Sauron, préparant son retour en Mordor, dépêche pour rebâtir Dol Guldur et affecter les Peuples Libres du Nord dans leur ensemble, devenus trop confiants depuis la mort de Smaug et la Bataille des Cinq Armées. Les esprits maléfiques sauront user de toutes leurs ressources pour accomplir cette funeste mission – incluant des alliés puissants, comme le Loup-Garou et le Dragon de la Forêt Noire, ou la progéniture d’Arachne, mais aussi en tablant sur les faiblesses et la mesquinerie des hommes, des elfes et des nains, la corruption qui ronge leurs cœurs, la jalousie et l’arrogance qui leur font prendre les pires décisions, leur refus obstiné d’envisager le tableau dans son ensemble pour s’en tenir à la pureté illusoire et bien précaire de leurs îlots culturels plus ou moins solidement fortifiés… Oui, les ténèbres s’abattent une fois de plus sur la Forêt Noire, et les personnages seront aux premières loges pour le constater.

 

Plus précisément, ils seront amenés à prendre part à de nombreux événements tournant autour des Hommes des Bois des Terres Sauvages, le sort de ces derniers étant au cœur de la campagne ; et, d’une manière ou d’une autre, ce destin sera tragique : passé ces trente années, les Hommes des Bois ne seront plus en tant que tels – et leur sort affectera considérablement d’autres communautés des Peuples Libres du Nord, tout spécialement les Béornides et les Elfes Sylvains. Mais les personnages sont censés intervenir dans cette affaire, à plusieurs reprises, et de manière éventuellement déterminante : il est très recommandé, à vrai dire, qu’un au moins des PJ soit un Homme (ou une Femme…) des Bois, afin, non seulement de l’impliquer plus personnellement dans cette histoire, mais aussi de lui donner un levier, des possibilités d’action, qui seraient moins justifiables pour des personnages issus d’autres cultures héroïques – cela dit, on peut, concernant ces derniers, jouer sur les titres : « Ami des Hommes des Bois », ce genre de choses ; maintenant, l’implication n’est probablement pas aussi forte, et un PJ Homme des Bois est donc très bienvenu voire nécessaire. Car ces personnages pourront ainsi participer aux assemblées des Hommes des Bois, qui, au fil de ces trente années, auront bien des questions compliquées à régler – et, à cet égard, même si on reste dans une ambiance tolkiénienne (et qui plus est rustique et/ou martiale) bien éloignée des politicailleries machiavéliques du « Trône de Fer », dilemmes, alliances de circonstances et trahisons inéluctables seront de la partie, qui scelleront, en bien ou en mal, le destin de communautés spécifiques d’abord, celui de la culture héroïque dans son ensemble à terme – et c’est vraiment très bien fait, très bien écrit, avec là encore une ambiance travaillée et tout à fait remarquable.

 

Maintenant, le tragique destin des Hommes des Bois ne relève bien sûr pas que de la parlotte, loin de là, et des héros sont requis pour repousser des menaces autrement concrètes. Ce gros fil rouge de la campagne est en fait constitué de multiples fils rouges qui constituent autant de trames en tant que tels : des morts-vivants s’en prennent aux Hommes des Bois de la Brèche Est, dont le statut est encore à définir ; à l’ouest, les Filles de la Rivière elles-mêmes peuvent succomber à la corruption ; et, surtout, le Loup-Garou de la Forêt Noire, peu ou prou intuable, multiplie les massacres… en même temps qu’il envenime les rapports entre les Hommes des Bois et les Elfes Sylvains, notamment quand on découvre la véritable nature de la Lampe de Balthi. En fin de compte, cette lampe jouera un peu le rôle d’un ersatz (approprié) de l’Anneau Unique dans cette campagne – la fin de celle-ci sera largement déterminée par la décision des joueurs quant à ce qu’il faut faire de cet artefact. Dans tous les cas, la conclusion sera on ne peut plus épique : un assaut guerrier perdu d’avance mais pas moins stimulant et éventuellement à même de porter des fruits malgré tout, ou la fuite vers Fondcombe… et éventuellement un autre théâtre de jeu dans l’Eriador (j’avais déjà chroniqué les suppléments pour L’Anneau Unique qu’étaient Fondcombe et Les Vestiges du Nord, je reviendrai si nécessaire sur leurs transpositions pour Adventures in Middle-Earth, à savoir Rivendell Region Guide et Eriador Adventures).

 

Voici pour les grandes lignes. Quelques mots maintenant sur la forme de ce supplément, avec quelques vagues données techniques le cas échéant. Et, d’ores et déjà, on peut relever que, dans les termes de D&D5, la campagne s’adresse à des PJ de niveau 5 au départ et qui devraient avoir atteint au moins le niveau 15 au moment du dernier scénario ; le fait que la campagne débute avec des personnages de niveau 5 incite à jouer un prologue plus ou moins développé – le cas échéant, la petite campagne de Wilderland Adventures peut tout à fait remplir ce rôle (même si je suppose que le tout début de Mirkwood Campaign pourra paraître un peu mou après les ultimes confrontations entre les PJ et le Roi au Gibet).

 

La campagne se déroule donc sur trente ans (2947-2977 T.A.), et chaque année se voit attribuer son scénario, avec phase d’aventure et phase de communauté – même si ces trente années sont regroupées en cinq périodes plus vastes qui témoignent de ce que l’Ombre s’abat toujours davantage sur la Forêt Noire.

 

Maintenant, la maigre épaisseur de ce supplément, d’autant plus s’il est censé couvrir trente années de jeu et comprendre trente scénarios, trahit d’emblée son caractère quelque peu « squelettique » : Mirkwood Campaign n’est absolument pas une campagne « clef en main » (si ce n’est pas un bac à sable non plus), plutôt un squelette de campagne, oui, et les trente « scénarios » la composant ne sont le plus souvent que des synopsis. Cela dit, le supplément est plutôt varié à cet égard : certains de ces épisodes sont assez développés, avec des personnages, des lieux et des événements approfondis, quand d’autres affichent frontalement leur caractère de synopsis (par exemple, pour ce qui est de l’an 2970, la phase d’aventure se contente peu ou prou de dire : « Les PJ chassent le Dragon de la Forêt Noire », et, pour les détails, il faudra repasser, il n’y a absolument rien concernant l’environnement, le comportement du monstre, etc.) ; et, pour certaines années, le « scénario » ne consiste en fait qu’en une simple rencontre de passage avec tel ou tel PNJ, n’impliquant pas vraiment d’action, etc., et qui ne durera probablement pas le temps d'une séance de jeu complète. Pour le coup, la campagne se montre assez diverse, oui, tout en demeurant essentiellement cohérente.

 

Certains épisodes ne constituent donc pas vraiment des aventures – et c’est normal : c’est au MJ de boucher les trous avec des scénarios de son cru. Le supplément n’en fait pas mystère : on ne peut pas se contenter d’enchaîner les années dans ces circonstances, il faut y mettre un peu de gras, et de personnel. Ici plus que jamais, le Rhovanion Region Guide est un outil indispensable, permettant au MJ d’étoffer le squelette de campagne sans quitter l’environnement de jeu – mais en prenant quelques précautions : dans Mirkwood Campaign, tel geste ici, telle parole là, peuvent avoir des répercussions cruciales des années voire des décennies plus tard – il faut donc s’assurer que l’on ne dispose pas avec trop de liberté d’un PNJ ou d’un lieu importants pour la campagne. Cette dimension de la campagne est aussi enthousiasmante… qu’intimidante, tout particulièrement en ce qui me concerne : quand je dispose d’un cadre de jeu aussi riche, et que je sors des scénarios du commerce, j’ai une fâcheuse tendance à trop me disperser, au point de me perdre et de rendre l’ensemble injouable… Dans la perspective de maîtriser Mirkwood Campaign, il me faudra, si j’ose dire aha, apprendre à me maîtriser moi-même, à me discipliner….

 

Mais cet effort personnel bien compris est un moyen de choix pour rendre l’épopée de Mirkwood Campaign plus enrichissante et stimulante pour tous – notamment en ce qu’il s’agit d’accentuer l’implication des PJ : pour que la campagne fonctionne, ils doivent nouer des liens, et si possible plus émotionnels qu’utilitaires, avec des personnages et des lieux de la campagne – de sorte que le personnage souffre dans sa chair quand sa communauté se fait attaquer, ou quand un ami succombe à la peste ; ceci étant, à ces extrêmes de noirceur, il faut probablement opposer aussi des moments plus lumineux et qui impliquent tout autant (la campagne incite à jouer à fond de l’opposition entre les ténèbres et la lumière, et je suppose que ça en fait partie) : ici une fête qui ressoude les liens dans la communauté, là un mariage ou la naissance d’un enfant… C’est d’autant plus important que nous parlons d’une histoire se déroulant sur trente années – et tous les aventuriers ne comptent pas persévérer dans leur fonction sur une aussi longue période ; à vrai dire, les chances pour que le groupe des aventuriers de 2947 et celui des aventuriers de 2977 coïncident parfaitement, sont assez limitées ; la mort au combat n'étant pas seule en cause, mais tout autant la progression inéluctable de la corruption... ou tout simplement la vieillesse qui incite à se poser enfin quelque part. La désignation d’un héritier peut constituer un ressort narratif utile, qui permet de relancer l’aventure. Et la campagne incite à jouer de tout cela. Elle propose d’ailleurs un système très simple permettant aux PJ de gérer leurs « domaines », qui ne sont pas nécessairement fonciers même s’ils le sont souvent ; il ne faut certainement pas y voir un moyen d’accumuler de la fortune, mais un moyen d’ancrer les personnages dans leurs communautés respectives, de les impliquer personnellement et émotionnellement. Mais, au-delà des seuls domaines, il est donc sans doute très important que les personnages nouent des liens autres que purement utilitaires avec tel ou tel personnage, etc. – c’est une affaire d’immersion, et la campagne n’en sera que plus forte.

 

Et l’immersion passe par un autre aspect très important de Mirkwood Campaign, et qui m’intéresse tout particulièrement : le sentiment nécessaire que le monde évolue en dehors des seules actions des personnages. Pour chaque année, la première entrée liste un certain nombre d’événements – et, dans certains cas, le bref paragraphe dédié à la phase de communauté à la fin de chaque année en comprend quelques autres, ne serait-ce que des indications d’ordre climatique (avec leur impact éventuel sur les domaines). Les PJ doivent pouvoir y avoir accès ; il ne faut probablement pas tout leur dire, et certainement pas en bloc au travers d’un artifice de narration gros et lourd comme un blogueur rôliste, mais certaines au moins de ces informations doivent atteindre les PJ, des informations qui leur permettent de se faire une vague idée (je suppose qu’elle doit demeurer un peu vague) de ce qui se produit ailleurs. À vrai dire, cette approche peut être employée également pour informer les PJ d’événements auxquels ils auraient pu prendre part, quand la tournure de la campagne en a décidé autrement : les PJ ne sont pas forcément supposés jouer tous les trente « scénarios » de Mirkwood Campaign – parfois, pour des raisons de cohérence ou de dynamique interne, mieux vaut faire l’impasse sur tel épisode, quand ses implications ne sont pas trop bouleversantes ; à moins justement de jouer sur ce qu’elles peuvent avoir de bouleversant à terme pour affecter les PJ et renforcer leur sentiment d’immersion, tout en leur offrant la possibilité de s’intéresser davantage, mettons, à tel coin de la Forêt Noire qui n’avait pas plus que ça retenu leur attention jusqu’alors (une méthode dont je suppose qu’elle pourrait se montrer tout particulièrement utile concernant le Royaume Sylvestre, surtout bien sûr s’il n’y a pas d’Elfe dans le groupe…).

 

Tout cela rend cette campagne un peu intimidante parfois, souvent enthousiasmante en tout cas, bien conçue et bénéficiant d’une ambiance remarquable. J’ajouterai pour conclure que ce supplément est, une fois de plus, et peut-être plus encore que ses prédécesseurs, très bien écrit, vraiment très agréable à lire – les illustrations de qualité renforçant encore le plaisir du lecteur.

 

J’aurais juste un tout petit bémol à cet égard : je regrette un peu que le supplément ne comprenne pas vraiment de cartes spécifiques, ou de plans de tel ou tel lieu (éventuellement des bons vieux donjons des familles, même s’ils sont rares) ; une mise à jour de Ténèbres sur la Forêt Noire à cet égard aurait pu se montrer utile, ou en tout cas bienvenue.

 

Ce léger regret mis à part, Mirkwood Campaign est un supplément de grande qualité, et j’espère pouvoir maîtriser cette campagne, ou commencer à le faire en tout cas, d’ici quelques mois. À suivre, donc – même si d’ici-là je vais poursuivre l’exploration de la gamme, tout d’abord avec le Rivendell Region Guide (je verrai cependant si en livrer une chronique, ainsi que d’Eriador Adventures, sera pertinent ou pas, car je m’étais déjà montré très bavard concernant Fondcombe et Les Vestiges du Nord pour L’Anneau Unique).

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Adventures in Middle-Earth : Wilderland Adventures

Publié le par Nébal

Adventures in Middle-Earth : Wilderland Adventures

Adventures in Middle-Earth : Wilderland Adventures, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2017, 159 p.

PROLOGUE

 

Où l’on poursuit l’exploration de la gamme Adventures in Middle-Earth, avec cette fois Wilderland Adventures, un recueil de sept scénarios destinés à des PJ de niveau 1 à 6 approximativement, et qui peuvent être joués isolément, ou bien être liés pour former une petite campagne (les trois premières aventures sont plutôt conçues comme indépendantes, le liant se développe surtout par la suite). Cette petite campagne peut à son tour se muer en un prologue pour la grosse campagne à suivre, Ténèbres sur la Forêt Noire ou Mirkwood Campaign.

 

Car, oui, à ce stade, comme noté précédemment concernant le Rhovanion Region Guide, la gamme Adventures in Middle-Earth consiste en transpositions pures et simples de la gamme de L’Anneau Unique : en l’espèce, Wilderland Adventures est l’équivalent pour AiME des Contes et légendes des Terres Sauvages – que j’avais lu il y a bien longtemps, mais pour en pondre une chronique salement creuse

 

Bon, bref, il ne faut donc pas s’attendre à du contenu inédit, l’essentiel des modifications renvoyant à la seule mécanique du jeu. Je relève cependant un apport vraiment très intéressant : des tables d’événements de voyage adaptées à chacun des sept scénarios – et ça c’est super bien !

 

Au rang technique, au passage, une autre bonne idée doit être mentionnée : on trouve ici, comme dans les scénarios lus ultérieurement, des suggestions pour gérer l’expérience en dehors des seuls combats – le Loremaster’s Guide demeurait invraisemblablement muet à cet égard, mais les aventures semblent avoir comblé utilement cette défaillance inexplicable.

 

Bien, voyons maintenant ce qu’il y a sous le capot… Attention : je ne vais certes pas décrire les scénarios par le menu, je ne vais pas « raconter l’histoire », mais, en relevant tel ou tel point dans le cadre de cette chronique, je vais très probablement balancer quelques SPOILERS çà et là. Adonc, joueurs, ne lisez pas au-delà !

DON’T LEAVE THE PATH

 

J’ai indirectement évoqué le premier scénario, « Don’t Leave the Path », en traitant du scénario d’introduction Eaves of Mirkwood – en effet, tous deux remplissent d’une certaine manière la même fonction de « petit bain » dans les Terres Sauvages et notamment la Forêt Noire, et présentent aussi bien des atouts que des inconvénients. Je tends décidément à croire que bricoler une synthèse des deux serait l’approche la plus pertinente – permettant de rééquilibrer les choses, de ne conserver que les atouts des deux aventures, même si c’est probablement l’essence de « Don’t Leave the Path » qui doit l’emporter, le contenu d’Eaves of Mirkwood étant moins décisif et pouvant demeurer optionnel.

 

Reste que, sur le papier, « Don’t Leave the Path » n’est à première vue pas très enthousiasmant : cette première (et c’est un souci…) traversée de la Forêt Noire repose à la base sur une implication défaillante (on tombe sur un marchand et on décide aussitôt de l’escorter de l’autre côté du petit bosquet, tranquille), puis enchaîne les événements sans queue ni tête, jusqu’à ce que, hop, on soit de l’autre côté. Pris indépendamment, les événements successifs peuvent être chouettes, s’ils ne brillent pas par l’originalité (j’aurais cependant un bémol pour le plus ou moins passe-droit accordé d’emblée aux PJ au regard du Royaume Sylvestre et même du Palais de Thranduil, ça ne me paraît pas du tout dans le ton, et vraiment pas approprié, d’autant plus pour des personnages débutants) ; mais l’enchaînement des séquences est donc à son tour un peu défaillant.

 

Et puis, à tout prendre, je tends à croire que ce premier voyage ferait plus de sens d’ouest en est (enfin, ça dépend des origines des PJ, bien sûr…). Car son véritable objet (ou pas ; disons dans la perspective d'un prologue à Ténèbres sur la Forêt Noire/Mirkwood Campaignest d’introduire les personnages aux spécificités de l’inquiétante Forêt Noire, et la proclamation de Bard peut jouer un rôle moteur un peu plus convaincant que la rencontre par hasard d’un marchand (ce qui est suggéré partout, mais notamment dans Eaves of Mirkwood) ; quoi qu’il en soit, cette traversée, car primordiale, doit être mémorable – et influer sur le ressenti ultérieur des personnages à chaque fois qu’ils s’enfonceront dans les bois.

 

Qu’importe si les PJ se trouvent donc, en fin de scénario, du côté d’Esgaroth ou de Dale, là où le scénario suivant de Wilderland Adventures débute dans la vallée de l’Anduin – on s’adapte, et ce ne sera certainement pas la dernière fois dans la campagne étendue ; par ailleurs, si on a joué Eaves of Mirkwood avant (ou avec…) « Don’t Leave the Path », avec les gestes adéquats, Rowanhold peut jouer le rôle d’un sanctuaire à l’ouest adapté pour reprendre en main le fil du récit.

 

Un scénario à travailler, donc (là où les suivants se montreront d’emblée plus solides) – mais on lui reconnaîtra un joli travail sur l’ambiance de la Forêt Noire, qu’il s’agit de faire ressortir plus particulièrement en arrangeant un récit un peu moins cousu de fil blanc.

 

OF LEAVES & STEWED HOBBIT

 

Le deuxième scénario, « Of Leaves & Stewed Hobbit », est a priori bien plus enthousiasmant, car inventif et singulier – éventuellement drôle, aussi, même s’il peut s’avérer dangereux ; il demande donc une attention particulière du MJ en termes d’ambiance et de narration, car son objet est de livrer des scènes un peu entre-deux-eaux, où la matière plutôt légère du roman Le Hobbit doit en principe l’emporter, mais en prenant en compte que les PJ seront néanmoins submergés par les gobelins, dans leurs inquiétants tunnels et dans une ruine à proximité du Haut Col – un pas de côté et ça présente le risque de devenir une tuerie d’autant plus malvenue que l’aventure s’adresse à des personnages de bas niveau (2 ou 3 en théorie).

 

Et, honnêtement, le comportement à adopter dans les tunnels n’a rien de si évident – il n’y en a pas 36 000, hein, mais ça ne coule pas de source quand même, surtout si les joueurs se verraient bien faire dans le Donj’ bastonneux. La scène est à mûrir, et il faudra éventuellement songer à trouver comment aiguillonner les joueurs dans telle ou telle direction, sans bien sûr les priver de leur liberté et de leur mainmise sur les événements – ce qui n’est jamais évident.

 

Ces mises en garde bien intégrées, oui, ce scénario est assez enthousiasmant – et il introduit par ailleurs une chouette idée qui pourra se montrer utile dans la suite des opérations, avec cette auberge tenue par un hobbit dans les Terres Sauvages, typiquement l’endroit incongru et attachant où les personnages seront tentés de faire halte lors de leurs excursions dans la région. À vrai dire, plus particulièrement dans la perspective de Ténèbres sur la Forêt Noire/Mirkwood Campaign, où de tels endroits sont cruciaux mais aussi menacés à terme, il serait très profitable qu’ils s’y attachent bel et bien, comme à un sanctuaire mais doté d’un surplus d’implication émotionnelle, renvoyant pour le coup davantage aux sentiments associés au pays natal (un personnage hobbit y sera probablement plus sensible encore – c’est loin, la Comté…) ; en fait, le genre d’endroits pour lequel on se bat… et dont la perte éventuelle suscitera regrets et colère ou dépit. Par-fait !

KINSTRIFE & DARK TIDINGS

 

Avec le troisième scénario, « Kinstrife & Dark Tidings », la qualité augmente encore d’un cran. Ce qui n’a rien d’évident à la base, car l’idée fondatrice du scénario est somme toute très banale (encore que pas forcément dans ce cadre : l’enquête policière n’est probablement pas un genre instinctivement associé à la Terre du Milieu…), mais une écriture habile et de très bonnes idées en sus çà et là en font une vraie réussite.

 

Et ce en dépit d’une implication là encore un peu molle, peut-être – cela dit, elle a au moins pour mérite de permettre aux PJ de rencontrer un des grands de ce monde, Beorn, qui pourrait devenir un garant de poids (surtout sous sa forme d’ours, eh). Quoi qu’il en soit, les PJ sont chargés de mettre la main sur un prisonnier évadé, un meurtrier, pour le conduire à son procès ; mais ils découvriront que le mauvais élément, pas intrinsèquement mauvais finalement, a cependant été amené à fréquenter une bande de brigands…

 

Sur cette base relativement commune, le scénario emporte l’adhésion du fait de plusieurs bonnes idées. La première porte sur l’incertitude quant aux événements qui se sont produits et se sont soldés par le meurtre. Le scénario fournit divers éléments au MJ pour qu’il décide de ce qui s’est passé au juste, plutôt que de lui imposer un récit figé. Mais, surtout, ensuite, il confronte les PJ aux rumeurs quant aux personnages impliqués et à ce qui s’est produit exactement – l’enquête n’est pas compliquée par le manque d’informations, ou pas seulement, mais par un trop-plein dans lequel il n’est pas facile de trier le bon grain de l’ivraie. On n’est pas obligé d’aller jusqu’au Rashômon, hein, de toute évidence, mais c’est bien vu.

 

Et il importe bel et bien de faire ressortir d’une manière ou d’une autre l’ambiguïté de la situation. On présente souvent l’univers tolkiénien comme manichéen – et il l’est au sens où le bien absolu et le mal absolu sont des réalités incontestables, et en lutte. Mais ces absolus sont l’apanage de personnages hors-normes, le plus souvent – pour le quidam, une Terre du Milieu en nuances de gris n’est pas si incongrue, outre que tout acte ou toute parole ne se classe pas si aisément au prisme d’une lecture morale exclusive de toute autre considération. Ici, en l’espèce, les PJ sont invités à participer en dernier ressort au procès du meurtrier, et c’est un très bon moment pour mettre en avant que, entre autres choses, le droit et la morale ne coïncident pas toujours, et ne sont par ailleurs pas universels – en confrontant les héros à des mœurs, des traditions, à mille lieues de celles des joueurs : c’est le moment ou jamais de jouer à l’anthropologue avec les us et coutumes des Béornides et des Hommes des Bois. Là encore, nul besoin de pousser les choses au point de la théorisation un peu absurde et mal-de-crânesque, mais il y a assurément de quoi susciter une belle scène de roleplay, riche et complexe, sur la base de ce procès géré avec le système des audiences.

 

Mais ce scénario va au-delà de cette seule dimension policière et judiciaire, bien sûr – dans la confrontation des PJ à la bande de brigands : c’est qu’il s’agit de ramener le meurtrier, avant de le juger ! En même temps que de se débarrasser des fauteurs de troubles... Les options sont nombreuses, et incluent de la stratégie à plus ou moins long terme, avec une belle bataille précédant le procès, et pouvant décider de son cours…

 

Oui, vraiment un très bon scénario – et je le dis d’autant plus volontiers que je n’y croyais pas vraiment à la base.

THOSE WHO TARRY NO LONGER

 

Ces trois premiers scénarios, on le voit, sont largement indépendants, même s’ils fournissent quelques occasions de semer des indices, et de travailler des ambiances ou des thèmes, qui pourront se montrer utiles par la suite. Avec le quatrième scénario, « Those Who Tarry No Longer », les choses commencent à prendre une tout autre tournure, plus liée mais aussi plus « macro », l’armature encore à peine esquissée d’une petite campagne, donc.

 

On retrouve cependant ici ce classique problème d’implication… À la lisière ouest de la Forêt Noire, les PJ rencontrent un groupe d’elfes – incluant en guest-star Legolas, allons bon. Ils accompagnent une des leurs, une Noldor qui a vécu les éléments du Silmarillion, mais qui succombe enfin, après bien des millénaires, à l’appel de la mer, et se rend donc aux Havres Gris. Et là, pour une raison passablement mystérieuse, ladite dame et Legolas décident de confier aux PJ la tâche de l’accompagner seuls dans les Monts Brumeux, là où des envoyés d’Elrond doivent prendre le relais ! Euh… On a quand même du mal à s’expliquer une chose pareille...

 

La suite immédiate du scénario n’est pas moins périlleuse à maîtriser – avec notamment une intervention plus deus ex machina que jamais des aigles, dont c’est certes le rôle, à ce qu’il semblerait, dans l’univers tolkiénien (des mèmes le disent). Surtout, en chemin, il faudrait idéalement trouver à véhiculer auprès des joueurs la nostalgie vaguement déprimée de la vieille dame, et, en même temps, l’émerveillement qui doit toujours accompagner les échos des temps jadis – elle a tout vécu, hein, tout ! C'est le moment de balancer du lore tolkiénien. Avec de l’application et une table bien disposée, ça peut être absolument génial – mais le risque de sombrer dans la balourdise ennuyeuse est non négligeable…

 

Cependant, le jeu en vaut la chandelle, parce que la dernière partie du scénario est vraiment splendide – ceci alors même qu’elle joue d’un effet relativement banal et souvent casse-gueule : le rêve. Tandis que la dame elfe est assaillie par un premier avatar du grand méchant de cette campagne, un spectre appelé le Roi au Gibet, les PJ se retrouvent attirés dans leurs rêves et cauchemars, qui consistent en même temps en une sorte de voyage dans le temps : ils se retrouvent plusieurs siècles plus tôt, et subissent ainsi de plein fouet la menace de l’Ombre quand elle se révèle dans toute sa puissance – et les PJ vivront ainsi, à l’instar de leurs ancêtres, des événements horriblement traumatisants. C’est aussi en cela, et pas seulement au regard de l’apparition du Roi au Gibet, que ce scénario, vraiment très bien écrit, est plus « macro » que tout ce que nous avons lu jusqu’alors – et ça en fait vraiment, vraiment, un prologue idéal, ou une partie de prologue, pour Ténèbres sur la Forêt Noire/Mirkwood Campaign.

 

Excellent, en définitive !

A DARKNESS IN THE MARSHES

 

Après quoi « A Darkness in the Marshes » ramène la menace au présent – ce qui éclaire sous un autre jour plusieurs des événements antérieurs. Et le caractère global de cette menace est mis en avant par la personnalité qui amène les PJ à se pencher sur la question : tout bonnement Radagast le Brun. Mais l’enquête aura lieu de l’autre côté de l’Anduin par rapport à Rhosgobel – les personnages devront se rendre à Castel-Pic, qui fait face à certaines difficultés dues notamment à une présence gobeline toujours plus importante dans la région. La source de la menace sera identifiée comme étant le Dwimmerhorn, une forteresse difficile à dénicher, quelque part dans les Champs d’Iris. Là-bas, orques et mauvais hommes esclavagistes constituent une armée au service du Roi au Gibet – cette ombre à peine entraperçue dans le scénario précédent, mais qui, elle aussi, devient de plus en plus concrète…

 

Seulement… Eh bien, le Dwimmerhorn est une forteresse : les PJ ne peuvent certes pas espérer mener l’assaut à eux seuls et en triompher. Ils ont été envoyés en repérage, et il s’agit donc pour eux de pénétrer la forteresse et d’y dénicher des informations utiles – incluant probablement la nature du Roi au Gibet. Mais l’infiltration est périlleuse, et, à terme, il y a fort à parier qu’ils seront repérés...

 

Le scénario bifurquera alors vers une phase plus épique, une longue course-poursuite sur plusieurs jours, avec un système capitalisant sur les échecs comme sur les réussites antérieurs. Le système de voyage est ainsi subverti par la marche forcée, avec des éléments de règles adéquats. C’est bien pensé, ça a l’air très chouette, et potentiellement très flippant !

 

Enfin, ce scénario s’achève sur un ultime coup de théâtre, car la menace du Roi au Gibet prend des formes bien différentes : la trahison est une arme de choix, outre les masses d’orques prêts au combat…

 

Un très chouette scénario, varié, cohérent pourtant, palpitant. Pris indépendamment (j’insiste – j’entends par-là en choisissant de ne pas jouer le recueil comme une campagne), je pense que c’est celui qui tient le plus la route, celui qui fonctionne le mieux, dans toutes ces Wilderland Adventures.

THE CROSSINGS OF CELDUIN

 

Mais il a un concurrent de choix avec son successeur, « The Crossings of Celduin », qui est probablement mon scénario préféré dans le recueil, mais davantage en l’inscrivant dans la campagne.

 

Qu’ils en aient bien conscience ou pas, les actions des PJ, en révélant bien trop tôt pour ce qu’elle était la menace du Dwimmerhorn, a contraint le Roi au Gibet à changer, non seulement ses plans, mais son théâtre d’opérations – c’est maintenant, à l’est de la Forêt Noire, à la région de Dale qu’il compte s’en prendre…

 

Or les PJ s’y trouvent – forcément… Dans la ville tout récemment reconstruite, on célèbre l’anniversaire de la Bataille des Cinq Armées. À l’instigation d’un marchand (corrompu…) promettant des récompenses hors-normes aux vainqueurs, un grand tournoi se met en place, qui verra des dizaines voire des centaines de compétiteurs se mesurer à l’arc, à l’équitation, à la lutte, à la mêlée – avec un système bien pensé pour que les PJ y participent, et éventuellement y brillent, en se confrontant avec des PNJ bien décidés à l’emporter ; ça a l’air très amusant.

 

Mais le pot aux roses est dévoilé lors du bal masqué (une scène amusante là aussi) qui conclut les réjouissances : les convives sont tous empoisonnés ! Le tournoi faisait partie d’un stratagème tordu pour mettre hors de combat tous ceux qui seraient à même de prendre les armes pour défendre Dale… alors qu’une armée d’orques et d’hommes mauvais, ultérieurement seulement identifiés comme aux ordres du Roi au Gibet, vient du sud pour fondre sur la cité de Bard.

 

Le roi doit lever une armée pour défendre la région, mais les conditions ne pouvaient pas être pires – et il lui faut gagner du temps : les PJ, en relativement bonne condition par rapport aux autres « guerriers » de la ville (eh), sont envoyés (seuls !) dans un petit village au sud, avec un pont, le seul endroit où une armée de la taille de celle qui a été aperçue peut franchir la Rivière Courante. Le voyage est précipité, et, arrivés sur place, les PJ ont tout juste le temps de jauger les défenses du village et le pouls des villageois (dont un chef têtu qui leur est ouvertement hostile, tout disposé à laisser les orques franchir le pont en échange d’une bien illusoire garantie de ne pas s’en prendre à son bled), avant que les éclaireurs du Roi au Gibet ne fassent leur apparition…

 

Dès lors, il s’agit littéralement d’un siège : les PJ ont pour mission de gagner du temps à Bard – et un système prend en compte comment ils s’y attellent : fonction de leurs actions, les PJ gagnent des avantages sur leurs jets, qui ont, comme dans le scénario précédent (abstraitement : ça n’est pas ressenti comme tel, les scénarios ne sont pas le moins du monde redondants), un caractère cumulatif, décidant du succès ou de l’échec final.

 

Mais la portée de ce dernier varie selon le temps gagné par les PJ ; disons-le, dans tous les cas, l’armée du Roi au Gibet ne prendra pas Dale – elle sera vaincue par Bard et ses alliés. Mais les actes des PJ n’en ont pas moins une véritable importance, au regard du temps gagné et des vies épargnées : à une échelle microcosmique, ce scénario traduit bien les implications générales de la gamme et notamment de Ténèbres sur la Forêt Noire/Mirkwood Campaign – il ne s’agit pas de l’emporter sur Sauron, ce sera l’affaire d’autres personnages quelques décennies plus tard ; mais protéger les siens sur l’heure, autant que possible, gagner du temps, épargner des vies, sont des objectifs bien dignes de héros.

 

Un scénario très impressionnant – très dense, bourré de bonnes idées, stimulant, stressant, et dont le fond est plus que pertinent : peut-être bien le sommet du recueil, surtout quand il est envisagé comme une mini-campagne.

THE WATCH ON THE HEATH

 

Reste un dernier scénario, « The Watch on the Heath », davantage problématique à mes yeux. Mais il faut noter d’emblée une chose : si les péripéties comme le ton distinguent « The Watch on the Heath » de « The Crossings of Celduin », qui constituent donc deux scénarios différents, ils s’enchaînent cependant immédiatement, ce qui a une conséquence non négligeable au regard de la mécanique d’Adventures in Middle-Earth (comme de L’Anneau Unique), à savoir qu’il n’y a pas de phase de communauté entre les deux épisodes. Les personnages seront donc d’autant plus sensibles à des choses comme l’épuisement ou la corruption…

 

Peu de temps après leur retour à Dale, les PJ sont convoqués par le Roi Sous La Montagne – une bonne occasion de le rencontrer et de pénétrer en Erebor, ce qui n’est pas si facile que ça. La visite dans les archives du marchand corrompu qui avait empoisonné tout le monde quelques jours plus tôt aiguille en effet les PJ vers un ultime centre d’intérêt du Roi au Gibet, et probablement celui sur lequel il s’est replié après sa défaite militaire face aux Peuples Libres du Nord, toujours unis cinq ans (en principe) après la Bataille des Cinq Armées – une vieille tour de guet naine, abandonnée de longue date, et surveillant la Brande Desséchée : ils doivent s’y rendre pour mettre un terme à la menace posée par le spectre… mais l’endroit est particulièrement dangereux, « whence came the Great Worms » ! Et il y en a toujours… En fait, pour anéantir un Roi au Gibet autrement indestructible, les PJ devront idéalement conclure une alliance avec un dragon ! Car, si le Roi au Gibet s’est rendu dans la Brande Desséchée, c’est dans l’optique de faire usage de la Chaîne du Thangorodrim, une relique noire du Premier Âge entraperçue dans le Dwimmerhorn, pour asservir un Grand Ver…

 

Ce scénario renchérit sur la dimension épique de l’aventure, mais d’une manière bien différente de « The Crossings of Celduin » : c’est cette fois la démesure qui l'emporte, avec un environnement hors-normes et ouvertement menaçant, qui n’a pas forcément grand-chose à envier au Mordor, et des antagonistes sans commune mesure, outre des références glaçantes au passé de la Terre du Milieu, incluant des événements relativement proches, dont surtout la mort de Smaug et, quelques siècles plus tôt, les dragons chassant les nains des Montagnes Grises, mais aussi d’autres bien plus lointains, dont le règne de Morgoth et ses armées titanesques abondant en Grands Vers…

 

Mais tout cela me laisse un peu perplexe, pour plusieurs raisons : déjà, l’idée de négocier avec un dragon… Il faut jouer serré, car, à tout prendre, le Ver est comme de juste porté à vouloir faire des brochettes avec les PJ – et nous parlons de personnages de niveau 6 approximativement, soit encore un niveau relativement bas : est-il pertinent, dans ces conditions, de les confronter à un dragon, même dans un récit où tout doit être fait pour éviter le combat ? Par ailleurs, le dragon comme le Roi au Gibet risquent de voler la vedette aux PJ, ce qui n’est généralement pas une bonne idée – et, après les batailles folles de « The Crossings of Celduin », j’ai un peu peur que ça tombe à plat, que le climax de la campagne se situe dans l’épisode précédent, et que cet ultime développement, en définitive, ne soit qu’une coda… Ce qui serait sans doute un peu dommage.

 

Mais ceci tient à ma lecture seule : peut-être ces préventions n’ont-elles pas lieu d’être – je suis preneur de retours de jeu si jamais. Et le scénario, par ailleurs, n'est pas mauvais, hein ! Mais je le crois un bon cran en dessous des deux précédents, notamment.

 

ON JOUE ?

 

Quoi qu’il en soit, même avec quelques petits bémols çà et là, dont j’ai fait mention pour chaque scénario, Wilderland Adventures me fait l’effet d’un très bon recueil de scénarios, d’une qualité vraiment supérieure à la moyenne, et assez constante – aucune de ces aventures n’est « mauvaise », tout au plus peut-on hausser un sourcil devant tel ou tel développement, qu’un peu de travail personnel devrait suffire à gérer au mieux.

 

Et le reste est bon voire très bon, avec une ambiance irréprochable, et des morceaux de bravoure à noter : les dilemmes enchaînés de « Kinstrife & Dark Tidings », l’éprouvant cauchemar prophétique de « Those Who Tarry No Longer », la fuite éperdue du Dwimmerhorn dans « A Darkness in the Marshes », le tournoi et la bataille du pont dans « The Crossings of Celduin »…

 

Tout cela est vraiment bel et bon et donne vraiment envie de jouer – alors y a plus qu’à !

 

Prochain épisode dans mes chroniques de la gamme d’Adventures in Middle-Earth : le dernier volet du triptyque des Terres Sauvages, à savoir Mirkwood Campaign, transposition de Ténèbres sur la Forêt Noire. Restez tunés, comme on dit en sindarin…

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Adventures in Middle-Earth : Rhovanion Region Guide

Publié le par Nébal

Adventures in Middle-Earth : Rhovanion Region Guide

Adventures in Middle-Earth: Rhovanion Region Guide, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2017, 144 p.

D'UNE GAMME À L’AUTRE

 

Je poursuis l’exploration de la gamme d’Adventures in Middle-Earth, avec le Rhovanion Region Guide ; à ce stade, l’aspect « transposition » de la gamme de L’Anneau Unique devient plus marqué car, si les premiers suppléments, avec leurs considérations techniques abondantes, mêlaient reprises de la gamme originelle et développements plus inédits liés au système D&D5, nous en arrivons cette fois à un supplément d’ordre essentiellement « fluff », comme disent les bons Françouais, qui comme tel reprend presque mot pour mot son modèle, en l’espèce le Guide des Terres Sauvages. Les modifications portent donc essentiellement sur les rares passages où les règles doivent intervenir (par exemple, nouvelles cultures héroïques, nouvelles entreprises de communauté, bestiaire et caractéristiques des autres PNJ, ce genre de choses). Pour ce qui est du reste, c’est-à-dire l’essentiel et de loin, rien de bien neuf a priori par rapport au Guide des Terres Sauvages – je suppose donc que ma vieille chronique de ce supplément demeure en gros valable, même si je dois dire que, aujourd’hui, j’envisage l’ensemble de manière plus positive encore.

 

Pour autant, comme dans la gamme de L’Anneau Unique, il serait sans doute préférable d’envisager ce supplément de contexte en même temps que les deux suppléments de scénarios qui le précèdent et le suivent dans la chronologie de la gamme, à savoir Wilderland Adventures (reprenant largement Contes et Légendes des Terres Sauvages) et Mirkwood Campaign (même chose pour Ténèbres sur la Forêt Noire). J’ai d’ores et déjà lu le premier, qui m’a pleinement satisfait, mais il me paraît préférable, contre l’ordre de publication, de commencer par le supplément de contexte ; et je lirai très prochainement Mirkwood Campaign, je vous tiens au jus.

 

LA RÉGION COUVERTE

 

Adonc, le Rhovanion Region Guide est un supplément de contexte, qui couvre la majeure partie des Terres Sauvages, soit le cadre initial des gammes aussi bien de L’Anneau Unique que d’Adventures in Middle-Earth.

 

Il est sans doute utile, avant d’envisager la chose de manière davantage détaillée, de définir juste un peu plus précisément la région couverte par ce guide : pour l’essentiel, il s’agit, à l’ouest, de la vallée de l’Anduin, des montagnes au nord jusqu’à la Lorien au sud (non incluse – de même que la Moria, si jamais vous vous posez la question, mais il semblerait qu’il y a depuis quelque temps un projet de supplément dédié à cette dernière, nous verrons bien) ; puis, plus à l’est, le guide couvre l’ensemble de la Forêt Noire. Ces deux grands ensembles sont envisagés successivement, et, au sein de chacun, on procède du nord au sud, et d’ouest en est (ce qui revient, dans la première partie, à traverser sans cesse l'Anduin).

 

Par contre, il importe de noter que ce supplément ne concerne pas le moins du monde les régions à l’est de la Forêt Noire, pourtant capitales dans cette gamme initiale. Si les brèves informations figurant dans le Player’s Guide et le Loremaster’s Guide ne suffisent pas (en notant que ce dernier reprend toutefois le Guide de la Ville du Lac de la gamme de L’Anneau Unique), il faut alors se référer à d’autres sources – en l’espèce essentiellement Erebor pour L’Anneau Unique, que j'ai chroniqué assez récemment et qui couvre, non seulement le Mont Solitaire, mais aussi Dale et les régions environnantes (ce supplément relativement récent pour L’Anneau Unique, et à l’heure actuelle le dernier à avoir été traduit en français, sera probablement transposé pour Adventures in Middle-Earth un de ces jours, mais je n’en sais pas davantage ; dans l'immédiat, si c'est le seul contexte qui importe, on peut bien sûr se référer à ce guide de la gamme originelle, hein).

 

Bien évidemment, d’autres régions ont pu être décrites dans d’autres suppléments sans que cela soit aussi problématique, car elles sont cette fois bien distinctes des Terres Sauvages – voyez par exemple Fondcombe pour L’Anneau Unique, mais il y a eu aussi, en VO seulement et pas lus de mon côté, le Rohan ainsi que Bree.

 

Enfin, on relèvera que ce guide englobe trois des origines culturelles jouables : à l’ouest de la Forêt Noire, les Béornides et les Hommes des Bois ; au nord de ladite forêt, le Royaume Sylvestre des elfes.

 

DES NÉCROMANCIENS ET DES HOMMES

 

Le guide s’ouvre sur des considérations générales où l’histoire a une place importante. Le Rhovanion, tel qu’il est décrit dans ce supplément, qui mêle comme des juste des créations personnelles à l’orthodoxie purement tolkiénienne, a une complexe histoire, qui s’articule autour de deux mouvements majeurs : d’une part, la présence fluctuante des Hommes du Nord, qui sont à l’origine de plusieurs des cultures de la région, mais aussi de celle des Rohirrim, avec Eorl le Jeune, etc. ; ces hommes n’ont cessé de naviguer le long des berges de l’Anduin, et éventuellement aux lisières de la Forêt Noire, ainsi qu’à l’est de cette dernière, où leurs réalisations majeures n’ont toutefois guère laissé de traces, même si l’idée au moins d’un antique Royaume du Nord a persisté dans les légendes, et continue d'inspirer certains monarques en puissance à l'époque du jeu ; les mouvements migratoires associés à cette histoire tumultueuse ont beaucoup compté dans l’établissement et la perpétuation ou au contraire l’oubli de cultures propres à la région, et dotées d’identités marquées.

 

D’autre part, bien sûr, il faut prendre en compte la présence, elle aussi fluctuante, du Nécromancien et de ses séides à Dol Guldur – qui fournira le prétexte à Ténèbres sur la Forêt Noire/Mirkwood Campaign. L’idée générale est celle d’une corruption progressive, et parfois assez rapide, de la région dans son ensemble – ce qui se manifeste plus que jamais dans la dégradation du splendide Vertbois le Grand en l'inquiétante Forêt Noire ; car, si le Nécromancien et les siens sont régulièrement chassés de Dol Guldur, ils reviennent toujours, et leurs absences temporaires ne suffisent pas à réparer le mal qui a été fait – à maints égards, la corruption est inéluctable, et le sera encore à l’avenir : les héros ne sauveront pas la région. En outre, la corruption du Nécromancien s’étend au-delà de la seule Forêt Noire : à l’ouest, la Vallée de l’Anduin en subit elle aussi les contrecoups, et nombre des hommes qui y vivent ont plus ou moins fait serment d’allégeance à Dol Guldur, pas forcément en raison d’un tempérament véritablement maléfique, mais souvent par absence de toute alternative.

 

Ces deux trajectoires, pas nécessairement liées, me paraissent les plus importantes – ce qui a son revers : les elfes, dans cette histoire, sont en fait essentiellement en retrait : Vertbois le Grand entier a été leur, mais ils n’ont pu s’opposer avec efficacité au Nécromancien – dès lors qu’ils ont reculé, le mal était fait, et on n’y reviendrait plus. La politique isolationniste de Thranduil, qui s’est replié avec ses sujets dans le Royaume Sylvestre au nord de la forêt, a achevé de graver dans le marbre, ou dans l'écorce, ce déclin funeste…

 

(Les nains sont bien sûr encore moins présents – mais pas totalement absents : ce sont eux qui ont construit jadis la vieille route de la forêt, et leurs allers et retours entre les Monts du Fer et les lointaines Montagnes Bleues ont participé à l’identité culturelle de la région ; quant aux hobbits… j’y reviendrai.)

 

LE GUIDE DU ROUTARD DES TERRES SAUVAGES

 

Le guide couvre onze régions rassemblées sous l’intitulé des « pays de la rivière », et huit autres qui constituent ensemble la Forêt Noire.

 

Chacune de ces dix-neuf régions est présentée de la même manière – avec en tête une carte plus resserrée, qui permet de faire figurer les lieux notables de chaque région (il y en a généralement trois ou quatre pour chaque item).

 

On commence par quelques généralités, qui s’achèvent toujours par des suggestions d’environnement adaptées pour typer les combats, renvoyant au système du Loremaster’s Guide.

 

Ensuite, nous avons quelques brefs développements sur la faune et la flore, puis sur les habitants de la région – cette dernière catégorie est généralement assez brève, s’en tenant à ce stade à des généralités. Les Terres Sauvages sont en tant que telles souvent assez désertes, mais il y a tout de même, autour des berges de l’Anduin, des régions davantage peuplées (tout est relatif, hein...) – au cœur du pays béornide ou de celui des Hommes des Bois, en tout cas ; cependant, des peuples non affiliés peuvent être croisés çà et là… et des brigands un peu partout. Le cas de la Forêt Noire est différent : à l’ouest, il y a certes les Hommes des Bois, et au nord le Royaume Sylvestre – mais tout le reste est inhabité… sinon par des créatures infréquentables.

 

Puis viennent les deux parties les plus développées – relativement équilibrées, cette fois, avec les exceptions des régions où règnent les Béornides, les Hommes des Bois et les Elfes Sylvains, forcément plus détaillées. On commence par quelques PNJ notables, qui peuvent être « bons » ou « mauvais » ; les caractéristiques de ces personnages, quand il y en a, se trouvent généralement dans cette section, à l’exception de celles des créatures (les orques, les araignées…) qui relèvent autrement du « bestiaire », auquel cas, même pour les personnages uniques, il faut se référer au dernier chapitre de ce supplément (plus ou moins bizarrement, les hommes « génériques » tels que les Hommes des Collines du Gundabad ou les Hommes Sauvages de la Forêt Noire figurent également dans le bestiaire seul). On trouve parmi ces PNJ des garants éventuels, y compris parmi les célébrités des Terres du Milieu – mais, dans ce dernier cas, leurs caractéristiques ne sont pas systématiquement mentionnées : à titre d’exemples, nous avons celles de Thranduil, mais pas celles de Radagast – quant à Beorn, nous ne l’avons ici que sous sa (redoutable…) forme d’ours ; je suppose qu’il faut se référer à d’autres suppléments pour le reste – même amoindri, le défaut récurrent de la gamme de L’Anneau Unique, à savoir qu’elle impliquait souvent de jongler avec plusieurs volumes, a laissé quelques traces dans la gamme d’Adventures in Middle-Earth. Ceci dit, en a-t-on vraiment besoin, de ces caractéristiques ? Plus utile, pour nombre de ces PNJ, et pas seulement les stars, nous avons les informations concernant leurs motivations et leurs attentes, qui permettent d’utiliser au mieux le système des audiences – qui me paraissait superflu ou trop compliqué à première vue, mais chaque supplément lu m’incite davantage à en faire finalement usage…

 

Enfin, chaque région a donc ses « lieux notables », mentionnés sur la carte de la région. Ces lieux sont très divers, allant de la ruine étrange au village, en passant par le « donjon » ou la clairière… Pour les plus importants de ces lieux (en termes narratifs s’entend), nous disposons parfois de cartes – mais c’est tout sauf systématique, et je suppose notamment que certaines ont été délaissées parce que figurant, soit dans Wilderland Adventures, soit dans Mirkwood Campaign (et on en revient le cas échéant au jonglage ?) ; le plus souvent, ce sont des lieux « bons » qui bénéficient d’une carte, même s’il y a quelques exceptions (Dol Guldur...).

 

Enfin, dans ces différentes sections, mais surtout dans les deux dernières, on trouve çà et là des amorces de scénarios, généralement intéressantes – mais des amorces, hein, certainement pas des trucs clef en main, ce n’est pas le propos de ce supplément...

 

Quoi qu’il en soit, de manière générale, c’est du très beau boulot – l’idéal pour un supplément de contexte de ce type : il n’y en a, ni trop, ni pas assez. Les apports personnels se mêlent généralement très bien aux informations fournies par Tolkien lui-même. L'ambiance est soignée, tout particulièrement en ce qui concerne la Forêt Noire, dont on appréhende bien qu'elle n'est pas une forêt comme les autres. Enfin, chaque région a son identité propre, heureusement pas au prix de la cohérence globale : c’est un univers crédible, pas un patchwork (à la différence, par exemple, du Cadre de campagne : La Mer Intérieure pour Pathfinder, même si j’avais apprécié la lecture de ce supplément). Oui, du beau boulot, vraiment.

 

QUAND MÊME UN PEU DE CRUNCH

 

Tout supplément de contexte qu’il soit, le Rhovanion Region Guide comprend cependant quelques éléments d’ordre technique – rares, mais qui peuvent avoir leur importance.

 

J’avais déjà relevé que, même si ce n’est pas systématique, on trouvait de temps en temps des caractéristiques pour les PNJ – un bref bestiaire en fin de volume complète ces données éparses, en répartissant les antagonistes par catégories (les périls de la Vallée de l’Anduin, les émissaires de l’Ennemi, les périls de la Forêt Noire ; oui, la deuxième catégorie est à bon droit distinguée des deux autres), aussi bien pour des créatures génériques que pour des « monstres » uniques et nommés (chefs orques ou wargs pour l’essentiel). On découvre donc ici de nouvelles variations sur les orques, mais aussi sur les araignées, des hommes « mauvais » pas entrevus jusqu’alors, et… des trucs plus bizarres, qui pour l’essentiel respectent le canon tolkiénien (je suis un peu sceptique pour certaines choses, comme les basilics, mais pas au point du rejet). À noter, pour les ceusses qui se plaignaient du manque de challenge dans le seul bestiaire du Loremaster’s Guide, ce n’est pas vraiment ce supplément qui répondra à leurs attentes (davantage les recueils de scénarios comme Wilderland Adventures, à vue de nez) : on n’y dépasse que rarement le niveau de challenge 4 – cependant, cela arrive parfois… et les trois araignées nommées de la descendance d’Arachne sont d’un tout autre niveau, c'est peu dire !

 

Comme dit précédemment, certains des PNJ rencontrés peuvent devenir des garants – et les lieux où ils résident des sanctuaires. On trouve çà et là quelques informations permettant de mettre en scène comment les PJ pourraient ouvrir tel ou tel sanctuaire, et rencontrer au moins tel PNJ, dans l’espoir d’en faire peut-être un garant plus tard. Par ailleurs, un nombre non négligeable des sanctuaires potentiels sont associés à des entreprises de la phase de communauté uniques – et c’est vraiment ainsi que cette phase devient enthousiasmante et toujours plus riche. Même si… honnêtement, certaines de ces entreprises n’ont guère d’intérêt. Mais, au moins, il y a du choix…

 

Enfin, relevons que ce guide offre la possibilité d’intégrer au jeu trois nouvelles cultures héroïques – même s’il s’agit surtout de variations sur des cultures existantes pour l’essentiel, ainsi, très clairement, des Hommes des Bois de Castel-Pic (qui ne sont pas très « bois », justement), et des Elfes… Volages ? Je ne sais plus comment ils traduisaient « Wayward »… Une troisième culture est cependant un peu à part : celle des Hobbits Sauvages de la Vallée de l’Anduin ; ils ont assurément davantage de raisons de se trouver ici que leurs lointains cousins de la Comté, mais je ne suis pas certain qu’ils soient très jouables – c’est quand même quelque chose de vraiment à part dans cet univers, un secret pour ainsi dire...

 

PROMENONS-NOUS DANS LES BOIS, TANT QUE LE NÉCROMANCIEN N’Y EST PAS

 

Le Rhovanion Region Guide, comme son modèle le Guide des Terres Sauvages, est donc un très bon supplément de contexte, riche d’informations toujours pertinentes et utiles, sans trop en faire, mais sans jamais qu’il y manque quoi que ce soit.

 

C’est aussi un livre d’une lecture très agréable (du genre qui fait plaisir même quand on n’envisage pas vraiment d’y jouer), en ce qu’il est bien écrit et agrémenté d’illustrations de qualité, bien dans l’ambiance (je regrette juste un peu que certains plans soient en bichromie, généralement rouge sur fond beige, mais c’est vraiment pour pinailler).

 

Je suis donc toujours enthousiaste – d’autant que j’ai lu depuis Wilderland Adventures, que j’ai beaucoup aimé, et dont je vous parlerai très prochainement. À suivre, donc...

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Adventures in Middle-Earth : Eaves of Mirkwood & Loremaster's Screen

Publié le par Nébal

Adventures in Middle-Earth : Eaves of Mirkwood & Loremaster's Screen

Adventures in Middle-Earth: Eaves of Mirkwood & Loremaster’s Screen, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2017, 31 p. + écran quatre volets

L’ÉCRAN DU MAÎTRE DE JEU

 

Je poursuis l’exploration de la gamme d’Adventures in Middle-Earth avec un autre petit supplément +¨matos bonus, après The Road Goes Ever On et ses cartes : cette fois, c’est du traditionnel écran du MJ qu’il s’agit, qui est accompagné d’un livret d’une trentaine de pages consistant essentiellement en un scénario d’introduction, sauf erreur totalement inédit (au sens où il ne s’agit pas de transposer quelque chose qui existait dans la gamme de L’Anneau Unique).

 

Comme parler du scénario impliquera de balancer quelques SPOILERS, autant commencer par le reste. Et d’abord cet écran (en précisant, comme pour The Road Goes Ever On, qu’ayant lu ce supplément en pdf, je ne peux pas juger de la qualité matérielle de cet écran).

 

Il est un peu problématique, à plus d’un titre… Déjà, il reprend, côté joueurs, l’illustration de l’écran de L’Anneau Unique (dans Écran du Gardien des Légendes et Guide de la Ville du Lac – ledit guide, au passage, ayant été intégré pour Adventures in Middle-Earth dans le Loremaster’s Guide), avec le même inconvénient : cette vue de la Ville du Lac est très jolie, mais elle n’est vraiment pas, absolument pas, représentative de l’atmosphère « normale » du jeu, focalisé sur les voyages dans les Terres Sauvages, autant dire des zones où la densité de population est par essence extrêmement faible – Esgaroth est une exception dans cet univers… Cette remarque de bon sens était très répandue du temps du supplément de L’Anneau Unique, mais Cubicle 7 n’en a pas moins simplement repris cette illustration. Dommage…

 

Et côté MJ ? Dans l’ordre, le premier panneau est principalement occupé par la table des attitudes de départ des diverses cultures (probablement très utile), avec en complément la table de la progression de l’Ombre chez les personnages (très certainement inutile sur un écran). Le panneau 2 est presque intégralement consacré aux sources de corruption (OK...), avec aussi un index des règles de référence (admettons). Le panneau 3 est consacré à un récapitulatif des règles spéciales portant sur les voyages, les audiences et la corruption (décidément…), avec aussi un bref listage (pour le coup totalement inutile – c’est un mini-index qui porte sur trois pages seulement du Player’s Guide...) des entreprises de communauté « génériques ». Enfin, le dernier panneau comprend les tables « brutes » pour les jets d’embarquement et d’arrivée lors des voyages, ce qui peut le faire.

 

Et donc, oui : cet écran ne comprend que des éléments propres à la gamme d’Adventures in Middle-Earth – rien ne renvoie à D&D5, là où certaines données du corpus de règles auraient été fort utiles (les états et conditions, notamment). Il semblerait que se posait un problème de licence (impliquant de reproduire toute la licence OGL dans l’écran, un truc comme ça ?), mais du coup cet écran n’est pas forcément des plus pratique en jeu – d’aucuns le doubleront en fait avec l’écran de D&D5, je suppose, une solution pas forcément très ergonomique ni élégante. Enfin, si l’on a besoin d’un écran, en même temps...

 

RÈGLES OPTIONNELLES (OU ERRATA ?) DE CLASSES

 

Rapidement – mais cela peut avoir son importance : ce supplément contient un élément complémentaire qualifié de « règles optionnelles » pour les classes d’érudits et de gardiens ; en fait de « règles optionnelles », certains parlent plus ouvertement d’errata… Il s’agirait d’équilibrer un peu plus ces deux classes – ce qui, globalement, revient en fait à les rendre plus puissantes. Je suppose que cette évolution a été suggérée par des retours d’expérience quant à ce déséquilibre des classes, mais, en même temps, ça me gêne un chouia – j’étais déjà pas fan de la guérison plus ou moins magique dans le Player’s Guide, là l’orientation devient décidément très « guérisseur de Donj ou de meuporg »… Bon, si c’est utile, en pratique, OK, mais...

 

LE SCÉNARIO

 

Généralités inoffensives

 

Et donc, le scénario, Eaves of Mirkwood. Les SPOILERS n’interviendront qu’un peu plus tard, vous pouvez donc lire deux paragraphes supplémentaires de cette chronique sans vous gâcher quoi que ce soit.

 

Il s’agit d’un scénario d’introduction, conçu comme tel – il ne faut donc pas en attendre des miracles de narration, encore que, il y a quelques bonnes surprises à cet égard. Mais l’objet principal de ce scénario, outre donner un premier aperçu de l’ambiance de la gamme, est de présenter en douceur les particularités techniques du jeu – au regard notamment de deux ensembles de règles spécifiques, portant d’une part sur les voyages, et d’autre part sur les audiences ; pour ce qui est des autres systèmes spécifiques, la corruption peut certes commencer d’ores et déjà à ronger les personnages, mais sans que cela nécessite de faire appel à des considérations très techniques, et la phase de communauté peut être envisagée un peu de la même manière (avec une suggestion de garant, ou de pré-garant, quand même bien excessive…). Cependant, même pour ce qui est des voyages et des audiences, les systèmes utilisés ici sont simplifiés – il s’agit d’une première approche.

 

Conséquence notable : puisque des personnages prétirés sont fournis (en fait ceux que l’on retrouve tout au long de la gamme des Terres Sauvages d’Adventures in Middle-Earth comme de L’Anneau Unique en son temps), vous avez dans ce petit livret de quoi faire jouer ce scénario sans vous référer au Player’s Guide (sans même parler des autres suppléments), dès l’instant que vous avez accès au SRD (que vous trouverez par exemple en français sur le site AideDD). Introduction, qu’on vous dit !

 

Dans le détail, SPOILERS inclus

 

OK, maintenant, envisageons plus concrètement ce scénario, avec des SPOILERS, donc.

 

Une première idée est à noter d’emblée : ce scénario se situe à l’ouest de la Forêt Noire, alors que les PJ souhaitent se rendre à Dale (ou probablement d’abord à Esgaroth), attirés qu'ils sont par les opportunités offertes par le décret du roi Bard. Le scénario repose donc sur l’idée que les personnages vont traverser la Forêt Noire, d’une manière ou d’une autre, si on en reste ici pour l’essentiel à la lisière. C’est à prendre en compte si vous souhaitez en faire le point de départ d’une campagne qui se prolongerait par exemple avec les scénarios de Wilderland Adventures (je vous en parlerai très prochainement), dont le premier scénario suppose que les PJ se trouvent à l’est de la Forêt Noire, à proximité du Long Lac – or ce scénario est à son tour conçu comme une introduction, surtout à l’ambiance très particulière de cette forêt hors-normes (qu’il s’agit donc de traverser d’est en ouest). On peut supposer, même en partant seulement de ce dernier scénario, que les personnages, à un moment ou à un autre, ont déjà traversé l’ex-Verbois le Grand, et Eaves of Mirkwood peut donc se montrer utile à cet égard ; cependant, si vous comptez l’employer dans cette optique, qui fait très certainement sens, je vous conseillerais à vue de nez de vous référer également à « Don’t Leave the Path », du coup – un scénario certainement pas parfait, et même un peu problématique, mais qui comprend des éléments d’ambiance très intéressants à mettre en scène : de quoi « gonfler » un peu Eaves of Mirkwood, car les PJ doivent vraiment se rendre compte que cette forêt n’est absolument pas comme les autres ; or Eaves of Mirkwood, en tant que scénario d’introduction, se montre assez peu disert à cet égard, et il serait dommage, si vous comptez aller au-delà, que la Forêt Noire manque autant de caractère, tout particulièrement pour une première exploration. Bon, je suppose que ça se discute, mais, perso, je vois les choses comme ça, et songe en fait à combiner les deux aventures, pour en tirer une introduction un peu plus costaude. Ce qui en changera très probablement la durée : Eaves of Mirkwood, en tant que scénario d’introduction, est vraiment conçu comme un one-shot jouable en trois ou quatre heures (c’est la théorie, mais je n’y arrive jamais, bouhouhou) – associé à « Don’t Leave the Path », c’est forcément plus long...

 

Quoi qu’il en soit, dans Eaves of Mirkwood, les PJ entament donc la traversée de la Forêt par l’ouest, en partant des contrées des Hommes des Bois. Après un peu de préparation, c’est ici que le scénario offre une version simplifiée (considérablement) du système de voyage – du coup, il n’a rien ici d’intimidant, là où la mécanique complète peut facilement tourner au gros machin lourdingue si on n’y prend pas garde. Simplifier est pertinent pour ne pas effrayer – mais, oui, c’est vraiment une première approche, une mise en bouche disons.

 

Dans tous les cas, les personnages sont amenés à croiser la route d’une bande de voyageurs nains aux prises avec des orques – et c’est donc une occasion de tester le système de combat, de manière relativement inoffensive. C’est fait pour.

 

Après quoi les PJ sont amenés à sympathiser avec ces nains – et c’est probablement le moment le plus intéressant du scénario, propice à de sympathiques opportunités de roleplay bien dans l’esprit du Hobbit (bien plus que du Seigneur des Anneaux – c’est approprié pour un début) : les personnages festoient (ils s’en mordront bientôt les doigts), échangent des nouvelles, chantent (on est chez Tolkien, hein !), se livrent à des concours d’énigmes (une aide de jeu en donne douze exemples, généralement assez aisés à transposer en français ai-je l’impression, mais pensez-y à l’avance), et le clou de la soirée est probablement le concours de ronds de fumée, avec table et règles rigolotes à la clef. Tout ça, pour le coup, ne coulait pas forcément de source dans un scénario d’introduction, a fortiori si on est porté à le réduire à sa dimension mécanique, mais il y a de quoi faire, c’est bien pensé et enthousiasmant.

 

Seulement voilà : cet excellent cochon, dont les convives se réjouissent ? Il a été « emprunté » par un des nains, un peu indélicat pour le coup… C’était une offrande en sacrifice, par des Hommes des Bois du coin (rappel, même avec un peu de voyage, nous en sommes encore pour l’essentiel à la lisière de la Forêt de Grand-Peur…), une offrande conventionnelle donc au gros warg du coin, un tyranneau qui les persécute depuis bien trop longtemps. Les Hommes des Bois ont découvert que les nains et/ou les PJ ont volé leur cochon (parlez-moi d’enjeu dramatique ! Et pourtant ça colle parfaitement), et capturent les voleurs en groupe – pas de vraie scène de combat ici, on fait dans le narratif, les joueurs ne peuvent de toute façon pas y échapper, et (peut-être surtout ?) il ne faut vraiment pas leur donner la moindre occasion de tuer un des Hommes des Bois. En fait, même « narratif », ce faux combat, à mon sens, doit être envisagé comme une leçon : vous êtes dans la Terre du Milieu, pas dans un donjon aléatoire, ne faites rien que vous pourriez regretter – vos gestes ont des conséquences, et vous êtes censés, à la base au moins, être des personnages moraux : en fait, il faut vraiment, dans l’idéal, que les personnages ressentent une certaine culpabilité pour le vol du cochon, même s’ils n’en sont pas directement responsables.

 

Les PJ et les nains sont ainsi ramenés au village des Hommes des Bois, où la patronne, Gailavira, va les interroger – et c’est donc l’occasion d’introduire les joueurs au système, un peu simplifié, des audiences. Encore que : en fait de simplification, il est très tentant d’envisager cette scène au prisme des suggestions en la matière du Loremaster’s Guide – d’ailleurs, le scénario propose une table très riche renvoyant aux motivations et attentes de Gailavira. Du coup, là encore, il ne s’agit pas seulement d’aborder un élément purement technique : clairement, il s’agit aussi d’introduire les PJ aux manières et aux modes de pensée des gens qu’ils seront amenés à rencontrer – et à peser, là encore, combien dans cette optique des comportements un peu trop je-m’en-foutistes leur nuiront immédiatement et irrémédiablement. Bien vu !

 

Maintenant, le scénario d’introduction impliquait sans doute un dernier combat, plus velu, si j’ose dire, que celui contre les orques : vous vous en doutez, le warg déboule au pire moment, et les PJ ont ainsi l’occasion, éventuellement, de se racheter, si nécessaire, aux yeux de Gailavira et des siens. Le warg est un antagoniste autrement conséquent que les orques de passage un peu plus haut, et c’est très bien ainsi – cela incite d’autant plus les PJ à tirer parti des options du terrain, ce genre de choses : un combat de cet ordre ne saurait être réduit à « je le tape, il me tape ». Maintenant, si je suis incapable d’en juger moi-même, j’ai lu çà et là des retours d’expérience selon lesquels le warg peut se montrer vraiment dangereux pour des personnages de niveau 1, qui n’ont tout de même pas des masses de PV, et pourraient aisément se faire éliminer en un tour chacun – c’est à prendre en compte, et il faut notamment avoir cet élément en tête quand on envisage, ou pas, d’associer au warg quelques orques ou truc, d’autant que le gros loup s’y connaît en tactiques de meute… Un PNJ dévoré pour l'exemple, éventuellement, peut constituer un avertissement (pas très subtil certes).

 

Mais on va partir du principe que tout est bien qui finit bien : le warg est éliminé, Gailavira pardonne à ses « invités », et en ture vers de nouvelles avenroutes. C’est le bon moment, si jamais, pour placer une phase de communauté : en fait, il est suggéré de permettre aux PJ d’envisager ce village comme un sanctuaire, ou en tout cas Gailavira comme un garant – il n’est jamais trop tôt pour souligner aux joueurs que les sanctuaires, et les garants dans une moindre mesure, sont cruciaux dans une campagne.

 

Cependant, pour ma part, je me passerais certainement de l’ultime suggestion en la matière : faire que les persos, hop ! tombent direct sur… Gandalf, à la fin de ce scénario ! Je trouve ça grotesque, en fait… En clin d’œil à la fin d’une partie isolée et sans conséquences, admettons, mais si vous voulez poursuivre vos aventures au-delà, non, franchement, non. Même si cela pourrait expliquer une traversée sans plus d’encombres de la Forêt Noire pour gagner Esgaroth puis Dale – quelle coïncidence, c’est justement où se rend Mithrandir ! Mf…

 

CONCLUSION

 

Ce tout petit bémol mis à part, et il est vraiment sans importance, Eaves of Mirkwood me paraît faire le job, et plutôt bien. Toutefois, en guise d’introduction à une campagne, je tends donc à croire que ce scénario gagnerait à être un peu plus développé en matière d’ambiance, ce pour quoi « Don’t Leave the Path » pourrait être utile.

 

L’écran, par contre, n’a franchement rien d’indispensable. À vous de voir, donc.

 

Quant à moi, la prochaine étape sera le Rhovanion Region Guide – oui, même si Wilderland Adventures est antérieur dans la gamme : je suis têtu, j’aime avoir mon gros contexte avant de zoomer sur les aventures...

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Adventures in Middle-Earth : The Road Goes Ever On

Publié le par Nébal

Adventures in Middle-Earth : The Road Goes Ever On

Adventures in Middle-Earth : The Road Goes Ever On, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2017, 33 p. + cartes

Le voyage est un thème essentiel des romans de J.R.R. Tolkien figurant les hobbits, et la gamme de L’Anneau Unique s’en faisait brillamment l’écho – le « portage D&D5 » qu’est Adventures in Middle-Earth ne pouvait sans doute pas faire autrement, et The Road Goes Ever On est un petit supplément essentiellement dédié au voyage, visant à faire en sorte que chaque périple se singularise, diffère des autres de telle ou telle manière.

 

Dans la gamme de L’Anneau Unique, c’était l’objet du supplément Journeys & Maps, que je n’ai pas lu. The Road Goes Ever On l’adapte mais pour partie seulement, en mettant en avant le cas échéant d’autres aspects, l’ensemble étant forcément affecté par l’optique quelque peu différente qu’implique D&D5.

 

Le supplément se divise en deux parties : il y a tout d'abord un lot de quatre cartes double face au format poster, représentant non seulement les Terres Sauvages, cadre de base de la gamme, mais aussi l’Eriador, développé ultérieurement pour L’Anneau Unique (avec Fondcombe et Les Vestiges du Nord) et pour Adventures in Middle-Earth (Rivendell Region Guide et Eriador Adventures), le Gondor et le Rohan ensemble (il y a des suppléments de L’Anneau Unique consacrés au Rohan, mais pas encore traduits), et enfin… le Mordor. Bon, en définitive, c’est plus ou moins le découpage en quatre parties de la carte de la Terre du Milieu réalisée par Christopher Tolkien et concluant les divers volumes du Seigneur des Anneaux (même si Gondor et Mordor surtout sont un peu décentrés de manière plus pragmatique). Chacune de ces cartes est livrée sous deux formes, celle destinée aux joueurs, et celle relevant du MJ (avec ses hexagones et ses codes couleurs).

 

Hélas je ne peux pas en dire beaucoup plus ici, du moins quant à la qualité matérielle de ces cartes, dans la mesure où j’ai lu ce supplément en pdf… À vue de nez cela m’a l’air d’être du bon boulot, en tout cas – même s’il faut sans doute relever que, pour deux de ces quatre cartes, la gamme d’Adventures in Middle-Earth ne comprend (pour l’heure) aucun supplément de contexte, ce qui les rend un peu abstraites. Mais ça n’est pas vraiment une critique : ces cartes permettent, le cas échéant, d’extraire les PJ du seul cadre un peu trop contraignant des Terres Sauvages, et à chacun dès lors de faire jouer son imagination, les romans de Tolkien en main – c’est bien l’objet de ces cartes, mais aussi du petit livret qui les accompagne.

 

Celui-ci consiste essentiellement en suggestions, souvent accompagnées de tables de génération aléatoire, pour agrémenter les voyages au travers de rencontres variées. Et cela va bien au-delà de la faune et de la flore, même si ce sont des aspects à prendre en compte – de même que le moment de la rencontre ou le climat à ce moment-là : il y a des tables pour tout cela.

 

La plus longue partie du livret est ainsi consacrée aux personnes rencontrées, avec des tables différentes selon la région traversée et des suggestions de motivations pour chacune de ces rencontres ; c’est très détaillé, et très inspirant, notamment dans la mesure où les auteurs proposent de jouer avec les codes et les clichés afférents à ces diverses rencontres. Un autre chapitre tout aussi inspirant (probablement celui qui m’a le plus intéressé ici, en fait) propose un système de génération de ruines, avec un fort caractère, prenant en compte qui a construit le bâtiment, ce qu’il était initialement, ce à quoi il ressemble désormais et à quoi il sert dès lors.

 

Ceci dit, si les systèmes ici proposés sont supposés permettre de créer un événement sur le pouce, je suis un peu sceptique à cet égard – d’autant plus à vrai dire que le système de voyage d’Adventures in Middle-Earth est déjà assez copieux voire lourd comme ça. Mais jeter quelques dés durant la préparation de la partie permet de faire usage de ces tables sans ralentir le rythme de jeu.

 

Plus loin dans le supplément, mais de manière moins détaillée et sans tables de génération aléatoire, on trouve aussi quelques développements du même ordre portant sur les « merveilles » rencontrées lors des voyages (et, comme je l’avais noté en traitant du Loremaster’s Guide, j’apprécie beaucoup l’idée de faire gagner de l’Inspiration de la sorte, qui me paraît très tolkiénienne), ou sur les habitations où espérer passer une nuit (fermes ou auberge), mais ces dernières n’apportent à peu près rien et les merveilles ne sont pas toujours si merveilleuses, trouvé-je – il y a un fort contraste, ici, entre les développements très poussés consacrés aux individus rencontrés et aux ruines d’une part, et d’autre part ces derniers ajouts un peu trop hâtifs et creux.

 

Maintenant, si de la sorte on ne fait pas dans le monstre aléatoire typiquement donjonneux, avoir des antagonistes sous la main peut toujours s’avérer utile, à balancer sur des PJ jouant de malchance ou un peu trop imprudents (à moins qu’il ne s’agisse de dynamiser un peu une séance, tout connement). Le livret propose dès lors six groupes d’adversaire (wargs et gobelins comme trolls ou araignées) avec le cas échéant un minimum de background, pour des challenges ajustables en fonction du niveau de la compagnie – un système assez bien pensé, pour le coup.

 

Mais l’optique davantage martiale d’Adventures in Middle-Earth, because of que D&D5, par rapport à L’Anneau Unique, me pose un tantinet problème, et il me faudra réfléchir, avec mes joueurs, sur ce que nous souhaitons exactement ; dès lors, les règles ici proposées pour éviter l’affrontement (et en retirer quand même de l’expérience) sont bienvenues sous cet angle, même si, honnêtement, on n’avait peut-être pas besoin de lire ce système couché noir sur blanc pour en faire de soi-même usage.

 

Tant qu’on y est, ce supplément propose aussi des règles pour récompenser les PJ en expérience au travers des voyages, et pas seulement des affrontements. Et c’est très bienvenu. L’idée de récompenser les persos en XP en fonction de leur seul body count, à la Donj’ dans son versant le plus brutal, me paraît totalement absurde dans ce contexte (voire au-delà) et archaïque. Et j’avais regretté que le Loremaster’s Guide ne fournisse pas la moindre indication à cet égard… The Road Goes Ever On y remédie donc pour partie, avec ces deux systèmes. Un plus indéniable, même s'il y a probablement encore du boulot.

 

Relevons enfin une petite option amusante, si pas cruciale, qui permet aux PJ de développer un rapport particulier avec un lieu – que ce soit qu’ils jurent de ne plus jamais y remettre les pieds (« Dooms of Departure », mais attention, cela doit affecter soit le pays natal du héros, soit un Sanctuaire – et les conséquences peuvent donc être redoutables), ou qu'ils font la promesse à un autre PJ d’y revenir en sa compagnie (« Oaths of Return », qui débouchent sur une Entreprise de la Phase de Communauté).

 

La question matérielle des cartes mise à part, dont je ne peux juger, The Road Goes Ever On s’avère un supplément très sympathique, même si probablement dispensable. J’ai beaucoup aimé, surtout, les développements visant à singulariser les rencontres, et le système de génération de ruines. Même s’il reste du travail dans ce registre, que le livet offre des systèmes pour gagner de l’expérience en dehors des seuls combats est très appréciable. Le reste est plus ou moins utile, mais globalement bien fait.

 

Voilà : très sympathique, mais assurément dispensable.

 

Prochaine étape dans l’exploration de la gamme d’Adventures in Middle-Earth : Eaves of Mirkwood & Loremaster’s Screen.

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Adventures in Middle-Earth : Loremaster's Guide

Publié le par Nébal

Adventures in Middle-Earth : Loremaster's Guide

Adventures in Middle-Earth : Loremaster’s Guide, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2017, 155 p.

UN GUIDE DU MAÎTRE UTILE ?!

 

Il y a eu une interruption plus longue que prévue, mais j’en viens enfin à ma deuxième chronique de la gamme Adventures in Middle-Earth (dont la traduction française a été entamée par Edge), avec le Loremaster’s Guide.

 

Classiquement, ce titre oppose un « guide du maître » à un « guide du joueur », un découpage fréquent dans nombre de jeux de rôle, mais dont je ne suis pas toujours certain de la pertinence. De fait, certains éléments, ici, et finalement assez nombreux, auraient très bien pu figurer dans le Player’s Guide, tandis que d’autres, dans ce premier supplément, auraient peut-être été davantage à leur place ici (en notant au cas où que le présent supplément est plus court que son prédécesseur, d’une soixantaine de pages). Que ce soit dans un sens ou dans l’autre, la distinction en deux volumes ne me paraît pas toujours très sensée – à titre d’exemple, les règles sur le voyage ou sur les audiences auraient sans doute gagné à être rassemblées dans un seul supplément, évitant dès lors de jongler entre les volumes (les pdf en ce qui me concerne) ; cela me paraît tout particulièrement vrai des développements concernant les audiences, ici, qui, dès l’instant que l’on compte faire usage de ce système, me paraissent à vrai dire indispensables et auraient donc dû être associés à la base du système dès le départ, que l'ensemble figure dans un livre ou dans l'autre.

 

Ceci étant, les « guides du maître », dans cette optique… Mouais. Je ne suis pas toujours persuadé de leur utilité. À vrai dire, je tourne autour du Dungeon Master’s Guide de D&D5 depuis pas mal de temps, et, à le feuilleter, je finis toujours par me convaincre de ce que je n’ai vraiment pas 50 € à mettre là-dedans (a fortiori avec le SRD accessible gratuitement ?). Pour autant, envisager le Loremaster’s Guide d’Adventures in Middle-Earth de la même manière serait sans doute une erreur ; si ce supplément n’est pas exempt de toutes critiques, et j’en formulerai quelques-unes en temps utile, il se montre globalement très bien pensé, intéressant, et utile – pas toujours au plan de la technique par ailleurs, mais utile. En faire un supplément indispensable serait peut-être un chouia excessif, mais il présente assurément un intérêt, et est globalement très recommandable.

 

En ajoutant par ailleurs qu’il est d’une lecture agréable et très joliment illustré – davantage que le Player’s Guide à vue de nez (qui se montrait bien plus inégal), et avec ces teintes souvent un peu mornes typiques de la gamme de L’Anneau Unique et qui collent si bien à l’ambiance de l’univers tolkiénien.

 

Il faut d’ailleurs noter que nombre d’éléments, ici, sont comme de juste repris de la gamme de L’Anneau Unique, la gamme Adventures in Middle-Earth étant une adaptation de celle-ci à D&D5 – mais ce sont plusieurs suppléments qui sont en jeu, et les spécificités techniques de D&D5 suscitent en même temps un contenu largement voire totalement inédit dès l’instant que la mécanique est en cause.

 

RÉFLÉCHIR SUR LA TERRE DU MILIEU

 

Mais l’intérêt du Loremaster’s Guide dépasse donc largement le seul champ technique. Reproduisant d’une certaine manière le très beau travail d’adaptation toujours sensible dans la gamme de L’Anneau Unique, mais, ai-je l’impression, en l’approfondissant encore, ce « guide du maître » comprend nombre de développements visant à réfléchir au préalable à ce qu’est la Terre du Milieu, pour en dériver des outils narratifs, des ambiances, etc., qui permettent à l’ensemble de la table de vraiment ressentir et intégrer tout ce qui fait la spécificité de cet univers.

 

Un bref chapitre intitulé « Before the play » se montre tout particulièrement utile à cet effet – et, pour le coup, les joueurs, pas seulement le MJ, doivent bien l’intégrer, en ce qu’il est constitutif d’une part non négligeable du « contrat social » préalable à toute partie : on insiste, par exemple, sur le fait que les voyages doivent être épuisants, ou qu’il faut sentir le passage des années, que le bien absolu et le mal absolu existent, même si les nuances de gris sont plus fréquentes, ou encore – ce qui peut sembler une hérésie pour certains donjonneux, je suppose – que les héros, s’ils sont bel et bien des héros, ne seront pas ceux qui terrasseront l’Ennemi : tout au plus peuvent-ils espérer un bref répit, une paix armée, qui représente à vrai dire déjà beaucoup.

 

Mais ce travail de réflexion préalable sur ce qu’est la Terre du Milieu va bien au-delà, et imprègne d’une certaine manière tous les chapitres de ce Loremaster’s Guide. À titre d’exemple, les règles sur l’épuisement ou sur l’Inspiration, dans les développements liés à la Phase d'Aventure, en jouent pleinement : l’attrition des longs voyages, renforcée par l’impossibilité théorique d’un long repos en dehors d’un Sanctuaire, en témoigne à sa manière, mais tout autant les règles concernant l’Inspiration, qui jouent sur la beauté des paysages aussi bien que sur le sentiment de communauté.

 

Il en va de même pour une brève mais très pertinente étude de « l’économie » de la Terre du Milieu : il s’agit d’un monde où la fortune pécuniaire a quelque chose de vulgaire, et où l’idée même d’acheter quelque chose, quoi que ce soit, fonction des régions et des cultures, peut avoir quelque chose d’un peu suspect (au mieux). On insiste sur le fait que, dans les romans de hobbits, les héros n’achètent quasiment jamais rien, ou, quand ils le font, c’est hors-champ – une incitation marquée, dans le cadre d’Adventures in Middle-Earth, pour réserver ces tractations un peu sales à la Phase de Communauté. Par contre, le don y a une grande importance, qu’il soit spontané ou davantage inscrit dans une sorte de rapport féodal, économique assurément mais non monétaire, par exemple typique du Rohan ou éventuellement des Hommes des Bois, mais je suppose qu’il peut aussi y avoir de ça dans les fermes au nord de Dale. Certes, il y a des commerçants en certains endroits des Terres Sauvages (Dale justement, Esgaroth de toute évidence) ou au-delà (Bree, probablement), et on peut çà et là croiser des artisans nains qui offrent leurs services – mais, au fond, ce n’est pas la norme dans la Terre du Milieu. Et c’est une dimension à prendre en compte : des amateurs de Donj’ qui perpétueraient dans les Terres Sauvages leurs habitudes des Royaumes Oubliés ou que sais-je (sans même parler des meuporgs…), et qui se précipiteraient sur les cadavres de leurs adversaires pour le loot, seraient très, trèèès mal vus de la plupart des représentants des Peuples Libres du Nord (ah, au fait : il n’y a absolument aucune raison pour que cet orque que vous venez d’abattre d’une flèche dans le dos, salauds, ait une bourse contenant des pièces d’or – qu’est-ce qu’il en ferait, bon sang ?!). Quand bien même : le loot, ça pèse – et si je n’ai aucune envie de m’embêter avec des règles d’encombrement, je relève à quel point les personnages ne sauraient se promener avec leurs mille et une trouvailles sur le dos, tandis que même de simples pièces d’or, à force, pèsent leur poids au point du handicap – on fait la remarque, par exemple, que les héros des romans de hobbits, régulièrement, préfèrent cacher un trésor sur lequel ils sont tombés pour le récupérer éventuellement plus tard, mais ne songent pas un seul instant à charger inconsidérément leurs sacs à dos sinon leurs poneys, à la veille de faire l’ascension du Haut Col… Ce qui paraît compréhensible, hein ? Ceci étant, ce rapport à l’économie, très intéressant, n’est pas sans susciter des difficultés que j’avais déjà relevé dans le Player’s Guide : au regard du principe même de la progression de l’Ombre dans Adventures in Middle-Earth, la classe de Chasseur de trésors est-elle vraiment jouable ? Peut-être, mais ça impliquera sans doute de complexes numéros d’équilibrisme – et le « mal du dragon » devra aussi être pris en compte au-delà, les personnages nains y étant peut-être un peu plus sensibles que d’autres…

 

Même le combat suscite ce genre de réflexions sur la base du contenu des œuvres de J.R.R. Tolkien : les affrontements dans les romans de hobbits sont analysés, et on en déduit des aspects qu’il serait sans doute bon d’intégrer dans les batailles rôlistiques – par exemple, quand le combat ne peut plus être évité, il tend à contraindre les personnages à adopter une posture défensive, d’autant que le terrain avantage systématiquement les adversaires, et aucune porte de sortie n’est envisageable, ce genre de choses. Dès lors, les règles proposant de déterminer les effets de l’environnement sur un affrontement ne se contentent pas de complexifier la bataille (absurdement le cas échéant), mais, bien gérées, elles doivent renforcer l’imprégnation des spécificités tolkiéniennes.

 

Et il en va de même pour ce qui est de la magie : l’idée même de la magie chez Tolkien est analysée, pour en déduire une réponse plus nuancée que d’usage – la magie est là, en fait, et pas seulement (comme j’ai malgré tout tendance à l’envisager) réservée aux plus puissants des personnages, résolument « non humains » (les istari, les nazgûl, les plus puissants des elfes, Aragorn) ; seulement, elle ne s’exprime pas comme telle, elle a ses limites, et elle ne résulte pas, jamais, d’un apprentissage académique. Il est certain que les boules de feu n’ont pas leur place dans l’univers de la Terre du Milieu, et pas davantage le poing de Bigby – mais cela tient sans doute à ce que la magie tolkiénienne ne crée rien qui ne soit déjà là. Pour autant, les personnages peuvent avoir des aptitudes que, vues de loin, nous serions à bon droit tentés de qualifier de « magiques », et il en va de même (et probablement surtout) de certaines armes et armures, ou autres artefacts des temps anciens – simplement, leur usage « magique » doit être intégré dans le roleplay, et, techniquement, peut exiger la dépense d’un DV, laquelle dépense autorisera le joueur, sous le contrôle du MJ, à proposer une altération de la scène qui aurait été impossible sans magie. Le guide contient enfin une liste des sorts de D&D5 qui pourraient être aisément transposés dans la Terre du Milieu, mais, honnêtement, je ne compte pas faire usage de cette option : à ce stade, et en autorisant des classes de jeteurs de sorts, on s’éloigne par trop du canon tolkiénien, au point où cette réflexion nuancée n’a plus aucun sens… L’hypothèse est évoquée, mais avec un profond scepticisme, et je vais assurément faire dans l’orthodoxie, ici, comme à peu près tout le monde sans doute (tordre l’univers tolkiénien pour autoriser les boules de feu me paraît absurde – il y a d’autres univers pour ça).

 

Quoi qu’il en soit, un beau travail d’adaptation, théorique comme pratique, a été accompli, et c’est à mes yeux un des atouts majeurs de ce Loremaster’s Guide.

 

UN PEU (PAS BEAUCOUP) PLUS DE CONTEXTE

 

Il contient en outre des éléments de contexte plus « directs », dans un chapitre intitulé « Setting and the Tale of Years », que l’on peut distinguer en trois parties.

 

La première consiste en un guide essentiellement géographique, mais très lapidaire. Ce n’est pas là que le supplément se montre le plus utile : on développe un peu plus que dans le Player’s Guide, mais pas des masses non plus – l’ensemble constitue un entre-deux sans doute pas très satisfaisant, appelant à des développements autrement plus copieux et précis dans des suppléments de contexte dédiés, comme au premier chef le Rhovanion Region Guide et plus récemment le Rivendell Region Guide (transpositions, respectivement, du Guide des Terres Sauvages et de Fondcombe) ; en l’état, c’est donc d’une utilité relativement limitée – d’autant que les régions en dehors des Terres Sauvages sont très, très vite expédiées.

 

La deuxième partie de ce chapitre est davantage utile – mais elle n’est probablement pas suffisante, là encore, pour une campagne au long cours : il s’agit d’une chronologie relativement détaillée, qui permet à la fois d’évaluer les connaissances des personnages sur les temps anciens (mais relativement : la date la plus antique correspond à l’an 1050 du Troisième Âge !) et leur savoir peut-être plus précis des événements récents (soit, pour point de départ, le début du Hobbit), et d’envisager ce qui se passe à l’échelle de la Terre du Milieu au moment où les personnages jouent – pas cependant jusqu’à la Guerre de l’Anneau, loin de là : en fait, si la campagne est censée débuter en l’an 2946 du Troisième Âge, la date la plus avancée ici… est seulement l’an 2951, en gros quand Sauron se révèle en Mordor. Et pour le coup c’est sans doute trop léger – maintenant, je suppose que Rhovanion Region Guide ou Mirkwood Campaign (transposition de Ténèbres sur la Forêt Noire, campagne supposée durer trente années environ) complèteront utilement cette première approche, et éventuellement plus tard Rivendell Region Guide (comme l’avait fait Fondcombe pour L’Anneau Unique). Quoi qu’il en soit, en l’état, dans chacune de ces trois catégories, on distingue aisément ce qui est notoire et probablement connu de tous, et ce qui ne sera éventuellement connu que de quelques personnages bien typés, eu égard par exemple à la culture dont ils sont originaires (les nains en sauront logiquement beaucoup plus sur la guerre qui les a opposés aux orques qu’un hobbit qui n’est jamais sorti de la Comté, etc.)

 

La troisième et dernière partie, enfin, consiste en une description davantage détaillée de la Ville du Lac – essentiellement reprise de l’Écran du Gardien des Légendes et Guide de la Ville du Lac pour L’Anneau Unique. Je l’envisagerais aujourd’hui de manière plus positive, là où je me sentais un peu frustré à l’époque de ma lecture de ce premier supplément : il y a ce dont on a besoin, a fortiori en début de campagne, Esgaroth étant un point de départ idéal, et, théoriquement, le premier Sanctuaire ouvert aux PJ (avec les premières Entreprises « spécifiques » de la Phase de Communauté, du coup).

 

Maintenant, ce n’est clairement pas au regard de ces éléments de contexte que ce Loremaster’s Guide brille vraiment : ici, le sentiment persiste qu’il manque quelque chose…

 

COMPLÉTER ET APPROFONDIR LE GUIDE DU JOUEUR

 

Le Loremaster’s Guide, par ailleurs, complète le Player’s Guide sur bien des points notamment techniques, et c’est là qu’à l’occasion je regrette un peu le découpage en deux volumes – car les « options » ici présentées sont tout de même fort utiles. Il y a quelques indications d’ordre général (incluant par exemple le multiclassage), mais le gros de ces compléments porte sur trois sujets d’importance : les voyages, les audiences et la Phase de Communauté.

 

Concernant les voyages, par exemple, nous envisageons ainsi la question des repos, avec comme dit plus haut le refus de principe des longs repos sur la route – cela dit, diverses options sont proposées pour gérer cette difficulté et pour agrémenter les étapes du voyage de sorte à les rendre uniques. Mais l’apport le plus notable est peut-être le système permettant de créer sa propre table d’événements pour des voyages précis ; bien évidemment, cela doit être mûrement réfléchi avant la partie, mais il y a de quoi en tirer des choses intéressantes.

 

Pour ce qui est des audiences, j’avais avancé, au sortir de ma lecture du Player’s Guide, que je ne pensais pas faire usage de cette mécanique pour ma part, si ce n’est a minima, la trouvant un peu trop lourde de manière générale et redoutant qu’elle ne vienne nuire à la spontanéité du roleplay. Ici, le Loremaster’s Guide me confronte à mes contradictions, je suppose, car, en précisant encore la mécanique, et en présentant donc le risque de l’alourdir d'autant plus, ce supplément apporte des « options » qui auraient probablement dû figurer dans la mécanique de base, en envisageant les motivations et les attentes des PNJ à même de figurer dans des audiences – après lecture, ça me paraît un aspect essentiel de cette mécanique. Encore une fois, je doute d’en faire usage moi-même, mais, bizarrement peut-être, si je devais tenter la chose, je ne me contenterais pas d’un entre-deux un peu fade, et préfèrerais interpréter ce système de la manière la plus complète.

 

Il faut par ailleurs noter que le chapitre consacré aux audiences est en outre associé à une liste de PNJ génériques relativement complète, et bien loin de s’en tenir seulement aux participants aux audiences. C’est tout à fait bienvenu, sans doute même peu ou prou indispensable – par contre, il ne s’agit bien que de profils génériques : n’espérez pas trouver ici les caractéristiques des grands de ce monde, les Garants les plus emblématiques, ils n’y sont pas ; mais il y a par contre de quoi figurer des Garants « de second ordre », expression pas très heureuse car ils peuvent jouer un rôle fondamental dans une campagne.

 

Tout à la fin de l’ouvrage, on trouve divers éléments concernant la Phase de Communauté. Les premiers sont assez théoriques ou abstraits, qui envisagent, outre les possibilités alternatives que le groupe demeure soudé lors de cette étape ou préfère se disperser temporairement, le sens de cette Phase et l’importance des Sanctuaires, en insistant particulièrement sur leur caractère absolument vital pour les PJ – ils doivent donc très vite se rendre compte de ce que cela implique au juste (cette insistance laissant à vrai dire supposer que c'est là une difficulté rencontrée par bien des tables en playtest ?). Les différents usages des Sanctuaires sont ainsi analysés, et on commence à envisager des Entreprises ne figurant pas dans le Player’s Guide – cela dit, comme dans ce dernier, on fait encore ici dans le générique : les Entreprises propres à chaque Sanctuaire seront en toute logique envisagées dans les suppléments traitant spécifiquement de ces Sanctuaires. Je dois avouer être un peu sceptique quant aux Entreprises ici proposées – en tout cas celles concernant le gain d’une Vertu ouverte ou même culturelle… Bon, verra bien – et ce sera aussi l’occasion d’envisager des Garants concrets, car, décidément, on ne les trouve toujours pas ici.

 

Il y a cependant une lacune bien plus problématique à mon sens – la question de l’expérience est expédiée en deux petits paragraphes, qui disent en substance : « Faites ce que vous voulez, cela dépasse l’objet de ce supplément. » Sérieux ? Le sujet de l’expérience dépasse l’objet d’un supplément supposé contenir tout ce dont a besoin le MJ de manière générale ? Qui plus est dans un univers où l’on se doute qu’idéalement l’attribution de l’expérience doit être passablement différente de celle qui a cours dans du D&D5 lambda ? Je ne m’explique pas cette absence, franchement : s’il y a une lacune dans le Loremaster’s Guide, c’est bien celle-ci…

 

ENVIRONNEMENTS DE COMBAT ET BESTIAIRE

 

Le plus long chapitre du Loremaster’s Guide, de manière très donjonneuse, porte sur le combat. Mais, toute blague à part, il témoigne là encore d’un beau travail d’adaptation au contexte tolkiénien : ouf ! D’ailleurs, ainsi que je l’avais relevé plus haut, la base de tous ces développements consiste en une analyse assez fine de ce qui rend les combats uniques dans les romans de hobbits.

 

Un de ces aspects, crucial, est l’environnement. Le Loremaster’s Guide propose dès lors plusieurs options pour typer les environnements précis dans un contexte plus général, et éventuellement y faire intervenir des éléments relevant de « l’atmosphère » et du climat. Chacune de ces options peut déboucher sur des règles spéciales – ainsi, se battre sur une falaise dans les contreforts des Monts Brumeux l'hiver sera très différent d’affronter des araignées au cœur de leur toile dans la Forêt Noire et en pleine nuit, tandis qu’une ruine elfique isolée pourra à son tour présenter des spécificités la distinguant d’une ferme abandonnée suite à un raid orque. Ces éléments peuvent être déterminés aléatoirement, avec un système de tables plutôt bien conçu (même si occasionnellement redondant, mais c’est que tel élément de décor, un bosquet par exemple, pourra être rencontré dans bien des environnements autrement très distincts, là où les grandes toiles d’araignée endémiques au cœur de la Forêt Noire ne feraient guère de sens en plein Rohan) ; mais je suppose qu’il vaut mieux employer ces outils avant la partie, de crainte là encore de ralentir le jeu et de nuire à sa spontanéité. Quoi qu’il en soit, manié correctement, ce qui peut demander un peu d’expérience, ce système doit être en mesure de procurer exactement ce pourquoi il figure dans ce supplément : des expériences de combat variées.

 

La deuxième partie de ce chapitre consiste en un petit bestiaire des Terres Sauvages – c’est en effet bien cet environnement qui est privilégié, conformément à la gamme originelle de L’Anneau Unique : il s’agit pour l’essentiel d’une transposition, du coup. On y trouve de nombreuses variétés d’orques, avec les orques du Mordor en catégorie séparée, puis quelques araignées de la Forêt Noire, des trolls, des loups et autres wargs, des loups-garous et des vampires (le genre grosses chauve-souris, pas Dracula). Ce qui est bien fait… mais tout de même un peu frustrant : on en fait relativement vite le tour, et la variété n’est pas exactement au rendez-vous.

 

J’ai lu çà et là des chroniques se plaignant de ce qu’il ne figure pas dans ce supplément des profils d’antagonistes davantage redoutables : le plus fort ici est probablement le Loup-Garou de la Forêt Noire, mais il ne présente semble-t-il rien d’insurmontable pour des PJ de niveau même seulement intermédiaire (ce que je serais bien en peine d'évaluer de moi-même) – alors untel réclamait un dragon, tel autre un nazgûl, tel autre carrément le balrog de la Moria… Ce n’est pas vraiment mon approche, et l’absence de ces gros bilous ne me frustre en rien : je ne crois pas que les héros d’Adventures in Middle-Earth, à la différence de leurs contreparties plus classiquement donjonneuses, doivent être en mesure, même à niveau relativement élevé, de casser de la tarasque au p’tit déj’. Maintenant, L’Anneau Unique donnait l’impression d’une forte adversité globale, dont j’espère qu’elle a été prise en compte dans Adventures in Middle-Earth, sans vraie garantie cependant – peut-être faut-il à ce compte-là renforcer les monstres plus basiques, histoire précisément de ne pas avoir à faire péter tous les quatre matins l’ersatz improvisé de Smaug le Doré, qui n'a tout simplement pas lieu d'être.

 

Il est cependant une absence qui m’embête bel et bien, dans ce bestiaire très restreint, et c’est celle des morts-vivants – qui me paraissent pouvoir être employés assez largement sans nuire pour autant à la cohérence du canon tolkiénien, et sans jouer le jeu de la montée en puissance que le système de progression par niveaux de D&D5 tend peut-être à favoriser (un préjugé de ma part ?). Certes, les morts-vivants, dans la gamme de L’Anneau Unique, n’ont été introduits qu’assez tardivement, dans le supplément Fondcombe, et on les a dès lors considérés comme plus caractéristiques de l’Eriador que des Terres Sauvages – là où les araignées de la Forêt Noire n’auraient rien à faire dans les environs du Mont Venteux. Sans doute, mais la présence des fantômes, etc., ne me paraît pas inenvisageable pour autant dans les Terres Sauvages, loin de là (il y a bien des gens qui y meurent dévorés par la corruption, après tout…), et je crois qu’ils auraient vraiment complété utilement ce petit bestiaire qui, à ce stade, a du coup quelque chose d’une ébauche… Je suppose qu’il faudra attendre le Rivendell Region Guide pour avoir de vrais développements concernant spectres et compagnie, du coup ? On verra bien.

 

Dans l’immédiat, la troisième et dernière partie de ce long chapitre contient quelques outils devant permettre, idéalement, de combler les lacunes du bestiaire – que ce soit en termes de puissance des antagonistes, ou de leur variété. Il s’agit en effet d’une longue liste de capacités spéciales des créatures, avec des sous-catégories bienvenues, de types comme de puissance. Il ne s’agit pas d’un système clef en main pour créer des adversaires, il n’y a pas de règles pour ce faire – il s’agit plutôt d’un catalogue de traits personnalisant les ennemis des PJ pour qu’ils soient un peu plus que des orques lambda, tous indifférenciés. Certains traits sont relativement communs, de l’aura de commandement des chefs orques à la frousse pathologique des plus petits gobos, mais d’autres se montrent plus spécifiques et astucieux, renvoyant le cas échéant directement aux romans de hobbits : les trolls, par exemple, peuvent faire mumuse avec leur sac… C’est intéressant, tout ça – même si un vrai système de création de « monstres », en complément, voire en base à ce stade, aurait tout de même été sacrément bienvenu.

 

CRÉER DES TRÉSORS

 

Me reste un dernier point à envisager, qui est très lié à ce que j’ai pu dire de la manière de prendre en compte la magie, mais aussi l’économie, dans Adventures in Middle-Earth ; il s’agit, pour l’essentiel, de se pencher sur les objets merveilleux, et les armes et armures légendaires (avec comme une coda sur la guérison magique : vous n’êtes pas censés pouvoir boire des potions rouges qui vous refilent des PV lors de vos périples dans les Terres Sauvages – mais diverses préparations sont quand même envisagées, qui, heureusement, concernent généralement plus les niveaux d’épuisement que la restauration de PV ou de DV à proprement parler, ou alors avec des limites marquées, et c'est tout à fait pertinent dans le contexte des voyages).

 

L’intérêt de ce chapitre, cependant, est qu’il ne consiste pas tant en une liste d’objets magiques, comme dans un bon vieux Guide du Maître, mais plutôt en indications permettant de les créer soi-même, et qui renvoient au supplément Fondcombe pour L’Anneau Unique.

 

J’ai évoqué tout à l’heure comment ces objets pouvaient bel et bien exprimer une forme de magie cohérente avec l’atmosphère de la Terre du Milieu au prix d’un peu d’imagination de la part des joueurs, et de la dépense d’un DV.

 

Mais un point essentiel porte sur le fait que ces objets (jamais achetés, donc, mais éventuellement hérités ou « trouvés », avec la suggestion marquée de faire un index associé aux PJ, comme dans Fondcombe là aussi) sont par essence très rares, très vieux, et aussi très mystérieux, même si, en même temps, ils ont une histoire – enquêter sur cette histoire, le cas échéant, permettra d’identifier des pouvoirs dont le personnage n’avait pas conscience. Par ailleurs, la capacité du personnage à appréhender les facultés magiques d’un artefact de ce type progressera en même temps que lui, en révélant, par paliers, des attributs qui étaient jusqu’alors « dormants » : en somme, plus un personnage est puissant, plus son objet magique l’est – une progression pertinente au regard du caractère épique de ces personnages comme de ces objets.

 

Concernant les armes et armures, il faut aussi relever que l’origine de ces objets a une grande importance : les armes elfiques des Premier et Deuxième Âges n’ont pas les mêmes attributs exactement que celles conçues par les artisans humains d’Ouistrenesse, ou le fruit du travail des nains du temps de Nogrod et Belegost. D’ailleurs, les armes elfiques ou núménoréennes peuvent avoir une qualité particulière, appelée « Bane », et qui invite à désigner un ennemi particulier (par exemple, les orques) : les effets magiques peuvent s’appliquer uniquement à cet ennemi, mais pas seulement en termes de dégâts – quand Dard, l’épée de Bilbon puis de Frodon, luit d’une lumière bleutée lorsque des orques sont tout proches, c’est un attribut qui, en termes de jeu, relève de la qualité magique « Bane ». Et, par la même occasion, c’est une bonne illustration de comment fonctionne la « magie » dans la Terre du Milieu.

 

Ce système est très bien conçu, et il y a de quoi en tirer des choses très intéressantes – comme pour Fondcombe dans le contexte de L’Anneau Unique, le Loremaster’s Guide d’Adventures in Middle-Earth se révèle très pertinent à cet égard, en évitant l’écueil des listes typiquement donjonneuses, que l’on pouvait redouter tout particulièrement (enfin, moi, en tout cas) dans le contexte de ce portage D&D5.

 

OUI, UN GUIDE DU MAÎTRE UTILE

 

Ce Loremaster’s Guide n’est certainement pas exempt de défauts, et quelques lacunes çà et là sont un peu regrettables… Rien de rédhibitoire cela dit, et ce supplément emporte l’adhésion par ses qualités diverses, au premier rang desquelles le très beau travail d’analyse et d’adaptation réalisé sur la base des romans de hobbits. C’était l’atout majeur de la gamme de L’Anneau Unique, avec certes des lourdeurs qui lui sont propres, et le Player’s Guide d’Adventures in Middle-Earth me paraissait beaucoup moins approfondi et ciblé à cet égard – par chance, ce Loremaster’s Guide inverse la proposition, en témoignant d’une réflexion pertinente autant que subtile, ce qui me rassure considérablement. En fait – et cela tient peut-être à ce qu’il s’agit d’un jeu D&D5, car le Player’s Handbook m’avait plutôt surpris et séduit à cet égard –, ce supplément se montre plus explicite ici que toute la gamme de L’Anneau Unique, sans pour autant être, ni lénifiant, ni pontifiant.

 

Du beau travail, vraiment – pour une lecture aussi agréable qu’instructive et stimulante. Sans être nécessairement indispensable, ce supplément se montre bel et bien utile et convaincant.

 

Prochaine étape de mon exploration de la gamme : The Road Goes Ever On. À bientôt…

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L'Anneau Unique : Erebor – Le Mont Solitaire

Publié le par Nébal

L'Anneau Unique : Erebor – Le Mont Solitaire

L’Anneau Unique : Erebor – Le Mont Solitaire, [The One Ring: Erebor–The Lonely Mountain], Edge, 2017, 112 p.

L’ANNEAU UNIQUE ET AVENTURES DANS LA TERRE DU MILIEU

 

La gamme de L’Anneau Unique, au développement relativement lent, a été encore ralentie par la mise en avant de son portage D&D5 intitulé Aventures en Terre du Milieu, en français (où la traduction des deux premiers titres de cette dernière gamme est encore toute récente) comme en anglais – ceci dit, il reste plusieurs suppléments anglais de L’Anneau Unique non encore traduits, comme les deux consacrés au Rohan (dont j’ai eu des échos plutôt négatifs, pour une fois) ou celui qui porte sur Bree. En français, le présent volume, Erebor – Le Mont Solitaire, est à cette date la dernière traduction dans cette gamme, et date de quelque chose comme un an à un an et demi ; Edge, qui s’occupe également d’Aventures dans la Terre du Milieu, a semble-t-il promis de ne pas délaisser totalement la gamme de L’Anneau Unique, mais on se doute que les traductions ne vont pas débarquer tous les quatre matins…

 

Et je n’en dirai probablement pas beaucoup plus sur ce blog : même avec un certain nombre de réserves, dont je n’ai pas fait mystère, je vais moi aussi suivre le mouvement général, et privilégier Aventures dans la Terre du Milieu – à l’heure où mon vieux fantasme de campagne tolkiénienne sur la base de Ténèbres sur la Forêt Noire semble enfin commencer à se concrétiser : j’espère pouvoir lancer ça début 2019, après avoir fait un peu de Barbarians of Lemuria d’ici-là (la saga commence ici). Il y a donc de fortes chances pour que ce supplément soit le dernier de la gamme de L’Anneau Unique dont je traiterai ici (à moins que des suppléments communs aux deux gammes ne sortent, et c’est semble-t-il ce qui est prévu pour la Moria ?).

 

ENFIN ?

 

Mais ce n’est pas n’importe quel supplément. À vrai dire, c’en est un dont l’absence jusqu’alors avait quelque chose… d’une anomalie ? La campagne « classique » de L’Anneau Unique débute au pied du Mont Solitaire : la proclamation de Bard, roi de Dale reconstruite, est un bon prétexte pour rassembler une compagnie, et la Ville du Lac, ou Esgaroth, à peine un peu plus au sud, est théoriquement le premier Sanctuaire ouvert. Le Mont Solitaire est là, juste à côté, mais il n’avait jusqu’alors pas eu droit à une description relativement approfondie – et, à vrai dire, même pas vraiment droit à une description ne serait-ce que superficielle. Il en allait de même pour Dale, ce qui, à tout prendre, était bien plus problématique encore – car la cité de Bard est « ouverte », bien plus accessible que le puissant et riche royaume nain d'Erebor !

 

Et il faut aussi noter que, parmi les origines culturelles des PJ dans la gamme initiale, les Nains du Mont Solitaire et les Bardides occupaient une place non négligeable ; les premiers représentaient même alors la seule culture naine jouable – et, par une bizarrerie de plus, dont la gamme est assez coutumière, c’est en fait ce supplément de contexte précisément, centré sur Erebor... qui offre la possibilité aux PJ d’incarner deux cultures naines alternatives, les Nains des Monts du Fer, et les Nains des Montagnes Grises. Cela dit, si l’historique de ces dernières cultures est singulier et intéressant, au plan technique les diverses cultures naines demeurent assez proches.

 

Reste qu’il était un peu handicapant, dans le contexte de base des Terres Sauvages, de ne pas avoir véritablement d’éléments contextuels concernant Erebor et Dale, qui en sont indubitablement le cœur civilisé…

 

Dès lors, à la différence des plus « récents » ajouts (français) de la gamme, les par ailleurs très bons et ambitieux Fondcombe et Les Vestiges du Nord, qui changeaient la donne « classique » du jeu, et s’adressaient à des joueurs davantage expérimentés peut-être, Erebor est un supplément utile dès le début d’une campagne « classique » dans les Terres Sauvages – il faut d’ailleurs relever qu’il s’insère dans la chronologie initiale de L’Anneau Unique : Aventures dans les Terres Sauvages, débutant (censément à Dale, justement…) cinq ans après la Bataille des Cinq Armées, et courant ensuite sur une trentaine d’années, celles dévolues à la campagne Ténèbres sur la Forêt Noire – là où les suppléments consacrés à l’Eriador adoptent une chronologie plus tardive, illustrant plus ouvertement le retour de Sauron aux affaires

 

Mais cette chronologie, dans le contexte d’Erebor, est semble-t-il conçue avant tout pour une autre campagne, alternative, et annoncée depuis longtemps en anglais mais sauf erreur toujours pas publiée : The Laughter of Dragons. J’espère qu’elle sortira un jour – de même que le supplément consacré à la Moria, lequel, ai-je cru comprendre, donc, devrait être compatible à la fois avec L’Anneau Unique et avec Aventures dans la Terre du Milieu ; une piste intéressante, un peu dirais-je ce qui avait été fait pour Achtung ! Cthulhu avec L’Appel de Cthulhu et Savage Worlds – même si j’espère que ça sera réalisé avec davantage de soin et de constance (aheum).

 

LE MONT SOLITAIRE ET SA RÉGION

 

Mais donc, pour l’heure, Erebor – Le Mont Solitaire. Enfin ! Le plan du supplément, comme souvent dans la gamme de L’Anneau Unique, est peut-être un peu biscornu, même si pas au point où c’en devient gênant. Je distinguerais pour ma part trois parties regroupant des chapitres épars.

 

La première, assez logiquement, est essentiellement géographique, mais a sa part de développements historiques et n’est pas totalement dépourvue d’éléments techniques (bien dosés). Il s’agit donc de décrire la région couverte par le supplément, en trois chapitres : le premier consacré au Mont Solitaire à proprement parler, le second à la ville de Dale immédiatement au sud, le troisième traitant des régions environnantes.

 

C’est du bon voire très bon boulot : Erebor et Dale ont droit à leurs très jolies cartes (même si celle du Mont Solitaire est forcément « insuffisante », en ce qu’elle n’illustre pas vraiment l’idée d’un royaume « en trois dimensions », si j’ose m’exprimer ainsi), et, passé les rappels historiques particulièrement utiles dans ce contexte (et qui résonneront, plus loin, avec les développements consacrés au passé tragique des nains, toujours à vif), la description des principaux lieux est bien gérée : le lecteur n’est pas noyé sous les informations, mais en a amplement assez pour savoir quoi faire de tout ça (et je rappelle au cas où que, pour ma part, je suis plutôt un adepte du fluff touffu, mais ça me va très bien comme ça).

 

Le cas d’Erebor est peut-être un minimum problématique, car, à tout prendre, les joueurs (non nains...) ne sont pas censés y avoir aussi facilement accès qu’à Dale – ouvrir le Sanctuaire d’Erebor demandera sans doute du temps et des efforts, mais, après tout, c’est dans l’ordre des choses… Et, comme de juste, cela permettra alors aux PJ de « débloquer » très vidéoludiquement de nouvelles Entreprises lors de la phase de Communauté : les chapitres consacrés à Erebor et à Dale s’achèvent sur ce genre de développements, de manière pertinente – j’aime bien, notamment, cette idée de la « forge naine », une sorte de « super-Entreprise » courant sur plusieurs phases de Communauté, et qui voit un PJ s’appliquer à la confection d’une arme vraiment exceptionnelle… J’y reviendrai, indirectement.

 

Mais, d’ici là, il faut tout d’abord relever que les descriptions d’Erebor comme de Dale abondent en PNJ joliment décrits – Erebor est particulièrement bien servi à cet égard, car c’est l’occasion de s’instruire du sort des compagnons du Hobbit qui ont survécu à la Bataille des Cinq Armées ; mais il faut aussi relever que les deux monarques de ces puissants royaumes, respectivement Dáin Pied-d’Acier et Bard le Tueur de Dragon, ont du caractère, ce qui en fait des PNJ très intéressants, et des Garants potentiels à la forte personnalité – d’autres PNJ ne manquent d’ailleurs pas d’intérêt, comme la reine Una, épouse de Bard, originaire du mystérieux Dorwinion (à noter, quand la campagne débute, les deux ne se sont pas mariés – cela n’intervient que plus tard, et c’est typiquement le genre d’événement qui peut s’insérer avec pertinence dans la chronologie d’une campagne au long cours, une illustration intéressante parmi tant d’autres d’un monde qui évolue indépendamment des seules actions des personnages).

 

La description des régions environnantes, enfin, est tout à fait réussie – et complète utilement le Guide des Terres Sauvages au nord et à l’est. Nous avons droit à des environnements variés, des Terres Septentrionales de Dale à reconquérir par la charrue plutôt que par l’épée, à la Brande Desséchée mystérieuse et terriblement angoissante. Chaque région a droit à ses lieux et PNJ notables, allant du brigand… au dragon, bien sûr.

 

LA GLOIRE DES NAINS

 

Mais je reviendrai aux dragons plus tard. Le deuxième ensemble que j’aie envie de singulariser dans ce supplément porte en effet sur les nains – qui sont, sans surprise, les vraies stars ici. Bien évidemment, la description d’Erebor au sens strict les met en avant, mais cela va bien au-delà, puisqu’il faut y ajouter encore d’autres chapitres.

 

Passons rapidement, en toute fin d’ouvrage, sur les deux nouvelles cultures naines jouables, que j’ai déjà évoquées, et il n’y a pas forcément grand-chose de plus à en dire, si c'est un ajout tout à fait bienvenu (le caractère d'errants frustrés et rancuniers des Nains des Montagnes Grises m'intéresse tout particulièrement).

 

Reste tout de même deux chapitres directement liés aux nains : le premier porte sur « Le trésor des nains », et complète utilement les développements figurant dans Fondcombe portant sur les objets exceptionnels voire « magiques » (pour le coup, l’utilisation de ce chapitre implique donc probablement de se référer à Fondcombe, c’est à noter) ; et, comme dans ce précédent supplément, ce qui pouvait m’inquiéter un peu vu de loin s’avère très bien fait dès l’instant qu’on s’y attarde – c’est une fois de plus une démonstration du beau travail d’adaptation réalisé dans la gamme de L’Anneau Unique, qui se montre souvent bien plus subtil qu’il n’y paraît, et en tout cas toujours pertinent. À vrai dire, plus que jamais, l’insistance sur le brio des réalisations naines, et tout particulièrement des plus antiques, est un élément de caractérisation essentiel notamment (mais pas seulement, en fin de compte) pour les personnages nains, et tout à fait bienvenu.

 

Or le supplément en rajoute en dernier ressort une couche à cet égard, avec un chapitre consacré à « la guerre des nains et des orques », dont l’intérêt me paraît essentiellement fluff, mais qui a aussi ses implications éventuellement techniques, sous forme de rancunes irrémédiables, de rêves traumatisants, d’artefacts perdus et de sources de corruption en pagaille… Oui, tout cela est très intéressant, et très juste.

 

LES COUSINS DE SMAUG

 

Reste un ultime aspect de ce supplément, qui, à la fois, coule de source, et est à manier avec beaucoup de précautions : les dragons… L’ombre de Smaug le Doré plane sur le Mont Solitaire – mais les dragons, même si Tolkien en parle assez peu au-delà dans le Troisième Âge (il en va tout autrement du Premier), sont encore une réalité bien présente après le haut fait de Bard, qui lui a valu de devenir roi. Les nains ont considérablement souffert des déprédations des grands vers bien avant que Smaug ne se rue sur le Mont Solitaire : les royaumes nains des Montagnes Grises ont été anéantis par les dragons – et la Brande Desséchée, cette vallée embrumée dissimulée au cœur de la branche orientale des Montagnes Grises, abrite nombre de ces créatures titanesques… à quelques centaines de kilomètres, à peine, au nord d’Erebor et de Dale. La menace draconique pèse donc sur les Peuples Libres du Nord, même après la mort de Smaug. Il n’est peut-être qu’une chose pour les en préserver, temporairement du moins : une sorte de « darwinisme » acharné qui voit les dragons lutter entre eux dans cette région. Mais, oui, les dragons sont donc toujours une réalité durant l’époque de jeu.

 

D’ailleurs, de précédents suppléments en faisaient mention, nous avions déjà eu droit à quelques dragons (ou en tout cas au moins un, mes souvenirs sont ici un peu flous) en guise de PNJ hors-normes.

 

Maintenant… Eh bien, voilà : ce sont des PNJ hors-normes, des antagonistes extrêmement puissants, et, Sauron mis à part, qui n’est pas censé pouvoir être rencontré par les PJ, il n’y a guère que le balrog de la Moria, aka Le Fléau de Durin (ça tombe bien), pour rivaliser en puissance. Et du coup… Eh bien, même avec Aventures en Terre du Milieu, Tolkien, ce n’est pas Donjons & Dragons. Il fallait bien un Bard pour faire tomber Smaug, et les PJ ont déjà fort à faire avec une adversité plus « classique » : ils ne sont pas censés être aussi forts que les héros de Donj’ à très haut niveau, qui cassent des divinités et demi-dieux au p'tit déj’. De fait, certains points de règles ici peuvent se résumer assez vite : « Le dragon fait ça, et vous êtes morts. » Quel intérêt, alors ?

 

Eh bien, même si je reste réservé, plus que de coutume, je suppose que ce chapitre ne s’en tire pas si mal et pourrait – oui, pourrait – s’avérer malgré tout utile en jeu (il est de toute façon d’une lecture intéressante, hein, l’écologie des dragons fascine, et le jeu sur les rumeurs les concernant, vraies comme fausses, est très malin, et utilisable dans une campagne même sans véritablement de dragons, je suppose). Car l’accent est mis sur un système de création destiné à concocter des dragons qui soient vraiment des antagonistes singuliers : chaque dragon est unique – et, par-là, il ne faut pas entendre seulement sa liste de pouvoirs destructeurs, mais tout autant ses traits de personnalité, qui, régulièrement, peuvent en définitive jouer contre lui : nombre de dragons sont sensibles à la flatterie, plus encore sont joueurs au point où cela pourrait leur nuire considérablement, certains s’avèrent très lâches en dépit de leur puissance remarquable, etc. Quelques exemples en sont fournis, en fin de chapitre, qui, oui, ont vraiment de la personnalité, et témoignent en même temps des diverses manières de faire figurer un dragon dans une campagne – de l’archétype essentiellement solitaire au chef suprême d’une bande de gobelins terrorisés, en passant par la créature de la Brande Desséchée engagée dans une lutte à mort pour la survie du plus apte.

 

Enfin, pour prolonger l’idée des « défauts » bienvenus des dragons, tous ont leur faiblesse – comme cette écaille manquante qui a permis à la Flèche Noire de Bard d’abattre Smaug… Alors, peut-être que les PJ pourraient en profiter ? Ce sera probablement le seul moyen, pour des joueurs, d’abattre un dragon – ils ne peuvent pas se contenter d’êtres des barbares niveau quarante-douze qui meulent dans la cuirasse à la hache à deux mains… Mais cette approche correspond pleinement à la manière d'envisager l'héroïsme dans cette gamme : l'adversité est élevée, mais les hauts faits épiques, s'ils demeurent par essence exceptionnels, sont possibles.

 

Autant d’aspects, qui, eh bien, ont produit sur votre serviteur en gros le même effet que le chapitre là encore un peu inquiétant vu de loin, dans Fondcombe, qui portait sur les « objets magiques » : c’est plus subtil et malin que ça n’en a tout d’abord l’air, c’est une adaptation réfléchie de l’œuvre tolkiénienne, et, finalement, on peut sans doute en tirer quelque chose en jeu, oui – et quelque chose de chouette… On verra peut-être un jour, par ailleurs, si la campagne The Laughter of Dragons joue de tout cela, et comment.

 

UNE RÉUSSITE (UN PEU TARDIVE MAIS UNE RÉUSSITE)

 

Au final, Erebor – Le Mont Solitaire s’avère donc un supplément convaincant, s’inscrivant très bien dans une gamme dont la qualité est de toute façon globalement élevée. Et d’ailleurs, comme pour toute la gamme, il faut louer la beauté du livre, clair, aéré, et émaillé d’illustrations de qualité, dans ces belles teintes sobres si à propos et qui singularisent la gamme, au sein d’une production fantasy qui privilégie bien trop souvent le flashouille dégoulinant.

 

On peut s’étonner de ce que ce supplément soit sorti aussi tardivement (cela dit, ma chronique est plus tardive encore…), mais il sera utile aussi bien aux débutants qu’aux vieux briscards, je suppose, et c’est là une chose toujours appréciable.

 

Le point d’interrogation qui demeure, c’est sans doute l’avenir de la gamme de L’Anneau Unique – notamment en français, Erebor, il y a un an à un an et demi de cela donc, demeurant la dernière traduction pour ce jeu, quand plusieurs suppléments anglais sont parus depuis (assez peu, à vrai dire, mais au moins quatre, sauf erreur)… Edge semble avoir promis d’y revenir, mais il est clair qu’Aventures dans la Terre du Milieu est à l’heure actuelle une préoccupation autrement marquée, et envahissante. Je le regrette un peu – même si, moi-même, je suis en train de faire la bascule d’un système à l’autre… Non sans hésitations cela dit. Nous verrons bien ce que cela donnera à l’avenir.

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The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien

Publié le par Nébal

The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien
The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien

TOLKIEN (J.R.R.), The Fellowship of the Ring, Being the First Part of The Lord of the Rings, edition based on the 50th Anniversary Edition published 2004, Note on the Text by Douglas A. Anderson, Note on the 50th Anniversary Edition by Wayne G. Hammond and Christina Scull, Foreword to the Second Edition by J.R.R. Tolkien, London, George Allen & Uwin – Harper Collins Publishers, [1954, 1966-1967, 1991, 2004] 2007, XXVII + [1-531] p.

The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien

TOLKIEN (J.R.R.), The Two Towers, Being the Second Part of The Lord of the Rings, edition based on the 50th Anniversary Edition published 2004, London, George Allen & Uwin – Harper Collins Publishers, [1954, 1966-1967, 1991, 2004] 2007, VIII + [532-971] p.

The Lord of the Rings, de J.R.R. Tolkien

TOLKIEN (J.R.R.), The Return of the King, Being the Third Part of The Lord of the Rings, edition based on the 50th Anniversary Edition published 2004, London, George Allen & Uwin – Harper Collins Publishers, [1955, 1966-1967, 1991, 2004] 2007, XII + [972-1567] p.

(PLUS DE) VINGT ANS APRÈS

 

Cet été, j’ai enfin fait une chose que je voulais faire depuis très, très longtemps : relire Le Seigneur des Anneaux, mais en VO. J’ai eu l’occasion de le dire çà et là, mais, très banalement je suppose, je fais partie de ceux pour qui ce roman fleuve a tout changé, quand je l’ai lu vers l’âge de 11 ans. Je lisais déjà avant, mais c’est vraiment ce livre qui a fait de moi un bibliophage, en même temps qu’il a constitué une porte d’entrée idéale pour les littératures de l’imaginaire – c’est, oui, littéralement, le livre qui m’a fait aimer les livres, et tout particulièrement ceux de science-fiction, de fantasy et de fantastique (à une époque où je ne faisais vraiment pas la différence).

 

En mettant de côté mon « faux départ », quand j’avais tenté de le lire vers 10 ans et avais abandonné au « Conseil d’Elrond » (souvenir traumatisant !), j’ai lu et relu ce livre au moins trois fois quand j’étais ado, parallèlement à mon approfondissement du « Légendaire » tolkiénien – avec un attachement particulier pour Le Silmarillion (que j’ai encore plus souvent lu et relu).

 

Mais, pour le coup, je n’avais pas relu ce livre précisément, le livre phare, depuis au moins vingt ans – période durant laquelle j’ai pourtant beaucoup lu et relu Tolkien de manière générale. Je voulais donc y remédier ; un temps, j’ai pensé le faire au travers de la nouvelle traduction française… et puis, je me suis dit : Bah ! Tant qu’à faire, tentons l’anglais !

 

Et si je l’ai fait plus particulièrement cet été, c’était dans l’espoir que cela débouche sur une campagne de jeu de rôle, Ténèbres sur la Forêt Noire, à la base avec le système de L’Anneau Unique, ou bien avec son « portage » D&D5, c’est-à-dire Adventures in Middle-Earth – hélas, mes joueurs ne se sont pas montrés très réceptifs, bon, il faudrait peut-être que je tente une ultime relance, et sinon…

 

Maintenant, disons les choses : je ne vais pas faire, à proprement parler, une chronique d’un livre que vous avez tous lu, ça serait absurde. Et je ne vais pas non plus en faire un commentaire érudit et précis, je ne suis pas assez à fond dans l’exégèse tolkiénienne pour tenter la chose, et vous trouverez en un clic des dizaines de gens autrement compétents pour le faire. La raison d’être de cet article est donc un peu douteuse, hein… Quand j’avais relu, dans les mêmes conditions, The Hobbit, quelques mois plus tôt, j’avais certes pris mon pied mais, de quelque manière que je tourne le problème, je ne voyais pas comment je pourrais en livrer une chronique, pour les mêmes raisons – aussi avais-je choisi de faire l’impasse : chose rare, car en principe je chronique (absurdement...) tout ce que je lis, bon ou mauvais, et qu’importe le genre, mais, oui, il y a bien quelques exceptions.

 

Mais j’ai supposé, dans le cas de The Lord of the Rings, que je pourrais en lieu et place émettre quelques remarques d’un ordre relativement intime, bien loin de toute volonté critique ou érudite donc – des remarques portant sur les différences (nombreuses !) entre ce que j’ai relu et le souvenir que j’en avais, avec au moins vingt ans d’écart. Ces remarques, par ailleurs, ne relèvent donc pas d’un argumentaire précis, et je vais les livrer, ou en tout cas en livrer quelques-unes, comme elles me viennent. Et, bien sûr, ces remarques pourront paraître naïves à bien des lecteurs – ça n’est en rien un problème en ce qui me concerne, ça fait partie du truc.

 

Et, oui, je vais m'étaler. Forcément.

 

QUESTIONS DE VOLUME

 

Il y a quand même une remarque d’ordre global qui doit prendre la première place, je suppose : ce n’est pas un roman si long que ça… Il est long, assurément, dans les 1500 pages dans cette édition (en zappant les textes de présentation et le colossal index à la fin de The Return of the King), mais il n’est pas si long. En fait, avec son caractère de modèle de la trilogie de fantasy, il a depuis largement été enfoncé par des cycles autrement volumineux, constitués de tomes autrement volumineux (oui, George R.R. Martin, je parle entre autres de toi).

 

Si j’y ai mis l’été, c’est parce que je voulais y aller tranquillement, et sans m’imposer de ne faire que ça – mais, justement : cet été, j’ai lu par exemple Lyonesse de Jack Vance, qui fait a priori une longueur comparable… De même que j’ai lu Les Jardins de la Lune, le premier tome du « Livre des Martyrs » de Steven Erikson, pavé lançant une série dont les tomes ultérieurs sont encore plus pavés, ou, plus récemment, j’ai échoué, cette fois, à lire L’Enfant de poussière de Patrick K. Dewdney, censément le premier d’une série de sept, qui pèse comme le Erikson ses 620 pages et y a pas de raison pour que ça diminue vraiment par la suite, à en juger par le tome 2, La Peste et la vigne, sorti tout récemment… Non, le roman de Tolkien n’est pas si long – du moins au regard de critères contemporains qu’il a certes probablement contribué à définir.

 

Mais, au-delà, c’est aussi qu’il est merveilleusement prenant ! Et là, oui, je sais, vous allez me dire : « Les chansons, c’est horrible… », ou : « La Comté, qu’est-ce que c’est chiant… », ou : « Tom Bombadil, non mais allô quoi… », ou : « Hey, Tolkie-chou, c’est un roman que je veux lire, pas un précis de botanique et de philologie ! », ou : « Mais ils vont arrêter de papoter, oui ? », ou : « Hey, les deux porteurs de l’Anneau, vous pouvez pas accélérer un peu le pas ?! », ou : « On doit vraiment se taper tout le savoir des Ents ? », ou : « Les putain d’aigles, z’auriez pas pu débouler plus tôt ?! », ou : « On doit vraiment se retaper la Comté ? » Et il y a de quoi abonder dans votre sens dans tous ces exemples. Et pourtant… Ben, non, je ne me suis pas emmerdé un seul instant. Les pavés lus en parallèle, c’est beaucoup moins vrai – et pas pour rien que j’ai lâché l’affaire avec les années de formation de Syffe (*bâille*)… Non, je crois que tout est à sa place – pour l’ambiance, comme pour l’histoire.

 

UNE TEMPORALITÉ DISTORDUE

 

Et pourtant, dans la confrontation de mes souvenirs antédiluviens et de ma relecture présente, un même phénomène de temporalité s’est régulièrement présenté : j’avais une vision complètement distordue du rythme du roman, et de la longueur (ou de la brièveté, pour le coup) de ses séquences. C’est tout particulièrement vrai pour les scènes « de bataille », systématiquement.

 

J’ai été particulièrement surpris de constater combien le périple dans la Moria était… court, en fait – et plus encore la bataille livrée à la fin de ce périple. C’était probablement le passage du roman que j’avais le plus idéalisé au fil des années, en me souvenant toujours de cette frousse ressentie quand j’avais lu le roman ado – quand j’entendais, littéralement, les tambours des Orques… même si ça n'a pas fait de moi un adepte du dungeon-crawling, bizarrement. Mais, en fait, ça va très vite : en comparaison, la Lórien juste après, c’est peut-être… trois fois plus long que toute la Moria ?

 

La même chose s’est reproduite, plus loin, pour le Gouffre de Helm – et, surtout, le siège de Minas Tirith et/ou la bataille des Champs du Pelennor : dans mon souvenir lointain, le livre V du Seigneur des Anneaux était en gros « une énorme bataille » ; or ça n’est absolument pas le cas – et si la bataille est parfois à l’arrière-plan de chapitres plus posés à l’intérieur des murs de la forteresse-cité du Gondor, les scènes martiales à proprement parler sont très, très brèves ; tout particulièrement, dans le cas présent, aussi bien la mort de Théoden, que celle du Roi-Sorcier du fait de la bravoure commune d’Éowyn et de Merry – c’est expédié en quelques lignes, quelques paragraphes au plus ! Tous ces moments épiques sont donc en vérité fort brefs – qu’ils marquent autant en dit… long, aha, d’une certaine manière.

 

Reste que Le Seigneur des Anneaux est un roman où l’on parle – beaucoup. Et c’était une chose dont je ne me souvenais pas ; ou dont je me souvenais vaguement, mais avec comme un biais ? Comme dit plus haut, lors de ma première tentative de lecture, je m’étais pété les dents sur le Conseil d’Elrond, au début du livre II. Je me souvenais que le début du roman, tout particulièrement avec Bilbon, était riche de savoureux dialogues, mais la complexité du tableau dressé par les invités d’Elrond m’avait alors assommé (aujourd’hui, c’est probablement ce que je préfère chez Tolkien, d’où mon goût pour le Premier Âge…). Mais, pour une raison ou une autre, c’est comme si j’avais concentré ce « ressenti » des dialogues sur ces deux séquences – et probablement, entre elles, celle, toujours aussi WHAT THE FUCK ?!, qui voit les Hobbits bénéficier de l’hospitalité (?) de Tom Bombadil et de Baie d’Or.

 

Rien de plus faux, car, par la suite, on cause beaucoup – vraiment beaucoup. En Lórien, donc, immédiatement après la Moria, mais aussi sur les bateaux en descendant l’Anduin (deux séquences incomparablement plus longues que dans mon souvenir), mais encore, ensuite, en Rohan ou chez les Ents, en Isengard même, en Ithilien surtout (là encore une séquence beaucoup, beaucoup plus longue que ce dont je me souvenais), ou derrière les murs de Minas Tirith, avant, pendant et après la bataille, sans même parler du long voyage de retour vers la Comté.

 

Mais ce n’est pas un reproche ! Ces scènes sont régulièrement brillantes, et les dialogues savoureux, qu’ils jouent d’un registre archaïsant très soutenu et élégant, ou se montrent plus légers, généralement du fait de l’intervention bonhomme des Hobbits comme de juste. Mais, oui, vraiment, je n’en avais absolument pas conservé le souvenir, mais The Lord of the Rings est un roman où l’on parle beaucoup – et où l’on parle en tout cas considérablement plus, incomparablement même, que l’on ne se bat ou ne se livre à d’autres prouesses « héroïques » : Tolkien est beaucoup plus concis dans les moments d’action, et même lapidaire, parfois. Je suppose, à vrai dire, que ces deux tendances n’ont rien d’innocent, et peuvent renvoyer aux inspirations de l’auteur, dans les sagas épiques et autres dits légendaires, qui ont parfois quelque chose de ces deux formes ? En tout cas, si l’on fait le match des fondateurs de la fantasy moderne, Tolkien est à cet égard plus que jamais à l’opposé d’un Robert E. Howard – sans déconner ? Et, oui, il parle (aha) bien plus à mon cœur…

 

Mais je suppose qu’il me faut aussi relever que certaines scènes « à dialogues » du Seigneur des Anneaux se sont en sens inverse avérées plus brèves dans les faits que dans mon souvenir – ainsi du séjour à l’Auberge du Poney Fringant, ou, dans les annexes, des fragments de l’histoire d’Aragorn et d’Arwen. Ces cas sont cependant bien plus rares – des exceptions.

CHAMPION OF THE WORLD(BUILDING)

 

Bien sûr, Tolkien brille particulièrement, encore aujourd’hui, par la précision méticuleuse avec laquelle il a conçu son univers, en partant des langues, et en enrichissant sans cesse un matériau qui, à l’époque de la parution originelle de The Lord of the Rings, avait déjà été cultivé pendant environ 35 ans. Cette précision que d’aucuns qualifieraient de maniaque ressort particulièrement des annexes concluant The Return of the King – et, j’avoue, même si tout cela me fascine, je ne me suis pas acharné sur le calendrier ou les systèmes d’écriture, hein… Ou les généalogies, je suppose – même si j’ai pris, à la lecture des pages consacrées par exemple aux rois de Númenor, un plaisir qui doit quelque chose à ma fascination et à mon admiration pour Le Silmarillion, et son caractère de chronique épique davantage que de roman. Quoi qu’il en soit, dans ce registre, Tolkien n’a pas d’égal, et trône tout au sommet de la pyramide des créateurs d’univers. Et ce même s’il y a des « blancs », dans cet univers, et qui peuvent renvoyer à des questions pas exactement superficielles (l’insertion des Hobbits même dans le Légendaire ? Nous n’avons pas de mythes des origines pour eux…).

 

Ceci étant, ce dont j’ai envie de parler ici relève essentiellement, disons, de la géographie de cet univers – et plus particulièrement de la Terre du Milieu telle qu’elle est décrite dans les romans et les cartes qui les concluent. Deux points m’intéressent tout particulièrement, que la lecture de la gamme de L’Anneau Unique m’avait déjà amené à prendre en considération avant d’entamer cette relecture – et, là encore, cela a pu contredire les souvenirs que j’en avais, et qui remontaient à vingt ans au moins. Pour faire dans le lapidaire : le premier point est que ce monde est petit – le second qu’il est d’une certaine manière désertique.

 

Le premier point est déterminant. Les romans de Hobbits, comme les adaptations qui en ont été faites, au cinéma ou, plus particulièrement en ce qui me concerne, en jeu de rôle, mettent l’accent sur le voyage. Il est au cœur de la narration, ce qu’illustre notamment ce sous-titre du Hobbit, comme « Histoire d’un aller et d’un retour » ; il faut d’ailleurs rappeler combien le retour est d’une importance cruciale pour Tolkien, dans les deux romans de Hobbits (et Peter Jackson a bien sabré en largeur, ici), ce qui renvoie probablement là encore aux sagas et autres dits épiques, mais aussi, je suppose, aux variations qu’un William Morris avait déjà pu travailler à l’aube de la fantasy moderne, ainsi dans La Source au bout du monde.

 

Mais cette importance majeure du voyage ne change finalement rien au fait que le monde que nous décrit Tolkien, et où se déroulent ses romans de Hobbits, est très petit. Cela ne tient pas seulement aux cartes dressées par Christopher Tolkien sur les indications de son père, et qui ont une échelle, on peut donc mesurer les distances en miles si l’on y tient : sans même se livrer à cet exercice, on a l’impression d’un monde que l’on pourrait traverser de part en part en quelques semaines au plus – les porteurs de l’Anneau galèrent dans le Mordor en raison des conditions de voyage particulières que cet environnement particulièrement hostile et dangereux implique, mais, en dehors de cet aspect, la Terre du Milieu s’explore probablement bien plus vite que l’Europe, voire que la seule Europe de l’Ouest.

 

On sait, bien sûr, que ce monde s’étend au-delà – et ceci sans même franchir l’océan jusqu’en Valinor ou même Tol Eressëa, ce que la « courbure » du monde à la fin du Deuxième Âge prohibe à tous hormis les Elfes et, pour le coup, les porteurs de l’Anneau. On sait que les terres s’étendent bien à l’est des cartes en fin de volume, où vivent diverses peuplades barbares (ils viennent toujours de l’est, hein), ou au sud, où, au-delà d’Umbar, s’étend le désert du Harad, pour le coup très vaste, et probablement bien davantage que la « Terre du Milieu » que nous connaissons. Mais nous n’en savons pas davantage – du moins « officiellement » : je me souviens d’une « Carte de la Terre du Milieu », qui était un supplément pour Le Jeu de Rôle des Terres du Milieu (JRTM), et… qui était totalement délirante à cet égard, je suppose, même si l’idée était bien de limiter la Terre du Milieu que nous connaissons, disons, du nord au sud, entre la Baie du Forochel et les Havres d’Umbar, et de l’océan à l’ouest, à la mer de Rhûn à l'est, à un tout petit coin au nord-ouest de la Terre du Milieu entendue comme continent – maintenant, je suppose que les auteurs de cette carte avaient extrapolé, si c'est le mot, en free-style, pour le moins, car JRTM n’était pas exactement la référence la plus solide et orthodoxe pour le « lore » tolkiénien (j’ai des sueurs froides à l’idée de ces magos noldos qui balançaient des boules de feu, sans même parler des Umli, les demi-nains…). Mais, oui : ce monde est très petit.

 

Et il est aussi quasiment désertique – pas au sens de vastes étendues de sable où il fait une chaleur à crever, non, ça c’est la prérogative d’un Harad que nous ne visitons jamais dans les romans de Hobbits ou ailleurs, mais au regard de la population, humaine ou non, qui habite la Terre du Milieu.

 

C’est un monde essentiellement sauvage, où les villes sont rares, et peu peuplées – Bree, littéralement un village, a droit à son point sur la carte parce qu’il n’y a finalement pas grand-chose d’autre en matière d’urbanisation, surtout d’ailleurs dans cette région de l’Eriador, que Tolkien lui-même, pour le coup, présente comme étant dépeuplée depuis les guerres avec l’Angmar qui ont anéanti le pouvoir de l’Arnor et des royaumes plus petits qui lui avaient succédé (ce que j'avais relevé en chroniquant deux suppléments pour L'Anneau Unique, Fondcombe et Les Vestiges du Nord, et en notant que ce terrain de jeu était finalement bien plus « sauvage » que les « Terres Sauvages » à l'est des Monts Brumeux, cadre privilégié de la gamme originelle de ce jeu de rôle). Mais cela vaut pour à peu près tout le reste dans la moitié nord de la carte : si l’on peut concevoir Esgaroth et Dale comme des villes de taille honnête, une fois Smaug défait, et si l’on ne sait guère ce qu’il en est de la démographie des Nains, en Erebor ou dans les Montagnes Grises ou dans les Collines de Fer, les sites majeurs des Elfes ne sont guère que des palais « un peu augmentés » (Fondcombe, la Lórien ou le Palais de Thranduil) – ce qui se tient, certes, dans la mesure où ce sont les ultimes demeures d’une race déclinante et dont l’essentiel vit alors au-delà de la route perdue ; mais, plus au sud, et ce alors même que la malédiction ayant frappé l’Arnor était supposée avoir épargné le Gondor et le Rohan, certes pas avares de dangers propres, les effectifs sont de même très limités (je note au passage que, pour quelque raison bizarre, je me figurais le Rohan bien plus à l'ouest...).

 

D’ailleurs, les grandes batailles, même les plus épiques, semblent mobiliser des centaines d’hommes plutôt que des milliers – on le constate au Gouffre de Helm comme aux Champs du Pelennor, ou devant la Porte Noire du Mordor. À vrai dire, les troupes les plus colossales à cet égard sont unilatéralement celles du Mordor – mais, même dans ce cas, les Orques ou les Orientaux ne constituent pas forcément des hordes à proprement parler, ou du moins est-ce l’impression que les romans donnent, ceci alors même qu'ils jouent du contraste avec les Peuples Libres du Nord.

 

C’est d’autant plus sensible que la campagne, même en paix, mais habitée et cultivée, n’est quasiment jamais décrite dans ces romans, en dehors bien sûr du seul cas (qui semble se suffire à lui-même) de la Comté. Plus encore à cet égard que du fait des dimensions géographiques de cet univers, la Terre du Milieu s’avère incroyablement resserrée : malgré les millénaires de civilisations qui précèdent la Guerre de l’Anneau, on n’en retire que davantage l’impression d’un « pré-monde », globalement, à l’aube des temps – à vrai dire, j’ai toujours eu l’impression que le Beleriand du Premier Âge était considérablement plus peuplé que la Terre du Milieu à la toute fin du Troisième Âge, ce qui ne s’explique pas totalement (le cataclysme ayant noyé le Beleriand n’y suffit en effet peut-être pas).

 

Comprenez bien, ça n’est pas nécessairement un reproche de ma part, mais plutôt le constat, pas bien assuré lors de mes premières lectures, de ce que l’univers si fascinant de Tolkien est en fait étonnamment restreint ; mais cela peut certes faire sens, au regard de l’unité du background – dans cette dimension, comme dans celle des limites de la Terre du Milieu décrite, le cadre de l’aventure, même s’il est censé avoir des répercutions cruciales à une échelle mondiale dès lors difficile à envisager, ne décrit en vérité qu’une sorte de finistère très dépeuplé, essentiellement pré-européen. Ce qui en dit long, j’imagine…

 

Et cela a peut-être une contrepartie : ce monde est si peu peuplé que, d’une certaine manière, tout le monde y connaît tout le monde – et cela a son impact sur l’aventure globale, en même temps que cela confirme le caractère d’exception bien singulière d’une Comté naïvement repliée sur elle-même. C’est probablement un trait essentiel de l’ambiance des romans de Hobbits – mais aussi, ai-je l’impression, une approche très particulière de la création d’univers qui, pour le coup, distingue assez radicalement Tolkien de ses contemporains et successeurs dans le registre de la fantasy-avec-des-cartes.

 

CARACTÈRES

 

Quelques mots maintenant sur les personnages. 

 

...

 

Gaffe, je vais me ridiculiser...

 

Enfin, plus encore que d'habitude, quoi...

 

Bref : une chose qui m’a particulièrement marqué, lors de cette relecture, et qui pouvait contredire pour partie mes souvenirs antédiluviens, n’était peut-être (probablement ?) pas dans les intentions de Tolkien, mais m’a bien plu quand même, na, et c’est que les héros ne sont pas unilatéralement bons – même dans un monde que nombre de critiques expéditifs blâment pour son manichéisme (et je reste convaincu que c’est plus compliqué que cela – et que, bordel, il va falloir arrêter de qualifier l’auteur de nazillon à cause de ses Elfes censément blonds aux yeux bleus, blah blah blah – je n’ai plus la force d’en discuter, honnêtement). Tous les héros ont leurs défauts – tous, notamment, les membre de la Communauté de l’Anneau. Ils sont bien pour l’essentiel « héroïques », des personnages assurément positifs, mais ils ont tous leurs tares, si elles ne se révèlent véritablement qu’à l’occasion.

 

Bon, de toute évidence, je surinterprète, hein… Mais je vous avais prévenu quant au contenu très personnel de cet article ! Et donc, en ce qui me concerne moi, je, me, myself, I… Côté Hobbits, Frodon (ah tiens, si, je note un truc qui m’a surpris : même au regard des critères des Hobbits, Frodon est bien plus âgé que dans mon souvenir, et cela vaut aussi pour Pippin et Merry), Frodon, disais-je, est à fond dans le pathos, au point où il en devient agaçant (oui, c'est moi qui dis ça...), mais aussi très conscient de son rang – dans une sorte de gloubi-boulga élitiste qui a quelque chose d’aristocratique dans le contexte autrement plutôt bourgeois de la Comté, et la condescendance fait partie du lot. Sam est certes dévoué, mais il est à vrai dire avant tout servile, et obtus – tout « peuple » qu'il soit, c'est un conservateur qui prise ses entraves comme autant de signes de distinction, et qui se montre très méfiant à l’encontre de tout ce qui n’est pas « normal », entendre « de chez lui » (fascination pour les Elfes ou pas, on n’est jamais à une contradiction près) ; c’est horrible à dire, ça noue le ventre, mais, de la sorte, le personnage le plus attachant du roman… est de droite. Merde ! D’ailleurs, tant qu’on y est, Pippin et Merry sont des dilettantes un peu crétins, et des héros peut-être davantage parce qu’ils s’attachent au qu’en-dira-t-on qu’en raison d’une bravoure désintéressée (ils doivent briller, avoir chacun son moment de gloire), et les aperçus de leur destin après le retour à la Comté en rajoutent, là encore, sur leur caractère aristocratique et plus qu’un peu m’as-tu-vu. Côté humains, le cas de Boromir n’a pas à être discuté plus avant, mais le destin d’Aragorn l’obnubile au point de l’arrogance, et il se montre souvent condescendant, en même temps qu’à la Frodon il tend à porter tout le poids des péchés du monde sur ses épaules – ce qui n’a au fond rien de contradictoire, mais se montre également pénible. Il y a de ça chez Legolas, mais, de toute la Compagnie, j’ai le sentiment que c’est le personnage qui a été le moins creusé ? Son comparse Gimli, par contre, est tout naturellement borné, brutal, et mesquin – je regrette par ailleurs qu’il tende, un peu trop souvent, à faire office de ressort comique : certes pas autant, ouf, que dans les flims de Peter Jackson (qui, en Néo-zélandais, n’en avait certes pas grand-chose à péter de la jurisprudence Morsang-sur-Orge), mais les Nains du Hobbit, même avec le ton plus enfantin/rigolo de ce roman, s’en sortaient considérablement mieux… sans être nécessairement plus sympathiques, notez bien (voire encore moins). Et Gandalf ? Gandalf est un tyran, qui sait tout mieux que les autres – franchement, à relire Le Seigneur des Anneaux maintenant, je comprends pourquoi Théoden, originellement, d’une part, et Denethor, de l’autre, ne peuvent pas le blairer : Tolkien nous explique que c’est parce qu’ils sont les victimes, pour le premier des poisons de Saroumane et de Grima Langue-de-Serpent, pour le second de Sauron via un dernier palantír, mais, honnêtement, même sans cela, il y aurait de quoi s’agacer un peu du vieux sage qui déboule inopportunément, comme en pays conquis, et dont le mépris de l’étiquette tient de la morgue la plus agressive – pas exactement le comportement d’un diplomate, plutôt celui d’un meuwine imposant sa vision du monde par les armes et… oui, la condescendance à l’encontre d’absolument tout le monde. Encore.

 

OUI, JE SURINTERPRÈTE.

 

BIEN SÛR QUE ÇA N’ENGAGE QUE MOI.

 

ET QU’IL NE FAUT PAS PRENDRE TOUT CELA TROP AU SÉRIEUX.

 

VOIRE PAS DU TOUT.

 

L’essentiel est que ça n’en fait que de meilleurs personnages à mes yeux ! C’est tant mieux, qu’ils aient des défauts !

 

Bon, plus sérieusement : il y a une chose de claire, à cet égard et c’est que le, euh, « double binôme », composé de Frodon et Sam d’une part, et de Sméagol/Gollum de l’autre, est vraiment très réussi, remarquablement bien pensé et mis en scène – sur ce point, je rejoins parfaitement l’immense Ursula K. Le Guin, qui en disait quelque chose, et à plusieurs reprises, avec un enthousiasme marqué, dans Le Langage de la nuit.

 

Maintenant, je dois dire que certains personnages m’ont « moins convaincu » que dans mes souvenirs. Je suppose que cela concerne essentiellement les (rares…) personnages féminins – et tout particulièrement Éowyn ; je continue de l’aimer beaucoup, et sa dimension… eh bien, suicidaire, m’a touché, au-delà de son seul archétype d’amazone/walkyrie/truc, mais j’ai quand même eu l’impression que Tolkien gâchait un peu tout en lui associant en dernier ressort Faramir – ce qui nuisait d’ailleurs aussi à ce dernier personnage, même si de manière moins franche (et navrante). Galadriel demeure globalement la déesse ultra-charismatique (mais en même temps fondamentalement « inhumaine », au sens large) de mes souvenirs, mais ses premières apparitions sont étonnamment en demi-teinte, comme si Tolkien tentait assez maladroitement, pour le coup, de mettre d’abord en avant le fadissime Celeborn – qui ne soutient tout simplement pas la comparaison ; le contraste était-il souhaité par l’auteur, sous cette forme précisément ? Vu le temps qu’il y a passé, je le suppose, mais ça ne me convainc pas totalement… Par contre, Arwen est aussi inexistante que dans mes souvenirs ; pas plus mal, je suppose, car elle n’est qu’un ersatz bien tardif d’une Lúthien autrement marquante (même si à peine évoquée dans The Lord of the Rings, et dont les lecteurs ne savaient rien de plus en 1954-1955). Je suppose que cela relativise un peu ce que j’avais pu écrire en rendant compte de ma lecture de Beren et Lúthien

 

Reste le cas de Saroumane – le plus problématique en ce qui me concerne, car c’est un personnage que j’ai beaucoup « idéalisé », même dans le vice, depuis mes lectures adolescentes. En fait, dès mes premières lectures, j’ai eu tendance à en faire un personnage vraiment central, et un des plus réussis et intéressants de tout le roman. Le problème est que j’en avais une vision très biaisée… Quand j’ai vu Les Deux Tours au cinéma à sa sortie (c’est la seule des adaptations de Peter Jackson dans ce cas), je suis sorti de la salle littéralement furieux – pour plein de raisons, et la romance comme les « petits sourires » d’un Viggo Mortensen qui m’avait pourtant plutôt convaincu dans La Communauté de l’Anneau n’y étaient pas pour rien, mais la principale, c’était ce qu’ILS avaient fait de Saroumane, même si c’était déjà sous-jacent dans le premier film… Notez, je n’avais absolument rien contre le choix de le faire incarner par Christopher Lee, ce qui, visuel et voix, me paraît toujours une bonne idée. Mais en faire un vulgaire laquais de Sauron ?! JAMAIS ! SAROUMANE ROULE POUR SA POMME !!! Sauf que, dans le roman, c’est en fait plus compliqué que cela – plus ambigu aussi, peut-être. De fait, à terme, Saroumane est bel et bien au service de Sauron – il croit peut-être travailler pour sa seule gloire, c’est bien ce qu’il faisait à l’origine, et peut-être le croit-il encore jusqu’à un moment assez tardif, mais, dans les faits, il ne se contente plus dès lors d’agir inconsciemment en faveur du Mordor, il semble bien embrasser sa condition de vassal, le palantír étant un élément crucial de cette évolution… L’idée principale, qui faisait de toute façon de Saroumane un très bon personnage, demeure : même les meilleurs, les mieux intentionnés et les plus puissants peuvent succomber à la corruption – Frodon lui-même en fournissant d’ailleurs l’ultime exemple, et le plus douloureux. Mais le rôle objectif de Saroumane, contrairement à celui que je lui avais pour quelque raison fabriqué dans mes souvenirs (et je me demande à vrai dire si le jeu de cartes à collectionner Le Seigneur des Anneaux : Les Sorciers n’y avait pas contribué, quand j’étais au lycée, en introduisant un mode de jeu dans lequel les « sorciers déchus », Saroumane en tête, pouvaient jouer sur les deux tableaux en toute indépendance…), le rôle objectif de Saroumane, donc, renforce en fait la dimension manichéenne du Seigneur des Anneaux, je suppose – ce qui affecte forcément ma vision de ce roman comme « pas si manichéen qu’on le dit »…

 

LO AND BEHOLD !

 

Quelques mots, très vite, sur le style. Déjà, une première remarque s’impose : même si je craignais de ne pas avoir le niveau en anglais pour apprécier Tolkien dans le texte, eh bien, si, ça s’est fait sans vraies difficultés – ou plutôt une seule, qui vaut essentiellement pour le tout début du roman : les toponymes et patronymes de la Comté m’ont bel et bien posé problème, car ils sont les principaux exemples dans le roman d’une « traduction » en anglais contemporain, sur la base d'associations et de déformations populaires, comme Tolkien lui-même présente les choses dans les annexes de The Return of the King. En dehors de cela, je n’ai pas rencontré de difficultés majeures.

 

Et je crois même avoir pu apprécier, si c’est le mot, la variété des styles employés. La relecture en anglais du Hobbit avait confirmé les impressions que m’avait de tout temps fait la traduction française : le roman est étonnant, qui commence comme un conte très enfantin, avec plein de gags, mais aussi d’interventions du narrateur, ce genre de choses, mais n’en finit pas moins comme une saga épique (enfin, avant le retour à la Comté, hein !), tous les traits enfantins ayant disparu à ce stade, notamment au moment de la Bataille des Cinq Armées – mais je suppose qu'il en allait ainsi depuis un certain temps : j’ai l’impression que la frontière se situe approximativement, et adéquatement, au passage des Monts Brumeux ? Quoi qu’il en soit, ce qui m’a surpris, à la relecture en anglais de The Lord of the Rings, est qu’il y a encore un peu de cette disparité dans ce roman qui, contrairement à son prédécesseur, n’avait pas été édité et commercialisé comme un livre pour enfants. Mais peut-être est-ce simplement dû à la Comté – une contrée qui ne pourrait tolérer tout autre registre stylistique… Je ne sais pas. Cela dit, j’ai déjà touché quelques mots plus haut de ce que cela donnait dans le traitement de certains personnages, Gimili en tête, comme un rappel plus ou moins pertinent de la compagnie de Bilbon.

 

Mais je parlais donc de variété des styles – elle est très sensible tout au long du roman, et pourtant elle ne nuit paradoxalement pas à l’unité du récit. Ce qui m’a surtout marqué, c’est combien le style de Tolkien, lors des séquences les plus épiques de la Guerre de l’Anneau, change du tout au tout : j’ai déjà opposé, tout à l’heure, les séquences d’action plutôt lapidaires et les séquences de dialogues autrement conséquentes, mais le style y a résolument sa part – sur les Champs du Pelennor, plus encore qu’au Gouffre de Helm, Tolkien fait vraiment dans la saga, avec une plume délibérément archaïque et grandiloquente, qui, en même temps, doit peut-être aussi à la Bible du Roi Jacques ? Ce qui le rapprocherait d’un Lord Dunsany, notamment ? Quoi qu’il en soit : lo, and behold ! Mais j’aime beaucoup ce style très affecté, et en même temps doté d’une puissance d’évocation inégalée – et cela m’incite à prolonger l’expérience un de ces jours, en tentant Le Silmarillion, voire les tomes non traduits de L’Histoire de La Terre du Milieu, en anglais…

 

Maintenant, au regard du style, c’est donc aux dialogues que je dois m’intéresser – puisqu’ils occupent une part si importante dans le roman, qui m’a surpris. La plume de Tolkien change sans cesse de registre, mais toujours avec à propos – il sait, avec pertinence, opposer le langage rude et franc du collier des Rohirrim et les circonvolutions aristocrates des Elfes ou d’un Denethor, qui font plus volontiers dans le thee et le thou, et usent d’une syntaxe plus contournée. Mais Tolkien, à cet égard, ne brille jamais autant qu’avec deux personnages opposés et en même temps liés (donc), d’une registre autrement familier : Sam, d’une part, dont la bonhomie paysanne a quelque chose d’irrésistiblement authentique, et Sméagol/Gollum, qui a d’une certaine manière son langage propre, et que Tolkien rend extrêmement perturbant en même temps qu’évocateur, et, surtout, délicieusement sonore… même si, depuis les films, la voix d’Andy Serkis parasite forcément toutes les représentations qu’on avait pu s’en faire avant 2001 ; par chance, elle est parfaite !

 

Et, très franchement, je n’attendais pas spécialement Tolkien sur ce terrain-là : cela a fait partie des très bonnes surprises de cette relecture dans le texte.

 

OUI – PARFAITEMENT OUI

 

Et il y en a donc eu, des surprises ! Ou des constats un brin étonnés de ce que le livre dont je me souvenais « aussi bien » n’était pas seulement l’œuvre de Tolkien, mais comme une révision forcément partiale où le lecteur compte presque autant que l’auteur, je suppose…

 

Quoi qu’il en soit, surprises ou pas, le bilan reste toujours aussi favorable. Le Seigneur des Anneaux n’est assurément pas sans défauts, et il y aurait beaucoup à y redire. Seulement, ce n’est pas l’objet de cet article – je n’ai aucune envie de m’engager dans cette voie.

 

Je ne pourrais de toute façon jamais prétendre à ne serait-ce qu’un semblant d’ « objectivité » avec ce roman – ce livre qui m’a fait aimer les livres. J’ai pris beaucoup de plaisir à le relire (et toutes les lectures de jeunesse revues à l’âge adulte ne peuvent certes pas en dire autant – n’est-ce pas, Isaac Asimov ?), et j’ai envie de prolonger encore l’expérience : à ce stade, c’est tout ce qui compte.

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Adventures in Middle-Earth : Player's Guide

Publié le par Nébal

Adventures in Middle-Earth : Player's Guide

Adventures in Middle-Earth : Player’s Guide, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2016, 224 p.

Adventures in Middle-Earth est l’adaptation aux règles de D&D5 de la gamme de L’Anneau Unique. J’ai eu l’occasion de livrer pas mal de chroniques concernant ladite gamme, témoignant de mon enthousiasme à son égard, mais aussi d’un vague scepticisme concernant le système, parfois – mais vague : rien de rédhibitoire, comme je voyais les choses. Depuis, cependant, j’ai eu l’occasion de lire bien des retours d’expérience, et peu ou prou unanimement critiques à l’encontre de ce système. En sens inverse, j’ai lu bien des avis favorables sur ce portage D&D5

 

Ce qui n’avait rien d’évident ? Si Le Seigneur des Anneaux et compagnie ont eu une certaine influence sur la création et le développement de Donjons & Dragons, il n’en demeure pas moins que les optiques générales, des romans d’une part, des jeux de l’autre, étaient très différentes. Le cas de la magie est typique, mais cela va bien au-delà. Ceci, sans même envisager nécessairement la question du dungeon crawling, au passage… Mais les lecteurs, maîtres et joueurs, semblaient donc tous louer Adventures in Middle-Earth, pour ses mécaniques bien pensées qui ne dénaturent pas l’univers tolkiénien, tout en permettant de jouer dans cet univers sur la base d’une mécanique éprouvée.

 

Bon, cela tient aussi à ce qu’il y a beaucoup de fans de D&D5… Pour ma part, je ne sais pas – encore. Comme je l’avais noté il y a quelque temps de cela, la lecture du Player’s Handbook ne m’avait pas totalement convaincu, et m’avait même un peu… « effrayé » ? Mais il s’agissait bien de mettre mes préventions de côté – d’autant que certaines, et même les principales (concernant la magie), n’auraient probablement pas la même portée dans le contexte d’Adventures in Middle-Earth

 

Il me fallait donc lire cette gamme, en commençant par le commencement, le Player’s Guide. Attention : contrairement à ce qui se produit pour D&D5 avec le Player’s Handbook, le Player’s Guide d’Adventures in Middle-Earth ne constitue pas en tant que tel un « jeu complet ». Déjà, parce que les règles génériques de D&D5, concernant la mécanique de base, le combat mais aussi l’évolution des personnages, ne figurent nulle part ici – cependant, la licence adéquate permet de trouver ces règles gratuitement et légalement en ligne, par exemple . Ensuite, parce que ce Player’s Guide est doublé d’un Loremaster’s Guide qui, contrairement à ce qui se produit avec le Dungeon Master Guide de la gamme générique, est, sinon indispensable, du moins très utile pour le MJ (background beaucoup plus approfondi, bestiaire, expérience, etc.), mais j’y reviendrai en temps utile.

 

Le Player’s Guide a donc une focalisation particulière – double, en fait : la majeure partie du livre porte sur la création de personnages, mais les derniers chapitres, plus brefs, portent sur les systèmes spécifiques au jeu tolkiénien, largement repris de L’Anneau Unique : voyages, corruption, audiences, et phase de communauté.

 

Commençons par la création de personnages. Elle reprend les principes globaux de D&D5, mais, dans le fond comme dans la forme, il s’agit bien de s’adapter à l’univers particulier de la Terre du Milieu, qui ne tolèrerait pas certaines races, classes, etc. Globalement, l’adaptation me paraît pertinente – même si certaines règles spécifiques « magiques » me paraissent encore un peu trop « magiques » ; cependant, on trouve généralement dans les écrits de Tolkien de quoi les justifier. Dans l’ensemble, c’est plutôt bien fait, et parfois malin.

 

En fait de races, nous avons ici des cultures – et, chose appréciable, bien plus que dans L’Anneau Unique, du moins dans sa forme basique, même si le cadre de jeu, à ce stade, demeure celui des Terres Sauvages (d'autres suppléments étendent ce cadre à l'ouest et au sud). Les races non humaines sont relativement limitées, puisqu’on trouve une seule culture naine (mais elle se dédouble, en fait), une seule culture elfique (les elfes de la Forêt Noire – tant pis pour les hauts-elfes de Fondcombe, notamment) et une seule culture hobbite (celle de la Comté, bien sûr). Nous avons par contre droit à huit cultures humaines – qui proviennent pour certaines de la gamme basique de L’Anneau Unique, centrée donc sur les Terres Sauvages, mais aussi, cette fois, de suppléments ultérieurs (et parfois pas encore traduits, comme les hommes de Bree ou les cavaliers du Rohan). Ce choix est appréciable, et la présentation de ces différentes cultures est à la fois synthétique et inspirante, avec des traits marqués sans être non plus outranciers.

 

Complément des cultures, les classes. Transposer directement celles de D&D5 aurait été malvenu – et pas seulement pour les classes magiques, ici tout bonnement inenvisageables. Du coup, Adventures in Middle-Earth propose six classes spécifiques, lesquelles, au gré des spécialisations, se subdivisent ensuite en deux branches chacune (trois dans un cas). Les scholars sont des érudits, et souvent (hum) des guérisseurs, sur un plan tristement pragmatique ; les slayers (ce nom me fait quand même tout bizarre…) sont des combattants plus ou moins barbares ; les treasure hunters sont une classe de roublards, comprenant agents et cambrioleurs – si ce deuxième versant renvoie évidemment à Bilbo, cette classe, de manière générale, comme d’ailleurs celle qui précède, témoigne des difficultés qui persistent à vouloir intégrer dans le contexte de la Terre du Milieu des concepts extérieurs « pas très héroïques (au sens moral) », et sans doute faut-il particulièrement, ici, tenir compte des règles concernant la corruption… Les wanderers sont en gros des rôdeurs, beaucoup moins problématiques à cet égard ; les wardens ont pour fonction de défendre leur communauté, que ce soit par le conseil politique (même difficulté potentielle, quand la manipulation est en jeu) ou façon barde, voire avec quelque chose de plus martial, mais plutôt au niveau stratégique ; la tactique et le combat militaire sont en effet l’apanage de la dernière classe, la plus… classique, celle des warriors. À mon sens, ce chapitre (volumineux) demeure le plus problématique, d'autant qu'il répercute dans Adventures in Middle-Earth la multiplicité des règles spéciale associées à la progression des personnages dans Donj’ – un trait caractéristique du vénérable ancêtre et du jeu à classes et à niveaux. Je regrette un peu que beaucoup de ces règles spéciales, même adaptées au contexte de la Terre du Milieu, soient d’ordre tactique et martial – il y a heureusement des exceptions, mais j’ai tout de même l’impression, ici, qu’Adventures in Middle-Earth adopte une optique plus « combat » que L’Anneau Unique

 

La définition du personnage ne s’arrête pas là : il faut y associer tout d’abord les vertus, qui sont essentiellement culturelles, et qui personnalisent au travers de nouvelles règles spéciales ; les personnages humains commencent avec une vertu issue de leur propre liste, à la différence des nains, des elfes et des hobbits, mais, après cela, tous les personnages peuvent choisir de développer une vertu plutôt que d’augmenter leurs caractéristiques quand leur progression en expérience les y autorise.

 

Enfin, de manière moins « pragmatique », ouf, ça fait du bien tout de même, les backgrounds permettent d’attribuer aux personnages des « qualités distinctives » et des « spécialités » (pas vraiment d’ordre mécanique, donc, même si ça peut fournir un avantage ponctuel), mais aussi des traits d’espoir et de désespoir essentiels pour le roleplay, et qui ont une certaine importance au regard des règles de corruption. Notons au passage que l’on ne fait pas usage de l’alignement dans Adventures in Middle-Earth : ce sont ces éléments qui en tiennent lieu, dans un contexte où les personnages se doivent, au début du moins, d’être moraux, la progression de l’Ombre les amenant cependant presque inéluctablement à développer leurs plus regrettables penchants. Et on en revient au problème de la moralité de certaines classes et/ou sous-classes, sans doute faut-il bien y réfléchir avant de se lancer dans l’aventure…

 

Je passe sur le chapitre consacré à l’équipement, qui est très bien fait ceci dit, car il a le bon goût d’aller à l’essentiel, et de ne livrer de véritables développements que pour les objets, etc., spécifiques au contexte de la Terre du Milieu.

 

Reste donc quatre chapitres plus brefs, consacrés aux sous-systèmes spécifiques du jeu tolkiénien, et largement repris de L’Anneau Unique – aussi avais-je déjà eu l’occasion d’en parler dans de précédentes chroniques. Et, globalement, les mêmes impressions demeurent ?

 

Sur le papier, j’aime beaucoup le système des voyages – qui met vraiment l’accent sur un aspect caractéristique des romans de hobbits, central, même. Il est cependant à craindre qu’en jeu tout cela ne se montre bien trop lourd à gérer… Je tenterai tout de même l’expérience, le jeu me paraît en valoir la chandelle. J’ai l’impression que les responsabilités du PJ qui fait office de « guide » sont un peu déséquilibrées, par contre ?

 

Inutile de vraiment m’étendre ici sur la corruption – là encore un aspect fondamental du « légendaire » tolkiénien, avec une mécanique adéquate ; mais il faut peut-être relever que ce système (plus ou moins) d’attrition peut s’avérer assez sévère – c’est un point à intégrer dans le « contrat social » préalable à toute campagne, m’est avis, tout particulièrement auprès de joueurs donjonneux à qui ça risquerait de faire tout drôle…

 

Suivent les règles d’audience, dont, pour ma part, je ne compte pas faire usage. Je garderai sans doute un œil sur la table indiquant les « réactions initiales » de tel peuple envers tel peuple, ce qui me paraît important chez Tolkien, mais inutile de compliquer les choses au-delà.

 

Reste enfin les règles concernant la phase de communauté – simples, synthétiques, pragmatiques. J’ai tout de même le sentiment que cette phase devient plus intéressante au fur et à mesure que l’on, euh, « débloque », très vidéoludiquement, des sanctuaires, des garants et des entreprises de communauté ; mais, ici, on va à l’essentiel. Bon, c’est ce qu’il faut pour le début.

 

Bilan ? Eh bien… Je ne sais pas vraiment. Je suppose que le boulot est bien fait, hein – par ailleurs, le livre est d’une lecture agréable, très aéré, bien conçu (les illustrations, euh, bon, elles sont de qualité variable, on va dire – la hideuse couverture en témoigne, j'imagine... Mais, à tort ou à raison, je n’ai pas eu le même sentiment d’atmosphère de L’Anneau unique, si les teintes sont assez semblables (certaines illustrations en sont visiblement reprises, mais pas toutes, ai-je l’impression ? Je dis peut-être n’importe quoi…). Non, mon problème, ça demeure la base D&D5 – même en excluant la magie. Je suis un peu perplexe – un peu sceptique. Tout le monde dit que c’est très bien, c’est sans doute que ça l’est… Il me faudra tester ça – je suppose que c’est le seul moyen de vraiment apprécier les atouts et les inconvénients de cette mécanique. Mais je me demande tout de même si ça ne vaudrait pas le coup de relire L’Anneau Unique, même indubitablement bordélique (dans sa première édition en tout cas), même largement critiqué. Juste au cas où… Ceci dit, je vous parlerai prochainement du Loremaster’s Guide d’Adventures in Middle-Earth, qui me permettra peut-être de me décider un peu plus…

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