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L'Anaconda, de M.G. Lewis

Publié le par Nébal

L'Anaconda, de M.G. Lewis

LEWIS (M.G.), L’Anaconda, traduit de l’anglais par Pauline Tardieu-Collinet, Le Bouscat, Finitude, [1808] 2016, 125 p.

 

Ma chronique se trouve dans le cahier critique du n° 85 de Bifrost (pp. 90-91).

 

Le moment venu, elle sera disponible en ligne sur le blog de la revue, et j’en publierai alors une chronique plus longue ici-même.

 

Retours bienvenus dans tous les cas…

 

EDIT : la chronique est publiée sur le blog Bifrost, ici.

 

Suit une version longue...

À maints égards, l’Anglais Matthew Gregory Lewis est l’homme d’un seul livre, considéré comme un des chefs-d’œuvre du mouvement gothique : Le Moine. Ce roman horrifique et scabreux lui a valu bien des admirateurs, dans les lettres anglaises tout d’abord, mais aussi au-delà ; de par chez nous, nous pourrions ainsi citer, et sans surprise, le marquis de Sade, ou encore, plus tard, Antonin Artaud – qui a « adapté » le roman plus qu’il ne l’a traduit. Le succès a été tel, et l’assimilation de l’auteur à son livre si prononcée, qu’il y a gagné le surnom de « Monk Lewis »…

 

Pourtant, l’auteur ne s’en était pas tenu là, et avait publié – mais sans jamais atteindre de nouveau pareil succès – des ouvrages assez divers, parmi lesquels un recueil intitulé Romantic Tales, en 1808. C’est de ce recueil qu’est extrait le présent texte (sous-titré originellement « Conte Indien ») qui avait déjà bénéficié d’une traduction française… mais l’ensemble n’avait jamais été réédité depuis 1822. Les éditions Finitude ont décidé de republier uniquement L’Anaconda, ce qui nous vaut un petit ouvrage fort joli (mais sans doute un peu cher…), présenté dans une nouvelle traduction, signée Pauline Tardieu-Collinet, des plus agréable.

 

Le mot même d’ « anaconda » est aujourd’hui évocateur de bien des images et mythes, mais c’était probablement moins le cas à l’époque – ou différemment, peut-être : le serpent géant, peu ou prou inconnu, figurait bien une incarnation ultime de l’exotisme, avec des oripeaux de légende. Il semblerait que Lewis ait en partie trouvé son inspiration dans un article publié en Angleterre en 1768, rapportant un fait-divers tout ce qu’il y a d’étonnant, impliquant donc un « anaconda »… dans l’île de Ceylan (aujourd’hui Sri-Lanka). Ce qui, en soi, constitue déjà une étrangeté, du moins pour un lecteur moderne : en effet, il n’y a pas d’anacondas à Ceylan… Le serpent géant est associé pour l’essentiel à l’Amérique du Sud – mais il est vrai qu’il peut évoquer des pythons de belle taille du sous-continent indien et de Ceylan, d’où une possible confusion (qui est allée au point où l’on a parfois supposé que le mot même « anaconda » provenait du cingalais, hypothèse semble-t-il abandonnée aujourd’hui).

 

Mais peu importe, sans doute : il s’agissait de dépayser le lecteur, et, peut-on supposer, de lui procurer, via la créature hors-normes, de délicieux frissons pouvant toujours emprunter à la manière gothique, tout en bénéficiant d’un cadre autrement exotique que la vieille Europe (et l’Italie notamment) des « romans noirs ». Ceylan… Pourquoi pas ? Et que Lewis n’y ait (alors) jamais mis les pieds n’était en rien un problème – à tout prendre, ses lecteurs non plus…

 

De toute façon, Lewis s’amuse… C’est tout particulièrement sensible dans les premières pages du « roman » (très, très court pour être vraiment qualifié de roman…) où, bien loin de Ceylan, nous débutons l’histoire dans un salon anglais on ne peut plus feutré et élégant. Un milieu, sans doute, que l’auteur a envie de railler… Ces premières pages ne manquent pas d’humour, et la satire sociale est de la partie, qui s’exprime à plein dans ce cercle relativement fermé, avide de ragots horriblement scabreux… tout droits sortis de l’imagination de quelque romancier gothique ! Quoi qu’il en soit, on y jase avec délices sur la très suspecte fortune qu’un jeune homme du nom d’Everard Brooke a soudainement acquise lors d’un séjour à Ceylan… Cela va très loin : on l’accuse bientôt de meurtre ! Et notamment celui d’une innocente jeune femme… Or, dans ce salon, c’est bien du futur mariage du jeune homme que l’on débat – oserait-on livrer sa fille à pareil monstre ? La suspicion s’accroît, les projets de mariage tombent à l’eau avant même que l’on ait sommé « l’aventurier » de s’expliquer… Il n’y échappera pourtant pas.

 

Scandalisé, le jeune homme entend plaider sa cause, maintenant qu’on le confronte à la perfide rumeur ! Mais il a bien des choses à raconter – éloignées autant que possible de ce salon mesquin et propre sur lui : c’était à Ceylan, et cela impliquait, figurez-vous, un serpent géant… Quel rapport ? Mais Everard narre comment la demeure où il résidait là-bas a soudain subi les assauts d’un de ces redoutables serpents géants, qui terrifient tant les autochtones : l’anaconda est un mangeur d’hommes, et, maintenant qu’il est là, il ne s’en ira pas tant que sa faim colossale n’aura pas été assouvie ! Or le maître de maison, c’est fâcheux, ne se trouvait pas au même endroit que de sa jeune épouse et qu'Everard, et l’on n’a plus de nouvelles de lui depuis que le serpent a fait son apparition… Est-il déjà la victime de l’anaconda ? Non ! Mais peut-être que cela ne tardera guère… dans la mesure où il est assiégé par le monstrueux animal dans une autre partie, éloignée, de la résidence ! Il faudra bien tout le courage de l’héroïque Everard et de son compagnon de circonstances, le dévoué esclave indien du maître de maison, pour délivrer ce dernier de cette indicible menace !

 

L’anaconda décrit en long et en large par Lewis est certes monstrueux – et doué de capacités pour le moins singulières, qui en font une créature de cauchemar. Pour autant, il n’a en fait rien de surnaturel – ou du moins n’est-il pas présenté comme tel. Ses aptitudes étonnantes, et à vrai dire peu crédibles, peuvent faire sourire le lecteur contemporain – mais sans doute y croyait-on alors… Quoi qu’il en soit, ces facultés sont censément propres aux serpents géants des environs : l’animal en cause n’a rien d’exceptionnel. Nul fantastique ici, donc, nulle survivance de temps antédiluviens, par exemple. On peut être tenté par la comparaison cinématographique : à cet égard, l’anaconda de Lewis n’a rien de King Kong, il évoque bien davantage le requin blanc des Dents de la Mer… dont il figure à sa manière un bien lointain précurseur. Il faut cependant y ajouter une dimension, éventuellement – celle du siège de la demeure par la titanesque créature, principal élément générateur de frissons (en principe du moins). Même si Everard et son compagnon esclave devront bien affronter la bête sur son terrain – cette jungle plus que jamais périlleuse, où nul n’ose les suivre tant que la menace rôde…

 

Étonnant contraste, du coup, avec l’introduction gothique en salon – on n’y revient que pour une conclusion des plus brève, et aussi heureuse et convenue que vous pouvez le supposer ; avec peut-être, heureusement, un sourire en coin de l’auteur – auquel le lecteur complice est tenté de répondre de la même manière. Le mélange de satire sociale so British et d’aventure coloniale n’est sans doute pas d’une cohérence à toute épreuve, mais le résultat est plaisant. L’ouvrage étant par ailleurs assez joli, avec son papier épais et sa noire frise reptilienne reprise à chaque page, on pourra donc y trouver son compte. En regrettant peut-être la focalisation sur cet unique texte, décidément court ? Car, si c’est plaisant, c’est tout de même fort dispensable…

 

Une sympathique curiosité, disons. Probablement guère plus.

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