"L'Homme des jeux", de Iain M. Banks
BANKS (Iain M.), L'Homme des jeux, [The Player of Games], traduit de l'anglais par Hélène Collon, préface de Gérard Klein, Paris, Robert Laffont – LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [1988, 1992, 1996] 2012, 478 p.
Retour au « cycle de la Culture » de Iain M. Banks avec L'Homme des jeux, deuxième titre de la série en VO (après Une forme de guerre), mais étrangement le premier à avoir été traduit en français. Il faut dire que nombreux sont ceux qui m'avaient présenté ce deuxième tome comme une meilleure introduction au cycle que le premier, que j'avais bien aimé, certes, mais qui m'avait laissé aussi un brin perplexe, avec son trip old school « Pirates de l'espace », et surtout sa fâcheuse tendance à tirer à la ligne, notamment lors des (nombreuses) scènes d'action. C'est malgré tout avec un a priori plutôt positif que j'ai entamé la lecture de L'Homme des jeux, espérant y trouver, sous sa couverture particulièrement hideuse, plus frontalement tout ce que je me sentais en droit d'attendre de ce cycle réputé.
Cela dit, là aussi, on fait dans la référence à des classiques de la SF – cette idée d'un jeu central au niveau politique m'a inévitablement fait penser à Philip K. Dick (Loterie solaire, Les Joueurs de Titan, voire mais c'est plus discutable Le Temps désarticulé), et donc probablement derrière à l'ignoble A.E. Van Vogt (Les Joueurs du Ā?). Une ambiance un peu différente du baroque vancien d'Une forme de guerre, mais un jeu (aha) de références tout de même, qui ne saurait sans doute être innocent.
Bon, la Culture, vous connaissez : c'est cette grand civilisation galactique ou presque, anarchisante et hédoniste, avec à sa tête, si tant est qu'elle en ait une, des intelligences artificielles ultra-balaises appelées Mentaux ; une société libérale et même libertaire, forcément pacifiste et non-hégémonique. Forcément, hein ? Sauf que c'est là que le bât blesse – ce qu'on avait déjà pu constater dans Une forme de guerre. Du coup, je n'ai pas le sentiment de spoiler quoi que ce soit ici : dans L'Homme des jeux, comme dans le précédent volume, Iain M. Banks questionne l'universalisme utopique, cette tendance profondément libérale (mais qui a essaimé ailleurs...) à vouloir, via le soft power, faire le bonheur des autres malgré eux...
Ici, nous avons donc la Culture d'un côté, et Azad de l'autre. Tout y est Azad, d'ailleurs : c'est le nom de l'empire, dont l'existence a longtemps été tenue secrète par la Culture, mais c'est aussi celui du jeu qui attribue les responsabilités les plus notables, et jusqu'à celle de l'Empereur, passé quelques « grandes années ». Tout y est Azad, donc, et le jeu décide de tout.
Ce qui en fait un jeu idéal pour Gurgeh, qui n'en avait bien sûr jamais entendu parler jusque-là. Gurgeh, il faut le dire, est un joueur-de-jeux, et un des meilleurs de la Culture – voire le meilleur. Il a pratiqué des dizaines de jeux, mémorisé règles et stratégies par centaines, et toujours ou presque trouvé le moyen de triompher.
Mais une « faute de jeu » (une gourmandise, disons) va le mettre dans le pétrin, un vilain drone menaçant de le faire chanter. Ledit drone sait que Gurgeh a été joint il y a peu par Contact, la branche de Circonstances Spéciales, sans autre précision sur ses intentions. Or notre drone, qui a été exclu en raison de son mauvais caractère de Circonstances Spéciales, entend bien réintégrer cette agence, et incite ainsi Gurgeh à accepter la mystérieuse offre de Contact.
L'offre ne reste pas mystérieuse bien longtemps, certes ; on lui demande, à lui l'humain de la Culture, d'aller participer au tournoi d'Azad (ce qui implique une absence de cinq ans, tout de même). Oh, bien sûr, en dépit de la formation accélérée que lui fournira son vaisseau durant le long voyage, il ne pourra que perdre, hein ? Sauf que Gurgeh est un sacré joueur-de-jeux ; et après quelques doutes bien légitimes, il parvient à regagner une certaine confiance en lui qui devrait lui assurer une bonne place, disons honorable, dans le classement final : une première pour un étranger en provenance d'une civilisation inconnue d'Azad.
Mais c'est qu'il joue vraiment bien, le bougre ; il ne va pas aller jusqu'à affronter l'Empereur-Régent sur son terrain, tout de même ? Si ?
Et si c'était ce que la Culture voulait dès le début ? C'est qu'elle est bien jolie, la Culture... mais elle est aussi sacrément manipulatrice. Et ambitieuse, quoi qu'elle prétende...
Bilan ? Eh bien, à l'instar d'Une forme de guerre, L'Homme des jeux est à n'en pas douter un bon roman. Il gomme un peu les traits les plus fâcheux de son prédécesseur (ça tire notamment un peu moins à la ligne, même si le livre fait son poids), tout en mettant en avant quelques belles trouvailles façon « ethno-SF », un peu à la Vance encore, mais pour le coup peut-être davantage à la Le Guin (une influence du cycle plus que probable), par exemple les trois sexes des sujets d'Azad ; on mentionnera aussi, parce que wahou, le magnifique écosystème de la Planète de feu où se conclut la partie. Les personnages sont plus ou moins intéressants (Gurgeh m'a paru assez terne, son agaçant drone-bibliothèque est autrement plus chouette, mais il en va de même de quelques-uns de ses adversaires au jeu d'Azad), le style oscille entre le banal et le bon voire très bon, l'intelligence du propos ne saurait faire de doute (même si on comprend donc vite où Banks veut en venir).
Et tout cela donne... un bon roman, oui. Mais si bon que ça ? Je n'en ai hélas toujours pas l'impression... Sur ces deux premiers volumes, le « cycle de la Culture » me déçoit un peu (sentiment à vrai dire confirmé par la suite, j'en suis au cinquième roman, et...). Il est vrai que j'en attendais beaucoup... Prochaine étape : L'Usage des armes.
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