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20th Century Boys, t. 8 (édition Deluxe), de Naoki Urasawa

Publié le par Nébal

20th Century Boys, t. 8 (édition Deluxe), de Naoki Urasawa

URASAWA Naoki, 20th Century Boys, t. 8 (édition Deluxe), [20 seiki shônen, vol. 15-16], scénario coécrit par Takashi Nagasaki, traduction [du japonais par] Vincent Zouzoulkovsky, lettrage [de] Lara Iacucci, Nice, Panini France, coll. Panini Manga – Seinen, [2000] 2015, [434 p.]

 

ENTRE DEUX ARCS

 

Je reviens à 20th Century Boys, série au long cours de Naoki Urasawa, avec ce tome 8 « Deluxe », comprenant donc les volumes 15 et 16 de l’édition originale.

 

Un volume particulier – même si pas sans précédent : à l’instar du tome 3 (que j’avais adoré à l’époque, il constitue peut-être bien mon volume préféré de la série jusqu’à présent), ce tome 8 marque en effet une rupture dans le cours de la série, rupture entre deux « arcs » radicalement distincts. Le rassemblement de deux volumes en un seul tome produit donc le même effet que précédemment : l’histoire change du tout au tout en plein milieu du bouquin – entre les volumes 15 et 16 originaux…

 

Ce qui ne me facilite peut-être pas la tâche pour en causer… Mon enthousiasme concernant le tome 3, bien au contraire, m’avait stimulé, m’amenant à tenter d’expliquer pourquoi cette soudaine rupture était si palpitante à mes yeux. Ici, c’est moins vrai… D'autant que la rupture est plus « logique », sans l'effet de suspension du précédent bouleversement de la trame. Et, forcément, je me demande ce qu’il en sera de la suite, car 20th Century Boys, j’y suis revenu à chaque compte rendu ou presque, est tout de même une série très inégale… Globalement, les meilleurs moments suffisent – voire suffisent amplement – à racheter les plus faibles. Je suppose que c’est également le cas ici… Mais l’effet est quand même assez différent de celui produit par le tome 3 : ici, je suis davantage dans le doute, et davantage conscient que je manque d’éléments pour appréhender au mieux ce changement soudain (sans même parler de me livrer à des pronostics quant à l’évolution de la série, mais ça, j’imagine que c’est pas plus mal…).

 

Nous sommes donc entre deux arcs : le premier allait du tome 1 à la moitié du tome 3, le deuxième donc de la moitié du tome 3 à la moitié de ce tome 8, et il ne reste plus (sauf erreur) qu’un troisième et dernier arc, du milieu de ce tome 8 au tome 12 qui achève la série.

 

Pour autant, le présent volume se divise en fait plus logiquement en trois parties qu’en deux – car nous avons un long interlude entre les deux arcs, correspondant en gros à la première moitié du tome 16 initial (un peu plus, même), qui explique sans doute pourquoi je manque tant d’éléments, pour l’heure, pour m’appesantir sur le contenu du troisième arc tel qu’il est développé ici…

 

PAPE ET MOBILE

 

Or ce tome 8 m’effrayait un tantinet… Parce que je savais qu’il mettrait en avant la dimension de la série qui m’a le plus navré (non, je crois que le mot n'est pas trop fort) jusqu’à présent, et de loin ; à savoir, le projet d’assassinat du pape, trame dont je ne comprenais tout simplement pas ce qu’elle foutait là, et qui me paraissait responsable pour une bonne part du triste gâchis qu’était l’évolution de Kanna dans la série – un personnage que j’avais adoré à l’époque de son introduction (en tant qu’adulte…) au tout début du deuxième arc, mais, décidément, je ne me faisais pas à son utilisation par la suite, nettement moins enthousiasmante…

 

Mais bon : essayons de faire abstraction, hein.

 

L’Exposition universelle approche (« Hello ! Hello ! L’Expo ! », nous braille le sous-exploité Haru Namio dans les oreilles). Et, avec elle, la visite annoncée du pape… Le souverain pontife se rend d’ailleurs en partie au Japon précisément dans le cadre de cette Exposition universelle – et, tout autant, pour y faire les louanges d’Ami, « l’homme » qui a sauvé le monde après les horreurs du 31 décembre 2000…

 

Mais il a une autre visite à accomplir, là-bas : il compte se rendre dans le quartier malfamé de Kabukichô, pour y retrouver son ami le curé Nitani, l’ancien yakuza… Un flashback nous rapporte d’ailleurs l’origine de l’amitié entre les deux religieux.

 

Mais Nitani suscite ici d'emblée une sorte de miroir, avec l’introduction d’un nouveau personnage, le père Luciano… qui a en fait exactement le même profil que Nitani, mais en version italienne. Luciano, spécialiste des contrefaçons, a lui aussi lié des liens très resserrés avec le gentil pape, et lui doit sa vocation religieuse. Le connaissant bien, il subodore seul que son ami le successeur de Pierre fait l’objet d’un complot : il est persuadé que le pape mourra « en Orient » ! Et que cela ne s’arrêtera pas là – un catalogue abscons de prophéties apocalyptiques, qu’ont étudié les deux hommes, semble devoir à terme remplacer la Bible, horreur glauque… Bon, j'imagine que ça ressort assez comme ça, mais disons-le : je suis très, très perplexe quant aux apports de ce nouveau personnage (avec aussi une certaine invraisemblance linguistique, mais bon, on n'est plus à ça près)...

 

Au Japon, Kanna et compagnie sont sur le pied de guerre : il faut protéger le pape – ne serait-ce que parce que c’est Ami qui veut sa mort. Ami qui, ah oui, est mort, d’ailleurs… Il est mort ? Hein ? Il est bien mort ? Vous y croyez tous ?

 

 

Inutile d’en dire beaucoup plus ici... Embrouilles prophétiques mises à part, le déroulé de cette ultime tranche du deuxième arc de la série est globalement bien prévisible, comme de juste. Je ne dirais pas qu’elle est mauvaise pour autant… Le fait est que certaines occurrences antérieures de la trame « projet d’assassinat du pape » étaient bien, bien pires. Ici, globalement, ça coule – sans enthousiasme débordant, mais non sans efficacité, pour autant. Prévisible, mais honnête, je suppose…

 

Heureusement, la BD a sans doute mieux à nous offrir dans le présent tome 8.

 

1970 : THE YEAR (THAT) PUNK BROKE (SORT OF)

 

(Je passe sur les trois pages concluant le volume 15, ça vaut sans doute mieux…)

 

Avant d’inaugurer à proprement parler le troisième arc de 20th Century Boys, Naoki Urasawa concocte ici un long interlude, consistant en un crucial retour au passé – à l’époque où Kenji et ses copains étaient des enfants, plus précisément en 1970, l’année de l’Exposition Universelle d’Osaka.

 

ATTENDEZ ! D’ABORD, MON INTERLUDE À MOI…

 

Au passage, j’avais déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, de parler de l’importance de cette Exposition Universelle dans la culture du Japon contemporain : elle était le pinacle de la Haute Croissance, et une occasion marquée, pour le Japon ayant su enterrer les vilénies des années 1930 et 1940, de se réaffirmer dans le concert des nations – en étant devenu un symbole de paix. Au Japon même, l’Exposition Universelle avait rencontré un énorme succès – avec un record de fréquentation qui ne serait dépassé que tout récemment ; il faut dire qu’il y avait bien des choses à y voir, dont Apollo, l’année d’après le premier homme sur la lune – le genre d’événement qui résonne forcément dans le contexte de 20th Century Boys, et la BD y faisait plusieurs fois allusion, comme au rock bien sûr.

 

Je poursuis ma parenthèse, rapidement, parce que c’est l'occasion de dire un truc qui me réjouit tout particulièrement : à apprendre des choses sur le Japon, même si je n’en sais somme toute guère pour l’heure, aucun doute à cet égard, je commence cependant à relever çà et là – par exemple lors de mon visionnage récent de Pompoko  de Isaho Takahata, ou, et ça je vous en causerai sous peu, à la lecture des Contes de pluie et de lune d’Akenari Ueda – je commence donc à relever parfois des éléments ou allusions qui me seraient passés par-dessus la tête il y a quelques mois à peine… Par exemple, concernant 20th Century Boys, je me demandais depuis un certain temps si, aussi improbable que cela puisse paraître, le nom de Yoshitsuné avait quelque chose à voir avec le fameux guerrier autrement hardi du Dit des Heiké… Eh bien, figurez-vous que oui : le lien est explicitement établi dans ce tome 8, et l’occasion d’un jeu de mots pour le coup expliqué en note, sur une certaine « bande à Genji » renvoyant ironiquement à la « bande à Kenji » à laquelle nous étions habitués…

 

Arf, avec tout ça, je me suis éloigné de cet interlude… Reprenons.

 

1970 : L’ANNÉE OÙ CE SALE GOSSE… (DISAIS-JE)

 

Adonc. Le cadre de 1970 (ou un peu avant, mais que cette année soit le tournant est assez logique), nous y étions habitués. Au cours du premier arc, nous y revenions souvent – et, à certains égards, c’était peut-être davantage le cœur de la BD que la trame de la toute fin du XXe siècle en fournissant le prétexte.

 

C’était moins vrai dans le deuxième arc… ou, plus exactement, c’était plus ambigu – dans la mesure où, aux retours « réels » dans le passé (s’ils étaient bien réels ?), se substituaient des retours « fictifs » (s’ils étaient bien fictifs ?), via le simulateur d’Amiland ; j’ai assez eu l’occasion de dire à quel point cette idée m’enthousiasmait – introduction de Kanna mise à part, c’est à mon sens de très, très loin ce qu’il y a de mieux dans le deuxième arc.

 

Et maintenant ? L’ambiguïté demeure peut-être… Mais, surtout, le point de vue change. Maintenant, nous ne voyons plus les événements à travers les yeux de Kenji ou d’un de ses copains, ou au travers d’un narrateur omniscient, néanmoins focalisé sur lesdits gamins – maintenant, nous voyons les choses du point de vue de Fukube, le futur Ami.

 

Littéralement, d’ailleurs, pendant un moment : nous sommes dans la tête de Fukube (et ce n’est pas un endroit très agréable…), nous sommes pleinement en vue subjective, même !

 

Ça ne dure pas forcément – surtout dans la mesure où, outre le point de vue de Fukube (qui reste essentiel), nous avons aussi l’occasion d’entrevoir les choses du point de vue de Sadakiyo – le sale gosse et le pauvre gosse, dans une relation d’une cruauté typiquement enfantine…

 

Il faut dire que la psychologie de Fukube, au moins, est pour le moins torturée… On est même à un tout petit doigt de la caricature, autant le dire. Mais cela ne rend l’expérience que plus déconcertante…

 

Une grande révélation du tome 7 est dès lors amoindrie, peut-être : non, Fukube n’était pas un ami (eh) de Kenji et de ses amis (eh). Mais il était bien là : le gamin qui voulait devenir leur ami, qui était prêt à tout pour cela, qui leur montrait même sa volumineuse collection de mangas… Mais rien à faire : sans même que ce soit méchanceté de la part de Kenji et Otcho (surtout) et des autres, ils tendaient systématiquement à ignorer Fukube…

 

Or Fukube est déjà porté à transmuter son dépit en haine – avec une même dimension égocentrique et mégalomane : c’est bien dans cette absence de relations d'amitié que se noue le destin de celui qui ne voudra pas qu’on l’appelle autrement qu’Ami… Et si, globalement, il ne parvient pas à susciter l’admiration en dépit de tous ses efforts, systématiquement ruinés sans même (donc) que l’on pense forcément à mal, il se crée néanmoins, par d'autres moyens, un cercle de proches qui, s’ils ne se reconnaissent pas en Kenji et compagnie, comprennent cependant très bien que Fukube est « quelqu’un », au moins autant que Kenji et Otcho, peut-être plus encore. Sadakiyo était déjà son souffre-douleur, mais Yamane et, du côté des adultes honnis, Manjôme Inshû, entrevoient bientôt tout le potentiel de l’enfant prétentieux et revanchard…

 

Et tout part de là – jusqu’à nouvel ordre, bien sûr.

 

(Et, bien sûr, avec un cliffhanger même à la fin de cet interlude…)

 

Bien. Maintenant je peux envisager le début du troisième arc. Et j’imagine qu’il est bien temps d’user de La Terrible Balise : SPOILERS ! Fuyez pauvres fous, etc.

 

L’AN 3 APRÈS AMI

 

L’interlude est long – il s’étend sur six épisodes, il n’en reste plus que cinq ensuite pour introduire le troisième arc de la série. D’où, pour une bonne part, l’impossibilité d’en dire grand-chose pour l’heure, et peut-être même dans le seul registre du « bien ou pas bien »… Tentons quand même une vague esquisse.

 

Nous sommes en « l’an 3 après Ami ». Le sale gosse semble bien avoir tout remporté… Il est Dieu, bien sûr – et, à un autre niveau, on nous le présente hâtivement comme étant « le président du monde », allez savoir ce qui est préférable...

 

Et il vit semble-t-il dans une tour colossale – un vrai bâtiment de science-fiction.

 

Sauf que quelque chose ne colle pas… Le Japon en dessous de la tour a, oui, quelque chose d’étrange…

 

Nous ne tardons guère à mettre le doigt dessus : il apparaît incroyablement régressif, à tous points de vue. Quand un poste de télé fait son apparition dans les cases, retransmettant un combat de catch, et quand nous suivons des personnages inconnus dans leur quotidien et constatons comment ils sont vêtus, nous en venons à comprendre que ce Japon-là est, au mieux, celui des années 1960 – celles de Kenji et Fukube gamins ? D’une manière ou d’une autre, Ami a, plus encore qu’on ne l’imaginait, « volé le futur »…

 

Et nous sommes par ailleurs loin des délires démographiques de la Mégalopole japonaise, en dehors même de cette ville étrangement « plate », à ras du sol, où la tour d’Ami ne figure que davantage une exception – à ce stade, le mot à même quelque chose de dérisoire… Nous verrons bientôt que nous sommes ici dans un monde constitué de petites communautés humaines enfermées derrière des murs (merci Donald). Et à l’extérieur ? Le virus ! C’est ce que disent les autorités, du moins – les séides d’Ami, donc. Des émeutiers portés sur l’humanisme réclament que l’on abatte ces murs – dehors, les gens souffrent, il faut leur venir en aide ! D’autres émeutiers, exactement au même moment, tiennent un discours tout autre : le mur ne saurait avoir d’autre but que de couper ceux de l’intérieur d’un extérieur en rien ravagé par le virus mais parfaitement idyllique, un extérieur que se sont accaparés des privilégiés !

 

Un « voyageur », car il y en a malgré tout, dit avoir écumé Honshu pendant deux ans – et constaté, partout, la présence de ces petites communautés humaines, toutes dirigées par des « petits Amis »… Il ne dit cependant rien du virus. Mais, bien sûr, il ne nous est pas inconnu, lui : c’est Otcho…

 

Pour l’heure, blessé, il se cache – c’est le petit garçon Katsuo qui lui a trouvé un abri, et bientôt sa sœur aînée Sanae est à son tour au courant. Or des rumeurs circulent – des rumeurs faisant état d’une opposition, ou même de plusieurs, à Ami et ses sbires…

 

Pour le moment, nous n’en savons guère plus. Et il n’en est que plus difficile de porter un jugement sur ces cinq épisodes… L’arc se met en place – sa dimension narrative est encore assez limitée.

 

Cependant, j’avouerai que l’idée de ce cadre « années 60 » dans le « futur » est très intéressante ; il faudra sans doute, le moment venu, prendre en compte la justification de cette ambiance particulière, mais pour l’heure, dans le vide, abstraitement d'une certaine manière, ça fonctionne bien…

 

Pas grâce à Otcho, sans doute – même si, isolé, blessé, déprimé, il est beaucoup moins agaçant qu’il ne l’était en mode « Shogun » (que ce soit lors de sa folle vie de défenseur des prostituées en Thaïlande, ou lors de son évasion de « La Luciole des Mers »). Mais Katsuo et Sanae sont assez intéressants – Katsuo comme un écho de Kenji et compagnie enfants, tout aussi énergique, sa sœur en jeune intello revêche, tranchant sur les (jeunes) personnages féminins envisagés jusqu’alors (Yukiji, Kanna et Koizumi), mais pour s’avérer aussi pertinent dans son registre que ces derniers.

 

Bien trop tôt cependant pour en dire davantage…

 

ENTRE DEUX EAUX

 

Et difficile, du coup, de tirer un bilan de ce tome de transition. La fin du deuxième arc est moins mauvaise que ce que je redoutais, elle n’est probablement pas mauvaise, en fait, mais, parfaitement prévisible et conduite sur un mode mineur, elle se lit sans passionner.

 

L’interlude contient nombre de choses intéressantes – mais il est en permanence sur la corde raide, à l’extrême limite de la caricature, boulot d’équilibriste compliqué, tantôt satisfaisant, tantôt un peu moins… C’est peut-être un peu trop long, par ailleurs – sans doute, même.

 

Et le début du troisième arc ? Pour l’heure, j’aime bien – surtout parce que l’ambiance est excellente. Les personnages de Katsuo et Sanae suscitent par ailleurs la sympathie, et le flou entretenu quant à la réalité du monde de « l’an 3 après Ami » est plus intriguant que frustrant ; une réussite, donc. Et oui, ça donne envie de lire la suite.

 

À dresser ainsi le bilan, après coup, cela devient flagrant : ce volume déconcertant, et longtemps un peu quelconque, ne m’a vraiment convaincu que dans ses cinq derniers épisodes. En tant que tel, il confirme mon impression générale d’une série qui a (vraiment) des hauts et des bas. Le bas domine peut-être ici, mais le haut, dans ce tome 8, résidant clairement dans les derniers épisodes, l’envie de lire la suite demeure – malgré tout ? Malgré tout.

 

Et donc à un de ces jours pour le tome 9

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