Satsuma, l'honneur de ses samouraïs, t. 2, de Hiroshi Hirata
HIRATA Hiroshi, Satsuma, l’honneur de ses samouraïs, t. 2, [Satsuma gishiden], traduction [du japonais par] Yoshiaki Naruse, postface de Béatrice Maréchal, [s.l.], Delcourt – Akata, [1981] 2005, 224 p.
RETOUR À SATSUMA
Très satisfait par le premier tome de la série de Hiroshi Hirata Satsuma, l’honneur de ses samouraïs, je n’ai guère tardé à me procurer la suite. Laquelle, sans doute, ne pouvait cependant qu’être bien différente du très étonnant premier volume – et difficilement aussi bluffante, peut-être ? La longue séquence introductive du Hiemontori, c’est sans doute quelque chose que l’on ne peut pas répéter…
Par ailleurs, ce très bon premier volume ne faisait qu’amorcer, même si avec un luxe de détails tout à fait bienvenu, le récit qui forme la trame principale (et peut-être parfois le prétexte ?) de la série : cette magouille du shogunat, visant à ruiner l’arrogant clan Shimazu de la province de Satsuma – un vieux contentieux, datant au moins de la décisive bataille de Sekigahara, qui avait vu l'emporter les forces de Ieyasu Tokugawa ; lequel serait bientôt le premier shogun de son clan, inaugurant l’époque Edo et mettant ainsi un terme à l’époque Sengoku, de guerre civile généralisée. Or, à Sekigahara, les Shimazu avaient choisi le mauvais camp… Mais, de manière globale, les Tokugawa s'étaient ensuite engagés dans une entreprise de rabaissement des prétentions des grands féodaux – s’en prendre ainsi aux Shimazu, même si longtemps après Sekigahara, était d’une certaine manière l’occasion de joindre l’utile à l’agréable…
Il s’agissait donc de contraindre le clan Shimazu, prestigieux, certes, et riche qui plus est (je reviens ici sur une erreur d'interprétation de ma part...), à se ruiner néanmoins, en lui ordonnant de prendre en charge des travaux d’aménagements fluviaux au bénéfice de bien lointaines provinces… À l’autre bout du Japon, en fait. Bien sûr, de la part du shogunat, ce n’est pas là une « proposition » ou une « invitation » : c’est un ordre – et on ne refusera pas d’y obéir.
Le prétexte est très gros… Tout le monde sait très bien quelles sont les véritables intentions du pouvoir central dans cette affaire. Que les travaux n’aient rien de superflu, tant les crues dans les provinces visées sont récurrentes et fatales, ne fait aucun doute, mais là n’est pas le propos : il s’agit bien de dégrader les samouraïs de Satsuma (en en faisant des terrassiers), et de les ruiner…
Tout ceci n’avait été qu’esquissé dans le premier tome – en fait, il se concluait sur la réunion des samouraïs apprenant l’ordre du shogun, et c’est immédiatement là-dessus qu’embraye ce deuxième tome.
LA GRANDE HISTOIRE ET LES « PETITES HISTOIRES »
Mais notons d’ores et déjà que ce volume, à l’instar de son prédécesseur, est passablement surprenant – mais en en prenant largement le contrepied. En effet, au bout d’un certain temps, après la « grande histoire », il procède par « petites histoires », qui sont autant d’anecdotes suscitées par l’ordre du shogun, ou destinées à en éclairer le contexte, sans pour l’heure que les travaux commencent, d’ailleurs : à l’avant-dernière page de ce tome, la nouvelle tombe que les samouraïs de Satsuma arriveront le lendemain à destination.
Ce sont donc ici les débats et les préparatifs, à Satsuma même, qui sont narrés, puis les circonstances du long voyage jusqu’aux provinces nécessitant ces travaux (mais en biaisant adroitement), enfin les conditions de leur réception sur place.
SAKON SHIBA ET JÛZABURÔ GONDÔ ?
D’où, d’ailleurs, une autre différence marquée avec le premier tome – lequel avait une structure aussi habile que complexe, mais mettait en définitive en avant deux personnages hautement charismatiques et nettement plus complexes qu’on ne l’aurait cru de prime abord : le samouraï pauvre Sakon Shiba, orgueilleux mais pas si brute, et le jeune rebelle Jûzaburô Gondô, orgueilleux mais pas si bête.
Tous deux adoptaient des comportements inattendus, prenant le lecteur par surprise, mais sans gratuité – en le convainquant de bout en bout, bien au contraire. Ils n’étaient par ailleurs pas sans liens… et leur rencontre vers la fin de ce tome d’introduction était chargée d’électricité, en même temps que contenue par un profond respect : aussi différents soient-ils, et peut-être sans oser l’avancer eux-mêmes (surtout concernant Jûzaburô…), ils avaient donc bien une parenté – en partageant un orgueil qui n’était pas pour rien, ni dans leur rébellion, ni dans leur exaltation très personnelle d’un « honneur » dont tous les samouraïs se gargarisent, mais que bien peu pèsent à sa juste mesure…
Ce deuxième tome adopte une approche totalement différente. Et si l’on y croise bien tant Sakon Shiba que Jûzaburô Gondô, au détour d’une planche, cela ne relève guère que du clin d’œil – ils sont au fond des personnages très secondaires, parmi bien d’autres (Jûzaburô s'en tire un peu mieux que Sakon Shiba, toutefois : il a des apparitions relativement importantes, si elles sont essentiellement brèves). Je suppose toutefois que ces allusions discrètes ne sont pas gratuites – je le suppose et l’espère, car ce sont là deux très beaux personnages, qui méritent bien d’être mis en avant, et ont sans doute encore bien des choses à vivre et à raconter.
En fait, il y a bien, dans ce deuxième volet, quelques personnages pour leur griller la priorité... Mais le récit est cette fois très décousu – même s’il est bien focalisé sur la mission confiée aux samouraïs de Satsuma. Ce n’est donc pas une critique : l’auteur alterne chapitres presque purement documentaires et histoires plus ou moins brèves permettant d’illustrer la thématique globale par le petit bout de la lorgnette, approche qui s’avère vite pertinente.
Sans excès de détails (enfin, j'en fais toujours un peu trop, je suppose...), quelques mots donc de ces différents moments.
LE CONSEILLER HIRATA
Il en est bien un qui dure, tout d’abord – en fait, il faut sans doute rassembler les cinq premiers chapitres, soit près de la moitié de ce deuxième tome ; ils ne font pas totalement bloc, mais leur propos est quand même affirmé, et ils mettent en scène un personnage très charismatique à son tour, et éventuellement susceptible de voler la vedette à ses prédécesseurs Sakon Shiba et Jûzaburô Gondô.
Il rencontre d’ailleurs ce dernier… et en triomphe (moralement) avec une telle classe que le jeune homme, qui l’avait agressé pour un prétexte futile, est bien obligé de reconnaître qu’il s’était comporté comme un imbécile – et que « l’honneur » est décidément une question bien plus complexe que ce que ce « rebelle » pensait ; c’est assez habile, de la part de l’auteur…
Mais je tourne autour du pot : l’homme en question est un éminent conseiller du clan Shimazu, aux plus hautes instances – et il se nomme Hirata, ce qui tombe plutôt bien, hein.
Or le conseiller Hirata joue bien un rôle déterminant dans cette affaire (en comparaison, Sakon Shiba et Jûzaburô Gondô ne sont guère que des médiocres, tant leur niveau d’implication est tout autre). Au milieu des samouraïs furieux et prompts à faire part de leur indignation à la lecture des ordres pervers du shogun, Hirata est celui qui demeure calme et lucide. Autour de lui, les protestations d’atteinte à l’honneur empruntent les voies habituelles : on hurle, on se bat… et, bien sûr, on annonce solennellement que l’on n’a d’autre choix que de se suicider devant pareil affront ! Ce qui nous renvoie bien à une dimension cruciale du premier tome, au passage – ce rapport pathologique à la mort, qui s’exprime dans tant de fins gratuites…
Mais Hirata est tout autre : contre tous, il accepte l’inacceptable – il soutient que les samouraïs de Satsuma doivent bel et bien obéir aux ordres du shogun (qui ne leur demande certes pas leur avis, et trouverait sans doute très bien à s’accommoder de tous ces seppuku de protestation…).
On ne manque pas, bien sûr, de traiter le conseiller Hirata de lâche – et c'est aussi l’occasion de revenir, dans des interludes très « documentaires », sur l’antagonisme ancien entre les Tokugawa et les Shimazu (peut-être même de manière plus affirmée que dans le premier tome, en fait – ainsi quand c’est l’histoire du clan maître de Satsuma qui est mise en scène) : autant de raisons de désobéir ! Quitte à ne manifester son refus qu’au travers de la mort volontaire…
Hirata n’a évidemment rien d’un lâche – et sait en faire la démonstration avec un stoïcisme tel qu’il en fait aussitôt un samouraï d’une stature bien supérieure, car bien plus authentique, au milieu de la foule de ses semblables aux prétentions pas toujours aussi bien assurées. Sans doute est-il aussi un homme rusé et manipulateur, le cas échéant… Mais nulle incompatibilité à cet égard.
Et sa conception de « l’honneur » l’emporte sur celle, si commune, des brutes lambda. Hirata comprend, et finit par en persuader les hommes du clan Shimazu, que le clan, s’il court la ruine à se lancer contraint et forcé dans pareille entreprise, y gagnera cependant en prestige et en autorité, car il aura d’autant plus fait la démonstration de son authentique sens de « l’honneur » (et, accessoirement, aura accompli œuvre utile…).
Au fond, la position du conseiller Hirata n’est peut-être pas si différente de celle des bavards qui brament à ses oreilles – tant le clan risque bien de se suicider à agir ainsi, au fond… Il le sait. Mais, en dernier ressort, ce deuxième tome au moins semblera bien confirmer la pertinence des idées du digne conseiller.
TRANSITION – AU COURS DU VOYAGE
Se succèdent alors trois histoires autrement courtes, mais qui n’ont rien de diversions : elles font toutes sens et permettent de mieux comprendre le contexte de l’affaire de Satsuma.
Or la maîtrise (relative, au moins…) de ce contexte est sans doute indispensable pour bien appréhender les thèmes essentiels de la série, et, je suppose, même s’il est encore trop tôt pour le dire, le sens que l’on peut attribuer à tout ça.
À ce que j’ai cru comprendre, d’ailleurs (au travers du paratexte plus que bienvenu concluant chacun de ces volumes, et de quelques fouilles sur le ouèbe), le lecteur japonais est inévitablement avantagé par rapport au lecteur français, on ne prétendra pas le contraire, mais peut-être pas au point de pouvoir se passer de ce genre d’interludes : l’histoire des travaux des Satsuma, même là-bas, n’est pas forcément des plus connue (ce qui m'étonne un peu, à vrai dire, mais j'ai lu ça, donc...), et Hiroshi Hirata, qui se documente à l’évidence énormément, fait d’une certaine manière œuvre pédagogique même (et, au fond, d’abord) pour ses compatriotes.
UN CONFLIT DE LOYAUTÉS
La première de ces plus brèves histoires, qui correspond au seul chapitre 6, intitulé « Le Message secret », montre ainsi non sans adresse combien la situation, complexe au niveau politique, peut l’être tout autant voire plus encore à l’échelle de la personne… ou disons de la famille. Ce qui, pour prendre le lecteur un peu par surprise, s’avère bien vite très enrichissant.
Hiroshi Hirata nous narre donc l’histoire forcément tragique d’une famille déchirée entre des obligations concurrentes. Trait, à ce qu’il semblerait, très japonais : au cœur même des récits jugés là-bas les plus édifiants, ou de leur transposition théâtrale, romanesque, cinématographique enfin (et peut-être aussi dans d’autres médias), on dit en effet souvent que, ce qui fait la bonne histoire, c’est avant tout le conflit de loyautés – les obligations contradictoires, dans un maillage complexe de dettes parfois impossibles à régler ; c’est notamment quelque chose qui ressort du célèbre essai, certes très critiquable par ailleurs, de Ruth Benedict, Le Chrysanthème et le sabre. Sans doute devrais-je me montrer prudent en l’espèce… Mais la référence n’a pas manqué de me sauter aux yeux, en tout cas.
D’autant que ledit essai d’anthropologie culturelle évoque, notamment à ce propos, ce qui est sans doute une des histoires les plus populaires au Japon, celle des quarante-sept rônin – Hiroshi Hirata, comme de juste, ne se prive pas de mettre en scène ses samouraïs de Satsuma lisant et relisant sans cesse cette fameuse histoire, archétype ultime de l’honneur samouraï, sublime modèle de la loyauté que tout bushi doit à ses supérieurs… mais non sans ambiguïté vis-à-vis du pouvoir central du shogun, le cas échéant ? Après tout, les quarante-sept héros s’étaient bien sacrifiés pour venger leur seigneur de l’arbitraire des Tokugawa… Pour les samouraïs de Satsuma pris au piège des machinations shogunales, cela ne saurait être innocent.
Mais la question est donc complexe – surtout pour cette famille de samouraïs qui, pour vivre à Satsuma, devait composer avec une allégeance, antérieure encore, aux maîtres d’Edo ! Aussi font-ils office d’espions, depuis des générations. L’héritier de la famille n’apprend souvent ce conflit d’obligations que tardivement – révélation terrible, le cas échéant : ils sont donc tous autant qu’ils sont des traîtres à leurs propres voisins et au clan Shimazu ? Inacceptable ! Et pourtant…
Au fil du temps, certains de ces samouraïs tentent de trouver comment accommoder ces allégeances contradictoires, mais sans grand succès… et avec la crainte qu’un jour, une erreur, une maladresse, ou, ironiquement dans le cas présent, un fâcheux coup du sort, ne révèle à leurs voisins que, de toute éternité, et quoi qu’ils aient pu en penser, ils étaient en fait de « l’autre camp ». Même si eux-mêmes se refusent à envisager la question ainsi, ils savent cependant très bien ce qu’il en est…
C’est d’autant pire ici qu’un « second coup du sort » (impliquant, bien malgré lui, Jûzaburô Gondô !) précipitera encore davantage la fin navrante et cruelle de la famille déchirée entre deux maîtres… Pareille histoire, on s’en doute, ne peut que mal se terminer : c’est programmatique, à ce stade. Un récit terrible, à la tension admirable (évoquant le genre policier ou le thriller !) – et que le grotesque, voire le burlesque, y ait d’une certaine manière sa part, au fond, cela ne le rend que plus terrible encore.
LA FAMILLE DE CHÔBEI
Une nouvelle histoire « brève » (mais sur deux chapitres cette fois) permet à Hiroshi Hirata, et non sans adresse là encore, de raconter le voyage des samouraïs de Satsuma (ils partent à la dernière page de l’épisode précédent, de manière assez significative), mais avec une certaine distance narrative tout à fait bienvenue – et assez originale, en fait, si le fond du procédé est commun : les samouraïs en route discutent entre eux, tout simplement…
Ou, plus exactement, ils échangent des ragots. Surtout un trio à l’allure improbable, trois samouraïs moches comme des poux (le style graphique, de manière tranchée, a cette fois quelque chose qui relève de la caricature, tout en s’accordant paradoxalement très bien avec la majesté coutumière du trait de l’auteur), et sans doute pas beaucoup plus futés, qui s’interrogent sur le sort réservé à sa famille par un de leurs pairs, du nom de Chôbei…
Et quelle famille ! Un jeune frère simplet, mais d’une force colossale, et surtout – attribut essentiel – doté d’une verge énorme (« Il parait qu’elle fait trente centimètres de long pour un diamètre de six centimètres ! ») ; parfois, de manière imprévisible, le « fluide masculin » s’agite tant en lui que le bonhomme, pour se soulager, doit impérativement et au plus tôt carrer son imposant membre… quelque part, n’importe où, quelque part – quitte à faire des trous dans les murs ou les arbres. Un danger public, on s’en doute – et qui génère son lot d’histoires forcément salaces, dans ce microcosme qui sent le mâle… Et il faut y ajouter un père rendu fou par l’alcoolisme, sur un mode pas forcément plus mineur.
Impossible de laisser ces deux-là tout seuls, à l’évidence, mais il est plus encore (?) impossible de les embarquer pour le long voyage à destination des régions en proie aux crues ! Chôbei ne les a certes pas emmenés avec lui…
On jase, donc – sur la famille, mais aussi sur ce que le samouraï en a fait, puisqu’il a bien dû en faire quelque chose. Car on dit tout, à ce propos – or il ne veut rien en dire quant à lui… Mensonges de part et d’autre : les calomnies perfides équilibrent les protestations d’admiration, et la compassion peut prendre des tournures inattendues. Les rumeurs colportées, cependant, avec leur dimension humoristique à l’occasion, amènent le lecteur à s’interroger ainsi que les commères armées de sabres : que doit donc faire un vrai samouraï, en pareil cas ? Qu’est-ce qui est « honorable » ? Qu’est-ce qui est « bien » ? Et le conflit de loyautés ressurgit, dans un cadre inattendu...
En définitive, cependant, tous ces questionnements tourneront inévitablement sur le rapport pathologique à la mort qui est semble-t-il l’apanage de tous ces samouraïs – d’autant plus en fait quand ils n’ont que l’honneur à la bouche. Le caractère grotesque de la base de ce récit aboutit ainsi à un effet assez proche, somme toute, de celui produit juste avant par l’histoire de la famille d’espions malgré eux : tout cela est tragique… mais c’est peut-être avant tout absurde.
LE BRAVE HOMME
L’ultime histoire, aux dimensions d’un unique chapitre là encore, est très différente de tout ce qui la précède – notamment, d’ailleurs, en ce qu’elle s’éloigne des samouraïs de Satsuma (trop occupés à vomir toutes leurs tripes dans la cale des bateaux qu’ils ont empruntés pour se rendre à destination, ou à se plaindre de leurs ampoules tout le long de leur marche forcée à travers le Japon – trop occupés aussi, bien sûr, à jaser sur la famille de Chôbei…).
Nous sommes en effet là où ils doivent se rendre – dans une de ces provinces victimes de néfastes inondations. Là-bas se trouve un homme admiré de tous, du nom de Heïnaï Kito – pas un samouraï, par ailleurs, même si on lui a accordé, comme une reconnaissance de son statut bien particulier, le droit au nom et le droit au port du sabre. C’est qu’il est issu d’une famille illustre, même sans être lui-même samouraï, et qui impose le respect à tous : il descend de Hachirô Tametomo Chinzei – un personnage historique, mais hors-normes, celui qui attire tous les regards et suscite tant d’admiration dans Le Dit de Hôgen… Pas loin de six siècles plus tôt, donc !
Mais si cette ascendance presque mythique est pour beaucoup dans le renom du riche propriétaire, sa gentillesse et sa droiture ne le sont en fait pas moins. Or Heïnaï Kito est très reconnaissant de ce que les samouraïs de Satsuma viennent leur prêter main forte pour aménager Mino et Owari…. Aussi entreprend-il, lui qui est suffisamment fortuné pour cela, de faire construire des bâtiments destinés à les héberger le temps de leur mission.
Ce qui ne plaît pas du tout aux autorités shogunales dans la région : tout le monde sait, même s’il ne faut surtout pas le dire, que l’ordre du shogun est destiné à ruiner le clan Shimazu ! Il est donc interdit de faire quoi que ce soit qui pourrait faciliter la tâche des hommes de Satsuma – et tout particulièrement de construire pour eux, et gratuitement, ces si précieux hébergements : ce sont eux qui doivent payer pour tout cela, et à fonds perdus, sans quoi le plan du shogun tombe à l’eau !
Heïnaï Kito est donc sermonné d’abord, puis menacé, puis brimé… Mais le propriétaire débonnaire n’en affiche pas moins, au milieu des vexations quelles qu’elles soient, un aimable sourire dont il semble ne jamais devoir se départir. Au nom d’une forme de « morale » inaccessible aux autorités, il ne cèdera pas d’un pouce dans son projet – il exprimera sa gratitude de mille et une manières, quoi qu'on en dise, et quitte à se ruiner à la place de ses invités.
La scène est très intéressante – une nouvelle rébellion, mais qui n’a cette fois pas le moindre aspect martial, et qui illustre avant tout des vertus éminemment positives, sans plus quoi que ce soit de pathologique. Et c’est là-dessus que se conclut l’album – bientôt les samouraïs seront là, et leur venue est une joie !
Une ultime note positive, oui... pour le moins étonnante au regard du ton global de la série jusqu’alors (ou, pour ce que j’en sais, bien peu donc, d’un certain nombre d’autres œuvres de l’auteur – je n’en connais pour l’heure que l’excellent L’Argent du déshonneur, il est vrai…). Mais c’est très bien vu !
LE DESSIN – TOUJOURS PARFAIT
Je ne vais pas m’étendre outre mesure sur le graphisme – je ne ferais que me répéter après mes chroniques de L’Argent du déshonneur et du premier tome de Satsuma, l’honneur de ses samouraïs…
C’est toujours aussi beau et fort, en tout cas. Et d’une richesse et d’une précision admirables. Si les houleux débats où brille le conseiller Hirata au début de ce deuxième volume sont parfois difficiles à suivre – les samouraïs qui hurlent à cette occasion, au fond, suscitent comme un écho paradoxalement bavard du Hiemontori ouvrant la série –, le résultat demeure de la plus belle eau de la première à la dernière page. Dimension peut-être tout particulièrement sensible dans les scènes impliquant un décor à la démesure de la tâche confiée aux samouraïs de Satsuma ? Les bateaux m’ont impressionné, par exemple…
S’il faut singulariser un aspect, cependant, ce sont les légères mais bienvenues injections de caricature ou de burlesque dans la charte graphique de l’auteur – surtout, donc, dans les deux chapitres consacrés aux ragots sur Chôbei et sa famille. C’est étonnant (tout au plus y avait-il une seule case, mais d’autant plus déconcertante d’ailleurs, jouant de ce registre dans le premier tome), mais ça passe en fait très bien.
L’ÉDITION
Deux mots, enfin, sur cette édition. Outre son existence même, digne de toutes les louanges en tant que telle, on appréciera, d’abord et surtout, son paratexte, plus que nécessaire et très bien fait. On saluera, de même que dans le tome 1, les efforts qui ont été faits en matière de « typographie », disons, pour rendre la calligraphie de l’œuvre originelle : le résultat n’est peut-être pas toujours irréprochable, mais c’est une approche bienvenue de l’œuvre.
Je suis hélas plus sceptique en ce qui concerne la traduction, ou, peut-être plus précisément, la relecture – il y a quelques pains çà et là, et un certain nombre de coquilles… C’est tout de même regrettable : une série d’une qualité pareille aurait sans doute mérité bien plus d’attention à cet égard.
LA SUITE !
Ce petit bémol ne change évidemment rien à l’essentiel : si ce tome 2 n’est clairement pas aussi bluffant que le premier – parce que le Hiemontori, parce que la construction alambiquée, parce que Sakon Shiba et Jûzaburô Gondô –, il est néanmoins plus que satisfaisant, et parvient là encore, miraculeusement ou plutôt, bien au contraire, tout naturellement, à surprendre le lecteur.
Avec le conseiller Hirata, l’auteur homonyme a mis en scène un personnage de taille à rivaliser avec les héros du premier tome, et j’espère que tous auront leur mot à dire quant à la suite des événements.
La dimension « documentaire » est toujours aussi pertinente, bien sûr – et la dimension « anecdotique » des « petites histoires » de ce deuxième volume parvient à ramener l’affaire à des dimensions humaines, là où l’on pouvait craindre le didactisme envahissant.
Le questionnement moral (au sens large) est toujours aussi subtil, et souvent aussi cruel.
Et le dessin est parfait.
Un très bon opus, et je ne tarderai probablement guère à lire le troisième.
À très vite…
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