Skulduggery
Skulduggery, Pelgrane Press, 2010, 120 p.
Skulduggery est un jeu de rôle un peu spécial (conçu pour des parties « sur le pouce », et tendant vers la narration partagée, même s'il y a un maître de jeu), écrit par Robin D. Laws pour Pelgrane Press ; l'auteur y reprend largement – en le simplifiant ici, en le complétant un brin là, et en l'adaptant comme de juste – le système qu'il avait développé pour Dying Earth ; il est ainsi possible de l'étendre à d'autres cadres de jeu, ne se rattachant pas à l'univers vancien – mais en reproduisant dans un sens certains traits (l'importance de la persuasion, ainsi que les résistances, surtout ; on y retrouve aussi, en plus affiché encore, un relatif mépris du combat), et en en conservant largement l'humour caustique et parfois burlesque (même s'il est en théorie envisageable de jouer des choses plus « sérieuses », disons dramatiques voire tragiques, mais je suis un peu sceptique).
Pas vraiment de fiches de personnages, ici, mais des cartes. En début de partie, le maître de jeu distribue des cartes définissant à gros traits les personnages que vont incarner les joueurs (et notamment leurs objectifs, un qui est assigné au groupe, et un autre « personnel », ce qui peut évidemment susciter des tensions parmi les joueurs, les contradictions étant souhaitables), puis d'autres, qui ne leur sont pas rattachées directement, et qui définiront les aspects techniques manquants (les compétences figurent sur la première carte, mais on trouve ici les styles de persuasion et de rebuffade, éventuellement les styles d'attaque et de défense – si le scénario les autorise –, les relations...).
Dès lors, on applique en gros le système de Dying Earth : tout se joue avec un seul dé à six faces, et on utilise un système de réserves, avec des bonus et des pénalités, pour déterminer la réussite ou non des actions entreprises, et le succès d'un personnage en cas de conflit. Une différence essentielle : les « répliques », ici, ne servent pas à gagner de l'expérience (ce n'est a priori pas le propos du jeu), mais à remplir les réserves. Pour le reste, on est dans l'ensemble en terrain connu, avec quelques simplifications bienvenues (on a beaucoup moins, voire pas du tout, de règles « spéciales » que dans Dying Earth, et on évite bien entendu de se coltiner le système de magie).
Tout cela semble garantir un jeu fluide et nerveux, reposant, comme le dit la couverture, sur les « feux d'artifice verbaux » et les « retournements soudains ». Obtenir les premiers me semble probablement plus aisé que dans Dying Earth, dans la mesure où il n'est pas nécessaire d'y reproduire le style vancien de « la Terre mourante », certes délicieux, mais ô combien alambiqué et précieux (je ne suis pas sûr que tous les joueurs soient vraiment volontaires pour jouer à fond dans cette optique...) ; ils sont en tout cas intimement liés aux « retournements », dans la mesure où la persuasion est donc au cœur du jeu. Ce qui implique, là plus que jamais, de passer un pacte avec les joueurs : il est fort probable qu'en cours de partie leurs personnages soient, via ces joutes verbales, persuadés de faire quelque chose que leurs joueurs ne souhaitent pas faire, dont ils se doutent que cela leur sera néfaste ou bien risque d'aller à l'encontre de leurs objectifs personnels, ce genre de choses ; le jeu ne pourra véritablement avancer que si les joueurs admettent que la persuasion les amène à aller contre leur propre volonté. Mais je pense que c'est là un réflexe qui doit s'acquérir assez vite.
Et, du coup, ça s'annonce très drôle. Mais à une condition encore : il faut que les joueurs créent véritablement le décor et l'histoire au fur et à mesure. C'est en cela que je parlais de « narration partagée » tout à l'heure : les joueurs ont une maîtrise du récit plus affirmée que dans les jeux de rôle « traditionnels ». Le scénario dont dispose le maître de jeu est en effet réduit à sa plus simple expression : une scène de départ, des PNJ, une scène de fin. Entre-temps, c'est tout à l'impro, en fonction de ce que font les joueurs, qui sont très libres, et incités à développer le setting au fur et à mesure de leurs répliques, etc. Je suppose, du coup, que cela fonctionne mieux avec un maître de jeu relativement expérimenté (et probablement de même pour les joueurs, encore que des novices pas encore contaminés par les réflexes « traditionnels » peuvent sans doute se montrer à la hauteur, à condition de vaincre une éventuelle « timidité »).
Le livre, court et clair, comprend quatre « scénarios », avec leurs cartes toutes prêtes : « The Yes Wing » adopte, presque comme une évidence, la vie politique américaine (ça s'adapte), les joueurs incarnant des conseillers, etc., supposés œuvrer pour la désignation du vice-président ; dans « Skulduggery & Crossbones », les joueurs sont des pirates en mauvaise posture (ici, le combat et l'action « physique » sont autorisés), qui ont en fait tous le même objectif personnel... Dans le redoutable « Casting Call », les joueurs incarnent des lycéens américains montant contre vents et marées leur spectacle de fin d'année, dans une atmosphère répugnante d'adolescence ; mon préféré, enfin, « If Space Permits », est un cadre de space opera baroque (qui a dit vancien ?), où les joueurs incarnent des commerçants galactiques en quête de monopole sur la vente de vin, le scénario jouant en outre énormément sur les résistances des PJ comme des PNJ (là encore, combat et action « physique » sont de la partie). D'autres scénarios ont été publiés depuis...
Skulduggery m'a plutôt convaincu : j'avais déjà, dans l'ensemble, apprécié ce système dans le cadre de Dying Earth, mais c'est avec plaisir que je l'ai retrouvé ici, d'autant qu'il me paraît plus facile à manier de la sorte. Ça me paraît vraiment parfait pour une partie au débotté, et je tenterais volontiers l'expérience...
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