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L'Abomination du lac, de Joseph A. Citro

Publié le par Nébal

L'Abomination du lac, de Joseph A. Citro

CITRO (Joseph A.), L’Abomination du lac, [Dark Twilight – Lake Monsters], traduit de l’américain par Michel Deutsch, Paris, J’ai lu, coll. Épouvante, [1991-1992] 1993, 315 p.

On ne se refait pas, et, de temps en temps, j’aime bien me taper un petit roman de grosse horreur qui tache – à une époque, je pouvais en dire autant pour les petits films de grosse horreur qui tache, mais ça fait quelque temps que je ne l’ai pas fait et je le regrette… Quoi qu’il en soit, si le bilan en fin de compulsion est plus qu’à son tour navrant, de temps en temps, oui, j’aime bien – et je me farcis des trucs « objectivement pas bons » mais qui me satisfont d’une manière ou d’une autre. Ce qui ne signifie peut-être pas non plus que je perds alors tout esprit critique – je suis bon public, mais aussi conscient de mes navrantes tares, dans ce que j’aime bien quand même, et dans ce que je n’aime pas parce qu’il ne faut pas trop déconner non plus. Exemple : Manitou, c’est vraiment de la merde…

 

L’Abomination du lac, de Joseph A. Citro, ça n’est certes pas fameux, c’est même probablement « objectivement pas bon », cependant je crois que c’est bien autrement honnête que le Masterton précité (et c’est déjà ça). Il y a au moins un semblant de choses qui surprennent un peu là-dedans, qui ne sauvent pas tout, ni peut-être même quoi que ce soit, mais suffisent du moins à préserver une vague forme de singularité du bouquin, et si l’auteur (dont c’était en fait le premier roman, même s’il n’est sorti qu’en 1991, après quatre autres titres) joue comme beaucoup dans ce registre à « J’aimerais bien être Stephen King », référence écrasante (avec celle de Lovecraft), sans l’emporter à la fin, eh bien, il y a au moins vaguement de ça – plus que chez… Oui, bon, OK.

 

Maintenant, comment ai-je mis la main dessus ? Enfin, oui, chez un bouquiniste, il y a quelques années de cela – la question serait plutôt : pourquoi ? D’une manière ou d’une autre, je l’avais vu mentionné quelque part comme étant « lovecraftien ». Mais où ? Je croyais que c’était dans The Rise, Fall, and Rise of the Cthulhu Mythos, de S.T. Joshi, mais n’en trouve pas trace… Bah, peu importe. Ceci dit, il y a bien quelque chose de « lovecraftien » dans ce roman, quelque chose que révèle d’emblée, d’une certaine manière, le choix d’employer le nom français « Abomination », qui n’a sans doute rien d’innocent. Et c’est un peu fâcheux, car, si ce roman bénéficie d’un vague atout, c’est probablement qu’il balade le lecteur dans des directions relativement inattendues. On peut relever que le titre original, Dark Twilight, n’a pas grand-chose à voir avec L’Abomination du lac… et pourtant, ce titre français ne manque peut-être pas totalement de pertinence ; car le roman a été ultérieurement réédité sous le titre que lui avait initialement attribué l’auteur, et qui était Lake Monsters – notez toutefois le pluriel… Cela dit, en matière de SPOILERS éventuels, ou justement pas, je suppose qu’il faut aussi prendre en compte combien, c’est ou c’était l’usage, cette couverture hideusement whatthefuckesque n’a pas grand-chose à voir, sinon rien, avec le contenu du roman… Aussi le lecteur était-il invité à ne pas trop extrapoler, je suppose.

 

Harrison Allen est notre… « héros » ? Trentenaire un peu terne, récemment licencié, il décide d’envisager ses allocations chômage comme une occasion de prendre des vacances (insérez ici un connard qui beugle : « LES CHÔMEURS SONT DES FAINÉANTS !!! »), et de satisfaire une vieille lubie en se faisant chasseur de monstres – ce décalque de l’auteur, car Joseph A. Citro a, depuis 1991, sorti beaucoup, beaucoup de bouquins sur le folklore du Vermont, la cryptozoologie, mais aussi les OVNI, et toutes ces sortes de choses, Harrison Allen donc entend en effet apporter la preuve que le monstre du lac Champlain, tendrement baptisé Champ ou Champy en miroir d’une plus célèbre Nessie, que ce monstre aquatique, donc, existe bel et bien. Et il se rend sur place pour enquêter, en squattant la vieille bicoque d’un camarade de fac, idéalement située sur Friar’s Island, une île (oui) bien placée dans ledit lac.

 

Et on a une carte de l’île en tête d’ouvrage C’EST DONC UN ROMAN DE FANTASY.

 

 

Friar’s Island attire les touristes en été, mais les autochtones ne sont pas toujours des plus accueillants pour les « étrangers ». Aux yeux de ce connard de Cliff, l’archétype du redneck détestable et borné dans ce roman, qui n’est pas du Vermont est forcément idiot et ridicule, et même les citoyens de l’État, quand ils sont « continentaux », sont au moins suspects – venir des grandes villes plus à l’est vous qualifie aussitôt en pédé.

 

Heureusement, tout le monde n’est pas comme Cliff, sur Friar’s Island. Et Harrison ne manque pas de croiser bienheureusement la route de la nouvelle instit’ de l'île, la belle et fraîche Nancy, dont chaque réplique ou pensée donne le sentiment un tantinet amer d'une femme cruchissime. C’est forcément le coup de foudre.

 

Mais… de quoi parle le roman ? Eh bien, vous pouvez oublier Champy : Harrison discute bien des « témoignages » avec quelques résidents de l’île, et en apprend un minimum sur le folklore qui va avec (pour un chasseur de monstres, l'étendue de son ignorance en la matière a quelque chose d'un brin troublant), mais l’hypothétique monstre du lac Champlain ne joue absolument aucun rôle dans ce roman, tout au plus celui d’un symbole (même si un épilogue lui donne bizarrement chair). Non, ce qui compte est ailleurs : le monastère abandonné au nord de l’île, habité en son temps par des moines un peu chelou, puis par une communauté spirite qui ne l’était pas moins ; des bruits bizarres dans la baraque de Harrison – une petite fille qui y disparaît ; un érudit qui ne dit pas tout ; une vieille dame peut-être un peu trop vieille, et son simplet de fils…

 

De fait, je crois que c’est plutôt un atout du roman – s’il doit en avoir un. Le cours des événements est assez imprévisible. C’est parfois à l’extrême limite de la cohérence, et, quand il s’agit pour Joseph A. Citro de rassembler les fils, cela implique des coïncidences un peu grossières, mais la surprise est là et bien là – y compris et peut-être surtout au regard du véritable caractère horrifique du roman, qui concerne notre pauvre Harrison, victime de son charme : c’est inattendu, grotesque sans doute mais étonnamment efficace, et… cruellement ironique ? Peut-être bien.

 

Maintenant, ce roman… ne fait pas peur. Loin de là. Si l’on excepte la disparition précoce d’une pauvre petite fille un peu trop curieuse (car manipulée par un petit con, en quelque sorte la promesse d’un Cliff futur), puis, mais en aparté, de ses parents, le roman n’a longtemps absolument rien d’horrifique. Tout ou presque est concentré dans, mettons, le dernier quart, et même ça, ça n’effraie pas des masses. La peur n’est vraiment pas du lot, en fait – la répugnance peut-être un peu plus ? Le cynisme ? La panique ? La curiosité, autrement...

 

Mais tout ceci est tardif et assez peu efficace, donc – même avec quelques surprises pas inintéressantes çà et là. Pourtant, ce roman (assez court, hein : dans les 300 pages, mais très aérées, avec une grosse police) se lit assez bien, je suppose – agréablement, oui. Quand Citro cherche à faire son King, en décrivant les habitants de Friar’s Island comme leurs contreparties de Castle Rock, il ne se débrouille pas si mal, je suppose – certes pas aussi bien, mais pas si mal… Et s’il use d’archétypes un peu trop voyants (le redneck cruel et borné, un compagnon de beuverie, le vieux Chef bourru de la police à la retraite, l’épicier d’une courtoisie à toute épreuve, l’idiot du village, la vieille qui sait tout, l’érudit à nœud papillon, et, oui, la jeune et jolie et cruchissime instit’), il arrive parfois, au détour d’un paragraphe, à leur donner un semblant d’âme.

 

Bon, le roman ne brille guère par le style, en même temps… Ça n’aide pas (et la traduction ? Je ne me prononcerai pas). Mais ça, on s’en doutait en en entamant la lecture, hein. Et, honnêtement… ben, oui, je suppose que c’est plutôt… honnête. Ça coule, en tout cas, et c’est sans doute tout ce qui compte. J’ai lu bien, bien pire, dans ce genre ou dans d’autres. C’est du roman de gare, qui a passé sans souci l’épreuve du train.

 

Je ne peux pas décemment recommander L’Abomination du lac à qui que ce soit… « Objectivement », ça n’est « pas très bon ». Mais je ne regrette pas ma lecture pour autant – car, oui, de temps en temps, j’aime bien m’offrir ce genre de péché mignon… Et je déplore que le genre horrifique, qu’on le qualifie de « mainstream » ou pas, soit aussi délaissé de nos jours – même si, durant sa Grande Époque, il a effectivement souvent consisté en bouquins parfaitement horribles. Cet unique roman traduit en français, sauf erreur, de Joseph A. Citro, s’en tire plutôt honorablement à cet égard, à vrai dire.

 

Mais c’est bien un péché mignon.

 

Oui, de temps en temps…

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