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Contes à vomir debout, de Gudule et Caza

Publié le par Nébal

Contes à vomir debout, de Gudule et Caza

GUDULE & CAZA, Contes à vomir debout, Isle sur la Sorgue, Armada, [2014] 2015, [216 p.]

 

Voici un bien joli livre, au contenu tout aussi joli, enfin, ça dépend des goûts… Mais comme vous êtes des gens de mauvais goût, sans quoi vous ne seriez pas là, je crois que ça devrait le faire.

 

Ce bel ouvrage des éditions Armada associe donc deux noms qui comptent, dans leurs domaines respectifs, à savoir Gudule et Caza. Caza, j’imagine qu’il n’est pas vraiment nécessaire de le présenter ici, vous avez forcément tous lu des BD de lui, ou au moins des bouquins de SF illustrés par lui – je dois dire, d’ailleurs, que je suis loin d’être toujours fan de son travail dans ce dernier domaine (j’ai un peu de mal avec les couv trop « BD »… et il y a peut-être une part de snobisme là-dedans, oui), mais ce qu’il accomplit ici est plus qu’admirable. Il faut dire que l’association avec Gudule est bien à même de le tirer vers le haut – je suppose que ça marche également en sens inverse.

 

Et Gudule, donc ? Ou Anne Duguël (autre pseudo) ? J’avais déjà eu l’occasion d’en causer ici, notamment pour ses deux chouettes compilations de (très brefs) romans fantastiques chez Bragelonne, Le Club des petites filles mortes et Les Filles mortes se ramassent au scalpel (ce titre, bon sang…), qui m’avaient vraiment, vraiment beaucoup plus. C’est une auteure que j’aurais dû lire davantage, sans doute – et elle a beaucoup écrit, pour les mioches pas forcément si mioches, et pour les adultes heureusement pas trop adultes… Il n’est jamais trop tard, me direz-vous ? Eh bien, sans doute… à ceci près que Gudule, hélas, est morte il y a à peine un peu plus d’un an, avant la parution du présent ouvrage, même s’il avait entamé son processus de fabrication avec elle…

 

Et le résultat de ce testament par défaut est épatant. Nous sommes ici en présence d’une anthologie de trente-cinq nouvelles généralement très, très courtes (on peut bien parler de « short short » dans nombre de cas), se plaçant plus ou moins sous les auspices de maîtres en la matière tels Fredric Brown ou, plus près de chez nous encore que d’une manière moins radicale peut-être, le Jacques Sternberg des 188 Contes à régler. Chacun de ces textes bénéficie de superbes illustrations en noir et blanc de Caza – plusieurs, généralement, pour un total d’environ 200 ai-je cru comprendre [EDIT : J'avais mal compris, ça m'étonnait, aussi : plutôt une soixantaine]. Le format incongru de l’ouvrage, de bonne taille, carré, texte en très gros caractères, ne fait que davantage ressortir le brio de tout cela.

 

Bon, bien sûr, je suis du genre à chipoter pour des bêtises, alors je ne vais pas m’en priver ici, hein ? Alors pourquoi un livre non paginé, dans ces conditions ? Forcément, du coup, il n’y a pas non plus de table des matières… Je regrette aussi le flou entretenu quant à l’origine des textes : la quatrième de couverture avance que ces « contes » sont « parus initialement dans Charlie Hebdo, Hara Kiri, Fluide Glacial, Psikopat et Hebdogiciel durant les années 80 » (vous noterez comme moi, à l’exception de la dernière revue citée que je ne connais pas le moins du monde, que tout cela est du meilleur goût et de la plus grande décence) ; je veux bien le croire globalement… à ceci près que c’est impossible dans bien des cas, ces textes étant émaillés de références forcément postérieures aux années 1980 (en vrac, les animateurs d’Al-Qaïda, le terroriste Laurent Ruquier, ou encore l’usage intensif d’Internet…). [EDIT : cela s'explique semble-t-il par une volonté de réactualisation de Gudule, pas systématique cependant.] Bon, sans doute n’est-ce pas bien grave, ce n’était pas le propos du livre, et mon pinaillage a probablement quelque chose d’excessif, déployant de vagues attentes de Pléiade pour un livre qui n’en est certainement pas…

 

D’autant sans doute qu’on ne fait pas exactement ici dans l’académisme posé… Il faut dire que, si l’on retrouve bien l’aisance admirable de Gudule à manier les mots, d’autant plus appréciable qu’elle ne fait pas exactement dans les chichis formels, mais parvient systématiquement ou presque à sonner superbement sans jamais passer outre l’apparence au moins de spontanéité et de naturel (oui, à mes oreilles, ça relève bien de la musique – quand bien même un brûlot punk bien gaulé), on en retrouve aussi toute la verve noire et excessive, trash si l’on y tient, punk sans doute (donc), qui joue des horreurs du quotidien (en les déguisant tout juste sous un voile de fantastique de forain, ou sous un prétexte SF qui nous renvoie bien, en définitive, à ici et maintenant, comme il se doit) avec une sorte de jubilation perverse – entendons par-là que l’auteure jubilait sans doute à l’idée de plonger ainsi, sourire aux lèvres, le lecteur dans sa merde, plaisir finalement partagé par le lecteur ne demandant rien d’autre.

 

Peut-être est-ce pour cela, d’ailleurs, que Gudule, dans ces textes d’un mauvais goût revendiqué, prise tant le sujet de la merde (avec ses corollaires autrement nobles tel que le PQ), au milieu sans doute d’autres « sécrétions corporelles » (l’expression est tellement jolie, tellement vaine…), et une prédilection pour les odeurs qui vont avec – fumier fleuri, sperme moisi, la bombe désodorisante a d’emblée perdu le combat… Le vomi, bien sûr, est tôt de la partie – parfois dodu de viande pas digérée, d’autres fois simplement douloureux, avec cette bile jaunâtre et d’une amertume infecte qui vous empoisonnerait le reste de la soirée alcoolisée si vous la laissiez faire – enfin, elle essaye.

 

Si Gudule parle de merde, Caza quant à lui dessine des bites. Plein, partout [EDIT : Bon, j'exagère un peu... mais pas tant que ça.]. Alors je sais bien que, dit comme ça, ça ne fait pas forcément très argument de vente, hein… Moi-même, le si prude moi-même, j’avoue ne pas forcément apprécier tout ça en temps normal (sauf chez Sade, bien sûr, le Divin Marquis réveillant presque en moi un Nébal qui n’existe pas, prisant l’étron façon chocolat – euh)… Mais voilà : Gudule parle très bien de merde, Caza dessine très bien les bites. Par ailleurs, les deux ont heureusement d’autres thèmes à traiter, et font ça très bien aussi… Mon insistance ne doit pas tromper, hein : si je cause de tout ça, c’est parce qu’il me semble nécessaire de prendre en compte le vandalisme adolescent qui imprègne un certain nombre de ces textes – ça fait partie du truc, clairement.

 

Mais, en fait et heureusement, cela va bien au-delà. Parce que Caza peut-être, Gudule assurément, sont par essence des transgressifs. Des vrais. Ils ne se contentent pas de poser leur entreprise de subversion comme un nécessaire préalable éclairant de sa superbe leurs petites conneries concrètes, finalement guère méchantes – y en a beaucoup, des comme ça, hein ? Avec Gudule (et peut-être Caza), il n’est en rien nécessaire de passer par cette posture – les auteurs, sans en dire davantage, se contentent et à bon droit de vous choper par le colbac et, sans vous demander davantage votre avis, de vous plaquer la trogne dans l’immondice en braillant (ou même pas, en fait, j’imagine plutôt une paradoxale douceur, presque maternelle, tranchant sur le rictus aiguisé, canines en avant…) « MANGE TA MERDE ». Cela pourrait n’être que du vandalisme, ou une affectation de mauvais goût ne trompant personne, oui – mais c’est sans doute bien plus que ça. Véritablement subversif, car passant tous nos mythes à la moulinette (en ressortent des gros steaks hachés d’une couleur un peu douteuse parfois), avec une jubilation sadique (ou pas), cynique (ou faussement), outrancière (j’espère bien) et réjouissante (pas de doute).

 

D’où ces trente-cinq petites histoires – car il s’agit bien d’histoires, en dépit de la brièveté du format –, qui, pour avoir parfois de très vagues allures de pamphlets libertaires à vue de nez, parviennent pourtant à éviter ce dangereux travers, en faisant vivre des personnages entiers en quelques lignes à peine, et en les impliquant dans des horreurs improbables (ou pas tant que ça), que celles-ci relèvent du fantastique ou de la SF ; il est remarquable de voir combien Gudule sait tirer le meilleur parti de ces contraintes redoutables pour façonner, disons, des diamants qui puent, dont le fumet hante le lecteur entre deux vidanges, mais dont le brillant perdure en fait davantage. Tout ceci est méchant – mais tendre –, et d’un humour noir ou jaune tellement outrancier qu’on ne manquera pas d’en revenir à la ritournelle : « Peut-on rire de tout ? » / « Oui, mais pas avec tout le monde. » Dans ce célèbre réquisitoire toujours repris, le Procureur de la République Desproges Française disait aussi, avec superbe autant qu’à propos : « S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir… » Une citation, à l’évidence – on s’est crêpé sur l’origine de la chose, citant pêle-mêle des gens tels que Victor Hugo, Boris Vian, Oscar Wilde ou Winston Churchill, on avance semble-t-il le nom de Chris Marker comme vraie source... Peu importe : ce qui compte (ou conte), c’est la pertinence de la définition, au-delà de sa joliesse ; et je tends à croire qu’il y a bien du vrai là-dedans, tout particulièrement en ce qui concerne ce livre : le gros éclat de rire, rageur et éventuellement flatulent, n’a peut-être au fond que l’apparence du cynisme… Car si je ne doute pas de la belle plume de Gudule, et pas davantage de la pertinence de son humour outré, glauque et de mauvais goût, je n’en oublie certainement pas pour autant sa nécessaire empathie, très poussée, bien plus à l’évidence que chez nombre de Bons Samaritains de profession, qui ne s’autoriseraient jamais de telles mauvaises blagues et ne les permettraient jamais chez les autres, au nom d’un sacro-saint Goût qui leur fait pourtant défaut : qui a écrit Mon âme est une porcherie, ou La Petite Fille aux araignées, n’a certainement pas de leçon à recevoir à ce sujet de quiconque, et pourrait sans doute se permettre quant à elle d’en donner… si ce n’était pas ça, au fond, la vulgarité.

 

Un régal, donc – la plume acerbe et vive de Gudule, le dessin virtuose et réjouissant de Caza, font de ce livre à part une vraie bouffée de fraîcheur et de saine révolte. Je ne suis pas forcément toujours Charlie, mais j’aimerais bien être Gudule – chose sans doute pas donnée à tout le monde… L’espoir fait vivre ? Bof. C’est sans doute par un autre aspect qu’à mes yeux feu Gudule a quelque chose d’immortel – je vous laisse trouver quoi.

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Z
Hummmm, très tentant, je note
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