CR L'Appel de Cthulhu : Au-delà des limites (06)
Sixième séance du scénario pour L’Appel de Cthulhu intitulé « Au-delà des limites », issu du supplément Les Secrets de San Francisco.
Vous trouverez les éléments préparatoires (contexte et PJ) ici, et la première séance là. La précédente séance se trouve quant à elle là.
Le joueur incarnant Bobby Traven, le détective privé, était absent. Étaient donc présents Eunice Bessler, l’actrice ; Gordon Gore, le dilettante ; Trevor Pierce, le journaliste d’investigation ; Veronica Sutton, la psychiatre ; et Zeng Ju, le domestique.
I : JEUDI 5 SEPTEMBRE 1929, 19H – APPARTEMENT 302, 250 GEARY STREET, TENDERLOIN, SAN FRANCISCO

[I-1 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju : Veronica Sutton ; « Robert Larks », « Jason Middleton », Jonathan Colbert, Andy McKenzie] Gordon Gore, Eunice Bessler et Zeng Ju se trouvent dans le Tenderloin, où ils ont remonté la piste de « Robert Larks » et « Jason Middleton », soit très probablement Jonathan Colbert et Andy McKenzie. Ils ont maintenant une troisième adresse où se rendre, au 250 Geary Street, toujours dans le quartier, et espèrent cette fois qu’ils occupent toujours les lieux. Gordon appelle Veronica Sutton pour lui donner l’adresse, et lui dire d’intervenir si trop de temps s’écoule sans qu’elle ait de leurs nouvelles, puis les trois associés se rendent sur place, à pied, tandis qu’autour d’eux le quartier commence à s’animer, avec l’ouverture des « restaurants français » pour la soirée.

[I-2 : Gordon Gore, Zeng Ju, Eunice Bessler] L’immeuble de Geary Street offre le même spectacle aux investigateurs que les deux précédents : c’est assez miteux en façade, probablement bien plus encore à l’intérieur. Gordon Gore remarque que nombre de fenêtres ont les volets fermés, qui ne doivent pas être ouverts très souvent – c’est un quartier où l’on vit la nuit… Le dilettante s’avance vers l’entrée, mais Zeng Ju le retient : se rendre de suite tous les trois au troisième étage pourrait faire paniquer leurs cibles, mieux vaudrait envoyer d’abord un « éclaireur »… Le domestique va s’en charger, les autres le suivront à quelque distance, mais patienteront dans la cage d’escalier le temps qu’il jauge la situation. Gordon a confiance en lui – même s’il a remarqué qu’il avait ces derniers temps quelques absences, à l’occasion… Eunice Bessler l’a remarqué de même, et elle est plus sceptique, si elle n’en fait pas état devant le Chinois.

[I-3 : Zeng Ju, Gordon Gore, Eunice Bessler] Zeng Ju s’avance dans le couloir du troisième (et avant-dernier) étage : c’est très sale, glauque même, sombre enfin car il n’y a aucune fenêtre et l’éclairage électrique est défaillant ; il y a un semblant de décoration à base de plantes en pot anémiées, mais qui en rajoutent en fait dans la misère. L’appartement 302 est situé à droite par rapport à l’escalier, le 301 se trouve de l’autre côté. Le domestique s’avance discrètement devant la porte de l’appartement 302 – fermée, visiblement pas bien solide. Il tend l’oreille, mais n’entend strictement rien… Zeng Ju retourne à la cage d’escalier pour faire son rapport à Gordon Gore et Eunice Bessler – rien, si ce n’est ces « bruits étranges »… mais ils ne venaient sans doute pas de l’appartement ? Il ne sait même pas s’il les a entendus… Gordon fronce les sourcils : « Vous avez un problème, mon bon Zeng ? Qu’est-ce qui vous arrive ? » Le domestique lui dit de ne pas s’inquiéter, mais avance qu’il vaudrait mieux que le dilettante fasse à son tour un repérage tandis que lui-même reste avec Mlle Bessler. Par contre, il affirme que la porte ne résistera pas à un bon coup d’épaule.

[I-4 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju] Gordon Gore s’avance, Eunice Bessler guère loin derrière, tandis que Zeng Ju ferme la marche. Le dilettante et sa maîtresse n’ont aucunement besoin de coller leur oreille à la porte pour entendre les échos d’une conversation animée à l’intérieur de l’appartement 302 – que le domestique ne perçoit toujours pas, cependant. Impossible de vraiment distinguer les propos, mais il y a deux hommes à l’intérieur, et le ton est à la dispute. Eunice Bessler se tourne vers ses compagnons : ils sont sûrs de vouloir y aller « façon cowboys » ? Gordon en est persuadé : il faut jouer de la surprise – et y aller arme en main pour dissuader ces dangereux énergumènes de faire quelque bêtise que ce soit. Sauf que le palier n’était probablement pas le lieu pour en débattre… Zeng Ju fait signe à Gordon de baisser d’un ton, mais les bruits de conversation en provenance de l’appartement s’interrompent, silence absolu... Gordon s’écarte, supposant qu’un personnage va sortir et qu’il faudra le maîtriser – Zeng fait de même de l’autre côté de la porte. Quelques minutes s’écoulent, puis la discussion reprend, sur un ton plus posé.

[I-5 : Gordon Gore, Zeng Ju] Gordon Gore fait signe à Zeng Ju – il va essayer d’ouvrir la porte, mais, si ça ne fonctionne pas, le domestique devra aussitôt agir. La porte est verrouillée – les deux hommes se jettent contre elle et l’enfoncent sans difficulté. Elle donne sur un couloir, au bout duquel se trouve une pièce, celle d’où venaient les bruits de conversation, qui ont aussitôt cessé. Gordon tente le bluff : « On ne bouge plus ! Jetez vos armes ! Police de San Francisco ! » Il sait ne pas être très crédible… Tous trois s’avancent dans le couloir, le dilettante jetant rapidement un œil sur la pièce à sa droite – une chambre dans un état de saleté impressionnant.

[I-6 : Zeng Ju, Gordon Gore, Eunice Bessler : Jonathan Colbert, Andy McKenzie] Mais dans le salon, plus qu’en désordre, les attend un Jonathan Colbert parfaitement éberlué. Zeng Ju le menace aussitôt : « Mains en l’air ! » Andy McKenzie est également présent – à la différence de son associé, lui dégaine aussitôt un couteau à cran d’arrêt : Gordon Gore le braque à son tour en lui disant de jeter son arme. Ça ne semble pas impressionner l’escroc, qui s’avance couteau en main : « Qu’est-ce que vous foutez ? C’est chez nous, dégagez, bordel ! Cassez-vous ! » Pour lui, les menaces des investigateurs sont clairement du flan… [double échec critique, de Gordon et de Eunice Bessler !] D'un ton moqueur : « Vous croyez que z’allez m’faire peur avec vos joujoux en plastique ? »

[I-7 : Gordon Gore, Zeng Ju : Andy McKenzie, Jonathan Colbert] Gordon essaye de tirer dans le genou d'Andy McKenzie – mais rate, et la balle s’égare dans le plancher. L'escroc est très surpris (Jonathan Colbert de même), mais il réagit aussitôt, et se jette avec son couteau sur l’intrus le plus proche, qui se trouve être Zeng Ju ; le domestique cherche à faire feu également, mais ne se montre pas plus habile… Par chance, McKenzie [échec critique !] se prend les pieds dans le tapis tandis qu’il cherche à planter sa lame dans le corps du Chinois, et il échappe son arme ! Gordon crie à son domestique de maîtriser l’escroc désarmé (sans succès…) tandis que lui-même s’occupe de Colbert.

[I-8 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju : Jonathan Colbert ; Clarisse Whitman] Mais Jonathan Colbert ne cherche pas le moins du monde à se battre : les bras ballants, paumes ouvertes, il n’en revient pas de ce qui se produit sous ses yeux : « Mais qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous foutez, bon sang ? » Gordon Gore lui répond de calmer « son copain », et tout se passera bien – Eunice Bessler ajoutant même qu’ils ne lui veulent pas de mal. « Et vous nous tirez dessus ?! » Colbert se laisse tomber dans un fauteuil : « Bon, et maintenant, on fait quoi, on attend les flics ensemble ? Qu’est-ce que vous voulez, bon sang ? » Gordon lui demande où se trouve Clarisse Whitman. « Qu’est-ce que j’en sais ? Rien à foutre. » Colbert se relève, il semble vouloir gagner la sortie en jouant des épaules : « On peut pas rester ici, merde ! » Les investigateurs ont du coup un peu oublié McKenzie, qui essaye discrètement de ramasser son couteau – Gordon le braque à nouveau : « Une dernière fois : ne bougez plus ! » Mais il continue de s’adresser à Colbert : plusieurs riches jeunes filles ont disparu, ils savent que le peintre était lié à chacune d’elles, qu’il a fait chanter leurs parents, et que Clarisse demeure introuvable. Attendre la police ? Pourquoi pas ! C’est Colbert qui a quelque chose à craindre d’elle, pas eux ! [En fait, il y a une bonne part de baratin ici, les investigateurs ayant tout récemment eu affaire à la police du Tenderloin, qui leur avait confisqué leurs armes – si les policiers mettent la main sur eux, dans ce même quartier, avec sur eux ces nouvelles armes dont ils viennent de faire usage, le crédit de Gordon ne suffira pas forcément à les tirer du pétrin…] Le peintre est cette fois un peu intimidé. McKenzie, de son côté, jette un œil par la fenêtre donnant sur Geary Street… Zeng Ju, agacé, le maîtrise.

[I-9 : Gordon Gore, Eunice Bessler : Jonathan Colbert, Andy McKenzie] Il faut faire vite. Gordon Gore continue de braquer alternativement Jonathan Colbert et Andy McKenzie, mais dit à Eunice Bessler de fouiller l’appartement pour mettre la main sur les photos compromettantes. Il dit en même temps au peintre que, s’il coopère avec eux pour les photos, ils peuvent partir très vite, se rendre chez lui, et discuter de tout ça loin de la menace de la police. Mais l’artiste n’est pas convaincu… Eunice fouine : tandis que les quatre hommes restent dans le salon, très sale, avec des déchets et des bouteilles vides un peu partout, elle se rend dans une chambre qui parvient à être encore pire, et par ailleurs dénuée de la moindre décoration ou du moindre mobilier en dehors d’une commode, avec rien d’intéressant à l’intérieur.

[I-10 : Gordon Gore : Jonathan Colbert ; Clarisse Whitman] Pendant ce temps, dans le salon, Gordon Gore tente une autre approche – celle de l’amateur d’art… Jonathan Colbert n’en revient pas : « C’est votre manière de demander des autographes ?! » Mais le dilettante ne se démonte pas : il a acheté l’intégralité des œuvres exposées à la Russian Gallery, après tout. Mais, oui : le temps presse ; en d’autres circonstances, il aurait été ravi de s’entretenir de peinture, mais le fait est que la disparition de Clarisse Whitman passe en priorité. Après, cependant… Il réitère donc son offre : que Colbert lâche les photos et le suive à Nob Hill, tout le monde y gagnera. L’artiste, qui panique à l’idée de l’arrivée de la police, accepte enfin de jouer le jeu.

[I-11 : Eunice Bessler, Gordon Gore : Jonathan Colbert] Jonathan Colbert se rend dans la chambre où ne se trouve pas Eunice Bessler, et Gordon Gore le suit : la chambre est sale, mais beaucoup moins que le reste de l’appartement ; c’est visiblement la chambre de Colbert, car s’y trouve une dizaine de tableaux – la plupart représentant un vieil Indien, comme celui de la Russian Gallery.
Un autre tableau a l’air différent, mais le dilettante prend soin de ne pas le regarder de trop près… Le peintre rassemble des documents sur un bureau : des lettres, des enveloppes, un bloc-notes, des photos, des négatifs… Il met tout cela dans une grande sacoche. Puis, sur le point de quitter la pièce, il se fige et regarde en arrière – ses tableaux : « Je ne peux pas les laisser ici… » Gordon l’assure qu’ils viendront les chercher plus tard.

[I-12 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju : Jonathan Colbert, Andy McKenzie] Gordon Gore et Jonathan Colbert retournent dans le salon : il faut partir ! Zeng Ju, même embarrassé par Andy McKenzie, aimerait fouiller davantage… mais la sirène de la police se fait entendre ! Gordon décide d’y aller au bluff – il quitte l’appartement accompagné du peintre, qui le laisse prendre la sacoche. Eunice Bessler les suit. Zeng Ju dit à McKenzie de les suivre aussi – mieux vaut ne pas avoir affaire à la police, dans son cas ! Mais l’escroc est du genre à se débattre et à faire le mariole par principe… Le domestique le repousse d’un violent coup de pied et ne s’en embarrasse pas davantage, il rejoint les autres au deuxième étage… et, finalement, l’escroc les suit maintenant de son plein gré ! Gordon, Eunice et Zeng Ju se débarrassent de leurs armes en les cachant dans des plantes en pot miteuses du couloir (le domestique remarque que McKenzie a aussitôt tendu la main pour s’emparer d’un des flingues, mais s’est vite interrompu dans son geste, en le regardant…), et font mine de descendre, espérant encore pouvoir sortir de l’immeuble sans plus de difficultés…

[I-13 : Gordon Gore, Eunice Bessler : Andy McKenzie, Jonathan Colbert] Mais le bruit ne laisse aucun doute : les policiers sont au rez-de-chaussée. Le petit groupe s’arrête, et Gordon Gore demande à Andy McKenzie s’il ne connaît personne dans l’immeuble, à même de les dissimuler pour un temps, mais ça n’est pas le cas. Le dilettante soupire : « Changement de plan. Il va falloir tenter le bluff. On remonte à l’appartement. » Ce qui lui vaut aussitôt un sarcasme de la part de Jonathan Colbert – les gens de la Haute s’y connaissent, en bluff… Mais va falloir se décider ! « Les fascistes arrivent ! » Colbert et McKenzie, le premier furieux, le second perplexe, obtempèrent néanmoins. Tous retournent à l’appartement, et s’installent comme ils peuvent, qui sur une chaise fragile, qui sur un fauteuil défoncé avec des ressorts qui sortent aux endroits les plus inconfortables… Eunice Bessler jette à nouveau un œil au salon – et remarque que, dans ce désordre effarant, les éléments compromettants ne manquent pas, dont des bouteilles d’alcool, vides pour la plupart, ainsi que des pipes et des sachets d’opium entamés ; McKenzie s’en rend compte exactement au même moment, et, livide, se précipite dans sa chambre : « Oh putain, l’opium, putain, merde… » À en juger par les sons qui en émanent, l’escroc ne se montre pas des plus doué pour dissimuler tout cela… Eunice remarque aussi une chose : la cheminée a tout récemment servi – on est pourtant encore en été.

[I-14 : Gordon Gore, Eunice Bessler : Jonathan Colbert] Gordon Gore explique à Jonathan Colbert comment il pense procéder – un demi-mensonge seulement, car il s’agirait de parler d’une visite d’un amateur d’art fortuné à un jeune peintre talentueux, et c’est effectivement une chose dont il compte s’entretenir avec lui. Colbert, méprisant, lui fait la remarque que ça n’explique pas vraiment les coups de feu qui ont attiré les flics… « Ils venaient d’ailleurs, on ne sait pas où ; et on remerciera les policiers pour leur diligence, c’était tout de même fort inquiétant. » Colbert n’y croit pas deux secondes : d’autres personnes habitent dans cet immeuble, qui diront que les coups de feu venaient bien d’ici (Eunice Bessler se demande au passage s’il ne faudrait pas trouver et dissimuler les impacts de balles, mais, dans cette saleté…). Et le peintre n’a aucune envie de se rendre au poste ! « Leur parole contre la nôtre », répond Gordon sur un ton très calme. « Ouais… Les industriels et les fascistes qui négocient… »

[I-15 : Zeng Ju, Eunice Bessler : Jonathan Colbert] Le temps manque, les policiers arrivent sur le palier. Rapidement, Zeng Ju avance qu’ils pourraient justifier les coups de feu par l’apparition d’un rat dans l’appartement : « Mlle Bessler aurait paniqué, et… » Jonathan Colbert explose de rire : « Y a un cadavre de rat juste derrière ce fauteuil ! On venait de le trouver quand vous êtes arrivés… Vous avez du cul, en fait ! » C’était même une des raisons de la dispute entre les deux colocataires [le scénario précise bel et bien qu'il y a un cadavre de rat derrière le fauteuil...]. Problème : ils n’ont plus leurs armes… Elle s’en est débarrassée par la fenêtre après coup ? « Bon sang, c’est ridicule… Ils ne goberont jamais un truc pareil… Ils ne sont quand même pas idiots à ce point… »

[I-16 : Eunice Bessler, Zeng Ju, Gordon Gore] Les policiers frappent à la porte de l’appartement, même dégondée : « Police ! Ouvrez ! » Eunice Bessler joue la panique : « Ne tirez pas, Messieurs, je vous en prie ! Je viens vous ouvrir ! » Deux agents se trouvent devant la porte, dont l’un braque par réflexe la comédienne… mais se sent vite idiot et baisse son arme : « Qu’est-ce qui s’est passé, ici ? On nous a signalé des coups de feu en provenance de cet étage… » Eunice, toujours les mains en l’air : « C’est un terrible malentendu, vous n’allez pas en croire vos oreilles… » Mais Zeng Ju prend son relais, volubile, jouant la comédie en s’adressant à Gordon Gore : « Vous voyez bien, Monsieur, je vous avais dit qu’il ne fallait pas confier une arme à Mademoiselle ! » Les policiers éberlués n’ont pas le temps d’intervenir que Eunice, dans son rôle, glisse : « Il y avait un rat, voyez-vous… » Mais un agent l’interrompt : combien de personnes y a-t-il dans cet appartement ? « Montrez-vous, tous ! Dans le couloir ! » Gordon obéit, faisant celui qui trouve la réaction de la police disproportionnée : « Ce n’était qu’un rat, après tout… Si on avait su… » Les policiers n’en reviennent pas : « Vous prétendez avoir tiré… sur un rat ?! » La prestation de Eunice les avait déjà désarmés – aussi improbable soit cet alibi, ils semblent presque disposés à croire que la comédienne aurait pu faire quelque chose d’aussi stupide ! Gordon indique d’ailleurs le cadavre du rat aux policiers : « Vous voyez bien… » Mais Zeng Ju ajoute de lui-même que, Mlle Bessler ayant raté sa cible, il a dû achever la sale bête d’un coup de savate…

[I-17 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju : Jonathan Colbert, Andy McKenzie] Mais que faisaient-ils ici, de toute façon ? Gordon Gore joue sa carte : indiquant Jonathan Colbert, il explique que c’est un jeune peintre talentueux (« Voyez les tableaux dans cette chambre… »), et qu’il lui a rendu visite avec ses amis afin de lui offrir de devenir son mécène. « Voyez-vous, j’avais beaucoup aimé l’exposition de ce jeune homme à la Russian Gallery ; c’est que je suis un amateur d’art… Je m’appelle Gordon Gore, peut-être avez-vous entendu parler de moi ? » Pas du tout… ou presque : le nom a fait tiquer un des deux agents, qui digère visiblement l’information, mais s’en tient là pour l’heure. Les policiers exigent qu’ils sortent tous sur le palier – au passage, Jonathan Colbert explique qu'il y a quelqu'un d'autre dans l'appartement, son colocataire, qui reste planqué dans sa chambre : « Un problème avec les uniformes... » Un des deux policiers s’y rend aussitôt : « Pas un geste ! » Les investigateurs entendent un bruit de fenêtre que l'on ouvre avec peine, bientôt suivi par la voix d’Andy McKenzie : « OK, OK, on se fâche pas… » Le policier ramène l’escroc sur le palier avec les autres. Puis il retourne dans l’appartement, y jeter un œil : « Bon sang, qu’est-ce que ça pue, ici… Eh, mais… Oui, il y a bien un rat mort ! Ça vous arrive, de faire le ménage ? » Puis il ressort sur le palier : « Bon, va falloir vous expliquer… Le mécénat, le rat... Où est l’arme ? Donnez-moi l’arme ! » Eunice Bessler, penaude, explique qu’elle l’a jetée par la fenêtre… « Tirer sur un rat, jeter l’arme ? Mais… » Zeng Ju intervient à nouveau : « C’est ce que je me tue à dire à M. Gore ! Il ne faut pas lui donner d’arme ! Elle ne sait pas tirer, et elle est beaucoup trop nerveuse ! À vrai dire, elle n’a pas toute sa tête… » Le policier ébahi demande de quelle arme il s’agissait – un Derringer, avoue Eunice… Mais c’est une arme à un coup, on a signalé deux coups de feu ? Ah non, elle n’a tiré qu’une seule fois ! Et le domestique : « C’était bien suffisant ! » Le policier qui les interroge, à son grand étonnement, semble trouver leur histoire, aussi improbable soit-elle… crédible.

[I-18 : Gordon Gore] L’autre policier, qui était resté en retrait, est beaucoup plus décontracté que son collègue. Il s’adosse à un mur, arborant un léger sourire : « Bon, j’imagine que ça va se régler comme d’habitude… » Oui, il sait très bien qui est Gordon Gore – et que son compte en banque est bien approvisionné. Le dilettante, sans la moindre pudeur, attrape aussitôt son portefeuille et en sort une liasse de billets. « Nous nous comprenons bien. » Mais la somme de 20 $ paraît bien trop limitée à l’agent : « Vous souhaitez faire un tour au commissariat, M. Gore ? Vous êtes presque un habitué de la maison, après ce qui s’est passé au Petit Prince… » Gordon rajoute 20 $. « OK. Et maintenant : qu’est-ce que c’était le truc intéressant sur lequel on risquait de tomber dans cet appartement ? » Mais rien – ces jeunes gens ont sans doute une vie un peu dissolue, mais rien que de très anecdotique…

[I-19 : Gordon Gore : Andy McKenzie ; « Robert Larks »] Le policier sourit toujours – et se tourne vers Andy McKenzie, qu’il connaît, visiblement : « Bon, McKenzie, qu’est-ce que t’as foutu, encore ? » L’escroc balbutie… Le policier exige de palper chacun des individus présents, à la recherche d’une arme, mais ne trouve rien – à part un petit couteau minable que l’escroc gardait dans sa chaussette… Puis il s’adresse à tous – mais d’abord à Gordon Gore : « Alors, comment on va régler ça… L’aspect financier, c’est fait… Troubles de voisinage : on est dans le Tenderloin… Écoutez : je vais noter les noms des personnes ici présentes, et garder ça pour moi, comme une garantie, disons – si jamais vous faisiez une bêtise de plus, du genre qu’on ne pardonnera pas gentiment… » Tous donnent leur vrai nom – sauf McKenzie, qui répond : « Robert Larks ! » Le flic notant les noms le regarde d’un air totalement navré en émettant un profond soupir… L’interrogateur reprend : « Bon, ça, c’est fait… Évidemment, vous n’avez pas d’armes sur vous – il aurait été très fâcheux que vous soyez armés, après les événements du Petit Prince. Il y a certes le Derringer de Mlle Bessler, qui a malencontreusement disparu dans une ruelle – il a sans doute fini à la poubelle, ou dans la poche d’un clochard de passage, on finira bien par le retrouver… Comme on trouvera peut-être des choses dans cet immeuble, dans les pots de fleurs par exemple… Bon, ça, à terme, et ça ne vous concernera plus, n’est-ce pas ? Allez… Ça devrait le faire. » Il s’interrompt un moment, puis, toujours à Gordon Gore : « Vous avez besoin de McKenzie ?
— Pas plus que ça, non…
— C’est qu’il faudrait que je ramène quelqu’un, et il m’a l’air tout désigné pour ça. McKenzie, tu nous suis. » Ce n’est clairement pas une question.

[I-20 : Gordon Gore : Jonathan Colbert] Le policier ajoute qu’il ne veut plus les voir dans le coin, tous autant qu’ils sont, et notamment dans cet appartement – que la police va s’empresser de fouiller de toute façon, et vite, pas question qu’ils y soustraient quoi que ce soit. Mais Gordon Gore revient sur la question des tableaux de Jonathan Colbert : il aimerait vraiment les emporter... Le policier, sceptique, semble retenir un sarcasme, mais demande à voir de quoi il s’agit – en compagnie du dilettante, ainsi que du peintre. Tous trois se rendent dans la chambre de Colbert – la partie la moins sale de l’appartement. On y trouve une bonne dizaine de tableaux, donc, et la plupart, très ressemblants, représentent le même vieil Indien – le policier n’y réagit pas vraiment, même si cette répétition l’interloque visiblement : un truc d'artiste, faut croire... Gordon, cependant, continue de louer le talent de Colbert auprès de l’agent, qui n’y comprend goutte – le peintre, quant à lui, semble repenser à quelque chose, et prend dans la commode quelques lettres, sans que le policier ne proteste. Ce dernier, alors, s’est avancé vers le dernier tableau, visiblement différent des autres – et c’est comme s’il se perdait dans la contemplation de la toile. Gordon se doute de ce qui se produit, et, en prenant garde de ne pas laisser errer ses yeux, s’interpose entre le policier et l’œuvre pour le sortir de sa transe. « Vous avez vu ce que vous vouliez voir ? » Le policier reste muet pendant cinq ou six secondes, puis secoue la tête : « Oui ? M. Gore ? Pardon, vous disiez ? » Le dilettante se sent attiré par le tableau, mais dispose de la force de caractère pour ne pas le contempler. Il pose la main sur l’épaule du policier, et ils rejoignent les autres sur le palier.

[I-21 : Andy McKenzie, Jonathan Colbert] Le policier reprend : « Alors, McKenzie... Troubles de voisinage, tapage nocturne… Contrebande et consommation d’alcool, contrebande et consommation d’opium… Sans doute d’autres choses, on y rejettera un œil plus tard. Le petit Andy va refaire un tour à San Quentin, faut croire [une prison d’État, sur une île de la baie]. » Il pousse l’escroc dans la cage d’escalier, tandis que son collègue, d’un signe de la tête, signifie aux investigateurs et à Jonathan Colbert qu’il leur faut déguerpir, sans un mot de plus, et qu’ils ne doivent pas revenir ici (il garde un œil sur eux pour s’assurer qu’ils ne restent pas en arrière…).

[I-22 : Zeng Ju : Gordon Gore] Ils rentrent au manoir Gore en taxi – sauf Zeng Ju, qui ramène quant à lui la voiture de Gordon Gore… mais il ne se sent clairement pas à l’aise : ses perceptions sont vraiment affectées par la Noire Démence, sa conduite devient dangereuse… Il échappe à l’accident, mais c’est tout de même de pire en pire…
II : JEUDI 5 SEPTEMBRE 1929, 20H – CABINET DE VERONICA SUTTON, 57 HYDE STREET, FISHERMAN’S WHARF, SAN FRANCISCO

[II-1 : Veronica Sutton : Lucy Farnsworth, Arnold Farnsworth, Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju, Jonathan Colbert, Trevor Pierce] Veronica Sutton, pendant ce temps, travaille à son cabinet à la bordure de Fisherman’s Wharf, compulsant les notes qu’elle a prises, notamment au Napa State Hospital et à l’Université de Californie à Berkeley. Tandis que la soirée avance, elle réalise qu’il lui faut faire quelque chose à tout prix, qui lui était complètement sorti de la tête : il est impératif de rapatrier Lucy Farnsworth à San Francisco, voire dans le Tenderloin ! Les éléments qu’elle a rassemblés ne laissent pas de place au doute : si la jeune femme atteinte de la Noire Démence demeure au Napa State Hospital, elle ne va guère tarder à mourir en raison de sa sous-alimentation… Il lui faudrait contacter Arnold Farnsworth, mais le meilleur moyen pour cela serait de passer par Gordon Gore… Elle appelle au manoir Gore vers 21h – à cette heure-là, Gordon, Eunice Bessler et Zeng Ju sont rentrés du Tenderloin, avec Jonathan Colbert. Elle leur explique donc la situation – mais, tant qu’à faire, mieux vaut pour elle les rejoindre sur place (Trevor Pierce, qui ne se sentait pas très bien et n’a guère progressé loin des autres, fait de même).
III : JEUDI 5 SEPTEMBRE 1929, 22H – MANOIR GORE, 109 CLAY STREET, NOB HILL, SAN FRANCISCO

[III-1 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Zeng Ju : Jonathan Colbert, Veronica Sutton] Au manoir Gore, Jonathan Colbert maugrée mais sans faire autrement de difficultés. Il n’épargne pas Gordon Gore de ses sarcasmes : « Nob Hill, hein… C’est là qu’habite mon père. Mais vous êtes beaucoup plus friqué. Un de ces industriels, hein… » Plutôt un héritier. Mais le dilettante y insiste : le jeune homme va devoir collaborer avec eux – il serait fâcheux qu’il retombe entre les mains de la police… « Me prenez pas pour un con : vous êtes pas dans les meilleurs termes avec les flics, vous non plus. » C’est vrai – mais il a de l’argent. Pas le peintre – et il renouvelle son offre de mécénat, en interrogeant Colbert sur ce « nouveau style » qu’il a développé, très différent de ses œuvres les plus académiques, mais tout autant de ses portraits de prostituées. Le peintre réclame de l’opium pour en parler – mais Gordon ne lui en accordera qu’ensuite : « D’abord, discuter – notamment avec Mme Sutton, quand elle nous aura rejoints. » Mais Colbert en a aussi après Eunice Bessler : « Mignonne, la petite… Je pourrais la peindre… » Elle éclate aussitôt : « Hors de question ! Après ce qui est arrivé aux autres… Vous ne toucherez pas un pinceau en ma présence ! » Zeng Ju, par ailleurs, ne se tient jamais bien loin, visiblement aux aguets…

[III-2 : Gordon Gore : Jonathan Colbert ; Clarisse Whitman, Andy McKenzie, Bridget Reece, Lucy Farnsworth] Mais Gordon Gore revient à ce qui le préoccupe vraiment : le sort de Clarisse Whitman, dont Jonathan Colbert n’a toujours pas dit quoi que ce soit. Le peintre répond qu'il se souvient à peine d’elle – et prétend devoir faire un effort pour la distinguer des « autres ». Oui, il l’a vue pour la dernière fois… Il y a trois ou quatre jours. Au Petit Prince – là où ils ont foutu le bordel… et grillé son gagne-pain. Il n’a plus la moindre ressource, maintenant… Mais pour revenir à Clarisse ? « Une dinde, comme il y en a plein… La pauvre petite fille riche… D’un ennui mortel. Une voleuse, aussi… Qu’un pauvre type dans la rue vole pour survivre, ça ne me fait rien, mais une bourgeoise comme elle… Je n’avais aucune envie de poursuivre cette relation. Ce qu’elle a fait après, c’est pas mes oignons. » Est-ce qu’elle avait des taches noires sur le corps ? Pas la dernière fois que Colbert l’a vue nue. Le chantage ? Oui – c’est pour ça qu’il s’était associé à ce crétin de McKenzie… Si M. Gore veut lire les lettres, etc., libre à lui – le peintre ne fait pas de difficultés et donne au dilettante les (nombreux) documents, incluant photographies et négatifs (dont ceux de Clarisse), qu’il avait rassemblés dans sa chambre de Geary Street. Il les passe d’abord en revue, toutefois : « Mmmh… Qui c’était, celle-là ? Ah ! Oui… Bon… Rien à foutre… Rien à foutre… Rien à foutre… » Puis il cesse : que le dilettante satisfasse ses « fantasmes de papier ». Mais ce comportement très désinvolte agace Gordon, qui ne mâche pas ses mots : il traite ces jeunes femmes comme des objets ! Comment peut-on être aussi méprisant… « Ces gamines sont des gosses de riches. Les parents de ces bourgeoises sont des oppresseurs, des exploiteurs du prolétariat, qui n’ont pas le moindre respect pour leur main-d’œuvre corvéable à merci. Bientôt, ces pauvres jeunes filles feront de même – ou, sinon elles, du moins leurs gentils maris issus de la même classe d’esclavagistes ! Alors ne me parlez pas de morale… » Gordon n’en démord pas : au moins trois de ces jeunes femmes ont été brisées en passant entre les mains de Jonathan Colbert – parfois malades, peut-être même mourantes ! Colbert trouve que le dilettante en fait « un peu trop »… mais ce n’est pourtant pas le cas. Gordon examine à la hâte les lettres – il repère quelques noms, dont, outre celui de Clarisse Whitman, ceux de Bridget Reece et de Lucy Farnsworth… et bien d’autres jeunes femmes, semble-t-il des étudiantes à la California School of Fine Arts pour un certain nombre d’entre elles. Il s’arrête sur une lettre de Clarisse :

[III-3 : Veronica Sutton, Trevor Pierce, Gordon Gore, Zeng Ju : Jonathan Colbert ; Andy McKenzie, Harold Colbert] Veronica Sutton est arrivée durant la conversation (ainsi que Trevor Pierce, d’ailleurs), et prend maintenant le relais de Gordon Gore pour interroger Jonathan Colbert. Ses coucheries ne les intéressent en rien – ses opinions pas davantage. Ses centres d’intérêt, en même temps… Il s’est récemment pris de passion pour les Indiens ? Leurs rites ? Ils le fascinent, à en croire ses œuvres les plus récentes ? « Ce n’est pas qu’ils me fascinent, Madame, c’est qu’ils me font peur. Ces tableaux… La vieille peau vous en a peut-être montré un autre à la Russian Gallery. Mon cauchemar I, Mon Cauchemar II, Mon Cauchemar III… De la terreur pure et simple. Tout droit jaillie de mes rêves. » Gordon lève les yeux des lettres : « Vous peignez ces tableaux en toute conscience ? Ou dans un état second ? Ils font un drôle d’effet... » Le peintre explique qu’il dormait à moitié quand il a réalisé ces portraits – et qu’il rêvait encore : il avait le vieil Indien devant les yeux tout du long ! Et tout qui bougeait autour de lui… « Le vieux chaman… Le dernier de sa race… » Mais les chamans du grizzli ont disparu depuis très longtemps, remarque Trevor (que Zeng Ju regarde d’un air étonné, inclinant la tête, fronçant les sourcils… ce qui n’échappe pas à Gordon). Colbert répond : « Pas dans mes rêves. Pas celui-là. Je ne sais pas pourquoi il s’en est pris à moi… » Le ton de Veronica s’adoucit : il faut qu’il leur parle – qu’il reprenne tout depuis le début. Car il y avait bien un début ? Le peintre n’en sait rien : un jour, le vieil Indien était là, et il devait le peindre. Trevor lui demande si c'est l’Indien qui lui a dit de voler le livre de son père sur les Costanoans ? Non : Jonathan Colbert l’a… « emprunté » de sa propre initiative, en quête de réponses. Qu’il n’a pas trouvées, de toute façon… « J’ai à peine eu le temps d’y jeter un œil. Un soir, ce crétin de McKenzie, complètement défoncé, a trouvé qu’il faisait "un peu trop froid", et a fait du feu avec les pages de ce livre ! Bon sang, quand je pense que j’ai dû m’acoquiner avec un imbécile pareil… » Gordon suppose qu’on a les amis qu’on mérite… et qu’il devrait s’entretenir de ses cauchemars avec son père : après tout, c’est bien le Pr Harold Colbert le spécialiste. « Pas de ces choses-là, et j’ai pas envie d’avoir affaire au vieux. »

[III-4 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Trevor Pierce : Jonathan Colbert ; Lucy Farnsworth, Clarisse Whitman] Quoi qu’il en soit, Jonathan Colbert est… « l’invité » de Gordon Gore, souffle Eunice Bessler, tant qu’on n’aura pas retrouvé ces jeunes filles qu’il a soustraites à leurs parents. « "Soustraites" ? Le portrait que vous faites de moi… Je ne les ai pas enlevées. Je ne les ai pas séquestrées – je ne suis pas comme vous ! Elles sont venues de leur plein gré. On a eu du bon temps ensemble – vraiment bon, pour elles comme pour moi. Après, eh bien, on se lasse… C’est la vie… C’est un comportement certainement pas illégal, et même pas immoral, sauf pour les pires pères-la-pudeur ! Vous, vous me faites la morale, dans votre manoir dégoulinant d’un fric dont vous avez hérité, sans jamais rien faire pour le gagner… Vous êtres très mal placé pour ça. Votre amourette avec la petite, là, c’est vraiment autre chose ? Vous allez oser le prétendre devant moi ? » Gordon ne relève pas – il revient sur Lucy Farnsworth malade… et sur Clarisse Whitman. Colbert en a assez : « JE-NE-SAIS-PAS-OÙ-ELLE-EST ! » Et les clochards ? Les taches d’ombre des malades ? Mais Colbert ne fait plus attention à Gordon. Trevor Pierce ne lui en demande pas moins si lui-même n’a pas de ces taches noires : « Non. Si c’est une maladie vénérienne ou quoi, je suis propre. Peut-être que ces filles ont fricoté avec d’autres que moi… » La lettre de Clarisse semble évoquer ces vagabonds malades, pourtant… « Une lubie à elle. On parle d’une fille qui m’écrivait des lettres depuis chez moi, là… Qu’elle laissait sur le matelas, pour me faire la surprise ! Pas très futée… » Il jette un œil à la lettre : « Ah ! Les objets qui disparaissaient… Vous voyez ? C’est ce que je vous disais : elle m’accusait de voler des objets, elle me faisait des scènes pour ça… Complètement mythomane : c’était il qui me volait des petits trucs… En permanence. Une voleuse, comme tous ceux de son espèce – juste d’une manière moins métaphorique. »

[III-5 : Gordon Gore, Eunice Bessler, Trevor Pierce : Jonathan Colbert ; Andy McKenzie, Harold Colbert] Le bonhomme est assurément désagréable, mais aux yeux des investigateurs, notamment Gordon Gore et Eunice Bessler, il a l’air parfaitement sincère – et le dilettante, d’une certaine manière, le concède. Jonathan Colbert s’en aperçoit, et poursuit sur ton plus calme, jouant son avantage : « Je ne suis pas le kidnappeur que vous imaginiez. On peut trouver que je me suis mal comporté avec ces filles, mais seulement au sens où je ne suis pas… un gentleman ; je n’en suis pas un, et je n’ai jamais prétendu l’être. Et, oui, j’ai fait des sales trucs dans cette affaire, je le reconnais : le chantage, c’était une connerie – pas mon idée, celle de McKenzie, mais je sais que ça ne m’exonère pas de ma responsabilité : je vais tâcher d’en tirer des leçons. Que je sois confronté à la justice ou pas, pour ça, ou pour l’alcool, que sais-je… L’opium – j’attends toujours ma pipe, d’ailleurs… Mais je ne suis pas un monstre, un kidnappeur, un violeur, un type qui bat les filles… Vraiment pas. » Trevor Pierce est un peu narquois : « Mais c’est vous la victime du chaman du grizzli. » Colbert ne relève pas. Gordon, par contre, l’assure que, s’il rend toutes les photos, ainsi que les négatifs, aux parents que le peintre a fait chanter, sans doute ne pousseront-ils pas les choses au-delà, par crainte du scandale, et le dilettante va faire en sorte que ça se passe comme ça ; si le peintre peut l’assurer qu’il ne recommencera pas… Colbert acquiesce sans prendre le temps d’hésiter : il sait très bien quel est son intérêt – et, à l’évidence, il n’est pas fier de son association avec McKenzie. Mais ils ont toujours besoin de la coopération du peintre – et, par ailleurs, ils lui font part de l’inquiétude de son père : non, ce n’est pas la crainte du scandale qui l’anime, lui, mais bien un amour paternel sincère ; et le Pr Harold Colbert, quoi qu’en pense Jonathan, est un homme assez intelligent et ouvert pour admettre que son fils doit devenir un artiste plutôt qu’un médecin ou un avocat.

[III-6 : Trevor Pierce : Jonathan Colbert] Mais Jonathan Colbert doit donc les aider – pas forcément de la manière qu’il supposait, c’est tout… Trevor Pierce, ainsi, lui demande si, dans ses rêves qu’il a couchés sur des toiles, il n’a jamais vu… un endroit, précis, identifiable. Le peintre hésite ; puis : « Ce n’est pas facile à expliquer… Mais ces sphères… C’est un endroit. Mais pas seulement. Vous savez… Je suis pas un spécialiste, mais c’est un peu comme ce que dit… Ce Juif, là… Non, pas Freud… Einstein, voilà. Il a écrit des trucs bizarres, sur le temps, l’espace, ou l’espace-temps… Je crois que c’est quelque chose dans de goût-là – je peux pas en jurer : moi et les équations… En même temps… Il y a des… des implications, derrière tout ça, qui peuvent fasciner un artiste… Le temps, l’espace, une seule chose… » Jonathan Colbert est lancé, et difficile à arrêter – mais il est aussi extrêmement confus. Il ne maîtrise pas son discours, mais sa fascination pour le sujet ne fait aucun doute.

[III-7 : Gordon Gore, Eunice Bessler : Jonathan Colbert] Au fur et à mesure que la conversation a perdu de son caractère inquisiteur initial, Jonathan Colbert s’est calmé et a fait preuve de davantage de bonne volonté. Gordon Gore va veiller à ce qu’il vive dans les meilleures conditions chez lui, le temps de régler l’affaire. Il pourrait en profiter pour peindre, d’ailleurs ! Suggestion qu’appuie Eunice Bessler : Gordon pourrait peut-être organiser une exposition… Colbert retrouve tout de même de sa morgue : s’il doit peindre, très bien, mais il lui faut un modèle, dit-il en tournant son regard vers la jeune comédienne… Finalement, l’idée ne déplaît pas, ni à Eunice, ni au dilettante ! Elle posera « habillée », bien sûr…

[III-8 : Veronica Sutton, Gordon Gore : Jonathan Colbert, Arnold Farnsworth ; Lucy Farnsworth] Ils laissent alors Jonathan Colbert à sa pipe d’opium. Mais Veronica Sutton explique donc son inquiétude concernant Lucy Farnsworth à Gordon Gore : elle ne doit pas rester au Napa State Hospital, il lui faut revenir à San Francisco, voire dans le Tenderloin ! Et il faudra garder un œil sur elle. Gordon fait confiance à la psychiatre, et, même s’il est un peu tard, considérant qu’il y a urgence, il téléphone de ce pas à Arnold Farnsworth – mais c’est une demande très inhabituelle, et le magnat du fret ne voit pas pourquoi il obéirait à la suggestion du dilettante ; Gordon lui passe alors Veronica, qui se montre efficace dans son rôle de caution médicale et scientifique : Arnold Farnsworth veut bien tenter l’expérience, et, dans un premier temps, va rapatrier sa fille Lucy chez lui, dans Pacific Heights – où le Dr Sutton pourra la visiter, le cas échéant.

[III-9 : Zeng Ju] Après quoi tous vont se coucher… mais Zeng Ju ne se sent vraiment pas bien : ses perceptions de son environnement sont toujours plus affectées, le monde autour de lui change, prenant des teintes grisâtres, parcouru de mouvements incompréhensibles, et ses yeux comme ses oreilles, d’autres organes sensoriels également d’une manière plus insidieuse, semblent se fixer de plus en plus sur un autre monde, aux dépends du nôtre. À ce stade, ce trouble se lit en permanence sur son visage, comme dans ses gestes, et il n’est plus en état de dissimuler son affliction – de ceci, il est parfaitement conscient…

[III-10 : Veronica Sutton, Gordon Gore : Zeng Ju, Trevor Pierce ; Lucy Farnsworth] Outre Zeng Ju, qui avait compris ce qui se passait depuis quelque temps déjà, Veronica Sutton et Gordon Gore plus encore ont également constaté que Trevor Pierce aussi présentait des bizarreries comportementales assez semblables à celles qu’ils avaient constaté chez le domestique : le journaliste n’en est peut-être pas tout à fait au même stade de l’infection, mais il est très clairement lui aussi victime de la Noire Démence… Gordon et Veronica en discutent ; ils ne savent pas quoi faire… mais la psychiatre est certaine d’une chose : il ne faut surtout pas les confier à une institution médicale, qui s’empresserait de les adresser au Napa State Hospital, où ils se trouveraient dans la même situation que Lucy Farnsworth. Les perspectives ne sont guère optimistes, mais, pour la psychiatre, le seul moyen de les sauver (peut-être…) serait d’avancer au plus vite dans leur enquête… Gordon acquiesce – et il faudra aussi les garder à l’œil, et veiller à ne pas les laisser conduire, ou prendre des initiatives avec des armes… Ils en parleront tous ensemble ultérieurement.
IV : VENDREDI 6 SEPTEMBRE 1929, 8H – MANOIR GORE, 109 CLAY STREET, NOB HILL, SAN FRANCISCO

[IV-1 : Gordon Gore : Daniel Fairbanks ; Clarisse Whitman, Lucy Farnsworth, Bridget Reece] Le matin suivant, Gordon Gore prépare son rapport téléphonique quotidien à Daniel Fairbanks. Cette fois, il a vraiment beaucoup de choses à lui apporter – les photographies de Clarisse Whitman et leurs négatifs, ainsi que des lettres (il y a aussi beaucoup de photos d’autres modèles – Gordon met de côté tout ce qui concerne Lucy Farnsworth et Bridget Reece, mais il y en a bien d’autres, et, bien sûr, rien de tout cela ne sera donné à Fairbanks). En passant davantage de temps sur les lettres écrites par les jeunes filles séduites par Jonathan Colbert, il constate par ailleurs que Clarisse n’était pas la seule à faire référence à des disparitions d’objets – trois autres jeunes filles font de même, chaque fois pour des petites choses très anecdotiques : une boucle d’oreille, un soutien-gorge, etc.

[IV-2 : Gordon Gore : Daniel Fairbanks ; Clarisse Whitman, Bridget Reece] Gordon Gore, à 9h, appelle Daniel Fairbanks. Il n’y va pas par quatre chemins : « Je n’ai pas encore retrouvé Clarisse, mais j’ai les photos et les négatifs. » Tout ? « Tout. » D’autres éléments qui pourraient être compromettants ? Rien qui le concerne – mais des photos et négatifs concernant d’autres jeunes filles, qu’il donnera à leurs parents, sans bien sûr mentionner devant eux le nom de Clarisse Whitman, pas plus qu’il ne donnera ici à Fairbanks les noms de ces autres victimes. Il a appris que Clarisse avait été vue il y a trois ou quatre jours de cela au Petit Prince – le restaurant où ils ont fait un esclandre : à bon droit, car elle s’y trouvait sans doute. [C’est faux – c’était bien sûr Bridget Reece qui s’y trouvait à ce moment-là.] Ils se rapprochent donc du but de leur enquête – enfin, si cela intéresse vraiment Fairbanks de retrouver la jeune fille ? « Bien sûr, M. Gore. Je vous prierai de passer dans la matinée au siège de l’American Union Bank pour me remettre les photographies et les négatifs. Je vous y attends. »

[IV-3 : Gordon Gore, Zeng Ju : Lucy Farnsworth, Bridget Reece] C’est de toute façon ce que comptait faire Gordon Gore – qui en profitera pour faire la tournée des familles impliquées qui lui sont connues (dont les Farnsworth et les Reece – certains noms ne lui disent absolument rien). Zeng Ju l’accompagnera.

[IV-4 : Veronica Sutton, Zeng Ju : Trevor Pierce ; Harold Colbert] Toutefois, avant que Veronica Sutton et Trevor Pierce ne se rendent à l’Embarcadero pour y retrouver Harold Colbert, Zeng Ju va s’entretenir en privé avec la psychiatre. Il lui confesse que son état s’aggrave – ses sens lui font défaut, le monde change autour de lui… Il ajoute que « M. Trevor », à la différence de tous les autres, lui apparaît très distinctement, sans le moindre parasitage, aussi suppose-t-il qu'il est également malade. Il s’en remet à la femme de science – lui ne sait plus quoi faire… et n’ose même pas prononcer le nom de Noire Démence. Pourtant, il ne cache pas à Veronica que des taches noires sont apparues un peu partout sur son corps – même si pas encore sur le visage ou tout autre endroit qui serait visible. La psychiatre ne se montre guère optimiste : tout indique que le domestique rejoindra bientôt les victimes de la Noire Démence errant dans le Tenderloin… Mais ils ne baisseront pas les bras : il y a forcément une solution ! La psychiatre a foi en la science. Il faudra par contre que Zeng Ju lui rapporte tout ce qu’il verra de cet « autre monde » : toute information est pertinente. Par ailleurs, elle s’entretiendra également avec Trevor. Zeng Ju acquiesce – sans cacher qu’il lui est difficile de parler de tout ceci en public : il se sentira plus libre si Mme Sutton veut bien faire office d’interlocutrice privilégiée.

[IV-5 : Zeng Ju, Veronica Sutton : Ling] D’ailleurs, à vrai dire… Il y a autre chose : si sa situation devait empirer, Zeng Ju souhaite que Mme Sutton, en qui il a toute confiance et qu’il admire, devienne pour sa fille, Ling, qui vit à Chinatown, comme une marraine… « Ling est une jeune fille intelligente et gentille ; elle a été bien éduquée, Madame. » Veronica est surprise par cette demande, et ne sait d’abord trop comment réagir – d’autant qu’elle ne connait guère Zeng Ju… et qu’elle n’a jamais eu l’âme d’une mère. Mais elle se dit enfin très touchée, flattée également, par la confiance du domestique, et fera tout son possible pour venir en aide à la jeune fille, si cela devait s’avérer nécessaire.

[IV-6 : Veronica Sutton, Gordon Gore : Zeng Ju, Trevor Pierce, Jonathan Colbert] Veronica Sutton ne tarde guère à expliquer l’état de Zeng Ju (sans mentionner sa requête) à Gordon Gore, qui devra garder un œil sur lui – quant à elle, elle fera de même avec Trevor Pierce. Gordon n’est guère surpris – mais une chose l’étonne : Jonathan Colbert ne semble pas du tout infecté, lui… Il semble bien y avoir un lien, pourtant, avec ses cauchemars… C’est comme s’il voyageait lui aussi entre les mondes, mais seulement dans son sommeil… Il faudrait peut-être qu’il les accompagne, dorénavant, ce serait peut-être un atout…

[IV-7 : Eunice Bessler, Gordon Gore, Zeng Ju : Jonathan Colbert] Pour le moment, la loyauté de Jonathan Colbert demeure cependant des plus douteuse… Quelqu’un doit rester avec lui. Eunice Bessler avait d’abord songé accompagner Gordon Gore et Zeng Ju, mais il vaut mieux qu’elle demeure au manoir Gore – et si Colbert devait faire son portrait, eh bien…
V : VENDREDI 6 SEPTEMBRE 1929, 10H – SAN FRANCISCO FERRY BUILDING, EMBARCADERO, SAN FRANCISCO

[V-1 : Veronica Sutton, Trevor Pierce, Gordon Gore, Zeng Ju] Veronica Sutton et Trevor Pierce doivent alors se rendre à l’Embarcadero, pour y retrouver le Pr Harold Colbert et se rendre avec lui à la Collection Zebulon Pharr. Mais le Ferry Building ne se trouve pas très loin du siège de l’American Union Bank, dans Financial District, aussi font-ils un bout de chemin avec Gordon Gore et Zeng Ju. En route, le dilettante discute discrètement avec Trevor : son état ne leur a pas échappé – comme celui de Zeng Ju. Le journaliste balaie cette inquiétude : « Un peu de migraine, rien de plus… » Mais Gordon n’y croit pas un instant : « Je crois – nous croyons – que vous êtes atteint par la Noire Démence ; le dissimuler ne servira à rien. » Il faut que Trevor fasse attention à certaines actions – mieux vaut qu’il ne conduise pas, par exemple –, et il faut aussi leur rapporter ce qu’il voit, ce qu’il entend, etc. : cela pourrait s’avérer d’une importance cruciale. Le journaliste continue pourtant de traiter le sujet à la blague…

[V-2 : Veronica Sutton, Trevor Pierce : Harold Colbert] Puis les deux binômes se séparent, et Veronica Sutton et Trevor Pierce poursuivent en direction de l’Embarcadero. Le Pr Harold Colbert, très ponctuel, les y attend – l’air grave, vêtu d’un grand imperméable. Il voit arriver ses deux compagnons de route : « Vous êtes prêts ? » Oui. Très bien : ils doivent donc en savoir un peu plus sur leur destination… Ils vont prendre le ferry pour longer San Francisco par le nord-est, puis traverser le Golden Gate, immédiatement au nord de la ville, après quoi ils prendront le train, qui les fera passer dans la forêt de Muir Woods et sur les pentes du Mont Tamalpais, le point culminant de la région, avec ses 785 mètres d’altitude. C’est un peu paradoxal, mais, oui, la très secrète Collection Zebulon Pharr se situe dans cette zone très fréquentée, où une voie ferrée a été construite, pour permettre aussi bien aux touristes qu’aux San-franciscains désireux d’un peu de calme de faire de jolies randonnées dans la nature…
VI : VENDREDI 6 SEPTEMBRE 1929, 11H – TRAIN DE MUIR WOODS ET DU MONT TAMALPAIS

[VI-1 : Veronica Sutton, Trevor Pierce : Harold Colbert ; Jonathan Colbert, Gordon Gore] La traversée en ferry, qui prend un peu moins d’une heure, est pour le moins maussade, avec un Pr Harold Colbert passablement renfermé… L’ambiance est lourde, et Veronica Sutton pas plus que Trevor Pierce n’osent briser la glace… Pourtant, ils ont un sujet de discussion tout trouvé : Jonathan Colbert ! De brefs apartés convainquent les investigateurs qu’il leur faut en parler, ils ne peuvent garder pareille chose secrète (et si le Pr Harold Colbert apprenait par la suite qu’ils avaient trouvé son fils mais n’en avaient pas fait état, cela pourrait vraiment compliquer les choses…). C’est Trevor qui prend l’initiative d’aborder le sujet avec le professeur, une fois installés à bord du train de Muir Woods : ils ont retrouvé son fils – il est en bonne santé, et n’a absolument rien à craindre, de la justice ou de qui que ce soit. Le professeur est stupéfait : « Vous avez trouvé Jonathan ? Où est-il ? » Trevor fait le mystérieux : « Il est… en lieu sûr. Pour le moment, nous ne… » Mais Harold Colbert furibond l’interrompt : « M. Pierce ! Je fais des sacrifices considérables en vous conduisant à la Collection Zebulon Pharr, il serait bien temps de me rendre la pareille ! Où est mon fils ? Mme Sutton ? » La psychiatre n’insiste pas : Jonathan Colbert se trouve à la résidence de M. Gore. Il s’y trouve depuis la veille au soir – pour l’heure, il ne semble pas disposé à voir son père, mais sans doute cela pourra-t-il changer dans un délai assez bref… « Je comprends que vous ayez hâte de lui parler, mais il ne faut pas le brusquer – s’il lui en prenait la fantaisie, nul ne pourrait le retenir de disparaître à nouveau dans la ville… » Le parti de l’honnêteté paye – la surprise passée, le théologien se rend aux arguments de la psychiatre.

[VI-2 : Trevor Pierce, Veronica Sutton : Harold Colbert ; Jonathan Colbert] « Mais… Ce voyage à la Collection Zebulon Pharr est donc toujours d’actualité ? Maintenant que vous avez trouvé mon fils ? » Trevor Pierce, un peu séché par la réaction de son interlocuteur, maugrée : « Oui, plutôt, oui… » Harold Colbert soupire : c’est donc qu’ils ont davantage de choses à lui apprendre… Veronica Sutton, un peu embarrassée, explique qu’il y a bel et bien un lien entre Jonathan Colbert et les éléments « occultes » qui les intéressent – ses cauchemars ne laissent guère de doute à ce propos. Il ne semble pas avoir agi dans une intention malveillante (enfin, à cet égard…), mais il est bien lié à tout cela, oui. Trevor ajoute qu’il est visiblement dépassé par les événements, et qu’un peu de repos en lieu sûr ne lui fera pas de mal… Harold Colbert demeure grognon, mais suppose qu’il devra se contenter de ça pour l’heure.

[VI-3 : Veronica Sutton, Trevor Pierce : Harold Colbert, Randolph Coutts] La discussion s’arrête là. Le décor a beau être splendide, l’ambiance est pesante. Puis le train s’arrête à une petite gare sur les flancs du Mont Tamalpais, et Harold Colbert fait signe à Veronica Sutton et Trevor Pierce de descendre : ils sont attendus ici par Randolph Coutts, de Coutts & Winthrop, qui les conduira en voiture à la Collection Zebulon Pharr… Coutts est un avocat presque caricatural, dans sa mise et ses manières – on le devine très bourgeois, très conservateur ; cependant, il est tout sauf bavard, et le trajet, le long de petites routes de montagne, est à nouveau très maussade…
VII : VENDREDI 6 SEPTEMBRE 1929, 12H – COLLECTION ZEBULON PHARR, MOUNT TAMALPAIS AND MUIR WOODS

[VII-1 : Veronica Sutton, Trevor Pierce : Randolph Coutts, Harold Colbert] La voiture arrive enfin à destination – une très charmante et riche demeure de style hispanique : tout sauf l’endroit où l’on penserait chercher quelque chose d’aussi exceptionnel et secret que la Collection Zebulon Pharr… Randolph Coutts invite ses passagers à descendre, et Harold Colbert prend les devants – il est à vrai dire le seul à qui l’avocat se soit adressé : concernant Veronica Sutton et Trevor Pierce, il semble se contenter du fait… qu’ils sont deux, ainsi que convenu avec le professeur. Il n'y a même pas eu de présentations.

[VII-2 : Veronica Sutton, Trevor Pierce : Randolph Coutts, Harold Colbert] Randolph Coutts a sorti un énorme trousseau de clefs : pénétrer dans la villa n’est guère un souci, à vue de nez, mais, à l’intérieur, le petit groupe doit passer par de nombreuses portes, solides, qui deviennent au fur et à mesure de véritables sas, visiblement très sécurisés – le contraste est flagrant entre la demeure très aérée et lumineuse, vue de l’extérieur, et ce qu’elle contient effectivement : c’est une vraie forteresse, à ce stade… au sein de laquelle Coutts procède sans un mot, se repérant sans la moindre difficulté dans son volumineux trousseau – puis dans un autre au moins aussi volumineux, qu’il sort une fois arrivé au premier sous-sol ! Contournant méthodiquement tout un dispositif très pointu de mesures de sécurité, ils gagnent enfin le troisième sous-sol – où se trouve la Collection Zebulon Pharr à proprement parler. On y trouve de nombreuses bibliothèques, très remplies, et dont le contenu est à l’évidence d’une valeur exceptionnelle, avec d’antiques codex, des rouleaux, etc., mais aussi une belle variété d’incunables – sans même compter les artefacts non livresques (dont des sculptures, des tableaux, des instruments de musique, des armes, etc.), également nombreux et presque intimidants tant ils respirent l’ancienneté, la rareté et la singularité. Tout cela est étrangement organisé : au premier abord, on pourrait trouver cela anarchique, mais le classement est en fait pertinent et très méticuleux. On y trouve enfin des espaces de travail savamment agencés – tables, bureaux, pupitres… Il n’y a bien sûr personne en dehors de Veronica Sutton, de Trevor Pierce, de Harold Colbert et de Randolph Coutts – et le silence a quelque chose d’oppressant. L’avocat s’était visiblement déjà entretenu avec le professeur, car, sans un mot, il conduit le petit groupe dans un espace un peu séparé du reste – ce qui implique d’abord de passer par un couloir assez long, offrant l’accès à une chambre forte dont la porte blindée est très impressionnante ; ils ne s’y arrêtent pas, cependant, et poursuivent jusqu’à une autre pièce au bout du couloir, très sécurisée elle aussi même si pas de manière aussi flagrante, et c’est le saint des saints de la Collection Zebulon Pharr, un espace de travail abritant les pièces les plus précieuses de l’ensemble (les bibliothèques sont beaucoup moins denses, mais pas moins fascinantes à ce stade ; de même pour les vitrines abritant des artefacts), tout cela surmonté d’un portrait de Zebulon Pharr lui-même.

[VII-3 : Randolph Coutts, Harold Colbert] Randolph Coutts se tient debout à côté de la porte : de toute évidence, même s’il va se faire discret et ne pas empiéter sur leur travail, il ne va pas quitter la salle tant que les visiteurs s’y trouveront. Il adresse un signe de la tête au Pr Harold Colbert : à lui de prendre le relais, qu’ils fassent ce qu’ils ont à faire. Le théologien a visiblement ses habitudes ici, et se rend de lui-même à l’endroit qui les intéresse – il n’est pas intimidé par la collection, pourtant une certaine émotion se lit quand même sur ses traits. Il conduit Veronica Sutton et Trevor Pierce à une table, avec trois chaises, et sur la table a été disposé un livre, spécialement tiré des rayonnages : le manuscrit espagnol originel des Mythes des chamans du grizzli rumsens – et, justement, au-dessus de la table, on trouve un autre portrait : celui de Pedro Maldonado lui-même.

[VII-4 : Veronica Sutton, Trevor Pierce : Harold Colbert] Harold Colbert invite Veronica Sutton et Trevor Pierce à s’installer : « Vous lisez l’espagnol ? » Pas la psychiatre – le journaliste baragouine quelques mots, suffisamment pour se débrouiller à l’oral avec ses contemporains san-franciscains, mais il doute de pouvoir s'en sortir avec un manuscrit de la fin du XVIIIe siècle… Dans ce cas, le professeur va les assister dans leurs recherches et faire office de traducteur ; mais il précise qu’il les a aussitôt conduits devant cet ouvrage précisément parce qu’ils avaient eu l’occasion d’en discuter : à l’évidence, la collection regorge de sources très diverses – s’ils ont d’autres sujets de recherche, qu’ils lui en parlent, et il fera en sorte de les guider dans les trésors de la Collection Zebulon Pharr. Mais, déjà, des pistes sur cet ouvrage en particulier ? Oui : Veronica veut en apprendre davantage sur « l’Esprit de la Colline » et les « Fantômes Qui Marchent » ; Trevor a du mal à formuler sa requête, mais il souhaiterait en apprendre davantage sur « un… un lieu, atemporel… une dimension parallèle, peut-être », en lien avec les chamans du grizzli… Le théologien parcourt avec les investigateurs les pages de Mythes des chamans du grizzli rumsens, en leur traduisant à la volée certains passages – par exemple celui-ci, dans le chapitre 18 :

[VII-5 : Veronica Sutton, Trevor Pierce : Harold Colbert ; Charles Smith, Jonathan Colbert] Le Pr Harold Colbert laisse à Veronica Sutton et Trevor Pierce le temps de digérer les informations, mais ne retient pas quelques marmonnements indistincts de temps à autre ; la psychiatre a remarqué qu’il a tiqué quand il leur a traduit les noms de « Clé » et de « Porte ». Trevor demande si la maladie évoquée pourrait être la Noire Démence : le terme n’existait sans doute pas à l’époque, mais cela y ressemble, oui. Et cela recoupe les informations fournies par le Pr Charles Smith, à Berkeley. Veronica constate que le texte correspond bien à son interrogation sur des entités surnaturelles, mais elle a du mal à faire la distinction entre ces créatures... Le Pr Colbert pense pouvoir la renseigner : il a traduit assez « littéralement » le texte de Maldonado, mais il pense que le moine s’est trompé en distinguant deux entités qui seraient « Clé » et « Porte » – d’autres sources (« nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir ») permettent de supposer que les deux termes s’appliquent à une même entité ; au-delà, il y a une sorte de principe hiérarchique, après tout guère surprenant dans quelque panthéon que ce soit – c’est « un peu… comme Satan et les démons à son service » : « Clé et Porte » domine, les « Fantômes Qui Marchent » obéissent. Mais l’analogie judéo-chrétienne a ses limites, il ne l’emploie ici, et à regret, que par facilité… On peut en retenir que les « Fantômes Qui Marchent » sont inférieurs, des sortes de monstres, et « assez fondamentalement stupides », tandis que l’entité « Clé et Porte » a un caractère divin et supérieur. Veronica remercie le professeur pour ses explications ; Maldonado a-t-il livré une « description physique » de ces créatures ? Pas « Clé et Porte », non, mais c’est le cas pour les « Fantômes Qui Marchent », même si le livre ne comprend pas d’illustrations les concernant : ces êtres monstrueux ont des formes éventuellement changeantes, mais quelques caractères demeurent – une macrocéphalie prononcée et surtout des membres très longs, avec des doigts très longs également, se prolongeant en griffes encore plus longues. De vraies créatures de cauchemar... La psychiatre demande ensuite à Harold Colbert s’il sait quel est cet endroit qu’il a désigné en anglais par « Pebble Hill » [« la colline du caillou », en gros] : le livre de Maldonado n’est pas très précis à cet égard… mais les investigateurs avaient parlé du Tenderloin, et le professeur croit que ça correspond parfaitement. Trevor est méditatif : « Des créatures extraterrestres… » Harold Colbert suppose que l’on pourrait les envisager ainsi, oui – mais précise : « Pas comme dans ces pulps, vous savez, il ne s’agit pas ici d’êtres en provenance d’une autre planète, voyez ça plutôt comme… oui, une sorte de dimension parallèle. » Le théologien s’interrompt, mais reprend très vite : « Et encore, ce n’est pas vraiment cela non plus. Vous voyez, c’est tout le problème avec cette entité "Clé et Porte" – d’une certaine manière, elle implique par elle-même toutes les potentialités, dans le temps comme dans l’espace, et pas un unique endroit différent. » Mais le journaliste a autre chose en tête : au vu des centres d’intérêt « particuliers » du professeur, est-ce vraiment un hasard si son fils Jonathan s’est retrouvé à rêver de pareils mondes et créatures ? « Je me suis posé la question, M. Pierce. Il est possible qu’il y ait un lien – que mes activités, mes recherches, aient influé sur le cours des événements. Mais je n’ai pas de certitude à cet égard. En effet… D’une certaine manière, ça supposerait une intention – et même une intention maligne. Or je ne crois pas que ça se joue à ce niveau-là… Pas avec pareilles entités, qui sont bien au-dessus de ce genre de préoccupations. Mais je me rends bien compte en vous en parlant que ces entités, que j’envisageais de manière abstraite disons, semblent bien opérer sur Terre via des agents intermédiaires humains – et, du côté de ces derniers, les intentions malignes sont bel et bien envisageables. »

[VII-6 : Trevor Pierce, Veronica Sutton : Harold Colbert] Le Pr Harold Colbert s’interrompt à nouveau. Puis : « Croyez-vous en la magie ? » Trevor Pierce lui répond que oui – pas Veronica Sutton, même si elle suppose que ce monde renferme bien des choses inexplicables par la science actuelle, qui peuvent dès lors passer pour de la magie. « Je ne pouvais pas espérer meilleure réponse. » Le théologien explique que c’est ce qui fait des Mythes des chamans du grizzli rumsens un livre « dangereux » : s’il se contentait de rapporter du folklore, il ne différerait guère de 99 % des travaux d’ethnographie, du Rameau d’or de Frazer à ces innombrables monographies que personne ne consulte jamais, et qui abondent dans les sociétés d’histoire locale – comme ces ouvrages, il ne présenterait aucun caractère menaçant. Mais voilà : il contient des sorts. Pedro Maldonado s’était renseigné avec une grande méticulosité sur les rites des chamans du grizzli, même en passant par l’intermédiaire des Ohlones ou des Miwoks. Il a ainsi consigné des sortilèges, avec suffisamment de précision pour qu’on puisse les apprendre… et en faire usage. Mais c’est aux investigateurs de voir s’ils souhaitent les apprendre, ou pas – s’ils le lui demandent, le Pr Colbert leur traduira ces passages, avec toute la précision nécessaire. Veronica lui demande s’il les a lui-même appris – le théologien répond que c’est le cas pour « un des deux : il y en a un qui a pour objet, à la fois, d’invoquer et de congédier l’Esprit de Pebble Hill ; l’autre permet d’invoquer et de contrôler un Fantôme Qui Marche – ce sont deux choses tout à fait différentes… Il y a quelques années, je m’étais appliqué à apprendre ce dernier sortilège – mais je n’ai même jamais simplement envisagé d’apprendre l’autre : il est beaucoup trop dangereux… » Trevor prend la chose à la blague : « Vous voulez nous envoyer dans une autre dimension ? » Mais le professeur est mortellement sérieux : « Si vous comptez mener cette enquête à terme, je ne garantis pas que vous puissiez éviter de vous retrouver dans des endroits fort étranges. Et dangereux. » Le journaliste est perplexe, et adresse un regard inquiet à Veronica, qui ne se prononce pas pour l’instant.

[VII-7 : Veronica Sutton : Harold Colbert ; Hadley Barrow] Mais le Pr Harold Colbert s’adresse justement à Veronica Sutton : « Vous connaissiez déjà le nom de "Fantômes Qui Marchent" avant de venir ici, et je vous sais lectrice d’ouvrages anthropologiques, dans une optique éventuellement comparatiste. Ces désignations sont propres aux Indiens de la région – mais vous ne serez pas surprise d’apprendre que ces mythes correspondent à d’autres de par le monde, qui peuvent les éclairer d’un jour différent. C’est pour partie l’objet de mes recherches – ainsi de ce Symbole des Anciens, ce pentagramme que l’on retrouve aussi bien en Égypte, en Chine, que sais-je… Ces "Fantômes Qui Marchent" semblent correspondre à ce que l’on appelle ailleurs des "Vagabonds dimensionnels", terme sans doute moins poétique mais plus évocateur. Quant à "l’Esprit de Pebble Hill"… Je n’ai pas de certitude à cet égard. Mais l’association des termes "Clé et Porte"… m’évoque une autre désignation. Avez-vous entendu parler de Yog-Sothoth ? » La question fait sursauter Veronica : ce nom figurait dans la retranscription d’un entretien avec une victime de la Noire Démence, que le Dr Hadley Barrow leur avait fait lire, au Napa State Hospital… Elle l’explique au professeur, dont les traits se durcissent : « C’est ce que je redoutais… » Le professeur se lèvre, parcourt les rayonnages environnants, et en sort un livre, qu'il ouvre à une page précise et soumet aux investigateurs :

[VII-8 : Harold Colbert] « Vous voyez ce qui est dit à propos de la Clé et de la Porte ? Du temps, de l’espace… » Puis le Pr Harold Colbert va chercher un autre ouvrage encore : « Celui-ci est intéressant, aussi… Je suppose qu’il peut faire sens, eu égard aux questions que vous vous posiez… »

[VII-9 : Trevor Pierce, Veronica Sutton : Harold Colbert ; Jonathan Colbert] Trevor Pierce est très perplexe : le livre de Maldonado semblait dire qu’il fallait se rendre dans cet autre monde, pour en revenir… Mais ces autres documents donnent bien davantage l’impression d’un voyage sans retour ! Harold Colbert lui répond : « C’est assurément un risque… Il existe des rites, des protections – mais sans doute inutiles en pareil cas : le Symbole des Anciens ne serait d’aucune utilité, ici… »

[VII-10 : Trevor Pierce, Veronica Sutton : Harold Colbert ; Jonathan Colbert] Mais faut-il comprendre que Jonathan Colbert se rend dans ce monde quand il rêve et en revient au réveil, demande Trevor Pierce ? C’est possible, oui… Le Pr Colbert rappelle au Dr Sutton qu’ils avaient évoqué la question de cette « épidémie de rêves » qui avait eu lieu durant le printemps 1925, et qui affectait tout particulièrement les artistes tel Jonathan – la psychiatre s’en souvient très bien. À cette occasion, quelques rares études avaient fait mention d’entités assez comparables à Yog-Sothoth : « Je ne sais pas si ce nom vous dit quelque chose, mais on avait parlé de Cthulhu, dans sa cité engloutie de R’lyeh… » L’épidémie a cessé brusquement, et on n’y est plus revenu : « Dans votre profession, Mme Sutton, personne n’a bien compris de quoi il s’agissait… » Mais ces noms, ces phénomènes, n’étaient pas inconnus d’autres chercheurs – dont le Pr Harold Colbert ; et ce thème d’entités pénétrant les rêves de certains individus et les façonnant n’avait rien d'une surprise pour un petit cercle d’initiés. Via ces rêves, ces entités pouvaient amener leurs victimes… à faire certaines choses...

[VII-11 : Veronica Sutton, Trevor Pierce : Harold Colbert] Le Pr Harold Colbert s’interrompt, il semble mûrement réfléchir à ce qu’il va dire. Puis : « Il y a… un autre livre. Le plus dangereux de tous. Il pourrait vous apporter quelques éclaircissements, je pense. » Le professeur demande aux investigateurs s’ils souhaitent avoir accès à ce livre – mais il insiste sur les dangers que cela représente, pour la santé mentale tout particulièrement… Il peut leur en traduire quelques passages sélectionnés, toutefois – à moins qu’ils ne lisent eux-mêmes le latin ? Veronica Sutton a un niveau relativement correct, mais l’aide du professeur sera sans doute la bienvenue… Mais il faut sans doute préparer le terrain, de toute façon. Le professeur explique qu’il s’agit d’un livre fort ancien, et très rare : de cette édition en particulier, on ne connaît que quatre exemplaires de par le monde – que la Collection Zebulon Pharr dispose d’un de ces volumes n’est pas pour rien dans sa réputation comme dans sa valeur. Le titre originel de ce livre était Al Azif ; il avait été écrit, vers 730, par un Arabe dément du nom d’Abdul al-Hazred. Le livre a été traduit en grec par Théodore Philetas, vers 950, qui lui a donné le titre sous lequel il est passé à la postérité : le Necronomicon. Tous les exemplaires des versions arabes et grecques ont disparu. La plus vieille édition existant encore est la traduction latine par Olaus Wormius, datant de 1228, et c’est cette version que l’on trouve dans la Collection Zebulon Pharr. « Mais comprenez bien que c’est littéralement un livre qui rend fou. Il contient… des révélations, mais à ne pas entendre au sens chrétien, c’est d’un autre ordre – il s’agit de chambouler toutes les perspectives, en particulier en ce qui concerne la place de l’homme dans l’univers. Abdul al-Hazred avait compris cette chose que les croyants, quels qu’ils soient, ne peuvent tout simplement pas accepter : que l’homme n’est pas au centre de l’univers, pire, qu’il n’a absolument aucune espèce d’importance – et qu’il n’a aucune idée du monde dans lequel il vit… » Le livre peut en donner une idée – et cela peut s’avérer fatal. Solennellement, le Pr Harold Colbert répète sa question : veulent-ils travailler sur ce livre ? Veronica Sutton est très étonnée par ce discours – et connaît un sursaut de rationalisme : le professeur serait-il complètement fou ? Impossible de le déterminer – mais le ton employé par Harold Colbert n’a rien de celui d’un illuminé. Pense-t-il vraiment qu’ils y trouveront des choses utiles ? Oui. De quoi guérir la Noire Démence ? Probablement pas : il craint que ce soit trop tard, les personnes affectées ne s’en remettront jamais… « Avec une chance incroyable, peut-être pourrons-nous éviter que cela se produise encore à l’avenir – mais cela n’a rien de certain, absolument rien. » Veronica demeure perplexe, elle adresse quelques regards interrogatifs à Trevor Pierce, qui est tout aussi sceptique… et qui, en outre, a de plus en plus de mal à se concentrer : il est malade, après tout… et il a bien relevé ce que le professeur disait concernant l'impossibilité de toute guérison. Mais Veronica et lui finissent par acquiescer.

[VII-12 : Trevor Pierce, Veronica Sutton : Harold Colbert, Randolph Coutts] Le Pr Harold Colbert invite donc Trevor Pierce et Veronica Sutton à sortir de la pièce où ils se trouvent, et, accompagné de Randolph Coutts, toujours très discret, il les conduit à la chambre-forte aperçue dans le couloir. Le professeur et l’avocat effectuent ensemble toute une procédure complexe et chronométrée pour ouvrir la lourde porte blindée, d’une épaisseur incroyable. Elle donne sur une petite pièce, totalement dénuée de la moindre décoration, et au fond de laquelle se trouve un bureau, avec un unique livre dessus, qui y est enchaîné : le Necronomicon…

[VII-13 : Veronica Sutton, Trevor Pierce : Harold Colbert] Le Pr Harold Colbert, visiblement ému, invite ses compagnons à s’asseoir, et feuillette le précieux grimoire à la recherche d’un passage qui, suppose-t-il, devrait intéresser Veronica Sutton et Trevor Pierce… La psychiatre pourrait essayer de lire d’elle-même le texte en latin, mais, pour l’heure, elle préfère laisser au professeur le soin de traduire.
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