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Ashes and others, de H.P. Lovecraft & divers hands

Publié le par Nébal

Ashes and others, de H.P. Lovecraft & divers hands

LOVECRAFT (H.P.) & divers hands, Ashes and others [Crypt of Cthulhu, vol. 2, No. 2 (10)], edited by Robert M. Price, Bloomfield, NJ, Miskatonic University Press, coll. Crypt of Cthulhu, 1982, 56 p.

 

Ce petit volume signé (entre autres) Lovecraft (mais, en fait, plus ou moins de son fait et plutôt moins que plus…) correspond au volume 2, numéro 2 (ou numéro 10 depuis le début) du fanzine de Robert M. Price Crypt of Cthulhu ; avec son compagnon, le numéro suivant (consacré plus classiquement aux articles de fond), il se penche sur les « révisions » de Lovecraft – constituant dès lors une sorte d’annexe au recueil The Horror in the Museum and other revisions ; j’avais noté lors de ma récente relecture qu’il existait des « révisions » dans le genre weird au-delà de ce seul recueil fondamental, et Ashes and others en témoigne – encore que de manière pas vraiment brillante… mais non moins édifiante.

 

Il convient cependant et tout d’abord de noter que l’implication réelle de Lovecraft dans les textes ici rassemblés est plutôt minime, quand elle n'est pas inexistante : il y a bien plus de « divers hands » que de Lovecraft… En effet, seuls les premiers textes de ce recueil peuvent être qualifiés de « révisions », et encore : la contribution de Lovecraft à « The Sealed Casket » s’arrête en fait à la rédaction d’un exergue (tellement hors-sujet qu’il avait été giclé lors de la publication originelle de la nouvelle dans Weird Tales en 1935 sans que cela pose vraiment problème) ; quant à la « révision » de « The Sorcery of Aphlar », très bref récit, elle fait débat – et peut-être même n’a-t-elle en définitive porté que sur le titre et le nom du personnage… Rien de sûr à cet égard cependant. Mais les seules « vraies révisions » de ce petit recueil porteraient donc sur la nouvelle « Ashes », signée C.M. Eddy, Jr., et sur le poème « Dreams of Yith », signé Duane W. Rimel… Pourtant, quand nous en arrivons là, nous n’en sommes encore qu’au tiers du volume ; les deux tiers restants ne sont en rien dus à la plume de Lovecraft – il s’agit de textes originaux qu’on lui avait soumis pour « révision », dont on trouve les versions « retouchées » dans The Horror in the Museum and other revisions (avec une exception)… et qui permettent de mesurer l’apport personnel de Lovecraft dans ces travaux, autant que de jauger le terrible matériau avec lequel il devait parfois composer.

 

Passé une indispensable introduction de Robert M. Price qui remet chacun de ces écrits dans son contexte, le recueil s’ouvre donc sur la nouvelle « Ashes », signée C.M. Eddy, Jr. Cet ami de Lovecraft avait à plusieurs reprises « collaboré » ainsi avec le gentleman de Providence – et, outre l’affaire dont on a parlé récemment portant sur les premières ébauches de The Cancer of Superstition, projet du magicien Houdini, on en connaissait trois nouvelles « révisées » figurant dans The Horror in the Museum and other revisions : « The Loved Dead », « Deaf, Dumb and Blind », et « The Ghost-Eater ». « Ashes », pourtant révisée dans les mêmes conditions, et publiée dans Weird Tales en 1924, n’y figurait pas – et on peut bien se demander pourquoi. Je doute que la « qualité » soit une explication vraiment suffisante, The Horror in the Museum comprenant son lot de pathétiques ratages (dont les nouvelles compilées de C.M. Eddy, Jr., à vrai dire…), mais sait-on jamais ? Ce qui est indéniable, par contre, c’est la médiocrité voire la nullité de la présente nouvelle – une histoire de substance magi… scientifique réduisant les gens en cendres, sur laquelle se greffent une lutte vaguement virile et une amourette plate. La nouvelle n’a au mieux aucun intérêt, souffre d’une certaine puérilité sur toute sa longueur, et plus encore d’un pseudo-twist à moins de dix balles, destiné soit à sauver la morale, soit à poursuivre un peu plus la nouvelle jusqu’à lui conférer une longueur adéquate pour la publication… sans grand succès, disons poliment. C’est très mauvais – et ça n’a par ailleurs absolument rien de lovecraftien.

 

« The Sealed Casket » est une nouvelle de Richard F. Searight, en fait pas révisée par Lovecraft : celui-ci s’était contenté d’y adjoindre un exergue, à savoir un « fragment » des Eltdown Shards, énième « livre » du « Mythe », qu’il utilisera à nouveau dans le round-robin intitulé « The Challenge from Beyond » (et peut-être dans d’autres textes, mais je ne crois pas). Or cet exergue n’avait pas été conservé lors de la publication de la nouvelle dans Weird Tales en 1935… ce qui ne changeait pas grand-chose au fond, les Eltdown Shards n’apparaissant même pas dans le texte. Il s’agissait donc ici de rétablir le texte tel qu’il avait été conçu… Au-delà, rien à dire de ce « fragment », et pas grand-chose non plus de la nouvelle à proprement parler – variation sur la boîte de Pandore, avec un soupçon de vengeance posthume sans doute ; c’est passablement convenu, et ça se traîne bien trop longuement jusqu’à une fin indifférente.

 

Suit « The Sorcery of Aphlar », nouvelle signée Duane W. Rimel, publiée dans The Fantasy Fan en 1934. Ici, il y a un doute sur la portée réelle de la « révision » ; ce que l’on sait de source sûre, c’est que Lovecraft a changé le nom du personnage, et en conséquence le titre de la nouvelle : Rimel avait employé le prénom « Alfred », et Lovecraft trouvait que ça faisait un peu tâche et bien trop anglais au regard du cadre du récit – en effet une fantasy « dunsanienne » (peut-être par l’intermédiaire de Lovecraft, je ne sais pas) ; ce fait figure dans une lettre de Lovecraft à Rimel datée du 23 juillet 1934, où il évoque d’autres petites retouches, mais sans s’étendre sur le sujet – s’agissait-il à proprement parler d’une « révision » ? C’est ce que Robert H. Barlow semblait croire… Il est vrai que, le texte étant fort bref, la moindre retouche pouvait prendre une ampleur conséquente… Il n’en reste pas moins, au final, que cette vignette jouant la carte de l’onirisme (sans doute teinté d’allégorie) ne m’a en rien parlé – c’est considérablement moins évocateur que les récits « dunsaniens » de Lovecraft, sans même parler des contes et vignettes de Dunsany lui-même…

 

La dernière « révision » de ce petit recueil porte exceptionnellement sur un poème, « Dreams of Yith », toujours signé Duane W. Rimel… qui avait semble-t-il un problème avec les titres, nécessitant une nouvelle intervention de Lovecraft – assez cocasse, dans un sens : le poème s’intitulait à l’origine « Dreams of Yid », et Lovecraft, aheum, a fait, aheum, remarquer que, aheum… « Yid » était un terme d’argot, péjoratif, désignant les, aheum, Juifs (on traduirait par « Youpin »)… D’où le maquillage et l’invention de « Yith » (qui reviendra bien sûr dans l’œuvre de Lovecraft, en désignant sauf erreur le monde d’origine de la Grand-Race dans « The Shadow out of Time »). Du poème original, il ne reste ici qu’une seule strophe, reproduite juste après le poème « révisé » ; mon inaptitude est totale en matière de poésie – qui m’interdit de critiquer d’une manière ou d’une autre le poème « révisé », bien à la manière cependant du cycle de sonnets Fungi from Yuggoth. À vue de nez cependant, le poème « révisé » est effectivement bien meilleur que l’original, dont pas grand-chose n’a été conservé a priori… Des textes « révisés » de Ashes and others, c’est donc probablement celui-ci qui porte le plus la patte du gentleman de Providence.

 

Suivent, donc, des textes non révisés – au plein sens du terme, puisqu’il s’agissait de texte soumis à Lovecraft pour qu’il travaille dessus, le résultat figurant dans The Horror in the Museum pour l’essentiel, avec une exception notable pour la dernière nouvelle. Notons au passage que les textes une fois retouchés sont globalement plus longs, et parfois beaucoup plus, que les originaux.

 

On commence avec « The Diary of Alonzo Typer. Found after his mysterious disappearance », texte commis par William Lumley. Un drôle de bonhomme – habitué semble-t-il de « The Eyrie », le courrier des lecteurs de Weird Tales, où il avait à plusieurs reprises fait part, très sérieusement, de son idée que Lovecraft et son « cercle », dans leurs écrits « mythiques », n’inventaient rien mais décrivaient la réalité – sans forcément en être bien conscients. Ce qui faisait un brin ricaner lesdits écrivains… L’excentrique lecteur n’en est pas moins entré en relation avec Lovecraft, et lui a soumis ce texte pour « révision ». S.T. Joshi, qui l’évoque dans The Rise, Fall, and Rise of the Cthulhu Mythos, considère que le texte de Lovecraft, mauvais, ne brille – relativement – qu’au regard du catastrophique matériau original. Que ce dernier soit mauvais ne fait aucun doute : d’une plume pauvre et parfois maladroite, souvent puérile par ailleurs, d’une construction hasardeuse enfin, ce « journal intime » se traîne péniblement jusqu’à une bien fade conclusion… Ceci dit, j’ai tout de même l’impression que le texte suivant, au moins, est pire encore. Pas grand-chose de plus à en dire : sans forcer sur le lexique bizarre (on y trouve cependant la ville de Yian-Ho, employée par Lovecraft et semble-t-il dérivée de Chambers), la nouvelle s’efforce – déjà – de reprendre bien des procédés lovecraftiens, livre maudit inclus (un bien terne Book of Forbidden Things) ; Lovecraft en rajoutera encore des couches dans sa « révision », sans rien arranger au final – ou si peu…

 

Suit un… « document », disons, avec « The Automatic Executioner », nouvelle signée Gustav Adolf Danziger – qui prendrait ensuite officiellement le nom d’Adolphe de Castro, la nouvelle « révisée » étant re-titrée « The Electric Executioner » ; à l’instar du texte qui suit immédiatement, cette nouvelle avait en fait déjà été publiée sous cette forme, longtemps avant l’intervention de Lovecraft, et c’est peu dire : c’était en 1893, dans un recueil intitulé In the Confessional and the following. Ce qui n’a pas empêché le pénible personnage, qui n’avait plus Ambrose Bierce à disposition, de vouloir la « retoucher » plusieurs décennies plus tard, requérant pour ce faire les services de Lovecraft. Celui-ci, dans sa correspondance, s’est régulièrement plaint du pénible personnage, aussi dénué de talent qu’infernal à gérer, et sauf erreur mauvais payeur qui plus est… Réaction bien compréhensible à la lecture de cette nouvelle. Et rien d’étonnant à ce que « The Electric Executioner » soit un très mauvais texte – Lovecraft ne pouvait pas faire grand-chose pour récupérer la calamité originelle… C’est à n’en pas y revenir (si j’ose dire) ; on ne sait ce qui est le pire dans tout ça (mais peut-être bien, quand même, la conclusion expédiée, d’une absurdité invraisemblable). Ashes and others ne brille pas exactement par la qualité, sa nouvelle-titre en témoigne, mais ceci en est incontestablement le pire moment.

 

« A Sacrifice to Science », publié originellement dans les mêmes conditions, et longuement « révisé » par Lovecraft sous le titre « The Last Test », en bénéficie d’une certaine manière – sans être bon (faut pas déconner), c’est nettement moins mauvais, tout de même. Même sentiment, en définitive, que pour sa « révision » : ça aurait pu être pire… Par ailleurs, si Lovecraft a, autant que faire se peut, amélioré le matériau de base pour ce qui est de la caractérisation des personnages, notamment – et en prenant davantage son temps pour les inscrire dans un cadre évocateur –, il a sans doute péché en voulant à tout crin y insérer des allusions hors de propos à son « Mythe ». Mais la fin de la nouvelle était sans doute irrécupérable (Lovecraft ayant essayé de lui donner une ampleur vaguement « cosmique », mais sans grand succès).

 

Reste une nouvelle, « The Lord of Illusion », signée E. Hoffmann Price (publiée ici pour la première fois, elle dormait jusqu’alors dans les archives). Le cas est un peu différent : la version « révisée » (à moins qu’il ne faille vraiment y voir une « collaboration », pour une fois ?) ne figure pas cette fois dans The Horror in the Museum and other revisions, mais a intégré le corpus lovecraftien classique – en l’occurrence le « cycle de Randoplh Carter » (ou Démons et Merveilles chez nous), ou plus globalement les « Contrées du Rêve ». Il s’agit en effet de la première version de ce qui deviendra « Through the Gates of the Silver Key ». E. Hoffmann Price avait beaucoup apprécié la nouvelle de Lovecraft « The Silver Key », et souhaitait y donner une suite – idée peut-être un peu saugrenue, d’ailleurs, « The Silver Key » étant un texte allégorique, et passablement autobiographique, se suffisant tout seul (ceci étant, Lovecraft avait bien entretemps écrit The Dream-Quest of the Unknown Kadath, roman non publié alors, et revenant sur les aventures oniriques de Randolph Carter, mais d’une manière bien différente ; je ne sais pas si Price était au courant) ; le texte de Price s’inscrit d’ailleurs plus ou moins dans cette lignée (allégorique et « philosophique », avec plus ou moins de réussite, et peut-être plus ou moins de prétention – sans doute bien moins d’émotion, par contre), et laisse en définitive une image bien différente de « Through the Gates of the Silver Key » : rien, ici – à part une allusion sur laquelle Lovecraft, guère convaincu sauf erreur, a brodé, je suppose – sur l’étrange réunion où de bien étranges personnages, dont le mystérieux Swami Chandraputra et Etienne-Laurent de Marigny, discutent du sort du rêveur Randolph Carter… La nouvelle finale ne m’a jamais vraiment parlé (peut-être encore moins depuis que j’ai vu ce que Brian Lumley en a horriblement dérivé…), mais celle-ci pas davantage, et probablement moins encore…

 

Bref : tout ça n’est pas glorieux. Non que ce soit inintéressant, loin de là : en tant que tel, c’est un document édifiant pour les amateurs de Lovecraft et plus encore les lecteurs de Crypt of Cthulhu. Mais c’est une lecture critique – il ne faut pas en attendre de bons textes, mais des « pièces à conviction », disons, permettant de mieux comprendre la vie et l’œuvre de Lovecraft ; et en tant que tel, ça remplit pleinement son objectif.

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