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"L'OEil de la Nuit, t. 1. Ami du mystère", de Lehman, Gess & Delf

Publié le par Nébal

"L'OEil de la Nuit, t. 1. Ami du mystère", de Lehman, Gess & Delf

LEHMAN, GESS & DELF, L'Œil de la nuit, t. 1. Ami du mystère, [s.l.], Delcourt, 2015, 92 p.

 

Depuis l'excellente Brigade Chimérique (au moins, mais il ne faudrait pas oublier pour autant quelques textes précurseurs, comme l'excellente nouvelle « Superscience », recueillie dans Le Haut-Lieu), Serge Lehman ne cesse d'explorer, sous forme de bandes dessinées, l'imaginaire scientifique et super-héroïque (ou proto-super-héroïque, si vous y tenez) de l'Europe de la fin du XIXe et du début du XXe siècles. Ce qui autorise bien des approches différentes – je vous avais parlé il y a quelques temps de cela du premier tome de Metropolis –, et en témoigne cette nouvelle série (je crois que le tome 2 vient de sortir, il faudra que).

 

L'Œil de la Nuit est pour Serge Lehman l'occasion de créer « son » Nyctalope (personnage qui semble décidément le fasciner). Théo Sinclair est un jeune dilettante féru d'astronomie et auquel on prédit un bel avenir ; il connaît le beau monde, et est supposé épouser prochainement la fille du ministre de la Marine. Ses problèmes cardiaques, dès lors, semblent finalement de peu d'importance...

 

Mais tout bascule en une nuit : alors que Sinclair, bien accompagné, se rend à une conférence très cotée du professeur Camille Flammarion, au cours de laquelle le célèbre astronome et visionnaire dévoile une momie martienne témoignant d'une vie intelligente de plus sur la planète rouge (que l'on savait habitée par des êtres hostiles depuis le fameux rapport de H.G. Wells La Guerre des Mondes). Mais un vol survient, et les inestimables bijoux de la momie disparaissent. Sinclair, n'écoutant que son courage (ou sa vanité ?) se lance à la poursuite des malfrats dès que possible, et mal lui en prend...

 

Mais un autre drame a eu lieu chez lui durant son absence : une des innombrables maîtresses de son père a gravement blessé ce dernier, et le vieil homme est entre la vie et la mort. La scélérate, avec son complice qui se faisait passer pour son chauffeur, a en outre mis la main sur les dossiers du mystérieux projet « Mercure-X ». Sinclair, sous le choc, et contre l'avis de son entourage, se lance à nouveau dans l'enquête. Il découvre bien vite l'identité des malfrats, deux dangereux anarchistes qui terrifient l'ensemble du monde civilisé... Et il se lance à leur poursuite. C'est ainsi qu'il acquerra ses étranges super-pouvoirs...

 

La méthode est éprouvée depuis La Brigade Chimérique (tout en faisant inévitablement penser à La Ligue des gentlemen extraordinaires d'Alan Moore et Kevin O'Neill) : Serge Lehman, en adoptant un cadre précis et plus ou moins réaliste, mêle avec érudition et à-propos événements authentiques et imaginaires, figures bien réelles et personnages de fiction. On notera d'ailleurs ici le grand rôle dévolu aux auteurs de fictions populaires, qui sont des personnages à part entière.

 

L'approche, cependant, est différente (pour le moment tout du moins) : il y avait en effet quelque chose « d'intellectualisant » dans La Brigade Chimérique (ou dans Metropolis, d'ailleurs), qui ne se montre pas vraiment ici. Non, L'Œil de la Nuit, ancré dans la tradition des fictions populaires dont il s'inspire, est avant tout une série d'aventures, rocambolesques comme il se doit, multipliant les rebondissements les plus étonnants dans une frénésie imaginative toute à l'honneur des auteurs. Tout cela se lit très (trop ?) vite, et, une fois la très forte dernière page tournée, on est pris d'une envie irrépressible de lire immédiatement la suite. Sous cet angle, cet Ami du mystère est donc une incontestable réussite.

 

Mais je n'ai parlé que du scénario pour l'instant... Il faut bien entendu évoquer le dessin de Gess (qui avait déjà œuvré, notamment, sur La Brigade Chimérique, il n'y a pas de hasard). Personnellement, j'ai toujours un peu de mal avec ses personnages, aux attitudes parfois étranges, et, surtout, aux visages bouffés par les ombres. Les décors sont par contre irréprochables, et on lui reconnaîtra un incontestable sens du dynamisme, particulièrement justifié dans cette trépidante aventure. Il y a néanmoins de très beaux moments, des images fortes qui marquent durablement, surtout quand Delf se lâche sur les couleurs.

 

Ce léger bémol graphique mis à part, je ne peux donc que confirmer avoir pris un grand plaisir à la lecture de ce premier tome de L'Œil de la Nuit. J'ai hâte de lire la suite, en espérant qu'elle soit à la hauteur. En tout cas, si Serge Lehman se fait rare (…) en tant que prosateur (ce que je regrette un peu), il est à n'en pas douter un scénariste talentueux, qui a peut-être bien trouvé « son » genre dans cette approche « feuilletonesque », qu'il sert au mieux.

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