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Dune, de Frank Herbert

Publié le par Nébal

Dune, de Frank Herbert
Dune, de Frank Herbert

HERBERT (Frank), Dune, [Dune], traduit de l’américain par Michel Demuth, Paris, Robert Laffont – Presses Pocket, coll. Science-fiction, [1965, 1969-1970, 1972] 1980, 2 vol., 348 et II + 409 p.

 

Dune, le plus célèbre roman de Frank Herbert, est un monument de la science-fiction – je ne vous apprends rien. Titre emblématique de la collection « Ailleurs & Demain », il figure sans doute parmi les plus importants best sellers du genre, même si on a pu parler peut-être plus justement de long seller à son sujet. Son succès populaire, en attendant, ne se dément pas (et il en va probablement de même de son succès critique). Bien secondé par le film – pourtant décrié – de David Lynch (à défaut de celui, mythique, de Jodorowsky, qui continue de faire fantasmer), ou encore par des produits dérivés tels que des jeux vidéos qui ont beaucoup compté en leur temps (le bizarroïde Dune de Cryo me fascinait, mais celui que l’on a du coup baptisé Dune II était probablement plus important encore, en précurseur des jeux de stratégie en temps réel), Dune a imposé une imagerie qu’il est impossible d’ignorer. Au fond, que vous ayez lu le roman originel ou pas, vous connaissez tous Dune – et on peut du coup se demander ce que je fous là, à raconter mon retour de relecture…

 

Mais oui, voilà : relecture. Celle-ci s’imposait. En effet, si c’est Le Seigneur des Anneaux qui m’a introduit dans le monde des littératures de l’imaginaire, c’est bien le « cycle de Dune » (et pas seulement le roman fondateur) qui a constitué mon premier contact avec la science-fiction contemporaine (j’avais lu auparavant un peu de Jules Verne, forcément, mais aussi quelques starwarseries et startrekeries « jeunesse », qui me paraissaient déjà à l’époque si peu satisfaisantes qu’elles ont sans doute joué un rôle de déclencheur, en m’incitant à essayer de la « vraie » science-fiction – la célébrité de Dune et l’existence du film ont alors indéniablement influencé mon choix). En tant que tel, j’en garde un souvenir émerveillé. Mais il y avait néanmoins un problème : j’avais lu tout ça bien trop tôt… Je devais en effet avoir onze ou douze ans, quelque chose comme ça (oui, c’était il y a une vingtaine d’années, bordel, OLD !), et, si j’ai alors lu le cycle entier (je parle bien entendu uniquement des romans de Frank Herbert, hein), je me rendais pourtant bien compte que je passais largement à côté du truc – qui m’avait laissé au bout d’un moment l’image d’un machin « compliqué », très « philo », et qui causait beaucoup de sexe (autant de choses que je comprenais alors encore moins que maintenant, c’est dire). Du coup, l’envie de relire ces romans avec un esprit un peu plus formé, et un bagage un peu plus conséquent, me titillait régulièrement… Ma situation actuelle d’ermite dans le désert (culturel, au moins) m’en a fourni l’occasion, et la perspective de maîtriser le jeu de rôle Imperium pour des Duniens fanatiques a achevé de me convaincre qu’il était bien temps de m’y remettre.

 

Et donc Dune. Un roman relativement épais, même si on a lu bien pire ; il y a à vrai dire de quoi se demander pourquoi il avait été alors édité en deux tomes (découpés un peu bizarrement, qui plus est)… Il n’est probablement pas utile que je vous en résume l’histoire, vous la connaissez (même s’il y a parfois des divergences entre le roman originel et ses déclinaisons, quelles qu’elles soient – j’ai ainsi été très surpris de constater, comme le laissait entendre un supplément d’Imperium, que les « modules étranges », très importants dans le film de Lynch, ne figuraient pas dans le roman de Frank Herbert…). En fait, via l’imagerie qui en a découlé, j’avais gardé un assez bon souvenir de l’histoire de Dune, de toute façon…

 

La vraie surprise fut ailleurs, et concerna notamment la forme. Ainsi que dit plus haut, je gardais un souvenir global du cycle comme étant très « compliqué » et très « philo ». C’est peut-être vrai des tomes ultérieurs – on verra –, mais Dune ne m’a bizarrement pas fait cet effet. Du tout. J’ai découvert, ou redécouvert, que le roman fondateur était en fait très « aventure pop », pour ne pas dire « série B » (on en a causé ainsi avec des camarades sur Facebook). Bien évidemment, quand j’emploie ces termes, et malgré leur connotation éventuelle, je n’entends pas dénigrer Dune en me fondant sur un supposé caractère de « divertissement » qui l’empêcherait pour cette seule raison d’être un « vraiment bon bouquin », allons bon. D’autant que c’est bel et bien un excellent divertissement, et on peut bien dire « série A » pour le coup, bénéficiant notamment d’un univers remarquable, baroque et foisonnant, et qui contient en germe bien des éléments fascinants susceptibles d’approfondissements dans les tomes ultérieurs (vague impression, comme ça – mais qui sera peut-être démentie par mes relectures prochaines, on verra –, que Dune importe autant pour ce qu’il contient en lui-même que pour son potentiel encore à réaliser).

 

Mais oui, Dune me fait donc l’effet d’un roman d’aventure, et je n’en avais pas gardé du tout cette impression. Du coup, la relecture m’a parfois laissé un peu perplexe à cet égard. Et j’avoue que les premiers chapitres m’ont même fait craindre le pire : le tout premier, avec la Révérende Mère et son Gom Jabbar, a quelque chose de passablement kitsch, et on est pas loin de la frontière ténue qui sépare le sublime du ridicule (mais j’ai l’habitude avec Lovecraft…). Et que dire alors des chapitres faisant intervenir les Harkonnen ? Pour le coup, ceux-ci sont vraiment des méchants trop caricaturaux : le baron Vladimir (un sodomite, tout est dit), le na-baron Feyd-Rautha (qui n’est pas pour autant Sting en train de grincer des dents…) et le Mentat « déviant » Piter de Vries font figure de salauds unilatéraux, sadiques et décadents, et le trait est tellement appuyé qu’il en devient grotesque…

 

Sur un autre plan, j’avoue avoir été un peu décontenancé par l’alternance systématique des points de vue, d’un bref paragraphe à l’autre, mais c’est secondaire, sans doute ; de même que le caractère très « utilitaire », « fonctionnel », d’une plume qui ne cherche pas à briller par elle-même (encore que dans certains passages « mystiques », il y ait un peu de ça, avec plus ou moins de réussite ; mais sous cet angle, il me paraît y avoir comme un fossé entre la première partie et les suivantes).

 

Bon, j’ai quand même continué ma lecture. Et j’y ai retrouvé bien des choses que j’appréciais, autant d’éléments permettant à Dune de se poser, bel et bien, en modèle d’une certaine science-fiction largement au-dessus du lot (même si je m’interroge un peu, je l’avoue, sur son statut de « chef-d’œuvre impérissable » à proprement parler). Car Dune est bel et bien un très bon roman. Mais j’aurais presque envie de dire qu’il l’est en dépit d’une trame pas forcément plus intéressante que ça – à mes yeux en tout cas. Si la dimension politique essentielle dans la première partie et la dimension ethnologique de la deuxième (quand Paul et sa mère Jessica rejoignent les Fremen) sont brillamment conçues et narrées, indéniablement, c’est pourtant au service d’une histoire d’ « Élu » (qu’on l’appelle Kwisatz Haderach ou pas), et ce genre d’histoire, le plus souvent, m’énerve horriblement – les héros supérieurs à tout le monde, pointés du doigt de Dieu, ça tend à me gonfler…

 

Mais c’est peut-être bien là, pourtant, que Frank Herbert se montre incroyablement adroit : pour raconter son histoire d’ « Élu » et la justifier, il appuie sur le sous-texte religieux, mais en passant par des biais fascinants, notamment les magouilles indicibles du Bene Gesserit, tant sur le plan d’une sélection génétique millénaire que sur celui d’un travail de propagande sur le terrain via la Missionaria Protectiva et sa Panoplia Propheticus. Et du coup, on en vient, dans un sens, à le croire… mais d’autant plus, paradoxalement, que cette approche n’est pas exempte d’un certain cynisme (mais qui, éventuellement, se retourne sur lui-même).

 

Et c’est là ce qui est vraiment merveilleux dans Dune : la richesse d’un univers unique en son genre, catalogué SF mais qui à bien des égards rejoint à défaut d’intégrer la fantasy (au moins sur le plan « cosmétique », disons : un monde à la technologie contrariée du fait du Jihad Butlérien, et en même temps le Bouclier Holtzman qui réhabilite l’arme blanche ; un système féodo-seigneurial où l'on suit essentiellement des nobles qui complotent – et leurs serviteurs dévoués... ou traîtres infâmes ; lire « Le Trône de fer » en parallèle a quelque chose d’amusant, mais je m’amuse d’un rien il est vrai –, le poids de la religion notamment via le thème de l’Élu, donc ; les pouvoirs suscités par l'épice inexplicable et impossible à synthétiser, qui relèvent du coup plus ou moins de la « magie » – notamment la prescience et la capacité de « plier l'espace » , mais il y a aussi au-delà les méthodes étranges des « sorcières » du Bene Gesserit…), en passant par une tonne de concepts étranges (avec jargon à la clef, le deuxième tome s’achève sur une vingtaine de pages de lexique), tous plus enthousiasmants les uns que les autres.

 

À mon sens, on aurait ainsi tort, pour une fois, de s’en tenir au récit à proprement parler : on peut certes prendre du plaisir à l’atmosphère de complot politique des premiers chapitres, à l’errance de Paul et Jessica dans le désert, à leur découverte d’une civilisation aussi mystérieuse que fière et passablement martiale chez les Fremen, ce genre de choses… Mais pour moi, à la relecture, ces éléments de récit ont beau être mis au premier plan, ils s’avèrent en définitive bizarrement secondaires. Ce qui compte est ailleurs, dans ce qui sous-tend le récit de façade : le Jihad Butlérien et la Bible Catholique Orange (et plus généralement la religion, qui n’a sans doute que rarement été aussi bien traîtée en science-fiction) ; les navigateurs de la Guilde, plus tout à fait humains, mais peut-être peut-on en dire autant des Mentats et des Bene Gesserit ; l’écologie d’Arrakis (là encore, le thème écologique est vraiment remarquable, notamment en ce qu’il s’associe de manière très fine à l’économie), avec le cycle des vers des sables (prends-toi une grosse baffe de « sense of wonder » avec ces titanesques créatures) et de l’épice, mais aussi la promesse d’un lointain lendemain humide et paradisiaque ; la guerre revue et corrigée, via les assassins et les Boucliers Holtzman…

 

Pour moi, c’est vraiment là qu’est l’intérêt de Dune. Ce qui en fait assurément un grand roman de science-fiction en général, et un modèle de planet opera en particulier. Cette relecture était donc bienvenue ; en ce qu’elle m’amène à relativiser le brillant de ce roman séminal, à l’appréhender un peu plus justement pour ce qu’il est, et pas uniquement pour la légende qu’il a suscitée ; mais aussi en m’ouvrant les portes d’un univers fabuleux, d’une richesse exemplaire, qui le place bien au-dessus du lot. Je vais donc lire prochainement les tomes ultérieurs, que je perçois comme assez différents ; on verra bien vite avec le bref Le Messie de Dune

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E
C'est amusant effectivement de constater l'évolution de notre ressenti de lecteur lors de relectures. J'ai lu le cycle deux fois, et je sais que ça ne me déplairait pas d'y replonger encore, modifiant sans doute l'ordre de mes volets préférés (je mettais l'Empereur-Dieu au-dessus, jusqu'à ce que je reconsidère la simplicité et l'émotion du Messie). Concernant le volet originel, c'est sa dimension poétique qui m'a la plus marqué, et que je trouve pour le coup plutôt bien portée par la langue, le style d'Herbert (pour ce qu'en laisse deviner sa traduction).<br /> <br /> Mais c'est vrai aussi que, comme tu le fais remarquer, on a inévitablement les images du film de Lynch en tête, et ça ne dessert pas trop la lecture, ce qui prouve quand même qu'il n'avait pas totalement foiré son projet. J'en avais fait une longue chronique ici :<br /> http://www.dvdclassik.com/critique/dune-lynch<br /> <br /> <br /> E.
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N
D'accord sur tout ça. J'ai un souvenir vraiment fort de "L'Empereur-Dieu de Dune", qui m'avait fasciné à l'époque, on va voir si ça marche toujours (je viens tout juste d'entamer "Le Messie de Dune").
A
Ah, une précieuse chronique dunienne ! Merci :)
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