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"La Rançon du temps", de Poul Anderson

Publié le par Nébal

 

ANDERSON (Poul), La Rançon du temps, ouvrage publié sous la direction de Jean-Daniel Brèque & Pierre-Paul Durastanti, avant-propos par Jean-Daniel Brèque, traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque, Paris, Le Bélial’, [1988, 1991, 1995, 2001, 2005] 2008, 291 p.

Retour à « la Patrouille du temps » avec ce troisième tome jusqu’à présent inédit, toujours publié au Bélial’, et présenté et traduit par l’indispensable Jean-Daniel Brèque. J’avais déjà eu l’occasion de vous dire combien j’avais trouvé La Patrouille du temps sympathique, et, plus récemment, à quel point j’ai adoré Le Patrouilleur du temps, notamment pour le court roman intitulé Le Chagrin d’Odin le Goth, qui m’a littéralement bluffé. Ça tombe bien : cette Rançon du temps est composée de deux courts romans très différents, bien révélateurs de la richesse thématique et formelle de ce cycle incontournable.

 

Le premier, et de loin le plus long, de ces deux romans ne manque d’ailleurs pas de faire penser au Chagrin d’Odin le Goth : Stella Maris (pp. 17-191 ; oh le beau titre, ça me rappelle quelque chose… Hein ? quoi ? ça n’a rien à voir ? certes, mais c’est pas grave : je ne vois nulle raison de se priver du Bien, du Beau et du Bon) se déroule essentiellement au Ier siècle de l’ère chrétienne en Grande Germanie. Des Patrouilleurs ont repéré une bizarrerie temporelle : un volume des Histoires de Tacite comprenant d’importantes variantes par rapport à celui (incomplet) qui est parvenu jusqu’à nous ; dans ces pages, le fameux historien romain traitait de la grande révolte des Bataves menés par Civilis, à une époque où l’Empire, encore récent et sans véritable principe dynastique, était livré à la guerre civile, plusieurs généraux ayant pour ambition de devenir Empereurs. Les changements dont témoigne Tacite pour cette période complexe pourraient donc avoir de graves conséquences pour la ligne temporelle de Manse Everard et des Danelliens. Aussi l’agent non-attaché se rend-il dans cette période pour enquêter sur cette divergence, accompagné de la spécialiste des Bataves Janne Floris. Bien vite, ils seront amenés à comprendre que la divergence concerne essentiellement la fascinante Veleda, une prêtresse charismatique d’une divinité mineure qui a prophétisé la chute de l’Empire romain. Manse Everard et Janne Floris se lanceront donc sur les traces de cette femme mystérieuse et de son « compagnon » Heidhin, remontant progressivement le temps jusqu’à ses origines…

 

Le cadre, une fois de plus, est superbe, et très documenté. Une fois de plus, bien que d’une manière originale, Poul Anderson s’interroge avec brio sur la naissance des mythes et leur importance pour le cours de l’histoire. Stella Maris est un drame lent et pesant ; son dénouement se laisse assez vite entrapercevoir, mais il n’en est que plus terrible, d’autant qu’il nous plonge dans un paradoxe temporel difficile à concevoir. On y découvre le revers des interventions de la Patrouille, au fil d’un récit très humain et émouvant. Le point fort de Stella Maris est d’ailleurs probablement le personnage de Veleda, femme extraordinaire, figure de légende, mi-humaine mi-divine. Un très bon texte, que je placerai cependant quelque peu en-dessous du Chagrin d’Odin le Goth… notamment à cause du personnage de Manse Everard, qui tourne un peu à la John Wayne à l’occasion (en plus d’être un chaud lapin) : il tient à rappeler qu’il est bien le fils d’un fermier du Midwest, ça se voit, et ça n'est pas toujours très approprié…

C’est également un peu le cas dans le deuxième roman de ce recueil, bien plus court, mais il n’y joue qu’un rôle moindre, quand bien même important. Ce roman est de toute façon très différent de Stella Maris, que ce soit sur le plan de la forme ou du fond. L’Année de la rançon (pp. 193-291) fut en effet publié comme un roman pour la jeunesse. Sans surprise, l’écriture est donc moins sophistiquée (sans tomber dans la niaiserie), le rythme est bien plus soutenu, et le cadre historique n’est pas aussi important. On retrouve ici davantage un texte tourné vers le pur divertissement, mais avec une efficacité remarquable.

 

Difficile, cela dit, de résumer cette complexe intrigue : si tout débute véritablement dans le Pérou du XVIe siècle, au moment où Pizarre anéantit l’Empire inca, on passe très vite d’une époque à l’autre dans une course-poursuite haletante et faisant la part belle aux personnages : outre Manse Everard, nous y retrouvons Wanda Tamberly, précédemment entrevue dans « La Mort et le Chevalier », mais dont c’est ici la première apparition (la jeune fille ignore tout de la Patrouille et rencontre Manse Everard), ainsi que Merau Varagan et ses Exaltationnistes dans le rôle des « méchants » (on les avait déjà entrevus dans D’ivoire, de singes et de paons). Mais, surtout, nous y faisons la connaissance, une fois de plus, d’un fabuleux personnage, qui, à vrai dire, bouffe littéralement tous les autres : le conquistador don Luis Ildefonso Castelar y Moreno, compagnon de Pizarre qui se retrouve bien malgré lui embarqué dans l’univers déstabilisant de « la Patrouille du temps »… et compte bien en tirer profit.

 

La Rançon du temps est ainsi un recueil varié et très sympathique. Je ne prétendrai pas l’avoir trouvé aussi bon que Le Patrouilleur du temps (oui, parce que, Le Chagrin d’Odin le Goth… hein ? oui, je le sais, que je me répète, mais… bon), mais ce fut néanmoins une lecture agréable, complétant utilement le cycle de « la Patrouille du temps ».

Suite et fin (l’année prochaine en principe ?) avec Le Bouclier du temps ; j’ai hâte…

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"La Fontaine de jouvence", de Philippe Ward

Publié le par Nébal


WARD (Philippe), La Fontaine de jouvence. Une aventure de Gilles de Grandin, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche, 2004, 148 p.

Voilà un roman que j’ai longtemps hésité à chroniquer. Si je m’y suis finalement résolu, c’est parce que je ne parvenais pas à justifier à mes propres yeux ce « traitement exceptionnel » un peu hypocrite ; et puis, on dit souvent (mais peut-être est-ce une idée reçue ?) que le pire tort que l’on puisse faire à un livre est de ne pas en parler… Mais voilà, je savais bien que cela n’irait pas sans poser quelques problèmes : pour dire les choses clairement, je n’ai pas du tout aimé La Fontaine de jouvence, et j’ai trouvé ça vraiment très mauvais. En temps normal, j’aurais très probablement montré les crocs et entamé un démontage en règles, du genre cruel et éventuellement puéril, mais qui défoule. Après tout, ça m’est arrivé à l’occasion…

 

Seulement, cette fois, je ne peux pas faire le meuchant ; je n’en ai pas le moins du monde envie, et cela ne me paraîtrait pas du tout légitime. Que Philippe Ward, dont je vous avais dit beaucoup de bien en évoquant son très bon Noir Duo coécrit avec Sylvie Miller, et qui m’a gratifié ici une nouvelle fois d’une fort aimable dédicace, soit quelqu’un de très sympathique, a sans doute joué un certain rôle ; que sa collection Rivière Blanche, dont La Fontaine de jouvence fut un des tout premiers titres, soit un projet original, honnête et courageux, idem. Mais la vérité, cependant, est ailleurs (of course) : si je ne peux pas massacrer La Fontaine de jouvence, c’est tout simplement parce que ce très court roman, à l’évidence, n’était pas pour moi, que j’en ai été prévenu, et qu’il n’y a pas tromperie sur la marchandise (et comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises lors de mes récurrentes fulminations quasi pyromanes, c’est avant tout la tromperie qui m’agace ; voyez par exemple Eon ou La Théorie des cordes). Et c’est bien pourquoi je ne peux pas dézinguer ce roman : ce serait un peu comme de demander à un intégriste puritain de chroniquer un porno gonzo, à un anti-communiste acharné de parler du Cuirassé Potemkine, au Mahatma Gandhi ce qu’il pense de Brain Dead et des films d’auto-défense de Charles Bronson, à Rameau son opinion sur Ornette Coleman, Throbbing Gristle ou Merzbow, à Joris-Karl Huysmans son avis sur Oui-Oui et la voiture jaune. Quelque part, ça coince. La valorisation de la supposée « critique objective » révèle bien ici sa vacuité, sa tendance à l’imposture. Si je devais en rester à l’objectivité, ça serait vite expédié : intrigue ridicule, personnages grotesques, style à pleurer. Hop, fini, poubelle (… enfin, non, je ne jette jamais les livres à la poubelle ; tout ça, c’est une expérience de pensée, hein). Et ça serait absurde, ce serait passer complètement à côté de l’essentiel : avec La Fontaine de jouvence, Philippe Ward n’a jamais eu la prétention d’écrire un chef-d’œuvre de la littérature contemporaine, raffiné, subtil et profond ; il a voulu écrire un divertissement populaire, hommage aux « grands anciens du Fleuve Noir », et en premier lieu à Jimmy Guieu, à qui le livre est dédié. Et j’étais curieux de voir ça, surtout après avoir lu plusieurs critiques enthousiastes… mais peut-être un brin copineuses.

 

Avec La Fontaine de jouvence, on est en effet en plein dans la SF à papa, naïve et excessive, et mêlant allègrement tout et n’importe quoi, avec une louche d’ésotérisme, de parapsychologie et d’archéologie mystérieuse.

 

« (1) Authentique. »

 

C’est que l'auteur était un grand admirateur de Jimmy Guieu, qui l’a encouragé dans la voie de l’écriture il y a trente ans de cela. Et le jeune Philippe Ward, alors âgé de 17 ans, de se lancer aussitôt dans la rédaction d’un premier jet de La Fontaine de jouvence.

 

« (2) Authentique » ?

 

Dans tous les cas, La Fontaine de jouvence trouve tout naturellement sa place, en 2004, chez Rivière Blanche. Au programme : l’inévitable Atlantide, et tant qu’à faire l’inévitable Fontaine de jouvence du titre ; d’inévitables OVNI, d’inévitables méchants vraiment très très méchants, d’inévitables conspirations à l’échelle mondiale, une inévitable amourette, et un inévitable héros à l’ancienne, à la OSS 117 et compagnie. Gilles de Grandin (destiné à réapparaître dans d’autres romans, qu’ils soient de Philippe Ward ou non) emprunterait donc au Gilles Novak de Jimmy Guieu et au Jules de Grandin de Seabury Quinn ; une sorte d’Indiana Jones avec un budget effets spéciaux très réduit et nettement moins charismatique, archéologue nécessairement rejeté par la communauté scientifique parce qu’il SAIT que la vérité est ailleurs.

 

« (3) Authentique. »

 

A partir de là, tout va très vite. Gilles de Grandin est mystérieusement contacté par un mystérieux contact, qui lui suggère de se rendre dans la mystérieuse île de la Jamaïque, où un mystérieux tremblement de terre a fait apparaître de mystérieuses statues (p. 10). A peine est-il descendu de l’avion que Gilles de Grandin manque périr dans un mystérieux attentat (p. 12) ; puis il rencontre la jolie ethnologue Elaine Garvey (p. 14) et voit un mystérieux OVNI (ibid.) ; puis tous deux sont enlevés par de mystérieux individus prétendant descendre des mystérieux Atlantes (p. 16) et qui comptent bien mettre leur mystérieuse main sur la mystérieuse Fontaine de jouvence (p. 18). Etc.

 

« (4) Authentique. »

 

Vous l’aurez compris, on ne fait pas ici dans l’introspection, et encore moins dans les descriptions balzaciennes interminables. Primauté à l’action, aux rebondissements à chaque page ou presque, un peu comme dans Tintin : on pense d’ailleurs assez à Vol 747 pour Sydney, même si la thématique atlante, pour rester dans la ligne claire, évoque encore davantage Blake et Mortimer... en beaucoup moins convaincant à mon goût. Intrigue inepte et puérile, « cadre » pulp au possible, personnages monolithiques tout droit tirés de comics de « l’âge d’or »… Tout cela est d’une profonde naïveté plus ou moins rafraîchissante, et l’on sourit régulièrement devant tel ou tel cliché, telle ou telle réplique que l’on n’osait plus employer depuis les années 1950, façon « J’ai bien cru que mes poumons allaient éclater ! », et, bien sûr et surtout, les récurrentes digressions anecdotiques sur le paranormal et le mystérieux, « (5) Authentique » comme chez Guieu. Qualité France.

 

Alors, non, il n’y a pas tromperie sur la marchandise ; et je ne doute pas que les fans de Jimmy Guieu pourront trouver un certain plaisir régressif à lire cette Fontaine de jouvence, le même, probablement, qu’a pu ressentir Philippe Ward à l’écrire. Peut-être certains tout jeunes lecteurs pourraient-ils aussi y trouver leur bonheur (mais encore faudrait-il qu’ils puissent mettre la main dessus…). Mais quant à moi, je suis bien obligé de reconnaître que, ben non, c’est pas ma came, comme y disent les djeuns. C’est trop naïf pour le coup ; jusque dans l’écriture, et c’est sans doute cela qui m’a été fatal. Philippe Ward a su montrer dans d’autres circonstances qu’il pouvait avoir une belle plume, mais ce n’est certainement pas avec La Fontaine de jouvence que l’on pourra l’apprécier : le style est ici minimal et lourd, niais et maladroit, un peu comme dans une rédac’ d’un collégien enthousiaste mais moyennement doué qui se serait lâché. Autant dire que cela fait régulièrement saigner les yeux et les oreilles. Et le très grand nombre des coquilles (j’ai bien vite arrêté de les relever…) n’arrange certainement rien à l’affaire. Bref, je me suis passablement ennuyé en dépit (ou à cause ?) des rebondissements multiples et du rythme trépidant, et j’ai quelque peu peiné à lire ce roman heureusement très court.

 

Un roman qui n’était pas pour moi, donc. Je n’ai pas aimé, non. Pas du tout. Mais je ne peux pas être « honnêtement » méchant ; j’espère ne pas l’avoir été…

« (6) Authentique. »

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