Eschatôn, d'Alex Nikolavitch
NIKOLAVITCH (Alex), Eschatôn, Montélimar, Les Moutons Électriques, coll. La Bibliothèque Voltaïque, 2016, 269 p.
Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 84, p. 94.
Le moment venu, je fournirai le lien de ladite chronique sur le blog de la revue (hop), et en publierai également une version plus longue et plus personnelle ici-même.
D’ici-là, n’hésitez pas à réagir, hein !
PREMIER ROMAN
Alex Nikolavitch, jusqu’alors scénariste et traducteur de BD ainsi qu’essayiste, livre avec Eschatôn son premier roman, que l’éditeur situe entre space opera et fantastique (faut voir…), avec une louche spécifiée de lovecrafterie dedans – au cas où les tentacules de la couverture ne nous en auraient pas déjà convaincus. En fait, il y a bien de tout ça, et sans doute d’autres choses encore – qui font de ce premier roman une chose très référentielle, et probablement un peu trop ; mais aussi pas toujours où on s’y attend.
PARADIGMES INCOMPATIBLES
Pour faire un sort à la dimension lovecraftienne, reconnaissons que le roman se montre ici plus malin que sa couverture : plus que les vilaines bébêtes poulpoïdes qui y figurent, qu’on les appelle Puissances ou Archontes en fonction du camp où l’on se trouve, j’y reviendrai, ce sont avant tout les implications cosmiques qui s’y rattachent qui fondent vraiment la parenté avec certains textes (tardifs, notamment) du gentleman de Providence.
L’idée est assez belle, d’ailleurs, de cette collision entre deux univers radicalement incompatibles : le passage des Puissances, qui n’ont rien demandé, dans notre monde, au-delà de toute considération malvenue d’ordre moral, en bouleverse la structure même – les lois de la physique qui avaient cours jusqu’alors sont désormais nulles et non avenues. En lieu et place, un univers bouleversé où les lois de la foi s’avèrent bientôt plus pertinentes que celles de la science, et déploient leur propre paradigme utile, et incontestable (quand bien même contesté).
LA FOI CONTRE LA SCIENCE – UN PEU DE DUNE…
Paradigme qui a bien sûr quelque chose d’une réaction… Les gens de la Foi, cantres et diacres, le répètent sans cesse : le drame qui s’est produit il y a une ou deux éternités de cela résulte directement de la science impie. La nouvelle société rejette donc la science comme néfaste voire carrément diabolique – et ceux que l’on appelle désormais « hérétiques » sont des scientifiques, éventuellement des « scientistes » (qui doivent avoir recours à des technologies particulières pour reconstituer les conditions originelles de l’univers premier où la science avait raison, idée assez intéressante)… Même le calcul est banni de la Foi ! Seuls comptent des parias dont c’est la fonction première…
Par ailleurs, les vaisseaux de la Foi n’empruntent pas les longues et obscures immensités de l’espace pour aller d’un monde à l’autre ; leurs nefs (de pierre, belle idée encore) voguent à travers le Mental, dimension supplémentaire directement liée à l’irruption des Puissances dans notre univers (joli paradoxe, il y en a bien d’autres…), et c’est par la pensée qu’elles se déplacent.
On est tout de même tenté de combiner ces divers aspects pour pointer vers une autre référence essentielle : Dune, de Frank Herbert – la haine des machines renvoyant aux préceptes du Jihad Butlérien, tandis que les cantres pilotent leurs nefs dans le Mental comme des Navigateurs défoncés à l’épice…
… ET DE WARHAMMER 40,000 ?
Mais il y a plus, une autre référence peut-être plus inattendue. Car l’univers d’Eschatôn est avant tout guerrier, qui oppose depuis des millénaires deux camps irréconciliables, motivés l’un par la foi, l’autre par la science, dans une perspective de toute façon fanatique qui ne laisse guère de place à l’autre pour exister dans ses différences…
Le roman nous plonge d’emblée dans cette guerre, en suivant deux diacres, Wangen, le jeunot über-convaincu, et Alania, l’ex-lictrice moins unilatérale (mais dont la motivation n’en est pas moins bien légère et d’une crédibilité contestable), engagés en pleine lutte contre les hérétiques et/ou les Puissances.
Et difficile, au regard de ces avatars croisés de space-marines fanatiques échappés de vaisseaux baroques ayant traversé le Wa… pardon : le Mental, de ne pas penser à quelque chose comme Warhammer 40,000.
Et tout cela, finalement, nuit quelque peu à la personnalité d’Eschatôn. Que ce soit consciemment ou pas, cette tentation référentielle écrase les véritables singularités du roman, car il y en a sans doute quelques-unes, sous le poids du déjà-vu.
UNE STRUCTURE CRITIQUABLE
Ce n’est hélas pas le seul souci. La structure du roman est ainsi contestable – qui maquille plus ou moins une banale mais acceptable alternance entre la foi et la science sous un jeu mathématique peut-être trop rigide ; en découlent, comme résultant de contraintes plus ou moins bienvenues, des développements d’un intérêt parfois limité et probablement dispensables, qui ne sont là qu’afin de servir la mécanique.
Ce petit jeu d’abord amusant perd de sa pertinence au fur et à mesure de l’intrigue ; et quand, vers la fin, elle n’est plus autant formalisée, elle donne soudain une impression de précipitation assez fâcheuse…
DES PERSONNAGES INÉGAUX
Quant aux personnages, leur intérêt est variable. Beaucoup sont ternes…
La quatrième de couverture, s’en tenant uniquement au début du roman, cite le seul Wangen, jeune diacre über-convaincu par la Foi, et qui, en tant que tel, a somme toute assez peu d’intérêt. Alania, qui trahit, est sans doute plus riche – mais sa motivation est décidément problématique.
S’en sortent mieux, le cas échéant, quelques personnages secondaires – au premier chef, sans doute, l’inquisiteur relaps Lothe, dont la fonction paradoxale perçue comme une punition révèle toute l’hypocrisie de la Foi ; en face de lui, toutefois, il y a Girthee – qui fut inquisiteur avant d’embrasser l’hérésie scientiste, et a ainsi échangé un fanatisme pour un autre…
UNE ACTION ENNUYEUSE
Autre souci, mais vraiment de taille celui-là : les scènes d’action, assez nombreuses, sont globalement ennuyeuses… Ni la panique des combattants, ni la violence des échanges, ne suscitent bien longtemps l’intérêt du lecteur – pour du quasi-Warhammer 40,000, c’est tout de même fâcheux…
Les passages plus calmes sont plus intéressants ; mais au risque de virer à l’exposition théorique d’un monde, le récit à proprement parler en pâtissant… Ceci étant, il est bien des passages qui se montrent plus enthousiasmants, dans cette optique : la plupart de ceux où Lothe joue un rôle essentiel, en fait.
ET D’AUTRES BOULETTES…
Mais il faut y ajouter quelques ultimes boulettes – ainsi de l’insupportable et guère à propos langage « petit-nègre » de Maurc, personnage qui aurait pu être intéressant mais fait bien vite soupirer, ou encore des clins d’œil historico-scientifiques épars, qui fonctionnent comme autant de blagounettes malvenues nuisant en définitive à l’immersion dans l’univers et à la prise au sérieux de ses considérants fondamentaux…
Je ne voudrais pas me montrer trop sévère – Eschatôn n’est pas forcément un mauvais roman… Mais il pâtit de plusieurs soucis qui, à force d’accumulation, relèguent le roman au triste niveau de la médiocrité. Ses idées les plus intéressantes sont desservies par un trop-plein de références conscientes ou pas, et des choix narratifs contestables, laissant une regrettable impression d’inaboutissement. Dommage…
Commenter cet article