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Jouer des parties de jeu de rôle

Publié le par Nébal

Jouer des parties de jeu de rôle

Jouer des parties de jeu de rôle, ouvrage dirigé par Coralie David et Jérôme Larré, Saint-Orens-de-Gameville, Lapin Marteau, coll. Sortir de l’auberge, 2017, 360 p.

LA THÉORIE RÔLISTE ET MOI, BON

 

La théorie rôliste et moi… Bon, on va dire que ça fait 2d6+4. Par là. Y a eu une époque où je me disais que ça serait bien de me renseigner un peu quand même, dont acte, alors GNS ici, OSR là, machin truc narrativo-végan bidule… Je me suis « investi » (…) pendant quelque temps – à mon échelle de novice, bien sûr… Un échec. Tout cela, finalement, ne me parlait guère, dans l’ensemble. De temps à autre, je trouvais bien un truc qui me faisait me dire : « Ah oui, tiens, c’est intéressant, ça… » Mais à la simple idée d’en chercher des applications pratiques, je défaillais – et défaille encore. Il m’a bien fallu, au bout d’un moment, admettre que j’avais globalement une vision pluuuuuuuutôt traditionnelle des choses, sans intégrisme toutefois (j’espère bien que non, bordel !) – et admettre en même temps que je ne pouvais finalement pas envisager ce loisir autrement que sur un mode… décontracté du gland, disons. Paresseusement spontané. Pas vraiment réflexif.

 

Ce n’est pas une revendication, un mot d’ordre, que sais-je. Plutôt un constat un peu désabusé, et très personnel – le souci, c’est moi, pas la théorie rôliste. Y a plein de gens très intéressants qui sont à fond là-dedans, et ils ont sans doute bien raison. Je ne doute pas qu’ils apportent plein de choses pertinentes à un loisir qui, comme toute chose en ce monde, évolue nécessairement (j’espère bien que oui, bordel !). Ils ont la raison pour eux – moi, je m’abrite timidement derrière ma tristement creuse flemme.

 

Cela ne faisait probablement pas de moi le lecteur idéal de ce Jouer des parties de jeu de rôle publié chez Lapin Marteau, dans la collection « Sortir de l’auberge », réfléchissant sur le loisir rôlistique et ses possibilités d’évolution – après un premier volume intitulé Mener des parties de jeu de rôle ; comme ça, c’est clair. L’ensemble a été bien accueilli par la communauté rôliste, ai-je l’impression – et j’étais relativement curieux, finalement, mais peut-être surtout du premier volume ? Pourtant, ces derniers temps, je suis probablement plus joueur que MJ – mais, le naturel, le galop, j’y reviendrai. Curieux, oui… Mais sans réelle intention de me procurer les onéreuses bêtes, pour être honnête – je savais que je ne pourrais pas en faire des lectures prioritaires, hors-contexte.

 

Je vais lâcher les Trois Mots Terribles, ici je crois qu'il le faut : SERVICE. DE. PRESSE. Que m’a aimablement proposé l’éditeur. Ça a un peu changé la donne, en m’incitant à faire passer cette lecture devant quelques autres – chose qui n’a rien de systématique, notez. Et, euh, relativement... Je l'ai quand même lu bien après réception. Mais, oui, j’étais curieux…

 

Et au final ? Un très bon livre. Aucun doute. D’une lecture agréable, toujours intéressant (ou presque), souvent utile. De la théorie rôliste si l’on y tient, mais au niveau des fiches de perso et des poignées de dés – quelque chose de très concret, finalement, et susceptible d’intéresser pas mal de monde, des novices débordant d’enthousiasme aux vétérans casse-couilles « MOI MÔSSIEUR J’AI COMMENCÉ AVEC LA BOÎTE ROUGE ». Avec plein de gens entre les deux.

 

Même si, pour le coup, identifier un lecteur cible peut s’avérer compliqué… Et je redoute un peu que ce volume assez costaud et cher (joli et aéré, en même temps) ne parvienne pas jusqu’aux débutants – ce qui serait dommage, parce qu’ils y trouveraient plein de choses utiles ; pour ainsi dire, ces choses que j’aurais vach’ment apprécié qu’on me les dise ou montre quand, ado, je me dépatouillais tout seul dans mon coin avec les gros bouquins austères de ce loisir chelou.

 

LE MENEUR PENSE, LES JOUEUSES JOUENT ?

 

Le livre part d’un… semi-paradoxe, disons. Il y a depuis pas mal de temps déjà toute une littérature sur le jeu de rôle et autour du jeu de rôle – mais elle semble souvent reproduire (et renforcer) une distinction éventuellement fâcheuse mais bel et bien omniprésente entre le meneur de jeu et les joueuses (pour reprendre le code de ce livre, OK, j’ai pas de problème avec ça), qui a pu être inconsidérément étendue au travers d’un discours simpliste figeant les rôles (si j’ose dire). Le MJ, c’est le gars sérieux de la bande – celui qui lit les livres et gère tout, absolument tout ; les joueuses ? Bah, elles arrivent, elles posent les pieds sous la table, elles font leurs petits trucs… Et tant mieux que ça n'aille pas au-delà ! T’imagines l’horreur si elles se mettaient à lire des trucs et des machins ?! Ah ah ah la bonne blague ah ah. Dès lors, vous imaginez un peu les joueuses réfléchir sur ce qu’elles font ? Ah ah ah la bonne blague ah ah ! Tiens je vais la poster sur Discussions de rôlistes celle-là.

 

Ah ah ah.

 

Soyons sérieux… Parce que la réflexion, comme son nom l’indique, c’est pour le gars sérieux – le meneur de jeu.

 

En clair, les conseils aux rôlistes, quatre-vingt-quinze fois sur cent (au doigt mouillé, le meilleur critère d’évaluation des jets de dés), sont des conseils aux meneurs.

 

(Quand il ne s’agit pas en plus de conseils aux auteurs, mais là on débouche sur des trucs assez glauques, consanguins, et comme y a peut-être des enfants qui regardent…)

 

C’est un réflexe très commun – et je n’en suis certainement pas épargné. Instinctivement, j’ai sans doute longtemps eu tendance à voir les choses ainsi (nouveau témoignage de mon bête conservatisme ludique ?). Le Lapin Marteau lui-même n’en est peut-être pas totalement exempt, d’ailleurs – qui a sorti le bouquin de conseils aux meneurs avant celui de conseils aux joueuses. C’est que ça paraît dans l’ordre des choses.

 

Sauf que ça ne devrait pas. Bien sûr que les joueuses ont leur mot à dire – et certaines (révolutionnaires) l’ont fait spécifiquement sous cet angle de joueuses. Il en découle pour elles plein d’occasions de réfléchir sur leur pratique, de se demander comment l’améliorer, de tenter des trucs différents… Le meneur ? Eh bien, c’est une joueuse, lui aussi… Quand il y en a un, d’ailleurs – ce n’est plus toujours le cas (même si le présent ouvrage, globalement, traite surtout de jeux à MJ, pour ne pas brusquer le quidam à poil dur). Et envisager les choses ainsi, réflexe salutaire même en étant tardif, c’est l’occasion de rééquilibrer la balance – de repenser les rôles, sur un mode, disons, « démocratique » ? L’autocratie du MJ prendra fin, le moment venu – nous en sommes à l’avant-veille du matin de l’antépénultième jour avant celui qui précède celui du Grand Soir, et là il fera moins le malin !

 

Sauf que non… Il ne s’agit bien sûr pas d’opposer les deux. La mauvaise blague ah ah.

 

Non : le mot d’ordre de ce livre, c’est de jouer ensemble.

 

(Un truc de SJW à l’évidence.)

 

Et c’est bienvenu, et ça fait du bien.

 

CRÉATION ET DÉVELOPPEMENT DU PERSONNAGE, OU : ÇA VA MIEUX EN LE DISANT – BEAUCOUP MIEUX

 

Avec toutes ses qualités, nombreuses, dont je vais tâcher de rendre compte ici, Jouer des parties de jeu de rôle n’est pas sans failles pour autant – et l’une, pas dramatique sans doute, concerne le plan, qui me laisse un peu perplexe. Je vais donc le bidouiller un peu dans ce compte rendu, pas forcément de manière beaucoup plus satisfaisante à vrai dire, avec une première rubrique portant sur la création, l’interprétation et le développement de personnages, et une deuxième sur le fait de jouer ensemble ; une troisième proposera enfin des pistes plus spécifiques pour faire évoluer les parties – en incluant quelques trucs qui ne me parlent vraiment pas du tout, sans qu’il faille en déduire qu’ils seraient en tant que tels mauvais ou ineptes.

 

Commençons par le commencement, et donc avec la création de personnage – processus qui se prolonge ensuite en cours de jeu, au plan de la technique comme de l’interprétation, avec plusieurs pistes de réflexion des plus utiles.

 

Ce qui implique de poser d’abord quelques notions ? Le recueil s’ouvre sur une « discussion » entre Anne Richard-Davoust et le Grümph intitulé « La bonne joueuse, tu vois, elle lance les dés… » L’allusion à un sketch antédiluvien porte, car le volume dans son ensemble prend soin de ne pas parler de la « bonne joueuse », ce qui reviendrait aussi à parler de la « mauvaise » (encore qu’il y ait quelques exceptions, « cette joueuse-là » évoquée en fin de volume par Selene Tonon y ressemble quand même pas mal, et j’y reviens très vite). Après tout, les outils contenus dans cet ouvrage ne sont pas impératifs, un catalogue exhaustif de comportements obligatoires sous peine d’exclusion du Groupe et de déportation dans les rizières (et plus vite que ça, déviationnistes !). Ce sont des conseils, variés – une boîte à outils, où on pioche ce dont on a besoin, ou même, plutôt, ce que l’on a envie d’essayer ; et si ça ne marche pas, ben, c’est pas dramatique, hein… Tout ne sert pas forcément maintenant, et on pourra peut-être y revenir plus tard… Finalement, cette « interview » liminaire, sous cet aspect un peu alambiqué, développe peut-être surtout d’autres notions qui demeureront en filigrane sur toute la durée du recueil – celle de roleplay, par exemple, et l’idée que jouer un rôle, ça n’est pas nécessairement faire dans le théâtral à base de tchatche envahissante (horreur glauque), c’est aussi participer à un combat et choisir de porter ce coup plutôt que tel autre… Le jeu de rôle est un loisir accessible aux timides, aux gens qui n’ont pas de bagout (c’est heureux…) ; « peu » parler, de la sorte, n’implique en rien d’être une « mauvaise joueuse », une notion (?) bien trop réductrice et arbitraire pour faire sens dans pareille étude (et au-delà).

 

Ceci étant posé, nous y arrivons : la création de personnage. Pas un passage obligé, néanmoins une première étape assez commune. Coralie David (la codirectrice de l’ouvrage avec Jérôme Larré) y dédie les deux premiers articles (sous cette forme) de Jouer des parties de jeu de rôle, d’abord « Créer un personnage », puis « Développer un personnage au fil du jeu ». N’y allons pas par quatre chemins : ces deux textes sont vraiment excellents. Vraiment. Ce sont des exposés très complets, très pertinents, très clairs enfin et peut-être surtout. La problématique est toujours très concrète, et le ton posé, jamais directif, est très approprié. J’avais lu une critique, mais je ne sais plus laquelle, pardon, qui faisait de même l’éloge de ces deux articles en disant en gros qu’il faudrait qu’ils figurent dans tous les bouquins de jeu de rôle. Je suis tout à fait d’accord – au stade de la création de personnage, et au-delà, car ça remplacerait très utilement ces mini-machins chiants et lapidaires (ou abscons) que l’on trouve dans tout livre de base, et qui sont censés expliqués comment on joue au jeu de rôle, sans jamais y parvenir ; à la différence desdits chapitres, les articles de Coralie David, limpides, ont aussi ceci de précieux que, tout en s’adressant en priorité à des novices, ils contiennent en même temps bien assez de matériau pour intéresser les vieux briscards, et même, figurez-vous, les inciter à tenter des trucs un peu différents, pour une fois. Bilan sans appel : qu’on élève illico une statue à la gloire de Coralie David !

 

Après quoi Romain d’Huissier poursuit sur ce mode, avec simplement un peu moins de brillant (ce qui en soi n’est pas une critique, c’est seulement que les articles qui précèdent sont vraiment très bons), et livre donc quelques clefs pour « Interpréter un personnage ». Revient ici une dimension déjà marquée dans les textes de Coralie David, que l’on pourrait résumer banalement par cette sentence plus précieuse qu’elle n’en a l’air : « Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant. » Beaucoup mieux, même – car, à la vérité, non, rien de tout cela ne va sans dire : le vétéran en retirera peut-être même une forme d’illumination, « ah mais en fait j’ai toujours fait comme ça alors qu’on peut aussi faire comme ça », ce qui est en plein dans l’optique du recueil, et le novice, quant à lui, bénéficiera là encore de conseils très concrets et autrement éclairants que ce que le livre de base lambda contient à ce sujet.

 

Ces articles figurent tous dans la première partie de l’ouvrage, consacrée aux « bases ». Il y en a d’autres, mais que je préfère envisager plus loin. Par contre, il faut peut-être y associer deux autres articles figurant bien plus loin dans le recueil, et plus ambigus, car ils sont en fait à la lisière des « bases » et du « jouer ensemble », penchant tantôt de tel côté, tantôt de l’autre – ou en même temps, comme des bateaux de Schrödinger. Il s’agit de deux articles dus à la même autrice, Selene Tonon, et intitulés « Dépasser ces clichés » et « Ne pas être cette joueuse-là » (quel étrange goût des adjectifs démonstratifs !), le second constituant en fait, ce qui ne manque pas de m’étonner, la première conclusion de Jouer des parties de jeu de rôle, qui en compte deux.

 

« Dépasser ces clichés » me paraît devoir être cité ici car il pose des questions concernant la création de personnage et l’interprétation, sur un mode « général » qui me paraît approprié aux « bases », ou tout autant, à vrai dire, au « ça va mieux en le disant » : il s’agit, sujet très sensible en ce moment, de voir comment introduire de la variété en jeu de rôle, au sens de l’interprétation de personnages d’un genre différent, d’une orientation sexuelle différente, ou encore d’une ethnie différente. En évitant les mauvais clichés. L’article est indéniablement pertinent, et son ton très posé franchement agréable. J’avouerai toutefois, mais c’est une chose à la fois très personnelle et très ponctuelle, circonstancielle, et finalement indépendante de l’article, que l’omniprésence des empoignades sur toutes ces questions depuis quelques mois m’a (instinctivement ?) incité à prendre un peu de distance avec tout ça – ou, dit autrement, à ne pas trop m’impliquer, lâchement sans doute. L’article est bon – mais je ne peux pas (n’ose pas, ne veux pas, je sais pas) en tirer tout le sel maintenant ; il me faudra en fait y revenir plus tard – le format du livre, et les notes d’intention des éditeurs et auteurs, incitent de toute façon à picorer ainsi, fonction des circonstances, dans un recueil qui s’y prête parfaitement.

 

L’autre article de Selene Tonon, « Ne pas être cette joueuse-là », en conclusion donc, poursuit dans un sens cette thématique, là encore à la lisière de la création/interprétation et du jouer-ensemble, avec une louche de « ça va mieux en le disant », en décortiquant une phrase de synthèse : « Je joue avec les autres en les laissant jouer. » Le propos général tourne donc autour du « savoir-être », finalement résumé par un unique principe : celui de la bienveillance. Mais on y identifie avant tout des comportements toxiques, de divers ordres, qui nuisent à la partie. Du coup, le ton, cette fois, est plus directif – ce que j’ai un peu regretté… Oui, ces comportements sont nuisibles, il faut en parler, expliquer ce qui ne va pas, etc. À cet égard, même à s’en tenir au listing, l’article est pertinent (et complète celui de Cédric Ferrand, notamment, sur lequel je reviendrai plus loin). Mon souci, en fait, concerne le retournement de la problématique… car chaque comportement à prohiber se voit compenser par une « pensée positive » ; et ça, rien que l’intitulé, ça me donne envie de hurler. C’est bête, sans doute, mais j’ai fait un gros blocage sur les thérapies cognitivo-comportementales truc-machin et la pensée positive de manière générale, du coup ça m’a complètement sorti du truc – et même agacé. En clair, cet article m’a paru tomber dans le travers impératif que la même autrice avait très habilement et très pertinemment su éviter dans « Dépasser ces clichés », pourtant autrement casse-gueule en apparence. Mais bon, ça, on va dire que c’est moi… Un refus d’obstacle tristement subjectif.

VARIATIONS SUR LE JOUER-ENSEMBLE

 

Le recueil obéit donc à un autre plan, mais, à mes yeux, s’il est un deuxième ensemble à dégager, c’est celui, crucial, du « Jouer ensemble ». Tel est d’ailleurs le titre du premier article que je vais citer ici, signé Emmanuel Gharbi, mais il me paraît possible de l’étendre à d’autres articles épars dans le recueil (dont les deux de Selene Tonon que je viens d’évoquer, puisque le jeu sur les stéréotypes comme les comportements toxiques ont forcément un impact sur la dimension collective du jeu de rôle ; mais je n’y reviendrai pas au-delà). Ce premier article tourne essentiellement autour de la notion de « contrat social », disons – mais entendue largement, puisque cela inclut la logistique autour des parties, aussi bien la bouffe que la prise de notes, etc. Mais, de manière moins prosaïque, il s’agit, pour le meneur et pour les joueuses, de bien s’entendre sur ce qu’ils souhaitent faire au juste, en prenant en compte la dimension collective et même sociale de ce loisir particulier qu’est le jeu de rôle. Même chose que précédemment : cela ne va pas forcément sans dire, et cela va sans doute bien mieux en le disant – même, comme ici, de manière passablement sèche. Certains sujets sont dès lors un peu mis en avant, plus délicats – comme les tabous des joueuses, les « limites », en évoquant des outils tels que la « carte X », etc. Je ne suis sans doute pas bien certain de ce que je pense de tout cela, quant à moi (enfin, si, sur un truc : le contrat social, c’est important), mais il y a assurément de quoi cogiter sur la base des conseils et réflexions figurant dans cet article.

 

Je suppose que l’on pourrait directement y accoler un autre qui se situe pourtant bien plus loin dans le recueil, « S’approprier un jeu », par Raphaël Bombayl. Hélas, il ne m’a vraiment pas marqué, pour le coup… Et un survol de la fiche de synthèse (il y en a une après chaque article ou presque) n’y a rien changé.

 

Un troisième article me paraît entrer en résonance avec le concept fondamental de contrat social, mais sur un mode plus ciblé, ou disons plus pointu – car il aborde en fait des questions d’ordre très général, à la différence des cas que je vais évoquer dans la rubrique qui suivra : il s’agit d’ « Exploiter la distinction entre joueur et personnage », de Guylène Le Mignot, titre éventuellement trompeur – en tout cas, je ne m’attendais pas spécialement à ce contenu, disons ; oubliez le truc du « ce que sait le joueur, ce que sait le personnage », ce n’est pas du tout le propos. On revient en fait ici à la question de base : que veut-on jouer au juste ? Mais l’approche est plus théorique, qui confronte des concepts précis, comme ceux de joueur auteur et de joueur acteur, ou – et c’est le passage de l’article qui en justifie (plus ou moins) le titre – celui de bleed ; un sujet que je trouve vraiment intéressant, j’en aurais bien lu davantage. À cet égard, c’est probablement l’article le plus pointu, en mode « théorie rôliste », de l’ensemble – avec peut-être celui d’Arnaud Pierre plus loin, mais, euh, broumf… On y reviendra. Quoi qu’il en soit, l’article de Guylène Le Mignot m’a fait l’effet d’être un peu inégal, mais il y a indéniablement des choses à creuser là-dedans.

 

Sur ces (globalement) bonnes bases, il est donc temps de voir ce que cela implique au juste, que de jouer avec les autres. Je relève ici deux pistes, mais il pourrait y en avoir d’autres, éventuellement reléguées dans la troisième rubrique, pour des raisons dont je m’expliquerai le moment venu.

 

On commence avec Julien Pouard, et « Coopérer et rivaliser ». Tel est le titre de l’article, mais, honnêtement, j’ai surtout retenu l’aspect « rivalité »… Il faut dire qu’il va contre les réflexes traditionnellement associés au jeu de rôle, même avec ses sources dans le wargame – c’est ce fameux jeu où il n’y a pas de gagnant. Je suis partagé sur cette question… La rivalité peut sans doute constituer un outil propice à des développements amusants en cours de campagne, mais ce n’est pas sans risque – notamment au regard de l’ambiance autour de la table : clairement, si la rivalité doit intervenir, c’est à mentionner impérativement dans le contrat social. Avec quelques précautions, il y a sans doute de quoi faire, mais j’avoue demeurer un peu sceptique à cet égard – ayant l’impression, ou le préjugé, que les risques l’emportent sur les bénéfices ; pis j’ai un formatage idéologique anti-compétition, ça ne me rend pas les choses aisées…

 

Nous retrouvons ensuite Coralie David et Jérôme Larré pour un article peut-être plus généraliste : « Créer du jeu pour les autres ». Là, on en est en plein dans la thématique du jouer-ensemble au sens le plus pratique, au-delà des principes ou tabous, qui relèvent quant à eux de plus hautes sphères – même si un principe essentiel demeure en guise de fondation de tout le reste : l’attention aux autres, l’écoute (qui a aussi un autre corollaire, la disponibilité). L’approche est très concrète, directement utile, et « va bien mieux en le disant ». Le genre de choses qui font tout l’intérêt de Jouer des parties de jeu de rôle.

 

Enfin, un dernier article peut être mentionné ici… un peu par défaut. Parce qu’il balaye large, en fait – renvoyant à des éléments de création et interprétation des personnages, de contrat social, de coopération et d’expériences plus ciblées ; en somme, si je le classe ici, ben, c’est pour qu’il soit au milieu, quoi… On y retrouve Coralie David et Jérôme Larré, mais associés cette fois à Peggy Chassenet, pour un texte intitulé « Se laisser surprendre ». Un intitulé qui peut recouvrir pas mal de choses… et, euh, c’est bien le cas, donc. On y trouve aussi bien des réflexions sur l’aléatoire systématique en jeu (dont le principe même… me sidère, en fait ; heureusement, les auteurs montrent bien en quoi ce n’est pas une solution, ouf) que des considérations relevant de la création de personnage, et notamment de son background (sujet bien mieux traité plus haut par Coralie David en solo), ou des conseils de jeu dans la lignée de « Créer du jeu pour les autres » (y a comme une impression de répétition, pour le coup…), enfin, et c’est le véritable apport de cet article, une illustration de tous ces thèmes au regard du genre de la romance – un genre qui n’est absolument pas pour moi, il me met vraiment mal à l’aise ; même si je vais tenter sous peu, en tant que joueur, une approche davantage « drama » qu’à mon habitude, car cela me rend curieux en même temps… Mais, pour le coup, j’ai des limites, là maintenant du moins, et, finalement, la « carte X »… Euh… Non, mais… Euh.

 

QUELQUES TRUCS PLUS CIBLÉS

 

On trouve enfin des développements plus ciblés, mais d’ordres très divers… et avec une réussite très variable, cette fois. À mes yeux du moins – mais c’est que, à plusieurs reprises, ces articles développent des optiques de jeu... qui ne me parlent vraiment pas du tout, mais sauront sans doute parler à d’autres, moins bornés que votre serviteur.

 

Des personnages... particuliers

 

Deux articles se penchent sur des types de personnages particuliers, mais que l'on peut trouver dans nombre de jeux, pour voir ce qu’il est possible d’en tirer d’intéressant. Deux articles presque antinomiques – car le premier traite des « incapables », et le second des « génies ».

 

Commençons par les gros losers, avec Sandy Julien, et « Faire d’un incapable un héros ». Les incapables sont ces types qui ne brillent nulle part ou pas où il faut, que ce soit le produit d’un mauvais tirage aux dés à la création de personnage, d’une volonté délibérée, ou d’une méprise quant à l’orientation du jeu (contrat social, le retour de la vengeance ?). Sujet intéressant… mais article guère convaincant à mes yeux, surtout parce qu’il est très redondant. Pour le coup, ça ne va pas mieux en le disant.

 

« Jouer des génies », par Olivier Caïra, m’a bien davantage botté. Le ton agréablement léger dissèque en même temps très bien la figure du génie dans les œuvres de fiction pour en tirer des enseignements aisés à transposer dans une partie de jeu de rôle, et permettant dès lors de jouer un personnage bien plus intelligent que soi-même sans que cela ne sonne systématiquement faux. L’article est très réussi – mais il a eu un autre effet, me concernant, en soulignant la regrettable absence, dans ce recueil, d’un équivalent consacré aux personnages très doués en matière de relations sociales – un autre genre de génies, dont l’interprétation en jeu de rôle me paraît à vrai dire plus problématique encore que celle des Sherlock et compagnie ; mais peut-être y a-t-il, les concernant, des « trucs » équivalents ? Je n’en ai aucune idée, mais serais très curieux de lire ça.

 

(D’autant que j’aime bien jouer des personnages « sociaux », moi le gros timide, allez comprendre, mes frustrations qui causent, si ça se trouve, merci Sigmund, fallait pas.)

 

La tacatacatique du rôliste

 

Et là… On en arrive à des trucs plus… « problématiques ». Mais pas dans l’absolu, notez : en fonction des seuls critères dérivés du Je, Me, Myself, I. Forcément les plus pertinents, hein.

 

Avec tout d’abord… ben, un article qui fait un peu tache dans le recueil – pas forcément mauvais, et sa place ici peut être justifiée à maints égards (ce que les éditeurs font comme de juste), reste qu’il ne traite finalement pas du tout de la même chose que, eh bien, tous les autres articles… Alors en plus, le placer dans « les bases », entre l’article sur l’interprétation de Romain d’Huissier et celui sur les fautes dans le théâtre d’impro de Cédric Ferrand (j’y arrive), ben, ça jure un peu quand même.

 

Il s’agit en effet d’ « Aider son personnage à gagner : le b.a.-ba de l’exploration de donjon », par Géraud G. Bon, je n’ai que très exceptionnellement exploré des donjons en jeu de rôle sur table… Ce n’est pas un truc qui m’attire, même si une séance ou deux avec un enrobage différent, je ne suis certainement pas contre – mais ça ne m’attirait pas davantage ado. Dans le cadre de cet article, cela m’attire à vrai dire encore moins, car l’approche est ultra méticuleuse au niveau tactique, et dans l’optique de « gagner » ; à ces deux niveaux, ce n’est tout simplement pas ce que je recherche.

 

(Sur table. Dans un jeu vidéo, je dis pas.)

 

L’inspi à piocher (mais pas forcément inspirée)

 

Autre « article » isolé dont je ne sais que faire : celui, un de plus mais vraiment pas le meilleur, du duo éditorial Coralie David et Jérôme Larré, intitulé « Se renouveler », et dont je ne suis pas bien sûr qu’il renouvelle grand-chose.

 

C’est une liste de réactions possibles à tel ou tel événement. Bon, pourquoi pas… Le truc qui m’ennuie, et là je ne suis vraiment pas en train de faire le vétéran, je n’en suis pas un, c’est que rien, dans tout cela, ne m’a vraiment paru constituer une alternative à ce que d’autres joueurs ou moi-même auraient pu faire. Je n’ai jamais été surpris, encore moins enthousiasmé. Du coup, ben, une inspiration à piocher, mais pas vraiment inspirée… Ce qui fait comme un contraste avec les autres livraisons du duo, autrement heureuses, dans ce recueil qu’ils ont fort bien coordonné.

 

L’angoisse des matchs d’impro

 

Et arrive le moment terrible… avec une dose d’aveu façon 36 15 My Life, comme on disait au XIVe siècle.

 

Voilà : je hais le (mgniii !) spectacle vivant. De manière systématique – enfin, à une exception près : les concerts. Parfois. Pas toujours. Mais alors le théâtre, sur scène ou de rue, etc., le cirque, les performances, ce genre de trucs… AAARGH ! Je hais tout ça. Au sens où ça me met mal à l’aise, où ça me fait peur même, et je crois que c’est de cette peur que provient la haine. De la coulrophobie étendue à tous les saltimbanques, en somme.

 

Les clowns, saletés ! Les mimes !

 

Et...

 

LE THÉÂTRE D’IMPRO !

 

Or on compare souvent le jeu de rôle aux matchs d’impro. Je ne suis pas bien certain que ce soit à bon droit – ne serait-ce que parce qu’il me faut bien justifier que j’adore l’un quand je déteste viscéralement les autres (sans vraiment les connaître en même temps, oui, bon, OK, ça va)… La scène, le statut de spectateur, la performance – autant d’éléments que j’utiliserais volontiers dans mes réfutations peut-être un peu quand même sophistiques.

 

Pourtant, je suppose que d’autres rôlistes sauront en retirer des éléments précieux et utiles… En fait, cela relève de la certitude, au sortir de l’article de Cédric Ferrand intitulé « Garder la balle en l’air » ; qui est clairement un bon article. L’auteur identifie les « fautes » relevées dans les matchs d’impro, et voit ce qu’il est possible d’adapter au contexte rôlistique. C’est pertinent. C’est même… intéressant.

 

Sur une base de matchs d’impro.

 

Allais-je donc renier tous mes préconçus ? HORREUR GLAUQUE !

 

Heureusement, non – parce qu’un dernier article m’a permis de m’y raccrocher comme à la planche du salut : « S’entraîner », par Arnaud Pierre. Qui propose donc des exercices « d’échauffement » employés avant les matchs d’impro. La perspective même de « m’échauffer » avant une séance de jeu de rôle me laisse un peu perplexe, celle, à plus long terme, de « m’entraîner », au moins autant (vous ai-je dit que je haïssais la performance ? oui ?). Le contenu exact de ces exercices, par chance, a justifié ma haine en dernier recours. J’ai lu ça les yeux exorbités de bout en bout ; après quelques pages, j’ai commencé à montrer les crocs, à grogner, à baver… Ouf ! Pensez donc, j’avais eu très peur, après l’article de Cédric Ferrand ! Mais là c’est bon, j’ai retrouvé toute ma détestation, toute ma mauvaise foi, toute ma puérilité. Merci, donc – au moins pour ça.

 

HAINE.

 

HAINE.

 

HAINE.

 

OUVERTURES

 

Pardon.

 

Oubliez ça.

 

Parce que ce recueil est globalement de très grande qualité. Outre les brillants articles du début, que les novices devraient tous lire (mais...), sans qu’ils soient pour autant inutiles aux vieux machins, on trouve dans Jouer des parties de jeu de rôle plein de pistes de réflexion intéressantes, pour tous les niveaux, pour tous les goûts.

 

Certes, arrivé à terme, on peut avoir le sentiment qu’il y a quelques oublis, sinon lacunes… J’ai évoqué le cas des PJ sociaux, mais on pourrait peut-être se pencher sur de tout autres domaines. À titre d’exemple, je me suis demandé si le jeu de rôle virtuel n’avait pas quelques spécificités à creuser – ce qui a peut-être été fait pour les meneurs, mais en tout cas pas ici pour les joueuses. Ce n’est qu’une interrogation – et la réponse est peut-être tout simplement : « Non, il n’y en a pas. » Mais au cas où… Ce genre de choses, quoi.

 

Mais les éditeurs eux-mêmes, comme de juste, concluent leur ouvrage sur des ouvertures vers d’autres questionnements, d’autres approches – incluant des jeux « moins traditionnels », impliquant de repenser le distinguo meneur/joueuses ; ce qui peut aussi, bien sûr, se faire quand une joueuse devient meneur, etc. Il y a aussi « l’échec utile », ou encore l’échange avec la communauté rôliste...

 

Et l’injonction ultime qui passe bien : « Jouez, jouez et rejouez ! » Effectivement ce qu’il y a de mieux à faire.

 

Jouer, toujours – et finalement, toujours décontracté du gland. Y a pas d’incompatibilité.

 

Un bon livre, donc, bien fait, d’une lecture agréable. J’ai été conquis, probablement davantage que je ne le pensais. Me faudra peut-être jeter un œil à Mener des parties de jeu de rôle, du coup… et guetter les futures publications du Lapin Marteau.

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