Adventures in Middle-Earth : Wilderland Adventures
Adventures in Middle-Earth : Wilderland Adventures, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2017, 159 p.
PROLOGUE
Où l’on poursuit l’exploration de la gamme Adventures in Middle-Earth, avec cette fois Wilderland Adventures, un recueil de sept scénarios destinés à des PJ de niveau 1 à 6 approximativement, et qui peuvent être joués isolément, ou bien être liés pour former une petite campagne (les trois premières aventures sont plutôt conçues comme indépendantes, le liant se développe surtout par la suite). Cette petite campagne peut à son tour se muer en un prologue pour la grosse campagne à suivre, Ténèbres sur la Forêt Noire ou Mirkwood Campaign.
Car, oui, à ce stade, comme noté précédemment concernant le Rhovanion Region Guide, la gamme Adventures in Middle-Earth consiste en transpositions pures et simples de la gamme de L’Anneau Unique : en l’espèce, Wilderland Adventures est l’équivalent pour AiME des Contes et légendes des Terres Sauvages – que j’avais lu il y a bien longtemps, mais pour en pondre une chronique salement creuse…
Bon, bref, il ne faut donc pas s’attendre à du contenu inédit, l’essentiel des modifications renvoyant à la seule mécanique du jeu. Je relève cependant un apport vraiment très intéressant : des tables d’événements de voyage adaptées à chacun des sept scénarios – et ça c’est super bien !
Au rang technique, au passage, une autre bonne idée doit être mentionnée : on trouve ici, comme dans les scénarios lus ultérieurement, des suggestions pour gérer l’expérience en dehors des seuls combats – le Loremaster’s Guide demeurait invraisemblablement muet à cet égard, mais les aventures semblent avoir comblé utilement cette défaillance inexplicable.
Bien, voyons maintenant ce qu’il y a sous le capot… Attention : je ne vais certes pas décrire les scénarios par le menu, je ne vais pas « raconter l’histoire », mais, en relevant tel ou tel point dans le cadre de cette chronique, je vais très probablement balancer quelques SPOILERS çà et là. Adonc, joueurs, ne lisez pas au-delà !
DON’T LEAVE THE PATH
J’ai indirectement évoqué le premier scénario, « Don’t Leave the Path », en traitant du scénario d’introduction Eaves of Mirkwood – en effet, tous deux remplissent d’une certaine manière la même fonction de « petit bain » dans les Terres Sauvages et notamment la Forêt Noire, et présentent aussi bien des atouts que des inconvénients. Je tends décidément à croire que bricoler une synthèse des deux serait l’approche la plus pertinente – permettant de rééquilibrer les choses, de ne conserver que les atouts des deux aventures, même si c’est probablement l’essence de « Don’t Leave the Path » qui doit l’emporter, le contenu d’Eaves of Mirkwood étant moins décisif et pouvant demeurer optionnel.
Reste que, sur le papier, « Don’t Leave the Path » n’est à première vue pas très enthousiasmant : cette première (et c’est un souci…) traversée de la Forêt Noire repose à la base sur une implication défaillante (on tombe sur un marchand et on décide aussitôt de l’escorter de l’autre côté du petit bosquet, tranquille), puis enchaîne les événements sans queue ni tête, jusqu’à ce que, hop, on soit de l’autre côté. Pris indépendamment, les événements successifs peuvent être chouettes, s’ils ne brillent pas par l’originalité (j’aurais cependant un bémol pour le plus ou moins passe-droit accordé d’emblée aux PJ au regard du Royaume Sylvestre et même du Palais de Thranduil, ça ne me paraît pas du tout dans le ton, et vraiment pas approprié, d’autant plus pour des personnages débutants) ; mais l’enchaînement des séquences est donc à son tour un peu défaillant.
Et puis, à tout prendre, je tends à croire que ce premier voyage ferait plus de sens d’ouest en est (enfin, ça dépend des origines des PJ, bien sûr…). Car son véritable objet (ou pas ; disons dans la perspective d'un prologue à Ténèbres sur la Forêt Noire/Mirkwood Campaign) est d’introduire les personnages aux spécificités de l’inquiétante Forêt Noire, et la proclamation de Bard peut jouer un rôle moteur un peu plus convaincant que la rencontre par hasard d’un marchand (ce qui est suggéré partout, mais notamment dans Eaves of Mirkwood) ; quoi qu’il en soit, cette traversée, car primordiale, doit être mémorable – et influer sur le ressenti ultérieur des personnages à chaque fois qu’ils s’enfonceront dans les bois.
Qu’importe si les PJ se trouvent donc, en fin de scénario, du côté d’Esgaroth ou de Dale, là où le scénario suivant de Wilderland Adventures débute dans la vallée de l’Anduin – on s’adapte, et ce ne sera certainement pas la dernière fois dans la campagne étendue ; par ailleurs, si on a joué Eaves of Mirkwood avant (ou avec…) « Don’t Leave the Path », avec les gestes adéquats, Rowanhold peut jouer le rôle d’un sanctuaire à l’ouest adapté pour reprendre en main le fil du récit.
Un scénario à travailler, donc (là où les suivants se montreront d’emblée plus solides) – mais on lui reconnaîtra un joli travail sur l’ambiance de la Forêt Noire, qu’il s’agit de faire ressortir plus particulièrement en arrangeant un récit un peu moins cousu de fil blanc.
OF LEAVES & STEWED HOBBIT
Le deuxième scénario, « Of Leaves & Stewed Hobbit », est a priori bien plus enthousiasmant, car inventif et singulier – éventuellement drôle, aussi, même s’il peut s’avérer dangereux ; il demande donc une attention particulière du MJ en termes d’ambiance et de narration, car son objet est de livrer des scènes un peu entre-deux-eaux, où la matière plutôt légère du roman Le Hobbit doit en principe l’emporter, mais en prenant en compte que les PJ seront néanmoins submergés par les gobelins, dans leurs inquiétants tunnels et dans une ruine à proximité du Haut Col – un pas de côté et ça présente le risque de devenir une tuerie d’autant plus malvenue que l’aventure s’adresse à des personnages de bas niveau (2 ou 3 en théorie).
Et, honnêtement, le comportement à adopter dans les tunnels n’a rien de si évident – il n’y en a pas 36 000, hein, mais ça ne coule pas de source quand même, surtout si les joueurs se verraient bien faire dans le Donj’ bastonneux. La scène est à mûrir, et il faudra éventuellement songer à trouver comment aiguillonner les joueurs dans telle ou telle direction, sans bien sûr les priver de leur liberté et de leur mainmise sur les événements – ce qui n’est jamais évident.
Ces mises en garde bien intégrées, oui, ce scénario est assez enthousiasmant – et il introduit par ailleurs une chouette idée qui pourra se montrer utile dans la suite des opérations, avec cette auberge tenue par un hobbit dans les Terres Sauvages, typiquement l’endroit incongru et attachant où les personnages seront tentés de faire halte lors de leurs excursions dans la région. À vrai dire, plus particulièrement dans la perspective de Ténèbres sur la Forêt Noire/Mirkwood Campaign, où de tels endroits sont cruciaux mais aussi menacés à terme, il serait très profitable qu’ils s’y attachent bel et bien, comme à un sanctuaire mais doté d’un surplus d’implication émotionnelle, renvoyant pour le coup davantage aux sentiments associés au pays natal (un personnage hobbit y sera probablement plus sensible encore – c’est loin, la Comté…) ; en fait, le genre d’endroits pour lequel on se bat… et dont la perte éventuelle suscitera regrets et colère ou dépit. Par-fait !
KINSTRIFE & DARK TIDINGS
Avec le troisième scénario, « Kinstrife & Dark Tidings », la qualité augmente encore d’un cran. Ce qui n’a rien d’évident à la base, car l’idée fondatrice du scénario est somme toute très banale (encore que pas forcément dans ce cadre : l’enquête policière n’est probablement pas un genre instinctivement associé à la Terre du Milieu…), mais une écriture habile et de très bonnes idées en sus çà et là en font une vraie réussite.
Et ce en dépit d’une implication là encore un peu molle, peut-être – cela dit, elle a au moins pour mérite de permettre aux PJ de rencontrer un des grands de ce monde, Beorn, qui pourrait devenir un garant de poids (surtout sous sa forme d’ours, eh). Quoi qu’il en soit, les PJ sont chargés de mettre la main sur un prisonnier évadé, un meurtrier, pour le conduire à son procès ; mais ils découvriront que le mauvais élément, pas intrinsèquement mauvais finalement, a cependant été amené à fréquenter une bande de brigands…
Sur cette base relativement commune, le scénario emporte l’adhésion du fait de plusieurs bonnes idées. La première porte sur l’incertitude quant aux événements qui se sont produits et se sont soldés par le meurtre. Le scénario fournit divers éléments au MJ pour qu’il décide de ce qui s’est passé au juste, plutôt que de lui imposer un récit figé. Mais, surtout, ensuite, il confronte les PJ aux rumeurs quant aux personnages impliqués et à ce qui s’est produit exactement – l’enquête n’est pas compliquée par le manque d’informations, ou pas seulement, mais par un trop-plein dans lequel il n’est pas facile de trier le bon grain de l’ivraie. On n’est pas obligé d’aller jusqu’au Rashômon, hein, de toute évidence, mais c’est bien vu.
Et il importe bel et bien de faire ressortir d’une manière ou d’une autre l’ambiguïté de la situation. On présente souvent l’univers tolkiénien comme manichéen – et il l’est au sens où le bien absolu et le mal absolu sont des réalités incontestables, et en lutte. Mais ces absolus sont l’apanage de personnages hors-normes, le plus souvent – pour le quidam, une Terre du Milieu en nuances de gris n’est pas si incongrue, outre que tout acte ou toute parole ne se classe pas si aisément au prisme d’une lecture morale exclusive de toute autre considération. Ici, en l’espèce, les PJ sont invités à participer en dernier ressort au procès du meurtrier, et c’est un très bon moment pour mettre en avant que, entre autres choses, le droit et la morale ne coïncident pas toujours, et ne sont par ailleurs pas universels – en confrontant les héros à des mœurs, des traditions, à mille lieues de celles des joueurs : c’est le moment ou jamais de jouer à l’anthropologue avec les us et coutumes des Béornides et des Hommes des Bois. Là encore, nul besoin de pousser les choses au point de la théorisation un peu absurde et mal-de-crânesque, mais il y a assurément de quoi susciter une belle scène de roleplay, riche et complexe, sur la base de ce procès géré avec le système des audiences.
Mais ce scénario va au-delà de cette seule dimension policière et judiciaire, bien sûr – dans la confrontation des PJ à la bande de brigands : c’est qu’il s’agit de ramener le meurtrier, avant de le juger ! En même temps que de se débarrasser des fauteurs de troubles... Les options sont nombreuses, et incluent de la stratégie à plus ou moins long terme, avec une belle bataille précédant le procès, et pouvant décider de son cours…
Oui, vraiment un très bon scénario – et je le dis d’autant plus volontiers que je n’y croyais pas vraiment à la base.
THOSE WHO TARRY NO LONGER
Ces trois premiers scénarios, on le voit, sont largement indépendants, même s’ils fournissent quelques occasions de semer des indices, et de travailler des ambiances ou des thèmes, qui pourront se montrer utiles par la suite. Avec le quatrième scénario, « Those Who Tarry No Longer », les choses commencent à prendre une tout autre tournure, plus liée mais aussi plus « macro », l’armature encore à peine esquissée d’une petite campagne, donc.
On retrouve cependant ici ce classique problème d’implication… À la lisière ouest de la Forêt Noire, les PJ rencontrent un groupe d’elfes – incluant en guest-star Legolas, allons bon. Ils accompagnent une des leurs, une Noldor qui a vécu les éléments du Silmarillion, mais qui succombe enfin, après bien des millénaires, à l’appel de la mer, et se rend donc aux Havres Gris. Et là, pour une raison passablement mystérieuse, ladite dame et Legolas décident de confier aux PJ la tâche de l’accompagner seuls dans les Monts Brumeux, là où des envoyés d’Elrond doivent prendre le relais ! Euh… On a quand même du mal à s’expliquer une chose pareille...
La suite immédiate du scénario n’est pas moins périlleuse à maîtriser – avec notamment une intervention plus deus ex machina que jamais des aigles, dont c’est certes le rôle, à ce qu’il semblerait, dans l’univers tolkiénien (des mèmes le disent). Surtout, en chemin, il faudrait idéalement trouver à véhiculer auprès des joueurs la nostalgie vaguement déprimée de la vieille dame, et, en même temps, l’émerveillement qui doit toujours accompagner les échos des temps jadis – elle a tout vécu, hein, tout ! C'est le moment de balancer du lore tolkiénien. Avec de l’application et une table bien disposée, ça peut être absolument génial – mais le risque de sombrer dans la balourdise ennuyeuse est non négligeable…
Cependant, le jeu en vaut la chandelle, parce que la dernière partie du scénario est vraiment splendide – ceci alors même qu’elle joue d’un effet relativement banal et souvent casse-gueule : le rêve. Tandis que la dame elfe est assaillie par un premier avatar du grand méchant de cette campagne, un spectre appelé le Roi au Gibet, les PJ se retrouvent attirés dans leurs rêves et cauchemars, qui consistent en même temps en une sorte de voyage dans le temps : ils se retrouvent plusieurs siècles plus tôt, et subissent ainsi de plein fouet la menace de l’Ombre quand elle se révèle dans toute sa puissance – et les PJ vivront ainsi, à l’instar de leurs ancêtres, des événements horriblement traumatisants. C’est aussi en cela, et pas seulement au regard de l’apparition du Roi au Gibet, que ce scénario, vraiment très bien écrit, est plus « macro » que tout ce que nous avons lu jusqu’alors – et ça en fait vraiment, vraiment, un prologue idéal, ou une partie de prologue, pour Ténèbres sur la Forêt Noire/Mirkwood Campaign.
Excellent, en définitive !
A DARKNESS IN THE MARSHES
Après quoi « A Darkness in the Marshes » ramène la menace au présent – ce qui éclaire sous un autre jour plusieurs des événements antérieurs. Et le caractère global de cette menace est mis en avant par la personnalité qui amène les PJ à se pencher sur la question : tout bonnement Radagast le Brun. Mais l’enquête aura lieu de l’autre côté de l’Anduin par rapport à Rhosgobel – les personnages devront se rendre à Castel-Pic, qui fait face à certaines difficultés dues notamment à une présence gobeline toujours plus importante dans la région. La source de la menace sera identifiée comme étant le Dwimmerhorn, une forteresse difficile à dénicher, quelque part dans les Champs d’Iris. Là-bas, orques et mauvais hommes esclavagistes constituent une armée au service du Roi au Gibet – cette ombre à peine entraperçue dans le scénario précédent, mais qui, elle aussi, devient de plus en plus concrète…
Seulement… Eh bien, le Dwimmerhorn est une forteresse : les PJ ne peuvent certes pas espérer mener l’assaut à eux seuls et en triompher. Ils ont été envoyés en repérage, et il s’agit donc pour eux de pénétrer la forteresse et d’y dénicher des informations utiles – incluant probablement la nature du Roi au Gibet. Mais l’infiltration est périlleuse, et, à terme, il y a fort à parier qu’ils seront repérés...
Le scénario bifurquera alors vers une phase plus épique, une longue course-poursuite sur plusieurs jours, avec un système capitalisant sur les échecs comme sur les réussites antérieurs. Le système de voyage est ainsi subverti par la marche forcée, avec des éléments de règles adéquats. C’est bien pensé, ça a l’air très chouette, et potentiellement très flippant !
Enfin, ce scénario s’achève sur un ultime coup de théâtre, car la menace du Roi au Gibet prend des formes bien différentes : la trahison est une arme de choix, outre les masses d’orques prêts au combat…
Un très chouette scénario, varié, cohérent pourtant, palpitant. Pris indépendamment (j’insiste – j’entends par-là en choisissant de ne pas jouer le recueil comme une campagne), je pense que c’est celui qui tient le plus la route, celui qui fonctionne le mieux, dans toutes ces Wilderland Adventures.
THE CROSSINGS OF CELDUIN
Mais il a un concurrent de choix avec son successeur, « The Crossings of Celduin », qui est probablement mon scénario préféré dans le recueil, mais davantage en l’inscrivant dans la campagne.
Qu’ils en aient bien conscience ou pas, les actions des PJ, en révélant bien trop tôt pour ce qu’elle était la menace du Dwimmerhorn, a contraint le Roi au Gibet à changer, non seulement ses plans, mais son théâtre d’opérations – c’est maintenant, à l’est de la Forêt Noire, à la région de Dale qu’il compte s’en prendre…
Or les PJ s’y trouvent – forcément… Dans la ville tout récemment reconstruite, on célèbre l’anniversaire de la Bataille des Cinq Armées. À l’instigation d’un marchand (corrompu…) promettant des récompenses hors-normes aux vainqueurs, un grand tournoi se met en place, qui verra des dizaines voire des centaines de compétiteurs se mesurer à l’arc, à l’équitation, à la lutte, à la mêlée – avec un système bien pensé pour que les PJ y participent, et éventuellement y brillent, en se confrontant avec des PNJ bien décidés à l’emporter ; ça a l’air très amusant.
Mais le pot aux roses est dévoilé lors du bal masqué (une scène amusante là aussi) qui conclut les réjouissances : les convives sont tous empoisonnés ! Le tournoi faisait partie d’un stratagème tordu pour mettre hors de combat tous ceux qui seraient à même de prendre les armes pour défendre Dale… alors qu’une armée d’orques et d’hommes mauvais, ultérieurement seulement identifiés comme aux ordres du Roi au Gibet, vient du sud pour fondre sur la cité de Bard.
Le roi doit lever une armée pour défendre la région, mais les conditions ne pouvaient pas être pires – et il lui faut gagner du temps : les PJ, en relativement bonne condition par rapport aux autres « guerriers » de la ville (eh), sont envoyés (seuls !) dans un petit village au sud, avec un pont, le seul endroit où une armée de la taille de celle qui a été aperçue peut franchir la Rivière Courante. Le voyage est précipité, et, arrivés sur place, les PJ ont tout juste le temps de jauger les défenses du village et le pouls des villageois (dont un chef têtu qui leur est ouvertement hostile, tout disposé à laisser les orques franchir le pont en échange d’une bien illusoire garantie de ne pas s’en prendre à son bled), avant que les éclaireurs du Roi au Gibet ne fassent leur apparition…
Dès lors, il s’agit littéralement d’un siège : les PJ ont pour mission de gagner du temps à Bard – et un système prend en compte comment ils s’y attellent : fonction de leurs actions, les PJ gagnent des avantages sur leurs jets, qui ont, comme dans le scénario précédent (abstraitement : ça n’est pas ressenti comme tel, les scénarios ne sont pas le moins du monde redondants), un caractère cumulatif, décidant du succès ou de l’échec final.
Mais la portée de ce dernier varie selon le temps gagné par les PJ ; disons-le, dans tous les cas, l’armée du Roi au Gibet ne prendra pas Dale – elle sera vaincue par Bard et ses alliés. Mais les actes des PJ n’en ont pas moins une véritable importance, au regard du temps gagné et des vies épargnées : à une échelle microcosmique, ce scénario traduit bien les implications générales de la gamme et notamment de Ténèbres sur la Forêt Noire/Mirkwood Campaign – il ne s’agit pas de l’emporter sur Sauron, ce sera l’affaire d’autres personnages quelques décennies plus tard ; mais protéger les siens sur l’heure, autant que possible, gagner du temps, épargner des vies, sont des objectifs bien dignes de héros.
Un scénario très impressionnant – très dense, bourré de bonnes idées, stimulant, stressant, et dont le fond est plus que pertinent : peut-être bien le sommet du recueil, surtout quand il est envisagé comme une mini-campagne.
THE WATCH ON THE HEATH
Reste un dernier scénario, « The Watch on the Heath », davantage problématique à mes yeux. Mais il faut noter d’emblée une chose : si les péripéties comme le ton distinguent « The Watch on the Heath » de « The Crossings of Celduin », qui constituent donc deux scénarios différents, ils s’enchaînent cependant immédiatement, ce qui a une conséquence non négligeable au regard de la mécanique d’Adventures in Middle-Earth (comme de L’Anneau Unique), à savoir qu’il n’y a pas de phase de communauté entre les deux épisodes. Les personnages seront donc d’autant plus sensibles à des choses comme l’épuisement ou la corruption…
Peu de temps après leur retour à Dale, les PJ sont convoqués par le Roi Sous La Montagne – une bonne occasion de le rencontrer et de pénétrer en Erebor, ce qui n’est pas si facile que ça. La visite dans les archives du marchand corrompu qui avait empoisonné tout le monde quelques jours plus tôt aiguille en effet les PJ vers un ultime centre d’intérêt du Roi au Gibet, et probablement celui sur lequel il s’est replié après sa défaite militaire face aux Peuples Libres du Nord, toujours unis cinq ans (en principe) après la Bataille des Cinq Armées – une vieille tour de guet naine, abandonnée de longue date, et surveillant la Brande Desséchée : ils doivent s’y rendre pour mettre un terme à la menace posée par le spectre… mais l’endroit est particulièrement dangereux, « whence came the Great Worms » ! Et il y en a toujours… En fait, pour anéantir un Roi au Gibet autrement indestructible, les PJ devront idéalement conclure une alliance avec un dragon ! Car, si le Roi au Gibet s’est rendu dans la Brande Desséchée, c’est dans l’optique de faire usage de la Chaîne du Thangorodrim, une relique noire du Premier Âge entraperçue dans le Dwimmerhorn, pour asservir un Grand Ver…
Ce scénario renchérit sur la dimension épique de l’aventure, mais d’une manière bien différente de « The Crossings of Celduin » : c’est cette fois la démesure qui l'emporte, avec un environnement hors-normes et ouvertement menaçant, qui n’a pas forcément grand-chose à envier au Mordor, et des antagonistes sans commune mesure, outre des références glaçantes au passé de la Terre du Milieu, incluant des événements relativement proches, dont surtout la mort de Smaug et, quelques siècles plus tôt, les dragons chassant les nains des Montagnes Grises, mais aussi d’autres bien plus lointains, dont le règne de Morgoth et ses armées titanesques abondant en Grands Vers…
Mais tout cela me laisse un peu perplexe, pour plusieurs raisons : déjà, l’idée de négocier avec un dragon… Il faut jouer serré, car, à tout prendre, le Ver est comme de juste porté à vouloir faire des brochettes avec les PJ – et nous parlons de personnages de niveau 6 approximativement, soit encore un niveau relativement bas : est-il pertinent, dans ces conditions, de les confronter à un dragon, même dans un récit où tout doit être fait pour éviter le combat ? Par ailleurs, le dragon comme le Roi au Gibet risquent de voler la vedette aux PJ, ce qui n’est généralement pas une bonne idée – et, après les batailles folles de « The Crossings of Celduin », j’ai un peu peur que ça tombe à plat, que le climax de la campagne se situe dans l’épisode précédent, et que cet ultime développement, en définitive, ne soit qu’une coda… Ce qui serait sans doute un peu dommage.
Mais ceci tient à ma lecture seule : peut-être ces préventions n’ont-elles pas lieu d’être – je suis preneur de retours de jeu si jamais. Et le scénario, par ailleurs, n'est pas mauvais, hein ! Mais je le crois un bon cran en dessous des deux précédents, notamment.
ON JOUE ?
Quoi qu’il en soit, même avec quelques petits bémols çà et là, dont j’ai fait mention pour chaque scénario, Wilderland Adventures me fait l’effet d’un très bon recueil de scénarios, d’une qualité vraiment supérieure à la moyenne, et assez constante – aucune de ces aventures n’est « mauvaise », tout au plus peut-on hausser un sourcil devant tel ou tel développement, qu’un peu de travail personnel devrait suffire à gérer au mieux.
Et le reste est bon voire très bon, avec une ambiance irréprochable, et des morceaux de bravoure à noter : les dilemmes enchaînés de « Kinstrife & Dark Tidings », l’éprouvant cauchemar prophétique de « Those Who Tarry No Longer », la fuite éperdue du Dwimmerhorn dans « A Darkness in the Marshes », le tournoi et la bataille du pont dans « The Crossings of Celduin »…
Tout cela est vraiment bel et bon et donne vraiment envie de jouer – alors y a plus qu’à !
Prochain épisode dans mes chroniques de la gamme d’Adventures in Middle-Earth : le dernier volet du triptyque des Terres Sauvages, à savoir Mirkwood Campaign, transposition de Ténèbres sur la Forêt Noire. Restez tunés, comme on dit en sindarin…
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