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La Chose dans la cave, de David H. Keller

Publié le par Nébal

La Chose dans la cave, de David H. Keller

KELLER (David H.), La Chose dans la cave et autres nouvelles, traduit de l’américain par Jacques Papy et France-Marie Watkins, préface de Jean-Pierre Ohl, Talence, L’Arbre Vengeur, 2007, 106 p.

 

Commençons large : une caractéristique essentielle de la science-fiction en tant que genre est probablement sa mémoire – au-delà même de la seule intertextualité qui la fonde, il se trouve des érudits du domaine pour repêcher heureusement de fâcheux oublis, et ramener à la lumière des auteurs qui ont pu, en leur temps, avoir leur importance, mais ont été abandonnés depuis. Mais temporairement abandonnés, du coup. Même si ces rappels parfois salutaires peuvent prendre des voix inattendues – plus ou moins. L’Arbre Vengeur, ainsi, n’est probablement pas connoté comme un éditeur d’imaginaire, mais a à maintes fois, dans son fort joli catalogue, joué ce rôle de (re)passeur. En tout cas, c’est grâce à cette maison d’édition que j’ai pu pour ma part redécouvrir des auteurs comme Algernon Blackwood (voyez l’excellent L’Homme que les arbres aimaient) ou, de par chez nous, Jacques Spitz (l’excellent L’Œil du Purgatoire), entre autres (sans oublier à l’occasion des choses plus récentes, comme l’excellent Plop de Rafael Pinedo). Parmi les antiquités glorieuses exhumées par l’éditeur, il faut aussi mentionner, bien sûr, Régis Messac, pour l’excellent Quinzinzinzili – or Messac était un amateur des nouvelles de science-fiction de David H. Keller (en son temps un protégé de Hugo Gernsback, par ailleurs), auteur qu’il avait publié en France dans sa collection des « Hypermondes ». On pourrait du coup supposer que c’est cette attitude de Messac qui a incité L’Arbre Vengeur à se pencher sur le cas de David H. Keller – sauf que ce tout petit recueil est a priori sorti un an avant la réédition de Quinzinzinzili, bon… Mais peu importe. Et puis, franchement : un auteur admiré par Messac et méprisé par Curval, ça doit être bien, non ?

 

Uh uh.

 

Cela dit, je n’avais absolument aucune idée de tout cela quand j’ai fait l’acquisition de ce tout petit volume (pour le coup bien onéreux, d’ailleurs…). Inculte de moi, je n’avais jamais entendu parler de l’auteur. Mais j’avais été séduit par la couverture ultra-sobre, le titre connoté, la quatrième de couverture aguichante… Et une relative confiance, mêlée de curiosité bienveillante, envers L’Arbre Vengeur, donc, qui exhumait régulièrement des pépites d’imaginaire (avec parfois des ratages, ceci dit : plus récemment, les Rêves cruels de Rhoda Broughton m’ont laissé totalement de marbre…).

 

Un auteur inconnu pour ma pomme, donc. Et un auteur rare, semble-t-il, de toute façon. Qui signait « David H. Keller, MD », comme pour illustrer la priorité de sa profession (médecin, et neuropsychiatre) sur sa production littéraire. Gernsback l’appréciait, donc – et Messac aussi. Mais pour sa science-fiction, surtout (assez « pessimiste », a priori). Et donc, fausse piste pour le coup, car ce tout petit recueil de quatre nouvelles (provenant d’une édition américaine chez Arkham House, tiens, tiens ?) ne relève en rien de la SF (officiellement) naissante, mais bien plutôt du fantastique (et/ou de l’horreur). Quatre textes très brefs, plus ou moins convaincants – autant le dire tout de suite ? –, mais intéressants néanmoins, et très variés : à vrai dire, ce recueil donne presque une impression d’exercices de style (impression que je trouve parfois fâcheuse, mais pas tellement ici), mais passablement intriguant…

 

On ne s’étonnera pas forcément de l’étiquette de fantastique « psychologique » accolée notamment à la première nouvelle – « La Chose dans la cave », donc –, elle paraît couler de source étant donné la profession de l’auteur. Mais, au fond, c’est peut-être discutable… Ce texte, en tout cas, relève pour le coup carrément de l’épure – bien trop à mon sens, d’ailleurs. Une autre référence avancée par Jean-Pierre Ohl, le patron sauf erreur, dans sa préface, me paraît plus précise et probablement pertinente – celle renvoyant au cinéma de Jacques Tourneur, l’inévitable La Féline et quelques autres (je dirais bien Vaudou, mais ne connais pas le prestigieux réalisateur au-delà, je plaide coupable…), référence qui reviendra pour les textes suivants, d’ailleurs, mais avec toujours une nuance différente. Mais revenons à cette idée d’épure : dans « La Chose dans la cave », nous entendons parler d’un couple passablement prolo, et de leur enfant, qui, dès son plus jeune âge, tout bébé incapable de s’exprimer autrement, vagit à n’en plus finir dans la cuisine où sa mère le garde, dès lors que l’accès à la cave y est ouvert. En grandissant, il confirmera cette crainte de la cave, affirmant qu’il s’y trouve… quelque chose… Et là, bon, je vais raconter la fin, oui, et je n’ai pas vraiment envie de parler de SPOILER même si au cas où – tout simplement parce que cette conclusion était inévitable : un docteur (mauvais psychologue pour le coup ?) donne à ses parents un fâcheux conseil, exposant l’enfant à l’absence nécessaire de menace dans la cave : forcément, enfermé seul dans la cuisine, la porte de la cave ouverte, il hurle, puis se tait, on ouvre enfin – oui, il est mort. Point. Une épure, disais-je donc. Et sans la moindre explication malvenue. Mais par ailleurs sans surprise – et c’est un aspect qui ressurgira dans les deux nouvelles suivantes, moins dans la dernière (à mon sens la meilleure). On est peut-être trop habitué, dans notre petit monde d’amateurs de nouvelles fantastiques, a fortiori celles issues des pulps, à l’art dangereux de la chute – pas du tout pratiqué ici, tout coule de source. Pour le coup un peu trop à mon goût – si l’aspect « cas clinique » accompagnant cette épure n’est pas inintéressant en soi, il peut à bon droit laisser perplexe…

 

La deuxième nouvelle, « Le Chat-Tigre » (j’aurais mis au féminin, mais bon… et Tourneur là encore, certes) implique elle aussi une cave, mais se montre bien différente. Le texte, à bien des égards, relève de la parodie – celle, en l’occurrence, du genre gothique, dont bien des clichés ressortent, du cadre tant qu’à faire italien à l’inquiétant souterrain (bis), en passant par une déstabilisante figure féminine, évoquant peut-être une sexualité plus ou moins assumée mais probablement perverse. Il y a là encore un côté très épuré, malgré les emprunts appuyés, et peut-être un brin rigolards, donc, au « roman noir » des origines. J’ai trouvé, cependant, que cela fonctionnait bien mieux que « La Chose dans la cave », notamment en ce que l’ambiance, bizarrement, se montre autrement plus oppressante, assez subtile finalement, et en tout cas convaincante – chose d’autant plus improbable au vu des poncifs recyclés. La nouvelle, vue sous ce dernier angle, pourrait prêter à rire – et pourtant, elle procure à sa manière inattendue de fort agréables frissons. Elle parvient même à surprendre – ce qui n’était pas gagné –, voire à écœurer légèrement. Et ce au-delà de l’absence de chute, une fois de plus. On pourrait en garder à nouveau un goût amer en bouche, mais non : ça marche, plutôt bien voire très bien.

 

Selon Jean-Pierre Ohl, la troisième nouvelle, « La Morte », est le chef-d’œuvre de ce petit recueil. Je ne suis pas vraiment de cet avis, même si cette nouvelle, plus ou moins poesque, d’ailleurs (et probablement celle pour laquelle le qualificatif de « psychologique » s’impose le plus), n’est certes pas désagréable… En tout cas, là encore, absence de chute, plus que jamais délibérée : dès le titre, après tout, nous savons bien ce qu’il en est de la femme du narrateur… La poursuite du récit, dès lors, rejoint à mes yeux à nouveau cet idéal d’épure, mais avec plus ou moins d’habileté – et peut-être, pour le coup, cette nouvelle est-elle un peu longue, car forcément répétitive ? Cela participe sans doute de l’exercice de style, en même temps. Et l’ambiance est à nouveau plus que correcte : à l’instar du pastiche gothique qui précède, quoique d’une manière bien différente, ce conte suscite autant le frisson qu’un sourire complice…

 

Cela dit, le vrai chef-d’œuvre dans ce (trop) petit recueil, c’est pour moi la dernière nouvelle, « La Bride magique » (qu’on aurait pu traduire plus brièvement et fidèlement par « La Bride », pour une fois, mais bon… Je n’en ai pas parlé plus haut, mais ces nouvelles sont traduites par Jacques Papy – parfois élégant, admettons, mais pas toujours très respectueux du texte, à en juger par ses traductions de Lovecraft – et France-Marie Watkins, croisée ici ou là avec des résultats, euh, pas toujours très probants…). Rien d’étonnant à cette préférence personnelle, sans doute – cette nouvelle, probablement bien moins « psychologique », pour le coup, que celles qui précèdent, a quelque chose de quasi « grand guignol », et incontestablement surnaturel, qui la distingue clairement. Nous y suivons le quotidien d’un jeune et pauvre médecin dans une Amérique rurale et archaïque, ou plutôt carrément hors du temps, qui évoque à Jean-Pierre Ohl des auteurs comme Washington Irving et Nathaniel Hawthorne – c’est très possible –, mais qui m’a bien davantage renvoyé à Lovecraft, et notamment à Dunwich (mais aussi à « La Couleur tombée du ciel », ou peut-être plus justement « L’Image dans la maison déserte », ou encore « La Peur qui rôde »…). Le surnaturel est certes affiché, relevant clairement du fantastique, mais il y a quelque chose, néanmoins – dans cette ambiance poisseuse, lourde de secrets inavouables, liés à des rivalités ancestrales de clans tous plus infréquentables les uns que les autres ; le folklore, la superstition, imprègnent tout de leur patte intraitable et plus ou moins grossière… Cela pourrait, comme souvent, être un tantinet ridicule, mais, loin de là, et comme dans les textes de Lovecraft cités, ça fonctionne parfaitement, procurant le frisson recherché, mais, en outre, sans s’arrêter là : il s’y rajoute en effet une vague gêne, un embarras plus ou moins assumé, devant les problèmes moraux que le texte développe – et tout cela culmine, cette fois, avec une conclusion plutôt inattendue (sans être une chute à proprement parler), et profondément dérangeante… Et c’est donc ce texte qui, logiquement, m’a le plus parlé.

 

Dommage : ça s’arrête là… C’est bien trop court, j’en aurais volontiers lu davantage… Mais, si je n’ai pas été complètement convaincu par ce tout petit bouquin, j’y ai bien trouvé de quoi attiser encore un peu plus ma curiosité. Il y a sans doute bien des choses à redécouvrir, là encore…

 

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