Le Guide géographique des otaku, de Julie Proust Tanguy
PROUST TANGUY (Julie), Le Guide géographique des otaku, [Bordeaux], [Les Moutons Électriques], [2017], [32 p.]
VITE FAIT
Ce qui suit ne va peut-être pas constituer une chronique à proprement parler, car l’ouvrage en question ne s’y prête probablement pas trop, outre que je ne suis sans doute pas le lecteur le plus pertinent pour en causer. Tentons quand même d’en dire quelques mots…
Le Guide géographique des otaku est un bonus exclusif du financement participatif de Japon ! Panorama de l’imaginaire japonais, aux Moutons électriques, ouvrage très alléchant mais qui a pris un peu de retard. Les deux sont dus à la même autrice, Julie Proust Tanguy, mais, histoire de patienter, le temps que le gros machin arrive, ledit petit bouquin bonus a d’ores et déjà été livré aux participants du crowdfunding, ainsi qu’un assez joli portfolio.
Il n’y a pas eu tromperie sur la marchandise – notamment concernant la pagination : 32 pages, hop, ça avait été annoncé –, mais j’avais dû me faire des idées, sans fondement, aussi mon premier contact avec ce Guide géographique des otaku a-t-il été un peu perplexe… Parce que, pour dire les choses, et pagination mise à part, ça m’a fait l’effet d’être un peu cheap, cette brochure agrafée avec une couverture qui bave un chouia (souci d’impression qui, heureusement, n’affecte pas les nombreuses photographies intérieures, globalement intéressantes). Bizarrement, connaissant le caractère « touristique » affiché de ce supplément, je m’attendais aussi à un format davantage adapté – du genre qui tient dans la poche, et qui peut ainsi nous suivre dans mille et une excursions. Mais c’est sans doute un préconçu de ma part.
Par contre, oui, je crois qu’il faut y insister : l’approche est clairement touristique (le titre pourrait peut-être induire en erreur à cet égard ?). Le texte va à l’essentiel (au point parfois de l’hermétisme, ai-je l’impression), et la (très) brève description des endroits à visiter cède bientôt la place à des informations pratiques : comment s’y rendre, horaires (voire périodes) d’ouverture, tarifs, dispositions particulières… Aussi n’est-ce guère une lecture à propos « dans l’absolu » : c’est vraiment un outil à consulter lors d’un séjour au Japon, et un séjour qui laisse le temps de flâner, de se cultiver, de s’amuser, en suivant un circuit ou en picorant dans les destinations proposées. J’en prends bonne note, et si, un jour, par miracle, je parviens à me rendre Là-Bas, nul doute que je prendrai soin de me munir de cette brochure. Au cas où.
…
Mais en admettant que je ne suis probablement pas le cœur de cible de cette publication.
OTAKU ?
Un guide pour otaku, donc ? Le terme en lui-même est passablement problématique – le parcours de l’expression est assez bizarre, de la politesse marquée originelle (« votre maison », une manière d’exprimer le vouvoiement, pour faire simple) à l’affirmation d’une identité culturelle propre et en tant que telle aussi valable qu’une autre, en passant par la condescendance bourgeoise pour ce qui ne pouvait être qu’un amas peu ragoûtant de sous-cultures nécessairement anti-culturelles, et même la psychiatrisation un brin angoissée, du fait de la confusion parfois (souvent) entretenue entre cette notion et celle de hikikomori…
L’otaku, ici, n’a cependant guère ces ambiguïtés : c’est le seul versant moderne positif qui est ici retenu. L’otaku, c’est le fan de mangas, d’animes, éventuellement de jeux-vidéos – ou d’autres choses encore, plus ou moins dérivées, plus ou moins marketées, des drama aux figurines en passant peut-être même par les « idoles » de la J-pop.
Et je ne suis probablement pas un otaku, sous cet angle. Le titre annonçant la couleur, je ne peux certainement pas critiquer ce Guide pour cette raison, à l’évidence – j’espère cependant que le Panorama saura adopter un point de vue plus élargi… et que la plus grande ampleur du texte saura éviter les écueils du discours parfois bien trop hermétique pour qui n’a pas l’heur de faire partie des initiés, écueils qui m'ont semblé récurrents dans le présent petit bouquin.
TROIS CIRCUITS
Ceci étant, ce ressenti personnel (et qui en tant que tel ne saurait sans doute permettre de déduire quelque conclusion que ce soit), je n’ai pas eu à en pâtir sur l’ensemble de cette brochure (ou en tout cas pas au même degré).
Le Guide est en effet découpé en trois « parcours » touristiques, certes au prisme otaku marqué, mais seul le deuxième (« Anime et manga seichi junrei ») l’est au point où je me suis senti totalement perdu. Mes connaissances en mangas sont très limitées, celles en animes sont peu ou prou inexistantes : cela n’a pas facilité mon immersion dans ces quelques pages saturées de références qui m’échappent – je ne peux guère me raccrocher qu’à un Totoro par-ci, un Tezuka par-là, éventuellement la moto de Kaneda mais seulement si elle est à l’arrêt. C’est un monde que je ne maîtrise pas le moins du monde, au plan des références et plus encore des codes. Si je voulais faire une blague vraiment navrante, je dirais que tout ça, pour moi, c’est du chinois, mais vous avez de la chance, la maison Nebalia ne tolère que l’humour de qualité.
Ceci étant, cette brochure n’a pas constitué une « révélation » à cet égard : depuis que je me suis relancé dans des études de japonais, avec des collègues bien plus jeunes, et c’est peu dire, j’ai eu nombre d'occasions de constater qu’un fossé nous séparait, dans notre goût pour le Japon comme dans les représentations que nous nous en faisons – ceci, bien sûr, sans qu’aucune de ces approches ne soit en tant que telle plus pertinente qu’une autre. Avoir été pile-poil dans la génération qui, en France, s’est prise en pleine poire l’essor du manga et des animes n’y a strictement rien changé – je suis tout simplement passé à côté. Et, ce qui me tire vers le Japon, c'est bien davantage la littérature et le cinéma, disons.
Mais, heureusement, je me suis davantage retrouvé dans les deux autres circuits proposés, même si le prisme otaku y demeure essentiel.
Le premier s’intitule « Dans les pas des yôkai et des kami ». On y touche davantage à la culture japonaise traditionnelle, mais, ne pas s’y tromper, au pays des kitsune comme des kappa ou des tanuki (ces bestioles prennent probablement davantage de place que les divinités), nous avons des guides – des Mizuki (bien sûr), des Miyazaki, des Takahata… De bons guides assurément, mais qui biaisent sans doute un peu les représentations – les yôkai que nous traquons dans ces destinations touristiques ont sans doute une longue histoire, ancrée dans le folklore et dans la foi, mais, très concrètement pour le touriste muni de cette brochure, ils sont depuis pas mal de temps passés au travers du filtre du manga et de l’anime. Davantage à vrai dire que d’autres supports ? Dont la littérature – mais j’ai peut-être un réflexe pavlovien qui m'oblige à penser « Akutagawa » quand je lis « kappa ». Un comportement qui n’a sans doute pas lieu d’être.
Ce qui m’intrigue un peu, par contre, dès ce premier circuit, c’est le mélange des registres : les sites proposés à la visite de l’otaku curieux relèvent autant du sacré que du parc d’attraction, avec entre les deux la promenade méditative et la frénésie d’achat de babioles dans les boutiques associées. Je suppose qu’il en faut pour tous les goûts, mais Le Guide géographique des otaku vibre assez régulièrement d’un enthousiasme marqué pour une multitude de produits dérivés, gadgets et souvenirs, ce qui ne me parle absolument pas – bien sûr, le deuxième circuit est celui où cette dimension de shopping pour geeks est la plus marquée.
Le troisième et dernier circuit s’intitule « Silence, on tourne ! », et porte comme de juste sur le cinéma japonais. Cela aurait pu être la partie la plus évocatrice à mes yeux, mais – peut-être pour cette raison, en fait – je l’ai trouvée finalement plus frustrante qu’autre chose ; il y a de très bonnes idées d’excursion touristique, mais relativement éparses – ce qui peut, parfois, avoir l’avantage de l’inattendu. Bon, et il y a aussi de l’attendu, hein : vous vous en doutez, difficile de manquer Godzilla dans ces pages… Et on ne s’en plaindra pas. Mais, pour le coup, le gros lézard atomique est probablement ici le point d’ancrage de l’approche otaku de ces visites – le ton, pour le reste, est finalement assez différent de ce qui précède.
EN ATTENDANT LE GROS MORCEAU
Je ne doute pas un seul instant de la compétence en ces matières de Julie Proust Tanguy – et j’apprécie son enthousiasme, que certains trouveront sans doute communicatif et à bon droit. Le problème, c’est moi : je ne suis sans doute pas le cœur de cible de ce guide. Dès lors, il m’a régulièrement paru hermétique, soit parce que les références me manquaient (très régulièrement), soit parce qu’elles débouchaient sur une sorte de consumérisme geek auquel je ne suis pas forcément insensible de manière générale (merde, je suis un rôliste et j’aimerais bien taquiner davantage la figouze, il semblerait que ce soit en cours, d'ailleurs), mais qui, en l’espèce, me laissait tout de même pantois (forcément, ça doit venir du premier problème). La densité nécessaire du texte (la destination doit être motivée en deux lignes), et la place à accorder aux informations techniques, n’ont bien sûr rien arrangé me concernant.
Mais tout cela doit faire son office pour l’otaku cible, dont j'imagine qu’il en retirera quelque chose – un appui bienvenu pour un tourisme éventuellement différent. Le scepticisme du Nébal tient à ce qu’il s’agit d’un animal tristement casanier (le séjour au Japon, c’est pas pour tout de suite…), et peut-être un peu trop frileux, ou en tout cas ignare, dans les registres culturels qui fondent la figure de l’otaku. En tant que tel, il m'est impossible d'en conclure quoi que ce soit pour d'autres lecteurs-touristes.
J’espère cependant – et je suppose – que, le moment venu, Japon ! Panorama de l’imaginaire japonais saura davantage me parler, avec une ampleur autorisant bien mieux l’immersion et le ravissement du lecteur non initié mais curieux, et tant qu’à faire avec un fond et une forme dépassant le seul projet touristique pour inclure davantage d’analyse ; les deux titres n'ont à l'évidence pas le même propos, après tout.
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