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"L'OEil d'Apollon", de Gilbert Keith Chesterton

Publié le par Nébal



CHESTERTON (Gilbert Keith), L’Œil d’Apollon, textes choisis et présentés par Jorge Luis Borges, [s.l.], FMR – Panama, coll. La Bibliothèque de Babel, [1978] 2008, 163 p.

 

Une collection de littérature fantastique dirigée par Jorge Luis Borges ? Dire que voilà quelque chose de séduisant, c’est faire preuve d’un talent peu commun pour l’euphémisme. Aussi cela faisait-il un moment que je tournais autour des (très beaux, mais hélas un chouia coquillés) volumes de la « Bibliothèque de Babel » (bien sûr…), actuellement réédités chez FMR – Panama. Une collection qui accueille du beau monde : Gustav Meyrink, Henry James, Arthur Machen, Villiers de l’Isle-Adam, Jack London… Pendant longtemps, j’ai cependant réfréné mes pulsions consuméristes : c’est que ces livres sont beaux, oui, mais aussi courts et chers…

 

Et puis, un jour que je déambulais dans ma librairie fétiche, j’ai jeté un œil aux dernières parutions, ce volume de Chesterton et Les Morts concentriques de Jack London. La tenancière s’agitant dans les environs, je lui ai demandé si, à tout hasard, elle avait quelque part les volumes précédents (Machen et Villiers de l’Isle-Adam m’intéressant tout particulièrement). Et là, ce fut le drame : elle me dit que non ; parce que les petits jeunes n’achètent pas ces beaux livres, mais préfèrent la mauvaise fantasy en 15 volumes pleins d’elfes et de dragons. Aussi ne se procurait-elle chaque fois qu’un seul volume de chaque titre… qu’elle était bien souvent contrainte de retourner sans l’avoir vendu, snif, snif. Scandale ! J’endosse mon armure étincelante de chevalier blanc défenseur du bon goût et de la justice, et j’achète le London et le Chesterton, parce que merde. Je sens de l’émotion et de la gratitude dans la voix de mon interlocutrice…

 

Mais trêves de billevesées faussement héroïques, parlons un peu de cet Œil d’Apollon. Du fantastique, bien sûr.

 

 

Bien sûr ?

 

Pas vraiment, en fait. L’atmosphère a bien quelque chose de fantastique, mais les cinq récits composant ce bref recueil ne s’en rattachent pas moins avant tout au genre policier. Disons dans cette variante du detective novel qui emprunte au Poe du « Double assassinat dans la rue Morgue » et au Conan Doyle du Chien des Baskerville. Avec moins d’emphase et de gravité, certes. C’est a fortiori le cas pour quatre de ces cinq textes, qui nous rapportent des enquêtes du Père Brown, curé catholique itinérant et détective amateur, le plus fameux personnage de Chesterton (qui lui a consacré une cinquantaine de nouvelles, disponibles dans leur intégralité dans l’indispensable collection « Bouquins » chez Robert Laffont) [EDIT : nan, c'est chez Omnibus, en fait, je confonds toujours, alors que pourtant... mais c'est indispensable aussi]. Le Père Brown, préfigurant le lieutenant Columbo par sa modestie et sa bonhomie, est cependant un personnage bien différent de Sherlock Holmes et de Dupin. Plus encore que l’Hercule Poirot d’Agatha Christie, c’est un petit bonhomme ne payant pas de mine, un peu risible, d’une apparence tellement banale qu’elle en devient extraordinaire ; il est souvent accompagné de son comparse français Flambeau, ancien cambrioleur devenu détective privé, dont la carrure athlétique ne manque pas de conférer au duo une allure grotesque à la Laurel et Hardy. Mais sous ses apparences cocasses, cet attachant personnage qu’est le Père Brown se montre un astucieux enquêteur à l’intuition aiguë, à même d’expliquer l’inexplicable : le bon sens aidant, il dénoue les mystères les plus fantasques, et rétablit l’ordre naturel (et donc divin…) des choses.

 

Ainsi dans « L’Œil d’Apollon » (pp. 15-44), où le petit curé démonte un crime invraisemblable impliquant un de ces nouveaux cultes qui pullulaient alors en Angleterre. « L’Honneur d’Israël Gow » (pp. 45-70), à l’atmosphère étrangement (proto-) lovecraftienne, lui offre de même l’occasion de percer un mystère en apparence bien surnaturel. « Le Duel du professeur Hirsch » (pp. 71-96) est ensuite une astucieuse variation sur le thème éminemment fantastique du double, dans une France encore agitée des soubresauts de l’affaire Dreyfus. Si le fantastique est encore moins présent dans l’excellent « Les Pas dans le couloir » (pp. 97-131), l’angoisse et le mystère sont pourtant bien présents… quand il ne s’agit que de résoudre un vol dans un cadre ubuesque.

 

Enfin, il faut mettre à part « Les Trois Cavaliers de l’Apocalypse » (pp. 133-164), nouvelle ne faisant pas intervenir le Père Brown, mais très proche dans l’esprit, et totalement dénuée de fantastique, en dépit de ce que son titre laisse entendre. Cette puissante histoire est en effet tout à fait « naturelle », quand bien même on ne saurait la dire banale. Et cela vaut pour les enquêtes du Père Brown. Cela dit, ce titre chrétien n’a rien d’innocent : ce récit, plus encore que les précédents (où cet aspect ne fait pourtant pas défaut), a en effet tout de la parabole.

 

Et c’est là à la fois ce qui fait une partie de l’intérêt de ce petit recueil, et en même temps ce qui peut lui nuire. En effet, Gilbert Keith Chesterton avait tout du catholique anglais, plus combatif que jamais – mais versant persécuté, non persécuteur : nous sommes en Angleterre… – en cette ère où le matérialisme scientiste s’accommodait étrangement de spiritualités alternatives, « orientalisantes » ou autres. Les thématiques religieuses sont toujours présentes dans ces nouvelles, et leur contenu moral ne saurait faire de doute. Si le Père Brown enquête en amateur entre deux sermons, il ne se prive pas, lors de ses démonstrations, de lire les avertissements des Écritures dans les fraudes et les crimes qu’il met à jour. Ce qui, soyons franc, peut agacer : les textes ont un indéniable côté moralisant et militant, assez conservateur, qui peut faire soupirer… D’autant que c’est sans doute cette dimension morale et chrétienne qui peut élever le récit au delà du simple divertissement policier, efficace mais reposant souvent sur un enjeu léger. Pour qui n’y est pas sensible, restent cinq récits agréables et désuets, amusants (le ton est souvent très humoristique, presque burlesque) et prenants, mais probablement pas inoubliables.

L’Œil d’Apollon
procure des « heures heureuses », pour reprendre les mots de Borges dans son « Introduction » (pp. 9-13). Deux ou trois heures, disons. C’est déjà bien. Mais j’avoue que j’en attendais davantage ; sans doute Les Morts concentriques me parleront-ils plus.

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"Pixel Juice", de Jeff Noon

Publié le par Nébal



NOON (Jeff), Pixel Juice. Histoires, nouvelles, fragments, dub remix, modes d’emploi, [Pixel Juice], traduction de l’anglais par Marie Surgers, [s.l.], La Volte, [1998] 2008, 312 p.

 

Aujourd’hui, Nébal fait dans le hype de la vibe, dans le in du groove. Depuis le temps que les plus connards élitistes des connards élitistes disent du bien de Jeff Noon, auteur mancunien chtarbé écrivant de la SF-mais-pas-tout-à-fait, et sempiternellement comparé à, entre autres, Lewis Carroll et William Gibson, excusez du peu, il fallait bien que je m’y mette un de ces jours… J’avoue, j’avoue : le buzz autour des deux précédentes parutions françaises du monsieur, Vurt et Pollen, déjà chez (souvent très courtes) La Volte, m’avait laissé pour le moins sceptique. Bref, j’étais passé à côté. Puis, re-belote pour NymphoRmation et Pixel Juice. Cette fois, je craque ; parce que Pixel Juice est un recueil de nouvelles (et fragments, et dub remix, et poèmes, et modes d’emploi), et que ça m’attire davantage, na. Et aussi que ça me semblait le meilleur moyen d’aborder l’univers semble-t-il si particulier du bonhomme. Un premier contact avec la nouvelle « ExtroVurt » dans le dernier Bifrost (nouvelle reprise ici, pp. 155-161) ne m’avait pourtant (Manchester) pas tout à fait convaincu : ça m’avait paru pas mal, oué, mais pas transcendant pour autant… Mais bon.

 

Pixel Juice, donc. Cinquante (cinquante !) histoires, souvent très courtes, et toutes plus déglinguées les unes que les autres ; plus ou moins reliées entre elles ; très variées, cela dit. Mais présentant tout de même un certain nombre de points communs, qui font du recueil une sorte de roman caché, éclaté, pas vraiment un fix-up, mais… Pour tout dire, j’ai souvent pensé à La Foire aux atrocités, notamment dans (nord de l’Angleterre) les fragments et modes d’emploi bien sûr, quand bien même l’atmosphère est passablement différente, et l’abord autrement plus aisé. Parmi ces points communs, il y a notamment le cadre – Manchester, très souvent – et de nombreuses (big, big, big) allusions et références à la culture gravitant autour de la techno et de la house.

 

Quoi de plus normal ? Eh ! Nous sommes à Madchester (Namchester si vous y tenez), là où les lundis sont joyeux quand ils ne sont pas bleus comme la jolie couv’ ; c’est après tout dans cette morne ville industrielle du nord de l’Angleterre que l’acid house de Chicago et la techno de Detroit, via l’Haçienda (FAC51), ont généré en Europe l’âge d’or des clubs et des raves, et bientôt les belles heures de l’ambient house, de la jungle et du big beat. Dub it wide open ! Move your body ! Que cette dimension figure dans Pixel Juice ne pouvait que me séduire, et…

 

« Ta gueule, Nébal, t’es supposé nous causer d’un bouquin, là, pas nous passer de ta musique de bouse qu’on s’en bat la race. »

 

 

Béotiens !

 

Et grossiers personnages.

 

Mais, voyez-vous, c’est que cette dimension a son importance dans Pixel Juice : Jeff Noon mixe les histoires, scratche les personnages, enchaîne les thèmes, à l’instar d’un DJ acidifié bien comme il faut (ou d’un maniaque de l’Absolu). Du coup, Pixel Juice évoque parfois un battle entre Lewis Carroll et J.G. Ballard, avec Borges qui trippe sur le dancefloor, Gibson et Dick se disputant le stroboscope : gamins (Noon lui-même) rêveurs et scaraboussoles, putes et modes d’emploi. Les DJ zonent dans Madchester, parfois plus cabots que nature, ou s’évadent dans le Vurt à coups de plumes. Une montre invisible vaut bien une Aston Martin DB5. Les lettres se livrent, et les cachetons poétisent. Les macs ont douze ans, et le modèle Marilyn Monroe est défectueux. Les (faire sa) pubs tuent, et les perversions se baladent dans les rues sans leur pervers attitré. Et beaucoup d’autres choses, de ce genre ou d’un autre.

 

Le mieux, finalement, c’est peut-être de laisser Noon lui-même faire sa pub – « Pixel Dub (kid remix) » (pp. 310-311) :

 

Dans des boutiques d'objets magiques
On achète des trucs poétiques
Et un mac très mini

Devient très très mini

Quand il tombe sur son papa qui nique.

 

C’est n’importe quoi, ce bouquin

Une montre enchante un gamin

Les pubs évoluent

Un DJ salue

Godzilla lui file un coup de main.

 

Tiens, un œuf dans l’utérus

La star oubliée, c’est Janus

Un mort par fetish ?

Ah ça c’est fortiche.

Une bestiole crache le feu par l’anus.

 

Toujours la pluie tombe comme des pleurs

Sur des pixels et des voleurs

Et des DJs, les revoilà

Il veut prouver quoi, Noon, là,

Lui qui est toujours au lit à dix heures ?

 

À New York un robot serre les fesses

Une langue dans le ventre, c’est l’ivresse !

Miroirs biscornus

Des livres qui tuent

Mais ça c’est piqué à Borges.

 

Le style ? Dingue et frénétique

La langue ? Anti-génétique

P.K. Dick arrive

Et on récidive

Dans des délires alphabétiques.

 

Oh, ces perversions !

Flingues, putes, drogues à foison

Les critiques devraient le brûler

Devraient vraiment l’adorer

Et on va en vendre des millions.

 

Ça, je sais pas… Mais c’est vrai que (« à suivre ») ça le mériterait. Parce que le résultat de ce joyeux foutoir est absurde so british mais cohérent, et diablement enthousiasmant, tour à tour drôle et émouvant, beau et sordide, et toujours superbement écrit et d’une inventivité exemplaire. Cette virée nocturne et lumineuse (« à suivre ») au milieu des putes et des DJs et des gamins m’a bien plu, c’est le moins qu’on puisse dire. Pixel Juice est bien un bouquin qui mérite (« à suivre ») son buzz.

Du coup, « à suivre » avec NymphoRmation. (EDIT : Non ! On repart avec Vurt !).

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"Transmetropolitan", t. 3. "Seul dans la ville", de Warren Ellis & Darick Robertson

Publié le par Nébal

 

ELLIS (Warren) & ROBERTSON (Darick), Transmetropolitan, t. 3. Seul dans la ville, introduction de Patrick Stewart, Saint-Laurent-duVar, Panini France, coll. Vertigo Big Book, [1999-2002] 2008, [n.p.].

 

Il y a de cela quelque temps, j’ai commis l’intolérable : j’ai failli à une promesse. Je m’étais engagé à causer de quelques chouettes BD, mais, emporté par mes lectures sans FREE NEBAL dessins dedans, j’ai laissé tomber l’affaire.

 

C’est intolérable.

 

 

Oui, je sais bien que vous vous en foutez, mais, bon.

 

Donc, je vais tâcher de me rattraper dans les jours qui viennent. Tout simplement parce que, après un petit break, je me suis remis à lire de chouettes BD. Donc, au programme (oui, encore une fois, mais, cette fois, promis, promis, je…) : Tom Strong (re), Preacher (re), Neverwhere, Hellboy et Death.

 

(Ben oui : qui a besoin de BD de genre franco-belges quand il y a les Anglo-Saxons ?)

 

Mais dans l’immédiat, Transmetropolitan. Je ne pouvais commencer que par cette merveille. Même si, du coup, je n’ai pas chroniqué l’excellent deuxième tome, qui mettait aux FREE NEBAL prises notre Spider Jerusalem chéri d’amour avec le Sourire, candidat aux érections pestilentielles répugnant de populisme, d’arrivisme et d’hypocrisie, comme…

 

Non, rien.

 

Transmetropolitan, donc. Une BD dont je vous avais dit le plus grand bien pour le premier tome, en son temps une grosse baffe comme on les aime. Warren Ellis, au sommet de son talent, nous y racontait les déboires du journaliste gonzo Spider Jerusalem, de retour dans la Ville, et bien décidé à y tanner des culs (faut dire, y’avait urgence). Darick Robertson, au crayon, nous dépeignait un univers et des personnages hauts en couleurs. Et c’était bon. Oh, si bon.

 

Le deuxième tome était toujours bon, oh, si bon.

 

Et, chose étrange, le troisième tome est toujours bon, oh, si bon. Loin de me décevoir avec le temps, Transmetropolitan est une BD qui me séduFREE NEBALit de plus en plus planche après planche. Et, quitte à faire dans le superlatif, je n’hésiterais pas à dire que ce brûlot débordant de réjouissant mauvais goût a aujourd’hui rejoint Watchmen, Sandman, Maus et Peanuts (pas la même chose, certes…) au sommet de mon panthéon perso des BD qu’elles sont bien pour les lire.

 

Je ne vais pas rentrer dans les détails de ce volumineux recueil (comprenant les épisodes 25 à 36 de la série originale, avec leurs couvertures – parfois dues à des dessinateurs invités, dont, bizarrement, Jim Lee, qui nous fait des Sordides Assistantes très jimlee-esques). Disons seulement que Spider Jerusalem, entre deux ballades émouvantes en solitaire dans une ville plus fantasque que jamais (et quelques délires éthylico-psychédélico-dépressifs, dont un, hilarant, pour lequel sont conviés quelques potes dessinateurs, et non des moindres, par exemple Bryan Hitch – Ultimates… – et Frank Quitely – The Authority, WE3, All-Star Superman…), y a maille à partir avec la police, dénonce crimes raFREE NEBALcistes et réseaux pédophiles, et entend bien botter du cul présidentiel, histoire de lui faire décrocher son sourire, à l’autre con, là. Et défendre la liberté de la presse, parce que merde.

 

Ah, Spider Jerusalem…

 

Mon héros.

 

Le seul, le vrai. Aucun autre ne peut prétendre à ce titre. La thune, les gros flingues et les super-pouvoirs n’y changent rien : tout le monde s’écrase devant le Grand Journaliste (et son agitateur d’intestins, dont on découvre dans la joie de nouvelles positions). Et lui seul (à part peut-être V, bien sûr) peut revendiquer (enfin, pourrait) le qualificatif de héros anarchiste, sans me faire voir rouge (et noir) pour autant. Parce que voilà quelqu’un qui esFREE NEBALt vraiment un héros, et qui est vraiment anarchiste. Certainement pas « invisible » (aha) mais bien au contraire visible comme un furoncle au milieu de la gueule, il ne fait pas mumuse avec des trains comme les ceusses de l’ultime-hyper-totale-gauche qui ont trop ou pas assez joué aux G.I. Joe quand ils étaient nenfants, mais appuie vraiment là ou ça fait mal, et là où c'est utile. Il cherche les emmerdes et s’en délecte. Et il déteste sa gloire, mais compte bien s’en servir.

 

Spider Jerusalem est grand.

 

Et c’est aussi un enculé de première. Une petite enflure vicieuse, infréquentable, répugnante. Ses Sordides Assistantes le lui ont promis : le jour où il crèvera enfin comme un chien, elles organiseront illico une fête à tout casser (et, en attendant, elles ne se privent pas pour lui pourrir les nuits à coups de manifestations bruyantes des besoins irrépressibles de leurs vagins aFREE NEBALvides). Elles ne peuvent pas le blairer, bien sûr. Et pourtant, si. La preuve : à le suivre, elles mettent leur vie en danger, plus que jamais dans cet épisode où la police (excepté un chouette personnage secondaire, que j’espère revoir ultérieurement) ne fait pas vraiment dans la dentelle pour éliminer l’opposition. Mais voilà : ce qu’il fait, il le fait bien. Et il faut le faire. Et puis, faut dire, au moins, à suivre Spider Jerusalem, on ne risque pas de s’ennuyer.

 

Le lecteur non plus. Ce troisième tome est à nouveau un régal de bout en bout, alternant avec talent tragique et comique, sérieux et profondément débile, émotion (si, si) et gros éclats de rire, poésie et crasse (bon, d’accord, y’a quand même beaucoup plus de crasse…). La plume de Warren Ellis y est plus incisive que jamais (ce type a un don pFREE NEBALour les insultes et autres menaces) ; le dessin de Darick Robertson est toujours aussi riche et magnifiquement approprié. Transmetropolitan est une BD qui vise alternativement aux couilles et à la tête, avec toujours autant d’efficacité. C’est un vrai bonheur subversif et trash, qui se rapproche autant que faire se peut de la perfection.

 

Lisez Transmetropolitan. Et plus vite que ça.

Et quant à moi, je veux la suite. Vite. FREE NEBAL Hop.

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"Le Visage vert", n° 15. "Hantises et malédictions"

Publié le par Nébal


Le Visage vert, n° 15. Hantises et malédictions, Paris, Zulma, juin 2008, 191 p.

 

Nouveau numéro du Visage vert, excellente revue consacrée à la littérature fantastique (versant passablement érudit), dont je vous avais déjà dit beaucoup de bien à propos de son numéro de la résurrection. Un an plus tard, c’est avec plaisir que j’ai retrouvé ce très bel objet, avec à nouveau une couverture « affichiste » du plus bel effet, et toute une palanquée d’auteurs que moi, l’ignoble béotien, ben, j’en avions point jamais entendu causer, moué. L’occasion de faire des découvertes, donc.

 

Dans le précédent numéro, le dossier « Amateurs in Suffering » m’avait passionné. Ce numéro-ci se montre sans doute moins original à cet égard : « Hantises et malédictions », autant dire qu’on est dans le fantastique le plus classique. Une petite déception, sans doute – le dossier n’ayant pas une unité thématique aussi singulière que le précédent –, heureusement compensée par la qualité et/ou l’intérêt anecdotique des nouvelles et études composant ce numéro.

 

Décortiquons donc la bête. Les premières nouvelles jouent clairement la carte de l’esthétique décadente, et ne manquent ainsi pas de rappeler certains textes du numéro précédent. Cela dit, je ne m’étendrai guère sur « Le Succube » de Jules Bois (pp. 13-17), nouvelle assez banale, et qui m’a laissé relativement froid ; je lui ai clairement préféré la brève étude de Michel Meurger, « Jules Bois ou le famulus des mages » (pp. 18-20)...

 

Celui-ci, quelques pages plus loin, nous entretient d’un autre singulier personnage, Ralph Adams Cram, architecte néogothique et auteur décadent américain méconnu, tout en brossant un fascinant portrait du Paris ésotérique fin de siècle et des énergumènes que l’on pouvait y croiser, de l’inénarrable Sâr Péladan (figure récurrente de ce numéro) aux pontes de la Golden Dawn (« La « Bouche d’Enfer ». Architecture sacrale et baisers volés dans le Paris fin de siècle », pp. 35-47) : un article un peu fourre-tout, mais néanmoins passionnant, qui illustre à merveille la première des deux nouvelles de Ralph Adams Cram que nous livre ce numéro, « N° 252, rue Monsieur-le-Prince » (pp. 23-34), jolie variation décadente sur le thème de la maison hantée, riche en références cryptiques. La deuxième nouvelle de l’auteur, « La Vallée morte » (pp. 48-55), m’a bien moins séduit, en dépit de l’admiration que lui portait semble-t-il Lovecraft.

 

Une surprise en ce qui me concerne, ensuite : « Mémoire de l’œil » d’Anne-Sylvie Salzman (pp. 59-67), quand bien même elle partage avec les autres textes du numéro (la plupart, en tout cas ; voir immédiatement après…) une grande élégance formelle un peu désuète et en même temps une certaine intemporalité, est une nouvelle écrite en 2007… Très belle atmosphère pour une nouvelle macabre tout à fait recommandable.

 

Après la surprise, une curiosité, avec l’exhumation d’un vieil héros de littérature populaire à dix sous, le Sâr Dubnotal, « le grand psychagogue » à l’allure improbable d’entre deux mondes, et sa cohorte de médiums et de spirites. On s’est semble-t-il longtemps interrogé sur l’origine de ce personnage de feuilletons, que l’on supposait l’œuvre d’un auteur allemand. Aujourd’hui, on sait qu’il s’agit en fait de l’œuvre d’un Français (cocorico !) (blague), Norbert Sevestre ; François Ducos revient sur ce personnage et sur son mystérieux auteur dans un passionnant article intitulé « Chronique des ténèbres : Sâr Dubnotal » (pp. 83-90 ; bien sûr, on y croise à nouveau, et plus que jamais, le Sâr Péladan, inspiration première du héros). Mais on avait pu auparavant (pp. 71-82) en lire une brève aventure, « Le Paquebot ensorcelé ». Soyons clair : sur le strict plan littéraire, c’est d’une pauvreté affligeante. C’est par ailleurs extrêmement naïf… et même passablement ridicule. Mais tant mieux ! Pour le coup, j’ai retrouvé dans cet étrange spécimen de littérature populaire la fraîcheur des vieux comics, davantage encore que des pulps ; un divertissement régressif, datant d’une époque où les BD étaient sans doute encore assez rares en France et où les séries TV n’existaient pas (il y avait cependant les serials cinématographiques, certes…). Le Sâr Dubnotal, à vrai dire, trouverait tout à fait sa place dans La Ligue des héros de Xavier Mauméjean (qui écrit quand même autrement mieux, hein…). Je note par ailleurs que Jean-Marc et Randy Lofficier ont entrepris d’adapter en langue anglaise les aventures de ce personnage chez Black Coat Press ; oserait-on en espérer une reprise dans la collection Rivière Blanche ?

 

On passe à tout autre chose ensuite, l’autre versant du spectre (aha) de la littérature fantastique, avec deux superbes petits contes de Jean Cassou, le fascinant « La Maison sous la neige » (pp. 93-99) et le poignant « Ophélie » (pp. 100-102) ; après quoi Éric Vauthier nous entretient avec passion de l’auteur, un des grands poètes français du XXe siècle, tenant d’une veine néo-romantique l’amenant à fricoter régulièrement avec le fantastique et le surréalisme, et le posant en compagnon de route et précurseur des « transfictions » et de la « Nouvelle Fiction » chers à Francis Berthelot, mais hélas tristement sombré dans l’oubli, dans « Jean Cassou, conteur et enchanteur » (pp. 103-121). En ce qui me concerne, ce fut la révélation de ce numéro ; je ne sais s’il me sera aisé de mettre la main sur les recueils de nouvelles et les romans de ce brillant auteur, mais je m’en vais tenter l'expérience.

 

Suit immédiatement la deuxième révélation (personnelle, hein) de ce numéro, avec Leopoldo Lugones, compatriote de Borges (qui lui vouait une intense admiration, et l’a par ailleurs publié dans sa fameuse collection de la « Bibliothèque de Babel », dont j’aurais bientôt l’occasion de vous reparler), grand poète et écrivain, mais dont les compromissions politiques lui valurent quelques jugements infondés. On en lira ici deux puissants textes d’inspiration biblique, « La Pluie de feu. Évocation d’un désincarné de Gomorrhe » (pp. 125-133) et « La Statue de sel » (pp. 134-138). Le premier hélas, m’a semblé souffrir d’une traduction un brin douteuse, abondant en tics d’écriture que l’on retrouve ensuite dans l’article des traducteurs Carmen & Emmanuel Roussel (« Leopoldo Lugones », pp. 139-146), non dénué d’intérêt cependant.

 

Retour à un fantastique plus classique à un style plus épuré (voire lapidaire) avec Hermann Wolfgang Zahn et son « Histoire d’un tableau » (pp. 149-164), qui, sans surprise, n’a pas manqué de me faire penser au Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, quand bien même l’approche est ici bien différente, au-delà de la thématique de la peinture et du double. Une réussite. Robert N. Bloch (aucun lien ; enfin, je suppose…) nous entretient ensuite de l’auteur (« Hermann Wolfgang Zahn », pp. 165-168).

 

Réussite encore, mais dans un genre excessivement baroque, le « Manuscrit trouvé dans une maison de fous » d’Edward George Bulwer Lytton (pp. 171-176). Impressionnant et fort.

 

Une friandise, enfin : François Ducos & Gérard Dôle nous livrent une « carto-nouvelle » inspirée « d’Ancient Sorceries » d’Algernon Blackwood (« Sortilèges du fond des âges, ou l’étrange aventure survenue à Laon, en 1905, à un Anglais de passage », pp. 179-187) le texte, bilingue, est illustré par une série de vieilles cartes postales. Amusant… Les cartophiles apprécieront.

Bref : un bien beau numéro d’une bien belle revue, riche en découvertes et toujours aussi agréable à l’œil. Rendez-vous en juin 2009 pour le numéro 16, à ce que j’ai cru comprendre.

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"Le Syndrome du scaphandrier", de Serge Brussolo

Publié le par Nébal



BRUSSOLO (Serge), Le Syndrome du scaphandrier, [Paris], Denoël – [Gallimard], coll. Folio Science-fiction, [1991, 2000] 2005, 188 p.

 

J’aurais mis le temps, à lire du Brussolo. Pendant longtemps, il faut dire, je n’en ai eu presque que des échos extrêmement négatifs : j’entendais parler d’un écrivain prolifique qui avait commis une flopée de bouses alimentaires publiées à la mitrailleuse et par ses soins en Présence du futur ; d’un auteur vaguement nanardeux, expédiant des romans où les bonnes idées se noyaient dans un déferlement d’images totalement dénué de structure ; d’un écrivain, enfin, au style pathétique et sans âme, avec un goût prononcé pour l’outrance « automatique ». Ce qui ne fait pas vraiment envie, tout de même.

 

Et puis, ces derniers temps, et en plusieurs étapes, je me suis pris en pleine face une virulente offensive pro-Brussolo : on me vantait la force de ses images, la noirceur et la cruauté de ses récits ; on évoquait avec un sourire le côté profondément addictif de la chose (un camarade, notamment, m’expliquant qu’il avait emporté un omnibus de Brussolo en vacances, en lisait quelques pages, se disait « bon, je vais m’arrêter là », puis continuait sur quelques pages, finissait un roman, « bon, je vais m’arrêter là », et puis non, entamait le nouveau roman, en lisait quelques pages… ad lib.). Difficile de concilier ces deux versions… Les admirateurs, certes, reconnaissaient volontiers qu’il avait écrit de la merde, qu’il fallait opérer un tri ; et que, même dans ses meilleurs ouvrages, il avait effectivement tendance à laisser libre cours à ses idées au détriment de la structure. Mais, surtout, on m’a dit que, me connaissant, et connaissant mes goûts et mes envies, je ne pouvais pas faire l’impasse sur Brussolo.

 

Dont acte. Je note trois titres qui m’ont l’air intéressant : Vue en coupe d’une ville malade (j’aime beaucoup ce titre, je plaide coupable… Je n’ai appris qu’ultérieurement que c’était son premier recueil de nouvelles), La Nuit du bombardier, et Le Syndrome du scaphandrier. Sur les trois, je n’ai trouvé que ce dernier : allez, hop (et, en bon maniaque de consommateur impulsif, j’en ai profité pour prendre également L’Homme aux yeux de napalm et Boulevard des banquises, parce que là encore les titres me bottaient et les quatrièmes de couv’ aussi, et La Planète des Ouragans, histoire de tâter de l’auteur dans une veine science-fictive plus « classique »).

 

J’ai donc lu Le Syndrome du scaphandrier.

 

Et je remercie les admirateurs zélés propagandistes, parce que, quand bien même je lui reconnais bien des défauts, je n’en ai pas moins adoré ce roman, qui mérite bien de rentrer dans ma bibliothèque idéale de l’imaginaire francophone.

 

L’idée de base est excellente (« empruntée » à un confrère, paraît-il). David est un médium, qui a la faculté de plonger dans ses rêves sur une période plus ou moins longue, et d’en ramener des objets dans le monde « réel » ; ce qui fait de lui un « artiste », dans un monde où la création artistique, qu’elle soit figurative ou abstraite, est totalement dévaluée. Mais c’est que les objets étranges que ramènent David et ses confrères, de taille et de forme variables et indépendantes de la volonté du rêveur, ont des propriétés apaisantes qui en font des objets très prisés, des grands monuments capables de réfréner les ardeurs bellicistes au point de signer un traité de paix, et recyclés dans des quartiers riches dont les habitants nagent dans la béatitude, aux petits bibelots tels que ceux que pêche David, et qui ornent les cheminées et les étagères du quidam. David, quoi qu’il en soit, n’est en définitive qu’un fonctionnaire dans le monde réel : une fois qu’il a récupéré un objet, des intermédiaires, après l’avoir soumis à une batterie de tests de conformité – éventuellement fatals au rêve… –, se chargent de trouver un acheteur. Et David n’est guère enchanté de cette vie terne au possible.

 

D’autant que, dans ses rêves, il mène une vie bien autrement palpitante. Chaque rêveur a son univers, et son activité particulière lui permettant de ramener des objets ; certains, ainsi, font des safaris épiques, chassant les mythiques bêtes blanches, transformées au sortir du rêve en quelque chose qui n’a plus rien à voir… David, lui, est alors un cambrioleur de talent, dans un univers nourri par ses lectures adolescentes, une quantité inimaginable de pulps policiers tous plus naïfs les uns que les autres. Là, il retrouve à chaque « plongée » ses comparses, le simplet Jorgo et la belle Nadia, avec qui il forme une bande efficace, déjouant avec astuce systèmes d’alarme et enquêtes policières…

 

Mais tout cela n’est qu’un rêve, bien sûr. Nadia et Jorgo n’existent pas vraiment. Ce ne sont que des images que David a créées pour exprimer son talent médiumnique… C’est du moins ce que les psychologues, l’infecte Marianne en tête, ne cessent de répéter à David. Il doit faire attention à ne pas sombrer dans son univers onirique, à lui accorder la moindre réalité ; sinon, victime du « syndrome du scaphandrier », il en viendra à perdre pied totalement, son cerveau se changera en porcelaine, et il en mourra…

 

Mais David, lui, sait que Nadia et Jorgo existent, qu’ils sont réels. Et il craint qu’on ne lui interdise bientôt de « plonger ». Il craint de devenir un légume, comme tant d’autres rêveurs avant lui. Et il n’en est pas question.

 

Le résultat est impressionnant. Pas sans défauts, certes : le style de l’auteur, quoique régulièrement générateur d’images fortes, achoppe régulièrement sur des répétitions plus ou moins pénibles. Et les critiques récurrentes sur le défaut de structure des romans de Brussolo se vérifient amplement ici ; mais, étrangement, cela ne m’a pas posé véritablement de problème, quand bien même j’ai conscience de ce défaut : à tout prendre, effectivement, chaque chapitre développe une idée, et pourrait à peu de choses près être envisagé indépendamment comme une nouvelle…

 

Mais une excellente nouvelle, le plus souvent. Aussi, que le roman soit parfois fait de bric et de broc, enchaînant les idées à toute vitesse, n’est pas vraiment gênant (d’autant qu’ici, cela s’accorde fort bien avec l’étrange logique des rêves…). Ce qui domine, ce sont de superbes tableaux bleu-nuit, des inventions bluffantes et foisonnantes (chaque chapitre, et presque chaque page, contient une idée fascinante), et des émotions fortes.

 

Le Syndrome du scaphandrier, s’il est à bien des égards une mise en abîme désabusée de la création artistique dans ce qu’elle a de plus frustrant (je n’ai pu m’empêcher de penser ici à ce que Serge Lehman disait à propos de la science-fiction comme caractérisée essentiellement par un processus de réification de la métaphore…), est aussi bien plus que cela, et avant tout – du moins, à mes yeux – le magnifique portrait d’un névrosé sombrant progressivement dans une spirale d’autodestruction. L’ambiguïté permanente du propos, parallèlement à la bizarrerie surréaliste de l’idée de base, teinte par ailleurs la science-fiction de fantastique, dans un mélange adroit et savoureux, faisant ressortir ce que les deux genres ont de plus appréciable, le « sense of wonder » se mêlant d’introspection. J’ajouterai enfin que la noirceur, et parfois la cruauté, de l’ensemble, m’ont effectivement tout à fait séduit ; il se dégage de l’ensemble du roman une atmosphère délicieusement cauchemardesque, pouvant évoquer la froideur clinique de Ballard, l’angoisse oppressante de Kafka, l’onirisme noir de Lynch, la déréliction organique de Cronenberg… Outre le suspens trépidant des « plongées », je relèverai notamment ce superbe chapitre intitulé « Le radeau et la méduse » (pas le meilleur titre, on est d’accord… mais les autres sont généralement très beaux, d’une poésie noire et froide que je goûte particulièrement : « Surface. Point zéro / calme apparent », « Le lendemain / Visite au zoo triste », « Neige souterraine pour un enterrement clandestin », « Sous-sol des océans »…), un cauchemar atroce et éprouvant, d’une horreur insupportable, qui a su éveiller en moi une sensation de malaise telle que je n’en ai quasiment jamais ressenti depuis l’errance claustrophobe de Joseph K. dans le greffe du Tribunal… Ce qui est exceptionnel, et mérite tous les éloges.

 

Autant dire que, pour une première lecture de Brussolo, Le Syndrome du scaphandrier s’est avéré on ne peut plus convaincant. J’ai envie de parler de chef-d’œuvre… C’est peut-être un peu fort, mais on n’en est pas loin, alors. Excellent roman en tout cas. Et d’autres lectures suivront ; comment pourrais-je faire autrement ?

Ah, et petit bonus : je suis tombé totalement par hasard (je vous jure ! quand je vous dis qu’il y a un complot contre moi !) sur ce court-métrage inspiré du premier chapitre du Syndrome du scaphandrier , pas sans défauts, certes, mais assez intéressant, je trouve…

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"Eifelheim", de Michael Flynn

Publié le par Nébal

(Perso, je préfère cette deuxième couverture – malgré la fôte et un enthousiasme à mon sens un brin excessif –, due à Thomas Geha© (au fait, s’il faut l’enlever, d’accord, hein : c’est juste que j’aime beaucoup l’idée…). Oui, vous avez deviné, l’original – où je ne peux m’empêcher de voir des bites partout, c’est grave docteur ? – est bien de Jackie Paternoster. Elle a fait pire, d’accord ; mais c’est quand même hideux ; et je m’arrête là, parce que bon.)

 

FLYNN (Michael), Eifelheim, [Eifelheim], traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque, Paris, Robert Laffont, coll. Ailleurs & Demain, [2006] 2008, 525 p.

 

Un roman dont on a beaucoup parlé ces derniers temps sur le ouèbe. Notamment pour sa couverture, certes (mais j’ai dit que je m’arrêtais là, parce que bon, alors bon) ; mais, au-delà, tous les intervenants se sont accordés pour dire que c’était fort bon. Ce que j’étais tout à fait près à admettre, d’autant que traduit par Jean-Daniel Brèque. Au bout d’un certain temps, j’ai donc pris mon courage à deux mains, si vous le voulez bien, j’ai retenu ma respiration, fermé les yeux le temps de retourner le bouquin, puis lu la quatrième de couverture (jusque-là, même si Gérard Klein, même si Jean-Daniel Brèque, je n’avais pas osé ; c’est pavlovien, peut-être). Et j’ai acheté et lu la bête.

 

De nos jours, nous suivons un couple de chercheurs américains (plus caricaturaux, tu meurs) : Sharon Nagy est une physicienne qui jongle avec les théories les plus abstraites (elle est par ailleurs franchement insupportable) ; son compagnon Tom Schwoerin est un cliologue, c’est-à-dire un historien mathématicien, interprétant le passé à l’aune des statistiques. Et il a un problème, qui a pour nom Eifelheim : un village de la Forêt-Noire qui a tout simplement disparu de la carte lorsque la grande peste noire a ravagé l’Europe ; or, statistiquement, ce site, malgré la peste, aurait dû à nouveau être habité ultérieurement, mais ce ne fut pourtant pas le cas. Ce qui en fait un cas unique, et totalement incompréhensible. Tom se lance donc dans une enquête afin de comprendre pourquoi Eifelheim a été rayé de la carte.

 

1348-1349. À cette époque, Eifelheim se nomme Oberhochwald. Une communauté villageoise comme il y en a tant, sur les terres du seigneur Herr Manfred von Hochwald, parti batailler dans un royaume de France plongé dans la guerre de Cent Ans. Mais le curé du village n’est sans doute pas tout à fait comme les autres. Le père Dietrich, au passé trouble, fut en effet en son temps le Doctor Seclusus : ce petit curé de campagne a autrefois étudié à Paris auprès de Buridan, et s’est lié d’amitié avec le fameux Guillaume d’Occam. Ce qui a son importance : quand de mystérieux extraterrestres, bientôt dénommés Krenken, font naufrage dans la forêt environnante, Dietrich entreprend rapidement de persuader ses brebis que les mystérieuses créatures ne sont pas des démons, et essaye d’établir le contact. Tandis que la peste approche, précédée d’une rumeur autorisant tous les fantasmes…

 

Une intrigue science-fictive médiévale, « éclairée » par des passages contemporains : inévitablement, on pense – et on a bien raison en ce qui me concerne – à la série des « Nicolas Eymerich » de Valerio Evangelisti. Outre ce canevas général – et même l’époque précise des événements – ainsi que cette forme bien particulière, on pourra relever d’autres points communs, notamment l’importance de l’élément religieux (inévitable), et, parallèlement, l’usage de la pseudo-science – ou, plus exactement ici, de la science dans ce qu’elle a de plus abstrait et déroutant, cette fameuse science suffisamment avancée pour être indiscernable de la magie – amenant à renouveler la thématique de l’hérésie à l’époque contemporaine, dans le milieu scientifique ; ajoutons que, si Dietrich est largement plus sympathique que ce magnifique salopard qu’est l’inquisiteur Eymerich, il n’en partage pas moins avec lui une certaine ambiguïté à l’occasion (et c’est en tout cas, lui aussi, un excellent personnage, très charismatique). Il y a des divergences non négligeables, cela dit : et, notamment, le ton plus ou moins « bisseux », axé sur le divertissement, de la saga de Valerio Evangelisti, n’est guère présent ici, Eifelheim étant plus « sérieux » de prime abord ; certains des pires travers des « Eymerich » sont ainsi gommés, sans que le roman de Michael Flynn ne tourne pour autant au pensum prétentieux : bien au contraire, il est d’une lecture agréable, et très divertissant. D’autres références ont pu être évoquées : la quatrième de couv’ comme la belle couverture mentionnent ainsi Umberto Eco ; voui, bon, Le Nom de la rose, quoi… L’allusion à Walter M. Miller Jr me paraît davantage pertinente : en dépit d’un cadre, d’un propos et d’un ton largement différents, on trouvera en effet dans Eifelheim bien des thèmes et idées rappelant Un cantique pour Leibowitz (et même une petite astuce narrative qui en est directement reprise – avec moins de finesse, cela dit…). On a parlé du Grand Livre de Connie Willis, également, mais, honte sur moi, je ne l’ai pas lu… On a enfin pu comparer Michael Flynn – totalement inconnu en France (Eifelheim est le premier de ses romans à avoir eu les « honneurs » d’une traduction de par chez nous), mais relativement renommé outre-Atlantique – à Poul Anderson, et il y a du vrai là-dedans.

 

Quoi qu’il en soit, ce roman, au-delà de ces références plus ou moins bien venues, et de son intrigue qui n’a effectivement pas grand chose d’original, n’en est pas moins tout à fait singulier, et présente à mes yeux un double intérêt, qui en justifie amplement la lecture.

 

D’une part, Michael Flynn, qui s’est à l’évidence énormément documenté – et a dû fournir du coup pas mal de boulot à Jean-Daniel Brèque… –, nous livre avec Eifelheim un superbe tableau du Moyen Âge, qui a le bon goût de tordre le cou à certains clichés qui ont la vie dure. En effet, le XIVe siècle d’Eifelheim n’a rien de cette abomination obscurantiste dont la désignation même de « Moyen Âge » témoigne assez. Loin de succomber à ce triste « racisme temporel », ou si l’on préfère « chronocentrisme », qu’un évolutionnisme naïf semble justifier aux yeux de qui ne s’intéresse pas à l’histoire, Michael Flynn nous rappelle utilement que le Moyen Âge a connu ses « lumières » et de grands penseurs – on évoque ici directement saint Thomas d’Aquin, bien sûr, mais aussi Buridan, Guillaume d’Occam – qui fait une brève apparition dans le roman, pas forcément très flatteuse, d’ailleurs –, Roger Bacon, Nicole Oresme, Marsile de Padoue, etc. –, et que les hommes qui vivaient en ce temps-là n’étaient en rien des imbéciles (ou du moins pas davantage que nos contemporains volontiers donneurs de leçons…). Dietrich, Manfred, mais aussi le tailleur de pierres Gregor Mauer, sont ainsi des personnages subtils, ne rechignant pas à philosopher comme à faire preuve d’une forme plus « pratique » d’intelligence. Et, quand bien même la biographie de Dietrich peut laisser sceptique, de même que la spiritualité de Gregor peut paraître un peu artificielle, le résultat n’en est pas moins très convaincant dans l’ensemble, et très juste surtout.

 

D’autre part, en effet – mais c’est là la suite directe du premier point –, Michael Flynn joue très habilement de l’idée de la rencontre avec « l’autre » et de la difficulté, voire impossibilité, de communication qui l’accompagne. Les Krenken nous sont en effet largement compréhensibles : les « autres », à nos yeux de lecteurs du XXIe siècle, sont bien davantage nos ancêtres du XIVe siècle, dont les modes de pensée nous sont devenus passablements hermétiques. C’est que nous sommes ici confrontés à une rationalité d’un ordre « différent », une rationalité belle et bien « rationnelle » (pardon…), mais antérieure à Descartes et à Spinoza, à Locke et à Newton, à la « Raison » des Lumières, au positivisme et au scientisme. Une rationalité pré-moderne, intégrant Dieu dans ses schémas de pensée, et ne rechignant pas à des subtilités intellectuelles qui ont de quoi laisser perplexes les plus érudits et arides de nos savants contemporains – que celui qui en doute jette un œil à certains débats scolastiques (où la rhétorique et la sophistique ont bien leur part, oui, mais comme elles l’ont encore de nos jours, en philosophie comme en science) ou, en matière de droit, aux invraisemblables pinaillages des glossateurs et post-glossateurs… Or cette rationalité « autre » nous est aujourd’hui passablement inaccessible, n’en déplaise à certains « intellectuels » adoptant volontiers une pose « néo-néo-thomiste » plus ou moins réactionnaire, et souvent tristement superficielle. Mais Michael Flynn joue très adroitement de ce décalage : la « différence » rendant le contact difficile et la communication hasardeuse ne repose pas sur l’apparence ou le génome, mais bien sur des modes de pensée inconciliables (qu'il s'agit pourtant de concilier autant que possible !) ; et le par ailleurs si attachant – et si moderne à bien des égards ! – Dietrich joue bien à merveille le rôle de cet « autre », si fascinant dans sa différence ; à condition de mettre nos préjugés de côté, on conçoit bien ce que ses interrogations ont d’intrinsèquement légitime, sans pour autant pouvoir y participer pleinement.

 

Et, pour toutes ces raisons, le roman de Michael Flynn est d’un humanisme touchant et fort – qui tranche par ailleurs, à ce que j’ai cru comprendre, avec le positionnement politique nettement moins subtil de l’auteur… mais peu importe.

 

Eifelheim, au-delà ne manque pas d’atouts. Si la plume de l’auteur n’a rien d’exceptionnel, elle est néanmoins d’une grande fluidité, et son roman se dévore. Les tableaux fascinants abondent, notamment quand la peste fait enfin son irruption dans Oberhochwald vers la fin du roman (son traitement est très juste et tout à fait admirable). Les personnages sont dans l’ensemble très réussis, humains et fouillés (à l’exception des deux nerds contemporains). Et si le questionnement épistémologique de l’histoire a quelque chose d’un peu caricatural qui peut rebuter, il n’en présente pas moins quelque intérêt.

 

Je ne prétendrai pas avoir adhéré en bloc à ce roman : si je comprends bien l’intérêt des scènes contemporaines, je ne cacherai pas qu’elles m’ont beaucoup moins séduit que les scènes médiévales, a fortiori celles impliquant Sharon, qui, malgré tout, me paraissent un peu superflues. On pourra de même regretter quelques simplifications abusives ici ou là. Ou noter – c’est plus gênant – que la suspension de l’incrédulité ne fonctionne pas toujours très bien (cela n’engage que moi, mais, outre ce que j’ai pu dire de Dietrich et de Gregor – deux très bons personnages par ailleurs –, la facilité avec laquelle les villageois acceptent les Krenken me paraît peu vraisemblable, même sans jouer du cliché « obscurantiste » : pour le coup, Michael Flynn a peut-être bien versé dans l’autre excès…).

 

Aussi, je n’en ferais pas un chef-d’œuvre, et pas davantage le meilleur livre paru chez Ailleurs & Demain « depuis des lustres » : ce serait faire un peu rapidement l’impasse sur Edward Whittemore et Ursula Le Guin, notamment… Mais un bon, voire très bon roman de science-fiction, aucun doute à cet égard. Eifelheim vaut assurément le détour.

« Don’t judge a book by its cover... »

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"L'Homme qui parlait aux araignées", de Jacques Barbéri

Publié le par Nébal

 

BARBÉRI (Jacques), L’Homme qui parlait aux araignées, nouvelles réunies par Richard Comballot, préface de Philippe Curval, postface de Richard Comballot, [s.l.], La Volte, 2008, 395 p.

 

Il y a quelques mois de cela, La Volte a eu la bonne idée de faire un joli doublé Barbéri, publiant en même temps le roman Narcose dans une édition augmentée, et le volumineux recueil L’Homme qui parlait aux araignées, composé de 21 nouvelles (dont deux inédites) choisies par l’inévitable Richard Comballot, débordant d’idées, d’araignées et de scotch-benzédrine. J’en salivais d'avance ; mais j'ai laissé passer un peu de temps après Narcose, d’abord pour éviter la saturation, ensuite parce que l’actualité était ma foi chargée.

 

 

Et peut-être aussi parce que j’aime paaaaaaaaaaaaaas les araignées-heu ! Elles me font peur, les salopes. Depuis que, tout gamin, j’ai connu un traumatisme finalement guère éloigné de celui qu’a dû subir l’auteur enfant et qu’évoque Richard Comballot dans « Jacques Barbéri, de Narcose à Barjoland (postface en forme d’abécédaire) » (p. 381). Mais lui, du coup, depuis, il en fout partout (des araignées). Dans la plupart de ses nouvelles, ces vilaines bébêtes chitineuses avec leurs abominables huit pattes velues viennent faire au moins un petit coucou en passant, quand elles ne sont pas au centre de l’hist… de la nouvelle (ainsi dans celle qui donne son titre au recueil, pp. 321-332, superbe, mais particulièrement éprouvante pour l’arachnophobe moyen).

 

Mais elles ne sont qu’un des nombreux éléments récurrents de ces 21 textes tous plus gouleyants les uns que les autres, et qui, à mesure que l’on en tourne les pages avec délice, dessinent tout un univers riche de réminiscences et d’obsessions, de références et de reprises. D’un texte à l’autre, on recroise régulièrement les mêmes personnages, comme les piliers de comptoir dickiens « d’Observations » (pp. 31-46) ressurgissant en compagnie du Maître plus cramé que jamais dans « Les Amants du paradis artificiel » (pp. 121-141) ; les mêmes cadres, comme l’étrange ville d’Isanve et son étonnant steampunk spirite et foutraque (« Isanve », pp. 143-160 ; « Cadences », pp. 161-177)… mais aussi Narcose ; les mêmes thèmes, comme la musique (« Cadences » à nouveau ; « In the Court of the Lizard King », pp. 251-272 – la nouvelle avec laquelle j’ai découvert Barbéri, dans les pages de Bifrost – pardon, BeefRoast… –, et ça m’avait fait comme un choc…) ou la réalité (Dick oblige) ; les mêmes références aux mêmes auteurs et œuvres (Dick, donc, mais aussi Moorcock, Lewis Carroll – cyberpunkifié dans l'excellent « Alice en verres miroirs », pp. 225-249 –, Cordwainer Smith – « L’Âme des sondeurs », pp. 355-379 –, Jules Verne – « The Incredible Dream Machine (La Machine à remonter les rêves) », pp. 205-224 –, etc.) ; et des dizaines d’allusions du même tonneau, du scotch-benzédrine (partout, tout le temps) à la kinsokaïne (itou), de la Guerre des Araignées et des Mouches aux supionars en passant par les psychomachines et l’épopée du Marcusbi, autant de délicieux gimmicks en forme d’avertissements tardifs : vous qui êtres en train de lire du Barbéri, abandonnez tout espoir de conserver vos neurones intactes comme de résister à la passion.

 

Parce que, mazette, c’est bon. Et d’autant plus que cette toile (bien sûr…) dans laquelle l’auteur nous capture, en dépit des apparences (re-bien sûr…) et de lamultiplicité des déclinaisons de l'univers barbérien, n’est jamais véritablement familière, mais a bien tout du plus séduisant des pièges : les appâts trompent le lecteur, qui croit saisir le truc, ose l’espace d’un instant un vain « on ne m’y prendra plus »… et se retrouve englué comme un con, surpris par la tournure des événements. Les nouvelles de Barbéri, perpétuellement entre deux eaux, baladent leur victime consentante avec une aisance quelque peu perverse du léger au profond, de l'organique à l'onirique, de l’expérimentation hermétique mais fascinante à la série B jouissive. De la science-fiction, oui, mais parfois non, ou du moins pas que. Aussi ne sait-on jamais ce qui se cache derrière la prochaine page.

 

 

Enfin, si, probablement une araignée. Brrrr…

 

 

Mais que c’est bon, mazette, que c’est bon… Et la plume de l’auteur y est pour beaucoup. Jacques Barbéri, en son temps pilier de Limite (la déstabilisante nouvelle « Prisons de papier », pp. 179-188, est tirée de Malgré le monde), attache de toute évidence beaucoup d’importance à la forme, et déploie dans l’ensemble de ces nouvelles une langue unique, qui n’appartient qu’à lui : tour à tour argotique et précieuse, mais toujours savoureuse, à la fois technique et poétique, saturée de néologismes et d’une musicalité saisissante. Le résultat est bien régulièrement critiquable – et les textes les plus expérimentaux m’ont parfois laissé totalement froid – mais, dans l’ensemble, c’est un vrai bonheur.

 

L’Homme qui parlait aux araignées est bien un superbe recueil de nouvelles, résonant d’une personnalité forte au talent indéniable. Dégustez-moi ça.

Quant à moi, va falloir que je poursuive l’expérience. Le tome 2 de « Narcose » ne devrait pas trop tarder en principe ; mais sinon, j’ai toujours Le Crépuscule des chimères dans mon étagère de chevet (qui pourrait bien éclairer sous un jour nouveau certains des textes de ce recueil…). J’en salive d’avance.

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"Bifrost", n° 52

Publié le par Nébal


Bifrost, n° 52, Saint Mammès, Le Bélial’, octobre 2008, 191 p.

 

Bon, ayant participé – même si ce n’est qu’un chouia – à la chose, il ne me paraît pas vraiment honnête d’en faire un compte rendu…

 

Donc je vais faire ma feignasse (et ma pub ? vous êtes méchants...), et me contenter de rappeler que s’y trouvent quatre de mes comptes rendus : Vie et mort de la Cellule Trudaine de Christophe Carpentier (pp. 83-85), La Dernière Colonie de John Scalzi (pp. 99-100), Planète à gogos, suivi de Les Gogos contre-attaquent de Frederik Pohl & C.M. Kornbluth (pp. 103-105), et enfin La Terre sauvage de Julia Verlanger (pp. 108-110 ; au passage, je vous causerai prochainement du deuxième tome de l’intégrale de Julia Verlanger, Récits de la Grande Explosion).

Voilà, voilà… Juste un petit rappel, tant qu’on y est : le prochain numéro (janvier 2009) contiendra un dossier consacré à China Miéville.

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"Les Nombreuses Vies de Conan", de Simon Sanahujas (dir.)

Publié le par Nébal

 

SANAHUJAS (Simon) (dir.), Les Nombreuses Vies de Conan, avec la collaboration de Patrice Allart, Jacques Baudou, Matthieu Baumier, Christophe Fernandez, Laurent Kloetzer, Jean-Marc Lofficier, Marc Madouraud, Patrick Marcel, Miguel Martins, Vincent Riault, Deuce Richardson, Julien Sévéon & Fabrice Tortey, Lyon, Les Moutons électriques, coll. La Bibliothèque rouge, 2008, 380 p.

 

Alors que Bragelonne achèvera ce mois-ci la publication de l’intégrale des récits de Conan écrits par Robert E. Howard, voilà que Les Moutons électriques consacrent un volume de leur « Bibliothèque rouge » au plus fameux des barbares, sous la direction de l’admirateur enthousiaste Simon Sanahujas. Bref, en ce moment, on met bien un terme à la regrettable ère des traficotages de Sprague de Camp, et l’amateur du Cimmérien, et plus largement de Robert E. Howard, ne saurait s’en plaindre : une longue injustice est réparée, et, maintenant que les vrais textes sont de nouveau accessibles, il est tout naturel de revenir globalement sur le personnage de Conan tel que l’écrivain texan l’a évoqué. D’où ce bel ouvrage, riche et très abondamment illustré, à côté duquel je ne pouvais passer.

 

Décortiquons donc la bête, en commençant par les articles dus au maître d’œuvre. Et on attaque avec du lourd, puisque Simon Sanahujas nous livre tout d’abord une très longue et très riche biographie du personnage comme s’il avait réellement existé (« Sur le tranchant de l’épée. Biographie d’un aventurier sans attaches », pp. 5-171, ah oui, tout de même !), complétée par une chronologie détaillée (« Chronologie d’un aventurier sans attaches », pp. 175-210). Soit plus de la moitié de l’essai, déjà… Et, en ce qui me concerne, il y a là un problème. Maintenant que Sprague de Camp n’est plus en mesure (eh eh) de nous imposer sa « vision » de Conan, et alors que Patrice Louinet, supervisant l’édition des textes d’Howard dans l’ordre de leur composition, insiste sur ce que l’établissement d’une chronologie interne a de contestable, pour ne pas dire absurde et trompeur, on peut en effet s’interroger sur la pertinence de cette approche, et ce quand bien même elle ne fait que suivre les principes de la « Bibliothèque rouge » (enfin, à ce que j’ai cru comprendre : c’est le premier volume que j’en lis…). Certes, on avouera que c’est tentant, et que tout amateur d’Howard, à parcourir les textes de Conan, s’amuse à chercher la petite bête et à dégager des liens… A fortiori, peut-être, un ancien rôliste dans mon genre, amateur « d’essais imaginaires ». Je ne peux donc pas jeter la pierre à Simon Sanahujas, d’autant qu’il se livre à cet exercice périlleux avec sérieux et érudition. Il n’en reste pas moins qu’il doit recourir, de temps à autre, à des interprétations et suppositions plus ou moins gratuites, et pas toujours très convaincantes… Chose inévitable dans un cas tel que celui-ci, et qui s’applique à vrai dire à la plupart des études du genre : disserter sur la vie d’un personnage qui n’a jamais vécu a toujours quelque chose d’absurde, et suscite parfois des querelles consternantes – vous vous êtes déjà amusés avec la fameuse « continuité » des super-héros de comics ? Sans parler des études consacrées à la Terre du Milieu… Mais le problème, ici, se pose d’autant plus qu’il n’est pas dit que cette « continuité » figurait clairement dans les intentions de Howard, évoquant tour à tour son personnage au cours de divers épisodes de « sa vie », et que son Âge Hyborien, fait de bric et de broc, outil narratif plus que cadre minutieusement développé, n’a certainement pas la cohérence fondamentale de l’univers inventé par Tolkien…

Du coup, le résultat laisse régulièrement perplexe. Mais, au-delà, je dois avouer que cette longue étude m’a d’autant moins convaincu qu’elle souffre de fâcheux travers. Je passe sur l’absence de notes et de références, qui m’a paru très regrettable, mais on va mettre ça sur le compte de la déformation « professionnelle »… Si la plume de Simon Sanahujas est parfois assez lourde, son texte reste néanmoins très lisible. Mais il est des points qui me paraissent plus regrettables, et s’appliquent à la biographie de Conan à proprement parler. En effet, les passages antérieurs, parallèles et postérieurs à la vie de Conan, quand bien même parfois tarabiscotés, sont assez intéressants – jugement qui s’applique a fortiori à l’article suivant, « De l’époque thurienne à l’âge hyborien et aux origines de notre Antiquité » (pp. 213-237), amusante et érudite communication historique et géopolitique (cartes à l’appui), qui tire parfois des plans sur la comète, mais se révèle souvent très intéressante, jusque dans les liens qu’elle établit avec d’autres créations howardiennes. Mais, quand il évoque la vie de Conan à proprement parler, outre les soucis d’ordre général précédemment évoqués, j’ai trouvé dommageable que Simon Sanahujas succombe à deux tristes écueils :

 

— D’une part, il en fait trop, beaucoup trop : cette biographie m’a paru excessivement détaillée, et sombre souvent, sur des pages et des pages, dans la paraphrase pure et simple des textes d’Howard. Pour qui les a lus, c’est d’un ennui mortel… et définitivement beaucoup trop long. Or l’essai s’adresse a priori à des gens qui, justement, ont lu ces textes, et non aux néophytes, qui se retrouveraient vite complètement largués devant cette somme (c’est particulièrement flagrant pour la majeure partie des articles suivants)…

 

— D’autre part, mais là il s’agit d’une critique toute personnelle, cette « biographie » a de fâcheuses allures d’hagiographie… Simon Sanahujas, régulièrement, ne se comporte en effet pas tant comme un historien que comme un apologiste, trouvant toujours des justifications aux actions de Conan, quelles qu’elles soient. Or c’est une approche que je ne peux faire mienne : ce qui me séduit chez Conan (de même que chez son plus beau « descendant » à mon sens, le Kane de Karl Edward Wagner), c’est qu’il n’a rien de manichéen. C’est un héros, certes, mais c’est aussi et en même temps – les deux dimensions ne sont pas alternatives, mais indissociables – une ordure, un voleur et un assassin, un mercenaire et un pirate sans foi ni loi ; et un macho, violent, impulsif, parfois un peu con (même s’il fait le plus souvent preuve d’une intelligence aiguë, il n’est certainement pas parfait…), et parfois un peu beauf… Si le « code moral du barbare » (j’y reviendrai…) ou l’idéal libertaire sur lequel insiste (à juste titre par ailleurs) Simon Sanahujas peuvent expliquer, voire légitimer, bien des actions douteuses à nos yeux, ce n’est pas toujours le cas, à moins de verser dans le sophisme. Et il me semble que le personnage perd de son charme à se voir ainsi sempiternellement « justifié ». Conan, à mon sens, est d’autant plus intéressant qu’il n’est pas unilatéralement « admirable », et qu’il n’a rien de « parfait »…

 

En somme, si l’ouvrage s’arrêtait là (mais, encore une fois, nous en sommes déjà à plus de la moitié…), je ne pourrais qu’émettre un jugement passablement négatif sur ces Nombreuses Vies de Conan… ou me contenter de le considérer au mieux comme une synthèse correcte et une aide de jeu utile pour un MJ désireux de balader ses joueurs en Aquilonie, à Zamora ou en Stygie.

 

La suite, heureusement, présente davantage d’intérêt. Pas grand chose à dire sur la bibliographie du chapitre 4 (« Pour une bibliographie de Conan », pp. 239-243), indispensable et qui compensera sans doute les indications à cet égard un peu trop parcellaires de l’édition de Bragelonne. Suit une autre bibliographie, plus ample et à mon sens plus instructive, quand bien même critiquable à son tour : « Les Vies parallèles de Conan » (pp. 245-261). Simon Sanahujas commence par dresser la liste des pastiches « officiels » de Conan (les « officieux » étant innombrables de par le monde...), sans s’étendre vraiment sur le sujet (or, au vu de l’intitulé général de l’ouvrage, il m'aurait semblé intéressant d'y consacrer quelques pages, certes en dehors de la « biographie » du héros…) : il passe ensuite aux adaptations cinématographiques, télévisuelles et animées, très vite – trop vite à mon sens… Un article sur le génial film de John Milius – voire sur sa phénoménale bande originale composée par Basil Poledouris ! – m’aurait semblé parfaitement approprié, dans la mesure où, avec les illustrations de Frazetta (un peu laissé de côté également) et les comics de Barry Smith (voir plus bas), il est pour beaucoup dans l’élaboration du mythe de Conan, au-delà des seuls textes, souvent bien différents, de Robert E. Howard… Les adaptations en bandes dessinées, heureusement, bénéficient d’une bibliographie plus détaillée – de très loin la partie la plus intéressante de cet article collectif –, établie par Patrice Allart ; Vincent Riault, enfin, complète ce panorama avec une brève bibliographie rôlistique. Manquent peut-être les jeux vidéos, à l’heure d’Age of Conan

 

Suit une autre communication collective, intitulée « Les « Rivaux » de Conan » (pp. 263-302), non exhaustive et essentiellement littéraire, mais du plus grand intérêt. L’occasion d’en apprendre beaucoup, sans doute, sur des influences et dérivés éventuels du Cimmérien. Certaines notices ont plus particulièrement retenu mon attention : « Mâtho » par Laurent Kloetzer (merci de le rappeler ! mais c’était effectivement indispensable…) ; « Elric de Melniboné » par Jean-Marc Lofficier (moui, certes… un peu léger, cela dit) ; « Umslopogaas » par Mac Madouraud (faudra que je me mette à Haggard, un de ces jours…) ; « Jirel de Joiry » (ça aussi, faudra que je le lise un de ces jours…), « Fafhrd & le Souricier Gris » (ça fait 3000 ans que je dis que je vais m’y mettre, il serait temps…), « Kane » (lisez-moi ça, c’est très bon, vous dis-je) et « Groo the Wanderer » (re-merci !) par Patrick Marcel (décidément quelqu’un d’intéressant, en plus d’être un très bon traducteur) ; « Ayub » par Miguel Martins (inaccessible en France, hélas ; dommage, ça m’avait l’air particulièrement intéressant...) ; et, last but not least, « Cohen le Barbare » par Simon Sanahujas (re-re-merci !).

 

Ledit Simon Sanahujas reprend ensuite la plume en solo pour deux articles. Tout d’abord, « Kull d’Atlantis, ce jumeau si dissemblable » (pp. 303-310) : tout est dans le titre ; mais je serais bien incapable de me prononcer sur la pertinence de cette communication, n’ayant pas lu les récits de Kull (si Bragelonne pouvait les publier…). Ensuite, avec « Création et aléas éditoriaux d’un mythe intemporel » (pp. 311-324), il inaugure une série de communications plus pointues (en principe, du moins ; d'ailleurs, elles ne sont pas illustrées, ou presque, alors, bon…), et avec brio : c’est probablement un des articles les plus passionnants de ce volume, avec, toujours de Simon Sanahujas, mais en guise de conclusion de cette « série », « De Howard à Conan. Une piste marquée de clous rouges » (pp. 349-366), analyse « psychologique » parfois capillotractée, mais néanmoins séduisante et très convaincante dans l’ensemble. Simon Sanahujas se montre bien autrement intéressant et constructif dans ces deux articles que dans son interminable biographie…

 

Entre temps, il y eut trois communications « extérieures », d’intérêt variable. Je préfère ne pas m’étendre sur le papier celtillon de Julien Sévéon (« Les Celtes, Howard et Conan », pp. 325-332), documenté et enthousiaste, mais probablement excessif ; cette thématique ne m’intéressant pas le moins du monde (au mieux), cela ne fait pas de moi un critique très pertinent… Suit un (bref, heureusement) article fort médiocre de Matthieu Baumier, « Le Cimmérien ou le code moral du « barbare » » (pp. 333-338), mélange d’évidences et d’approximations, confus, arbitraire et plus ou moins puéril ; sur ce thème, il y avait bien plus intéressant à dire… C’est dans un sens ce que fait immédiatement après Christophe Fernandez (« Dans les brumes d’une pluie d’hiver. Conan le paria, un guerrier entre deux mondes », pp. 339-347), qui, pour traiter plus ou moins du même sujet, se montre autrement plus solide, cohérent et pertinent : le meilleur de ces trois articles, à n’en pas douter.

 

Le volume s’achève enfin sur un « hommage », davantage qu’un « pastiche » à proprement parler, dû à la plume de Laurent Kloetzer (pp. 367-380) : « Le Chant du krall de la chèvre », un bel exemple de poésie picte, avec quelque chose de Lovecraft voire de Borges en prime. Une nouvelle originale, astucieuse, et tout à fait séduisante.

 

Mais le bilan est donc pour le moins mitigé : plus de la moitié de l’ouvrage me paraît d’un intérêt limité, sauf pour un maître de jeu ou un complet fanatique howardien (je n’en suis pas à ce stade, je l’avoue…) ; je tendrais même à la considérer à peu de choses près inutile pour le simple amateur d’Howard. Le reste est heureusement plus intéressant (sauf pour le néophyte…), mais, je dois le reconnaître, n’a pas pleinement rempli ses promesses à mon sens…

Un bel ouvrage, donc, pas inintéressant, mais décevant. Et finalement très dispensable…

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"La Nuit des morts-vivants", de John Russo

Publié le par Nébal

 

RUSSO (John), La Nuit des morts-vivants, [Night of the Living Dead], d’après le scénario de John Russo et George Romero, postface de George Romero, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Vincent Pelletier, Paris, Bragelonne – Milady, [1974] 2008, 211 p.

Bon, maintenant que je me suis étendu orgasmiquement sur l’indispensable film de George A. Romero, il m’est possible de vous causer rapidement de sa novélisation par John A. Russo, co-scénariste du film (et y figurant, dans un très bref cameo – le premier zombie poignardé au visage…) ; un roman sorti en 1974 outre-Atlantique, et qui fut en 1985, dans une traduction charcutée (aha), le premier titre de la « mythique » collection « Gore » du Fleuve Noir ; il ressort aujourd’hui chez Milady dans une nouvelle traduction, intégrale cette fois.



Oui, je sais.

Mais, que voulez-vous, c’est plus fort que moi. Des fois, je suis pris d’une curiosité maladive et un brin perverse, qui me pousse à l’achat compulsif de choses étranges, qui s’annoncent probablement pas très bonnes (notamment en matière d’horreur).

Et puis j’aime les zombies.

J’adooooooore les zombies.

Alors, quand j’ai vu ce titre chez Milady, j’ai eu beau me dire que la novélisation est un exercice a priori totalement inutile, et que ça risquait de ne pas être très glorieux (*aheum*), j’ai quand même craqué. Pis comme ça, j’aurais lu un Milady (parce que, honnêtement, vu le catalogue à l’heure actuelle, fouyayaye… à part peut-être Carbone modifié de Richard Morgan, faut voir… bon, bref).



Oui, je sais.

Je suis faible.

Mais bon, la curiosité est une jolie qualité.

Et de toute façon, 211 pages, le calvaire – si calvaire il devait y avoir – ne serait pas interminable (les dix dernières pages étant en outre consacrées à une postface de Romero revenant sur la genèse du film, où il se montre égal à lui-même). Allez, hop.



Purée, ça commence mal ! Voyez vous-mêmes (pp. 5-6) :

« Quand on pense à tous ces gens qui ont vécu, qui sont morts, et qui jamais plus ne verront ni arbre, ni herbe, ni soleil…

» Tout cela semble si fugace et si vain… Pas vrai ? Vivre quelque temps, et puis mourir, ajouter pas grand chose à presque rien…

» Et pourtant, en un sens, on pourrait presque les envier, les morts.

» Ils en ont fini de vivre, fini de mourir.

» Ils en ont de la chance d’être morts, d’avoir derrière eux leur agonie et de ne plus avoir à vivre. D’être simplement sous terre, sans rien ressentir… Plus de peine, plus d’angoisse.

» Ils ne sont plus obligés de vivre, ni de mourir, ni de subir la douleur.

» Ni d’accomplir quoi que ce soit.

» Ni de se demander quoi faire après.

» Ni de se demander ce que ça va leur faire de crever.

» Pourquoi l’existence nous semble-t-elle si laide ou si belle, si triste et pourtant si précieuse le temps qu’elle dure, et si insignifiante quand elle est finie ?

» Les flammes de la vie couvent un instant, puis s’éteignent, alors que les tombes attendent patiemment d’être remplies, et bien que la mort soit au bout du chemin, chaque nouvelle vie l’emprunte gaiement avec désinvolture, sans connaître ni se soucier de celles qui l’ont précédée, jusqu’à ce qu’à son tour elle aille les rejoindre.

» Et sans relâche, ce cycle inéluctable remplit tombe après tombe. Les êtres vivent – bien ou mal, c’est selon – mais finissent toujours par mourir, et la mort seule peut les réduire à leur plus petit dénominateur commun.

» Qu’est-ce qui fait si peur dans la mort ?

» Pas la douleur – pas toujours : la mort peut être instantanée et indolore. Et la mort elle-même est la fin de toute douleur.

» Alors pourquoi donc les gens ont-ils si peu de mourir ?

» Que pourrions-nous apprendre de ceux qui sont passés par là, s’ils trouvaient le moyen de revenir vers nous ? S’ils revenaient de là-bas ?

» Reviendraient-ils en amis ? En ennemis ?

» Pourrions-nous nous entendre avec eux ?

» Nous qui n’avons jamais vaincu notre terreur de la mort ? »



Oh, putain.

Je me suis mis à craindre 200 pages du même tonneau. Un calvaire interminable, tout compte fait.



Oh, putain.

Bref, j’ai failli refermer le bouquin illico, le balancer contre le mur le plus lointain de ma chambre, et passer immédiatement à autre chose, qui ne pouvait être que meilleur.

Et puis je me suis dit que je ne pouvais pas juger l’ensemble du bouquin sur ces deux atroces pages d’introduction, et j’ai continué (de toute façon, je n’abandonne qu’exceptionnellement les livres, même les plus mauvais ; après tout, j’ai bien lu en entier Le Monde des Ā et Léviatown… Oui, outre la curiosité malsaine et perverse, on peut bien parler de masochisme…).

Alors j’ai continué.

On passe ensuite directement à la scène dans le cimetière avec Barbara et Johnny. C’est pas glorieux, mais pas scandaleux non plus. Bon…

Les pages défilent.

Barbara se réfugie dans la maison, et est rejointe par Ben. Tiens, ça s’améliore.

Et, oui, à partir de ce moment-là, ça devient tout à fait lisible, en fait. Le style de Russo, s’il reste minimaliste, n’a plus rien à voir avec cette calamiteuse introduction adolescente. L’introspection est rare ou discrète, le roman privilégiant action et tableaux horrifiques, avec un sens du rythme indéniable. Et, du coup, ça se lit tout seul. Et, parfois, ça marche vraiment très bien ; certes, le fait que je connaisse le film de Romero par cœur ou presque y est sans doute pour quelque chose, mais j’ai retrouvé dans cette novélisation, ce qui n’était certainement pas gagné, l’ambiance, la tension et parfois même la force dudit chef-d’œuvre. Des images marquantes, et qui font toujours leur petit effet…

Une novélisation très fidèle dans l’ensemble, d’ailleurs. On compte juste quelques variantes ici ou là, quelques approfondissements surtout : la dimension science-fictive est sans doute un peu plus flagrante (on est plus loquace sur le satellite), on s’interroge plus clairement sur l’origine de la menace en renvoyant à la paranoïa antisoviétique, on côtoie davantage les chasseurs, aussi (ce qui, dans le film, aurait très clairement été une erreur, et, ici, introduit tout de même un changement de point de vue un peu perturbant… pas totalement inintéressant, cela dit). Ah, sans surprise, c’est beaucoup plus gore, aussi…

Et au final ça donne un divertissement tout à fait correct. Si, si. Bon, je dis peut-être (probablement ?) ça en tant que fan décérébré (zombifique ?), mais, après l’abomination des premières pages, j’ai finalement lu ce roman avec plaisir, et très vite. Comme un bon roman de gare… Rien de plus, mais rien de moins.

Problème : en-dehors de crétins dans mon genre, qui ce livre pourrait-il bien intéresser ? Fondamentalement, comme la quasi-totalité des novélisations, c’est un machin totalement inutile. Ceux qui connaissent le film pourront allègrement s’en passer. Ceux qui ne connaissent pas le film doivent le voir, et plus vite que ça (non mais oh). Ça ne laisse pas beaucoup de marge… Et, honnêtement, je ne peux conseiller la lecture de ce roman à personne.

J’ai parfaitement conscience de cette inutilité, et de ce peu d’intérêt dans l’absolu. Mais, au final, je ne peux m’empêcher de penser que ça a été plutôt une bonne surprise…

Bizarre.

Bon…

Russo a écrit des suites (les « Gore » n° 6 et 9), qui, cette fois, n’ont plus rien à voir avec les films de Romero, du moins je suppose. Si Milady les ressort, je ne serais pas surpris que ma curiosité malsaine, perverse, masochiste, etc., m’amène à retenter l’expérience.

Parce que la chair est faible.

(Et que j'aime les zombies. Oh, oui.) 

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