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Lovecraft's Southern Vacation, de Brian Leno

Publié le par Nébal

Lovecraft's Southern Vacation, de Brian Leno

LENO (Brian), Lovecraft’s Southern Vacation, introduction and afterword by Don Herron, [s.l.], The Cimmerian Press, 2015, 56 p.

 

Ce tout petit bouquin numérique rassemble trois articles de critique howardienne signés Brian Leno (qui n’est donc pas un compositeur d’ambient ?) (pardon), quelqu’un d’arrivé assez récemment dans le domaine. Mais oui : « de critique howardienne ». Le titre – qui est celui du premier article compilé – ne doit pas tromper : si Lovecraft est ainsi mis en avant dès le départ, et si l’auteur envisage bien certaines de ses nouvelles et plus encore sa correspondance, le fait est qu’il s’agit d’un article disséquant avant tout la fameuse nouvelle de Howard « Pigeons From Hell » ; quant aux deux articles qui suivent, ils n’ont cette fois absolument aucun rapport avec Lovecraft – le deuxième se penchant sur les sources des westerns humoristiques de Howard, tandis que le troisième s’intéresse aux sources (encore) de la nouvelle de Conan « The Frost Giant’s Daughter ». Ajoutons que ces trois articles sont entourés par une introduction et une postface de Don Herron – et je vous renvoie à The Dark Barbarian That Towers Over All. Ajoutons un point à la fois essentiel et peut-être regrettable : l’article titre adopte, de manière affichée, une optique « Howard vs. Lovecraft » qui, pour donner des résultats pertinents dans l’ensemble, ce que je ne nierai en aucun cas, déborde peut-être malencontreusement sur des considérations davantage puériles, et d’un à-propos plus douteux…

 

L’introduction de Don Herron, « A Better Fit for The Cimmerian », est sans doute assez éloquente à cet égard, d’ailleurs : l’auteur y évoque les débuts dans la critique howardienne de Brian Leno, dans les pages de la revue The Cimmerian, et tout particulièrement de sa rubrique de courrier, « The Lion’s Den », au nom explicite – le nouveau critique a notamment fait ses armes en poutrant la gueule à l’inévitable S.T. Joshi, ZE monsieur Lovecraft, qui avait critiqué sèchement (à sa manière…) le contenu de l’anthologie critique The Barbaric Triumph…. En fait, on retrouve ici le Don Herron le plus désagréable, celui d’après The Dark Barbarian et The Barbaric Triumph, maugréant dans son coin, et prisant par-dessus tout le goût du sang…

 

Mais venons-en donc à « Lovecraft’s Southern Vacation », un article jugé très important, ce qui m’étonne un peu ; enfin, plus exactement, ce qui m’étonne, c’est qu’il ait fallu attendre aussi longtemps pour examiner l’hypothèse qu’il développe – Brian Leno ne se reconnaissant qu’un seul devancier en l’espèce, à savoir Ramsey Campbell, qui s’était cependant contenté d’évoquer par allusion la possibilité de ce sous-texte… Pour ma part, sans doute ai-je pris les choses à l’envers – car j’ai d’abord lu la postface de Patrice Louinet dans Les Ombres de Canaan, reprenant l’analyse de Brian Leno ; mais, surtout – est-ce simplement une observation erronée et « anachronique » ? –, j’avais en fait l’impression que tout cela était parfaitement évident… Mais il faut croire que non. Brian Leno se penche donc ici sur la genèse et le sens de « Pigeons From Hell », sans doute la meilleure nouvelle d’horreur commise par Howard (et bien plus que ça encore) ; il s’agit de montrer en quoi ce récit, non seulement constitue une émancipation du « modèle » lovecraftien, mais est même, au-delà, une « attaque » contre les présupposés les plus obtus du gentleman de Providence, qui avaient pu s’exprimer notamment dans sa fameuse correspondance avec Two-Gun Bob.

 

Parmi les lubies les plus déconcertantes de Lovecraft, sa conviction que la Nouvelle-Angleterre était un cadre privilégié et sans égal pour des récits « weird » se pose un peu là. Certes, cette vision des choses a infusé dans son œuvre, et l’auteur en a profité pour produire parmi les plus fascinants récits « weird » qui soient, tout particulièrement dans sa Nouvelle-Angleterre « mythique », autour d’Arkham et de la vallée du Miskatonic – ce qui renvoie à cet aspect essentiel de « régionalisme cosmique » qui caractérise son œuvre. Mais Lovecraft était allé jusqu’à « théoriser » cette conception des choses dans une nouvelle mineure (enfin, elle a son importance, justement au regard de cette vision du monde, mais n’en est pas moins mineure en tant que telle – encore que je serais nettement moins sévère que Brian Leno à cet égard : le travail central sur l’atmosphère demeure remarquable à mes yeux), « The Picture in the House » (qui, sauf erreur, est d’ailleurs la première nouvelle de l’auteur à mentionner Arkham), dont la célèbre introduction pose en axiome que la Nouvelle-Angleterre est donc ce cadre idéal pour « the true epicure in the terrible ». Lovecraft s’en était fait l’écho dans sa correspondance avec Howard, et lui avait adressé la nouvelle – Howard avait répondu l’avoir aimée… mais Brian Leno, affirmant qu’il s’agit là d’un des plus mauvais récits de Lovecraft, suppose que Howard pensait de même (forcément) et se contentait de rester « courtois » (ce qui introduit un sacré biais, quand même – c’est possible, à n’en pas douter, mais méthodologiquement c’est quand même pour le moins contestable…).

 

Ce qui est plus que probable, c’est l’agacement, au fil du temps, de Howard devant certains préjugés de son illustre correspondant – et ce genre de préjugé littéraire est peut-être secondaire à cet égard, encore que participant de la fameuse controverse « barbarie contre civilisation ». Au fil du temps, Howard a laissé de côté sa déférence initiale, refusant à l’instar de ses héros de se faire marcher sur les pieds. On peut donc supposer que Howard, passé une première phase dans ses récits d’horreur d’après le début de la correspondance avec Lovecraft, qui avait débouché sur un honnête pastiche, « The Black Stone », et bien d’autres textes souvent plus convenus, s’ils employaient une « façade » lovecraftienne avec des allusions sibyllines mais creuses à tel ou tel « dieu », tel ou tel « livre » (souvent Nameless Cults, en même temps)…), etc., a fini pourtant par trouver sa voie en s’émancipant du carcan lovecraftien… ou pas. Car Brian Leno oublie peut-être quelque chose, ici : aussi pénible soit le zèle régionaliste lovecraftien, il avait une conséquence plus intéressante, dans la mesure où l’auteur avait à plusieurs reprises enjoint Howard à user de son cadre fétiche du sud-ouest des États-Unis pour y conter ses histoires – et c’est bel et bien ce qu’il fera, et avec succès… Notamment en l’espèce, d’ailleurs. Et cela renvoie bien à des échanges entre les deux auteurs, où Howard évoquait les récits qu’on lui contait dans son enfance, ceux de ses ancêtres blancs et ceux du folklore des esclaves…

 

« Pigeons From Hell », donc. Une nouvelle qui reprend des éléments de la correspondance avec Lovecraft, pour éventuellement les subvertir à sa manière, taquiner le gentleman, et peut-être même lui donner une « leçon » – un récit « full of anti-lovecraftian subtext and delicious touches that for the most part have been ignored by readers and critics ». On note, d’emblée, que les personnages que l’on suit au début du texte viennent de Nouvelle-Angleterre – référence qui n’a sans doute rien d’innocent, d’autant que Howard y appuie lourdement (il en fait mention six fois en très peu de temps…) ; la Nouvelle-Angleterre, par ailleurs, modèle leur vision du monde d’une manière toute lovecraftienne, à la « The Picture in the House » : ces « epicures in the terrible » y multiplient les clichés sur le sud des États-Unis, mais, quand ils en viennent à méditer sur l’horreur et l’étrange, la magie noire par exemple, c’est pour revenir aussitôt à l’éloge inepte de leur contrée natale chérie. Le personnage de Griswell, tout particulièrement, est un « faible », un « passif », prompt à s’évanouir devant l’horreur – en tant que tel, il est bien un « héros » lovecraftien ; mais est-il Lovecraft lui-même ? C’est possible… De même qu’il est possible que le shérif Buckner, qui arrive un peu plus loin et prend les choses en mains de manière autrement frontale et active, soit quant à lui Robert E. Howard… J’avoue ne pas en être persuadé : il me suffit qu’ils correspondent aux « héros » de l’un et de l’autre, qui n’ont pas à être des avatars idéalisés des auteurs pour exister.

 

Cette dimension de « Pigeons From Hell » saute aux yeux, et je me demande comment on a pu passer à côté aussi longtemps… d’autant que la nouvelle adopte des traits encore plus flagrants de satire : voyez les titres des chapitres ! Pour le coup, ils ne laissent guère de doute… Par ailleurs, on y trouve d’autres éléments plus discrets, mais qui ressortent clairement des échanges épistolaires des deux auteurs : les pigeons de Howard, qui sont les âmes des Blassenville, inversent ainsi la fonction de psychopompes des engoulevents de « The Dunwich Horror », idée qu’avait appréciée Howard. Les deux auteurs avaient aussi échangé sur les serpents (Howard en éprouvait une véritable phobie non exempte de fascination), et Lovecraft avait demandé des informations à ce sujet pour sa « révision » (en fait à peu près entièrement de son fait) « The Curse of Yig » : Brian Leno relève des phrases « similaires » dans les deux textes, et avance que le personnage de Celia, dans « Pigeons From Hell », serait une allusion à Zealia Bishop, qui avait commandé la « révision » ; mouais…

 

Mais la satire ne fait aucun doute. Au-delà, le ton de Brian Leno dans cette analyse (qui n’est pour le coup pas très académique, Don Herron devait apprécier…) est plus problématique. Que Howard, avec « Pigeons From Hell », ait voulu d’une certaine manière faire la leçon à Lovecraft, ou du moins exposer l’inanité de certains de ses préconçus, je le crois volontiers (même si, il est important de le noter, Lovecraft n’a probablement jamais lu ce texte, qui n’a été publié pour la première fois que dans le Weird Tales de mai 1938 – soit après la mort des deux auteurs… Brian Leno évoque d’ailleurs brièvement le parcours étonnant de la nouvelle après coup, c’est intéressant, mais il ne me paraît pas utile d’y revenir ici). Mais Brian Leno a ici un biais un brin fâcheux – mésestimant peut-être la nature de la relation éventuellement conflictuelle des deux correspondants, qui par ailleurs se respectaient et appréciaient. Les allusions perfides à des lettres de Lovecraft à d’autres correspondants contenant des remarques éventuellement sarcastiques à l’encontre de Two-Gun Bob, et surtout affichant la conviction préconçue (une de plus !) que l’action ne pouvait avoir de dimension artistique, sont dès lors plus ou moins pertinentes, mais admettons. Sans doute, ainsi que je m’en suis expliqué notamment en évoquant The Dark Barbarian That Towers Over All, suis-je porté, malgré ma sensibilité avant tout lovecraftienne, à considérer que Howard l’avait d’une certaine manière emporté dans leur longue controverse – la mention de Lovecraft comme étant « clearly the loser », dans cet article, ne me choque donc pas vraiment, et je peux faire avec d’autres piques du genre… Et je suis par ailleurs convaincu de l’assertion selon laquelle « Pigeons From Hell » serait une bien meilleure nouvelle que, par exemple, « The Black Stone », dans la mesure où « This is Howard writing Howard, not Howard writing Lovecraft » ; pas le moindre doute à cet égard.

 

J’ai nettement plus de mal avec la portée générale que confère Brian Leno à la « leçon » de Howard. L’idée, exprimée dès le début, que l’horreur racontée dans « Pigeons From Hell », d’une manière ou d’une autre, « could happen », là où ce n’est jamais le cas avec Cthulhu et compagnie chez Lovecraft, me laisse pour le moins sceptique, d’emblée… J’ai du mal à voir en quoi cette histoire de fantômes et autres morts-vivants, avec une louche de vaudou colorant la vengeance posthume, serait plus « crédible » que l’horreur cosmique lovecraftienne – à vrai dire, j’aurais plutôt tendance à penser exactement le contraire, à ceci près que cette opinion me paraît de peu d’intérêt dans l’analyse comparée des œuvres de Lovecraft et Howard… D’autres aspects, bien sûr, sont mieux vus – qui mettent notamment en évidence, et tout particulièrement du fait de l’indéniable caricature à cet égard de « Pigeons From Hell », l’opposition radicale entre les « héros » lovecraftiens, faibles, passifs, incapables de se battre – physiquement comme mentalement –, et les combattants de Howard, toujours prêts à affronter l’horreur, avec leurs poings et leur instinct sinon leur cervelle, opposition découlant d’une divergence philosophique essentielle concernant la place de l’homme (et de l’individu) dans l’univers (outre le débat « physique/mental ») ; le rapport à l’horreur, dès lors, n’est pas le même : chez Howard, on peut l’affronter, et même y survivre, voire la vaincre. Mais Brian Leno en tire des conclusions qui me paraissent erronées et presque absurdes : il insiste sans cesse, mais sans guère de démonstration, pour affirmer que c’est là, de manière très exclusive, « la vraie horreur » – une horreur que Lovecraft et son cercle étaient parfaitement incapables de comprendre ! Mais… et pourquoi donc ? « La » vraie horreur ? Des écrivains d’horreur incapables de l’appréhender ? Un peu hardi, non ? Mais il y revient, le bougre – citant même la nouvelle « Wolfshead » : « The meaning of fear you do not know. » Ah bon ? Et ça va même plus loin, Brian Leno avançant – ce qui, pour le coup, me dépasse totalement, j’avoue – que l’horreur est d’autant plus horrible qu’on peut la combattre et la vaincre… Euh… Comprends pô. Quant aux tirades moquant les « héros » lovecraftiens qui restent à leur bureau à lire des machins et sont incapables de résister d’une manière ou d’une autre à l’horreur, au bout de la cinquième ou sixième fois, je les ai traduites par « ces der pd cent kouille », tant la puérilité de ces remarques est fatigante. En fait de leçon sur l’horreur, le problème est sans doute que Brian Leno tienne à tout prix – de manière aussi obtuse qu’un Lovecraft, pour le coup – à dégager un modèle unique, « la véritable horreur » ; ne lui en déplaise, la situation est sans doute plus compliquée que ça, et j’ai tendance à lire ainsi la moquerie de Howard – par ailleurs bel et bien une excellente nouvelle d’horreur. Et peut-être même Lovecraft était-il moins borné que ça ? On peut se demander s’il se serait senti offusqué par les allusions contenues dans ce texte – mais Howard n’était certes pas le premier à faire figurer Lovecraft dans une de ses nouvelles, et la moquerie n’était pas toujours absente d’autres tentatives de ce genre, que Lovecraft avait bien prises… Quoi qu’il en soit, au-delà des préférences bien légitimes de tout un chacun, dans quelque sens que ce soit, dresser les deux correspondants l’un contre l’autre – Brian Leno lui-même parle de « Howard vs. Lovecraft » – me paraît globalement stérile, et, en l’espèce, un peu puéril…

 

D’où un sentiment un peu partagé, d’un article sans doute important à sa manière, qui a soulevé des choses très justes, mais en a tiré des « leçons » n’ayant pas forcément lieu d’être, au point presque de nuire à ce que l’argumentaire a de plus pertinent… Sentiment que j’ai parfois éprouvé pour les deux articles suivants – et rien à voir avec Lovecraft cette fois. Mais je ne m’y attarderai pas autant, quelle que soit leur valeur par ailleurs.

 

« When Yaller Rock County Came to Chawed Ear : Howard, Tuttle – and Kong » aborde des sujets très divers, au point de nuire un brin à sa véritable cohérence… Le point central concerne cependant les westerns humoristiques de Howard autour de son personnage de Breckinridge Elkins (et de ses avatars), qui ont connu de son vivant un grand succès, alors que l’opinion communément répandue, dans le milieu du western littéraire et des pulps, voulait que l’humour en la matière soit considérablement difficile à placer… En fait, Brian Leno montre que cette conception est peut-être un tantinet erronée, et que Howard avait sans doute des prédécesseurs en la matière, et tout particulièrement un certain W. C. Tuttle – qui n’est cependant envisagé qu’après avoir mentionné des influences autrement globales et bien éloignées du propos, tels Talbot Mundy, Harold Lamb ou encore Gordon Young, dont je me demande bien ce qu’ils font là… Et de même, a fortiori, pour ce développement sur King Kong – question cruciale dans le landernau howardien : Two-Gun Bob avait-il vu le film ? Oui, sans doute ; du moins une scène d’un Breckinridge Elkins semble s’en inspirer (« sans aucun doute », Brian Leno emploie souvent cette expression, on aura l’occasion d’y revenir…). Des choses intéressantes, mais une regrettable tendance à la dispersion…

 

Reste « Atali, the Lady of Frozen Death », qui concerne les sources de « The Frost Giant’s Daughter », une des premières nouvelles de Conan (et même la deuxième, si je ne m’abuse), que Brian Leno adore ; son ton est extrêmement laudateur, et il paraît stupéfait de ce que Farnsworth Wright l’ait refusée, c’est parfaitement incompréhensible à ses yeux (beaucoup moins en ce qui me concerne, notamment parce que je trouve cette nouvelle finalement très bof, et ai surtout la conviction que le rédacteur en chef de Weird Tales a rejeté des textes bien meilleurs – de Lovecraft, notamment, dont « The Call of Cthulhu » ou At the Mountains of Madness, et bien d’autres). Quoi qu’il en soit, Brian Leno en cherche les inspirations éventuelles, car il n’est guère satisfait de ce que l’on a pu avancer à ce propos – le point d’achoppement étant le personnage titre, Atali. Lyon Sprague de Camp avait avancé deux possibilités à cet égard : la première est une légende amérindienne compilée par Skinner dans Myth and Legends of Our Own Land, que Brian Leno considère absolument tout sauf concluante, supposant que de Camp lui-même ne pouvait y croire une seconde (hardi, hardi ! et un calque de ses propres idées, là encore ; pourtant, il y a bien quelques points communs…) ; la seconde résiderait dans une œuvre du fantaisiste anglais William Morris (qu’il faudra bien que je lise un de ces jours, bon sang), de Camp citant The Roots of the Mountain – mais Brian Leno, à ce compte-là, pencherait plutôt pour The House of the Wolfings, sans y croire vraiment (tout en considérant que c’est moins improbable que Skinner). D’autres suggestions lui paraissent plus pertinentes – notamment celles de Patrice Louinet, évoquant Bullfinch pour The Outline of Mythology et The Age of Fable, les mythes portant sur Atalante, ou Daphnis et Apollon ; il n’est cependant toujours pas convaincu. La « vraie » source (on retrouve ce caractère exclusif que j’avais trouvé si dommageable dans « Lovecraft’s Southern Vacation »…) est pour lui un récit assez mineur, publié dans le pulp à la réputation pas top Ghost Stories, en 1928 : « Sweetheart of the Snows » (titre original, moins calamiteux peut-être, « The Lady of Frozen Death »), texte signé Alan Forsyth, pseudonyme de Leonard Cline – auteur sous son vrai nom d’un roman qu’avait apprécié Lovecraft, lequel détestait Ghost Stories, mais la correspondance de Cline montre que c’était également le cas pour ce dernier… Howard était sans doute moins hostile – du moins eu égard à son approche de « professionnel » : pour vendre dans ce marché de « confessions » (et il y est parvenu), il lui avait d’abord fallu voir ce que le pulp attendait exactement, aussi l’a-t-il lu. Brian Leno suppose donc que Howard y avait découvert la nouvelle de Cline, et s’en était souvenu (on vante souvent sa mémoire remarquable à cet égard, Don Herron y revenant même dans sa postface…). On trouve plusieurs points communs entre les deux récits, outre le canevas de base pas absent des sources dites « erronées » : la séductrice fantomatique, la neige, les traces de pas d’une seule personne quand il devrait y en avoir de deux… Pour Brian Leno, ce qui établit la parenté des deux nouvelles « without a doubt », c’est l’emploi du mot « gossamer » (ce qui me paraît un peu léger, quand même, pour dire « without a doubt »…). À ce compte-là, la mention que la nouvelle de Cline ressemblait à une nouvelle d’Algernon Blackwood (femme fantôme, neige, une seule trace…) serait peut-être plus pertinente… mais Howard n’a jamais mentionné l’avoir lue, de même que pour Morris plus haut. Mouais… Plus ou moins convaincant tout ça, à vue de nez du moins… En ce sens, ce troisième article répond bien au modèle des deux précédents : des choses très bien vues, et des excroissances plus hardies et éventuellement fâcheuses…

 

Je ne sais trop que penser de la postface de Don Herron (encore lui…), « Pigeons From Hell From Lovecraft », qui me fait un peu l’effet d’une blague… Toujours est-il qu’il s’y interroge sur ce fâcheux titre de « Pigeons From Hell », certes très ridicule en français, et visiblement guère moins en anglais. Où Howard a-t-il donc pêché cette idée saugrenue ? Mais chez Lovecraft, voyons ! Don Herron évoque le dixième sonnet de Fungi From Yuggoth, intitulé « The Pigeon-Flyers ». Le cycle de Lovecraft a été composé assez vite, entre décembre 1929 et janvier 1930 ; ce poème précisément était un hommage à Henry Everett McNeil, qui avait fait découvrir le quartier si bien nommé de Hell’s Kitchen à Lovecraft, quartier où les pigeons abondent – Lovecraft en faisait la mention dans une lettre de décembre 1929 (justement) en forme de « mémorial » pour le défunt camarade. Howard, lui, n’écrirait « Pigeons From Hell » qu’en 1934, et la nouvelle ne serait publiée qu’en 1938. Y a-t-il un lien (et toujours dans cette perspective « Howard vs. Lovecraft ») ? Howard, en tout cas, avait lu Fungi From Yuggoth, que Lovecraft lui avait envoyé ; il avait apprécié, et cité dans une lettre ses sonnets préférés (« The Pigeon-Flyers » n’en faisait pas partie). Herron, brodant une fois de plus sur la mémoire remarquable du Barde de Cross Plains, suppose qu’il a pu s’en souvenir pour sa nouvelle, entre autres échos de Lovecraft… Admettons – mais que faut-il en tirer ? Pas grand-chose, non ? À cet égard, la remarque ultérieure est plus amusante, si ce n’est utile : « The Pigeon-Flyers » mentionne « Thog », et Thog est un rejeton de Tsathoggua dans « The Slithering Shadow », un Conan mineur ; ça sonne mythique, oui, même si Tsatogghua est une création de Clark Ashton Smith…

 

Bilan mitigé dans l’ensemble : de très bonnes choses, d’autres nettement moins bonnes, dans ces trois articles par ailleurs très disparates – leur compilation sous cette forme a quelque chose d’assez étonnant, d’ailleurs… Mais les curieux en matière d’howarderies apprécieront sans nul doute – et peut-être aussi les amateurs de lovecrafteries, hein…

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