The Dark Barbarian That Towers Over All, de Don Herron (ed.)
HERRON (Don) (ed.), The Dark Barbarian That Towers Over All, foreword by Charles Hoffman, [s.l.], The Cimmerian Press, [1984, 2004] 2014, 634 p.
The Dark Barbarian That Towers Over All est une de ces grosses compilations plus ou moins improbables en arbre mort, mais qui trouvent parfaitement leur raison d’être en numérique ; il s’agit, pour l’essentiel, de la reprise en un unique volume de deux anthologies critiques howardiennes, toutes deux éditées par Don Herron : The Dark Barbarian, tout d’abord et surtout, qui, en 1984, a semble-t-il constitué un tournant en étant le premier livre chez un éditeur « académique » à prendre Howard et son œuvre au sérieux (Don Herron y revient sans cesse, et peut-être d’autant plus parce qu’il déteste les « professeurs »…), et ensuite son complément de 2004, The Barbaric Triumph ; autant dire que l’on trouve là de très gros morceaux de critique howardienne – probablement indispensables à l’appréhension contemporaine de l’œuvre. Cette édition numérique autorisant tous les compléments, Don Herron y a enfin ajouté des textes de son seul fait : tout d’abord le bref recueil au nom improbable (mais expliqué) « Yours For Faster Hippos » : Thirty Years of « Conan vs Conantics », et ensuite des articles épars, publiées après The Barbaric Triumph… et qui, hélas, donnent une très vilaine image de l’auteur, aussi infect en tant que personne que pertinent en tant que critique.
Avant d’entamer tout cela, nous avons droit à une préface globale, « Hard-Boiled Heroic Critic », signée Charles Hoffman – un nom important de la critique howardienne, sans doute, et qui revient en tout cas abondamment sur son propre article, antérieur, « Conan the Existentialist » (révisé plus tard en « Conan the Existential », et repris sous cette forme dans The Barbaric Triumph), avec somme toute assez peu d’humilité… Mais il est vrai, à en juger par ce qui suivra, que l’humilité n’est probablement pas une vertu cardinale des critiques howardiens – ce en quoi ils ressemblent tout à fait aux critiques lovecraftiens (certains, dont Hoffman, sont les deux, d’ailleurs : le lien entre Howard et Lovecraft favorise les études comparées). Quoi qu’il en soit, Charles Hoffman insiste sur l’intérêt de The Dark Barbarian, effectivement un tournant majeur dans la critique howardienne, dépassant le seul champ des fanzines spécialisés pour conférer à son contenu une « légitimité académique » qui ne laissait sans doute pas Don Herron indifférent, quoi qu’il ait pu dire par la suite concernant cette approbation officielle. Cet ouvrage essentiel permettait donc de revenir en volume sur quelques mythes, d’assurer le « sérieux » de l’œuvre howardienne autant que de son étude, en mettant aussi en valeur les nombreuses facettes d’une production littéraire intense, qu’on aurait bien tort de limiter aux seuls récits de Conan – sans dénigrer ces derniers pour autant, hein… Hoffman note en tout cas combien la matière a évolué, tout particulièrement en revenant sur l’article qui donne son titre à l’anthologie, et dû à Don Herron lui-même : ce dernier cherche à y exprimer la substantifique moelle des récits de Conan, en les distinguant de ses déviations du côté des comics ou du cinéma – entreprise hardie, pour un résultat peut-être un brin confus… De manière très significative, le préfacier y préfère largement, et nombreux semble-t-il sont dans ce cas, un autre article, « Robert E. Howard : Hard-Boiled Heroic Fantasist », plus pointu à certains égards, et démontrant que Howard, quoi qu’on ait pu en dire, ne devait pas être rangé dans la famille des auteurs de fantasy d’alors et de quelque temps après encore (de William Morris et Lord Dunsany à J.R.R. Tolkien, bien sûr, et peut-être au-delà), famille dans laquelle il ne pouvait d’une manière ou d’une autre s’intégrer : s’il y avait un « groupe » à déterminer, pour lui, ce serait bien davantage celui, contemporain et bien éloigné de toute fantasy, du polar « hard-boiled », à la Hammett et Chandler – avec cette remarque bienvenue, opposant Sherlock Holmes et Sam Spade : on transpose à la fantasy, et c’est de suite très éloquent. Cet article était signé « George Knight », inconnu au bataillon – en fait, il a fallu attendre bien longtemps après l’aveu de Don Herron (repris en bonus) : « George Knight », c’était lui ! Il avait employé ce pseudonyme pour éviter de signer de son nom deux articles dans son anthologie critique – mais, ainsi que le fait remarquer Charles Hoffman, qu’il ait conservé son vrai nom pour un article très ancré dans son temps et plus ou moins satisfaisant en définitive, et employé un pseudonyme pour sa contribution la plus essentielle et appelée à être commentée et développée, témoigne des changements radicaux dans la critique howardienne depuis la parution originale de The Dark Barbarian.
Le préfacier, bien sûr, aborde bien d’autres questions également étudiées dans les deux anthologies… Mais cela reste du domaine de la présentation, n’appelant sans doute pas davantage de commentaires ici. Et il en va de même, comme de juste, pour l’ « Introduction » de Don Herron à The Dark Barbarian – passons (enfin, en relevant quand même que, même dans cet ouvrage jugé essentiel et autrement plus au fait que tout ce qui précédait, la « légende noire » à la Lyon Sprague de Camp, colportée au fil d’articles avant d’intégrer la biographie polémique Dark Valley Destiny, ne manque pas de perturber les vagues éléments biographiques rapportés – avec par exemple le petit Robert chétif et brimé par ses camarades, et, à l’autre bout, son suicide « romancé »).
Le premier critique à intervenir ici n’est certes pas le moins connu : Fritz Leiber, avec « Howard’s Fantasy », dont le titre est assez explicite. Cet autre grand nom du genre « sword and sorcery » livre ici une lecture (plutôt qu’une analyse) très personnelle des récits de fantasy de Howard – en mettant cependant au premier plan les Conan, ce que tous les critiques (depuis, surtout ?) ne sont pas forcément enclins à faire. Quoi qu’il en soit, si Leiber s’attarde un instant sur Kull en tant que figure macbéthienne, il ne traite pour ainsi dire pas de Bran Mak Morn ou Solomon Kane – sans parler, du coup, des récits moins « cycliques »… L’article, à vrai dire, m’a quelque peu déçu – et, sur le tard, tourne probablement un peu trop au « catalogue », distinguant les « bons » Conan (qui sont aussi les meilleurs Howard, à l’en croire) et les « mauvais » Conan (qui seraient ce que Howard a commis de pire – tout cela est sans doute à débattre). Ceci étant, ce « catalogue » n’est pas totalement dépourvu d’aspects intéressants : ainsi, si Leiber prise avant tout « Beyond the Black River », qui se trouve être ma nouvelle de Conan préférée (nous sommes Légion), on peut s’étonner de ce qu’il dénigre autant « Red Nails » (mais c’était semble-t-il un trait assez répandu à l’époque, la nouvelle ayant été considérablement réévaluée par la suite ?), comme à vrai dire la plupart des Conan « à formule » jouant sur le thème de la civilisation disparue. Pour autant, Leiber se montre très bon public dans l’ensemble, et ce quand bien même il a régulièrement quelque chose de taquin (voir notamment les développements portant sur le lesbianisme chez Howard, et tout particulièrement son usage ô combien répétitif des séquences où telle jeune et jolie fille nue fouette telle autre jeune et jolie fille nue ; mais rappelons que Leiber lui-même, dans les textes entourant son « cycle des Épées », était volontiers revenu sur la dimension sexuelle de sa propre production, qu’il lui jugeait essentielle – chose qui devient on ne peut plus flagrante avec les deux derniers livres du cycle, qui hélas ne m’ont pas du tout convaincu…). Les « critiques » n’en sont donc pas forcément, et quand Leiber qualifie la majeure partie de la production de Howard de « boyish », il ne faut pas nécessairement y voir un blâme. Par ailleurs, on le voit louer sans ambiguïté aucune la prose de l’auteur (ou sa poésie en prose ?), aspect qui, pour le coup, ne me convainc pas forcément tout le temps… mais d’autres y reviendront, et tout de suite, même.
En effet, Donald Sidney-Fryer, surtout connu en tant que spécialiste de Clark Ashton Smith, livre immédiatement après un « Robert E. Howard : Frontiersman of Letters » très court (d’autant plus qu’il cite abondamment, et sans commenter – il y a même probablement plus de citations que de paragraphes dus à l’auteur), et qui cette fois ne m’a vraiment pas convaincu. Pluie d’éloges sur les poèmes en prose de Howard – y a pas mieux en anglais, sauf Clark Ashton Smith of course. Moi je veux bien, hein – mais j’aurais aimé que l’auteur me le démontre, plutôt que de se contenter de me le dire… Mais il est vrai que je ne suis sans doute pas très réceptif à cette dimension de l’œuvre des deux stars de Weird Tales – les développements sur le poème en prose comme genre peu ou prou spécifiquement français m’ayant assuré que je ne connaissais absolument rien à tout cela…
Steve Eng poursuit dans cette voie avec son long article « Barbarian Bard : The Poetry of Robert E. Howard », ultérieurement considéré comme l’étude essentielle en la matière ; si le sujet n’est pas forcément si éloigné que cela de l’article précédent, l’auteur se montre autrement plus ambitieux et solide, s’étendant à longueurs de pages sur l’abondante production poétique de Robert E. Howard, mais sans négliger l’analyse pour autant – on évite ainsi le piège de la paraphrase, qui aurait rendu ce gros morceau pénible… d’autant qu’il a bien malgré tout un aspect « catalogue », tout particulièrement quand il s’agit de « classer » les poèmes de Howard en fonction de leur genre : héroïque en tête, comme de juste, mais pouvant aussi traiter de la guerre (et non, ce n’est pas tout à fait la même chose – voir notamment les poèmes sur une Première Guerre mondiale que le poète n’avait certes pas vécue, ce qui ne l’empêchait pas de livrer à l’occasion telle ou telle évocation noire des combats dans les Flandres), de la sorcellerie et du satanisme (touche « weird » dans le premier cas, sans doute plus « décadente » dans le second), de l’horreur au sens plus large (on y évoque l’influence possible de Lovecraft, et notamment de son cycle de sonnets Fungi From Yuggoth ; par la bande, on mentionne aussi à ce moment Justin Geoffrey, le poète fou de Robert E. Howard, et les jeux d’emprunt qu’il a suscité), de l’errance (très souvent – beaucoup de poèmes traitent de l’appel de la route, de l’évasion qu’elle pourrait ou devrait procurer, même si notre barde n’avait pas forcément très souvent quitté Cross Plains et encore moins le Texas), de paysages et de nature (Texas toujours – et, amusant à noter, la mer, rejoignant la thématique de l’errance, sauf que, ai-je cru comprendre, Howard n’a vu la mer qu’une seule fois au cours de sa courte vie), ou encore de sa propre personne (ici, comme de juste, on s’étend tout particulièrement sur le thème du suicide…), etc. Tout ceci est fort bien fait, même si la classification, par essence, achoppe à l’occasion sur des entre-deux (je pense par exemple au thème de la résurrection ou « mémoire raciale ») – et il en va sans doute de même pour la dernière partie de ce long article, plus « technique », traitant de versification, de métrique, de rythme, etc. ; autant de notions qui me dépassent largement dans la poésie française, alors forcément, dans la poésie anglo-saxonne… Là, j’étais clairement largué. Entre les deux, nous trouvons des analyses un peu plus marquées des thèmes, plutôt que des seuls registres, et là j’ai été moins convaincu, globalement – fâcheuse impression que l’auteur tend à calquer sa propre philosophie sur celle de Howard ? Il ne serait pas le seul dans The Dark Barbarian That Towers Over All… Mais, au fond, je ne saurais dire, ne connaissant peu ou prou rien à la matière. Certes, la présence de BHL dans la biblio ne m’a pas laissé indifférent, mais c’est parce que je suis mesquin. Demeure l’idée d’un poète quelque peu anachronique, prisant à l’heure où la poésie de langue anglaise se révolutionne (référence incontournable semble-t-il : The Waste Land de T.S. Eliot) des formes jugées plus archaïques, si sa manière de les approcher et les thèmes qu’il développe sont peut-être plus « modernes », finalement. Demeure parallèlement l’éloge du sens du rythme de l’auteur, nombre de ses poèmes étant des courses ou du moins évoquant le mouvement, avec une métrique plus instinctive que précise, mais finalement plus appréciable que le portrait qu’en tirait Howard lui-même, d’un rimailleur amateur, ne connaissant rien à la technique, et ne passant jamais plus d’une demi-heure sur un poème… ce qui n’est peut-être pas tout à fait exact – comme nombre de ses allégations portant sur son travail.
Après quoi Dennis Rickard nous ramène en des territoires autrement parlants en ce qui me concerne, avec « Through Black Boughs : The Supernatural in Howard’s Fiction ». Le surnaturel est ici entendu au sens large, pouvant couvrir tant la fantasy que l’horreur, même si, pour éviter des redondances, je vais surtout m’intéresser ici à la seconde (ou disons au fantastique) – et si l’influence de Lovecraft y est nécessairement discutée, elle peut cependant apparaître plus limitée qu’on ne le croirait au premier abord. Bien sûr, il y « The Black Stone », qui est un pur pastiche (et plutôt convaincant par ailleurs, même si je n’irais certes pas jusqu’à me montrer aussi admiratif que l’auteur et d’autres howardiens qu’il cite ; en même temps, je serais nettement moins sévère que le sévère S.T. Joshi, hein, qui n’apprécie visiblement guère Howard…). L’idée générale, cependant, est le caractère relativement accessoire du surnaturel chez l’auteur – dont les récits sont avant tout d’aventure. Certes, ce n’est pas toujours le cas… Mais ses tentatives de livrer des récits contemporains où le surnaturel est au premier plan ont globalement donné des échecs, ou du moins des textes mineurs. Deux exceptions au moins, plus longuement discutées : « Pigeons From Hell », bien sûr, mais aussi « Black Canaan » (qui contient certes des choses assez remarquables, si son racisme outrancier m’en a rendu la lecture pénible…) ; que ces deux récits assez longs jouent autant de l’atmosphère n’a par contre rien d’un hasard. Des autres nouvelles du genre, les meilleures sont sans doute celles qui usent d’un cadre « régional », on le répète – ce qui vaut notamment pour « The Horror From the Mound », qui est ainsi bien plus qu’un énième récit de vampire, et qui introduit également le thème « western » de l’œuvre howardienne, détaillé dans l’article suivant. Le rapport de Howard au surnaturel soulève en tout cas nombre de questions intéressantes – bien abordées dans l’article, encore que certaines appelleraient probablement des développements supplémentaires ; j’en relèverai ici deux : comment expliquer que Howard, dans ces conditions, et alors qu’il n’a jamais cherché à se faire une culture dans le genre (ne serait-ce qu’au travers d’une collection d’ouvrages), à la différence de son correspondant Lovecraft rassemblant de la documentation pour écrire son essai Supernatural Horror in Literature et révolutionner sa propre approche (et l’approche bientôt dominante, sans qu’il en ait eu conscience), comment expliquer, donc, que Howard soit pourtant toujours (non – longtemps : les dernières années, son engagement dans le western, et surtout le western burlesque des Breckinridge Elkins et compagnie, est bien aux antipodes du « weird west ») retourné au surnaturel, même seulement à titre accessoire ? Certes, il y avait le besoin d’évasion ; certes, il y avait aussi le marché spécifique de Weird Tales – qui l’a lancé et constituait peu ou prou son unique lecture dans le genre… Mais est-ce suffisant ? Aucune idée, hein – je lance naïvement la question dans le vide… Et un deuxième sujet qui me paraîtrait intéressant (et qui a indéniablement été traité, c’est juste que je manque de références, et que les rares dont je me souviens ne sont pas assez solidement établies dans ma mémoire défaillante d’ignare…) : plutôt que de revenir à l’influence supposée de Lovecraft, qu’en est-il des influences en fait communes aux deux auteurs ? Ici, je pense tout particulièrement à Arthur Machen (peut-être aussi, dans une moindre mesure, à John Buchan – vague souvenir d’un excellent article de l’excellent Michel Meurger) : le présent essai s’attarde à bon droit sur « Worms of the Earth » et les récits relatifs au « Petit Peuple » que l’on trouve sauf erreur en français dans le volume Bran Mak Morn (celui que j’avais préféré, d’ailleurs, même si je l’avais lu à un mauvais moment, d’interruption du blog qui plus est, faudrait que je me le refasse…), et c’est un sujet tout à fait intéressant… d’autant qu’il débouche éventuellement sur d’autres questions (la dévolution, notamment – thématique qu’il pourrait être intéressant d’envisager parallèlement à celle de la dégénérescence chez Lovecraft ; de même que l’on pourrait sans doute étudier de la même manière d’autres procédés ou thèmes communs, des connotations du monde souterrain à la survivance cachée de civilisations disparues). Il y a bien d’autres choses dans cet article (les serpents, l’usage des fantômes, la thématique de la résurrection ou de la « mémoire raciale », bien sûr…), mais c’est déjà bien, non ?
Puis nous passons à Ben P. Indick, pour « The Western Fiction of Robert E. Howard ». Un article qui confirme que j’aimerais beaucoup lire les westerns, qu’ils soient sérieux ou humoristiques, de Howard… et peut-être bien surtout ces derniers, en fait (dont le style très familier/argotique, etc., m’effraie, me dissuadant de tenter l’expérience en anglais ; dommage que Bragelonne n’ait pas poursuivi sa collection dans ce champ…). L’article est solide, et, chose très appréciable pour le lecteur pas très compétent dans mon genre, inscrit la production howardienne de westerns dans l’histoire littéraire du genre, remontant aux prototypes d’avant l’Ouest tel que James Fenimore Cooper, pour suivre la destinée du genre au fil de l’exploration de la Frontière, à travers les dime novels, puis les pulps, ici Howard, et envisageant quelques prolongements plus tardifs (beaucoup de noms qui me sont parfaitement inconnus, même si j’ai relevé Louis L’Amour – encore jamais lu – ou, qui me parlent davantage, l’excellent Shane de Jack Schaefer, ou le plus excellent encore Larry McMurtry – mais pas encore pour Lonesome Dove, qui ne sortirait qu’en 1985, l’année suivant The Dark Barbarian, donc ; j’ai toutefois été un peu surpris que l’excellent Warlock de Oakley Hall ne figure pas dans ces références ultérieures – il me paraît très « howardien », à sa façon). Cet article me paraît bien entrer en résonance avec Blood & Thunder, la biographie bien plus tardive signée Mark Finn, détaillant le cheminement de Howard vers le « régionalisme » (encouragé d’ailleurs par un certain nombre de ses correspondants, Lovecraft inclus) – caractère qui est dès lors étudié chez les autres auteurs du genre cités. Notons cependant que, si le western est d’abord entendu au sens large, disons – incluant en tout cas des récits « weird » tels que, bien sûr, « The Horror From the Mound », mais aussi éventuellement, là encore, « Black Canaan » et « Pigeons From Hell » (on s’éloigne un peu de la Frontière, quand même), mais faisant à plus ou moins bon droit – trouvé-je – l’impasse sur les ultimes Conan, fort western au fond, et peu importe qu’ils se déroulent durant l’Âge Hyborien, tels « Beyond the Black River » et éventuellement « Red Nails », la matière devient plus strictement entendue par la suite : y triomphent les westerns burlesques et issus de la tradition du « tall tale », à la Breckinridge Elkins, donc, tandis que les westerns plus « sérieux » dans leur approche sont jugés plus « calibrés pulp » et au fond sans grand intérêt – à l’exception toujours citée de « The Vultures of Wahpeton » (qu’il faudra bien que je lise un jour).
On en arrive à l’article essentiel signé « George Knight » (qui est donc Don Herron lui-même ; amusant de voir les notes en fin d’article où « George Knight » remercie son copain Don Herron pour telle ou telle analyse, suggestion ou anecdote… Mentionnons aussi la biographie fantaisiste en fin de volume !), et intitulé « Robert E. Howard : Hard-Boiled Heroic Fantasist ». Et c’est certes, à la hauteur des louanges de Charles Hoffman (et de bien d’autres sans doute – autres que Don Herron lui-même, en tout cas…), un très bon article, développant une thèse que j’avais donc esquissée plus haut, affirmant la différence voire l’opposition entre la fantasy de Robert E. Howard et celle, anglo-saxonne, de « l’intellectuel » William Morris, de « l’aristocrate » Lord Dunsany ou du « professeur oxonien » J.R.R. Tolkien – Howard n’était certes rien de tout ça… D’où l’inanité des critiques parfois bien sévères, louant la « high fantasy » des trois cités et de certains de leurs continuateurs (autrement médiocres parfois, broumpf…), et recalant ainsi sans forcément le dire Howard et sa « sword and sorcery » (ou « sword and sinew » ?) dans les rangs d’une « low fantasy » – laquelle a depuis été constituée en tant que genre sans jugement de valeur, mais ce n’était probablement pas le cas alors. Apprécions une chose : l’auteur ne fait heureusement pas dans le « Howard vs. Tolkien, FIGHT ! », réflexe qu’il m’a semblé rencontrer un peu trop souvent… Mais on rejoint par ailleurs les éléments envisagés plus haut concernant le rapport de Howard à la fantasy, il est vrai. Et, du coup, non : pour « George Knight », si Howard doit appartenir à une famille, c’est, bien loin de la fantasy racée anglo-saxonne, avec ses elfes et ses dragons, à celle des auteurs de polars « hard-boiled », les Hammett et Chandler, etc., qui ont joué la carte du « réalisme » (vertu devenue cardinale chez le fantaisiste Howard, y compris dans sa fantasy et notamment ses Conan – et probablement d’une certaine manière chez Lovecraft également, mais là on s’éloigne pour ce qui est des autres attributs du genre), pour livrer une littérature ancrée dans le quotidien (prolétaire ?) des lecteurs. Et c’est très pertinent, oui – y compris dans les références plus ou moins communes à la figure du « hobo », chez Jack London ou encore Jim Tully (davantage oublié, amplement commenté), auteurs que Howard admirait profondément. Je ne suivrais pas « George Knight » partout – ainsi quand il fait de Solomon Kane une variation sur le « hobo » (le fanatisme du Puritain me paraît franchement incompatible, là, comme ça…), mais globalement il fournit bien une analyse intéressante et probablement pertinente – qu’on le suive ou non, enfin, dans sa détermination d’une littérature « américaine », par essence faite par et pour des immigrés de seconde classe, des prolos recalés et oppressés par leurs patrons, des boxeurs qui tombent et se relèvent – ces « iron men » qu’admirait par-dessus tout Howard –, des vagabonds mystiques… et des « héros » qui ne se perçoivent pas comme tels, qui vivent dans la douleur inhérente à la violence réelle, mais sont probablement moins cyniques qu’ils le prétendent. Manque peut-être une toute petite chose à cet article, encore que je n’en sois pas bien sûr – une distance critique supplémentaire ? Voyez les très intéressants et très pertinents développements sur le tout début d’Almuric : ce qui y est dit est très juste et bienvenu… mais ledit roman inachevé n’est pas franchement une réussite, et peut-être aurait-il été pertinent de tenir compte des hauts et des bas de « l’auteur professionnel » (autre dimension « américaine » sur laquelle s’étend à bon droit « Knight », et Glenn Lord y revient immédiatement après) ; mais je ne sais pas, au fond. À lire, en tout cas.
Glenn Lord, donc, livre ensuite un « Robert E. Howard : Professional Writer » sans doute utile, néanmoins trop factuel pour que j’en dise grand-chose ici… On y étudie les différentes étapes de la production littéraire assumée comme commerciale de l’auteur. Son refus de tout travail plus « traditionnel » étant vite posé, nous le voyons très vite écrire dans le but d’être publié et d’en tirer un revenu décent. Le rapport de Howard à Weird Tales, la revue qui l’a lancé en acceptant ses premiers textes (il n’y en aurait pas moins quelques années de vide avant que la machine se lance pleinement, années de doute et de crainte, passablement douloureuses), est bien entendu exposé sous toutes ses coutures, mais aussi ses tentatives – parfois fructueuses, et bien davantage d’ailleurs (rappelons que Weird Tales payait mal, censément à publication et non à acceptation, et malgré tout avec du retard – à la mort de l’auteur, « The Unique Magazine », auquel il avait plus ou moins arrêté de soumettre depuis quelques années déjà, lui devait encore un joli paquet, qui serait ultimement versé à son père, le Dr Isaac M. Howard), s’essayant à différents styles en fonction des opportunités ; il y affiche son goût des fictions historiques, hélas tout sauf rémunératrices (même chose probablement pour la poésie), on y évoque son succès dans le western, et on le voit même s’essayer à des registres quelque peu improbables, comme les « detective stories » qu’il exécrait globalement (et ça se sentait, visiblement), ou les récits « spicy », sur la recommandation de son compère E. Hoffmann Price – ça n’a pas duré, dans l’ensemble (même si l’érotisme ne laissait certes pas l’auteur indifférent – sa bibliothèque en témoigne, plus loin dans cette anthologie). Mentionnons quelques remarques en passant sur d’autres dimensions moins souvent évoquées, comme ses très rares (deux, semble-t-il) travaux de révision… Pour le reste, c’est assez connu dans l’ensemble, même s’il fallait bien y revenir dans ce contexte.
Le dernier article de l’anthologie originelle lui fournit son titre : c’est donc « The Dark Barbarian », signé Don Herron lui-même (et sans masque, cette fois). Un article assez long et complexe, qui se disperse d’ailleurs peut-être un peu à cet égard, mais n’en contient pas moins beaucoup de choses intéressantes (et quelques-unes qui me paraissent contestables, mais c’est le jeu). Dans un premier temps, l’auteur traite des apports spécifiques de Howard à la littérature de fantasy, notamment au travers de sa conceptualisation de la figure du barbare – mettant en avant des traits relativement explicites, et qui pourtant n’ont pas toujours retenu l’attention des imitateurs. Je suis un peu sceptique sur la comparaison avec les personnages de Tarzan et de Mowgli, il me semble que c’est autre chose, franchement… Par contre, la comparaison du personnage de Conan avec d’autres grands succès populaires dans des genres bien différents (tel l’inspecteur Harry, par exemple – il s’agit d’aller au-delà du personnage créé par un auteur et repris par d’autres, que ce soit Frankenstein, Dracula, Sherlock Holmes, Tarzan, James Bond, encore que ces derniers notamment permettent des comparaisons utiles), est sans doute plus juste (même si la supposée « obsolescence » du barbare, telle qu’avancée par l’auteur, me paraît pour le moins critiquable). Par la suite, on appréciera le regard porté sur la cohérence philosophique de l’œuvre (d’aucuns, longtemps, croyaient visiblement louer Howard en supposant son absence de « philosophie », et c’est une chose qui, sans surprise, agace profondément Herron…), le caractère crédible du personnage au regard d’une cohésion interne essentielle, si ce n’est au regard de la réalité historique (chose dont Howard était sans doute bien conscient), et la tonalité globale « sombre » des récits howardiens – tout ceci s’associant pour constituer la figure archétypale du « sombre barbare », voire (en référence donc à l’article de Charles Hoffman, repris plus loin dans The Barbaric Triumph) du barbare « existentiel » ou « existentialiste ». C’est une nouvelle occasion de revenir sur ce qui distingue la fantasy howardienne – peut-être même au point de lui conférer une connotation post-moderne (le goût pour les personnages sombres et torturés étant supposé plus tardif, ce qui est probablement à débattre ; mais l’exemple populaire de Star Wars me paraît pour le coup peu convaincant, si le Silver Age des comics est sans doute plus pertinent) – de la fantasy des Edward Morris, Lord Dunsany et J.R.R. Tolkien, à la manière de l’article publié sous le pseudonyme de « George Knight » déjà évoqué, pour le rapprocher, dans le fond comme dans la forme, d’autres courants (et notamment donc le polar « hard-boiled »). Ici, sans doute l’analyse côté Howard est-elle pertinente, elle l’est peut-être moins dans son approche de ceux d’en face, même si je ne saurais pas en jurer… Retenons du moins le rapport à l’histoire et à la mythologie, essentiellement différent, expliquant les divergences entre un Howard et un Tolkien, et plus encore entre la Terre du Milieu et l’Âge Hyborien (occasion de contester la notion de « monde secondaire » appliquée à Howard – cela vaudrait-il aussi pour Tolkien ? Tous deux traitent après tout d’un passé antédiluvien…). Je relève aussi la parenté supposée plus pertinente, quitte à en chercher une, avec le canular d’Ossian… Peut-être, je n’en sais rien. La deuxième partie de l’article, si elle cultive bien quelques liens essentiels avec ce qui précède, aborde pourtant un champ autrement vaste : la perception faussée de l’œuvre howardienne du fait des « collaborations posthumes » (le rôle de Derleth à l’égard de Lovecraft y est étudié, comme un préalable à l’action de Lyon Sprague de Camp, Lin Carter et d’autres encore sur les récits de Conan), rappelant une évidence qui ne l’était pas forcément alors (et peut-être même ne l’est-elle pas tout à fait aujourd’hui), à savoir qu’il serait absurde de juger Howard sur la base de textes qu’il n’a pas écrits, et qui n’ont peu ou prou rien à voir, ni avec son style, ni avec son propos (l’influence étrange de ce qui est probablement le pire récit de Conan, « The Vale of Lost Women », est par ailleurs assez amusante à étudier) ; l’article se montre sans doute très pertinent à cet égard – probablement plus, d’ailleurs, que le « Conan vs Conantics », du même auteur, antérieur, et repris en bonus dans « Yours For Faster Hippos » : Thirty Years of « Conan vs. Conantics », plus loin. Une nouvelle dimension, pourtant, s’y ajoute, concernant cette fois les adaptations à d’autres médias, pour l’essentiel en trois temps : les couvertures de Frank Frazetta (admirées – au point de dénigrer tout le reste, on aura l’occasion d’y revenir), puis les comics de la Marvel (globalement tolérés sinon appréciés, ou du moins envisagés comme constituant des adaptations « légitimes »), enfin le tout récent alors film de John Milius – et ici l’auteur ne s’étend guère, au-delà du relevé d’inévitables différences quant aux jeunes années du personnage, souvent mises en avant par les critiques howardiens, à bon droit sans doute si l’on s’en tient à la pure exégèse historique, mais dont la pertinence au-delà m’a toujours laissé un peu perplexe ; certes, il est aussi fait mention de ce qu’Arnold Schwarzenegger n’est pas davantage le Conan de Howard que Johnny Weissmuller n’est le Tarzan de Burroughs… Mais cela nous conduit en fait à la conclusion de l’article, parfois embarrassée, néanmoins intéressante : pour Don Herron, il ne fait guère de doute que l’œuvre howardienne, notamment quand elle porte sur Conan mais aussi au-delà, sera bien un jour appréciée pour elle-même, en faisant le tri des « imitateurs » ; on peut espérer que ce soit globalement le cas maintenant (Don Herron lui-même, dans le contenu bonus, semble pourtant en douter…), encore qu’il y ait sans doute bien du chemin à accomplir… Pour autant, la simple existence de ces imitateurs, et a fortiori leur succès parfois conséquent, au moins en termes commerciaux ou plus largement encore de popularité, sans même parler de leur volume écrasant par rapport aux textes « canoniques », ne saurait être balayée d’un simple geste de mépris – d’une manière ou d’une autre, ces visions de Conan, aussi contradictoires soient-elles, ont contribué à la conceptualisation du genre sword and sorcery et de la figure essentielle du barbare de fantasy, et, s’il ne faut pas les percevoir comme « du Howard », bien sûr, leur étude parallèle, consciente, pourrait néanmoins s’avérer extrêmement utile et fructueuse, aussi mauvaises ces variations soient-elles – au point en fait de rejaillir en définitive sur Howard lui-même, pour mettre d’autant plus en avant, paradoxalement ou pas, la force et la singularité de sa création.
The Dark Barbarian s’achève sur deux appendices. Le premier s’intitule « Robert E. Howard’s Library », et c’est un catalogue des titres de la bibliothèque de Robert E. Howard légués à l’Université Howard Payne, catalogue édité par Steve Eng après une introduction de Don Herron. Un outil de recherche pour l’essentiel – aussi n’en ai-je pas forcément grand-chose à dire… On relève quand même que la conservation et communication des titres ne se sont pas effectuées au mieux (notamment pour ce qui est des pulps ayant publié Howard, comme de juste – ils ne figurent d’ailleurs pas dans cette liste) ; à terme, la collection ou ce qui en restait sera de toute façon « rendue » aux amateurs de Robert E. Howard, à la maison de l’auteur à Cross Plains. Autrement, on notera que ce catalogue contient très, très peu de fictions – il s’agit pour l’essentiel d’essais historiques ou biographiques. Il y a peut-être quelques étrangetés dans le tas, mais je ne me sens pas de les relever – si ce n’est, d’une cruelle ironie, qu’on y trouve un machin de « motivation » promettant aux lecteurs d’apprendre à être heureux, ben tiens…
Le deuxième appendice, justement, « Howard’s Suicide », pourrait à vrai dire constituer un article à part entière, au-delà de sa brièveté… mais ça serait un très mauvais article, hélas. Traiter du suicide de Howard est décidément bien difficile – et si, bien sûr, je n’accepte pas le réflexe primitif consistant à attribuer ce geste fatal à la « folie » de l’auteur (c’est quoi, la « folie » ?), réflexe pouvant conduire, du fait de la gêne qu’il traduit, à évacuer tout autre question le concernant ou concernant son œuvre, le fait est que je ne me retrouve pas davantage dans ce quasi-catalogue de « suicidés géniaux », et dans l’idée plus globale que le génie favorise le suicide (Don Herron adopte à vrai dire une attitude très ambiguë à cet égard, rejetant d’abord formellement cette « thèse »… quand son catalogue, ensuite, semble pourtant l’illustrer). C’est une question trop complexe et délicate pour être expédiée comme cela (à mon sens, le « génie » vaut bien ici la « folie »…) ; quant à la tendance, presque systématique, à rationaliser le geste à tout prix… Non, franchement, non : à ce stade d’errance, c’en est embarrassant…
Cette ultime fausse note ne change rien à l’essentiel : en dépit de quelques moments un peu plus faibles (pour l’essentiel, à mes yeux, l’article de Donald Sidney-Fryer), le bilan de The Dark Barbarian est assurément positif – c’est là une anthologie critique ambitieuse, et à la hauteur de ses intentions.
Vingt ans plus tard, en 2004 donc (et dans des circonstances particulières, sur lesquelles Don Herron, très content de lui, reviendra ultérieurement, et ce n’est pas forcément pour le mieux…), The Dark Barbarian se voit attribuer une « suite », intitulée The Barbaric Triumph ; les études howardiennes ont bien changé entre-temps (sans doute en partie du fait de The Dark Barbarian), et cette nouvelle anthologie en fait état. Je note, impression peut-être erronée, qu’elle me paraît mettre l’accent sur les considérations philosophiques (et c’est que je retiens essentiellement de l’ « Introduction » de Don Herron, s’il n’y a rien d’autre à en dire) – mais avec sans doute plus ou moins de pertinence.
Un petit hors-d’œuvre anecdotique : l'article intitulé « A Voice from the Past : An Overture From December 1943 », en fait un plaidoyer d’un certain Paul Spencer suppliant la jeune maison Arkham House de publier les œuvres de Robert E. Howard, autrement condamnées à la disparition à brève échéance…
Le premier véritable article, déjà évoqué, est le séminal « Conan the Existential » de Charles Hoffman (révision d’une première version titrée « Conan The Existentialist »), qui nous immerge donc d’emblée dans la dimension philosophique de The Barbaric Triumph. Un article qui m’a paru étonnamment court… et probablement un peu décevant (au-delà de son caractère fondateur que je suis tout à fait prêt à reconnaître). J’ai le sentiment, en effet, d’une démonstration manquant un peu trop de s’appuyer sur des bases solides – et, si l’intuition me paraît globalement pertinente et bienvenue, son assise en l’état me paraît trop branlante et évasive pour pleinement convaincre. Autre problème potentiel : l’auteur n’applique-t-il pas un eu trop ses propres idées à son sujet d’étude ? Ce n’est pas forcément le cas, mais c’est une question que je serai amené à poser à plusieurs reprises dans cette deuxième anthologie critique… Cela dit, ce réflexe assez commun peut néanmoins susciter de bien bonnes choses (il n’y a pas que des Rémi Mogenet) (pardon). Mais l’intérêt, ici, est peut-être plus « simple », encore que ce qualificatif ne soit sans doute pas le plus pertinent : j’ai tout de même le sentiment qu’il s’agit d’abord pour Charles Hoffman de relever – à bon droit – l’expression d’une philosophie plus complexe qu’il n’y paraît, si globalement cohérente (là aussi, j’y reviendrai), dans une bonne partie de l’œuvre de Howard – et si l’article cite Conan dans son titre, cela va bien au-delà, l’exemple le plus éloquent portant d’ailleurs plutôt sur le morose roi Kull s’interrogeant sur la nature de la réalité et le sens de l’existence (à supposer qu’il y en ait un… mais ici la réponse ne tarde guère). Ma culture philosophique est cependant trop lacunaire, sans doute, pour me permettre d’appréhender au mieux cet article… Notons que la définition du courant, sans surprise, est postérieure à Howard – elle vient de L’Être et le néant, de Jean-Paul Sartre. Des renvois sont toutefois faits à des auteurs antérieurs à cette définition : Kierkegaard, Schopenhauer, Nietzsche pour l’essentiel. La conviction d’un monde absurde, en même temps, me paraît insuffisante à elle seule pour qualifier tel ou tel auteur d’ « existentialiste » (même en prenant soin, comme ici, de supposer que Howard n’avait pas conscience de cette appartenance, déterminée après coup). Par ailleurs, je redoute un peu que cette conception fondamentale, malgré la pointe de Sartre supposée la fonder ou plutôt la décrire parfaitement, en étant ainsi limitée d’emblée, passe peut-être un peu à côté de la vraie singularité du personnage, ce qui n’est pas sans poser problème, et plus encore si l’on cherche à déterminer l’essence (aha) de la philosophie howardienne, notamment en ce qu’elle pouvait diverger voire s’opposer radicalement par rapport à celle de Lovecraft, disons… L’absurdité du monde et de la vie est une chose qu’ils partagent – la place de l’homme dans tout ça, par contre… L’article d’Edward A. Waterman, un peu plus loin, est sans doute plus riche à cet égard – quand bien même il peut paraître critiquable sur certains points. Enfin, les comparaisons entre l’œuvre de fantasy de Howard, les sword and planet de Burroughs et les Elric de Moorcock, pour ce que j’en connais, me paraissent franchement trop lapidaires pour pleinement me convaincre (et j’ai par exemple tiqué sur l’assimilation entre le dualisme « loi/chaos » chez Moorcock et l’opposition plus classique « bien/mal » ; bien que n’étant vraiment pas un fan d’Elric, j’ai quand même l’impression que c’est plus compliqué que ça, et que ça s’accommode mal du statut d’anti-héros du geignard albinos, qui sous cet angle n’a pas forcément grand-chose à envier à Conan, quand bien même ce serait en tant qu’anti-modèle… Après, c’est peut-être simplement que j’ai été bien trop tôt irrémédiablement contaminé par les alignements dans Donj’, hein…).
On passe à tout autre chose avec Mark Finn et « Fists of Robert E. Howard », article portant sur la passion de Howard pour la boxe, ce qu’elle a pu représenter dans sa vie, son importance dans son œuvre (avec pas mal de récits du marin Steve Costigan disséqués, et quelques aperçus de ses avatars sous d’autres noms, pour des raisons commerciales), enfin – on y revient quand même un peu – les aspects philosophiques qui pouvaient y être liés. Bien sûr, ayant lu il y a peu la biographie dudit Mark Finn, Blood & Thunder, qui s’étend elle aussi sur cette dimension, j’ai eu l’impression (anachronique, oui) d’une « redite », tout en relevant que, cette fois encore, l’auteur a su m’intéresser à un sujet qui ne me parle, euh, « pas vraiment » à la base, et aiguiser ma curiosité pour des textes que je ne connais pas et qui sont sans doute bien plus intéressants que ce que je (parmi d’autres) pouvais croire de prime abord. L'idée de l'écrivain professionnel comme boxeur « homme de fer » se relevant sans cesse est amusante... Un détail, peut-être : ici, Mark Finn reprend l’idée d’un Howard chétif et brimé quand il était mioche, il me semble qu’on en est revenu depuis (y compris lui-même dans sa biographie) ?
Edward A. Waterman livre ensuite « The Shadow From a Soul on Fire : Robert E. Howard and Irrationalism », article dont le titre prête à confusion, peut-être, et qui étend en fait le champ de recherche de l’essai antérieur de Charles Hoffman. « L’irrationalisme », ici, doit être entendu dans un sens philosophique, comme l’opposition au rationalisme des Lumières – pas dit que ce qualificatif soit forcément le plus approprié ici, en anglais comme en français (S.T. Joshi juge cela absurde, et s’en prend plein la gueule pour cette raison plus loin dans le recueil)… d’autant que, pour le peu que je crois en savoir, je trouve que l’auteur décrit une histoire de la philosophie un peu trop « mécanique », en attribuant des dates précises (?!) et successives (?!) à tel ou tel mouvement, quand la réalité était sans doute autrement ambiguë et complexe – comme l’était sans doute la philosophie de Robert E. Howard, justement ; mais c’est dans l’analyse de ce fait que réside l’intérêt de l’article. En fait, sur cette base « irrationaliste » et « romantique », qui débouche bien vite, sous la plume de Waterman, sur des noms déjà croisés auparavant (nos pré-existentialistes sinon carrément existentialistes Kierkegaard, Schopenhauer et Nietzsche – je note que les deux derniers ont pu influencer Lovecraft, parallèlement, même si les philosophies globales des deux écrivains étaient bien différentes sur nombre de points essentiels), je retiens donc surtout les variations d’un auteur qui piochait ici, et piochait là, construisant en autodidacte son propre système (avec au cœur, justement, un certain individualisme et un culte de la liberté individuelle s’accommodant plus ou moins bien de tout ça). Je ne me sentirais donc pas, pour ma part, de « définir » la ou une philosophie howardienne, a fortiori sur la seule base du qualificatif (largement péjoratif…) d’ « irrationalisme » ; mais, en fait, c’est peut-être ce qui me le rend sympathique, ici : face à lui, Lovecraft m’a toujours fait l’effet d’un homme du dogme, et des réponses certaines, aussi déprimantes soient-elles – oserais-je dire que notre athée militant, comme c’est hélas assez commun, avait quelque chose d’un religieux dans sa vision du monde ? Howard sans doute bien moins ; on le voit hésiter, parfois, dans des sujets complexes, et notamment dans une série d’oppositions dualistes (dont on trouve bien sûr des échos dans sa correspondance et sa controverse avec Lovecraft – même si, pour le coup, c’est peut-être davantage le débat physique/mental qui s’avère le plus fructueux ici, plutôt que barbarie/civilisation) : de toute évidence, le monisme, qu’il s’affiche matérialiste ou idéaliste, ne le convainc jamais assez ; tour à tour – ou en même temps ? –, Howard achoppe sur les deux antagonistes, et ses influences, comme Darwin, Haeckel, Spencer, le tiraillent régulièrement dans telle ou telle direction… Finalement, s’il est une notion que l’on peut probablement lui appliquer tout du long, c’est celle de scepticisme – les questions métaphysiques, la notion de réalité, le rôle et l’étendue de la science, sont autant d’aspects d’un même questionnement perpétuel, où intervient parfois la notion de croyance : lui « ne croit pas », mais n’exclut rien. D’où des prises de position parfois étonnantes, mais peut-être pas tant que cela, au fond : l’ « irrationalisme » au sens le plus vulgaire peut sans doute renvoyer ici aux interrogations de l’auteur portant sur la « mémoire raciale », récurrentes, peut-être aussi à ce qui touche à l’inspiration (on cite abondamment les lettres de Howard portant sur la création de Conan, ici, mais peut-être ne faut-il pas les prendre au pied de la lettre – on a eu bien des occasions de se méfier de ce qu’il prétendait à cet égard, qu’il faille y voir une variante du « tall tale » ou encore autre chose…) ; ajoutons que les références de Howard, largement autodidacte en la matière donc, étaient très diverses, parfois de première main, souvent de seconde… et incluant de temps à autre des bizarreries, tel le yogi Ramacharaka (de son vrai nom William Walker Atkinson) ou même la théosophie. Il y a cependant bien plus, et demeurent éventuellement, sous la façade volontiers brute, des concepts qui le saisissent plus profondément, tel l’instinct (autant pour l’existentialisme ? Mais je dis peut-être n’importe quoi…), qui pourrait tout autant relever de l’inconscient – et si Freud mettait probablement Howard un peu mal à l’aise (même chose pour Lovecraft ?), il n’en a pas moins fait usage des notions du père de la psychanalyse dans sa correspondance. Ce qui n’est pas sans soulever d’autres difficultés : l’éloge de la liberté individuelle, après tout, peut paraître difficilement compatible avec l’apologie de l’instinct… L’interrogation, dans cet article, n’aborde cependant qu’à peine la dimension éthique (sans doute un peu d’épicurisme, tout de même ? Il y a bien de cela, d’une certaine manière, dans certaines fameuses envolées de Conan…) – et encore moins la dimension politique. L’article, s’il est sans doute critiquable sur bien des points (dès son titre ?), demeure intéressant, et sans doute bien plus riche que ce que ce résumé hâtif tente d’en extraire – c’est un article à lire le crayon à la main (ou le clavier à portée), il faudra peut-être que j’y revienne…
Après quoi Steven R. Trout nous donne « Heritage of Steel : Howard and the Frontier Myth ». Le titre est peut-être un peu trompeur là encore – du moins dans la mesure où l’article, après une mise en place soignée mais relativement attendue, adopte assez rapidement des directions plus surprenantes, et avec une grande réussite. Le rapport de Howard au mythe de la Frontière est souvent mis en avant, et à bon droit. L’analyse qui en est faite ici, pourtant, non seulement ne revient pas tant que ça sur les textes qu’on pouvait s’attendre à voir cités, mais envisage la problématique avec une subtilité remarquable, lui conférant des dimensions plus amples que ce que l’on pourrait croire de prime abord. Le mythe de la Frontière est ainsi décortiqué via les travaux mythologiques de Joseph Campbell, et notamment ceux portant sur le monomythe – tels qu’ils ont été employés par des spécialistes de la question de la Frontière, ne rechignant certes pas à écumer la culture populaire comme tout particulièrement propice pour l’exprimer ; en l’occurrence, Slotkin (référence qui revient souvent dans The Barbaric Triumph) renvoyant à Edgar Rice Burroughs (or Slotkin avait connaissance de l’œuvre de Howard, et l’auteur s’étonne à vrai dire de ce qu’il n’en fasse pas usage…). L’astuce ici, pourtant, consiste très vite à s’éloigner du seul Texas et des anecdotes des « old timers » dont raffolait Howard (notons au passage que l’auteur nous montre adroitement que Howard n’avait rien de naïf en l’espèce, et avait bien conscience du caractère justement « mythique » de toute cette matière, quand bien même fascinante) pour envisager la question au regard d’une histoire américaine (et ce qualificatif est essentiel) bien plus longue, et riche d’autres symboles. Le mythe de la Frontière, ici, est en effet envisagé à la source, d’une certaine manière – avec, en préalable de l’épopée avec ses figures rocambolesques, l’idée essentielle dans l’analyse de Slotkin d’une violence régénératrice et rédemptrice (fondant éventuellement, pour certains, une « exception américaine », laquelle pour le coup me laisse au mieux sceptique – et ça aussi, ça reviendra…). On évoque donc le rapport des colons puritains à la nature forcément sauvage et donc forcément diabolique qui les environnait ; cet accent mis sur la conception puritaine du « monde neuf » qu’était à leurs yeux l’Amérique a pu me ramener à l’intéressant article de Lauric Guillaud (qu’on retrouve de suite après !) figurant dans le tout récent numéro d’Europe consacré à Lovecraft et Tolkien. En découle cette image d’un affrontement impitoyable opposant colons puritains et Indiens, les premiers déshumanisant dans un geste classique les seconds – la réciproque étant probablement tout aussi vraie, et justifiée, dans les deux camps, par leur peur de l’autre, aboutissement de leur incompréhension –, les atrocités répondant aux atrocités, dans une guerre « sauvage » où il n’y a pas de quartier – et où la victoire ne peut consister qu’en l’anéantissement total de l’autre… avec la possibilité non négligeable, voire presque logique, de la prise en compte quand il est trop tard seulement du fait que l’autre était malgré tout humain. Une histoire sanglante qui remonte en fait au moins aux temps précédant la colonisation : Howard l’irlandophile ne manquait pas, dans sa correspondance, de s’étendre sur les massacres commis par les Anglais tout au long de leur appropriation des îles britanniques… La figure, pourtant, du trappeur, du montagnard, ou plus globalement, dans le cadre américain, de « celui qui connaît les Indiens », incarne au mieux le mythe de la Frontière, aussi paradoxal cela puisse-t-il paraître – même si c’en est un aspect volontiers traité par Howard, avec ses héros solitaires et vagabonds… Cependant, pour en traiter, Steven R. Trout va en fait… s’éloigner de la Frontière texane et même américaine (bon, dans l’ensemble, hein : on cite bien, inévitablement ou presque, « Beyond the Black River », et quelques autres textes encore…). Direction l’Afrique (pour l’essentiel) avec notre cher puritain (justement) Solomon Kane ! Et ça marche très bien, en fait. L’article m’a ainsi surpris, mais tout autant convaincu. C’est une belle mécanique, riche et enthousiasmante.
L’article suivant… est français, signé Lauric Guillaud (traduit par Donald Sidney-Fryer), sous le titre (bien vague) de « Barbarism and Decadence ». Il s’agit en fait de la reprise de son « Le Thème de la décadence chez C.A. Smith et R.E. Howard », que j’avais déjà lu dans H.P. Lovecraft : fantastique, mythe et modernité. Il m’a sans doute fait un peu moins d’effet dans ce nouveau contexte… Au milieu de l’érudition spécifiquement howardienne, cet article assez englobant (qui traite sans doute avant tout de Robert E. Howard, mais en se référant souvent à Clark Ashton Smith, donc, mais aussi à H.P. Lovecraft), me paraît un peu trop se disperser, peut-être… On en retire cependant bien des choses : on y parle du morose Kull, puis de Conan, mais éventuellement pour renvoyer (cocorico) au Salammbô de Flaubert (voire à sa Tentation de saint Antoine) et c’est appréciable, d’autres choses diverses encore, mais la donne change heureusement pour le mieux quand on en arrive à la partie conférant véritablement son titre à l’article (disons le titre français – car c’est bien de décadence qu’il s’agit avant tout, la barbarie n’y a pas forcément plus sa place que cela, et nous ne sommes pas vraiment dans le cadre de la controverse avec Lovecraft, si celui-ci a pourtant son mot à dire ici). Le thème des cités perdues et des civilisations oubliées est sans doute un classique de l’époque, et a intéressé les « Trois Mousquetaires » de Weird Tales (je ne peux pas – encore… – m’engager plus que cela en ce qui concerne Smith, mais les exemples ne manquent pas chez Lovecraft et Howard) ; ils en ont abondamment fait usage, et souvent dans un enrobage philosophique essentiel. La décadence, ici, peut cependant prendre des formes somme toute diverses : « Red Nails » n’est pas At the Mountains of Madness, à titre d’exemple – peut-être surtout du fait d’une manière différente d’envisager l’homme sinon le cosmos, Lovecraft ne rechignant pas à décrire (avec un zeste d’utopie éventuellement) des civilisations radicalement pré-humaines, ce qui peut arriver chez Howard (par exemple avec les hommes-serpents de Valusie qui s’en prennent à Kull), mais est moins fréquent ; en fait, la décadence chez Howard peut continuer à renvoyer d’une certaine manière à Lovecraft (telle du moins que je l’interprète), mais via la dimension essentielle de la dégénérescence, sur un mode mineur avec le seul atavisme, ou sur un mode plus radical, avec une véritable dévolution (empruntant à Lamarck plutôt qu’à Darwin) affectant des races entières. Encore que le pluriel, ici, ne soit pas forcément de mise, tant le thème implique souvent, chez Howard, les Pictes – au travers des nouvelles consacrées au Petit Peuple, et peut-être influencées par Arthur Machen voire John Buchan (je vous renvoie à l’excellent article de Michel Meurger, « Le Thème du Petit Peuple chez Arthur Machen et John Buchan », dans Lovecraft et la S.-F./1), même si la version la plus foudroyante et convaincante de la thématique, chez Howard, use des Pictes d’une tout autre manière : et c’est « Worms of the Earth », probablement la meilleure nouvelle de Bran Mak Morn. Dans un registre un peu différent, on pourrait sans doute citer de nombreux autres textes, mais j’accorderais une place particulière au western « The Valley of the Lost » (qui m’avait évoqué « The Mound », nouvelle « de Zealia Bishop » entièrement écrite par Lovecraft). Ces influences communes et éventuellement mutuelles sont sans doute un sujet à creuser.
Passons à Scott Conners et « Twilight of the Gods : Howard and the Völkstumbewegung ». Il s’agit de se pencher sur le délicat sujet d’une influence éventuelle (ou d’une communauté d’intérêts ?) du mouvement völkisch sur la fantasy de Robert E. Howard ; bien sûr, cette question prend aujourd’hui des atours embarrassants – tant on est porté, par réflexe pavlovien, à envisager avant tout autre chose le débouché ultime de ce mouvement que fut le Troisième Reich, et donc la Shoah… Les critiques ne se sont d’ailleurs pas privés, longtemps et parfois aujourd’hui encore, je ne vous apprends rien, d’employer le stigmate fasciste/nazi à l’encontre de bien des auteurs de fantasy (Tolkien n’y a certainement pas échappé, aussi absurde que cela puisse paraître à qui veut bien se pencher sur les textes et sur la biographie de l’auteur ; Scott Conners évoque d’ailleurs tout particulièrement la critique française, bourrée de préjugés à cet égard à en croire Élisabeth Vonarburg…) ; on évoque aussi, comme de juste, le Rêve de fer de Norman Spinrad (même si cette mauvaise blague me paraît tout autant, voire davantage, s’appliquer à la SF façon Van Vogt…) ; alors forcément, que ce soit John Milius qui réalise Conan le Barbare… Il apparaît pourtant difficile de faire de Howard un apologue du nazisme, lui qui a toujours prisé par-dessus tout la liberté individuelle, et ne mâchait pas ses mots, dans sa correspondance avec Lovecraft, concernant les « amis » fascistes et nazis de ce dernier… Certains thèmes, pourtant, n’avaient pas nécessairement les mêmes connotations que pour nous, avant Hitler. L’auteur revient ainsi sur la question des Aryens (d’abord groupe linguistique aux yeux des scientifiques allemands du début du XIXe siècle, puis race supérieure essentiellement à partir de – re-cocorico, aheum… – Gobineau), et il ne fait aucun doute que le qualificatif revient souvent sous la plume de Howard – encore que son idée de l’Aryen puisse être bien particulière, et, surtout, lui-même, tel qu’il se projetait, n’était pas aussi nécessairement qu’on pourrait le croire un Aryen… Le terme apparaît notamment dans les récits de « mémoire raciale » de James Allison, et leur étude confirme que la question est sans doute un peu plus compliquée que cela. La question parallèle du racisme s’étend bien entendu au-delà – mais, si Howard, sans surprise, ne manquait sans doute pas de préjugés à l’encontre des Noirs, notamment, c’était probablement sans la vindicte à la fois « rationalisée » et obsessionnelle d’un Lovecraft, et même avec une certaine pondération à l’occasion – quant à l’antisémitisme, il semble l’avoir globalement épargné (même quand on a tenté de le fonder sur la « civilisation », et donc la décadence, symbolisée par l’installation de la diaspora dans les villes – bien loin des conditions de vie des barbares censément adulés par l’auteur). Je ne suis pas certain de ce que l’emploi ici de la thématique « völkisch » soit forcément très pertinent – tant cette pensée avait essaimé dans bien des domaines, imprégnant plus ou moins bien des idéologies éventuellement contradictoires… Et des intérêts communs pour l’Atlantide, Thulé, et compagnie, s’ils imprègnent bien le mouvement völkisch, me paraissent d’une ampleur éventuellement autre – je doute qu’il soit nécessaire d’en passer par-là pour justifier l’intérêt de notre fantaisiste pour ces continents perdus, mais bon, peut-être… Un point cependant intéresse tout particulièrement l’auteur, et c’est l’influence de cette pensée sur Carl Gustav Jung : en traitant de l’inconscient collectif et des archétypes, et tout particulièrement de celui de Wotan, sans doute touche-t-on bien davantage à des thématiques intéressant Howard – encore que « son » Wotan, dans « The Cairn of the Headland », n’ait pour le coup rien d’une figure admirable : bien au contraire ! C’est peu ou prou une « divinité » lovecraftienne, en fait… On s’éloigne cependant un peu trop de Howard à mon sens, notamment quand l’auteur traite du refoulement supposé de cet archétype ultime de l’âme germanique dans la société allemande du XIXe siècle – à débattre, tant l’héritage des mouvements romantiques constitue ici la germanité à venir, bâtie sur les ruines du Saint Empire romain germanique, et trouvant un aboutissement artistique avec Wagner. Peut-on dès lors vraiment expliquer ainsi les dévoiements ultimes de l’idéologie, dès lors à jamais assimilée à la doctrine du IIIe Reich ? Questions sans doute très complexes, et qui me dépassent totalement – mais on s’éloigne ici bien trop de Robert E. Howard, de toute façon…
Steven Tompkins, dans « Gigantic Gulfs of Eons : Kull, Conan and Tyrant Time », traite du temps – de la profondeur temporelle, surtout. Rappelant que l’évolution rapide des connaissances scientifiques en quelques décennies à peine a peu ou prou banni, alors, l’image biblique d’un « monde jeune » lié à l’humanité elle-même (oui, je vous accorde qu’il y en a plein de nos jours pour qui cette image n’est pas bannie du tout…), l’auteur montre les traces de cette dilation inédite dans la littérature de fantasy (en notant, sans s’y attarder, que l’espace y est lié à bien des égards, connaissant sa propre dilatation). Si le ton très laudatif de l’article m’a d’abord un peu effrayé, quelle que soit la pertinence de son sujet (laquelle me paraît assurée), il m’a pourtant convaincu au-delà de toutes attentes – notamment en ce qu’il ne traite pas que de Howard, si c’est bien là son sujet essentiel, mais compare sans cesse, et utilement, à d’autres auteurs ayant intégré à leur manière cette dilatation et en ayant tiré parti pour leur fantasy, autant d’illustrations de passés mythiques produisant, dans le cadre du genre, un effet comparable au « sense of wonder » de la science-fiction (pour ma part, je ne présenterais peut-être pas les choses ainsi, dans ce sens que cette profondeur temporelle me paraît en elle-même constituer un effet science-fictif – d’ailleurs, si les œuvres citées sont globalement considérées comme « de fantasy » et à bon droit, certaines relèvent peut-être plus de la SF, de manière plus ou moins consciente – la constitution du genre fantasy étant par ailleurs peut-être postérieure ?). Que l’on trouve ici Lovecraft aux côtés de Howard n’a sans doute rien de bien surprenant, du fait du lien entre les deux auteurs – tous deux, effectivement, jouent de ce passé plus lointain que tout passé que l’on pouvait concevoir jusqu’alors (il me semble cependant que la dimension souvent pré-humaine des « passés lovecraftiens » constitue une divergence à relever) – au point de faire de certains de leurs textes des « luttes contre le temps ». Que l’on y trouve aussi Tolkien (éventuellement via les analyses de Christopher Tolkien ou surtout de Verlyn Flieger, qui s’était justement intéressée au temps chez Tolkien) est peut-être un peu plus surprenant, mais tout à fait bienvenu. On a précédemment fait justice de la comparaison systématique entre les deux auteurs (voir notamment « George Knight » plus haut), mais il ne faudrait sans doute pas en déduire pour autant une différence absolue ; et on appréciera d’autant plus cette étude qu’elle ne vire absolument en rien au « Howard vs. Tolkien », qui est parfois une pénible tentation… Dans l’usage du temps (à peu près à la même époque, si les œuvres de Tolkien n’ont été publiées que plus tard, après la mort de Howard), les deux auteurs ont en effet développé des traits communs, sans doute dus pour une bonne part à leur contexte historique et scientifique (intéressant à cet égard de constater que le catholicisme de Tolkien ne change rien à l’affaire) : l’idée essentielle d’un monde « d’avant le cataclysme » ayant généré sa propre histoire, le recours ambigu à la perpétuation des récits de ce temps antéhistorique via les œuvres des poètes, etc. (éventuellement, chez Tolkien, les protagonistes eux-mêmes, avec le Livre rouge ; et chez les deux, des archaïsmes stylistiques, fondés ou non en raison, participent en tout cas pleinement de l’effet recherché), tout en usant volontiers du « flou » en la matière pour renforcer l’effet (le monde créé est d’autant plus riche que nous avons des indices épars d’un passé tout aussi foisonnant mais demeurant pour l’essentiel dans l’ombre ; bizarrement, c’est une chose que Tolkien lui-même avait relevée – alors qu’il avait conçu au préalable et dans le détail ce monde antérieur auquel il se contentait de faire allusion dans ses romans « de Hobbits » ; cette lecture est peut-être différente depuis la publication du « Légendaire »…) ; la justification de tout cela consiste bel et bien en un effet de dépaysement radical suscité chez le lecteur – autant de traits à relever chez les deux. De même que l’on relèvera une parenté plus précise, si moins notoire, dans le traitement mythique de l’Atlantide : celle-ci figure directement sous ce nom chez Howard, sous celui de Númenor chez Tolkien (mais elle devient bien Atalantë après la submersion…) ; elle est, chez les deux, le théâtre d’importants récits ; mais il est intéressant de noter que son illustration chez Tolkien, telle qu’elle figure dans le roman inachevé La Route perdue, repose de manière « très howardienne » sur une forme de « mémoire raciale » à la James Allison, qu’on y voie simplement une forme de réincarnation ou quelque chose de plus complexe (à vrai dire, chez Tolkien, il faut ainsi prendre en compte l’interrogation philosophique portant sur un temps unique où se mêlent passé, présent et futur – constituant un tout indissociable et « simultané » ; le récit peut d'ailleurs être considéré SF). Ce « Déluge » est la représentation la plus extrême d’une métaphore très commune assimilant le temps à la marée, sensible chez les deux… Pour en revenir plus spécifiquement à Howard, l’auteur décortique ainsi les procédés employés à cet effet dans ses récits portant sur Kull (la plupart n’ont été publiés qu’à titre posthume, mais cela ne change rien au fond), dont c’est une dimension essentielle ; il en vient ensuite seulement à Conan (notant que les lecteurs ont généralement découvert Kull après Conan… sauf ceux qui avaient lu les Weird Tales à l’époque, éventuellement, et pouvaient donc percevoir différemment l’entreprise littéraire de Howard, au fur et à mesure qu’elle se mettait en branle, même si j'en doute un peu), et surtout au pont établi entre les deux cycles – « l’Âge Hyborien » considérablement ancien fait pourtant référence aux « Royaumes Thuriens » plus considérablement anciens encore, l’auteur ménageant en outre dans les deux cycles des aperçus d’autant plus fascinants d’autres passés encore plus éloignés… En résulte un vertige typique du « sense of wonder ». Mais peut-être d’autant plus que Howard, sans pour autant constituer un méta-univers (si c’est bien le terme) cohérent à la façon du « Légendaire » tolkiénien, prend soin de poursuivre le jeu encore au-delà, cette fois en le rapprochant de nous – nouveau trait d’union, cette fois constitué par les Pictes, présents à tous ces âges, faisant ainsi office à leur manière de « première des races »… dimension cependant rendue d’autant plus prégnante qu’elle se sublime dans l’évocation du « dernier de ses rois », Bran Mak Morn. La nouvelle « Kings of the Night », où Kull est ressuscité depuis son lointain passé pour combattre aux côtés de Bran et de son alliance hétéroclite de tribus vieilles et jeunes, pousse le bouchon encore plus loin – on aurait envie de dire qu’elle « parachève » le procédé, terme pourtant inadéquat tant nombre de textes ultérieurs y contribueraient encore ! Et singulier contrepoint à un autre aspect du jeu fictionnel sur le temps dilaté tout aussi récurrent chez Howard : le traitement de la « décadence » de toutes civilisations, via nombre de cités perdues, telle celle de « Red Nails »… ou d’autres peut-être plus liées aux Pictes, toujours les Pictes (dans le recueil Bran Mak Morn, les récits tournant autour du « Petit Peuple ») – et que dire alors de « Worms of the Earth », sans doute la meilleure nouvelle de Bran Mak Morn, qui du coup associe toutes ces dimensions, en affichant une dévolution aussi physique que mentale, issue d’un lointain passé, quand son cadre antique nous la fait déjà paraître assurément ancienne ? Le temps antéhistorique écrase ici de sa superbe le temps historique… Excellent article, d’une grande richesse. Oserais-je une piste ? Le Temps « Chien des dieux » chez Dunsany pourrait peut-être contribuer encore à la réflexion… Mais au fond je n’en sais rien, je dis sans doute des bêtises.
On retrouve ensuite « George Knight » (et donc Don Herron, supposais-je – mais peut-être pas… Dans un article du contenu bonus, Don Herron, assumant le canular « George Knight » pour The Dark Barbarian, affirme que c’est en fait Leo Grin, qu’on retrouve immédiatement après sous son nom, qui aurait commis cet article de The Barbaric Triumph ! Mais à force de canulars dans le canular, je n’ai absolument aucune idée de ce qu’il faut en penser…), pour « Lands of Dreams and Nightmares », qui envisage quant à lui la dimension « spatiale » de l’œuvre howardienne, d’une certaine manière – qui n’a cependant rien à voir avec l’article précédent, envisageant la dilatation de l’espace comme associée à la dilatation du temps. Il s’agit bien plutôt de réfléchir au rôle des « paysages » dans la fiction howardienne, et tout particulièrement des paysages « naturels » (la ville passe globalement à l’as). L’auteur entend inscrire (à nouveau ? J’y reviendrai…) Robert E. Howard dans une certaine « spécificité américaine » (…), et celle des meilleurs : pour lui, Howard, dans son traitement de la nature, vaut bien un Hawthorne traitant de la forêt, un Melville traitant de la mer, ou un Twain traitant du fleuve… avec sans doute un point commun : ce sont autant d’endroits « haunted ». L’article semble ainsi tirer l’œuvre howardienne, d’une certaine façon, du côté du « nature writing », je suppose… Du moins entend-il mettre en avant un rôle essentiel, métaphorique, de la nature sauvage : ces paysages « haunted » ont en tant que tels une âme, engagée dans un dialogue avec l’âme des hommes qui les parcourent. Plusieurs exemples vont dans ce sens : ainsi de Bran Mak Morn définissant un homme et son appartenance par le paysage qui l’a vu vivre – aussi nul Picte ne saurait-il être « revendiqué » par Rome ; la santé mentale fragile de Solomon Kane dans une nature sauvage aussi perturbée que lui va également dans ce sens. Jusqu’ici, tout va bien ; je suis plus ou moins convaincu, à vrai dire, mais admettons… Il reste d’autres choses intéressantes ensuite, hein – mais j’avoue avoir trouvé cet article un brin saoulant, à force, en ce qu’il me paraît un énième témoignage glorifiant « l’exception américaine », thème déjà bien exploré par l’auteur (ou pas, fonction de qui se cache derrière « George Knight »… Mais cela concerne à vrai dire sans doute plusieurs auteurs des deux anthologies de toute façon), qui en remet donc une couche après le Texas, le « hard-boiled » et la Frontière (notamment). Sans doute conteste-t-il à bon droit la critique formulée par Henry James d’une littérature américaine censée manquer de profondeur temporelle, au point même d’envisager le monde comme étant « neuf et innocent », pour y privilégier la lecture autrement compréhensive de D.H. Lawrence. Il fait à bon droit usage d’autres références plus pertinentes à ses yeux (et sans doute aux miens tout autant), déjà envisagées plus haut, comme Slotkin pour Regeneration Through Violence, ou Lauric Guillaud pour La Terreur et le Sacré ; on retrouve la Frontière, la violence, le puritanisme… Oui, sans doute – mais j’avoue être fatigué, à force, de toutes ces manifestations d’une sorte de « nationalisme littéraire » ; si les précédents articles ne me paraissaient pas excessifs en ce sens, et gardaient donc tout leur intérêt au-delà des intentions quasi « politiques » de l’auteur, cela devient cette fois assez agaçant, et je ne crois pas que le terme « nationalisme » soit trop fort, pour le coup : « our nation », « our literature », « our heroes »… Ça en devient limite pamphlétaire – et ça franchit même sans doute la limite à l’occasion. La diatribe en devient presque absurde quand, rejetant les « héros classiques » (et donc européens – il ne peut pas y avoir de roi Arthur aux États-Unis, ce genre de choses), l’auteur se met à faire le panégyrique, en vrac, de « Dirty Harry, Rambo, the Terminator, Tarzan » comme « héros » ne pouvant être qu’américains. Encore une fois, il y a peut-être du vrai là-dedans, sans doute même – et je ne vais pas faire dans « l’antisociologisme primaire » (et non, pas davantage dans « l’antiaméricanisme primaire », bien sûr que non) ; mais, outre que le ton vindicatif m’a un peu agacé, j’ai trouvé ce propos… un brin désolant, en fait. Je veux croire qu’un bon écrivain sera capable d’écrire de bonnes histoires d’une belle plume où qu’il se trouve, où qu’il ait vécu (notamment dans les genres de l’imaginaire ?) – et si certains aspects de son œuvre résultent bel et bien de son milieu, comme de juste, et sans doute inévitablement, je veux croire qu’en d’autres occasions il s’en émancipe ; ça fait partie du talent, en fait… Quant aux prétendues « exceptions culturelles » (américaine ici, française ailleurs et trop souvent, etc.), je ne saurais les envisager autrement que comme des « particularités », nécessaires sans doute, mais n’impliquant pas ce genre d’affrontement de valeurs irrésistibles…
Quoi qu’il en soit de l’identité de l’auteur du précédent article, c’est bien Leo Grin qui intervient immédiatement après : dans « The Reign of Blood », il traite de la violence essentielle dans les récits de Robert E. Howard – ou plus exactement de la haine qui la motive, au travers de sanglantes querelles de vengeance. C’est peu dire que c’est là un thème récurrent chez Howard – pour être franc, les nombreuses citations figurant dans cet article ne se contentent pas de le souligner : leur répétition, à ce stade, est extrêmement lassante… Alors, d’accord, c’est un voire le thème essentiel ; mais qu’en faire ? Pas grand-chose hélas dans cet article… Il fait parfois mouche (relativement), du côté des sources avec Jack London et The Star Rover tout particulièrement, du côté aussi des implications philosophiques distinguant ainsi Howard de la plupart de ses comparses habituels (au point peut-être d’initier, pourtant, une nouvelle tradition de sanglants anti-héros, tradition « spécifiquement américaine », on y revient ?), éventuellement aussi en montrant comment cette haine motrice, sans jamais être rejetée ou inassumée, débouche souvent sur un sentiment de futilité – l’accomplissement de la vengeance ôte au « héros » toute raison de vivre. Mais, globalement, cet article si répétitif devient franchement pénible – soulignant du même coup le caractère répétitif de l’œuvre howardienne à cet égard… Peut-être au point de jouer contre son camp : le ton est tellement admiratif, tellement laudateur (on croise si souvent l’expression « une des meilleures nouvelles de Howard » qu’on en vient à penser que Howard n’a jamais écrit autre chose que des « meilleures nouvelles de Howard »), qu’il en devient horriblement agaçant – l’envie de contredire devient presque irrépressible, pour un lecteur amateur plutôt que fan, tel que votre serviteur… Il y aurait pourtant eu des choses à développer, sans doute : le lien brièvement établi avec la déconcertante notion de « l’ennemi » dans l’œuvre howardienne autant que dans sa biographie appelait des développements supplémentaires, par exemple – au-delà du seul renvoi à Slotkin, décidément récurrent dans The Barbaric Triumph, et qui aurait pu être envisagé d’une manière plus solide et précise ici… L’assaut final contre les critiques toujours si sévères à l’encontre de Howard, et tout particulièrement les lovecraftiens qui ne sauraient concevoir Two-Gun Bob que comme un amusant astre mineur gravitant autour du soleil Lovecraft (il est vrai que la citation de S.T. Joshi qui est ici reprise est à peu près aussi diplomate qu’on pouvait s’y attendre…), tombe ainsi à plat ; j’avoue, quant à moi, être incapable de pousser l’éloge aussi loin – et si j’apprécie globalement la lecture de Howard, et admets volontiers qu’il s’y trouve bien des choses intéressante sous la patine d’action débridée qui en est caractéristique, ou autour d’elle, j’ai quand même du mal à associer d’emblée les termes de « profondeur » et « subtilité » à l’ensemble de son œuvre, disons… Ce n’est hélas pas un article de ce genre qui saura me convaincre du contraire : un juste milieu, enthousiaste mais sans ce genre d’excès, serait bien plus profitable pour apprécier au plus près l’œuvre de Robert E. Howard.
Don Herron conclut son anthologie critique une fois de plus avec l’article qui lui donne son titre, « The Barbaric Triumph » (au vu de l’image que le bonhomme donne ultérieurement de lui-même, ça n’a sans doute rien d’étonnant, je suppose…) ; il s’agit pour l’essentiel d’une étude de la correspondance entre Howard et Lovecraft (ménageant une petite place pour l’autre grand auteur de Weird Tales, complétant le trio, Clark Ashton Smith). Ayant lu un certain nombre de choses à ce sujet, je n’y ai pas forcément appris grand-chose, mais c’est une mise au point bienvenue qui, si elle fait peut-être un peu trop l’impasse sur des aspects qui me paraissent tout à fait notables (notamment les débats corollaires à la controverse majeure opposant civilisation et barbarie – mental contre physique, sécurité et liberté, etc.) constitue néanmoins un résumé appréciable. Peut-être un peu trop de citations et de paraphrase ? Pourtant, l’analyse, discrète, est bien là, et pertinente. Surtout, il en résulte de beaux portraits, compréhensifs, des deux auteurs : l’humilité de Lovecraft concernant son œuvre n’a sans doute rien de factice, pas plus que sa sincère admiration pour les récit howardiens si opposés aux siens, avec leur action permanente – on revient sur la possibilité d’une influence howardienne sur « The Shadow Over Innsmouth », même si je n’y crois pas trop pour ma part, mais c’est effectivement à débattre. En face, Howard brille – il n’y a pas d’autre mot. Si, du côté de l’appréciation littéraire, je suis à n’en pas douter bien plus du côté de Lovecraft que du côté de Howard, et si, philosophiquement, je suis sans doute plus « civilisation » que « barbarie », moi le terne et craintif petit-bourgeois, je n’en ai pas moins la conviction, à terme, d’un « triomphe barbare », oui, le sentiment que Howard l’a enfin emporté dans le débat… quitte à y laisser la vie ? S.T. Joshi, en bon lovecraftien, le conteste, et conteste même l’idée d’un gagnant dans un tel débat ; je crains que ce ne soit un peu s’aveugler, si la réaction ulcérée des howardiens massacrant Joshi à ce sujet (entre autres...) me paraît clairement disproportionnée… Quoi qu’il en soit, on appréciera tout particulièrement ces lettres où le bouillant Texan, d’abord un brin timide peut-être (Joshi parle d’un « complexe d’infériorité », autre raison suscitant la colère des howardiens), laisse enfin éclater sa rage face aux allégations de son prestigieux correspondant et à ses hypocrisies plus ou moins conscientes – le respect demeure, sincère, mais les envois howardiens sur, notamment, les « amis fascistes » de Lovecraft et leurs exactions en Éthiopie emportent sans peine l’adhésion du lecteur. C’est sans doute un point essentiel qui fait la valeur de cette volumineuse correspondance, tout à fait hors-normes : elle unit autant qu’elle oppose des égaux, pas un disciple confit de dévotion envers son mentor – Howard n’est certainement pas du genre à se laisser faire, et laisse les mesquineries de la courtoisie à d’autres moins sanguins que lui… Je suis porté à croire que Lovecraft apprécie, en fait : son éloge funèbre apporte une conclusion inattendue au débat, peut-être un aveu de « défaite », et la sincérité de sa douleur est palpable (sensible ici ou plus encore dans des lettres à d’autres, avant que le cancer ne l’emporte à son tour un peu moins d’un an plus tard).
The Barbaric Triumph s’arrête ici, pour un bilan globalement positif, mais cet omnibus se poursuit, qui compile encore du matériau critique dû cette fois au seul Don Herron… Et c’est peut-être regrettable. En effet, si cet aspect n’était pas vraiment sensible dans les deux anthologies critiques éditées par le monsieur et ici rassemblées, globalement de très bonne tenue, ce contenu supplémentaire, en adoptant un ton plus subjectif, passant même par une implication personnelle poussée le cas échéant, donne en fait au bout d’un certain temps l’image d’un bonhomme assez désagréable… Un vieux ronchon, jamais content, qui ne se prend vraiment pas pour de la merde, et n’a jamais de mots assez durs pour les autres critiques – et tout particulièrement les « universitaires », qu’il méprise unilatéralement ; au fil de ces articles, on comprend sans doute pourquoi, et sans doute n’avait-il, à l’origine du moins, pas tout à fait tort pour ne pas dire carrément raison – mais à force ça devient d’un pénible… En fait, ça devient même carrément puant, et peu ou prou insupportable.
On poursuit donc tout d’abord avec un petit recueil, largement plus bref que ce qui précède, et intitulé bizarrement « Yours For Faster Hippos » : Thirty Years of « Conan vs Conantics » ; il s’agit largement d’y massacrer les « continuateurs » de Howard.
La pièce maîtresse est un article originellement publié à la fin des années 1970, soit avant The Dark Barbarian, et dont Don Herron n’a de cesse de vanter le caractère fondateur : il s’agit là d’un tournant majeur de la critique howardienne (comme le sera quelques années plus tard son anthologie, donc)... Ce « Conan vs. Conantics » (ce dernier terme est une invention de Donald Wandrei), présenté ici comme étant l’équivalent howardien de « The Derleth Mythos » de Richard L. Tierney pour la critique lovecraftienne, s’étend à longueur de citations pour montrer combien Lyon Sprague de Camp et Lin Carter n’ont jamais compris ce qui faisait l’intérêt de Conan, et même simplement ce qui faisait le personnage. C’est sans doute parfaitement exact – jusque dans le ton guère diplomate, que je tolère jusqu’ici (ça changera…) ; mais Carter tout particulièrement s’en prend plein la poire, qui est peu ou prou traité de gros con… On a cependant fait remarquer à l’auteur que cet article séminal… était un peu « juvénile », ce qu’il admettait d’une certaine manière, disant qu’il y avait longuement réfléchi depuis son adolescence. Hélas, cet aspect affaiblit un peu la portée de l’attaque – car si l’article multiplie les remarques pertinentes à grands renforts de citations, il s’abîme parfois dans un pinaillage parfaitement mesquin… Par ailleurs, cet article est très « fanique », et avance systématiquement la supériorité de Howard, à bon droit dans l’ensemble, mais de manière bien excessive en d’autres occasions : il pose le génie en axiome, et s’arrête là – quand, des fois, un brin de critique n’aurait rien de déraisonnable. Par exemple, il s’offusque de ce que de Camp et Carter aient évoqué l’emploi excessif des mots « dark » et « black » dans les titres de Howard, y voyant presque une preuve ultime de leur imbécillité ; quant à moi (l’imbécile aussi), j’avoue que cet usage systématique, dans les titres et dans les textes, ne m’avait certes pas échappé (à qui pourrait-il échapper ?), et j’ai du mal à voir en quoi en faire la remarque disqualifierait d’emblée tout propos critique sur Howard – ce que Don Herron n’explique nullement… Est-ce « bien » simplement parce que c’est Howard ? On a un peu l’impression que c’est le cas, pour lui…
Dans « The Tennessee Kid : Some History », l’auteur revient sur les circonstances dans lesquelles il a écrit l’article précédent – l’histoire personnelle tourne presque à la Grande Histoire, avec un conflit acharné et limite eschatologique opposant le jeune et brave Don Herron à Lyon Sprague de Camp, avant d’aboutir à une position de compromis (au sens de Don Herron, cela veut dire que le vieil escroc lui a donné raison : il a donc « gagné », en fait). Mais Lin Carter, lui, reste un gros con incompétent…
« Bran Mak Morn » est un petit complément tardif de « Conan vs. Conantics », où l’auteur, qui avait de longue date cessé de lire les « faux » Conan et n’était en rien désireux de lire les autres œuvres inspirées d’autres personnages de Howard (comme Cormac Mac Art), le fait pourtant pour deux romans « de Bran Mak Morn » (et se fondant essentiellement sur « Worms of the Earth »), leurs auteurs lui paraissant moins nécessairement à chier. Le premier de ces deux titres, Legion From the Shadows, est dû à Karl Edward Wagner, auteur qu’il juge très inégal mais parfois intéressant (le peu que j’en ai lu pour ma part m’incite au jugement positif), et qui avait par ailleurs commis un Conan (à peine évoqué ici, Herron confesse ne pas avoir eu le courage de le lire en entier). Le procédé est en gros le même que pour l’article initial : Karl Edward Wagner n’a rien compris à Bran Mak Morn ; tout au plus Herron concède-t-il qu’il a créé un beau personnage féminin (la sœur de Bran, à peine évoquée en passant chez Howard), mais il n’accepte pas le côté passif et éventuellement ridicule du roi des Pictes tel qu’il est dépeint ici. C’est très possible, hein. Le deuxième roman, For the Witch of the Mists, est dû à David C. Smith et Richard L. Tierney, et jugé un peu moins négativement. L’idée est quand même que tous ces auteurs ont fait bien mieux en dehors du carcan prétendument howardien, et en se montrant plus personnels – ce qui est plus que probable.
Dans « On Murgunstrumm, Mak Morn, and Karl Edward Wagner : Afterthoughts », Don Herron revient sur sa critique du Bran Mak Morn de Wagner, y trouvant une explication dans une incompatibilité radicale en matière de goûts, Wagner prisant fort les récits de « weird menace » par essence excessifs de Hugh B. Cave, là où Herron considère qu’il s’agit du fond du fond du pire de la littérature pulp.
« Postscript : the Shadow of the Dragon » est plus amusant – et l’implication personnelle est cette fois tout à fait bienvenue. Don Herron compare sa perception de Robert E. Howard et des parasites qui l’ont souillé de leurs traficotages et « suites » (de Camp, Carter, etc.), à celle, à peu près contemporaine pour lui… des films de Bruce Lee souillés à leur tour par les faux « clones » (Bruce Li, Bruce Le, etc.), avant de faire l’éloge de Sammo Hung et Jackie Chan – parce qu’ils avaient su trouver leur voie, eux. Avant, les faux Bruce Lee ne pouvaient qu’écœurer le jeune amateur floué, et c’est exactement la même chose qu’il a ressentie, à terme, avec Lyon Sprague de Camp, Lin Carter, et les autres « plagiaires ». En fait, en ce qui me concerne, c’est cette réminiscence toute personnelle qui constitue le moment le plus intéressant et pertinent de tout « Yours For Faster Hippos » : Thirty Years of « Conan vs. Conantics »… et sans doute la dernière lecture bienvenue de ce gros recueil.
Or suivent encore une série d’articles parfaitement indépendants, globalement bien plus récents… et c’est là que ça coince de plus en plus.
« Swords at the Academy Gates : Or, Robert E. Howard Is There, Where Are the Critics ? » est un assaut en règle contre la critique « académique ». Don Herron montre, à raison, que s’il avait fallu compter sur l’Université pour mettre en évidence la qualité supérieure de l’œuvre littéraire de Robert E. Howard, on pourrait sans doute encore attendre. C’est très vraisemblable – et je comprends par ailleurs que Don Herron ait été écœuré de lire sous la plume mal inspirée de tels « professeurs » le regret bien hypocrite de ce que la critique howardienne serait inexistante : bien évidemment, ces estimés savants ne sauraient prendre en compte la critique « non académique », œuvre de « fans » qui n’ont pas la « légitimité » universitaire certifiant la qualité de leurs écrits au regard de l’unique critère acceptable qu’est la validation par les pairs. Le constat, à tous ces niveaux, est fondé. Mais il est tout de même très regrettable, d’une part que Don Herron s’auto-congratule à ce point (là ça devient indéniable), d’autre part qu’il en vienne à dénier d’emblée tout intérêt quel qu’il soit à une éventuelle critique « académique » : il n’a que mépris pour ces savants, tous autant qu’ils sont, et se drape dans une posture de « critique prolétaire » assez pénible à force de suffisance… Hélas, ces aspects se vérifieront d’autant plus par la suite, au point d’en devenir carrément très agaçants.
Je ne vois à peu près rien à dire à propos du très, très bref « On Howardian Fairyland », que l’auteur tient pourtant en très haute estime (« kickass » nous dit-il dans un autre article), portant semble-t-il sur la distance induite par l’emploi du surnaturel dans les récits howardiens (et notamment de Conan) – le simple exotisme ne suffisant pas, il faut encore que telle civilisation perdue, ou telle créature antédiluvienne, soit au fond du fond du continent inconnu, tout en acquérant une relative « normalité » plus ou moins paradoxale ; il y a peut-être quelque chose à creuser ici, mais, en l’état…
« The Geo: Knight Caper » revient au registre de l’anecdote personnelle, Don Herron s’y amusant de son canular « George Knight »… tout en témoignant qu’au bout d’un moment il en avait sans doute assez de voir ce critique imaginaire récolter à sa place tous les lauriers comme étant l’auteur du meilleur article de The Dark Barbarian. L’article se partage entre l’amusant et le mesquin ; c’est enfin ici que Don Herron dit que le « George Knight » de The Barbaric Triumph ne serait pas lui, mais Leo Grin – quant à savoir ce qu’il faut en penser au juste…
Avec « Conan the Expensive », on en rajoute une grosse couche dans le pénible… Le propos de base est pourtant tout ce qu’il y a de légitime : Don Herron y explique qu’il fantasmait depuis toujours, comme beaucoup sans doute, sur une belle édition « définitive », et en hardcover, des Conan du moins, du reste de Howard le cas échéant. Les retours sur les publications originelles chez Arkham House – tant pour Lovecraft que pour Howard – sont assurément bien vus, dans leur évocation notamment du caractère « d’urgence » de ces premières éditions : il fallait imprimer ces auteurs, sans quoi ils ne le seraient jamais… Forcément, la situation a évolué depuis – et l’auteur revient sur les différentes éditions des Conan (surtout), en accordant bien entendu des développements aux « Conantics ». Le problème est peut-être qu’à terme, et malgré les récents progrès en la matière, Don Herron semble ne jamais devoir être content. Qu’il relève les coquilles dans les différentes éditions, je l’admets volontiers : ça paraît maniaque, mais j’ai pu faire moi-même ce genre de choses, et, à n’en pas douter, une édition s’affichant comme « définitive » ne peut se permettre de multiplier les boulettes dans ce genre. Je suis plus réservé pour ce qui concerne les illustrations : Don Herron fait semble-t-il partie de ces gens pour qui, hors Frazetta, point de salut. Que l’artiste ait immortalisé Conan et, au-delà, ait incarné le genre même sword and sorcery, ne fait guère de doute ; pour autant, on a vraiment l’impression que l’argument critique ultime de la part de l’auteur, concernant tous ceux qui ont été amenés à illustrer Howard après Frazetta, est simplement qu’ « ils ne sont pas Frazetta ». Ah ben certes, hein… Mais est-ce suffisant pour les disqualifier ? Je suis sans doute partagé quant aux illustrations des volumes de la collection Robert E. Howard de Bragelonne, on y trouve un peu de tout (en ce moment, je suis dans El Borak, et les illustrations de Tim Bradstreet sont vraiment excellentes), mais le ton employé par Don Herron m’agace tant il fait borné… Mais il y a pire ; malgré l’éviction des « Conantics » et le retour aux sources (qu’il en vient à critiquer pour le choix des titres, bon…), pour ce qui est du contenu, les éditions Wandering Star ne trouvent pas grâce à ses yeux pour une raison plus étonnante : il se livre en effet à un brutal assaut contre les aspects « critiques » des préfaces et postfaces de Patrice Louinet ; qu’il en conteste le fond est dans l’ordre des choses, et je ne me sens pas de prendre part au débat (je note quand même une accusation de plagiat de de Camp, hein…) – mais ce qui me scie, c’est qu’il semble s’offusquer simplement de ce que ces éditions aient un semblant d’appareil critique… Pour ma part, ça me paraît plutôt bienvenu, et aller dans le sens de l’édition « définitive » souhaitée ; à quoi bon s’offusquer de ce que ces textes figurent dans ces recueils luxueux ? En quoi nuisent-ils au contenu fictionnel ? Don Herron, dans ses fantasmes éditoriaux, souhaite « du Howard et rien que du Howard » ; au regard des traficotages antérieurs des « Conantics », c’est bien légitime, mais pourquoi se baser sur ce postulat, dès lors moins assuré, pour refuser également même le minimum syndical en matière d’analyse ? Quant à moi, j’ai tendance à croire que le lecteur lambda juste un peu curieux, mais pas forcément désireux de s’investir dans des anthologies critiques absconses et encore moins de fouiner dans la small press ou les fanzines pour voir ce que des maniaques avec quarante années de bagage howardien peuvent y écrire à propos de leur dieu, y trouvera des éléments intéressants l’amenant à mieux envisager l’œuvre… Alors pourquoi l’en priver ? Au nom d’un intégrisme fanique détourné de sa véritable raison d’être ? Ça me dépasse…
On en rajoute encore dans l’agaçant avec « Castrated, But Still Limping Along : The Dark Man 1990-2010 ». Ce retour sur les vingt années (avec plein de trous) de publication de la revue The Dark Man (tombée entre les mains des « professeurs », horreur !) ne relève pas vraiment du « joyeux anniversaire ». Don Herron en massacre l’essentiel du contenu, avec des mots très durs, n’épargnant que quelques « copains rebelles » au passage. Chaque nouveau numéro est pire que le précédent, et à tout point de vue, et untel est un con, tel autre est un « académique » (tare suprême, stigmate d’incompétence snob – se traduisant notamment par l’emploi honni des notes de bas de page), tel autre encore ne fait que dire à nouveau ce que Don Herron et ses copains de l’avant-garde avaient de toute façon déjà dit, en mieux, il y a trente ans de cela… Les amateurs de bastons « pas académiques » apprécieront peut-être le massacre de S.T. Joshi, certes guère diplomate de manière générale, et qui avait eu des mots sévères pour l’article d’Edward A. Waterman sur « l’irrationalisme » de Howard, dans The Barbaric Triumph ; la critique répondant à la critique est une chose, ça fait partie du jeu – même vertement ; mais Don Herron se contente de mentionner que son camarade a démonté la gueule au vilain lovecraftien rationaliste, un crétin, un ignare, absolument dénué de la moindre notion de philosophie et d’histoire des idées, etc. Et Don Herron jubile à l’étalage des noms d’oiseau. Il a bien d’autres occasions de le faire… En ressort, au-delà de la validité du débat critique, l’image désagréable d’un vieux type aigri qui, au point où il en est, n’attend plus qu’une chose dans toutes ces communications howardiennes : que ça saigne (et tant mieux si c’est un « professeur » qui saigne). Ça n’en fait pas un Conan, guère plus un fanatique à la Solomon Kane – juste un pénible, un peu trop fier de ses propres gloires pour ne serait-ce qu’admettre que d’autres, en ayant une approche différente de la sienne, pourraient pourtant avoir des choses intéressantes à dire…
Mais il y a pire : « Walk on the Wildside : a Brace of Reviews » est tout simplement hallucinant ; Don Herron, ici, ne se contente pas de tomber tout au fond du fond du puits : il continue de creuser. Au prétexte de commenter les travaux critiques autour du centenaire de la naissance de Robert E. Howard, Don Herron expose un fait « indéniable » : The Barbaric Triumph, même s’il est sorti deux ans plus tôt (parce que Don Herron est malin autant que compétent) là où les autres bouquins annoncés sont sortis plusieurs années plus tard, quand ils sont sortis, les cons, aha, écrase de sa majesté tout ce qui a pu être fait parallèlement ; en fait, il n’y a qu’un seul livre pour rivaliser avec The Barbaric Triumph… et c’est bien sûr The Dark Barbarian, paru vingt ans plus tôt. L’ombre de ces deux livres suffit à écraser tout le reste – The Dark Barbarian That Towers Over All, hein ? Herron massacre absolument toutes les autres publications liées au centenaire, il traite à peu près tout le monde de crétins et d’incompétents, tout en rappelant page après page combien lui-même est un véritable critique, de la meilleure eau, d’une stature que ces pathétiques ersatz ne parviendront jamais à atteindre, voire même à simplement appréhender – il est déjà bien aimable de ne serait-ce que tenter de lire ce que ces tâcherons ont maladroitement tenté de produire… Herron n’est pas seulement d’une suffisance et d’un mépris titanesques : il est aussi d’une puérilité invraisemblable… Bon sang, nous avons là un type qui se vante d’avoir incité des comparses critiques à ne pas écrire dans les projets qui n’avaient pas l’heur d’être édités par lui-même ! Et de trouver ça « de bonne guerre »… C’est hallucinant, oui. Et c’est à vomir tant c’est bête, prétentieux et insultant pour tout le monde. Chose d’autant plus regrettable que Don Herron a effectivement montré, au moins dans ses deux anthologies critiques, qu’il pouvait être un commentateur très fin et pertinent… Mais il est tellement désagréable dans cet article que même ses remarques les plus pertinentes en sont affectées, ainsi à l’occasion de la deuxième couche de Joshi-bashing concernant, non plus la philosophie « irrationaliste », mais la correspondance entre Howard et Lovecraft (sujet évoqué plus haut) : pour ma part, si ma sensibilité littéraire est avant tout lovecraftienne, je suis donc globalement d’accord avec Don Herron (et donc opposé à Joshi) pour considérer que Howard a remporté la controverse, autant que c’était possible, ou disons du moins au regard de la postérité, mais même cette dernière précision me paraît superflue – l’argument de Joshi selon lequel pareil débat entre deux pareils individus ne pouvait s’accommoder de quelque chose d’aussi trivial qu’un « vainqueur » me paraît effectivement une pirouette guère acceptable ; je ne serais par contre pas aussi farouchement opposé à l’argument avancé par Joshi d’un « complexe d’infériorité » chez Howard : il me paraît plus que crédible dans les premiers temps de la correspondance entre les deux auteurs – mais ultérieurement, comme j’avais déjà eu l’occasion de le dire, il ne fait aucun doute à mes yeux que Howard brille tout particulièrement dans cette correspondance justement parce qu’il range cet encombrant complexe tout au fond d’un placard, et parce qu’il décide qu’il ne se laissera pas marcher sur les pieds ; et j’ai tendance à croire que c’était une chose que Lovecraft lui-même appréciait, s’il a sans doute été régulièrement surpris de ce que Two-Gun Bob le renvoie brutalement dans les cordes… Ici, hélas, Herron se montre si infect à tous les niveaux et à l’encontre de tout le monde que c’en est à peine croyable – et le fond de ses remarques (quand il y en a encore un) est ainsi noyé sous ses insultes et sa suffisance… Mais sans doute est-ce sa manière de
Salle gosse... Ce que je retire de cet article ? La démonstration par l’exemple qu’on peut être tout à la fois un critique brillant et, en tant que personne, un pathétique gros con…
« Non Sequitur Inside the Academy Gates » date de 2014, soit trente ans après The Dark Barbarian, et dix ans après The Barbaric Triumph. Le constat est sans doute juste : durant toute cette période, les « académiques » n’ont quasiment rien fait concernant Howard. Le ton est cependant toujours aussi infect : en gros, « je suis le meilleur et personne ne fera mieux, et certainement pas un professeur ». La litanie se répète – c’est le principe d’une litanie. La fin de l’article, concernant la place des femmes dans la critique howardienne, ne mérite probablement pas qu’on s’y attaque – je ne sais pas ce qui est le plus bête de la critique adressée à Don Herron, ou de la réponse que livre ce dernier…
« Enter the Academics » conclut le bousin de manière plus raisonnable, sans doute – constatant que, trente ans après The Dark Barbarian (soit toute la durée de la vie de Howard...), quelques rares « professeurs » semblent jeter un œil à l'auteur, enfin, encore qu’avec un certain mépris pour les critiques « indépendants » (lire « non universitaires ») et leur travail… Le mépris est bien sûr réciproque – et on constatera une fois de plus que Don Herron ne prise guère la « théorie du genre »… Bon… Au fond, s’il faut en garder une dernière image, c’est sans doute celle de tous ces auteurs qui ont écrit dans The Dark Barbarian et The Barbaric Triumph, et qui sont morts depuis. On trouve bien aussi quelques remarques sur des erreurs ou approximations dans ces différents recueils ainsi que dans « Yours For Faster Hippos » : Thirty Years of « Conan vs. Conantics », pas retouchées cependant pour cette édition numérique – témoignage, selon la volonté de Don Herron, du temps qui passe… ou peut-être une ultime manifestation de sa haine des notes de bas de page. Félicitons-nous cependant de ce que, dans cet ultime article, le bonhomme mord un peu moins – c’est déjà ça, même s’il reste bien sûr « le meilleur »…
The Dark Barbarian That Towers Over All est à n’en pas douter une lecture indispensable pour les amateurs de Robert E. Howard, rassemblant nombre de travaux importants, qui permettent de mieux appréhender Two-Gun Bob et son œuvre. Cette réédition « omnibus » en numérique est donc tout à fait bienvenue. Dommage, simplement, que Don Herron y tombe le masque en définitive… Ça n’empêchera pas d’apprécier ce qu’il a produit de valeur ; de là à apprécier le personnage… eh bien, rien ne nous y oblige, heureusement.
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