Promenades au pays des Hobbits, de Jean-Rodolphe Turlin

TURLIN (Jean-Rodolphe), Promenades au pays des Hobbits – Itinéraires à travers la Comté de J.R.R. Tolkien, [Dinan], Terre de Brume, coll. Terres Fantastiques, 2012, 197 p.
Actualités tolkiéniennes pendant l’interruption de ce blog : l’été ne s’est pas montré très propice au jeu de rôle, cela dit j’ai deux comptes rendus en retard pour notre campagne d’Adventures in Middle-Earth, que nous reprendrons normalement dans la semaine qui vient. Jeu de rôle toujours, le supplément Erebor Adventures est sorti il y a quelque temps de cela, je compte le lire prochainement et vous en rendrai bien sûr compte.
Et côté littérature ? Eh bien, il y a eu une lecture de Tolkien himself… mais pas exactement la plus facile à chroniquer : La Légende de Sigurd et Gudrún. Rien à voir avec la Terre du Milieu, si ce n’est dans l’inspiration. Mais, à mon grand regret, je dois avouer être passé largement à côté de cet ouvrage très érudit, que sa forme poétique délibérément archaïque si très soignée (pour un rendu français convaincant, à la différence des illisibles Lais du Beleriand) rend plus hermétique encore. Ma méconnaissance de la mythologie nordique et de ses sources germaniques (si j’avais lu L’Edda de Snorri Sturluson il y a quelques années de cela – mais ici c’est plutôt du côté de L’Edda poétique qu’il s’agirait de creuser ; oh, au passage, j’ai lu, mais depuis seulement, La Mythologie nordique de Neil Gaiman, à voir si cela vaut la peine d’en parler ici), associée à la forme tout de même très particulière de cet ouvrage, ne m’ont pas permis de l’apprécier à sa juste valeur ; au fond, j’en ai surtout retenu les commentaires, comme toujours très pointus, de Christopher Tolkien – qui m’ont tout spécialement intéressé quand ils faisaient le lien avec les événements historiques impliquant les Huns dont Attila, ainsi que les Burgondes, une origine dont je n’avais franchement pas idée, ignare de moi.
Mais il y a eu une autre lecture, disons « autour de Tolkien », et c’est le relativement bref ouvrage dont je veux vous parler aujourd’hui : les Promenades au pays des Hobbits de Jean-Rodolphe Turlin (aux initiales de circonstance). Ce livre est assez inclassable, et cela contribue d’ailleurs à son charme – car, oui, j’ai bien conscience que ce qualificatif a quelque chose d’horrible, mais j’ai trouvé ce petit livre tout à fait charmant.
C’est le mot.
Je n’y peux rien.
Mais de quoi s’agit-il ? Eh bien, de sept « promenades » à travers la Comté de J.R.R. Tolkien – qui trouvent leur origine dans divers travaux en ligne de Jean-Rodolphe Turlin : en confrontant les sources, l’auteur s’attache à nous en dire le plus possible, sans extrapoler outre-mesure, sur la géographie de ce petit bout so British de la Terre du Milieu. Toutefois, si la moindre allusion est sourcée (encore une fois, il ne s’agit pas d’extrapoler à vol d’oiseau), le ton de l’ouvrage n’est guère « universitaire », disons – il a quelque chose de bien plus « léger » en apparence, qui s’avère parfaitement approprié.
Un guide de voyage à travers la Comté, alors ? Une sorte de Guide du Routard ou de Lonely Planet pour un espace restreint d’un univers fictionnel ? Eh bien, oui, si l’on prend les choses largement – et pourtant le résultat s’avère non dénué de qualités proprement littéraires qui le hissent sans peine bien au-dessus de ce que l’exercice pouvait laisser craindre : la plume de Jean-Rodolphe Turlin, très agréable, contribue à véhiculer l’atmosphère aimablement bucolique de la Comté, dans une veine qui fait écho avec habileté aux écrits de Tolkien lui-même.
En se fondant, ici sur Le Hobbit, là sur Le Seigneur des Anneaux, parfois même sur Les Aventures de Tom Bombadil, gai dol et toutes ces sortes de choses, là-bas sur des notes de travail ou la correspondance de J.R.R. Tolkien, un peu plus loin sur les cartes (éventuellement inédites) dessinées par Christopher Tolkien sur les indications de son père, et enfin, le cas échéant, sur d’autres ouvrages de la critique tolkiénienne qui avaient pu traiter occasionnellement de sujets similaires, Jean-Rodolphe Turlin met en scène sept itinéraires, parcourus ensemble par ses lecteurs et lui-même (autant de Hobbits joufflus, de toute évidence), qui témoignent de l’invraisemblable précision dont faisait preuve Tolkien en matière de création d’univers. De fait, les sources diverses consultées par Jean-Rodolphe Turlin permettent, effectivement, de définir de telles promenades de manière relativement rigoureuse, et de savoir qu’à cet endroit, sur la gauche, il y a un petit ruisseau, et un peu plus loin là-bas sur la droite les terres de tel gentleman farmer hobbit, etc.
Bien loin cependant de s’en tenir à une énumération qui aurait tôt fait de se montrer fastidieuse, l’auteur met toutes ces informations en scène, trouvant plus qu’à son tour à « montrer plutôt que dire », et, au gré des pages, la magie opère : ce ruisseau est bel et bien ici, cette ferme bel et bien là, et nous les voyons – de même que nous apprécions cette aimable brise qui accompagne nos pas, que nous entendons les abeilles qui bourdonnent, etc. Le ciel est bleu, la campagne d’un beau vert – un temps idéal pour « partir à l’aventure », à la manière hobbitique raisonnable et définitivement non-Touque, c’est-à-dire sans orques et sans dragons ; encore que l’on puisse croiser ici ou là, mais probablement dans telle ou telle taverne (il y en a beaucoup) où il fait bon se désaltérer après quelques heures de marche, des Nains qui font le trajet depuis ou vers les Montagnes Bleues, ou parfois même des Elfes, dont certains peut-être, aimablement las du monde, se rendent aux Havres Gris pour l’ultime traversée. La compagnie est agréable, la bière rafraîchissante, et l’herbe à pipe de la meilleure qualité qui soit. Tout est parfait.
Cependant, en la personne de Jean-Rodolphe Turlin, nous avons bel et bien un guide, et pas seulement un compagnon de route – et si, à l’occasion, ses attributions doivent l’amener à jouer au conférencier, il s’acquittera de sa tâche avec passion. Ceci, tout spécialement, vaut pour l’étymologie, l’origine des très nombreux toponymes, patronymes, etc., de la Comté. Là encore, on perçoit combien le moindre choix de Tolkien était réfléchi, et d’une précision presque maniaque – au-delà, on apprécie aussi combien les traducteurs de Tolkien ont dû batailler pour trouver à intégrer autant que possible les notions philologiques des termes « anglais » dans leur rendu français ; cela n’a certes pas toujours été irréprochable (au passage, l’ouvrage était plus ou moins contemporain des nouvelles traductions de Daniel Lauzon, mais, en raison de considérations éditoriales, il s’est appuyé essentiellement sur la base de la traduction de Francis Ledoux), mais il est intéressant de constater l’astuce de certains rendus français, sous la plume de traducteurs professionnels comme d’amateurs exégètes de Tolkien, dont Jean-Rodolphe Turlin lui-même, proposant le cas échéant leurs propres adaptations. Par chance, ces développements ne rompent pas excessivement le caractère bucolique des promenades – du moins en ce qui me concerne, mais j’ai pu lire des avis divergents.
Autre trait qui contribue à rendre ces balades agréables : le livre est, de manière fort pertinente, très aéré, et émaillé de cartes ainsi que d’illustrations, très diverses à vrai dire (outre les crayonnés de l’auteur lui-même, nous avons aussi bien des œuvres d’illustrateurs tolkiéniens, comme cette couverture de Ted Nasmith, mais aussi des gravures, etc., empruntées à des guides, des dictionnaires, que sais-je, du XIXe siècle, assez souvent), mais généralement bien trouvées et adaptées au propos – sans que la représentation ne vienne excessivement parasiter l’imaginaire propre du lecteur.
Promenades au pays des Hobbits est donc une réussite, dans son registre très singulier. Il satisfera probablement aussi bien les amateurs de Tolkien que, mettons, les rôlistes qui voudraient jouer dans la Comté (pourquoi pas, après tout ?). Et c'est un ouvrage, oui, tout à fait charmant. On n’ira probablement pas bien au-delà de ce qualificatif, mais, très honnêtement, je n’en attendais probablement pas autant en en entamant la lecture. Bonne pioche !
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