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"Une forme de guerre", de Iain M. Banks

Publié le par Nébal

"Une forme de guerre", de Iain M. Banks

BANKS (Iain M.), Une forme de guerre, [Consider Phlebas], traduit de l’anglais par Hélène Collon, Paris, Robert Laffont, coll. Ailleurs et Demain, [1987] 1993, 477 p.

 

Il est totalement incompréhensible que je n’aie toujours pas lu le « cycle de la Culture » de Iain M. Banks. En effet, cette œuvre passablement monumentale – dont j’ai entendu parler, forcément, depuis un bail – avait semble-t-il tout pour me plaire, dans la mesure où l’auteur, décédé il y a peu hélas, y décrivait a priori une utopie post-humaine hédoniste et libertaire, ce qui ne pouvait que me parler (est-il nécessaire que je vous renvoie encore à Eclipse Phase ?), et avait en outre le bon goût d’interroger sa raison d’être et son attitude à l’égard des autres civilisations. Tout cela ne pouvait que me plaire. Et pourtant, je viens tout juste de sauter le pas… peut-être parce que les attentes étaient trop élevées ? Aucune idée, en fait.

 

Toujours est-il que mon premier contact avec Iain M. Banks, hors Culture (ou peut-être pas totalement, selon une intéressante analyse de l’éditeur), ce fut l’étonnant Efroyabl Ange1 (avec sa traduction parfaite signée Anne-Sylvie Homassel). Ce fut… déconcertant. Et, dois-je dire, pas totalement convaincant à mes yeux. Mais sans préjuger de la curiosité qui me portait à capitaliser les volumes du « cycle de la Culture » (et on m'en avait donné pas mal !) en attendant le moment où je m’y mettrais enfin. Du coup, maintenant, je les ai tous, et n’ai plus aucune raison de retarder l’échéance. Allez, hop, c’est parti ! Et en commençant par le commencement, ce Une forme de guerre (le titre original, renvoyant à un poème de T.S. Eliot, est aussi sonore qu’éclairant, Consider Phlebas), premier tome publié du cycle outre-Manche, mais étrangement le troisième chez nous, du fait supposé-je d’un choix pour le moins discutable de Gérard Klein ; mais il faut savoir que chacun a son mot à dire sur « l’ordre » dans lequel aborder ce cycle…

 

Consider Phlebas, donc, nous plonge dans la longue guerre opposant la Culture, lointaine civilisation humaine ultra-technologique qui affiche son progressisme et sa tolérance tout en se livrant à un expansionnisme culturel (eh) ambigu, aux Idirans, extra-terrestres (oui, forcément...) tripèdes qui se sont lancés dans un djihad galactique pour la plus grande gloire de leur Dieu (ce qui est passablement d’actualité, sans doute...). Forcément, ces deux modes de pensée contradictoires, et aux ambitions rivales, ne pouvaient déboucher que sur un conflit (dont l’origine et le déroulement sont explicités en appendice, et c'est aussi passionnant que pertinent).

 

On peut sans doute supposer que le lecteur, a fortiori occidental d’ailleurs, se reconnaîtra davantage dans les valeurs politiques et morales de la Culture que dans cette agressive religion idirane dont le Dieu n’a même pas le bon goût d’être anthropomorphe. Mais ce n’est pourtant pas Balvéda, agent de Circonstances Spéciales, branche de Contact de la Culture (entre espionnage, subversion et diplomatie), qui tiendra ici le rôle de personnage principal. Non : place à son ennemi tout désigné, le Métamorphe (donc humain, mais métamorphe néanmoins) Bora Horza Gobuchul. Comme la plupart des membres de son espèce, Horza a embrassé la cause idirane contre celle de leurs frères humains. Ou peut-être que non, en fait : le Dieu des Idirans, Horza n’y croit sans doute même pas… Seulement il a une dent (une molaire, on va dire) contre la Culture et l’hégémonie qu’elle tend de plus en plus à incarner. Et ce point de vue autre est particulièrement appréciable, amenant le lecteur à dépasser nécessairement tout manichéisme, opposant un hypothétique bien progressiste et tolérant (?) à un mal archaïque et religieux. Il est vrai que le prosélytisme fait se ressembler les deux causes, et la Culture tue probablement au moins autant que les fous de Dieu d’en face… Car, contrairement à ce que les Idirans avaient déduit de la « force morale » de la Culture en n’envisageant que son idéologie affichée, celle-ci n’est certainement pas « faible », et, acculée, montre les crocs, se battant pour sa survie avec une fougue qui n’a rien à envier à celle des plus dangereux prédateurs.

 

Horza, donc, échappe à la mort sur une planète partisane de la Culture où les Idirans l’avaient envoyé prendre la place d’un gérontocrate (ce qui n’avait pas trompé l'astucieuse et rusée Balvéda). Recueilli par ses commanditaires, il se voit confié une nouvelle mission : les Idirans souhaiteraient en effet mettre la main sur un Mental de la Culture (une intelligence artificielle) qui s’est montré particulièrement malin et leur a glissé entre les pattes de manière pour le moins audacieuse. Celui-ci se serait réfugié sur le Monde de Schar, une « Planète des Morts » placée sous la protection des Dra’Azon, inconcevables extra-terrestres (oui, forcément, bis...) ayant atteint un niveau de développement les rapprochant de l’omnipotence, nécessairement neutres dans ce conflit galactique qui ne les intéresse en rien, mais qui interdisent en principe l’accès à ces planètes pour des raisons qu’il n’appartient à personne de questionner ; mais Horza était en fait déjà allé sur le Monde de Schar, qui abrite une base métamorphe : il est à l’évidence un candidat tout désigné pour s’y rendre et mettre la main sur le Mental fugitif.

 

Et là… surprise. Dans les thématiques, dans le fond, Consider Phlebas relève sans aucun doute d’une certaine science-fiction « pointue », dépassant le pur divertissement (qui ne saurait être autre que vulgaire, comme chacun sait). Mais, très concrètement, et durant l’essentiel du roman… il s’agit en fait d’une histoire de « pirates de l’espace », qui m’a presque nécessairement fait penser à du Star Wars, dans un sens, même si j’aurais surtout envie d’évoquer ici certains Jack Vance (que j’aime beaucoup, hein, là n’est pas la question), divertissements de haut-vol, baroques et bourrés d’idées, au ton essentiellement léger et aventureux. Et, oui, il y a probablement de ça dans Une forme de guerre (je ne me prononcerai pas encore pour ce qui est des autres volumes du cycle). Il y sans doute ici une part d’hommage ambigu, consistant pour un auteur post-truc à jouer des ressorts éventuellement éculés du space op’ à papa pour aboutir à quelque chose qui, tout en l’évoquant, est subtilement (enfin, plus ou moins…) d’un autre ordre (on a parlé ultérieurement, mais de manière un peu éphémère car abusive peut-être, de « nouveau space opera »). D’ailleurs, Consider Phlebas paraît deux ans avant Hypérion de Dan Simmons, sans doute une charnière dans le genre (et il m’a fortement évoqué par ailleurs la SF de John Varley, qui peut jouer d’un registre similaire – ainsi, mais il a été publié dix ans plus tard, le très bon Le Système Valentine). Mais l’approche est probablement ici encore plus radicale, du fait du ton très aventureux du roman, assez pulp, que l’on devine pourtant parfaitement grave et sérieux sous une couche d’humour British et de références pop un poil déconcertantes…

 

Et oui, du coup, ça m’a surpris. Je m’attendais à vrai dire à tout sauf à ça. Des « pirates de l’espace » ? Quand même ? Ben oui.

 

Bien sûr, cela ne préjuge en rien de la qualité du roman. Au contraire, même : ce jeu adroit avec un imaginaire d’un autre temps participe de la réussite de Consider Phlebas, que je ne mettrais pas en doute. Et l’intelligence du propos est de même indéniable, tandis que la légèreté de l’ensemble n’empêche en rien le roman de verser progressivement dans une gravité désabusée, en rapportant le conflit à l’échelle cosmique, ce qui le rend dérisoire, et d’autant plus dérisoires les agitations laborieuses de Horza et de ses copains mercenaires…

 

Oui, Une forme de guerre est un bon roman. Pas de doute là-dessus. Pourtant, au-delà de ce choc sur lequel je me suis étendu à l’instant, et qui était sans doute finalement bien vu, je dois dire qu’il m’a tout de même un peu déçu… Il est bon, donc, mais pas si bon que ça non plus. Et je pense que ce problème tient pas mal à la forme. En effet, Consider Phlebas est un roman très, très bavard, au sens où il tire vraiment à la ligne en plus d’une occasion, et notamment lors d’interminables scènes d’action parfois franchement pénibles (celles des derniers chapitres m’ont semblé carrément laborieuses, disons-le) : ici, pour le coup, le roman s’éloigne du divertissement à la Jack Vance, qui mettait toujours en avant une extrême fluidité dans l’action, quand bien même celle-ci impliquerait-elle un style purement utilitaire ; or Consider Phlebas, sans se montrer formellement plus élégant pour autant, se noie à plus d’une reprise dans les détails, à décortiquer excessivement l’action : du coup, il faut tant de pages pour ouvrir une putain de porte, ou pour démarrer un putain de train… d’autant que les redondances sont loin d’être exclues (là encore, surtout dans les derniers chapitres, où, non seulement l’action se traîne, mais en outre elle se répète au-delà du justifiable). Et ça, ça m’a un peu saoulé : ce qui est raconté a beau être frénétique – comme lors de la fuite des « pirates » enfermés dans un Véhicule Système Général de la Culture, passage autorisant par ailleurs de beaux éclats de pur « sense of wonder » en jouant la carte du gigantisme –, la narration a quelque chose d’apathique, et ce décalage-là m’a paru pénible (les références antédiluviennes de Banks se montrant autrement plus efficaces).

 

Mais oui, Une forme de guerre est un bon roman – l’inventivité baroque de Banks, son univers parfait à la jonction des extrême, l’intelligence du propos emportent l’adhésion malgré tout. Simplement, il n’est pas si bon que ça. Ce qui explique peut-être sa publication française tardive ? Je n’en sais rien. J’espère simplement que la « suite » se montrera plus convaincante à tous les niveaux ; car j’en attends vraiment, vraiment beaucoup, et ne suis pas pleinement satisfait au sortir de ce tome inaugural : je veux plus, et mieux. Je vais poursuivre avec L’Homme des jeux, on verra bien.

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J
Pour moi lire le cycle de la Culture a été parfois jouissif, et parfois un long chemin de croix.<br /> Mais chaque lecture enrichit les suivantes ... et les précédentes.<br /> Une forme de guerre m'a effectivement laissé le souvenir d'un livre très convenu, mais avec un aspect "historique" intéressant (C'est le seul livre qui se passe pendant la Guerre Iridane),<br /> L'ordre de publication choisi par Dieu n'est pas dénué de pertinence.<br /> Concernant la thématique du jihad, en 1987 on ne peut pas dire qu'elle était d'actualité.<br /> Avis purement personnel : Les enfers virtuels est pour moi le meilleur roman.<br /> Bon courage pour la suite, et ne t'arrête surtout pas en chemin.
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V
&amp;amp;quot;J’espère simplement que la « suite » se montrera plus convaincante à tous les niveaux ; car j’en attends vraiment, vraiment beaucoup, et ne suis pas pleinement satisfait au sortir de ce tome inaugural : je veux plus, et mieux.&amp;amp;quot; Je ne sais pas si ce sont des attentes personnelles ou instillées par d'autres lecteurs, mais je pense affirmer sans effet de manche qu'elles seront déçues si tu mets la barre aussi haut. Déjà, Banks a un style littéraire moyen (avide même de phrases à rallonges qui semblent parfois écrites d'un seul jet) et une façon de narrer, de structurer, de rythmer, qui sont rarement à l'avantage du lecteur, à mon avis, même si le côté espionnage et secrets peut aider le lecteur qui aurait besoin d'enjeux plus classiques. Ah si, les combats interminables vont fondre, même si l'acme éreintante de la dernière partie de Consider Phlebas m'avait éclaté.<br /> <br /> Question structure admirable, il y a certes L'usage des armes, dont la composition remonte au départ bien avant celle de Consider Phlebas (ouep), mais dont la structure a été inspirée par un ami (Ken Mac Leod, auteur de SF également) que Banks remercie d'ailleurs, mais tu risques de retrouver le côté &amp;amp;quot;apathique&amp;amp;quot; que tu mentionnes, si du moins j'ai bien interprété la chose, sans que l'auteur n'aiguise davantage ses armes ou se remette fortement en question dans ses romans suivants. Excession, par exemple, assez populaire chez les fans, se traine aussi quelque part, et le côté (forcément ?) déceptif de son dénouement pourra déplaire...même si l'intrêt du roman ne reposait pas là (mais j'ai pas mal oublié). Attention, derrière les critiques que je pointe, il y aussi une intention de l'auteur et une conscience certaine de son travail, je pense, mais tu les découvriras par toi-même (en parlant de &amp;amp;quot;conflit dérisoire&amp;amp;quot; vécu par les persos t'es déjà en plein dedans) , ainsi que d'autres auxquelles je n'aurais pas pensé, n'ayant au final que peu de références en SF ou britisheries intertextuelles.<br /> <br /> L'homme des jeux est nettement plus ramassé et plus &amp;amp;quot;efficace&amp;amp;quot; que Phlebas, mais bien moins développé sur la Culture, il me semble. Je ne sais pas comment tu le prendras. L'ayant lu en premier, j'ai senti une gradation plaisante en lisant par la suite Use Of et Phlebas (décidément pour les titres, c'est freestyle chez moi), ce qui je suppose était un des but de Gérard Klein, qu'on évite une déception après le space op consistant de .<br /> <br /> Les livres sur la Culture de Banks m'ont pas mal apporté, fait rêver par leur sense of wonder, les côtés absurdes, mélancoliques ou dépaysants de certains récits (y compris pour Inversions qui s'y prend de façon étonnante), les passages un peu surréalistes ou expérimentaux, ces scènes qui paraissent gratuites ou détachées d'une trame, avant qu'on revoie notre position sur ce qu'on est vraiment en train de lire. Mon esprit fébrile s'arrêtait en général très souvent pour imaginer d'autres dialogue, étoffer, complexifier ce qui m'insatisfaisait sur le moment, dans Trames par exemple, où certains éléments auraient pu trouver un background (mais ce roman à d'autres faiblesses), avant de refaire page blanche pour &amp;amp;quot;accepter le récit&amp;amp;quot; et poursuivre ma lecture; je ne sais pas si les gens font fréquemment ça. Je pense que c'est à la fois le signe que les lectures de Banks peuvent pousser à la réflexion personnelle en donnant des pistes au lecteur, et en même temps qu'elles tutoient ou abordent des choses vraiment excitantes qu'on aimerait voir développer à 200% et ne le sont pas, ou pas assez, voire avec de la redondance pour certaines thématiques que l'on saisit pourtant vite. Le sens du vent a une certaine élégance, même si je crois me souvenir qu'on se reposait plus sur du drame que de la réflexion: faut voir comment tu perçois la chose. <br /> <br /> L'auteur a-t-il pensé à tel aspect de la Culture, va-t-il en parler ? Telles interactions sont-elles assez cohérentes avec la politique de ceci ou la technologie de cela ? Des questions de ce genre m'ont souvent obsédé dans ma lecture, peut-être à tort. Et à présent que Banks nous a quitté, sa construction livre par livre qui lui permettait de combler certains creux - mais d'agrandir la tapisserie - s'est achevée. Je n'ai pas lu le tiers de La sonate hydrogène, qui semble assez porté sur le background, ne plus de reposer sur un postulat malin. Je dois avoir peur de quitter ce cycle... <br /> <br /> Je ne sais pas trop ce que tu attends de rencontrer dans la suite du cycle, mais il se pourrait bien que tu le trouves par la suite, au moins par bouts disséminés, tant les romans diffèrent. En toute honnêteté, leur lecture n'était pas toujours une partie de plaisir à cause de ce côté &amp;amp;quot;où m’emmène-t-on&amp;amp;quot;, mais le plaisir rétrospectif était d'autant plus fort.
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N
Merci pour ce long commentaire. On verra bien...