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Les Inhibés, de Boris Strougatski

Publié le par Nébal

Les Inhibés, de Boris Strougatski

STROUGATSKI (Boris), Les Inhibés, [traduit du russe par Viktoriya et Patrice Lajoye], [s.l.], Lingva, coll. Nuits Blanches, [2003] 2016, 349 p.

 

Ma chronique se trouve dans le cahier critique du n° 85 de Bifrost (p. 94).

 

Le moment venu, elle sera disponible en ligne sur le blog de la revue, et j’en publierai alors une chronique plus longue ici-même.

 

Retours bienvenus dans tous les cas…

 

EDIT : la chronique est en ligne sur le blog de Bifrost, ici.

 

Suit une version (à peine) un peu plus longue...

PLUS DE STROUGATSKI

 

L’entreprise menée par Viktoriya et Patrice Lajoye dans le cadre de leur petite maison d’édition Lingva est à n’en pas douter admirable, qui vise à transmettre à un lectorat français sans doute peu au fait de la question des témoignages de ce qu’a pu produire la littérature d’imaginaire russe.

 

Le présent ouvrage, cela dit, tend à se distinguer des précédentes publications de Lingva, ce qui justifie peut-être qu’il inaugure une nouvelle collection du nom de « Nuits Blanches ». Cette fois, le nom de l’auteur n’est pas inconnu (ou l’est moins) des amateurs de science-fiction, puisque Les Inihibés est l’œuvre de Boris Strougatski (noter cependant qu’il avait été publié sous le pseudonyme de S. Vititski), lequel, avec son frère Arkadi, a publié parmi les plus importantes œuvres de la science-fiction soviétique ; en tête, sans doute, le magnifique Stalker, qui a débouché sur le film d’Andreï Tarkovski. Les frères avaient eu leur lot de traductions françaises, longtemps indisponibles, jusqu’à ce que la collection Lunes d’Encre, confiant justement le travail de révision des traductions à Viktoriya Lajoye, réédite quatre de leurs œuvres, Il est difficile d’être un dieu, Stalker donc, L’Île habitée et L’Escargot sur la pente (je n’ai pas lu ce dernier) ; point d’arrêt depuis ?

 

Ce qui explique peut-être la publication, dans une structure d’une tout autre taille, de Les Inhibés, dû au seul Boris Strougatski – lequel avait en effet continué à écrire après le décès de son frère Arkadi en 1991 (Boris, lui, n’est mort qu’en 2012), même si aucun de ses titres en solo n’avait jusqu’alors bénéficié d’une traduction française. Entreprise bienvenue, là encore… Sur le principe du moins.

 

FACULTÉS SANS UTILITÉ ?

 

Difficile de résumer Les Inhibés… même si nous disposons çà et là d’indices quant au propos essentiel du roman, tout de même assez hermétique. Le caractère « blanc » de la collection ne doit pas leurrer, ce livre relève largement de l’imaginaire – même si, peut-être, on peut voir dans le postulat SF du livre quelque chose d’un prétexte, et ce plus que jamais.

 

En effet, le roman met en scène des individus relativement divers, liés entre eux cependant, et qui disposent de facultés extraordinaires, d’ordre psychique disons. Ce que nous découvrons, à demi-mots, dans les premiers chapitres, et notamment dans le tout premier, où un homme du nom de Vadim est quelque peu brusqué par des individus guère recommandables, qui exigent de lui qu’il intervienne dans une élection toute proche, afin de faire gagner le candidat désigné sous le seul nom d’ « Intellectuel » face à son rival en meilleure posture, « le Général » ; Vadim, en effet, semble être en mesure, non seulement de voir l’avenir, mais aussi de peser sur lui, jusqu’à le transformer…

 

D’autres, autour de lui – encore que la distance soit longtemps maintenue dans ce roman extrêmement bavard, d’un rythme d’escargot (sur la pente) (aha), et ne développant que bien tardivement les liens entre les différents personnages – bénéficient également de facultés étranges, mémoire eidétique, capacité à percevoir le mensonge, ce genre de choses. Ces facultés, ils en jouent « professionnellement », en en faisant leur outil de travail…

 

Pas grand-chose de X-Men, et c’est peu dire. Nos « mutants » (encore que l’on ne sache rien de l’origine de leurs facultés) sont des individus d’âge variable, parfois aigris, souvent moroses. Peut-être avant tout parce qu’ils savent que leurs pouvoirs, en vérité, et toutes considérations spectaculaires mises à part, sont le plus souvent inefficaces ? Ces « Inhibés » peuvent-ils vraiment en faire quelque chose ? Ils en doutent…

 

Ils en doutent peut-être d’autant plus en raison du monde dans lequel ils vivent – un monde marqué de l’empreinte de grands projets, impliquant de grands pouvoirs (et de grandes responsabilités), mais qui ont débouché sur le vide, au mieux si ça se trouve… Ils ont dépassé ensemble le stade de la cuite sciemment entretenue : c’est maintenant la Russie post-soviétique, évocatrice d’emblée d’une forme de gueule de bois… On ne peut sans doute pas faire abstraction de ce contexte – pas plus que de la manière de l’aborder, qui peut probablement entrer en résonance avec les œuvres des Strougatski datant de l’ère soviétique, où le sentiment de médiocrité était parfois (souvent ?) de mise, et la morosité de même. À tout prendre, ces « Inhibés » ont peut-être quelque chose de « Stalkers », par exemple…

 

D’UN PAS LENT ET ENNUYEUX

 

Le problème étant que, non seulement leur morosité contamine le texte, ce qui est dans l’ordre des choses, mais tout autant leur médiocrité, et cela s’avère assez rapidement fâcheux, pour le coup… Les Inhibés adopte un pas lent et mortellement ennuyeux, en se dispersant au fil de séquences à peine reliées entre elles (au mieux, et à terme), disons donc décousues, passablement bavardes par ailleurs, et plus qu’à leur tour confuses.

 

Si quelques scènes, çà et là, produisent leur effet, elles sont cependant noyées dans les discussions interminables – et d’autant plus interminables qu’elles sont imprégnées d’absurde, mais aussi de références littéraires permanentes, généralement obscures pour un lecteur français, et horriblement envahissantes : un des personnages a en effet un goût prononcé pour la citation, suscitant un petit jeu d’abord vaguement amusant, mais bien vite lassant voire agaçant…

 

Les personnages peuvent passer pour intéressants de prime abord, mais, à se noyer dans ces diverses lourdeurs, ils perdent bientôt tout caractère, et il est peu ou prou impossible de vraiment s’y attacher – quand tout, dans le fond du récit, aurait dû le justifier.

 

DOMMAGE…

 

Hélas, la plume n’arrange rien à l’affaire – lourde globalement, souvent confuse, et d’un ennui sans nom. Ici, la traduction a sans doute sa part, hélas – qui aurait probablement bénéficié d’un regard davantage externe, d’une direction d’ouvrage plus détachée.

 

Triste résultat, donc : le livre était prometteur et alléchant, mais s’avère un pensum. L’entreprise des époux Lajoye demeure salutaire, mais, pour le coup, le choix de ce roman en particulier pour engager Lingva sur de nouveaux sentiers n’est probablement pas très concluant…

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