Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les Derniers Jours du Nouveau-Paris, de China Miéville

Publié le par Nébal

Les Derniers Jours du Nouveau-Paris, de China Miéville

MIÉVILLE (China), Les Derniers Jours du Nouveau-Paris, [The Last Days of New Paris], roman traduit de l’anglais par Nathalie Mège, Vauvert, Au Diable Vauvert, [2016] 2018, 254 p.

China Miéville ? Ça faisait un bail que je n’en avais plus rien lu… En fait, depuis The City & the City, ah oui tout de même. Je m’étais promis de poursuivre le « cycle du Bas-Lag », après avoir beaucoup aimé Perdido Street Station et adoré Les Scarifiés, mais ça ne s’est pas fait, pas plus que je n’ai lu… eh bien, quoi que ce soit d’autre de l’auteur depuis. Il faut dire que les retours portant sur ses ouvrages postérieurs n’étaient à vue de nez pas forcément très enthousiasmants, de manière générale (à part peut-être pour ce qui est de Légationville ? Peut-être ?) ; l’auteur, qui avait si brillamment commencé, semblait avoir quelque peu perdu de son aura…

 

Et c’est finalement avec Les Derniers Jours du Nouveau-Paris, un court roman traduit Au Diable Vauvert (comme Lombres en son temps, mais en France China Miéville était et est plutôt un abonné du Fleuve), que je retente l’expérience – un bouquin relativement bref, donc, que l’auteur lui-même (ou pas ?) qualifie de « novella » à vrai dire, ce qui serait sans doute quelque peu excessif, même selon les standards d’un pondeur de pavés comme, encore une fois, Perdido Street Station ou Les Scarifiés. Problème : je savais pertinemment qu’il n’avait pas très bien été accueilli… Et je me souvenais notamment d’avoir parcouru une recension assez sévère de nul autre que Christopher Priest himself. Mais j’étais quand même curieux, que voulez-vous...

 

Ne serait-ce que parce que l’idée de base était plutôt séduisante ? De fait, Miéville sait faire dans les concepts accrocheurs – ce qui vaut pour les trois autres romans que j’en ai lu, même si probablement d’abord et avant tout pour The City & the City. Ici, il nous sort un truc particulièrement bizarre – un monde dans lequel la Seconde Guerre mondiale s’est prolongée au moins jusqu’en 1950 (OK), en tout cas dans un Paris coupé du reste du monde depuis qu'il a été chamboulé et redéfini par l’explosion d’une bombe S qui a matérialisé les créations délirantes des surréalistes, oui, ceux-là mêmes, ces « manifs » se frittant avec les nazis qui font quant à eux appel à des démons (allons bon).

 

Le roman alterne deux époques : l’essentiel et de loin se déroule donc dans ce contexte très bizarre, le Stalingrad dément du Nouveau-Paris relooké par André Breton et son abondante et excessive clique, où Thibaut, un résistant unique en son genre (et pas très copain avec les gaullistes, on fait la Révolution ou on ne la fait pas), Thibaut donc, le dernier de la Main à Plume, survit sans plus d’objet dans un environnement absurde en même temps que sanglant. Il fait bientôt la rencontre de Sam, une… artiste ? espionne ? qui ne devrait en tout cas pas se trouver ici ; ensemble, ils parcourent la ville folle, traquant plus ou moins une inévitable arme secrète des nazis, mais passant bien plus concrètement d’une « manif » à l’autre (en prenant notes et photographies, c'est gentil de nous documenter tout ça), et takatak boum les Schleus et les démons (et l’art massif et massivement terne d’Arno Breker).

 

L’autre trame, bien moins développée, se déroule dix ans plus tôt, du côté de Marseille essentiellement, où le groupe surréaliste central s’est délocalisé pour fuir l’occupation. Là, Breton et compagnie jouent à des jeux débiles, c’est là leur forme de Résistance, l’art se revendiquant dégénéré opposant sa liberté absolue à la brutalité nazie, la fausse futilité au service de la Révolution. Et c'est tout ? Cela agace considérablement un curieux bonhomme qui se voudrait bien davantage proactif, Jack Parsons, un Américain prisant aussi bien la science de pointe et notamment les fusées, en alternative sans uniforme à Wernher von Braun, que l’occultisme à la sauce Aleister Crowley – et on y devine sans peine l’origine très concrète de la bombe S.

 

L’idée est suffisamment dingue, et grotesque, pour être bonne – du moins dans les grandes largeurs, c'est ce qui renvoie au surréalisme qui est bon : les nazis qui copinent avec les démons, c’est autrement banal, et je ne suis pas persuadé que ça se mêle bien au reste, la sauce ne prend pas toujours. Mais, ceci mis à part, l’idée centrale, surtout, suscite sans peine un imaginaire débridé, riche en images folles en même temps que fortes, et que la plume de l’auteur, et/ou la traduction de Nathalie Mège, servent plutôt bien – en fait, c’est quand le roman s’abandonne au délire, aux confluents de l’écriture automatique forcément, qu’il fonctionne le mieux, autant dire quand il louche sur le poème en prose, alignant cadavres exquis au sens le plus littéraire ou artistique et authentiques cadavres probablement un peu moins exquis, réifiés sous les yeux terrifiés des protagonistes, car on ne s’habitue jamais vraiment au non-sens du Nouveau-Paris.

 

Le problème, c’est que China Miéville… eh bien, se plie totalement à sa caricature – cette critique qu’on lui a souvent adressée, parfois à bon droit, parfois (je le crois, du moins) à tort : il a de bonnes idées, des idées fortes, mais ne sait pas en dériver d’intrigues qui tiennent la route. Et, de fait, The City & the City, même si j’ai beaucoup aimé ce roman, n’était probablement pas tout à fait à la hauteur de son postulat proprement génial. Ma première lecture de l’auteur, Perdido Street Station, était affectée d’un travers du même ordre, mais je dois dire que j’avais eu tendance à retourner la proposition, quant à moi : l’univers était tellement bon qu’il suffisait à m’emballer, et j’en venais presque à regretter que China Miéville, tardivement, ait jugé bon, malgré tout, de raconter une histoire, une concession sans vrai enthousiasme, voire sans vraie compétence… Mais Les Derniers Jours du Nouveau-Paris ? La folie grotesque de cet univers ne saurait avoir la cohérence foisonnante du Bas-Lag, et, passé quelques effets de manche, nous ne sommes plus guère surpris jusqu’à la fin. Quant à l’intrigue, disons-le, elle ne vaut absolument rien (et sa résolution passablement grotesque ne satisfera probablement personne) ; les déambulations de Thibaut et Sam dans les arrondissements parisiens virent bien vite au catalogue de « manifs », en même temps que les combats se poursuivent sans cesse, dénués d’âme – et la sauce ne prend absolument pas. Honnêtement, les chapitres de 1940 sont en fait ceux qui s’en tirent le mieux à mes yeux : c’est moins fou, forcément, mais on a tout de même parfois l’impression que l’auteur a quelque chose à nous raconter…

 

Dix ans plus tard, on n’a hélas plus guère qu’un catalogue d’exposition agrémenté de takatak boum. Les notes en fin de volume en rajoutent dans cette dimension (même si j’aurais pesté, sans doute, si je n’avais pas pu m’y référer). Miéville compulse ses histoires du mouvement surréaliste, et s’applique à reproduire les œuvres avec ses mots ; cela fonctionne peut-être au début, mais, assez rapidement, l’exercice devient laborieux, trop démonstratif, trop propre et trop servile quand c’est la liberté irrépressible de l’inconscient qui devrait triompher. Et les clins d’œil amusants virent aux clins d’œil pénibles, à la science qui s’étale gratuitement, comme du mauvais Alan Moore mais en bien plus agaçant, et le constat est sans appel : tout cela est, oui, parfaitement dénué d’âme.

 

(Y compris, d’ailleurs, dans la dimension politique, engagée, à laquelle l’auteur est notoirement attaché… Ici, je sauverais au mieux l’incompréhension de Jack Parsons, qui pourrait être l’auteur je suppose, face à la futilité de la « résistance » ludique et frivole des surréalistes de Marseille, puis la contamination exercée par cette idée, débouchant sur la bombe S. Ce qui devrait être, plus encore que le moteur du roman, le moteur de l’histoire, dans l’idée – mais il n’y a pas d’histoire.)

 

Ce manque d’âme vaut pour le Nouveau-Paris en général, et pour les protagonistes : Thibaut et Sam sont tristement creux – la ville, en fait, devrait être le protagoniste principal, le Nouveau-Paris devrait (forcément ?) répondre à la Nouvelle-Crobuzon, tout autant à Besźel, voire à Armada… China Miéville, c’est ça, au fond, et sa bibliographie en témoigne presque systématiquement, dès les titres le plus souvent : des villes folles, qui sont des personnages, les vrais personnages, ceux qui importent le plus – quand ces personnages brillent vraiment, ils se passent très bien de personnages plus conventionnels, aussi bien que d’intrigues ; seulement, ici, cela ne fonctionne pas. Nous n’avons rien d'autre qu’un catalogue de musée, absurdement terne, et des fusillades en guise de liant qui ne lie absolument rien.

 

Notez, je ne me suis pas forcément ennuyé à la lecture de ce roman : il ne fonctionne pas, en ce qui me concerne, mais il est plus médiocre que mauvais – c’est à se demander, cependant, si cela n’est pas pire, d’une certaine manière, avec un postulat pareil… Mais, oui, c’est certain, il ne fonctionne pas – et parce que le Nouveau-Paris ne brille pas, la vacuité des personnages ressort d’autant plus, et parce que l’hommage au surréalisme est trop servile, scolaire et d’une érudition plate, l’absence de véritable intrigue se montre criante et navrante.

 

L’auteur a pu faire tellement mieux…

Commenter cet article