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Epées et mort, de Fritz Leiber

Publié le par Nébal

Epées et mort, de Fritz Leiber

LEIBER (Fritz), Épées et mort, [Swords Against Death], traduit de l'américain par Jacques Parsons, Paris, Temps Futurs – Pocket, coll. Science-fiction, [1970, 1982] 1985, 281 p.

 

Retour aux aventures de Fafhrd et du Souricier Gris dans ce deuxième tome composé de (très) diverses nouvelles écrites sur une longue période, mais ordonnées selon une chronologie interne définie ultérieurement. Si le premier tome, déjà très recommandable, ne constituait à bien des égards qu'une introduction – on découvrait Fafhrd, puis le Souricier Gris, puis les raisons de leur alliance à Lankhmar –, nous sommes cette fois au cœur de l'action, avec des textes mettant en scène nos deux valeureux compères, même si l'accent est parfois mis sur l'un plutôt que sur l'autre.

 

Suite aux tragiques événements ayant conclu Épées et démons, Fafhrd et le Souricier Gris font le serment de quitter Lankhmar et de ne plus jamais y remettre les pieds. Mais, en chemin, ils rencontrent les énigmatiques sorciers Sheelba-au-Visage-Aveugle et Ningauble-aux-Sept-Yeux, qui les avertissent (prophétie ? Malédiction ?) de leur retour prochain dans ce centre majeur de la civilisation. Et, en effet, après un long périple hors-champ, nos deux compagnons, qui n'ont trouvé nulle part de réponses à leur chagrin, sont bien amenés à revenir...

 

Mais c'est pour en repartir presque aussitôt, en se lançant dans une odyssée folle par-delà la mer Extérieure, qui, plus que jamais, contient de beaux moments lovecraftiens (avec notamment la visite par le menu d'un terrifiant ersatz de R'lyeh).

 

Contre toute attente (ou pas, mais pour le lecteur...), Fafhrd et le Souricier Gris parviennent de nouveau à rentrer à Lankhmar, la Taverne de l'Anguille d'Argent constituant pour eux une sorte de foyer, jusqu'à ce qu'ils osent en bâtir un nouveau à l'arrière de l'auberge, sur les ruines de l'ancien. Et ils tombent alors dans le plus grand des pièges, en s'engageant contractuellement, le Souricier Gris avec la taciturne Sheelba-au-Visage-Aveugle, Fafhrd avec le volubile Ningauble-aux-Sept-Yeux – deux sorciers qui se livrent une guerre impitoyable...

 

Très tôt, en lisant ce chouette recueil, j'ai été saisi par son influence fondamentale sur la suite des opérations, et l'on voit bien ici à quel point le « cycle des épées » constitue un « classique ». On peut commencer avec le décor, et plus précisément la ville de Lankhmar, qui entretient avec la notion de civilisation une relation trouble. Mais l'on se rend compte surtout à quel point il n'y a qu'un pas à faire pour passer de Lankhmar à Ankh-Morpork (puis un autre pas jusqu'à Wastburg, probablement). Tout y est, ou presque : à vrai dire, on tient là le modèle de la métropole cosmopolite si prégnant dans la fantasy, notamment rôlistique.

 

Ce qui m'amène à cette autre remarque : généralement, quand on cherche les précurseurs et influences de Donjons & Dragons de Gary Gygax, on se tourne en premier lieu vers les figures tutélaires de la fantasy littéraire que sont J.R.R. Tolkien et Robert E. Howard. Je n'entends certes pas nier cette influence, simplement la relativiser, en notant que le vénérable ancêtre du jeu de rôle renvoie tout autant, voire davantage, au « cycle des épées » de Fritz Leiber (ainsi que, cela a souvent été remarqué, et par Gygax lui-même, d'ailleurs, au « cycle de la Terre mourante » de Jack Vance, notamment Un monde magique, même si Cugel a pu sans doute jouer un rôle – aha – dans la définition de la classe de voleur – mais on retrouve justement là encore Fahrd et plus encore le Souricier Gris...). Quoi qu'il en soit, nos deux aventuriers du « cycle des épées », le petit bretteur agile, ex-apprenti sorcier, et le grand barbare formé pour être scalde, ont donné lieu à des centaines de déclinaisons, et les aventures – souvent brèves – qu'ils sont amenés à vivre ne manquent pas d'évoquer, avec pas mal d'années d'avance, d'autres quêtes, faisant appel à des dés aux formes bizarroïdes...

 

C'est en même temps la seule véritable critique que j'oserais éventuellement avancer concernant ce très bon recueil (mais j'ai l'impression qu'il vaut pour le reste du cycle, par ailleurs, au-delà de ce seul deuxième tome) : après une longue et savoureuse mise en place, les conclusions sont souvent précipitées, comme s'il s'agissait de finir un one-shot avant le dernier métro ; mais cela tient sans doute, au moins pour partie, au format de publication original...

 

Dernière toute petite remarque, enfin : je n'ai pas pu m'empêcher de penser ici à l' « essai » de Francis Valéry intitulé maladroitement De H.P. Lovecraft à J.R.R. Tolkien ; il aurait été intéressant, peut-être, de chercher quelques auteurs à la croisée des chemins (même si, du coup, l'influence primordiale serait celle du Maître de Providence) ; or, ici, Fritz Leiber serait très bien placé (avec bien sûr Robert E. Howard et Clark Ashton Smith, mais leurs œuvres de « fantasy » sont antérieures).

 

L'important reste cependant qu'Épées et mort constitue une très chouette lecture, un divertissement rare ; suite avec Épées et brumes, très bientôt...

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L
Heureux de te voir lire ce classique. Leiber est un des géants négligés de l'heroic fantasy. Je les ai relus il y a quelques années.<br /> http://lependu.blogspot.ch/2008/04/un-retour-lankhmar.html<br /> Ces livres font partie des lieux secrets où je retourne quand la vie est dure.<br /> Amitiés<br /> LK
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