AD&D2 : Dark Sun : Les Négociants des Dunes
AD&D2 : Dark Sun : Les Négociants des Dunes, TSR – Hexagonal, [1992] 1994, 88 p.
Le commerce est une activité essentielle sur Athas. Bon, certes, on pourrait dire ça de bien des mondes, mais Dark Sun se prête tout particulièrement à des récits centrés sur cette pratique, ou du moins la prenant en compte plus que de coutume. L’économie de pénurie caractéristique d’Athas, de même que l’esthétique très « route de la soie » qui colle au jeu, en sont des témoignages éloquents. Les négociants, sur Athas, sont d’une importance cruciale pour permettre aux populations tant des cités-États sous le joug des rois-sorciers que des villages perdus dans la désolation de survivre encore un temps – au moins jusqu’à la prochaine caravane… Ceci explique sans doute leur place résolument à part dans le système politique de Dark Sun. Les négociants y incarnent une forme de liberté inaccessible au quidam. Ce sont eux qui voyagent dans toute la Région de Tyr, là où leurs clients seront souvent confinés dans une agglomération, quelle qu’elle soit, pour toute leur vie. En achetant, vendant, échangeant, ils créent des liens autrement inimaginables – ce qui n’en fait certes pas des altruistes désireux d’unifier un monde en proie au chaos : c’est bien le profit qui les intéresse avant tout autre chose. Mais les conséquences sont là, et les négociants des dunes en retirent un statut particulier. Ils ne sont le plus souvent guère appréciés des rois-sorciers, mais ceux-ci ne peuvent faire sans eux – ils doivent au pire les tolérer, même s’ils y voient un foyer de subversion potentielle, alimentant parfois la racaille en dangereux biens illégaux, ou, de manière plus abstraite, en témoignant simplement que le monde ne s’arrête pas aux frontières de la cité-État (d’où leur surveillance étouffante par les arkhontes). Le « Code Marchand », plus ou moins strict en fonction de qui le lit, interdit certes aux maisons marchandes de s’impliquer dans les affaires politiques, mais, au fond, leur activité peut très aisément être ainsi connotée, malgré eux le cas échéant… ou avec leur bénédiction secrète.
Les Négociants des Dunes est donc un supplément consacré à l’activité commerciale sur Athas. En tant que tel, c’était probablement – des suppléments de la gamme française de Dark Sun – celui qui m’attirait le plus ; son thème m’intéressait tout particulièrement, et j’avais un bon a priori, dans l’ensemble confirmé par les retours que j’avais pu en lire. Au sortir de cette lecture, je peux bien dire que c’est là un supplément très recommandable, et peut-être pas loin d’être indispensable.
En évoquant Tribus-esclaves et L’Alliance Voilée, j’avais noté que, dans l’ensemble, les aspects les plus spécifiques, les plus concrets, me paraissaient autrement plus riches et utiles que les généralités qui les précédaient. Ici, la question ne se pose même pas, puisque l’on passe très vite – pour ce qui est du background en tout cas – à la description de diverses maisons marchandes.
On commence par évoquer les plus importantes d’entre elles, sept maisons « dynastiques » basées (à l’origine tout du moins) dans chacune des sept cités-États (ce qui est plus ou moins pertinent, du fait de leur apolitisme supposé, mais bon, c’est pratique…) ; sont envisagés leur histoire, leurs méthodes, leurs relations aux autres, et enfin les PNJ essentiels de ladite maison. La Maison Inika (Gulg) use de petites caravanes rapides, et se spécialise plus ou moins dans les petits produits de luxe ; la Maison M’ke est impliquée qu’elle le veuille ou non dans les troubles agitant Raam ; la Maison Shom (Nibenay) est un modèle de décadence ; la Maison Stel, militariste et aggressive, incarne bien dès lors la culture martiale d’Urik ; la Maison Tsalaxa (Draj) se traîne une très mauvaise réputation, tant elle se montre impitoyable et immorale ; la Maison Vordon a été très affectée par la crise économique de Tyr, due à la folie du roi-sorcier Kalak, et cherche à se reconstruire sous le nouveau régime (voir le scénario Liberté, encore une fois)… et peut-être même plus si affinités ; la Maison Wavir, enfin, basée à Balic, est sans doute celle qui incarne le mieux une certaine prospérité relativement morale… Au-delà de ces brèves présentations en une ligne, on trouve bien des éléments intéressants tout au long de ce chapitre, une mine pour impliquer les PJ dans les affaires des plus puissantes et célèbres des maisons marchandes d’Athas.
Mon on ne saurait pour autant s’en tenir à ces seuls gros machins : il existe une infinité de maisons mineures, qui exercent dans des conditions difficiles tant elles doivent faire face à une concurrence impitoyable pouvant très facilement se muer en violences et guerre ouverte, de la part des autres maisons mineures mais aussi des maisons dynastiques. On en évoque – bien plus brièvement que dans le chapitre précédent, en quelques paragraphes seulement – quelques-unes de particulièrement notables : la Maison Ardian a ainsi la main-mise sur le commerce de l’or de Walis ; le Consortium Dedys est une alliance de trois petites maisons qui entendent ainsi résister à la cruelle Maison Tsalaxa ; la Maison Fyra est en fait la vitrine commerçante des esclaves en fuite de Point-Salé ; la Maison Ianto, à Tyr, est là encore affectée par la crise économique, et dans une situation critique ; la Maison Klethira souffre quant à elle, à Urik, de la puissance hégémonique de la Maison Stel ; la Maison Lamnos détonne en ce qu’elle n’a pas de base, mais est purement nomade ; la Ligue Renythi, en dépit d’une organisation vaguement anarchique, grapille un peu de la puissance des grandes maisons sur le déclin ; reste enfin la Maison Sysra, excentrée, et qui a beaucoup souffert de magouilles de la part des grandes maisons dynastiques… Au-delà de leur seule implication dans une campagne, ces maisons mineures me paraissent surtout constituer des modèles destinés aux PJ afin qu’ils créent leur propre maison, thème traité plus loin dans le supplément.
Cela dit, toutes les maisons évoquées jusqu’à présent sont, à la base tout du moins, humaines (elles peuvent certes comprendre des agents issus d’autres races, mais la direction reste humaine) ; mais les humains ne sont bien sûr pas les seuls à se livrer au commerce ; on trouve quelques brefs éléments sur les autres races (y compris certaines qui sont inaccessibles aux PJ – on évoque ainsi les commerçants belgoï, géants et gith), et surtout un long chapitre consacré aux maisons marchandes elfiques (même si ce terme de « maison marchande » ne me paraît plus dès lors très approprié, c’est quand même une réalité assez singulière). Les elfes d’Athas sont très différents de ceux de la plupart des univers, surtout ceux connotés high fantasy. Nomades et roublards, ils sont – même si ce n’est pas leur centre d’intérêt prioritaire – des commerçants redoutables… avec une solide réputation d’escrocs ; mais ils sont essentiels et donc inévitables dans les activités de contrebande et la mise à disposition de biens illégaux parfois capitaux, comme notamment les éléments de sorts (ce qui leur vaut la haine des rois-sorciers et de leurs arkhontes, qui ne parviennent cependant que rarement, voire jamais, à les prendre sur le fait…). Trois tribus sont ici envisagées : l’immense tribu Eauclaire, composée de douze clans aux attributions spécifiques, est incontournable, et peut intervenir dans une campagne de bien des manières ; la tribu Rapidaile, plus petite, incarne davantage les pillards du désert ; les Ombres, enfin, tiennent à bien des égards de la société secrète, vendant bien des produits et services illégaux à qui sait les contacter… et ne craint pas de souffrir en retour de leur étrange notion de justice.
Après ces descriptions très variées de groupes commerçants très divers, on arrive à un chapitre plus « technique » globalement, visant à élaborer une campagne centrée sur le commerce. Ce chapitre s’ouvre sur une nouvelle classe de personnage, catégorie roublard : le négociant, qui constitue une bonne alternative à l’inévitable barde pour créer un PJ axé « social » (je ne peux pas en livrer d’appréciation plus précise sur le plan technique, par contre…). On trouve ensuite divers éléments permettant d’épicer le thème commerçant, en évoquant par exemple les pillards toujours à craindre, en précisant les effets du climat, ou encore (et surtout ?) en indiquant, de manière très précise, les fluctuations de l’offre et de la demande (pour tous les biens dans toutes les cités-États !).
Restent enfin de très courts chapitres en forme d’annexes plus ou moins « techniques » : un exemple de (petite) caravane de la Maison Inika, un autre de caravane plus lourde, la description d’un gros marché elfe de la tribu Eauclaire (prêt à l’emploi et très bienvenu), celle du Fort Prosper de la Maison Wavir (bof), et enfin une fiche de bestiaire sur les crodlus, animaux de monte entre l’autruche et le reptile, qui constituent une alternative nécessaire et autrement plus souple aux seuls kanks que l’on connaissait alors jusque-là.
Au final, Les Négociants des Dunes me fait l’effet d’un supplément tout à fait recommandable, qui cerne bien son sujet, et livre à chaque page bien des idées susceptibles d’application dans une campagne, qu’elle soit spécifiquement centrée sur le commerce (et là j’imagine qu’avec un peu de méthode – car ce n’est pas sans risques sur le plan narratif – il y a de quoi faire un chouette bac à sable – aha, Dark Sun, sable, aha) ou plus généraliste – car il est de toute façon impossible (ou presque) de faire l’impasse sur ce thème crucial.
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