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Une bien étrange compagnie, de Thierry Cladart

Publié le par Nébal

Une bien étrange compagnie, de Thierry Cladart

CLADART (Thierry), Une bien étrange compagnie, Paris, L’Harmattan, coll. Écritures, 2016, 302 p.

 

Un premier roman, paru chez L’Harmattan : autant dire que, si on n’avait pas attiré mon attention dessus, je n’aurais probablement jamais été conscient ne serait-ce que de l’existence de la chose… Pour tout dire, la recommandation a été essentielle pour que je lise cet ouvrage, même dans ces conditions : au-delà de ma méfiance instinctive concernant L’Harmattan (qui n’a pas tardé, hélas, à être « justifiée »), la quatrième de couverture quelque peu maladroite n’avait pas grand-chose pour m’attirer – sans même parler de ce titre bien terne et guère à propos, à vrai dire anti-bandulatoire au possible… Mais on m’avait suggéré d’y jeter un œil ; alors pourquoi pas ?

 

Une bien étrange compagnie est pour l’essentiel un roman post-apocalyptique, qui reprend l’essentiel des codes du genre. On notera une bizarrerie, qui aurait pu singulariser le roman : s’y ajoute en effet une dimension uchronique, puisque le roman suppose une terrible épidémie (due au mystérieux virus Wang) à l’aube des années 1950 – et c’est aussi le cadre temporel de l’action à proprement parler, qui débute en 1951 pour s’achever en 1953. Sans doute y avait-il là matière à quelque chose d’intéressant – sans même s’arrêter à Fallout, référence instinctive en la matière, qui use bien de ce principe de base, mais en le mêlant d’un certain rétrofuturisme qui change encore la donne (rien de la sorte ici). Le problème est que, en fin de compte, le roman ne joue guère de cette dimension, peu ou prou insensible quant à l’ambiance, et aux implications, au-delà, finalement très limitées – à moins de considérer que les apparitions, vers la fin, de Staline et Beria en guest-stars suffisent à justifier le procédé ; j’en doute…

 

La dimension post-apocalyptique est autrement essentielle. Nous avons donc ce virus Wang qui a ravagé la planète – mais en laissant en vie quelques rares individus, pour des raisons inconnues ; mais sans doute y a-t-il toujours des « chanceux » (ou « malchanceux » ?) pour être immunisés à ce genre de vilaines grippes… Parmi eux, Jean – durablement marqué par le drame, et qui n’a pas manqué d’être directement affecté par les ravages de l’épidémie (sa femme Éléonore fait partie des innombrables victimes, notamment). Il se retrouve seul survivant dans le patelin normand de Saint-Benoît, où il s’est aménagé une routine (à base de recherches, notamment) qui lui permet de continuer à avancer dans un monde plus que jamais privé de sens…

 

Il y a ici quelque chose d’intéressant – pas forcément très singulier, mais plutôt bien vu : le roman, à plusieurs reprises, évoque ainsi des personnages qui se retrouvent à vivre seuls, en ermites, dans les ruines de villes désormais fantômes, qu’ils arpentent quotidiennement sans même véritablement entretenir l’espoir de rencontrer, un jour, quelque autre survivant. Au fil du roman, nous verrons d’autres cas similaires, à Bayeux sauf erreur, à Nantes enfin. Le roman, globalement, ne se montre guère habile pour ce qui est de l’ambiance (et sans doute, comme dit plus haut, n’a-t-il pas toujours tiré le meilleur parti de ce que ses présupposés pouvaient entrainer), mais, lors de ces scènes en tout cas, il parvient bien à susciter quelque chose.

 

Quoi qu’il en soit, Jean n’est pas destiné à rester éternellement seul. Un jour, un petit groupe d’individus ô combien louches déboule dans Saint-Benoît. À leur tête, un inquiétant et charismatique Moldave, Andrei ; les autres sont trois Croates, dont un certain Drago qui fait l’interface entre le patron et les larbins. À l’évidence, il ne s’agit pas là des inévitables pillards associés au genre : ce sont des professionnels, et Jean comprend bien vite qu’ils ont une mission à accomplir, aussi secrète soit-elle. Notre Français se fait tout petit, espérant passer inaperçu, mais c’est peine perdue : la petite troupe met la main sur lui. Elle n’est pas du genre à laisser des témoins potentiellement gênants derrière elle… mais, pour des raisons pas forcément très claires (le mensonge de Jean quant à sa situation y participant, mais sans convaincre), les mercenaires épargnent le « petit » Français, à la condition qu’il les accompagne sur la route. Jean n’a guère le choix, et rejoint contraint et forcé la bande – qui prend la direction de Nantes, où Andrei doit « faire quelque chose », avant de s’embarquer pour le Canada, loin de l’Europe ravagée par l’épidémie (à ceci près que nous n’avons bien sûr aucune certitude de ce que le continent américain ait été épargné, et c’est même très improbable…). Au fil de leurs pérégrinations, Jean et Andrei en viennent à nouer des liens inattendus…

 

J’ai entamé la lecture d’Une bien étrange compagnie avec un certain scepticisme, mais en voulant bien croire qu’il y avait là quelque chose qui méritait d’être lu, ainsi qu’on me l’avait affirmé. Et, je dois dire, le premier contact a été étrangement positif. Même si le roman ne joue donc guère des spécificités de son cadre uchronique, même s’il a tendance à se disperser, aussi, dans des chapitres d’exposition qui ne lui apportent pas forcément grand-chose (quelques flashbacks, notamment impliquant Éléonore, ou une houleuse séance de l’OMS), il témoigne dans ses premières pages d’une certaine ambition, passant notamment par une attention bienvenue au style. Celui-ci est sans doute bancal à l’occasion, ou globalement inégal, disons, mais ce soin dans le choix des mots est d’abord plutôt enthousiasmant.

 

Mais un problème, d’emblée, se fait sentir – qu’on pouvait supposer à la base, et il est vrai que je ne m’en étais pas privé. Dans ces premiers chapitres par ailleurs plutôt corrects, Une bien étrange compagnie souffre d’emblée d’un manque de travail éditorial – ce qui, hélas, n’a sans doute rien d’étonnant de la part de L’Harmattan, qui, de quelque manière que l’on tourne les choses, n’a sans doute rien d’un véritable éditeur, à moins de supposer que ce statut s’arrête à imprimer un texte sous une couverture… L’expression aurait dû être lissée, afin d’éviter les pains stylistiques et autres maladresses qui ne tardent guère à se montrer envahissants ; la construction aurait peut-être bénéficié elle aussi de quelques révisions occasionnelles ; et, a minima, on comprend bien vite que le roman n’a même pas été relu : les coquilles sont innombrables, et, hélas, il en va de même d’autres fautes plus ennuyeuses encore – avec notamment une concordance des temps pour le moins aléatoire, ce qui devient vite très pénible, et plombera le roman jusqu’à la dernière page, et de plus en plus… De même pour ce qui est de la ponctuation, ce genre de choses (les dialogues, presque systématiquement, se paument dans les tirets, et ça devient bien vite très agaçant, à la limite de l’illisible…).

 

Pourtant, ces premiers chapitres s’en tirent bien mieux que ceux qui suivent… En fait, le roman, non relu par « l’éditeur » à l’évidence, se scinde bien vite en deux périodes : les premiers chapitres me font l’effet d’avoir été lus et relus, et travaillés encore et encore, par l’auteur lui-même – ça ne marche pas toujours, mais on y devine bien un certain soin (trait commun aux débutants, revenant sans cesse sur les premières pages ?) ; ultérieurement, hélas, ce soin n’est plus de mise : l’expression devient de plus en plus lourde, achoppant régulièrement sur de bien tristes maladresses, et sombrant régulièrement dans une affectation à la limite du pédantisme, qui nous épargnait globalement dans les premières pages, mais devient de plus en plus prégnante – impression sans doute renforcée, bien sûr, par l’appareil de notes en fin d’ouvrage, au mieux superflu, au pire agaçant d’étalage de culture malvenu…

 

L’expression est ainsi de plus en plus maladroite – contraignant bientôt le lecteur (ou en tout cas votre serviteur) à réévaluer toujours à la baisse un premier jugement éventuellement positif. Hélas, la maladresse ne s’arrête pas là – et la trame ainsi que les personnages en souffrent à leur tour, tous affectés d’autant de pénibles boulettes, qui achèvent d’éloigner le lecteur du texte. L’intrigue principale, bien faible, se tire mollement au fil de rebondissements ternes au possible, jusqu’à une conclusion en forme de « MacGuffin » insipide et tristement prévisible – mais pas moins absurde. Les incohérences abondent, que ce soit dans le plan d’ensemble, ou sous la forme de bévues plus anecdotiques, mais qui ne manquent pas de faire soupirer – prenez par exemple ces mercenaires croates qui semblent s’exprimer devant Jean, non seulement en français, mais encore dans un argot dont je doute qu’il soit bien connu dans les Balkans… Et pourquoi et comment tous les pontes soviétiques ont-ils survécu dans ces conditions, au point de toujours mener des intrigues secrètes dans un monde qui s’y prête moins que jamais ? Quant au fond, il est bien convenu – la nature humaine, le poids des circonstances, les atrocités commises au nom de l’idéologie… –, et au final desservi par tous ces pains qui empêchent de le prendre vraiment au sérieux.

 

Une bien étrange compagnie commençait plutôt bien – à même, peut-être, de constituer la bonne surprise qu’on m’avait recommandée. Mais, au fil des pages, il m’a semblé perdre de plus en plus d’intérêt… jusqu’à ce que sa lecture devienne peu ou prou un calvaire. Il ne fait aucun doute que ce roman aurait grandement bénéficié d’un véritable travail éditorial ; cela aurait-il cependant suffi à en faire un bon livre ? J’ai longtemps voulu le croire, mais, en définitive, j’en doute…

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