Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L’Été de l’infini, de Christopher Priest

Publié le par Nébal

L’Été de l’infini, de Christopher Priest

PRIEST (Christopher), L’Été de l’infini, préface de Xavier Mauméjean, entretien avec Thomas Day, bibliographie par Alain Sprauel, traduit de l’anglais par Henry-Luc Planchat, Marianne Leconte, Michelle Charrier, France-Marie Watkins, M. Mathieu et Pierre-Paul Durastanti, traductions harmonisées par Pierre-Paul Durastanti, Saint-Mammès, Le Bélial’, coll. Kvasar, [1970-1972, 1974, 1976, 1979, 1998, 2000, 2005, 2008, 2011, 2013] 2015, 490 p.

 

Un gros et beau volume que ce récent titre de la collection « Kvasar » du Bélial’. Mais aussi un ouvrage relativement déconcertant – même si cette impression, d’emblée, lui impose un caractère somme toute plutôt approprié. Il est en effet composé de deux parties bien distinctes, même si elles forment en définitive un tout singulier justifiant amplement la publication de l’ouvrage.

 

À la base, L’Été de l’infini est un recueil de nouvelles. Ce qui n’a rien de bien étonnant en tant que tel, mais il est vrai que, de son propre aveu, Christopher Priest est bien davantage un romancier qu’un nouvelliste… Ce qui ne l’a pas empêché – phénomène presque indissociable du genre science-fictif – d’en écrire plus qu’à son tour, et des bonnes, le présent recueil en témoigne assez. Mais, si l’on excepte L’Archipel du Rêve (qui fait figure de classique mais ne m’avait guère passionné pour ma part), on n’avait pas forcément grand-chose à se mettre sous la dent – chez nous et en recueil, en tout cas –, même s’il était possible de remonter à un Livre d’or de la science-fiction consacré à l’auteur, et dirigé par Marianne Leconte ; on y fait beaucoup référence. Il y avait bien d’autres nouvelles ici ou là, dispersées dans diverses anthologies, certes… L’idée, dès lors, était de concocter une sorte de best-of des nouvelles de Christopher Priest en dehors du « cycle » de « L’Archipel du Rêve » (complété depuis par des romans que je n’ai toujours pas lus, La Fontaine pétrifiante il y a de ça un bail et plus récemment Les Insulaires) ; douze ont été retenues, dont cinq inédites, publiées originellement entre 1970 et 2013 – une longue période, au cours de laquelle les préoccupations comme les méthodes de l’auteur ont nécessairement changé.

 

L’ambition de présenter le versant nouvelliste de Christopher Priest est parfaitement louable – et, au-delà de la vague gêne de l’auteur à ce sujet, on peut d’ores et déjà le dire : il a bel et bien écrit d’excellentes nouvelles, dont plusieurs dans ce recueil qui laissent des images fortes et satisfont pleinement le lecteur avide de se replonger dans les obsessions priestiennes – temps figé ou insaisissable, illusionnisme et autres arts de la scène, romances bizarres et avions croisant dans le ciel…

 

Certaines marquent tout particulièrement. « L’Été de l’infini », qui ouvre le recueil, entre en résonnance avec « Errant solitaire et pâle » qui le clôt (enfin… qui en clôt la partie fictionnelle) : ce sont deux touchantes (encore qu’un peu perverses ?) histoires d’amour perturbées par l’écoulement du temps, qui se fige dans la première – effet de la curiosité de bien étranges touristes – tandis qu’il se parcourt bien trop facilement dans la dernière, débouchant sur une accumulation de paradoxes ; dans les deux cas, le résultat est brillant.

 

Ma nouvelle préférée est peut-être bien « Haruspice », cependant – ce qui n’a rien d’étonnant somme toute, tant elle se montre éminemment lovecraftienne… Cette dimension-là, si elle m’a parlé, n’est pourtant pas celle qui m’a le plus marqué – j’avais déjà lu cette nouvelle dans Bifrost, il y a bien longtemps, et avais oublié ce caractère : ce qui me restait, c’était avant tout l’image saisissante de ce bombardier allemand, avant même la Deuxième Guerre mondiale, figé ou peu s’en faut en plein vol, dans les quelques précieuses secondes précédant le crash… La nouvelle – une des plus longues du recueil, mais relativement – déborde littéralement d’idées, parfois en plein dans les obsessions priestiennes, parfois s’en éloignant (en apparence ?), pour un résultat d’une étonnante originalité, dont la densité n’a d’égale que la richesse.

 

J’ai envie d’évoquer également parmi mes préférées « Le Monde du temps réel », qui date de 1971 et est donc une des plus vieilles nouvelles du recueil. On avait déjà eu un aperçu de la production de cette époque auparavant avec « Rien de l’éclat du soleil » (1970), nouvelle dotée d’une belle ambiance, cependant trop classique, sans doute, pour pleinement satisfaire (le cadre de guerre extraterrestre sonne un peu faux… mais peut-être est-ce dû avant tout à l’image que l’on s’est fait depuis de l’auteur). « Le Monde du temps réel » m’a donc bien plus convaincu : son huis-clos, dont on ne sait pas où il se situe au juste, mais qui se montre propice aux déviances psychologiques les plus fâcheuses, paranoïa en tête, fait mouche ; et s’il évoque d’autres choses – Philip K. Dick presque forcément, mais aussi J.G. Ballard (« Treize pour le Centaure » ?) –, il ne perd cependant rien de sa force, sinon de sa singularité.

 

En parlant de Ballard, on notera forcément « La Cage de chrome », très bref pastiche tout à fait réussi (tenant à vrai dire plus à ce stade du poème en prose en forme de gros clin d’œil que de la nouvelle à proprement parler)…

 

Le reste n’est pas mauvais, loin de là, même si un peu inférieur à mes yeux aux textes que je viens de citer. À vrai dire, une seule nouvelle m’a laissé totalement froid, et c’est « Le Baron » (la plus récente, 2013), une variation sur la magie rappelant nécessairement Le Prestige ; on retrouve un illusionniste dans la nouvelle « Les Effets du deuil », bien autrement convaincante, où un prestidigitateur rencontre une étrange femme aux innombrables compétences suite à un échange sur un site de rencontres… la conclusion, plus fantastique que SF, convainc plus ou moins, mais la nouvelle bénéficie d’une très belle atmosphère. On peut éventuellement en rapprocher « La Tête et la main », satire cruelle des performances de body art à la façon des actionnistes viennois notamment – ou plus exactement des fantasmes qu’elles ont suscité. La conclusion inévitable séduira plus ou moins, mais la nouvelle est admirable dans sa construction, et ses premières pages sont vraiment fortes. Au-delà, ça n’a pas manqué de m’évoquer La Confrérie des mutilés de Brian Evenson…

 

« La Femme dénudée » tient elle aussi d’une veine particulièrement cruelle et sordide, et qui ne manque pas de faire écho à des préoccupations contemporaines – celle de la « culture du viol » au premier chef. Efficace… Encore que j’imagine que l’on pourrait trouver à redire à sa conclusion.

 

« Finale » et « Transplantation », enfin, tournent autour de la mort, non sans une certaine grâce – mais je ne m’y suis finalement guère arrêté.

 

Mais l’ouvrage ne s’arrête pas là. Ces douze nouvelles occupent les 300 premières pages, mais il en reste encore près de 180, qui constituent un long paratexte inattendu dans un ouvrage de ce genre (et il faut y rajouter, au début, la préface de Xavier Mauméjean, assez pointue, sans doute bien vue, mais aussi bavarde quant au contenu exact des nouvelles qui suivent, à vous de voir).

 

Nous avons ainsi droit à un très long entretien entre Christopher Priest et Thomas Day (son principal éditeur de par chez nous), en deux parties : la première est un entretien de 2005, paru alors dans Bifrost ; la seconde le complète dix ans plus tard, tandis que diverses sorties ont quelque peu chamboulé les perspectives – et, non des moindres, celle de l’adaptation cinématographique du Prestige par Christopher Nolan, qui se voit consacrer un long « essai » de Priest intitulé « Magie, histoire d’un film » (je n’aime pas le réalisateur, à cause de ses Batman sans doute, mais reconnais que son adaptation de Priest est plutôt bonne ; l’auteur, en tout cas, se montre très précis dans son analyse du film et des divergences par rapport à son roman – car c’est bien d’adaptation qu’il s’agit, et non de transposition).

 

Et tout cela est vraiment passionnant. D’autant plus, peut-être, du fait que Priest n’y mâche pas ses mots ? En tout cas, il vient casser quelques clichés qui lui collent plus ou moins, comme à la SF britannique dans son ensemble – inévitable référence à New Worlds version Moorcock, et Priest n’est pas tendre… Il l’est cependant encore moins quand on en vient à évoquer les Dangereuses Visions d’Harlan Ellison. Et, çà et là, l’auteur pulvérise encore quelques comportements qu’il juge idiots, ainsi des comparaisons inévitables quand il s’agit de faire la promotion d’un livre, ou de l’inanité des critiques (encore que cet aspect concerne surtout les critiques cinématographiques). Lui qui dit ne quasiment plus lire de science-fiction depuis fort longtemps se montre par ailleurs assez impitoyable quant à ses « collègues »… Enfin, ses réponses, en ce qui concerne son œuvre, sont parfois relativement sèches (notamment dans l’entretien de 2015, j’ai l’impression). On avouera qu’il s’en dégage, au fil des questions, un portrait somme toute guère sympathique de l’auteur… Mais il est vrai que son talent indéniable l’autorise peut-être à ne pas faire démonstration d’humilité ou d’autres choses aussi futiles. Et peu importe, sans doute : l’ensemble est d’une lecture passionnante, et Priest s’y montre d’une finesse et d’une acuité quant à l’appréciation de son œuvre (et de son temps ?), que beaucoup d’auteurs pourraient lui envier.

 

Au final, L’Été de l’infini se montre donc pleinement satisfaisant. Ce n’est peut-être pas l’ouvrage le plus indiqué pour découvrir l’œuvre de Christopher Priest, mais il saura aisément convaincre et passionner ceux qui l’ont déjà quelque peu lu. Quant à moi, il faudrait indéniablement que j’en lise bien davantage, j’ai de grosses lacunes…

Commenter cet article

L
La Fontaine pétrifiante est le premier roman de Priest que j'ai lu, et c'est longtemps resté pour moi son sommet - avant la lecture de The Adjacent, qui est vraiment une somme. L'Archipel du Rêve (que l'on retrouve au passage dans The Adjacent) y joue d'ailleurs un rôle un peu différent que dans l'univers qu'il a développé par la suite.<br /> Les Insulaires est une grande réussite, aussi. De façon générale, il y a peu de Priest à éviter - du moins à partir de La Fontaine pétrifiante (ou The Affirmation, mais j'aime bien le titre français)... Même ceux qui ne sont pas les plus réputés comme les Extrêmes ou Une femme sans histoire sont assez passionnants. C'est plutôt sa production des années 1970 qui me laisse froid. En premier lieu, le Monde Inverti est un plutôt bon roman, mais je trouve que c'est l'arbre qui cache la forêt.
Répondre