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Deadlands Reloaded : Trail Guides, Volume 1

Publié le par Nébal

Deadlands Reloaded : Trail Guides, Volume 1

Deadlands Reloaded : Trail Guides, Volume 1, Pinnacle – Studio 2 Publishing, [2010-2011] 2012, 315 p.

 

Avertissement préalable SPOILERS : les trois guides dont je vais parler dans cette chronique sont clairement réservés à la lecture du seul Marshal. Ne vous gâchez donc pas le plaisir, amis joueurs – tout particulièrement les miens, parce que je pense que je vais bricoler quelque chose sur la base du deuxième guide, The Great Northwest. C’est dit !

JOUER AILLEURS

 

Le cadre traditionnel des aventures de Deadlands Reloaded est l’Ouest étrange – un univers déjà assez vaste en tant que tel, et susceptible de bien des variantes, conformément aux différentes approches du genre western. Il y a un monde entre les grandes plaines qui s'étendent à l'infini et les montagnes Rocheuses, ou entre les péripéties spaghetti dans un contexte passablement latin, et les tempêtes de neige endémiques de contrées plus nordiques ; il faut y ajouter des spécificités de cet univers uchronique, qui, éventuellement, peut s’accommoder de territoires plus fantasques, comme le Grand Labyrinthe qu’est devenu la Californie, ce qui inclut des contextes urbains singuliers, ainsi à Lost Angels ou Shan Fan – sans même parler de l’utopie techno-mormone de la République de Deseret, où brille le génial et fou Dr. Darius Hellstromme, et en prenant en compte que la bordure orientale du terrain de jeu est plus particulièrement affectée par les ravages d’une guerre de Sécession qui, dans Deadlands Reloaded, s’est prolongée bien plus longtemps que dans notre monde, et vient tout juste, au moment de jouer (1880 pour ce supplément, j'y reviendrai) de connaître un cessez-le-feu qui demeure tendu.

 

Cependant, cet univers déjà vaste et complexe, et qui est exploré dans les grandes campagnes de la gamme, peut aussi connaître des prolongements qui changent encore la donne, et offrent aux joueurs la possibilité de s’aventurer dans des endroits encore différents, et très marqués en tant que tels. C’est l’objet des trois Trail Guides compilés dans ce Volume 1 (sauf erreur, il n’y a pas de volume 2, ni même d’autres Trail Guides non compilés).

 

Enfin, l'objet des trois, pas tout à fait : le deuxième de ces trois guides, The Great Northwest, reste en fait dans le cadre global de l’Ouest étrange, tel qu’il figure sur la carte du jeu : nous sommes ici toujours dans les États-Unis, même si l’idée de Frontière y a peut-être conservé une certaine force, éventuellement atténuée ailleurs (encore que : dans cet univers uchronique, la présence indienne dans les Nations sioux et la Confédération du Coyote, sans parler de l’agitation apache près de la frontière mexicaine, perpétuent sans doute encore cette idée, par rapport à notre monde).

 

Par contre, les deux autres Trail Guides compilés sortent résolument des frontières de l’Ouest étrange, et des États-Unis : South o’ the Border invite à jouer au Mexique – et pas seulement sur la frontière, aisée à franchir dans un sens ou dans l’autre, un vrai topos du genre, mais au cœur du pays, le cas échéant au-delà même de Mexico, jusque dans les jungles du sud.

 

Et le dernier de ces trois guides, Weird White North, emprunte l’autre direction, en développant un cadre de jeu englobant l’Alaska (acquis depuis très peu de temps par l’Union) et la Colombie britannique – éventuellement au-delà du cercle polaire arctique.

 

Amateur de suppléments de contexte, j’étais très curieux de lire ces trois guides – tout en pesant bien que le réflexe initial le plus légitime serait de jouer d’abord dans le cadre très codifié de l’Ouest étrange, avant d’envisager d’autres destinations. Mais, que voulez-vous…

 

STRUCTURE DES GUIDES

 

Et c’est donc parti pour l’exploration de ces trois guides, qui font en gros une centaine de pages chacun (South o’ the Border est le plus court, Weird White North le plus long).

 

Le volume est d’un maniement agréable, avec son format mook très pratique. Je relève par contre qu’il est assez peu illustré, et rarement avec goût de toute façon – le peu que j’ai lu de la gamme de Deadlands Reloaded m’avait déjà fait cette impression, et, pour le coup, la création française Stone Cold Dead, avec tous ses défauts, est autrement satisfaisante sous cet angle…

 

Les trois guides obéissent à la même structure, même si les différentes parties peuvent s’avérer d’une ampleur assez variable de l’un à l’autre.

 

On commence, comme de juste, par poser le contexte, ce qui se fait en plusieurs temps. Tout d’abord, on ouvre le bal avec un exemplaire du Tombstone Epitaph, signé Phineas P. Gage, qui comprend diverses informations sur la région en question, d’abord générales, ensuite attachées à quelques endroits particuliers, mais sans rentrer dans les détails, et encore moins livrer le moindre « secret », forcément : on peut donc les envisager comme étant des aides de jeu, tout à fait bienvenues, à distribuer aux joueurs, afin de leur donner une idée générale du cadre de jeu, tel que leurs personnages auraient effectivement pu le découvrir en jetant un œil à quelques journaux – la presse locale en sus du Tombstone Epitaph, lequel a bien sûr pour particularité d’évoquer, plus ou moins à demi-mots, des aspects clairement surnaturels, dont on ne parlera pas ailleurs, en tout cas pas en ces termes et avec une telle diffusion : l'Agence et les Texas Rangers veillent, même en dehors de leurs frontières.

 

La deuxième partie consacrée au contexte s’intitule « Marshal’s Handbook » – on prévient clairement que les joueurs ne doivent plus rien lire dès lors. Ce chapitre généralement assez bref envisage d’abord quelques règles spécifiques au cadre de jeu exploré (ce qu'impliquent les cénotes, les effets de la famine en territoire wendigo, les blizzards arctiques, etc.), puis, en quelques lignes, donnent un aperçu des « secrets » de ce contexte, généralement sous la forme d’un « grand secret » qui constitue la trame de la mini-campagne plus loin dans le supplément, autour duquel gravitent d’autres secrets, plus « petits », mais généralement liés. L’ensemble se voit accorder un minimum de perspective historique, même si, pour le coup, le jeu uchronique sur l’histoire réelle est plus ou moins appuyé (il l'est beaucoup dans South o’ the Border, quasiment pas du tout dans The Great Northwest).

 

La troisième partie contextuelle s’intitule « Strange Locales », et constitue le classique guide géographique auquel on s’attend dans pareil supplément. Les informations du Tombstone Epitaph sont souvent reprises, et même mot pour mot dans un premier temps, mais elles sont ensuite approfondies. La dimension technique est limitée dans ces pages, même si pas totalement absente (s’y trouvent les tables de rencontres adaptées et le niveau de Peur des localités, ce qui peut avoir son importance) – à cet égard, on renvoie le plus souvent aux sections suivantes, qui s’y prêtent davantage. Enfin, chaque lieu se voit associer des « Savage Tales », qui seront détaillées plus loin dans le supplément.

 

Le chapitre suivant constitue une petite campagne, dite « Mini-Plot Point », avec son titre spécifique, et qui explore en quatre ou cinq scénarios le « grand secret » de chaque région. Ceci avec plus ou moins de pertinence, hélas, parce que c’est ici que, dans chaque guide hormis à mon sens The Great Northwest, le supplément se met à sérieusement patiner, et ne se montre pas à la hauteur du cadre précédemment défini et souvent enthousiasmant… Noter d’ores et déjà que ces « campagnes » sont délibérément linéaires (et c’est revendiqué), afin de permettre l’exploration rapide du nouveau cadre de jeu pour les vétérans de l’Ouest étrange un peu pressés (vétérans, oui, car l’adversité est globalement plus forte que dans la gamme de base) ; à charge, le cas échéant, pour le Marshal, de compléter avec des « Savage Tales » du supplément, ou de développer ses propres aventures – d’une manière ou d’une autre, les longs trajets de chaque campagne s’y prêtent bien, en théorie du moins.

 

On reste dans le domaine des scénarios par la suite, avec un chapitre consacré aux « Savage Tales », généralement liées à un endroit précis. Encore que : parler de « scénarios », dans bien des cas, serait abusif – cela tient régulièrement de la simple rencontre. Là encore, le niveau est très variable, au sein des Trail Guides ou de l’un à l’autre (le nombre aussi : Weird White North en contient le double voire plus par rapport aux autres, avec dix-neuf propositions, hélas toutes pourries...).

 

Dernière partie, enfin, « Encounters » constitue un bref bestiaire, commençant par envisager des créatures plus ou moins surnaturelles, puis des humains, de manière générique ; sauf dans South o’ the Border, où cette section est bien plus longue que dans les deux autres guides, car elle comprend nombre de PNJ uniques, éventuellement historiques – ce n’est pas du tout le cas des autres. Une sous-section ou deux sont éventuellement consacrées à des antagonistes hors-normes et liés au « grand secret » de chaque Trail Guide.

 

SOUTH O’ THE BORDER

Deadlands Reloaded : Trail Guides, Volume 1

Allez, c’est (vraiment...) parti. On commence donc avec South o’ the Border, qui, comme son nom l’indique, invite les joueurs à traverser le Rio Grande pour vivre des aventures au Mexique. Or le Mexique est alors dans une situation très compliquée de guerre civile – la lecture de ce supplément a été pour moi l’occasion, du coup, de me pencher un peu sur l’histoire du pays au XIXe siècle, particulièrement complexe et dont je ne savais peu ou prou rien. Des trois Trail Guides, c’est celui-ci, et de très loin, qui joue le plus de la carte historique, à vrai dire – même si, ne nous faisons pas d’illusion, au-delà même de la dimension uchronique de Deadlands Reloaded, on ne peut pas dire que l’histoire soit très respectée ici… Vous connaissez la réplique ultra-classe de Dumas concernant le viol de l’histoire, hein ? C’est peu dire que l’on prend des libertés, ici – à voir si les enfants sont beaux...

 

Le contexte décrit propose de jouer en 1880, soit un an près le livre de base de Deadlands Reloaded : on y rapporte en effet des événements inconnus de ma part, à savoir surtout que le général Santa Anna a lancé une attaque sur la Californie, semble-t-il avec une armée de morts-vivants (dans le livre de base, la menace d’une intervention armée pesait, mais sans autre précision – je suppose que ces événements sont décrits dans la campagne The Flood ?) ; un assaut qui s’est révélé infructueux, mais dont les conséquences pèsent néanmoins sur un Mexique plongé dans la guerre civile.

 

En effet, quatre factions s’affrontent. Le pouvoir officiel appartient à l’empereur Maximilien, mis en place par les puissances européennes, et plus particulièrement la France – qui dirige dans les faits le pays, et dont la Légion étrangère, surtout, est peu ou prou omniprésente ; le maréchal Bazaine (ou plutôt Bazain, puisqu’il est systématiquement appelé ainsi dans ce supplément…), autrement plus futé que l’empereur, devine qu’il y a anguille sous roche, concernant l’assaut de Santa Anna, mais personne ne l’écoute… Note, ici : on ne sait pas grand-chose de ce qui est supposé se passer en Europe à cette époque – dans notre monde, Bazaine a largement eu le temps de rentrer en France suite à l’échec de l’expédition mexicaine, et de porter le chapeau pour la défaite française face à la Prusse en 1870…

 

Or il y a anguille sous roche, oui – forcément. Et c’est l’Empire Secret : une immense société secrète d’Aztèques désireux de chasser les « Espagnols » de leurs terres, et n’hésitant pas, pour ce faire, à recourir à la magie la plus noire – passant souvent par la résurrection des morts, dans l’optique d’une foi aztèque mêlée de réminiscences maya presque unilatérale à cet égard.

 

Mais il y a deux autres factions à prendre en compte : au nord du pays, les partisans de Benito Juárez, les Juaristas, incarnent l’éphémère république du peuple mexicain en exil, défendant un agenda humaniste et progressiste (Juárez est le type bien dans ce contexte ; ce qui s’en rapproche le plus après lui est Bazaine, mais son rôle politique plus ambigu complique la donne) ; au sud, Porfirio Díaz et ses Porfiriatistas incarnent un autre pouvoir en exil, purement égocentrique : Díaz, le « général fantôme », a dirigé le Mexique, et veut le diriger à nouveau – ses ambitions sont purement personnelles, il se moque de tout le reste.

 

Mais, clairement, la clef de l’affaire est l’Empire Secret, avec ses chamans aztèques dont surtout Xitlan, et plus ou moins directement ses divinités maya/aztèques comme Cipactli, qui a été réveillée par Raven ; mais tous ne sont jamais que des serviteurs plus ou moins conscients des ambitions maléfiques des Juges, et au premier chef de Peur, qui domine le Mexique (on aurait pu croire que c’était Guerre ?). Sans surprise, la « mini-campagne », intitulé « Knives in the dark », joue donc de cette carte. Hélas, c’est un échec complet… Le caractère délibérément linéaire de la trame n’est que plus ou moins susceptible d’aménagements, tant tout va à fond la caisse, avec des expédients improbables pour accélérer encore les choses en bouffant les trajets ; les deux premiers « scénarios » n’en sont du coup guère, et le troisième pas beaucoup plus, et cette marche forcée très artificielle n’a vraiment rien d’enthousiasmant : le cadre, pourtant alléchant à première vue, à être ainsi réduit à son squelette le plus brutal, perd absolument tout intérêt. Autant dire que ces pages sont parfaitement inutiles en tant que telles (à moins de sauver quelques petites choses des deux derniers scénarios, les seuls où il se passe quelque chose, mais sans finesse aucune : c’est là encore du brutal, mais au sens baston). En somme, je suppose que le contexte de South o’ the Border peut toujours s’avérer pertinent, mais à la condition d’infuser une campagne de création purement personnelle ou peu s’en faut.

 

D’autant que les « Savage Tales » qui sont ensuite proposées manquent le plus souvent d’intérêt, car bien trop squelettiques et éventuellement limitées à une unique rencontre – qui peut être intéressante dans l’absolu, mais à la condition impérative de broder considérablement soi-même autour (l'histoire du carnaval, par exemple). Je n’en ai peu ou prou rien retenu, là, comme ça.

 

Après ce désastre, les « Encounters » remontent un peu le niveau – des trois « bestiaires » de ce volume, celui-ci est le plus complet, mais surtout parce qu’il fait figurer nombre de PNJ uniques et donc plus ou moins historiques ; ça, pour le coup, c’était bien vu, et je regrette que les deux autres Trail Guides n’aient pas suivi… cette piste. Aha. Noter quand même une chose : en dehors de ces PNJ, les bébêtes animales ou monstrueuses, et a fortiori les figures de l’Empire Secret ou des mythologies en cause, sont pour le moins balaises – confirmation qu’il vaut mieux que les personnages aient atteint un certain Rang avant de les envoyer au casse-pipe.

 

Bilan un peu navrant, donc : le cadre est très chouette, même avec ses raccourcis pseudo-historiques, mais plus de la moitié du supplément, avec le « Mini-Plot Point » et les « Savage Tales », s’avère mauvais, bâclé, peu ou prou inutilisable. Il y a de quoi faire, mais en repartant de zéro. Déception, donc.

 

THE GREAT NORTHWEST

Deadlands Reloaded : Trail Guides, Volume 1

Le deuxième Trail Guide s’intitule The Great Northwest et s’avère très différent des autres, puisqu’il demeure dans le cadre de l’Ouest étrange, simplement en mettant en avant les spécificités d'une région clairement délimitée, pas inconnue des westerns par ailleurs, mais sans doute moins emblématique que les grandes plaines, Monument Valley ou le sud davantage latin. Par « Grand Nord-Ouest », ici, on désigne en effet les États de Washington, Oregon, Idaho, et la partie occidentale du Montana. Une région de montagnes et de forêts, où les longs trajets sont parfois difficiles – ceci dit, la guerre des Rails contribue à changer la donne, au bénéfice de la Iron Dragon de Kang, peut-être le vrai pouvoir en place (car l’Union, qui gouverne théoriquement ces régions, a longtemps été autrement occupée à se battre dans l’Est contre Johnny Reb, et son implantation dans le Nord-Ouest est somme toute récente et insuffisante) ; les communautés chinoises sont du coup assez nombreuses dans la région, et avec elles les Triades – et éventuellement leurs rivalités.

 

Mais le Juge qui gouverne cette région est Famine – de même que pour la région immédiatement au sud, le Grand Labyrinthe qu’est devenu la Californie. Cela peut paraître paradoxal, parce que le Grand Nord-Ouest est objectivement une terre riche aux récoltes abondantes – mais celles-ci sont souvent exportées en dépit du bon sens, cupidité oblige, et, quand l’hiver frappe, avec ses tempêtes et ses abondantes chutes de neige, le manque se fait invariablement sentir. Inutile, pour cela, d’aller jusqu’à « l’ère glaciaire » qui sera décrite dans le dernier guide, Weird White North, même si j’imagine qu’elle peut contribuer à expliquer les choses ; la situation dans le Grand Nord-Ouest est en tout cas suffisamment affreuse pour que Famine et ses sbires, manitous et autres, sèment la zone, tout particulièrement en encourageant, comme à Lost Angels, la délicieuse pratique du cannibalisme.

 

Mais celle-ci a des conséquences particulières dans le Grand Nord-Ouest : les individus qui y succombent, et ils ne sont pas si rares, deviennent des créatures démoniaques, les wendigos – ces abominations affamées enchaînent les méfaits et contribuent énormément à l’élévation du niveau de Peur dans la région, pour la plus grande joie des manitous, des Juges, et de Famine en particulier.

 

Sans doute les conditions ont-elles toujours été dures dans les rudes hivers du Grand Nord-Ouest – mais le Jugement a considérablement aggravé les choses, en renforçant la présence wendigo dans la région, mais aussi et peut-être surtout en suscitant ce que l’on serait tenté d’appeler un « renversement d’alliances ». Les Indiens de la région savaient de toute éternité qu’ils pouvaient compter sur le soutien de leurs aimables, quand bien même discrets, cousins hirsutes des montagnes et des forêts, les sasquatchs – que les Blancs appellent « Big Foot »… et encore, quand ils parviennent à les distinguer des wendigos (et des wolflings, êtres mi-hommes mi-loups, mais pas loups-garou car pas métamorphes, endémiques dans la région – je suis sceptique quant à la pertinence de rajouter ce « camp » en plus, à titre personnel).

 

Cette confusion est d’autant plus fâcheuse que les sasquatchs sont les ennemis acharnés des wendigos – et, donc, dans cette guerre, ils ont longtemps été du côté des humains. C’est pourquoi les sasquatchs, sans se montrer, venaient en aide aux hommes affamés : il ne fallait pas qu’ils succombent, sans quoi ils deviendraient des wendigos. Mais les choses ont changé : le grand chef des sasquatchs, appelé Big Chief, c’est original, est devenu de plus en plus sceptique à l’égard du comportement des humains dans la région – au point où le scepticisme, à vrai dire, se muait en crainte, et éventuellement en haine. Big Chief est mort… mais il est revenu – car les Juges ont bien conçu qu’il pouvait s’avérer un allié de poids. Le sasquatch est donc un Déterré – cas semble-t-il unique –, et il est revenu de la mort avec, disons, une théorie économique : pour vaincre les wendigos toujours plus nombreux, il faut frapper à la source ; puisque ce sont les hommes affamés qui deviennent des wendigos, il ne faut surtout pas tenter naïvement de leur venir en aide, mais bien les éliminer d’office – c’est la seule garantie qu’ils ne viennent pas gonfler les rangs de leurs ennemis : Realpolitik ! La condition de Déterré de Big Chief n’a pas été sans inquiéter les sasquatchs, ainsi amenés à rompre avec leurs habitudes millénaires de secours aux humains, mais le charisme sans pareil du bonhomme les a finalement convaincus (plus ou moins, en fait). Ce qui change tout… Les humains doivent désormais faire face, non seulement aux wendigos et aux wolflings, mais aussi à leurs anciens alliés, et de poids, les saquatchs !

 

Bien sûr, cette trame se trouve au cœur de la campagne « Mini-Plot Point » du supplément, intitulée « The Winter war ». On y retrouve en tête le même avertissement concernant la linéarité que dans South o’ the Border… mais le résultat est autrement convaincant ! Sur cette trame pas forcément d’une originalité débordante, les cinq scénarios sont plus que corrects (avec une préférence pour le troisième, « Seven Devils », très riche et varié), avec leur lot d’événements qui comptent et, cerise sur le gâteau, de dilemmes très bienvenus ; en outre, leur enchaînement est mieux pensé que dans « Knives in the dark », sans plus rien d’outrancièrement mécanique, ce qui permet d’insérer plus aisément et naturellement d’autres épisodes, qu’ils soient issus des « Savage Tales » du supplément ou qu'il s'agisse de créations personnelles du Marshal. En fait, je n’ai qu’une critique à formuler : la fin de la campagne est pour le coup tellement ouverte… qu'elle n’a rien d’une fin. Arrivé au terme du cinquième scénario, la campagne n’est en fait pas terminée : il reste à faire, éventuellement beaucoup d’ailleurs, mais c’est totalement à la discrétion du Marshal et du Gang. Je crois cependant que les événements antérieurs, nettement moins unilatéraux que dans « Knives in the dark », auront à ce stade suffisamment dégagé de pistes pour permettre de construire en commun une conclusion réellement satisfaisante.

 

Les « Savage Tales » de The Great Northwest m’ont aussi paru bien plus intéressantes que celles de South o’ the Border (sans même parler de celles de Weird White North, j’y arrive…). Là encore, ce ne sont qu’assez rarement des scénarios à proprement parler, mais « The Winter war » offre quelques opportunités pour en glisser une ici ou là, et certaines, même relativement banales, ont une petite touche d’humour pas désagréable – et qui s’associe étrangement bien à l’horreur, chose souvent périlleuse : « Chief Barrelbelly’s revenge », « Falcott’s debt », « Flashpoint », « Tacoma creepers » ; et bien sûr la très lovecraftienne « Witches’ brew »… « Shanghaied! » et « War Eagle’s wisdom », par contre, m’ont paru ratées – c’est d’autant plus regrettable que cette dernière est conçue pour s’insérer dans « The Winter war » au cas où le Gang s’égarerait, mais j’ai l’impression qu’elle ne fonctionne tout simplement pas.

 

Le chapitre « Encounters » de The Great Northwest est le plus court des trois de Trail Guides, Volume 1. Son intérêt est surtout de distinguer plusieurs types de wendigos, de sasquatchs et de wolflings – mais, comme dit plus haut, je suis très réservé concernant l’intérêt véritable d’user de ces derniers dans « The Winter war », je trouve ça un peu redondant. Note quand même au passage : les seuls humains génériques de ce bestiaire sont… les cow-boys ! Ben oui, faut croire qu'il n'y avait pas de profil type avant cela – bizarre, tout de même...

 

Bilan sans appel, au regard des deux premiers Trail Guides : si son cadre est incomparablement moins original, The Great Northwest s’avère bien plus réussi que South o’ the Border. À tous points de vue. Et autant le dire de suite, on constatera la même chose par rapport à Weird White North, de manière plus flagrante encore Il y a peut-être quelque chose de paradoxal, ici : c’est le cadre le moins exotique qui se montre le plus enthousiasmant. Et de loin.

 

Du coup, je songe à en faire usage. J’ai un petit problème lié à ma table : j’ai peur que cette histoire très centrée sur les wendigos rappelle un peu trop une partie de Delta Green jouée avec la même table, mais où j’étais PJ, le MJ étant un de mes joueurs pour Deadlands Reloaded Mais j’ai envie de tenter le coup, peut-être en commençant par un « bac à sable » introductif, celui de Stone Cold Dead, dont je pensais user des premiers scénarios, ceux qui se déroulent à Crimson Bay – ville qui a le bon goût de se trouver dans ce Grand Nord-Ouest. Peut-être en y glissant aussi une variation sur Coffin Rock ? On verra – même s’il est bien temps que je me décide...

 

WEIRD WHITE NORTH

Deadlands Reloaded : Trail Guides, Volume 1

Mais reste un dernier Trail Guide, celui intitulé Weird White North… et que j’ai trouvé encore moins satisfaisant que South o’ the Border. Je ne suis pas certain qu’on puisse en sauver grand-chose…

 

Le cadre aurait pu être chouette, pourtant – qui englobe donc l’Alaska et la Colombie britannique. Bien sûr, il faut prendre en compte qu’il est très rude – vraiment très très rude. Ou du moins en partie… C’est déjà à vrai dire un problème majeur de ce Trail Guide : son manque de cohérence, pas toujours évident à justifier. Et qui ne rend pas la trame globale très aisée à pitcher…

 

Bon, la base : il fait froid. Sans déconner ? Mais on va jusqu’à parler d’une ère glaciaire, là… Trois Grands Esprits de l’Hiver en sont responsables, que l’on appelle les « Howlers », et qui, comme de juste, ont été libérés par ce connard de Raven – libérés, parce qu’ils avaient été emprisonnés… par un maître du kung fu appelé « le dieu du feu », allons bon. Déjà, j’y crois plus… Mais Raven a aussi excité la tribu des Tlingits à se fritter contre les Blancs, en servant les Howlers – ils avaient déjà sévèrement cogné les Russes, en même temps (l’Alaska a été acquis par l’Union en 1867, au moment du jeu c’est donc tout frais, si j’ose dire). Les Inuits, par contre, sont cool. Eh.

 

Mais, pour faire face à cette ère glaciaire, la Colombie britannique, donc le Dominion du Canada, donc l’Angleterre, à deux doigts du conflit ouvert avec l’Union depuis l’annexion de Detroit (les deux puissances se disputent ces zones à peine vivables en raison des richesses qui s’y trouvent, la roche fantôme en tête, qui attire des milliers de prospecteurs du dimanche certes pas décidés à attendre la ruée vers l’or du Klondike), bref, le pouvoir British a fait appel aux bons services de... Darius Hellstromme, qui a construit une sorte de « grande muraille électrique », la « Winterline », supposée préserver les contrées plus au sud de l’ère glaciaire en formation au nord. C’est déjà plus ou moins crédible... Ça se complique quand on nous explique qu’en fait cette ligne ne fonctionne pas du tout (d’autant qu’il faut faire gaffe à ce que les différents Juges, ici, ne se marchant pas sur les pieds), mais qu'il y a bien un effet perceptible, qui devrait être celui de l'installation, mais, dont la vraie cause, classiquement, implique des esprits de la nature, bon…

 

Reste que, escroquerie de la « Winterline » ou pas, les conditions sont drastiquement opposées au nord et au sud de cette ligne, approximativement. Et, au nord (ce qui inclut tout l’Alaska), c’est donc vraiment très rude. Weird White North ne fait sens qu’à la condition de sans cesse rappeler aux joueurs que leurs personnages ont froid, ont faim, que le vent est terrible, que la tempête de neige les aveugle, qu'il n'y a personne d'autre à des dizaines voire des centaines de kilomètres à la ronde, et qu’ils vont crever là tout de suite ou presque. J’ai peur que ce soit too much, en fait – mais, bon, j'ai maîtrisé Par-delà les montagnes Hallucinées pour L'Appel de Cthulhu, hein... Et, à condition de travailler l’ambiance, il y aurait peut-être quelque chose à tirer de ce cadre… Ceci dit, sans que le bouquin s’avère vraiment utile ici : nous savons qu’il fait froid, tout là haut.

 

Et comme les « explications », ou plutôt les « secrets », sont ultra-foireux, sans exception, le résultat s’avère nul.

 

La campagne « Mini-Plot Point », intitulée « Against the Howlers » (ce titre donne déjà une idée de l’inventivité et de l’implication de l’ensemble), est en effet pire encore que « Knives in the dark » ; plus longue, mais ne comptant que quatre épisodes, elle m’a paru ridicule de bout en bout – le rôle essentiel joué par feu (aha) notre maître du kung fu, dès le départ, ne me paraissait pas très engageant. La suite est linéaire, forcément, mais d’une manière particulièrement artificielle, un peu jeu vidéo : à la fin de chaque scénario, un type arrive pour dire aux PJ : « Maintenant vous faut aller là-bas », et, au cas où, il y a des panneaux fléchés tout du long (et clignotants) ; littéralement – avec même, si jamais, un objet magique qui sert de boussole (indiquant opportunément l’endroit que tout le Canada et tous les États-Désunis sont censés chercher en vain depuis des années - ze ultimette réserve de roche fantôme, rien que ça). Même sur des distances colossales (du nord de l’Alaska au sud de la Colombie britannique et retour, ça fait quand même une trotte), et dans les conditions que vous savez. L’occasion d’user de quelques « Savage Tales » ? En théorie, oui, c’est fait pour – sauf que lesdites « Savage Tales » sont à chier… Le troisième scénario aurait pu être pas mal – et jouable indépendamment ; mais il est en fait lui aussi bâclé, sur un mode ultra-bourrin qui, en toute logique, devrait déboucher sur l’extermination du Gang ; sauf que les PJ sont censés s’en sortir, de cet endroit qui est le pire de la Colombie britannique, pour se rendre dans un autre endroit, qui est le pire de l’Alaska, et, après une sorte de survival polaire qui pourrait être correct à condition d’être à fond dans l’ambiance, ils doivent latter du Howler, mais avec les objets magiques en forme de deus ex machina de rigueur. Franchement, j’ai trouvé ça à chier.

 

Et les « Savage Tales » n’arrangent rien au tableau : leur nombre  (dix-neuf, soit deux fois plus que dans South o' the Border, encore davantage par rapport à The Great Northwest) ne fait que renforcer l’impression de bâclage, tant elles s’avèrent horriblement répétitives (vengeances posthumes, d’Indiens ou pas, troupes au bord de la mutinerie, British qui font suer les braves z’Américains). C’en est triste, à ce stade. Notez, ça aurait pu être drôle – le chapitre « Encounters » contient tout de même quelques bestioles sacrément ridicules…

 

Un supplément raté, donc – qui ne tient vraiment pas ses promesses, jamais. C’est bien dommage, car ce cadre me bottait bien dans son principe, j’aurais même volontiers ressorti mes Jean Malaurie parce que les Inuits c’est cool, et probablement aussi les bûcherons et les Mounties, mais là c’est peut-être l’effet Monty Python, bon.

 

Reste que Weird White North est plus navet que nanar. Une erreur du début à la fin.

 

TROP RAREMENT À LA HAUTEUR

 

Bilan vraiment pas terrible, donc. Trop souvent, ces guides sont partis d’une bonne idée qu’ils n’ont pas su concrétiser. Dans le cas de South o’ the Border, je suppose que c’est rattrapable – parce que le contexte est cool, même avec ses raccourcis hasardeux : c’est juste que les « scénarios », au sens vraiment très large, sont pourris ; mais en bossant la chose, un bon Marshal doit être en mesure de satisfaire aux besoins d’exotisme d’un Gang motivé (et relativement balaise).

 

Mais, concernant Weird White North, je suis beaucoup plus sceptique, et c’est peu dire – car le contexte tient du gâchis, ne faisant pas honneur au principe même, pourtant très intéressant, d’une campagne dans des conditions aussi effroyables et exceptionnelles : ça ne tient tout simplement pas la route. Les « scénarios » étant au moins aussi à chier que ceux de South o’ the Border, et peut-être plus encore, voilà un supplément entier qui ne sert à rien (formulation polie).

 

Reste pourtant The Great Northwest : c’est le moins original de ces cadres, de très très loin, et c’est pourtant, de très très loin aussi, celui qui fonctionne le mieux (ce qui va au-delà du fait de fonctionner tout court, visiblement c’était trop demander pour les deux autres), du moins sur la longueur d’un supplément – car, cette fois, les « scénarios », sans être extraordinaires, sont beaucoup plus intéressants, beaucoup mieux conçus. La trame de « The Winter war » pourrait paraître éculée, mais mon sentiment global est celui d’une conception plus subtile qu’elle n’en a l’air, pour un résultat tout à fait enthousiasmant. Je pense donc en faire usage sous peu, même si je ne sais pas encore exactement sous quelle forme. On verra bien.

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