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"Episodes des journées de juin 1848", de François Pardigon

Publié le par Nébal


PARDIGON (François), Épisodes des journées de juin 1848, présentation d’Alix Héricord, Paris, La Fabrique, coll. Utopie et liberté, 2008, 289 p.

 

Chez les hyper-gauchiss’ de La Fabrique, on ne publie pas que les opuscules invisibles des insurgés invisibles qui font visiblement mumuse avec des trains visibles. Des fois, on publie aussi des ouvrages historiques sacrément intéressants. Il y a quelque temps, ainsi, je vous avais entretenu du tout à fait passionnant Prologue d’une révolution de Louis Ménard. Les Épisodes des journées de juin 1848 de François Pardigon gagnent d’ailleurs à être lus dans la foulée, puisque l’on y trouve le seul autre véritable témoignage « sur le vif » des journées de juin 1848 depuis le camp des insurgés.

 

Si l’on en croit la quatrième de couverture (qui annonce la couleur), les journées de Juin seraient les « grandes oubliées de l’historiographie contemporaine, parce qu’elles ont vu les « républicains » canonner les ouvriers ». Bon. Faut pas déconner. Déjà, enlevez-moi ces vilains guillemets à « républicains ». Ensuite, à condition de bien vouloir enlever ses œillères, on ne peut que constater que ces « grandes oubliées » sont bien au contraire la seule chose que l’on a retenu de la IIe République, avec le coup d’État du 2 décembre 1851… L’oubliée, dans l’histoire, c’est plus largement la IIe République, trop souvent limitée à ces deux tragiques événements, à quelques images d’Épinal comme la fameuse scène du drapeau rouge, et quelques invectives à la « Napoléon le Petit » (d’actualité, certes).

 

Ce que j’admets volontiers, par contre, c’est que ces journées de Juin, si l’on en a beaucoup parlé – je ne vais pas vous dresser ici la bibliographie gigantesque de ces « grandes oubliées » –, on a par contre dit beaucoup de bêtises à leur sujet. La vision manichéenne (les guillemets à « républicains », par exemple) a ainsi souvent tristement simplifié un événement d’une grande complexité ; on a dit également bien des absurdités sur les ateliers nationaux (ne serait-ce que leur stupide attribution au pauvre Louis Blanc, qui n’avait rien à voir avec ça) ; enfin, l’analyse marxiste longtemps prédominante dans l’historiographie contemporaine a également nui à l’analyse des journées de Juin, en pliant parfois les faits au dogme de la lutte des classes (voir notamment le problème du rôle et de la composition de la garde mobile – là encore, la bibliographie est abondante), ou en malmenant l’événement et sa signification (et plus largement celle de la IIe République) pour les faire correspondre aux principes intangibles du matérialisme historique. Heureusement, on n’en est plus là.

 

 

Même si la IIe République, comparativement, reste bien une grande oubliée de l’historiographie contemporaine.

 

Il est donc extrêmement utile d’envisager les terribles journées de Juin sous tous les angles. Et, à n’en pas douter, le témoignage de François Pardigon est du plus grand intérêt à cet égard. Comme tout témoignage, il n’est certes pas à prendre toujours au pied de la lettre – notamment pour ce qui est des chiffres avancés, encore mystérieux à l’occasion, et qui font ici l’objet de supputations parfois exagérées par la vigueur du pamphlet, ce qui est bien compréhensible. Il n’en constitue pas moins une source unique en son genre, en ce qu’elle ne porte pas tant sur les journées de Juin telles qu’on les envisage généralement (événements « militaires », analyse sociologique), mais plus précisément sur leur répression immédiate. François Pardigon, jeune étudiant avancé qui avait rejoint dès le départ les rangs des insurgés (pas nécessairement des « ouvriers », au passage ; loin de là, même…), a en effet été fait très tôt prisonnier. Dès lors, son récit ne porte en rien sur les combats ou les scènes fameuses qui les ont émaillés (les tentatives de conciliation, l’assassinat du général Bréa, la mort de Mgr Affre, pour ne citer que quelques exemples célèbres ; pour cela, voyez Ménard – de préférence à Marx et Engels, qui avaient raconté un peu n’importe quoi dans la NRZ et Les Luttes de classe en France, leurs informations étant de seconde main…), mais sur le terrible calvaire enduré par les insurgés faits prisonniers, entassés dans des souterrains nauséabonds, laissés sans soins, et parfois victimes d’exécutions sommaires et autres massacres purs et simples.

 

On ne s’attardera guère sur la présentation d’Alix Héricord, qui, en-dehors de quelques rares éléments biographiques tout à fait intéressants, et de quelques notes sans doute instructives pour les fanatiques de la géographie parisienne, consiste surtout en une paraphrase de la préface de François Pardigon, encore plus bourrine à certains égards, tristement dogmatique à l’occasion, et ne lésinant pas sur les simplifications abusives le cas échéant. L’ouvrage, heureusement, vaut mieux que cette introduction dispensable.

 

Il s’ouvre sur un très long chapitre « en guise de préface » (près du tiers de l’ouvrage), composé en 1852, et qui contient la quasi-totalité des éléments « théoriques » de ces Épisodes des journées de juin 1848. Un document intéressant et très révélateur, tantôt d’une lucidité exemplaire (signification de la IIe République et des journées de Juin – contre Marx, d’ailleurs –, inefficacité de la répression politique – au travers de la correspondance d’un transporté, d’abord sur les « pontons », ensuite en Algérie –, etc.), tantôt plus naïve (apologie de 1793, inévitable, mais virant à l’apologie générale de la violence politique et de la Terreur, ce qui vient tout de même en contradiction avec ce que Pardigon dit de la répression politique, et l’ensemble de son témoignage, à vrai dire – il n’est qu’à voir les « caveaux » dans lesquels il a été parqué…).

 

Son témoignage – car c’est bien de cela qu’il s’agit : Pardigon ne parle que de ce qu’il a vu personnellement – est ensuite à la fois chronologique et géographique. Les chapitres, publiés à l’origine en feuilleton en 1849, puis repris en volume en 1852, sont en effet découpés en fonction des lieux où il a été traîné par les autorités durant l’insurrection et ensuite : après sa brève participation à l’insurrection rue Saint-Jacques, nous le suivons donc dans la caserne des Grès, puis dans celle de Tournon, ensuite à l’Abbaye, puis au caveau des Tuileries. Le récit est déjà souvent insoutenable : la plume de Pardigon, à l’emphase bien typique du socialisme romantique d’alors, se fait vigoureuse pour dénoncer les conditions atroces imposées aux insurgés prisonniers, entassés beaucoup trop nombreux dans des prisons lugubres où ils étouffaient et se mourraient de soif, nageant dans l’urine et les excréments, en proie aux brimades et menaces de leurs geôliers, craignant en permanence qu’on ne les fusille, succombant à la rumeur, parfois même à la folie pure et simple.

 

Mais suit un événement crucial : la mystérieuse fusillade de la place du Carrousel. Pardigon fait partie des rares rescapés de ce massacre étrange, où, quelques gardes nationaux étant tombés sous des balles inconnues (probablement celles d’autres gardes nationaux…), les survivants s’en sont pris aux prisonniers, traquant dans les rues ceux qui ont échappé au premier feu. Pardigon y est gravement blessé à la tête – il sortira défiguré des événements, c’est bien une « gueule cassée » de 1848 –, et ne s’en tire que par miracle.

 

Sa blessure ne rend la suite de son calvaire que plus pénible encore. Un jeune étudiant en médecine le protégeant, il échappe à l’exécution sommaire. Mais c’est pour retrouver les caveaux du Palais-National, où on le laisse sans soins ; ce n’est que tardivement qu’il intègre l’ambulance du Palais-National, puis l’hospice de la Charité (deux chapitres), où il est enfin soigné. L’occasion de livrer quelques touchants portraits des victimes des combats, dans les deux camps.

Les Épisodes des journées de juin 1848, toutes choses égales par ailleurs (soulignons, avant qu’on ne m’accuse de quoi que ce soit…), participent de ce genre de témoignages littéraires dont l’exemple le plus fameux est le terrible et indispensable Si c’est un homme de Primo Lévi. Ces pages suintent de peur, de douleur, d’horreur pure et simple. C’est un document grave, insoutenable parfois, et nécessaire à la compréhension de ce que furent les journées de Juin. Il est parfois à prendre avec des pincettes, oui ; il ne se suffit pas à lui-même, certes ; mais il reste un témoignage unique et fort sur une des pages les plus sombres de l’histoire de la France contemporaine.

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"Contes de Terremer", d'Ursula Le Guin

Publié le par Nébal

 

LE GUIN (Ursula), Contes de Terremer, [Tales from Earthsea], traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti, Paris, Robert Laffont – LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [2001, 2003] 2008, 440 p.

 

Retour au « cycle de Terremer ». L’immense Ursula Le Guin avait pourtant qualifié le quatrième roman, Tehanu, de « dernier livre de Terremer », mais, ainsi qu’elle s’en explique dans un « Avant-propos » (pp. 13-19), sa création lui a échappé, et lui a dans un sens « dicté » de nouvelles histoires… Dans le monde de la fantasy (et tout autant de la science-fiction, d’ailleurs), ce genre d’annonce a généralement de quoi faire peur. Mais nous parlons ici d’Ursula Le Guin, ce qui est assez rassurant en soi. On la croit volontiers, quand elle nous déclare avoir encore bien des choses à dire concernant ce qui est peut-être la plus célèbre de ses créations (mais pas la meilleure en ce qui me concerne, je suis définitivement un fanatique du « cycle de l’Ekumen »…). Et ces Contes de Terremer (troisième volume du cycle dans son édition française, après Terremer et le tout récemment repris en poche Tehanu, et avant Le Vent d’ailleurs ; notons, au passage, que le titre ne doit pas induire en erreur : les nouvelles comprises dans ce volume n’ont rien à voir avec le film du fiston Miyazaki, inspiré avant tout par L’Ultime Rivage), pour être parfois inégaux, sont bien une œuvre de qualité, et certainement pas une énième variation vaguement et tristement mercantile autour d’un mythe littéraire au renom déjà bien assuré.

 

Ursula Le Guin aborde cette fois Terremer par le biais de nouvelles (ce qui, si je ne m’abuse, est une première, exception faite de « La Règle des noms », nouvelle que l’on peut envisager comme étant à l’origine du cycle). Celles-ci, présentées dans un ordre conforme à la chronologie interne du cycle, nous décrivent plusieurs siècles de ce singulier univers ; mais, pour être disparates, elles n’en présentent pas moins une très forte unité thématique, qui place bien les Contes de Terremer dans la continuité de Tehanu : en effet, Ursula Le Guin, à travers ces cinq nouvelles de taille très variable, nous conte généralement des « histoires » (tout sauf manichéennes) de changement, d’évolution, dans lesquelles les femmes sont souvent au premier plan. Enfin, le cadre rural et « simple » est souvent privilégié sur l’épique, mais il y a cette fois des exceptions. En ce sens, Contes de Terremer constitue donc une synthèse appréciable des volumes précédents.

 

Le recueil s’ouvre sur le plus long des récits le composant, une très ample novella que l’on pourrait à vrai dire aisément qualifier de court roman : « Le Trouvier » (pp. 21-171). Un mythe fondateur, dans un sens : Ursula Le Guin nous y conte en effet, au cœur de « l’âge sombre » de Terremer, où la magie est stigmatisée et les magiciens sont persécutés, la création de l’école de magie de Roke par le « trouvier » Loutre, ainsi que son émancipation et son combat contre un seigneur pirate, Losen, et le terrible mage qui le domine. Le caractère « synthétique » des Contes de Terremer est particulièrement sensible dans ce texte à la fois mythique et concret, et alternativement contemplatif et épique (une grande bataille chez Ursula Le Guin ? Allons bon !). La thématique du changement est flagrante dans ce récit initiatique, au niveau individuel comme au niveau global ; mais la thématique féministe ne saurait également faire de doute, avec la Main et cette superbe figure mythique qu’est l’esclave Anieb. Un peu longuet, cela dit.

 

« Rosenoire et Diamant » (pp. 173-219), ensuite, est une « fantasy de mœurs » un peu convenue, mais en même temps d’autant plus charmante qu’elle se montre cruelle. S’y pose avant tout la question du choix, ce qui autorise un regard différent – et bienvenu – sur la magie. Ah, et, accessoirement, j’y ai obtenu la confirmation que je ne comprenais rien aux femmes.

 

(Broumf.)

 

Passons.

 

« Les Os de la terre » (pp. 221-249), où l’on retrouve Ogion, le maître de Ged, et où l’on en apprend davantage sur sa formation et son caractère, me paraît être le texte le plus anecdotique du recueil. L’alliance des deux mages pour combattre un tremblement de terre, en tout cas, n’est guère palpitante. On y préférera largement, sur un mode plus contemplatif, un joli portrait de vieillard en la personne de Dulse, le maître d’Ogion.

 

A contrario, « Dans le Grand Marais » (pp. 251-296) me paraît constituer le sommet du recueil. Superbe cadre rural à la manière de Tehanu, beau portrait de femme authentique et simple avec Émer… et surtout, superbe réhabilitation du mage fou Irioth (avec une petite visite de l’archimage Ged). Une très belle nouvelle, complexe et subtile, élégante et juste. Rien à redire.

 

Suit une novella très appréciable, « Libellule » (pp. 297-393), qui fait la transition entre Tehanu et Le Vent d’ailleurs. Si la conclusion est un peu décevante, rappelant sans doute trop le roman précédent, ce long récit à la fois majestueux et non dénué d’humour, qui pose plus frontalement que jamais la question du rapport des femmes à la magie et du sexisme de Roke, se savoure de bout en bout. De quoi donner envie, assurément, de passer à « la suite », ce que je ne manquerai de toute façon pas de faire.

 

Cerise sur le gâteau, le volume s’achève sur une « Description de Terremer » (pp. 395-441), détaillant l’histoire de ce superbe univers, ses peuples et ses langues. Une annexe certainement pas superflue, qui ravira tous ceux qui, comme moi, raffolent de ce genre « d’encyclopédies imaginaires ». À vrai dire, l’idée (un peu couillonne, totalement vaine, et en même temps trop ambitieuse, sans doute) d’écrire un petit quelque chose, en partant au moins d'une « concordance », sur les univers d’Ursula Le Guin, idée qui me titillait depuis quelque temps déjà, ne s’en est trouvée que renforcée… Heureusement que cela existe probablement déjà, et que j’ai trop de choses à li… de travail à accomplir, tiens.

 

Bilan assez clairement positif, au final. Je ne cacherai pas que, comme pour les volumes précédents, ces Contes de Terremer m’ont parfois tiré quelques baillements (surtout les trois premiers textes, à vrai dire : les trois derniers m’ont passionné…) ; en fermant le volume, je n’osais pas encore trop me prononcer… Mais avec le recul, et le temps de la réflexion, il ne saurait faire de doute que ce recueil vaut bien le détour ; et j’en viendrais presque à me demander si ce n’est pas le meilleur et le plus riche volume de « Terremer » jusqu’à présent, en fait…

« Suite » et « fin » (?) avec Le Vent d’ailleurs. On verra bien.

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"Le Commando des Immortels", de Christophe Lambert

Publié le par Nébal

 

LAMBERT (Christophe), Le Commando des Immortels, Paris, Fleuve Noir, coll. Rendez-vous ailleurs Fantasy, 2008, 262 p.

 

Non, bien évidemment, ce Christophe Lambert-là n’a rien à voir avec le type un peu louche qui joue mal même quand il rigole, hin hin hin. Seul rapport éventuel (?), un certain goût pour les séries B voire Z, qui peut susciter le meilleur ici, et le pire là (ne suivez pas ce regard).

 

(Ça, c’est fait.)


(Pardon.)
 

Christophe Lambert, donc (le vrai), est un auteur français d’imaginaire, s’exerçant tantôt en jeunesse et tantôt en adulte (traduire par « grands enfants », nous parlons bien de science-fiction et de fantasy, après tout). Le Commando des Immortels est son dernier roman « adulte » (même si, honnêtement…), et repose sur un pitch que je qualifierais volontiers de joyeusement débile (sachant que c’est en ce qui me concerne un compliment vaguement synonyme d’improbable et réjouissant).

 

(J’abuse un peu des parenthèses, en ce moment.)

 

Nous sommes donc en pleine deuxième guerre mondiale, et le Japon enchaîne les victoires. Pour combattre les faces de prunes en Birmanie, un officier américain, Foster, lance une idée saugrenue. Il propose de former un commando spécialement dressé pour la guérilla, avec les meilleurs instructeurs et auxiliaires possibles : des Elfes. Oui, des Elfes. Car, dans ce monde-là, les Elfes existent, même si l’on n’en trouve plus guère que dans une réserve des Etats-Unis où ils ont repris le rôle des Indiens d’Amérique bien eud’ chez nous. Les Elfes acceptent, mais à une condition : ils réclament la participation au commando d’un Angliche entre deux âges, grand connaisseur des Elfes et auteur de fictions les mettant en scène, un certain John Ronald Reuel Tolkien.

 

Eeeeeeeeeeeh oui.

 

Ledit Angliche accepte également, quand bien même il ne sait pas exactement ce qu’il fout là, et rejoint en Birmanie la petite troupe des Chindits. Le commando s’enfonce dans la jungle afin de commettre des actes de sabotage à même de faire fantasmer l’élite invisible de l’ultra-gauche, puisque impliquant à la fois des ponts, des trains, et plein de takatakatakatakatakatak.

 

Dans une postface, Christophe Lambert s’explique sur ses intentions et ses références, mais ce résumé ne manque déjà pas d’éveiller bon nombre de souvenirs. L’idée des Elfes intégrant l’armée américaine, ainsi, est reprise d’une anecdote authentique sur le rôle joué par des Indiens Navajos durant la guerre du Pacifique, étrange histoire dont John Woo a tiré le pathétique Windtalkers (inutile de s’attarder sur cette triste merde). On pense aussi au Pont de la rivière Kwaï, bien sûr, versions Pierre Boulle et plus encore David Lean. On pense à plein de films de guerre, qu’ils évoquent le second conflit mondial ou d’autres ultérieurs (Vietnam en tête, of course, de Platoon et Apocalypse Now aux films de commandos les plus improbables). Et d’autres choses encore : pour ma part, je n’ai pu m’empêcher de me rappeler mes plus tendres années bercées par le Péril Jaune et la lecture des premiers Buck Danny, période « Tigres volants »…

 

Sous cet angle, Christophe Lambert réussit parfaitement son coup. Son roman, s’il est riche en références, est par ailleurs très efficace, et se dévore en quelques heures comme une bonne série B. Les scènes d’action sont très bien menées, les personnages, quand bien même über-caricaturaux, sont vivants (avec une mention spéciale pour le demi-elfe alcoolique Cealendar), bref, ça coule tout seul. Le Commando des Immortels est un roman (de gare) de guerre très correct, qui saura efficacement divertir son lecteur.

 

Hélas, c’est sous l’angle « fantasy » que ça coince. Parce que, soyons franc : ces Elfes n’ont pas grand chose d’elfique. En fait, ils sont bel et bien des Indiens, à peu de choses près. Oui, certes, ils ont un archer d’élite, un guérisseur exceptionnel et un type qui cause avec les bébêtes, mais tout cela manque quand même foncièrement de magie. Quant à Tolkien, qui est alors en pleine rédaction du Seigneur des anneaux après avoir livré le « jeunesse » Bilbo le Hobbit (eh eh), il a beau être un personnage très sympathique et offrir à la fois un peu de burlesque par son côté déplacé et un peu d’émotion par ses réflexions sur l’écriture, son rapport aux Elfes et à sa famille, il n’en reste pas moins que, si lui se demande ce qu’il fout là, le lecteur aussi. Et « l’explication », honnêtement, ne m’a pas paru très convaincante, du moins sous cette forme (à être plus développée, elle aurait sans doute pu donner quelque chose de très intéressant). Du coup, quand la fantasy et les bébêtes bizarres débarquent véritablement dans le roman, dans les dernières pages, cela sonne un peu faux, et laisse relativement de marbre. Dommage…

 

Car Le Commando des Immortels donne ainsi un peu l’impression d’une fausse bonne idée, pas assez subtilement et adroitement exploitée pour emporter l'adhésion. Ce n’est donc pas un bon roman de fantasy, et on peut bien le dire « raté » sous cet angle. C’est par contre un roman de guerre tout ce qu’il y a de sympathique, que l’on lit sans s’ennuyer un seul instant. À bon entendeur…

N’empêche, ça m’a quand même ach’ment donné envie de lire La Brèche, du même auteur, dont j’ai entendu dire le plus grand bien.

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"Les Langages de Pao", de Jack Vance

Publié le par Nébal

 

VANCE (Jack), Les Langages de Pao, [The Languages of Pao], traduit de l’américain par Brigitte Mariot, [Paris], Denoël – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [1958, 2002, 2004] 2008, 261 p.

 

Un petit Jack Vance de temps en temps, ça ne se refuse pas (ou alors il faut y mettre les formes). Ayant entendu dire beaucoup de bien de ces Langages de Pao, je ne pouvais pas les laisser traîner indéfiniment dans mon étagère de chevet…

 

Mais attention : Vance « atypique », on l’a souvent dit, et c’est vrai. On ne retrouvera en effet qu'assez peu, dans ce roman ancien, l’exotisme et la précision ethnologique du Cycle de Tschaï ou des Chroniques de Durdane, par exemple (sous cet angle, Les Langages de Pao se rapproche probablement davantage des « Alastor », notamment). Alors, du Vance sans ce qui fait l’intérêt de Vance ? Pas sans ce qui fait ses défauts, hélas : pour faire vite, l’intrigue est passablement inepte, le héros creux quand il n’est pas agaçant, l’écriture purement fonctionnelle, médiocre moins. Aïe.

 

Et pourtant, Les Langages de Pao est un roman fort sympathique, qui, s’il n’est pas un chef-d’œuvre et s’il est même bourré de défauts, vaut plutôt le détour. Tout simplement (?) parce que ce space opera repose sur une idée géniale, qui soulève des questionnements bien plus profonds qu’il n’est d’usage chez Vance.

 

Posons le cadre. La planète Pao est habitée par une société inconcevablement unie, mais aussi extrêmement conservatrice, ce qui la rend peu propice à l’innovation comme à l’initiative. Le seul homme à avoir une véritable individualité sur cette planète est son dirigeant, le panarque ; les autres se contentent d’obéir aux ordres et aux traditions millénaires. Mais quand le panarque est assassiné au cours d’une intrigue de palais, qui voit le seigneur Bustamonte évincer l’héritier légitime Béran Panasper, alors âgé de neuf ans, Pao sombre progressivement dans une terrible crise. En effet, son mode de pensée en fait une victime toute désignée des Brumbos, un peuple belliciste qui lui extorque tribut sur tribut : Pao ne peut tout simplement pas faire la guerre.

 

Aussi Bustamonte contacte-t-il les hyper-individualistes et savants « sorciers » de la planète Frakha pour trouver une solution à la crise. Sur les conseils du trouble seigneur Palafox, un vaste projet d’ingénierie sociale est engagé : il s’agit, sur une vingtaine d’années, de modifier l’état d’esprit des Paonais pour les rendre aptes à la guerre, mais aussi au commerce, à l’industrie, etc. Pour ce faire, on usera de la linguistique, en créant de nouveaux langages de toute pièce. En effet (p. 135) :

 

« Le langage sous-tend le schéma de la pensée, l’enchaînement des différents types de réactions qui suivent les actes.

 

« Aucune langue n’est neutre. Toutes contribuent à donner une impulsion à l’esprit des masses, certaines avec plus de vigueur que d’autres. Je vous le répète, nous ne connaissons pas de langue « neutre » ; aucune n’est supérieure à une autre, même s’il arrive qu’un langage X soit mieux adapté à un contexte qu’un langage Y. Si nous allons plus loin, nous remarquons que tout idiome induit dans l’esprit des masses un certain point de vue sur le monde. Quelle est la véritable image du monde ? Existe-t-il un langage qui l’exprime ? Premièrement, nous n’avons aucune raison de croire que la véritable image du monde, si tant est qu’elle existe, puisse être un outil très utile ou efficace. Deuxièmement, aucun standard ne nous permet de la définir. La Vérité est contenue dans l’opinion préconçue de celui qui cherche à la définir. Toute organisation d’idées, quelle qu’elle soit, présuppose un jugement sur le monde. »

 

Or ce jugement peut être biaisé par la langue, celle-ci définissant pour une bonne part les comportements. Le projet proprement révolutionnaire de Palafox, en l’espace d’une génération, va totalement chambouler les us et coutumes de Pao : en modifiant la langue, en passant de la langue unique des Paonais aux langages spécialisés, on leur permettra ainsi de résister aux Brumbos et à tous ceux qui pourraient lui nuire. Mais il va de soi, Pao étant ce qu’elle est, que ce projet ne sera pas sans susciter une franche hostilité : les habitants, farouchement conservateurs, risquent de résister à cette forme d’aliénation, ou plus exactement d’instrumentalisation, venant mettre à mal toutes les traditions…

 

Mais Palafox a un autre atout dans son jeu : il a sauvé la vie de Béran Panasper et l’a emmené avec lui sur Frakha. Le panarque légitime grandit ainsi dans un monde aux antipodes du sien, tiraillé entre raison et tradition, individualisme et communautarisme, liberté et nécessité…

 

On le voit, Les Langages de Pao soulève des questions d’une richesse et d’une profondeur rares chez Jack Vance (et ce quand bien même la forme se montre assez peu habile). Le projet d’ingénierie sociale des langues de Pao est un bel exemple de ces idées folles qui génèrent le sense of wonder, mais pour une fois sur une base de sciences sociales. Le questionnement linguistique, finalement, n’est guère qu’esquissé, hélas, et de manière très théorique (dommage, d’ailleurs : dans les rares passages – notes de bas de page, etc. – où Vance se penche sur des aspects pratiques, c’est particulièrement passionnant), mais il autorise une ample réflexion de nature à la fois politique et philosophique tout à fait enrichissante.

 

Ce qui n’empêche par ailleurs pas Les Langages de Pao d’être en même temps un divertissement très correct, et certainement pas un pénible quasi-essai. Le roman, bref et rythmé, très coloré (voire kitsch…), se dévore en quelques heures, avec un plaisir constant (sauf peut-être vers la fin, par ailleurs un tantinet nauséabonde, et vraiment trop peu crédible…).

Un roman bancal, donc, et parfois un brin décevant, mais en même temps d’une originalité et d’une richesse qui en justifient amplement la lecture. Et un bon Vance. « Atypique », oui, mais qui vaut le détour.

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"Les Sophistes", de Theodor Gomperz

Publié le par Nébal

 

GOMPERZ (Theodor), Les Sophistes, Les Penseurs de la Grèce. Histoire de la philosophie antique, tome I, livre III, chap. V, VI, VII, traduction [de l’allemand] d’Auguste Raymond, introduction d’Olivier D’Jeranian, Houilles, Manucius, coll. Le Philosophe, [1893-1902, 1908] 2008, 148 p.

 

Aaaaaaaah, les sophistes ! Ces mal-aimés figurent décidément parmi mes penseurs fétiches, ce qui ressortait déjà assez, j’imagine, de l’abominablement scolaire (et parfois terriblement maladroit…) mémoire que je leur avais consacrés en Master 1 Science politique. Du coup, de temps à autre, j’aime bien y revenir, et la publication de ce petit ouvrage aux éditions Manucius ne pouvait donc me laisser indifférent.

 

Les Sophistes ne constitue pas une étude à part entière. Sous ce titre, ce bref volume contient en fait la réédition (après un siècle !) de trois chapitres de l’œuvre essentielle de Theodor Gomperz, Les Penseurs de la Grèce. Histoire de la philosophie antique. Autant dire que nous ne sommes pas exactement à la pointe de la recherche en la matière. Cela dit, cet opuscule n’en a pas moins un intérêt « documentaire » certain, en ce qu’il s’agit probablement d’une des premières et des plus lucides tentatives de réhabilitation (intellectuelle, oui, mais pas que) de Protagoras et de ses collègues, après deux millénaires de calomnies et d’idées reçues, dont le grand responsable est à n’en pas douter Platon.

 

Gomperz, ici, s’il retient sans doute les leçons de Hegel (sa manière d’envisager Socrate et les socratiques, parallèlement aux sophistes, me semble en témoigner), se place avant tout dans la lignée positiviste dont Grote est le plus éminent représentant. Il ne croit donc pas véritablement à l’existence d’un « mouvement sophistique », d’un corps de doctrine partagé par les penseurs auxquels on a donné ce titre. Pour lui, ce qui caractérise le sophiste, c’est avant tout qu’il est un professionnel de l’enseignement, à la fois intellectuel et artisan, participant d’un vaste mouvement de rationalisation dont il n'est qu’une des manifestations : c’est ainsi qu’il les envisage à bon droit comme incarnations de « l’esprit du siècle », parallèlement aux médecins hippocratiques (souvent assimilés aux sophistes) et aux historiens tels notamment Thucydide (L’IMMENSE Thucydide, sur lequel l’influence de la sophistique n’est plus à démontrer), et qu’il les montre également préfigurant à certains égards les philosophes des Lumières ou les utilitaristes anglais du XIXe siècle.

 

Le premier des trois chapitres de ces Sophistes s’intéresse essentiellement à ces questions d’ordre général, et notamment aux attaques de Platon, longuement et honnêtement disséquées. Mais il nous livre également le bref portrait de trois des plus importants sophistes… en prenant peut-être parfois certains témoignages un peu trop au pied de la lettre. Il dégage tout d’abord la figure de Prodicos, moraliste et lexicologue (et Gomperz montre bien ce que cette dernière activité a de fondamental, en dépit des railleries de Platon bêtement reprises depuis) ; puis celle d’Hippias, l’encyclopédiste ; enfin celle d’Antiphon, pour lequel il manque toutefois de documents (si je ne m’abuse, les fragments les plus importants d’Antiphon, en rapport notamment avec la controverse nomos-physis, n’ont été découverts qu’au cours du XXe siècle ; au passage, le débat sur l’identité du sophiste ne ressort pas une seule fois de ces quelques lignes). Mais il me paraît intéressant de voir Gomperz, contemporain et ami de Freud, s’attarder sur ce philosophe méconnu qui, il y a 2500 ans, avait développé un « art d’ôter le chagrin » parallèlement à une méthode « d’interprétation des rêves »… ce qui en fait bien un étonnant précurseur de la psychothérapie et de la psychanalyse.

 

Les deux chapitres suivants, plus complexes (mais non véritablement arides, la plume de Gomperz est simple et élégante), s’attardent sur les deux plus fameux sophistes, et en premier lieu Protagoras d’Abdère. Gomperz rend justice à cet immense penseur, battant en brèche les moqueries (la fameuse conversation juridique avec Périclès, ainsi qu’il le montre, n’a rien de ridicule…), et livrant une analyse pointue, notamment, des deux plus célèbres fragments protagoréens, celui concernant l’existence des dieux, et, surtout, la doctrine de l’homme-mesure (et il montre déjà avec talent que cette doctrine ne saurait être envisagée comme un hyper-subjectivisme, à la manière du Théétète de Platon, mais selon une logique que Dupréel qualifiera ultérieurement de « conventionnalisme sociologique » ; notons cependant le parallèle avec la phénoménologie – mais là, je ne peux guère m’étendre, béotien de moi…).

 

Gomperz traite ensuite de l’orateur Gorgias de Léontini, mais, étrangement, s’il accorde bien évidemment de l’importance à l’enseignement rhétorique du Sicilien et aux quelques exemples dont on en dispose, il considère cependant qu’il n’est pas l’auteur de l’Éloge d’Hélène et de la Défense de Palamède, et ne s’attarde finalement guère sur le kairos. Dès lors, cet ultime chapitre consiste avant tout en une longue et complexe étude de l’œuvre la plus provocatrice de Gorgias, son Traité du non-être, où, contre les Éléates, il démontre que rien n’existe, que si quelque chose existait on ne pourrait pas le savoir, et que si on le savait on ne pourrait pas le communiquer…

Un petit ouvrage intéressant et d’un abord aisé, mais qui a indubitablement vieilli, ou, plus exactement, qui est largement dépassé aujourd’hui : la recherche sur les sophistes, malgré les conservatismes, a tout de même progressé au cours du XXe siècle ; on trouvera aisément des « introductions » plus complètes (Gilbert Romeyer-Dherbey, Jacqueline de Romilly…) et des essais autrement plus riches (Mario Untersteiner, William Keith Chambers Guthrie, George Briscoe Kerferd, Barbara Cassin…). Reste un témoignage historique non négligeable sur la réhabilitation des sophistes, d’une lecture agréable qui plus est…

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"60 Jours et après", de Kim Stanley Robinson

Publié le par Nébal

 

ROBINSON (Kim Stanley), 60 Jours et après, [Sixty Days and Counting], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Dominique Haas, [Paris], Presses de la Cité, [2007] 2008, 571 p.

Hop, ma chro de ce (très mauvais) dernier tome de la « trilogie climatique » de Kim Stanley Robinson est à lire (ou pas) sur le beau site du Cafard Cosmique.

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"Récits de la Grande Explosion", de Julia Verlanger

Publié le par Nébal

 

VERLANGER (Julia), Récits de la Grande Explosion, postface de Xavier Dollo, Paris, Bragelonne, coll. Les Trésors de la science-fiction, [1958, 1976, 1979-1980] 2008, 567 p.

Hop, ma chro de ce deuxième volume de l’intégrale des œuvres de Julia Verlanger est à lire (ou pas) sur le beau site du Cafard Cosmique.

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"Le Chasseur et son Ombre", de George R.R. Martin, Gardner Dozois & Daniel Abraham

Publié le par Nébal

 

MARTIN (George R.R.), DOZOIS (Gardner) & ABRAHAM (Daniel), Le Chasseur et son Ombre, [Hunter’s Run], traduit de l’anglais (États-Unis) par Fabienne Rose et Jean-Daniel Brèque, Paris, Bragelonne, coll. Bragelonne SF, [2004] 2008, 310 p.

Ma chronique figurait sur le défunt site du Cafard cosmique... La revoici.

 

 

Six mains pour écrire, quatre pour traduire (celles, émérites, de Jean-Daniel Brèque et de Fabienne Rose) : c’est à croire que Le Chasseur et son Ombre entend rentrer dans le livre des records, catégorie roman choral. À l’origine, il y avait une novella, Shadow Twin, publiée sur scifi.com par George R.R. Martin (celui du Trône de fer), Gardner Dozois, éditeur, auteur et 15 fois primé au Hugo (un record), et le nettement moins connu Daniel Abraham. « La réunion de ces trois talents est l’équivalent littéraire d’un supergroupe de rock ! », nous dit la quatrième de couv’. Certes, mais reste à voir ce que donne cette collaboration sur la durée.

 

Le Chasseur et son Ombre, dont les premières pages reproduisent une carte, indique bien vite la couleur : nous sommes ici en plein planet opera, du genre classique, et ne prétendant à rien d’autre qu’au divertissement.

Dans cet univers, l’Humanité n’a pu bénéficier du voyage interstellaire que par l’entremise de « généreuses » races extraterrestres plus développées. C’est ainsi qu’elle a finalement essaimé à travers la galaxie.

 

Parmi les colons de la planète São Paulo, qui comme son nom l’indique, a connu majoritairement une immigration latino-américaine, nous faisons la connaissance de Ramon Espejo, originaire du Mexique, et aujourd’hui minable prospecteur indépendant, écumant le nord sauvage de la planète, infesté de chupacabras, dans l’espoir d’y faire fortune. Un bon point, très vite : Ramon Espejo est un anti-héros comme on les aime, un loser un tantinet crétin, passablement beauf, et macho jusqu’au bout des santiags. « Peut-être Dieu l’a-t-il voulu pauvre, sinon Il ne l’aurait pas fait si mauvais. »

Ramon est bien une brute au front bas, qui, au cours d’une énième baston suivant une énième cuite dans un énième bar pouilleux, a malencontreusement tué un diplomate étranger, sans trop savoir pourquoi. Du coup, en plus d’une énième engueulade de sa colérique Elena, Ramon se retrouve avec la police aux fesses, une police rendue d’autant plus nerveuse que la victime est un gros ponte et que les extraterrestres démiurgiques doivent bientôt rendre une visite en forme de bilan de la colonisation sur São Paulo.

Ramon fuit donc les pandores dans le nord de la planète, poursuivant (maladroitement) son travail comme si de rien n’était. Mais il joue décidément de malchance : bien loin de trouver un précieux gisement à même d’assurer ses vieux jours, il découvre par hasard un refuge caché abritant une mystérieuse race extraterrestre... qui a tôt fait de le réduire en esclavage, et de le contraindre à se lancer dans une frénétique chasse à l’homme. Et... on n’en dira pas plus. Si ce n’est qu’à poursuivre sa proie, Ramon va être amené à se poser bien des questions à même de changer sa vie.

Le roman adopte dans un premier temps une tonalité assez clairement humoristique, et se montre plutôt efficace. Ramon est un minable tellement antipathique qu’il en devient un personnage très sympathique. Action bien menée, rythme enlevé, dialogues souvent bien vus. L’incompréhension entre Ramon et ses maîtres extraterrestres suscite bien des scènes amusantes. Le cadre, en outre, n’est pas déplaisant, avec son atmosphère latino-américaine finalement assez originale.

Puis le ton change, et, si le roman reste avant tout un divertissement porté sur l’aventure, sorte de survival science-fictif et exotique (dans une veine qui n’est pas sans rappeler Jack Vance par moments), il devient cependant de plus en plus grave. La rupture doit-elle être mise sur le compte de la multiplicité des auteurs ? C’est fort possible. Mais hélas, si les questions qui sont posées sont loin d’être inintéressantes (identité, communication et compréhension, justice...), elles tendent par contre à se montrer répétitives, assez superficielles, parfois artificielles, et à nuire finalement au rythme du récit. Ainsi, après avoir débuté sur les chapeaux de roues comme le bon divertissement foutraque et léger, mais efficace et réjouissant, que l’on était en droit d’attendre, Le Chasseur et son Ombre, à se montrer plus sérieux, perd progressivement de sa fougue et de son intérêt, jusqu’à ne susciter qu’un ennui léger, une attention défaillante mais polie. Dommage...

 

Roman déséquilibré, Le Chasseur et son Ombre peine à convaincre totalement, se perdant un peu entre le divertissement léger et efficace des premières parties, et la plus grande ambition des pages suivantes, qui le dessert plus qu’autre chose. Le « supergroupe » succombe ainsi plus ou moins aux défauts récurrents de ce genre de réunions alléchantes à première vue, mais souvent décevantes à l’arrivée. On le regrettera d’autant plus que la première moitié environ du roman constitue un planet opera tout à fait sympathique, doté d’un chouette personnage et ne manquant pas de bonnes idées...

 

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"L'Heure et l'ombre", de Pierre Jourde

Publié le par Nébal

 

JOURDE (Pierre), L’Heure et l’ombre, Paris, L’Esprit des péninsules – Pocket, [2006] 2008, 246 p.

 

J’en aurais mis, du temps, avant de lire du Pierre Jourde.

 

(Oui, je sais, je commence un compte rendu sur trois comme ça, mais bon, voyez plutôt.)

 

En fait, je crois bien que, la première fois que j’en ai entendu parler, c’était à l’époque de la sortie de L’Heure et l’ombre (justement) chez L’Esprit des péninsules. Je me souviens d’une critique élogieuse dans Bifrost (même si L’Heure et l’ombre n’a franchement rien à voir avec les littératures de l’imaginaire, en-dehors d’une ou deux métaphores ici ou là), qui m’avait fait franchement envie, et noter le nom de la bête dans un coin.

 

Et, en bon béotien, ce n’est qu’ultérieurement que j’ai entendu parler de Festins secrets, et surtout de La Littérature sans estomac et du Jourde & Naulleau. On en parlait en bien, hein ; mais, sur moi, ça a fait un peu l’effet contraire. Pas seulement parce que Naulleau s’est révélé récemment pour le bouffon puant qu’il a toujours été, je m’en tiens au seul Jourde. Mais voilà : j’ai lu certains critiques (sur le Cafard, notamment) dresser volontiers, en se fondant sur ces deux ouvrages railleurs (que je n’ai pas lus, hein, n’oubliez pas : je ne parle toujours que d’a priori), le Valeureux Jourde Défenseur de la Vraie Littérature contre le Pathétique Houellebecq et son Commerce Inepte (les autres cibles, je m’en tape). Or, j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, moi, j’aime beaucoup Houellebecq ; certes, je n’ai aucune envie pour autant de lire son étrange compromission récente avec le sinistre BHL (mais qu’est-ce qui lui est passé par la tête ?), mais il n’en reste pas moins que je me suis jusqu’à présent régalé avec tous ses romans, et par-dessus tout l’excellentissime La Possibilité d’une île.

 

Autant dire qu’en ce qui me concerne, ces critiques-là m’ont fait l’effet d’une fâcheuse publicité négative, et que j’en ai probablement retardé d’autant plus ma découverte de Jourde. Certes, cette opposition – plus ou moins fondée – m’intriguait en même temps, et je pouvais y trouver une raison supplémentaire de tenter l’expérience… Mais voilà : je craignais que ces débats stériles ne laissent un peu trop s’exprimer mes préjugés, et m’empêchent de jouir pleinement de la lecture de Jourde. Aussi ai-je préféré laisser couler l’eau sous les ponts. Et ce n’est que tout récemment que, tombant par hasard sur la réédition de L’Heure et l’ombre en poche, je me suis décidé à franchir le pas.

 

J’en ai donc entamé la lecture, et le début m’a franchement séduit.

 

Ici, mes très chers lecteurs, vous vous attendez, je suppose, à ce que je batte ma coulpe, à mon habitude : mes préjugés étaient stupides, Jourde c’est bon, mangez-en, etc. Les plus fidèles d’entre vous (s’il y en a) me l’ont vu faire des dizaines de fois.

 

Mais là, non.

 

Alors peut-être est-ce bien la faute à mes préjugés. Peut-être, aussi, la rogne qui me saisit habituellement à la période des fêtes et dans mon exil dordognais avec JT imposé a-t-elle joué un rôle. Ah, et ne pas oublier que le cocktail Effexor-Abilify, c’était une très mauvaise idée, qui m’a foutu sur les nerfs comme c’est pas permis.

 

Mais voilà : après un (long) premier chapitre très convaincant, L’Heure et l’ombre m’a franchement déçu. Je ne suis pas certain de pouvoir le qualifier pour autant de mauvais, ce roman surprimé. Mais de « pas pour moi », sans aucun doute. Parce qu’il ne s’est pas contenté de me décevoir : il m’a également profondément ennuyé et profondément énervé. À tel point que je doute de renouveler l’expérience avant longtemps, voire de la renouveler tout court (étrange idée bien typique de mon masochisme mesquin)…

 

Bon.

 

Tentons d’expliquer pourquoi donc.

 

Dans ce bref (mais pas assez) roman, nous suivons donc un narrateur en quête de son amûûûûûûûr d’enfance, version Absolu. Celle qui ne parle qu’aux moins de 15 ans, ou aux plus de 40, s’il y flotte des grumeaux de nostalgie : ça tombe bien. Par un jeu de coïncidences improbables, le narrateur se voit ainsi ramené à ses souvenirs de Saint-Savin, minable station balnéaire de sa jeunesse plus ou moins dorée, et à la mignonne Sylvie. Dans un premier temps, avant que l’amûûûûûûûr ne rentre vraiment en scène, c’est assez intéressant. Quand le narrateur laisse la parole à sa compagne (à l’expression tout aussi anachroniquement précieuse, mais ça passe encore, et confère au roman une atmosphère pas désagréable), on se prend volontiers au jeu. Belle description d’un petit village de la France profonde, de cette mystérieuse petite fille, et de son plus mystérieux encore somnambule et amnésique de père. Puis les éléments se mettent en place et, de réminiscences en sauts temporels, le narrateur reprend le devant de la scène. Et c’est alors que cela devient très pénible. Jusque-là, pourtant, c’était fort bon ; j’y retrouvais un peu l’atmosphère délicieusement bizarre qui me parle tant chez un Paul Auster, par exemple (rappelez-vous – ou pas –, j’avais lu Dans le scriptorium quelques jours plus tôt…), ou, plus vraisemblablement ici, chez d’autres auteurs dont tout critique qualifié vous fera la liste exhaustive.

 

Et puis ça ne marche plus. Et le ton du roman (« naturalisme inversé » ?) m’a de plus en plus horripilé. Voilà un fait rare : j’ai envie de balancer à l’encontre de ce roman de ces adjectifs un peu bêtes que généralement je préfère laisser à d’autres. Mais j’ai bel et bien trouvé ce roman puant, de suffisance et de parisianisme ; et, parallèlement, insupportablement – putain, j’ai honte – bourgeois et réac, que ce soit dans le fond ou dans la forme. Tandis que les pages défilent, le roman – d’un auteur qui aime bien se regarder écrire –, au travers de ses réflexions sur le temps, etc., prend finalement, quoi qu’on ait pu en dire, des allures de quasi-essai (si pas pamphlet) prétentieux et creux, médiocrement et bêtement railleur, d’une hypocrisie et d’une fatuité rares.

 

Ah, c’était mieux avant…

 

Ah, la province…

 

Ah, aujourd’hui on n’a plus d’écrivains…

 

Ah, l’amûûûûûûûûr…

 

Ah, les plats cuisinés…

 

Ah, le rap…

 

Ah, les enfants d’aujourd’hui…

 

J’en passe et des pires.

 

Il y a probablement de la mauvaise blague, là-dedans, ce qui, en temps normal, ne me déplaît pas. La tonalité pompidolo-giscardienne est après tout appropriée pour les éléments les plus antiques du récit. Et la plume contournée de l’auteur, toute en épate et Valeurs Majuscules, s’accorde à merveille à la médiocrité à la fois bourgeoise et néo-romantique (mélange fatal) de ses personnages. Exercice de style, alors ? Peut-être. L’Heure et l’ombre a bien à mes yeux quelque chose d’un mauvais roman du XIXe, totalement dénué de la moindre originalité, qui aurait mal digéré les romantiques, les naturalistes et les décadents, pour n’en retenir que les pires travers, et qu’on aurait ultérieurement aseptisé par une louche de Kulture démonstrative toute contemporaine, exégèse de Proust incluse.

 

Visiblement, il y en a plein pour aimer.

 

Bon.

Je n’en suis pas.

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"Alone contre Alone", de Thomas Géha

Publié le par Nébal


GÉHA (Thomas), Alone contre Alone, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche, 2008, 230 p.

 

En 2009, vu que Gaza et Sarko, la logique veut que l’on parle de plus en plus de post-apocalyptique. Et ça tombe bien : je viens tout récemment de lire Alone contre Alone, l’épisode ultime de la saga de Thomas Géha en hommage à La Terre sauvage de Julia Verlanger. Avec des vrais morceaux de France dévastée écumée par de valeureux guerriers solitaires dedans.

 

Après le sympathique mais encore un peu « amateur » A comme Alone (et la nouvelle « L’Ère du Tambalacoque » – mais peut-être vaut-il mieux la lire après Alone contre Alone, ainsi que je l’ai fait ?), c’est avec plaisir que nous retrouvons notre hexagone ravagé, ses Rasses infréquentables et ses fiers Alones tels Pépé et Grise. Au tout début du roman, ceux-ci et leurs potes se la coulent douce sur une île où – mirac’ ! – ils ne manquent de rien, et personne ne vient les faire suer. Ce qui ne peut évidemment pas durer : une bande de tueurs finit par débarquer pour leur chercher des noises. Or ce commando ne s’en est pas pris à eux par hasard : il y a de la vengeance dans l’air, le sieur Argento n’ayant pas apprécié que Pépé se taille avec sa Grise à la fin de l’épisode précédent… en le laissant pour mort.

 

Impossible, dès lors, de rester sur l’île. Mais Pépé et Grise n’entendent pas davantage faire peser cette menace toute personnelle sur les épaules de leurs amis Gaby et Flo, et le petit groupe doit donc se séparer. Mais, pour les Alones, ce n’est que le début d’une complexe aventure riche en mauvaises (et parfois moins mauvaises) rencontres, dont, entre autres, des pirates, des archéologues, des lapins qui parlent, des ninjas matrixeux et des arbres mégalomanes. Avec à la clef un épique duel Alone contre Alone, déterminant pour l’avenir de l’humanité. Rien que ça.

 

Effectivement, si Alone contre Alone a gardé bien des aspects de son prédécesseur, et notamment un certain côté picaresque parfaitement approprié mais qui le rend difficilement résumable, sa plus grande ambition ne fait très vite aucun doute. À vrai dire, à ce stade, ça pète même les yeux… Certes, il ne s’agit une fois de plus « que » d’un roman se voulant simplement (simplement !?) divertissant, mais l’auteur a indéniablement gagné en métier. Les hésitations et maladresses notamment stylistiques d’A comme Alone sont largement de l’histoire ancienne (on peut bien renacler ici ou là, mais c’est dans l’ensemble très honnête, et en tout cas bien meilleur), le ton est autrement plus assuré, et les idées sont davantage canalisées, certaines valant franchement le détour (les Arkéos, le Tambalacoque…).

 

Mais, pour autant, Alone contre Alone n’a heureusement en rien perdu de la fraîcheur et de la spontanéité jubilatoire d’A comme Alone. Et c’est du coup avec plaisir que l’on se replonge dans cet univers « à la Verlanger », guère original, certes, mais néanmoins fort bien campé, avec ce qu’il faut de bruit et de fureur à chaque page. D’autant que ce court roman, de même que le premier, bénéficie d’un atout de taille qui le rend encore plus sympathique : il sait ne pas trop se prendre au sérieux. En témoigne assez son héros Pépé, tantôt brute épaisse survirile, tantôt loser sympathique et gentiment couillon…

 

Et cette fois encore, mais avec infiniment plus d’adresse, Thomas Géha profite de son excursion post-apocalyptique pour multiplier gags savoureux et références parfois improbables, clichés énormes et clins d’œil plus ou moins hermétiques. Le roman, qui pioche allègrement dans tout ce que la culture populaire peut nous offrir de plus réjouissant, est ainsi placé sous le double signe de l’humour et de la simplicité, ce qui ne le rend que plus rafraîchissant et efficace.

 

Bon, évidemment, il n’est pas question ici de « GrrrrrrrraaaAAAaaande Litthérathure » : Alone contre Alone est un beau morceau de SF populaire, un roman de gare bref et intense, qui ne vise qu’à donner au lecteur quelques heures de plaisir un brin régressif. Mais il y arrive parfaitement. Alors que demande le peuple ?

 

« Une suite ? »

 

Ben, a priori, c’est mort. Et sans doute vaut-il mieux, effectivement, éviter de pousser le bouchon trop loin…

Maintenant, que ce soit dans ce registre ou un autre, j’espère que Thomas Géha nous prépare d’autres bonnes choses. Parce que ces deux petits romans, avec leurs défauts, m’ont bel et bien satisfait. Si la progression de l’auteur, d’ici à la prochaine parution, se fait aussi sensible qu’entre ces deux premiers volumes, m’étonnerait pas qu’on tienne là quelque chose de franchement intéressant…

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