One-Punch Man, t. 03 : La Rumeur, et t. 04 : La Météorite géante, de One et Yusuke Murata
ONE et MURATA Yusuke, One-Punch Man, t. 03 : La Rumeur, [Wanpanman ワンパンマン : Uwasa 噂], œuvre originale de One, traduction [du japonais par] Frédéric Malet, Paris, Kurokawa, coll. Shônen, [2012, 2016] 2017, [208 p.]
ONE et MURATA Yusuke, One-Punch Man, t. 04 : La Météorite géante, [Wanpanman ワンパンマン : Kyodai inseki 巨大隕石], œuvre originale de One, traduction [du japonais par] Frédéric Malet, Paris, Kurokawa, coll. Shônen, [2012] 2016, [208 p.]
MON MANGA DE SUPERMARCHÉ
Ça a pris un peu de temps, mais finalement ça c’est bien produit, et dans les conditions que je supposais : j’ai lu de nouveaux tomes de One-Punch Man, le manga initialement créé par One sous forme de webcomic et adapté en version papier par Murata Yusuke, au trait plus professionnel ; deux tomes, les troisième et quatrième, que je me suis donc procurés au supermarché (c’est probablement le seul manga qui s’y trouve et qui puisse m’intéresser), ce en quoi je ne diffère guère de ce couillon de Saitama, à ceci près que, les promos sur les algues, je m’en cogne un peu.
J’étais perplexe, au sortir des deux premiers tomes – avec des choses qui m’avaient plu, d’autres beaucoup moins, voire qui m’avaient agacé… Mais, de l’eau ayant coulé sous les ponts, je me suis dit que ça valait le coup de retenter l’expérience.
Et pour quel résultat ? Pour les gens pressés, je vais lâcher le morceau dès maintenant : j’ai beaucoup aimé le tome 3, clairement le meilleur de la série pour l’heure à mes yeux ; par contre, le tome 4 m’a laissé totalement indifférent, au mieux…
Mais je me suis rendu compte, à parcourir les critiques sur le ouèbe, que je n’avais décidément pas les mêmes critères que la plupart des lecteurs de One-Punch Man…
HÉROS OFFICIELS AU BOULOT !
La série, avec le troisième tome, aborde sans doute un changement de taille dans sa conception, parce qu’un semblant de trame, totalement absent du premier tome et encore très léger dans le deuxième, prend davantage d’importance ici, permettant de mettre en scène des personnages récurrents, dans le contexte d’un monde un peu plus détaillé, s’il demeure encore assez abstrait – mais ça, j’y reviendrai juste après.
Pour l’heure, Saitama, grâce à son disciple imposé Genos, a enfin compris pourquoi il demeurait un anonyme aux yeux de la foule : il lui faut intégrer l’Association des Héros, pour avoir un statut officiel ! Tous deux s’y rendent, tous deux brillent aux épreuves physiques (Saitama explose même les records), et Genos également à l’examen écrit (Saitama beaucoup moins…). Au final, tous deux sont reçus : Saitama de justesse, qui obtient le dernier rang de la Classe C, mais Genos avec davantage de brio, qui intègre directement la classe S – celle des plus puissants des super-héros…
Intégrer cette Association n’a rien d’anodin, et influe forcément sur la suite des événements, que ce soit au travers de la mise en scène de personnages récurrents (Vipaire, Tiger Marcel et son frangin Blackhole Marcel, Bang, ou encore, dans les histoires bonus, Mlle Fubuki ou Tatsumaki…), avec notamment les jalousies de la compétition au sein des différentes catégories de héros, ou bien en jouant des obligations que ce statut officiel confère à Saitama : dans le tome 3, en tant que héros de seconde zone, il doit effectuer un quota d’interventions sous peine d’être rayé des cadres – l’occasion de retrouver, même si par le hasard le plus total, ce connard de Sonic le Foudroyant, apparu dans le tome 2 et qui semble bien constituer la Némésis de Saitama ; mais le tome 4 illustre un autre aspect de ces problématiques, quand la foule manipulée reproche à Saitama les destructions qu’il a causées dans la ville, même si elles lui ont permis de sauver tout le monde et d’éviter qu’il y ait la moindre victime…
Enfin, il y a les missions assignées aux héros, selon une classification détaillée dans le tome 4 : il s’agit pour eux d’intervenir, notamment, contre la menace constituée par des gros monstres antédiluviens qui louchent bien plus du côté de Godzilla que des super-vilains américains ; le tome 3, notamment, joue beaucoup de ce registre kaijû eiga, et c’est assez chouette.
L’Association des Héros, en tant que telle n’est certes pas bouleversante d’originalité (même si le catalogue de ses membres les plus improbables est assez savoureux – à la manière de ce qu’on peut lire dans le Top 10 d’Alan Moore), mais elle fournit un cadre bienvenu pour développer un semblant d’histoire globale, ce qui est finalement appréciable – même si cela peut paraître entrer en contradiction avec les principes mêmes du manga en ligne originel de One.
En même temps, via la concurrence acharnée entre les différents héros, j’imagine que c’est aussi l’occasion de railler ce lieu commun du nekketsu qu’est le tournoi, ce qui passe bien mieux que sa reprise au premier degré dans Gunnm avec le motorball (ce n’est qu’un exemple tout personnel, en rapport avec mes lectures de l’année) ; j’imagine que la pseudo-morale philo-mes couilles « You can get it if you really want », déjà sensible dans le tome 2, et poursuivie ici, notamment à la fin du tome 3 mais pas seulement, est également liée à cet aspect, mais pour le coup je n’ai pas le même ressenti, certes…
UN MONDE EN GERME
Reste qu’une chose qui m’a bien plu, tout particulièrement dans le tome 3, c’est la constitution, petit à petit, par brèves touches çà et là, d’un véritable univers dans lequel situer les aventures de Saitama. Le côté parodique de la série pouvait s’accommoder ici d’un certain flou, mais je crois que ce procédé s’avère finalement plus pertinent, notamment en ce qu’il conserve une certaine mesure. Les auteurs ne nous balancent pas des tonnes de background d’un seul coup, sur le mode « bon, fini les conneries », mais laissent une information ici, une autre là, pour dessiner un monde qui demeure suffisamment abstrait pour ne pas changer le fonctionnement général de la BD, mais avec tout de même suffisamment de matière pour que le monde vive en dehors des personnages.
Ainsi de ces villes qui n’ont qu’une lettre pour tout nom, de la politique de l’Association des Héros incluant des aspects très concrets comme l’abri géant dans l’avant-dernière histoire du tome 3, ainsi de la nomenclature des menaces dans le tome 4 – et peut-être aussi d’aspects davantage « en creux », comme l’origine des monstres qui godzillent sans cesse les villes, tantôt denses, tantôt peu ou prou désertes, sur le mode de la blague dans le tome 3, mais le procédé pourrait peut-être gagner en ampleur si l’on se fie à quelques indices concernant les très chtulhiennes créatures marines qui sèment la zone dans le tome 4 – ou pas.
Bien sûr, cette construction d’un monde a aussi ses répercussions sur les personnages et leur histoire, au-delà des seuls Saitama et Genos, ce dont j’ai déjà donné quelques aperçus – là encore, ni trop, ni trop peu, mais bien un équilibre quelque part surprenant pour une série aussi peu portée à la mesure et à la finesse.
L’UTILITÉ DES BONUS
Ce monde en germe doit beaucoup aux épisodes « bonus » qui concluent chaque volume – et qui constituent souvent des flashbacks impliquant Saitama du temps où il avait encore des cheveux, mais peuvent aussi prendre la forme de brèves aventures parallèles, où Saitama peut faire son apparition, mais de manière très secondaire.
Or ces épisodes « bonus », à en croire les quelques critiques lues çà et là sur le ouèbe pour préparer celle-ci, n’ont pas exactement bonne presse… On leur reproche systématiquement ou presque, peut-être pas de « servir à rien », mais du moins de ralentir le développement de la trame – sauf que, vu ce qu’il en est de cette trame, je ne comprends pas un seul instant qu’on puisse avoir cette « raison » en tête pour justifier la critique des « histoires bonus »… Le fil rouge est éminemment secondaire : ces « histoires bonus » me paraissent en fait bien plus utiles, incomparablement plus, parce qu’elles développent souvent de manière très heureuse un univers qui gagne à être envisagé ainsi, avec plus de distance, dans le temps comme dans l’espace.
En fait, toutes choses égales par ailleurs (car on ne parle certes pas du tout de la même chose…), ces récits « à côté » me font un peu l’effet des histoires courtes, et d’une chronologie interne souvent indécise, qui parsèment çà et là le génial Sandman de Neil Gaiman, en offrant des respirations entre deux avancées de la trame – respirations qui, bien loin d’être gratuites, permettent d’envisager l’histoire principale d’un autre œil. Maintenant, hein, c’est sûr : One-Punch Man, question « finesse », c’est pas exactement Sandman – c’en est peut-être même l’antithèse…
Le tome 3, tout particulièrement, a été critiqué à cet égard, car il compte exceptionnellement (?) deux « histoires bonus », pour cinq épisodes « normaux » – une proportion jugée bien trop importante par bon nombre de lecteurs. Ce reproche me paraît d’autant moins fondé que ces épisodes spéciaux sont très bons, et dans deux registres très différents. « Cet été-là » pousse la logique kaijû dans ses extrêmes, et s’avère très drôle – même sur la base de quelque chose d’aussi idiot et puéril qu’une envie de pisser très inopportune. Plus surprenant, « Un vent nouveau » est focalisé sur un jeune héros ayant intégré une formation aux allures de gang yakuza (l’occasion de faire intervenir des personnages charismatiques – vraiment, je veux dire, pas comme le guignol badass caricatural qui se fait joyeusement défoncer la trogne dans « Cet été-là » –, des personnages charismatiques disais-je et dont il semblerait bien qu’ils aient un rôle à jouer plus tard dans la série : Mlle Fubuki et Tatsumaki). C'est un récit beaucoup moins drôle, avec quelque chose de dramatique même – et de pertinent, je crois, avec ce jeune homme très japonais qui a cessé de faire le sarariman angoissé pour se faire héros mais sans y perdre nullement ses angoisses… La fausse note, à cet égard, c’est donc la pseudo-philosophie (humiliante) de l’effort qu’incarnent ici aussi bien Tatsumaki que Saitama – mais ça, c’est un point de vue très personnel.
L’unique « histoire bonus » du tome 4, « Prison break », est beaucoup moins convaincante – si pas totalement ratée. Il s’agit cette fois de faire un très bref flashback pour expliquer les événements immédiatement en cours dans la trame principale : une séquence en prison, impliquant au premier chef ce connard de Sonic le Foudroyant, et qui n’y va pas de main morte concernant les clichés de la fiction carcérale – la brute gay obsédée sexuelle y compris, en fait un super-héros de classe S qui va volontairement en prison pour se farcir des détenus, et qui répond au nom improbable de Pri-Pri-Prisonnier… Mouais, hein…
Mais, si cet exemple n’est pas convaincant, les deux du tome 3 le sont amplement assez pour justifier à mes yeux l’emploi de ce procédé beaucoup plus utile et pertinent qu’on ne le dit.
C’EST BON QUAND C’EST CON
Mais, certes, la BD est inégale – en ce qui me concerne du moins. C’est qu’elle joue sur deux tableaux plus ou moins compatibles et avec plus ou moins de réussite : l’humour, notamment parodique, et l’action.
L’humour est clairement le point fort de One-Punch Man – d’autant bien sûr que c’est ce qui singularise vraiment, sur un mode éventuellement moqueur, la série conçue par One et les shônen lambda, puisqu’il s’agit de s’amuser avec leurs codes. Les registres humoristiques sont à vrai dire variés, au-delà de la parodie – mais ils font généralement mouche : si, dans le tome 3, je ne pouvais qu’être emballé par la conclusion totalement idiote et absurde de « La Rumeur », j’ai aussi ri de bon cœur, donc, à l’envie de pisser qui s’empare de Saitama dans « Cet été-là » ; c’est certes pas du tout fin, mais c’est efficace.
Le dessin y a bien sûr sa part – au-delà du seul procédé consistant à figurer un Saitama très simpliste dans un univers graphique qui l’est beaucoup moins. Murata Yusuke, assurément un bon dessinateur, fait preuve d’un don indéniable pour la caricature, que la mise en scène de héros tous plus ridicules les uns que les autres favorise particulièrement : dans « Cet été-là », encore une fois, les braves héros qui perdent en l’espace de deux cases leur pose ultra-badass pour exposer en gros plan leurs vilaines petites gueules salement défoncées, c’est con mais c’est bon – ce qu’est la série dans ses passages les plus réussis.
Globalement, ce troisième tome est vraiment très drôle, et c’est bien pour cela que c’est celui que j’ai préféré jusqu’à présent. Le tome 4, par contre… Je n’en ai pas retenu grand-chose. Je suppose que le plus amusant se trouve dans l’épisode « Des voix relou », avec la puérile manœuvre des frères Marcel pour nuire à Saitama. Mouais… En un mouais encore plus dubitatif pour « Prison break », donc. Scénario et dessin (dans le seul registre humoristique), c’est tout de même un bon cran inférieur, sinon plus.
PIF PAF POUM (OU BING BING BONG BONG)
En contrepartie, l’action y est beaucoup plus présente… Et ça me parle de suite beaucoup moins.
Entendons-nous bien : One-Punch Man est un shônen baston, je ne vais pas lui reprocher de mettre en scène de la baston... Par ailleurs, le boulot de Murata Yusuke (et de ses assistants, qu’il mentionne dans les rabats dans ces deux volumes) est assurément de qualité, dynamique, impressionnant, excessif… Agréable à l’œil, par ailleurs – même si je maintiens qu’il abuse un peu du floutage. Mais, ce très éventuel bémol mis à part, c’est clairement du très bon travail.
Ce qui me pose problème, concernant la baston dans One-Punch Man, et tout particulièrement dans le tome 4, c’est qu’elle manque de caractère en dehors de ce seul plan graphique – j’entends, quand la baston occupe absolument tout un épisode, où la narration et le texte sont de facto hors-sujet. Quand un épisode par-ci, un épisode par-là, fait dans la grosse baston sur ce mode, ma foi, ça ne me pose pas spécialement de problème – c’est ce qui se produit, dans le tome 3, avec l’épisode « Face-à-face » ; un épisode par ailleurs totalement inutile, car il consiste en un simple combat d’entraînement entre Saitama et Genos, qui ne contribue pas le moins du monde à l’histoire (alors quand je lis que les épisodes « bonus » ont ceci de fâcheux qu’ils ralentissent la progression de la trame principale, booooooooooooon…). Mais OK – et OK pour les autres séquences de baston dans le tome 3, jamais aussi amples, néanmoins conséquentes (notamment dans les très bons épisodes « La Rumeur » et « Un vent nouveau », ce dernier étant une « histoire bonus »). Par ailleurs, si la narration est très limitée dans « Face-à-face », l’humour est clairement de la partie (et plus encore dans les autres épisodes cités).
Dans le tome 4, c’est autre chose… Déjà, la baston – sur ce mode radical où il n’y a peu ou prou rien d’autre – est au cœur des épisodes « La Météorite géante » (par ailleurs, très long il fait 80 pages – il se lit néanmoins très vite…) et « Le Roi des profondeurs », sachant qu’elle occupe aussi une bonne place dans « La Menace venue de l’océan », et éventuellement dans « l’histoire bonus » qu’est « Prison break ». En clair, le seul épisode plus modéré à cet égard, davantage dans l’esprit du tome 3, est « Des voix relou », soit le seul épisode, ici, qui mette vraiment l’humour au premier plan, avec les bêtises des frangins Marcel ; je suppose qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que ce soit celui que j’ai préféré dans ce quatrième volume, et de très, très loin.
D’autant qu’il y a un autre aspect, dans ces bastons omniprésentes du tome 4, qui m’a posé problème, pas qu’un peu… et c’est que ces scènes (hors « Des voix relou », donc) manquent cruellement d’humour : là où le tome 3 était hilarant, y compris dans la longue séquence de baston entre Saitama et Genos, ce tome 4 relègue l’humour à quelques cases éparses, et se montre globalement d’un ton plus « sérieux » qui ne lui réussit guère – surtout dans la mesure où cela vient complètement anéantir tout ce qui distingue One-Punch Man du shônen d’action lambda, et qui consistait pour une bonne partie en un regard critique, ici aux abonnés absents…
Reste le dessin de Murata Yusuke – irréprochable. Mais, en ce qui me concerne, ça ne suffit pas.
ENTRE-DEUX
Bilan ? Un très bon tome 3, en ce qui me concerne – drôle, malin, avec des aperçus enthousiasmants d’un vrai univers, cependant très approprié dans son abstraction.
Et un tome 4 au mieux médiocre, où la baston omniprésente réduit bien trop la part de l’humour, et avec d’autant plus un côté « sérieux » qui ne me parle vraiment pas du tout…
Et un dessin très convaincant dans les deux tomes.
La suite, alors ? Peut-être un de ces jours – sans urgence : au hasard de mes déambulations dans le supermarché, et de mes envies de popcorn (non, pas d'algues)...
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