La Lune et Douze Lotus
La Lune et Douze Lotus, Chibi, 2015, 273 p.
John Grümph est décidément très prolifique, et on croise son nom un peu partout en rôlistie, que ce soit en tant qu’auteur ou illustrateur. Sur ce blog, j’ai eu ainsi quelques occasions de l’évoquer, pour des jeux « pro » comme Mahamoth et surtout Oltréé !, mais aussi pour des « petits » jeux « amateurs » qu’il diffuse sur Lulu dans le cadre de son projet Chibi – je n’en avais cependant lu jusqu’à présent que NanoChrome, qui ne m’avait pas totalement convaincu…
La Lune et Douze Lotus est le petit dernier de ces jeux de rôle complets qui tiennent dans la poche (même s’il a dans la foulée sorti un autre bouquin via Chibi, sur l’architecture ai-je cru comprendre). Il est sorti un peu par surprise – j’en ai l’impression, tout du moins –, ce qui a pu susciter quelque méprise dans un premier temps : à en juger par le titre et la couverture, sans autre indication sur le contenu, on avait parfois supposé à tort qu’il s’agissait d’une chinoiserie… Alors qu’en fait c’est de sword & sorcery qu’il s’agit ici – puisant aux classiques tels Howard (surtout) et Leiber. Et, de même que pour le cyberpunk avec NanoChrome, John Grümph se montre ici très pertinent dans sa manière de cerner le genre, bien défini, et, surtout – ce qui manquait à mon sens dans NanoChrome –, il le dote d’un système dédié parfaitement approprié.
Le livre, très « pro », aéré et joliment illustré (je ne suis pas toujours fan des dessins de l’auteur, mais là ça rend vraiment bien), est ainsi vraiment un jeu de rôle complet, comprenant tant une mécanique adaptée qu’une description d’univers. Dans les deux cas, on fait dans le simple, voire l’élémentaire, mais ce n’est ici en rien une critique ; car les esquisses du background sont amplement suffisantes pour susciter la curiosité et se lancer dans l’aventure, tandis que le système semble, sur le papier en tout cas, garantir une expérience de jeu aussi souple que violente, pleinement dans l’esprit du genre.
Quelques mots sur l’univers, donc. La Lune et Douze Lotus évoque un monde de fantasy plutôt antique (j’ai du moins cette impression globale, mais c’est tendancieux), scindé en divers pays dont les ethnies ont des caractères relativement marqués, sans verser pour autant dans la caricature (et certainement pas dans les ajustements de données chiffrées sur une base « raciale »). On devine un monde dur et violent. La quatrième de couverture évoque pour les personnages « le sentiment diffus que l’indifférence au monde est pire que la mort (tout en prétendant le contraire) », formule que je trouve assez bien choisie ; mais on enchaîne sur « le besoin impérieux de botter des culs », hein… Les personnages, largement errants, se croisent donc sur les routes du lotus, évoquant inévitablement les routes de la soie. Le lotus en question est une plante existant en plusieurs variétés, et qui constitue, selon le mode de préparation, autant de drogues – son commerce est essentiel. Et la Lune, alors, que vient-elle faire dans tout ça ? Eh bien, elle renvoie aux sorciers. Ceux-ci – que l’on suppose rares – acquièrent en effet leurs pouvoirs en sacrifiant des innocents à la Lune… En théorie, rien n’empêche un joueur d’incarner un sorcier, mais ce n’est pas très héroïque, tout de même, et on peut supposer que les sorciers resteront cantonnés au rôle de PNJ (comme dans les récits de Howard). D’autres traits d’univers sont définis – les bêtes astrales, par exemple – mais ce n’est pas ici le lieu de détailler ces aspects. Je vous demanderai du coup de me croire sur parole : l’univers est certes simple, mais il est bien conçu, et parfaitement suffisant – et c’est quelqu’un qui rafole des backgrounds touffus qui vous le dit.
Le système de jeu est à l’avenant. Dans l’esprit des nouvelles classiques de sword & sorcery, on le sent calibré pour des parties brèves et violentes – éventuellement générées sur le pouce à l’aide de tables très bien faites –, héroïques et barbares, ne s’embarrassant certainement pas d’une continuité artificielle s’étendant sur des pages et des pages de verbiage (oui, là, je parle de mauvaise fantasy, même si la très bonne, Tolkien en tête, joue également cette carte). Une idée a priori intéressante (même si je ne suis pas sûr de ce que cela peut rendre en dehors du papier) : les scénarios ne sont pas nécessairement linéaires, dans l’esprit des récits emblématiques du genre ; comprendre par là que l’on peut parfaitement jouer une aventure antérieure à la précédente, puis retourner vers l’avenir, etc. : on n’est pas contraint de construire une campagne où les scénarios se suivent chronologiquement. L’expérience, dès lors, est gérée très différemment de ce que l’on connaît d’habitude – l’arbitraire du meneur est préféré à l’avancement linéaire plan-plan.
De toute façon, l’expérience ici ne débouche en rien sur du pinaillage chiffré avec moult données évolutives. La fiche de perso, très simple, comprend des cases pour six données chiffrées seulement, et c’est tout (les principales étant la Réputation et la Classe d’Armure ; on trouve ensuite les Points de Vie et la Folie d’une part, la Témérité et la Protection d’autre part : pas d’attributs ou caractéristiques typiques, façon Force, Intelligence ou Charisme, on n’en a pas besoin). Hors chiffres, on note aussi une « Ligne de Vie » qui personnalise, éventuellement des Talents, et un Inventaire sommaire.
Il y a quatre types de jets de dés pour envisager toutes les circonstances possibles et imaginables (attaque, prouesse, compétence, sauvegarde). On utilise le plus souvent un d20. Seul un 20 équivaut à un échec. Si l’on fait en dessous, mais au dessus du seuil de maîtrise, très facile à définir, c’est une réussite mineure : on donne alors dans le « oui, mais… ». Si l’on fait en dessous du seuil de maîtrise, la réussite est majeure. Simple, efficace, garantissant que les personnages ne se retrouvent pas contraints par un bête jet de dé raté, et incitant au récit plein de rebondissements, dans la grande tradition du genre. Enfin, si l’on ne sait pas apporter une réponse claire et immédiate quand une question se pose, une règle d’or suggère de jouer à pile ou face… Tout cela est donc élémentaire, d’une simplicité tenant de l’évidence. Je ne dirais pas « simpliste » pour autant, car, là encore, c’est une mécanique dédiée, et parfaitement appropriée à l’univers comme au type de parties souhaité.
Un excellent petit ouvrage, donc, qui bénéficie en outre d’une réalisation très « pro ». Vrai jeu de rôle complet, bien pensé tant pour ce qui est de l’univers que pour la mécanique, La Lune et Douze Lotus se dévore et séduit instantanément. C’est vraiment une très chouette surprise. Merci, M. Grümph.
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