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Introduction to Japanese Horror Film, de Colette Balmain

Publié le par Nébal

Introduction to Japanese Horror Film, de Colette Balmain

BALMAIN (Colette), Introduction to Japanese Horror Film, Edinburgh, Edinburgh University Press, [2008, 2010] 2013, XI + 214 p.

UNE INTRODUCTION

 

Introduction to Japanese Horror Film, de Colette Balmain, à n’en pas douter, est une conséquence « académique » de l’engouement passager, au tournant du millénaire, pour ce que l’on a appelé la J-Horror, sur la base de quelques succès japonais inattendus, dans la foulée du Ring de Nakata Hideo, jusqu’à ce que la vague retombe à force de mauvais remakes américains – et, bon, sans doute aussi d’un essoufflement du genre au Japon même, à force de variations qui ne faisaient même plus l’effort de se dissimuler un chouia (je suppose que la « K-Horror » a pu aussi y avoir sa part).

 

Mais ce livre est donc exactement ça : une introduction, pas une somme. Ce qui est parfois un peu frustrant, notamment parce que cet ouvrage n’ « analyse » véritablement qu’assez peu de films, chaque chapitre se focalisant sur trois, quatre métrages jugés pertinents (ce qui n’est pas nécessairement lié à la qualité intrinsèque desdits métrages). Ma foi, les introductions ont leur utilité...

 

Mais est-ce une bonne introduction ? Je suis partagé… Parce que, si ce livre présente à mes yeux certaines qualités, qui en ont fait une lecture que j’ai globalement trouvé intéressante, et en tout cas agréable, il est indéniable qu’il présente certaines failles, qui peuvent aller jusqu’à mettre en cause sa crédibilité.

 

DES FAILLES…

 

Et, au premier chef, je suppose que l’autrice, « senor lecturer in film at Buckinghamshire New University », n’est pas japonisante. Ce qui en soi n’a bien évidemment rien d’une tare – le problème, c’est que ça l’amène à commettre quelques erreurs à même de faire hausser le sourcil même à une tanche ignare ramant en deuxième année telle que votre serviteur… Il y a un indice de tout cela dans la transcription systématiquement erronée (donc pas simplement coquillée) de concepts qui peuvent avoir une certaine importance – par exemple, « shakai-mono » est systématiquement rendu par « shakiamono », ou « tatemae » par « tateme ». En soi, ce n’est pas dramatique, je suppose – juste pas très sérieux.

 

Ce qui est plus gênant (outre un certain nombre d'erreurs factuelles qui ont pu être signalées mais que je ne suis que bien trop rarement en mesure d'identifier), c’est que certains de ces concepts sont mal compris – ainsi de la distinction entre « l’intérieur » (uchi) et « l’extérieur » (soto)… ce qui, plus gênant encore, amène l’autrice à formuler (ou à reprendre, en fait) des généralisations abusives sur la culture japonaise et la perception du monde par les Japonais – en l’espèce avec une « théorie » sur le soi et l’autre, qui prétend emprunter à ces concepts mais tout autant à la grammaire du japonais, à ceci près qu’elle les déforme jusqu’à en extraire au forceps des conséquences très, très contestables (ici, par exemple, sur la base de « l’absence de pronoms », dont Colette Balmain dérive une confusion de la première et de la deuxième personnes, déterminante dans le rapport à l’autre, qui serait « forcément différent » de ce que nous connaissons en Occident).

 

Et pointe derrière tout cela un risque que l’autrice perçoit bien, pourtant, qui multiplie les avertissements à ce propos… mais tombe malgré tout dans le piège ? Colette Balmain emprunte à l’idée d’ « orientalisme », notamment, et évoque en passant quelques « nippologies », en sens inverse – ce qui devrait constituer autant d’illustrations de ce que la tendance à vouloir opposer, en l’espèce, le Japon et l’Occident, risque de réduire le premier à une « image d’Épinal », si j’ose dire, réductrice et biaisée à force de colportages des mêmes idées reçues sur la société japonaise. Ce qui était bien compréhensible chez Ruth Benedict en 1945 est sans doute moins acceptable au XXIe siècle…

 

Il n’est certes pas facile de se débarrasser de ce genre de prénotions – et, par ailleurs, « gommer » toutes les différences dans une optique universaliste ne ferait pas plus sens qu’un culturalisme un peu outrancier ne voulant voir que ces mêmes différences en gommant les similitudes ou les rapprochements. Le discours doit être nuancé. Parfois, Colette Balmain y parvient – dans les grandes lignes du moins : l’évocation du « gothique d’Edo » patine parfois un peu mais offre une piste de recherches comparatiste intéressante, tandis que la remise en cause d’une sorte de primat de la psychanalyse dans l’horreur occidentale débouche sur des développements qui me paraissent pertinents. La réflexion récurrente sur la désintégration de la structure familiale (l’autrice parle beaucoup du système ie, mais toujours dans une optique bien plus large, elle ne le lie pas initialement à la « maison » ou même à vrai dire à la famille) me paraît difficile à contourner, par ailleurs, même si elle est riche de clichés potentiels. D’autres approches éventuellement liées, comme celles opposant féminisme et patriarcat (j’y reviendrai) ou l’idée d’aliénation due à la modernité dans le registre de la techno-horreur, produisent des réflexions plus ou moins pertinentes, je suppose – cela relève davantage de la casuistique : ici, OK, là, un peu moins…

 

Le problème, c’est que, sous-tendant ces discours, il y a donc des généralisations abusives – à la manière des nippologies. Ceci étant, ce qui manque peut-être à l’autrice, ici, au-delà d'une expérience plus concrète de la société et de la culture japonaises, dont je ne peux certes pas moi-même me targuer, c’est aussi une certaine distance – car c’est après tout la raison d’être de ces nihonjinron : elles constituent un discours des Japonais sur eux-mêmes. Le succès de ces théories auprès du public japonais justifie assurément qu’elles transparaissent dans les films japonais – et, avec une certaine distance, donc, leur examen serait sans doute riche d’enseignements, dans une optique disons de sociologie des représentations ; le problème, c’est de les prendre au pied de la lettre – parce que, connoté positivement ou négativement, ou même prétendant (faussement dans la très grande majorité des cas) à la neutralité, un stéréotype reste un stéréotype.

 

LES ORIGINES ?

 

Le livre est divisé en deux grandes parties – un plan qui m’a paru plus ou moins convaincant… Dans la première, l’autrice traite des « origines » du cinéma d’horreur contemporain – que la deuxième partie étudie au prisme des divers sous-genres de l’horreur. Mais la limite est éventuellement floue, entre les « origines » et le « contemporain », a fortiori dans la mesure où la seconde partie, avec son classement par genres, aurait finalement pu intégrer les développements de la première partie concernant le « gothique d’Edo » ou les pinku eiga fantastiques (j’ajouterais que la délimitation de ces derniers est particulièrement problématique – outre que leur examen aurait pu faire sens, au moins de manière parallèle, quand on en arrive notamment aux films de rape-revenge).

 

Mais, à vrai dire, je n’ai guère envie de m’attarder sur la première partie : le champ des « origines » en fait un nid à clichés, et très, très peu de films sont étudiés ici. Et notamment rien d’antérieur aux années 1950 – c’est fâcheux, pour des « origines », même si nombre de films antérieurs à la guerre ont disparu, certes… Même au-delà, il n’y a pas grand-chose – moi qui étais curieux d’un certain cinéma fantastique contemporain du Kwaidan de Kobayashi Masaki, je n’ai pas eu grand-chose à me mettre sous la dent (enfin, n’exagérons rien : on évoque bien trois ou quatre classiques que je ne connais pas le moins du monde…).

 

Le point d’orgue de ces « origines » réside dans une analyse comparée, pas hyper convaincante à mes yeux, de Godzilla de Honda Ishirô et des Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi Kenji (si), comme deux symptômes de la crainte de la modernité (et de la désintégration de la structure familiale, et de l’individualisme, et des nouveaux rapports entre les hommes et les femmes, etc.). Mouais…

 

Au-delà, l’idée d’un « gothique d’Edo » m’a paru intéressante dans une perspective comparatiste, mais l’examen des « histoires de fantômes érotiques », matière dont je ne sais absolument rien, certes, ne m’a pas convaincu non plus.

 

Bof bof au mieux.

GENRES

 

Heureusement, la deuxième partie me paraît plus intéressante, qui examine le cinéma d’horreur japonais contemporain au prisme de cinq sous-genres, eux-mêmes susceptibles de nouvelles subdivisions.

 

« Genre » est à vrai dire un terme ambigu, ici (en français, veux-je dire) – car l’autrice, dès la première partie, multiplie les analyses issues de la réflexion féministe sur le patriarcat et l’oppression des femmes. Il est vrai que le cinéma d’horreur constitue un champ privilégié de cette réflexion – il a comme un problème avec les femmes, parce que les hommes qui font ces films (et qui les regardent/consomment) ont un problème avec les femmes (coupable, votre honneure, supposé-je). Dans le cas du cinéma japonais, la place essentielle dans le genre fantastique/horrifique de la « femme lésée » (wronged woman) est ainsi régulièrement soulignée – avec des associations éventuelles, comme la « mère qui se sacrifie », etc. ; la simple formulation de ces deux approches du féminin dans le fantastique japonais évoque aussitôt des images, mettons, de Ring et de Dark Water, de Nakata Hideo (qui lie les deux thèmes à la « mère démissionnaire », même si je crois que Colette Balmain est un peu trop schématique quand elle analyse ses films – car ses personnages féminins sont très forts, et la critique sociale dans ses films n’est certainement pas prioritairement à leur charge).

 

Ce discours me paraît plus ou moins pertinent selon les différentes parties de l’ouvrage, même si généralement plutôt « plus » que « moins » – mais j’ai particulièrement apprécié cette approche dans l’analyse du genre rape-revenge, où elle s’accompagne de considérations plus vastes sur la réflexion féministe au regard de la pornographie, une réflexion très diverse, que l’autrice reprend avec un appréciable sens de la nuance. Je crains toutefois que Colette Balmain ne se focalise un peu trop sur les codes du rape-revenge américain, et que l’analyse concernant le cas japonais aurait pu/dû être davantage poussée – et peut-être, donc, l’examen du pinku eiga fantastique de la première partie aurait-il donc davantage fait sens ici (nombre des films étudiés, même extrêmes, sont à leur manière des pinku eiga, ai-je l’impression – par ailleurs, le liant entre l’horreur et l’érotisme, dont un Nakata Hideo, entres autres, a souvent témoigné, aurait sans doute justifié quelques développements plus « abstraits »… d’autant qu’un autre écueil de ces analyses est parfois celui de la paraphrase).

 

Cette approche revient ultérieurement, notamment quand l’autrice se penche sur les films de serial-killers/stalkers/slashers, mais peut-être avec un effet moindre. Cette catégorie est pertinente, par ailleurs, mais le besoin de subdivision a pourtant quelque chose d’éloquent : certes, il y a un monde entre La Vengeance est à moi, de Imamura Shôei, qui n’a rien d’un film d’horreur, et les variations contemporaines sur le « American slasher cycle »… Au point où l’association des thèmes montre bien vite ses limites. Ceci sans même prendre en compte le rôle ou pas du surnaturel dans ces tueries. En même temps, la distinction entre stalkers et slashers ne me parle pas vraiment – la catégorie du survival m’aurait paru plus utile, mais, certes, elle recouvre par essence bien des sous-genres de l’horreur…

 

Dont, bien sûr, celui des zombies – logiquement associés aux cannibales dans le présent ouvrage (qui n’opère par contre pas, sauf erreur, la distinction classique mais plus ou moins pertinente entre les morts-vivants et les « infectés »). Visiblement pas grand-chose à voir ici : j’ai pris mon pied devant le si « cool » (voire « super-flat ») et crétin Versus de Kitamura Ryûhei, mais les films ici développés visent clairement plus le rire que la peur – et même s’ils ne sont pas toujours exempts de critique sociale, bon, c’est pas vraiment du Romero, quoi…

 

Restent deux sous-genres qui me paraissent bien plus typiques de la J-Horror (même si quelques titres fameux du registre ont été traités dans les trois catégories précédentes – ainsi Audition de Miike Takashi, associé au rape-revenge ; ce qui ne me paraît pas si évident, mais je ne l’ai vu qu’une seule fois, il y a très longtemps…) : les films de « maison hantée », et ceux de « techno-horreur ». Un champ d’autant plus périlleux, en même temps – car ces films sont particulièrement propices aux lectures concernant, la désintégration de la structure familiale dans le premier cas, les angoisses suscitées par la modernisation (et, corollaire récurrent, la montée supposée et en tout cas redoutée de l’individualisme) dans le second ; comme dit plus haut, Colette Balmain s’en sort donc plus ou moins bien selon les films étudiés. Mais ces chapitres ont aussi quelque chose de très révélateur dans la mesure où ils mettent particulièrement en lumière les « formules » de la J-Horror

 

La discussion sur les sous-genres aurait sans doute pu être poussée un peu plus loin. Je tends à croire que certaines analyses transversales auraient pu faire sens : j’ai cité tout à l’heure le survival, mais cela pourrait être vrai également de la science-fiction, mettons – la place essentielle accordée à Godzilla dans la première partie (ses suites ne sont pas au sommaire, ce qui n’a sans doute rien que de très légitime) ne débouche à cet égard sur rien, même si quelques films çà et là (dans le registre zombie ou techno-horreur, par exemple le Kairo de Kurosawa Kiyoshi) auraient pu susciter quelques développements intéressants, je crois.

 

Je note aussi l’absence du cinéma d’animation dans ces pages – mais, là, je suis vraiment trop ignare pour en dire plus, et juger de la pertinence ou non de cette exclusion.

 

D’UN INTÉRÊT TRÈS VARIABLE

 

Bilan assez mitigé, donc, pour cet ouvrage qui, pour le coup, m’a un peu déçu. J’espérais quelque chose de plus assuré, de plus carré. Or le résultat final s’avère d’un intérêt très variable. Globalement, la première partie m’a laissé sur ma faim. La seconde est plus intéressante à mes yeux – et certains angles d’approche m’ont paru tout à fait convaincants (par exemple concernant le rape-revenge). La mise en avant des « femmes lésées » et des « mères qui se sacrifient » paraît fertile, si le discours essentialiste sous-jacent implique de manipuler ces figures avec précaution. Ce que ne fait pas toujours Colette Balmain, ici, qui succombe parfois aux oppositions « faciles » et aux clichés. C’est dommage, parce qu’en d’autres cas elle fait preuve d’un appréciable sens de la nuance…

 

Le point positif, c’est que cette lecture m’a donné envie de voir ou de revoir certains films – c’est toujours ça de pris.

 

J’ai cru comprendre qu’une deuxième édition devait paraître sous peu – j’espère qu’elle reviendra sur quelques faiblesses de celle-ci, sans en être bien convaincu.

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