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"To Bring You My Love", de PJ Harvey

Publié le par Nébal

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PJ HARVEY, To Bring You My Love.

 

Tracklist :

 

01 – To Bring You My Love

02 – Meet Ze Monsta

03 – Working For The Man

04 – C’Mon Billy

05 – Teclo

06 – Long Snake Moan

07 – Down By The Water

08 – I Think I’m A Mother

09 – Send His Love To Me

10 – The Dancer

 

Pour ce bref et temporaire retour aux chroniques musicales, je m’en vais vous entretenir d’un des plus grands albums de tous les temps.

 

Là, c’est dit.

 

Je ne me qualifierais pas personnellement de fan extatique de Miss Polly Jean Harvey (même si j’ai pas fait mon malin quand je l’ai vu sur scène, j’avoue, j’en ai foutu partout...). J’aime ce qu’elle fait, mais je trouve bon nombre de ses albums surestimés, que ce soit au tout début de sa carrière (Dry et Rid Of Me, pour ne pas les nommer) ou ultérieurement.

 

Mais, entre les deux, la dame a pondu deux merveilles incomparables. Et, rien que pour ça, elle aura droit à ma gratitude éternelle, et à mon admiration de tous les instants. C’est en effet l’époque où PJ Harvey a su accommoder son incontestable talent pour le songwriting d’une très légère touche électronisante et d’une production à l’avenant, riche en effets, sonnant presque industrielle à l’occasion (j’assume). Cela a donné tout d’abord cet extraordinaire chef-d’œuvre – dans tous les sens du terme – qu’est To Bring You My Love, dont je vais vous parler aujourd’hui. Puis, un peu plus tard, le très bon également – même si, paraît-il, mal reçu à sa sortie (mais je n’en ai pas le souvenir… ?) – Is This Desire?, dont il est fort probable que je vous entretienne prochainement.

 

Mais d’abord, donc, To Bring You My Love. Un des plus grands albums de tous les temps, disais-je. Un album qui – j’assume entièrement mon propos – se rapproche de la perfection. Un album, enfin, avec une patte unique, indéfinissable, quelque part entre folk glauque, torride et poisseux, pop énervée portée sur le bruit, et expérimentations vaguement électronisantes, riches en basses sourdes et lourdes et en orgues minimalistes.

 

Minimalisme. Un mot-clef, sans doute, pour appréhender cet album, le plus souvent caractérisé par le principe antique du « rien de trop ». Du faussement simple, pour un modèle d’écriture épurée.

 

L’album s’ouvre sur « To Bring You My Love » (désolé, le morceau est coupé un peu brutalement, je n’ai pas trouvé mieux…), ou la meilleure des introductions, au léger crescendo parfait, et à la saturation délicieuse. Le riff est tout simple, mais d’une efficacité diabolique, et l’orgue se fait le compagnon idéal et céleste de la voix grave de Polly Jean. Pas exactement la chanson d’amour la plus positive que l’on puisse concevoir, mais une vraie petite merveille, qui instaure d’ores et déjà l’ambiance lourde et poisseuse caractéristique de l’album.

 

On enchaîne sur « Meet Ze Monsta », un incontournable live, à la (aux ?) basse(s) et à la rythmique également monstrueuses (eh…), et pour le coup passablement énervées. Un déluge de sonorités quasi industrielles, là encore merveilleusement saturées. C’est très très lourd, et effroyablement bon.

 

Suit « Working For The Man ». On change assez radicalement de registre, même si le morceau est à nouveau porté par la basse, sourde et répétitive ; une sorte de quasi-dub glauquissime, oppressant, claustrophobe, au chant chuchoté, semi dissonant quand il vire dans les aigus… une vraie réussite.

 

Nouveau changement de registre avec « C’Mon Billy », ballade folk érotico-funèbre à la mélodie imparable et aux arrangements sublimes. Un morceau très charnel, sensuel, et d’une efficacité redoutable.

 

Après quoi « Teclo » retourne quelque peu aux ambiances de « To Bring You My Love », avec son riff bluesy très simple et pourtant génial qui fait quelque peu l’autoroute, secoué de trémolos, sur lequel vient se poser la voix grave de PJ Harvey. Là encore, ce n’est pas la joie qui domine… Très beau, et très planant.

 

Quant à « Long Snake Moan », il semble s’inscrire dans la continuité de « Meet Ze Monsta » : une pop énervée, rythmée et saturée, riche en basse. Bien, mais un peu moins convaincant que le reste, peut-être. Car un peu plus classique, sans doute… Cela dit, on ne va pas bouder notre plaisir : cela reste très bon.

 

L’effet de miroir se poursuit sur le morceau suivant, « Down By The Water » n’étant pas sans évoquer « Working For The Man » ; là encore, on se trouve devant un morceau pour le moins électronisant, porté par une basse sourde et blindée d’effets, quelque part entre dub et bossa nova. Très efficace, et à nouveau très glauque, a fortiori sur le finale chuchoté…

 

« I Think I’m A Mother », très bluesy, poursuit « To Bring You My Love » et « Teclo ». La voix de PJ Harvey n’a jamais été aussi grave, c’est à faire peur… Un morceau assez angoissant, que j’aurais irrésistiblement envie de qualifier de lynchien, si tant est que ça veuille dire quelque chose (peut-être parce que ça m’évoque BlueBob ?)…

 

Avec « Send His Love To Me », par contre, c’est clairement l’atmosphère de « C’Mon Billy » que l’on retrouve, avec encore une fois de beaux arrangements. À nouveau une jolie ballade, pas ce qu’il y a de plus joyeux, mais tout ce qu’il y a d’efficace. Une mélodie qui rentre dans le crâne et n’en ressort pas, mais c’est tant mieux.

 

Reste enfin « The Dancer », qui conclue l’album sur une note chaloupée et orgasmique, vibrante d’émotion au rythme de la guitare.

 

Dieu que cet album est bon…

 

 Allez, en principe, je vous causerai bientôt de Is This Desire?, puisque c’est ça.

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"Regards sur l'édition, II. Les nouveaux éditeurs (1988-2005)", de Bertrand Legendre & Corinne Abensour

Publié le par Nébal

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LEGENDRE (Bertrand) & ABENSOUR (Corinne), Regards sur l’édition, II. Les nouveaux éditeurs (1988-2005), avant-propos de Philippe Chantepie et Benoit Yvert, Paris, La Documentation française – Ministère de la Culture et de la Communication, DDAI, Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), coll. Questions de culture, 2007, 125 p.

 

Voilà bien un bouquin qu’il s’annonce pas facile à chroniquer, ma bonne dame, à l’instar de son frère jumeau Regards sur l’édition, I. Les petits éditeurs. Situations et perspectives, dont je vous ai néanmoins parlé il y a peu. L’exercice doit pourtant être réalisable, puisque les deux ouvrages faisaient partie, ensemble, de la bibliographie dans laquelle les candidats au Master 2 « Politiques éditoriales » de Villetaneuse étaient amenés à piocher pour réaliser leur fiches de lecture pour le dossier de candidature. Et pour cause, peut-être, dans la mesure où Bertrand Legendre, docteur en sciences de l’information et de la communication et maître de conférence à Paris XIII Nord, dirige ce Master, tandis que Corinne Abensour, qui a les mêmes titres et est en outre agrégée de lettres modernes, y enseigne.

 

Seulement voilà le problème : comment synthétiser ce qui constitue déjà à la base une synthèse ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit avec cette étude commandée aux auteurs par le Ministère de la Culture et de la Communication (j’arrête là le quasi copier-coller, eh eh…), étude réalisée à partir de trois sources principales : les annuaires professionnels de Livres Hebdo publiés entre 1988 et 2005 (essentiellement), une analyse systématique de la presse professionnelle pour la même période, et, enfin, une série d’entretiens réalisés auprès d’un échantillon de 26 maisons d’édition jugées représentatives et sur lesquelles l’étude, hors données statistiques, s’attarde plus particulièrement (Aubéron, Bleu autour, Les Cahiers du temps, Cairn, Cassini, Le Castor astral, La Compagnie créative, Le Coq à l’âne, Cornélius, Desjonquères, L’Esprit des péninsules, La Fosse aux ours, Fremok, Gaïa, Jasmin, Maxima, Joca Seria, L’Œil, Petit à Petit, Phaïdon France, Plume, Le Pommier, Le Point du jour, Les Presses du réel, Sciences humaines éditions, Sabine Wespieser éditeur). Il s’agit en outre de comparer les données obtenues pour les années 1988-2005 avec celles des années 1974-1988, que l’on trouvait dans une précédente étude (cf. Jean-Marie Bouvaist & Jean-Guy Boin, Du printemps des éditeurs à l’âge de raison, les nouveaux éditeurs en France, 1974-1988).

 

Le premier chapitre, consacré au profil des nouveaux éditeurs entre 1988 et 2005, est donc entièrement consacré aux données statistiques, riche en tableaux, et sans surprise d’une lecture très aride. Très difficile à synthétiser pour le coup… On peut néanmoins en tirer quelques enseignements : la baisse régulière du nombre de créations de maison d’éditions sur la période 1988-2005, l’augmentation parallèle du taux de mortalité des maison d’édition ; plus de 80 % des maisons créées et disparues entre 1988 et 2005 n’ont pas dépassé le cap des dix ans ; les maisons à faible catalogue sont celles qui disparaissent le plus facilement, etc. Et il reste encore bien d’autres données, concernant la production annuelle (un programme éditorial fourni est un gage de survie), les effectifs des maisons, leur localisation, leurs spécialités, leurs modes de diffusion, leurs modes de distribution (j’ai toujours un peu de mal à faire la distinction entre les deux, crétin de moi…), etc.

 

Une première annexe, consacrée aux nouveaux éditeurs de jeunesse (pp. 105-110), nous montrera mieux quel genre d’enseignements l’on peut tirer de semblable étude (p. 105) :

 

« Ce portrait permet de constater notamment que :

 

« – à la différence de ce que l’on observe sur l’ensemble de la production éditoriale, il y a équilibre des implantations géographiques entre Paris (qui ne représente que 50 % des implantations) et le reste du pays ;

 

« – certains ont, en plus de l’activité jeunesse, une grande variété d’autres publications, autant en littérature, qu’en sciences humaines, ou beaux livres. Parmi les autres spécialités, 27 % d’entre eux développent aussi la spécialité histoire ;

 

« – leur catalogue est plus étoffé que celui de la moyenne des autres éditeurs et le nombre de leurs publications par an plus soutenu ;

 

« – le taux de survie est de 63 %, alors qu’il n’est que de 51 % pour l’ensemble de l’activité éditoriale ;

 

« – par contre, en ce qui concerne l’auto-diffusion et la dispersion des diffuseurs, la situation des éditeurs de jeunesse est semblable aux résultats d’ensemble de la filière. »

 

On met ensuite les tableaux de côté pour les deux chapitres suivants, qui sont davantage des études « qualitatives ». Commençons par le chapitre deux, qui porte sur les politiques éditoriales et les modes de fonctionnement des nouveaux éditeurs. On s’intéresse tout d’abord au profil des créateurs, en distinguant des professionnels du livre, des professionnels venus d’une activité proche de la spécialité choisie (par exemple un mathématicien pour Cassini), et enfin des autodidactes passionnés. Après quoi l’on se penche sur le catalogue et les choix éditoriaux, puis sur les intentions éditoriales au moment de la création et sur les évolutions du projet. On s’intéresse ensuite au fonctionnement des nouvelles maisons d’éditions, en en distinguant quatre types : les éditeurs indépendants, des structures légères dont la fragilité initiale est difficile à dépasser ; les départements éditoriaux d’entreprises existantes (une revue, un conseil régional, un centre d’art contemporain…) ; les antennes françaises d’éditeurs étrangers ; et enfin les maisons conçues pour un développement rapides (exemples : TF1 édition en 1988, ou NRJ fréquence livre en 1989...). On s’intéresse ensuite aux politiques d’auteurs, avant d’accorder un long développement aux « éditeurs régionalistes » et aux « éditeurs en région » (en notant que pour les premiers la dimension militante n’est plus aussi marquée qu’elle a pu l’être).

 

Le chapitre 3 s’intitule « Les nouveaux éditeurs et le marché » (p. 71). Il s’agit tout d’abord de se pencher sur les politiques de diffusion et de distribution. On note que le contexte s’est durci durant la période 1988-2005. Il y a eu des tentatives multiples pour mettre en place de nouveaux modes de diffusion, mais aussi une succession de crises. Domine généralement un modèle économique minimaliste. Plusieurs initiatives, parallèlement, ont visé à grouper les éditeurs. Mais se pose la question du développement des nouvelles structures éditoriales… encore que certains refusent tout simplement de se la poser. Pour les autres, il y a le problème d’un effet de seuil : ces maisons sont petites, récentes et indépendantes, et craignent de perdre cette indépendance en se développant. Mais il y a en même temps une exigence accrue, qui ne leur facilite pas forcément la tâche. Le développement peut se faire de diverses manières : je ne m’attarderai pas sur le cas « de la revue aux livres », célèbre (pensez à la NRF...), mais qui me paraît à la limite du hors-sujet ; plus intéressants, la diversification des spécialités, la diversification des supports, et le développement par l’international. Mais la grande question reste bien celle de l’indépendance…

 

 Le tableau n’est pas forcément très souriant pour les nouveaux éditeurs. Certes, l’informatique et Internet semblent leur faciliter la tâche, mais la concurrence est rude, et le taux de mortalité élevé… L’étude de Bertrand Legendre et Corinne Abensour, s’il s’agit bien d’une lecture assez aride (on s’en doutait un peu, remarquez…), particulièrement dans sa partie purement statistique, est riche d’enseignements dignes d’être pris en considération, et soulève nombre de questions intéressantes.

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"Vurt", de Jeff Noon

Publié le par Nébal

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NOON (Jeff), Vurt, [Vurt], traduit de l’anglais par Marc Voline, [s.l.], La Volte, [1993] 2006, 348 p.

 

Il y a maintenant pas mal de temps de cela, rappelez-vous (si vous le voulez bien), je vous avais vanté les mérites de l’excellent recueil de nouvelles (etc.) Pixel Juice de Jeff Noon, paru aux décidément recommandables éditions de La Volte. Je m’étais alors promis de lire les romans du Monsieur, c’est-à-dire et dans l’ordre Vurt, Pollen et NymphoRmation. Un créneau s’est présenté, que je me suis empressé de saisir, et hop ! va pour Vurt.

 

L’histoire se déroule comme de bien entendu à Madchester-Manchester, dans ce que l’on supposera être un futur proche. Là, les gens sont accros aux plumes Vurt, la meilleure des drogues. On se les met au fond de la gorge, et hop ! Direction l’univers vurtuel, le pays des rêves, le pays des merveilles. Il y a des plumes banales, les bleues inoffensives, les roses pornographiques, mais il y a aussi les noires plus perturbantes, et surtout, surtout, les jaunes, les plus puissantes. Mais comme le dit Maître Chat, notre guide dans le Vurt qui interrompt régulièrement le cours du roman pour nous donner quelques salutaires explications sur ce que c’est au juste que cette chose-là et sur l’argot qui va avec, « Soyez prudents, soyez très très prudents ».

 

Car il peut y avoir un prix à payer. Le Vurt, monde du rêve, capture parfois les rêveurs et les empêche de repartir. C’est ce qui est arrivé à Desdémone, la sœur (et plus puisque affinités) de Scribble, le héros du roman. Pour avoir tâté de la Curious Yellow, elle s’est égarée dans le Vurt ; et, pour équilibrer la balance, puisque c’est ainsi que ça marche en vertu de la loi de Hobart, Scribble a ramené du Vurt, non pas sa sœur, mais « la Chose-de-l'Espace », un alien du Vurt, un véritable concentré de Vurt…

 

Depuis, Scribble est obsédé par une idée fixe : retrouver une Curious Yellow pour retourner dans le Vurt avec la Chose et procéder à un nouvel échange ; il veut ramener sa sœur… Et pour ce faire, il requiert l’aide de sa bande de potes, les « chevaliers du speed » : Beetle, Bridget et Mandy, zonards accros au Vurt et aux sensations fortes, jeunes tout aussi paumés que lui.

 

Mais les embûches sont bien évidemment nombreuses. Outre les dangers propres au Vurt, c’est un fait que l’on ne se procure pas comme ça une Curious Yellow. Et puis il y a les flics, et cette salope de Murdoch en tête, bien décidée à coffrer les chevaliers, qu’elle suspecte à juste titre d’héberger un alien du Vurt…

 

La quatrième de couverture aligne les références : William Gibson, Irvine Welsh, John King, Alice au pays des merveillesA priori, si l’on excepte la parenté évidente entre Welsh et King (génération « trash », nous dit-on), rien de très commun entre tout cela. Pourtant, toutes ces références sont parfaitement justifiées.

 

Et c’est bien le problème, en fait.

 

Je ne vous le cacherai pas plus longtemps : j’ai été très déçu par Vurt. Un premier roman, certes, lauréat néanmoins du prix Arthur C. Clarke, mais un premier roman, construit sous influence, et cela se sent.

 

L’influence du cyberpunk à la William Gibson est patente dès la première scène, puis, par la suite, lors de bien des séquences plus ou moins hallucinées, qu’elles fassent intervenir réalité virtuelle et délires chamaniques ou robochiens et autres post-humains (peut-être plus à la manière de Sterling, pour le coup).

 

L’influence d’Irvine Welsh (lisez Trainspotting) et de John King (lisez Football Factory) est encore plus flagrante, surtout celle de Welsh à vrai dire : difficile, devant les « chevaliers du speed », de ne pas penser à Renton, Sick Boy, Spud et compagnie… en moins trash, cela dit. Mais on retrouve bien la même atmosphère de jeunesse glauque et drôle à la fois, se vautrant dans la drogue, servie par une langue tour à tour poétique et crue.

 

Quant à l’influence de Lewis Carroll, elle est revendiquée jusque dans certains noms (ainsi d’une boite qui s’appelle le Slictueux Tove), et se ressent bien évidemment dans le nonsense des trips Vurt.

 

Et Noon de mélanger – non, utilisons le mot juste : de mixer – tout ça, à sa sauce, certes, mais les samples n’en sont pas moins éminemment reconnaissables. Sans doute trop pour que l’on puisse parler d’une composition originale. Ce qui est un peu dommage, tout de même. Parce que, finalement, tout cela donne, malgré le déferlement d’idées et la folie ambiante, un étrange arrière-goût de déjà-lu (en mieux…), qui n’est pas sans susciter – et assez rapidement d’ailleurs, mais je parle pour moi – une certaine lassitude.

 

J’ajouterai (mais là encore je ne parle que pour moi) que certains partis pris de la traduction m’ont paru critiquables – je pense notamment à l’emploi du passé simple, qui me paraît souvent bien trop soutenu, mais on va dire que je pinaille… –, et que – est-ce imputable seulement à l’auteur, ou en partie également au traducteur ? – je n’ai clairement pas retrouvé dans Vurt l’élégance stylistique de Pixel Juice

 

Une déception, donc, que ce premier roman. Cela ne m’empêchera bien évidemment pas de lire sa « suite » (façon de parler, bien sûr), Pollen, que visiblement tout le monde s’accorde à considérer comme bien plus réussie. Mais, en attendant, je ne puis que constater mon manque d’enthousiasme, là où Pixel Juice me laissait augurer du meilleur…

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"Le Contrôle de la parole. L'édition sans éditeurs, suite", d'André Schiffrin

Publié le par Nébal

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SCHIFFRIN (André), Le Contrôle de la parole. L’édition sans éditeurs, suite, traduit de l’anglais [Etats-Unis] par Éric Hazan, Paris, La Fabrique, 2005, 91 p.

 

Autant vous prévenir tout de suite, les gens : pendant les deux prochaines semaines, je vais dans l’ensemble bachoter comme un furieux, à tout hasard, et donc consacrer l’essentiel des comptes rendus livresques de ce blog à des bouquins concernant les livres et l’édition ; suivra une petite pause parisienne, après quoi je pourrai revenir à des préoccupations plus normales, et notamment science-fictionnelles. En attendant, désolé, les gens, mais vous allez plus ou moins partager mon boulot… Boah, en même temps, je suis sûr que ça peut être intéressant, des fois, non ?

 

Tenez, L’Édition sans éditeurs d’André Schiffrin, c’était pas mal, non ? Ben là, voilà la « suite », Le Contrôle de la parole, paru en 2005, toujours l’édition princeps en français chez les ultra-gauchiss’ de La Fabrique. Il faut dire que, cette fois, André Schiffrin se fonde beaucoup moins sur son expérience personnelle, et se penche beaucoup plus sur le cas français. Ce qui l’intéresse essentiellement, dans ce petit opuscule, ce sont les phénomènes de concentration, dans l’édition, la presse et les autres médias (cinéma, radio, télévision) et la librairie, que l’on a pu constater un peu partout, mais notamment en France, après les États-Unis et le Royaume-Uni. Le propos est donc bien plus vaste (et bien plus sombre, dans l'ensemble, même si les accents utopiques reviennent sur la fin...) que dans L’Édition sans éditeurs, et bien loin de ne s’intéresser qu’au seul champ éditorial… ce qui n’a pas été sans me décevoir quelque peu, je ne vous le cacherai pas. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir.

 

On commence, après une brève introduction, par l’étude de trois cas français, bien symptomatiques, le premier étant « l’affaire Vivendi ». Merci Jean-Marie Messier ! Le phénomène de concentration éditoriale est bien disséqué ici, et l’on voit comment, au nom d’un certain « patriotisme », on a de peu échappé au pire, avec la constitution d’un grand groupe Hachette-Vivendi, qui aurait littéralement bouffé tout le reste. C’est l’occasion de dresser un instructif panorama de l’édition française (pp. 22-23, d’après L’Expansion). Le deuxième cas est plus symbolique, sans doute, mais dans le prolongement du précédent : c’est le rachat du Seuil par La Martinière.

 

Le troisième cas nous éloigne de l’édition pour nous faire entrer dans le monde glauquissime de la presse française (que l’auteur juge pourtant d’une qualité exceptionnelle ! Qu’est-ce que ça doit être ailleurs, alors…). Il s’agit de voir comment Dassault a construit son empire de la presse, parallèlement à Lagardère ; bref, comment la presse française est aux mains de marchands d’armes dépendant étroitement des commandes de l’État et qui entendent bien faire de ces journaux « leurs » journaux. Mais disons-le franchement : pour un Français, dans ce chapitre, rien de nouveau sous le soleil…

 

Suit un très bref chapitre – assez anecdotique, à vrai dire – sur les changements dans la distribution, où l’on note cependant la part de plus en plus importante des grandes surfaces, voire à l’étranger des discounters, dans la vente de produits culturels.

 

Le processus de concentration est ensuite analysé en Grande-Bretagne, d’abord dans l’édition et ensuite dans la presse (Murdoch, of course).

 

Après quoi l’auteur procède de la même manière pour les États-Unis, mais en deux chapitres distincts. Celui sur l’édition ne rajoute pas grand chose à ce que l’on avait déjà pu voir dans L’Édition sans éditeurs, dont il constitue une simple mise à jour, témoignant de l’hypocrisie des grands groupes, assurant que rentabilité et qualité littéraire ne sont en rien antinomiques…

 

Celui sur les médias est plus intéressant… encore que. C’est là, en fait, le problème majeur de ce petit ouvrage : on le lit avec intérêt, mais sans avoir l’impression d’apprendre grand chose, pour peu que l’on soit un tantinet sorti de chez soi ces dix dernières années.

 

C’est d’autant plus flagrant au chapitre suivant, sur la collusion entre les médias et le gouvernement à propos de l’Irak : eh, on est en France…

 

 

Alors on appréciera davantage, avec le sourire, le très pertinent dernier chapitre sur le conformisme intellectuel en France. Eh eh...

 

 Mais pour le reste… On a lu, oui. Sans déplaisir, oui… Mais on n’a pas appris grand chose. Aussi, je ne ferais pas de cette « suite » à L’Édition sans éditeurs un ouvrage aussi important, aussi salutaire, que celui qui l’a précédé. À vrai dire, en bien des pages, j’ai trouvé qu’on était à la limite du café du commerce… André Schiffrin a sans doute eu tort de vouloir excessivement s’éloigner de son expérience personnelle et de sa grande connaissance du milieu éditorial. Confronté au reste, il n’est finalement qu’un citoyen lambda, avec des réflexions de citoyen lambda… et c’est tout de même un peu dommage. Bref : on peut faire allègrement l’impasse sur celui-ci.

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"Regards sur l'édition, I. Les petits éditeurs. Situations et perspectives", de Bertrand Legendre & Corinne Abensour

Publié le par Nébal

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LEGENDRE (Bertrand) & ABENSOUR (Corinne), Regards sur l’édition, I. Les petits éditeurs. Situations et perspectives, avant-propos de Philippe Chantepie et Benoit Yvert, Paris, La Documentation française – Ministère de la Culture et de la Communication, DDAI, Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), coll. Questions de culture, 2007, 167 p.

 

Voilà bien un bouquin qu’il s’annonce pas facile à chroniquer, ma bonne dame, à l’instar de son frère jumeau Regards sur l’édition, II. Les nouveaux éditeurs (1988-2005), dont je vais néanmoins tâcher de vous parler prochainement. L’exercice doit pourtant être réalisable, puisque les deux ouvrages faisaient partie, ensemble, de la bibliographie dans laquelle les candidats au Master 2 « Politiques éditoriales » de Villetaneuse étaient amenés à piocher pour réaliser leurs notes de lecture pour le dossier de candidature. Et pour cause, peut-être, dans la mesure où Bertrand Legendre, docteur en sciences de l’information et de la communication et maître de conférence à Paris XIII Nord, dirige ce Master, tandis que Corinne Abensour, qui a les mêmes titres et est en outre agrégée de lettres modernes, y enseigne.

 

Seulement voilà le problème : comment synthétiser ce qui constitue déjà à la base une synthèse ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit avec cette étude commandée aux auteurs par le Ministère de la Culture et de la Communication, étude portant sur un échantillon de dix-sept « petits éditeurs » de la « frange » (par opposition à « l’oligopole ») œuvrant dans des domaines très divers, de la BD aux mathématiques en passant par la photographie et la littérature des Balkans : Aubéron, Bleu autour, Cairn, Cassini, Le Castor astral, la Compagnie créative, Cornélius, Desjonquères, L’Esprit des péninsules, la Fosse aux ours, Fremok, Gaïa, Jasmin, Joca Seria, L’Œil, le Pommier, Le Point du jour. Ces « petits éditeurs » sont suivis tout au long du processus d’édition en quatre chapitres émaillés de neuf tableaux, avant une conclusion sous forme de préconisations et des annexes reprenant quelques comptes rendus d’entretiens.

 

Les auteurs s’intéressent tout d’abord aux modes d’organisation, et en premier lieu aux modes de production (chhh, Karl, du calme, chhhh !). Il s’agit de voir si le pré-presse se fait en interne (c’est le cas le plus souvent) ou en externe, s’il y a des outils d’analyse des coûts (c’est plus rare, ou limité à une gestion « empirique »), quel est le tirage moyen, s’il y a recours au numérique (c’est très rare), quels sont les lieux de stockage, quelle est la valeur des stocks, et si l’on pratique la réimpression. On s’intéresse en deuxième lieu au personnel, sans surprise limité, puis en troisième lieu aux aspects juridiques et financiers, où l’on voit notamment que la plupart de ces « petits éditeurs » sont des SARL, mais ne recourent qu’exceptionnellement au crédit. Quant au profil du chiffre d’affaires, il peut prendre trois aspects : développement, stabilité, ou « en dents de scie »...

 

Le deuxième chapitre se penche sur le projet éditorial. On commence par s’intéresser au catalogue de ces « petits éditeurs », en les distinguant notamment selon le rythme de production : moins de huit titres par an, entre dix et vingt titres par an, plus de vingt titres par an. On s’intéresse ensuite aux titres marquants, qui peuvent être des livres jalons, des succès structurants… ou des échecs formateurs ; c’est aussi le moment de s’intéresser aux spécialités de ces éditeurs, très diverses, donc. L’étape suivante concerne les modes d’échange et les partenariats internationaux : coéditions (fréquentes), cessions de droits (de même), achats de droits (de même), accords pour la diffusion de livres étrangers (beaucoup plus rares, ou, plus précisément, rarement renseignées). On s’intéresse ensuite à la politique éditoriale : il s’agit de voir quel était le projet initial, quels étaient les modèles (trois types : les grands éditeurs, les éditeurs indépendants et les pairs), et quelles ont été les inflexions dans le développement de la maison. On s’intéresse enfin aux auteurs, à leur recrutement… et à la capacité à les garder, qui n’est guère élevée…

 

Le troisième chapitre, et de loin le plus long et complexe (argh), se penche sur les modes de commercialisation. On constate que le modèle de l’auto-diffusion est le plus fréquent à la création de la maison, mais qu’il est généralement remplacé ensuite par la diffusion déléguée. On trouve néanmoins plusieurs modèles : l’auto-diffusion malgré tout, éventuellement « élargie » (c’est-à-dire par une activité supplémentaire de diffusion-distribution pour d’autres « petits éditeurs ») ; les structures de diffusion spécialisées, comme par exemple le Comptoir des Indépendants en bande-dessinée de création ; les petits généralistes, comme Harmonia Mundi, Les Belles Lettres ou Pollen ; et enfin les grands généralistes, comme Actes Sud et Volumen. On s’intéresse ensuite aux pratiques commerciales, et tout d’abord à la commercialisation « au plus près » (taux de retours très faible, mise en place limitée), caractéristique des auto-diffusés, avant d’envisager la commercialisation élargie (diffusion déléguée généraliste). Puis on passe au rôle de l’éditeur dans la commercialisation : pour ce qui est des relations avec les libraires et avec la diffusion, les modèles sont assez variables ; par contre, pour ce qui est des relations avec les bibliothèques, on est généralement proche du néant… La situation est à nouveau très variable pour les prix de vente, et le travail promotionnel souvent limité, même si l’usage du catalogue est souvent répandu, de même que la participation aux salons (à l’époque de l’enquête, les sites web étaient semble-t-il très rares, mais je suis à peu près persuadé que cela a changé aujourd’hui).

 

Reste un dernier chapitre, bien plus court, sur les perspectives et les attentes. Pour ce qui est de l’avenir de la maison, trois types d’attitude se dégagent : l’absence de projet et la perspective du renoncement (…), la poursuite à l’identique et l’engagement dans la voie du développement. Quant aux attentes, elles concernent un certain nombre d’aides : développement, recrutement, formation et conseil, regroupement.

 

En guise de conclusion, les auteurs peuvent donc apporter quelques préconisations, au nombre de quatre (p. 101) : « améliorer l’accompagnement dont peuvent bénéficier les petits éditeurs ; concevoir leur place dans une large interprofession ; soutenir les initiatives de mutualisation cohérentes et professionnalisées ; répondre aux attentes de formation. »

 

Restent des annexes, assez denses, qui reprennent quelques comptes rendus d’entretiens : cinq avec des éditeurs (David Bennasayag et David Barriet pour Le Point du jour ; Jean-Yves Reuzeau pour Le Castor astral ; Freddy Denaes et Gaël Teicher pour L’Œil ; Éric Naulleau pour L’Esprit des péninsules ; André Bellaïche pour Cassini), deux avec des libraires (Matthieu de Montchalin pour L’Armitière à Rouen ; Christian Thorel pour – l’indispensable – Ombres blanches à Toulouse), et un, enfin, avec une bibliothécaire (Michèle Coïc, pour les bibliothèques de Quimper  Communauté).

 

Vous l’aurez compris, Regards sur l’édition, I. Les petits éditeurs. Situations et perspectives n’est pas exactement une « lecture-plaisir »… Cela reste néanmoins une étude instructive, et finalement assez abordable pour quelqu’un qui ne s’y connaît pas encore vraiment. Il y a bien un peu de flou par-ci par-là, trop de chiffres pour mon pauvre cerveau décidément plus littéreux qu’autre chose, mais cela reste plutôt intéressant.

 

 À compléter avec Regards sur l’édition, II. Les nouveaux éditeurs (1988-2005).

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"The Boys", t. 1 à 5, de Garth Ennis & Darick Robertson

Publié le par Nébal

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ENNIS (Garth) & ROBERTSON (Darick), The Boys, t. 1. La Règle du jeu, [The Boys. The Name Of The Game / Cherry], préface de Simon Pegg, traduit de l’anglais par Alex Nikolavitch, Saint-Laurent-du-Var, Panini Comics / DC / Wildstorm / Dynamite, 2008, [n.p.]

 

ENNIS (Garth) & ROBERTSON (Darick), The Boys, t. 2. Prends ça, [The Boys. Get Some], traduit de l’anglais par Alex Nikolavitch, Saint-Laurent-du-Var, Panini Comics / Dynamite, [2008] 2009, [n.p.]

 

ENNIS (Garth) & ROBERTSON (Darick), The Boys, t. 3. Le Glorieux Plan Quinquennal, [The Boys. Glorious Five Year Plan], traduit de l’anglais par Alex Nikolavitch, Saint-Laurent-du-Var, Panini Comics / Dynamite, [2008] 2009, [n.p.]

 

ENNIS (Garth) & ROBERTSON (Darick), The Boys, t. 4. Des bleus à l’âme, [The Boys. Good For The Soul], traduit de l’anglais par Alex Nikolavitch, Saint-Laurent-du-Var, Panini Comics / Dynamite, [2008] 2009, [n.p.]

 

ENNIS (Garth) & ROBERTSON (Darick), The Boys, t. 5. Je vais pas te mentir, soldat…, [The Boys. I Tell You No Lie, G.I.], traduit de l’anglais par Alex Nikolavitch, Saint-Laurent-du-Var, Panini Comics / Dynamite, [2008] 2010, [n.p.]

 

Le joli duo que voilà ! D’un côté, au scénario, nous avons Garth Ennis, dont je n’ai cessé de vous vanter les mérites pour sa géniale série Preacher ; de l’autre, au dessin, nous avons Darick Robertson, dont je n’ai cessé de vous vanter les mérites pour sa géniale série Transmetropolitan. Autant dire qu’avec The Boys, les grands esprits se rencontrent. Et, qui mieux est, les deux s’y montrent au sommet de leur forme… Le résultat est rien de moins qu’une jolie petite bombe politiquement très incorrecte (youpi !), un joyeux délire de comic book indéniablement post-Watchmen qui tape très fort là où ça fait très mal avec une jubilation perverse, et on en redemande.

 

The Boys, ou, en French dans ze texte, les P’tits Gars, c’est un département plus ou moins officieux de la CIA auquel on fait appel quand les super déconnent. Super-héros, super-vilains, peu importe : les super-slips, quoi. À leur tête, on trouve le British Billy Butcher, toujours accompagné de son bouledogue (très bien dressé) Terreur, et il a une sale dent contre les gugusses à super-pouvoirs. À ses côtés, il y a la Crème, colossal Black qui pense à tout, et deux authentiques psychopathes, le Français et la Fille. Et puis, dans le tome 1, on le voit recruter un nouveau, un Écossais, P’tit Hughie (inspiré pour le dessin par un Simon Pegg alors quasi inconnu, puisque c’était avant Shaun Of The Dead) ; un pauvre type dont la copine vient de crever dans une rixe entre super-slips. Butcher comprend ce qu’il ressent ; et il entend bien exploiter ce ressenti, le canaliser pour une juste cause.

 

Parce qu’il y a des choses à faire. Le monde n’est pas entièrement démuni face aux super. Eh ! Il y a les P’tits Gars… « Who watches the watchmen ? » C’te question ! La surveillance, ça fait partie du boulot. Mais, des fois, faut leur faire comprendre quand ils ont dépassé les bornes : alors on peut la jouer subtil, recourir au chantage par exemple… ou faire dans le moins subtil et leur coller des baffes. Leurs super-pouvoirs ? D’où tu crois qu’ils les tirent ? D’un accident dans un laboratoire ? Mon cul, ouais ! Il y a un certain produit, et les P’tits Gars en ont un p’tit stock…

 

Tome 1, La Règle du jeu. On assiste d’abord, traditionnellement, au recrutement de l’équipe par Butcher. Puis ils se mettent au boulot. Il s’agit de lancer un avertissement, de dire aux super-slips, et notamment aux plus balaises d’entre eux, les Sept, que les P’tits Gars sont de retour en ville (car il y avait bien une ancienne équipe, on sait au moins cela…). Pour ça, Butcher décide de biaiser en s’en prenant aux Jeunes Teignes, un groupe de minets qui se la pètent. On surveille et on fait chanter. Y’a de quoi faire…

 

Tome 2, Prends ça. Une sombre affaire de mœurs qui dégénère, avec pour protagonistes le super Tek-Paladin, qui se met depuis quelque temps à niquer tout ce qui a un trou, et son ancien coéquipier (partenaire juvénile, s’entend) Swingwing, qui pourrait bien être un meurtrier. Les P’tits Gars enquêtent…

 

Tome 3, Le Glorieux Plan Quinquennal. Les P’tits Gars vont se peler les couilles à Moscou, où la société Vought-American, derrière les Sept, collabore avec la mafia russe pour monter un coup d’État. Heureusement, nos héros veillent, et ils ont à leur côté un ancien super communiste reconverti, le truculent Boudin d’Amour… Jouissif.

 

Tome 4, Des bleus à l’âme. Un TPB un tout petit peu moins marquant que les autres, où chaque membre des P’tits Gars officie dans son coin : le Français et la Fille ont à faire avec la mafia, la Crème va retrouver sa mère, Butcher va, euh, « retrouver » aussi Rayner, le chef de la CIA, et P’tit Hughie… va, euh, « retrouver » quelqu’un également, mais c’est vraiment pas d’bol. Le plus intéressant reste encore le destin de Stella, oie blanche et super-copine de P’tit Hughie (qui n’est au courant de rien, of course), dernière recrue désenchantée des Sept…

 

Tome 5, Je vais pas te mentir, soldat… Là, le niveau remonte sacrément. Parce que la Légende, à qui P’tit Hughie a fait une faveur, lui raconte tout. Tout, absolument tout. Par le biais des comics. Tout ce qui s’est passé à cause de Vought-American depuis la Deuxième Guerre mondiale. Jusqu’au fiasco ultime du 11 septembre 2001, quand un avion détourné par des terroristes s’est écrasé sur le pont de Brooklyn… à l’endroit précis où Butcher a donné rendez-vous aux Sept. Le pire, c’est qu’il n’est même pas besoin de faire dans la théorie du complot…

 

Je ne vais pas vous faire un dessin : The Boys est une franche réussite. Les deux auteurs sont bien au sommet de leur forme. Garth Ennis s’y montre aussi trash et politiquement incorrect que dans les meilleurs Preacher (c’est dire le niveau), mitonnant des dialogues aux petits oignons saupoudrant des scènes tantôt révoltantes, tantôt – le plus souvent – à mourir de rire. Quant au dessin de Darick Robertson, s’il se montre plus sage que dans Transmetropolitan, il est d’une finesse et d’une précision tout à fait remarquables, et souvent très drôle également (mentions spéciales pour Terreur et pour les victimes de passages à tabac).

 

 Le résultat est une BD inventive et drôle, couillue et salée, à la fois profondément débile et très humaine, et finalement intelligente. Probablement la meilleure chose que j’ai lue en comic super-héroïque (mais un peu déviant, certes) depuis les premiers Ex Machina et les Ultimates de Mark Millar. Ce qui n’est pas rien, tout de même. Me reste plus qu’à lire la suite, en salivant d’impatience.

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"Battlestar Galactica - le jeu de plateau"

Publié le par Nébal

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Battlestar Galactica – le jeu de plateau

 

Je sais pas vous, mais moi, dans l’ensemble, j’ai plutôt bien aimé la série Battlestar Galactica. Oh, certes, elle n’est pas exempte de défauts – elle s’est même montrée particulièrement inégale – mais, dans l’ensemble encore une fois, j’y ai vu un plutôt chouette divertissement, assez bien ficelé et qui, avouons que ça ne gâche rien, en foutait plein la vue.

 

Et puis, au fil de ces quatre saisons, je me suis pris de sympathie pour cet univers, ces personnages… et surtout le principe même de la série : celui d’une humanité aux abois, qui s’est pris une énorme branlée d’entrée de jeu, et qui se retrouve traquée d’un bout à l’autre de la galaxie par un ennemi protéiforme et plus subtil, plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.

 

Rappelons donc un peu le background. Il y a quelque temps de cela, l’humanité – mais bien loin de chez nous – a créé une « race » de robots, les cylons. Ceux-ci, comme de bien entendu, se sont retournés contre leurs créateurs, et une guerre s’en est suivie, que l’humanité n’a gagné que de justesse. Depuis, une trêve s’est instaurée. Mais les cylons ont brisé cette trêve, et lancé un assaut massif contre les douze colonies, anéantissant toute l’humanité ou presque. Il ne reste plus que quelques milliers d’humains survivants, rassemblés autour d’un unique vaisseau de combat, le Galactica commandé par l’amiral Adama. Sous son commandement – et celui de la présidente Laura Roslin, à bord du… Colonial One (eh eh) –, l’humanité va se lancer dans une quête folle : celle de la treizième colonie, une planète appelée la Terre. Mais les cylons risquent toujours de leur mettre des bâtons dans les roues, d’autant qu’ils ont changé. Il existe maintenant des cylons qui ont l’apparence d’être humains ; pire encore (et merci Philip K. Dick au passage), il existe des cylons qui n’ont même pas conscience d’être des cylons… pas encore, tout du moins. Bref, ça s’annonce mal pour les pauvres humains.

 

Le jeu de plateau inspiré de la série Battlestar Galactica nous propose de vivre cette épopée, soit dans le camp des humains, soit dans le camp des cylons. Et autant dire que, du côté des humains, le challenge est élevé…

 

Souvent, quand il s’agit de jeux développés à partir d’une licence, on est en droit d’avoir peur, et de craindre le bâclage. Mais pas cette fois. L'auteur, ici, Corey Konieczka, s'est parfaitement imprégné de l’esprit de la série, et a développé un jeu extrêmement riche, original et bien conçu, garantissant des heures de jeu tout à fait passionnantes.

 

Battlestar Galactica est un jeu pour trois à six joueurs, à partir de dix ans (disent-ils…), et dont les parties durent de deux à trois heures (mais on dépasse assez facilement cette limite, je trouve…).

 

Les joueurs incarnent chacun un personnage de la série, choisi parmi quatre catégories (sachant que l’on doit choisir son personnage dans la catégorie où il en reste le plus, sauf celle de « personnel », que l’on peut toujours prendre) : parmi les « chefs militaires », nous avons William Adama, Saul Tigh et Karl « Helo » Agathon (c’est probablement parmi ceux-là que sera choisi l’amiral, qui dispose de deux charges nucléaires, et choisit la destination lors de chaque saut ; j’y reviendrai) ; parmi les leaders politiques, nous avons Laura Roslin, Gaius Baltar et Tom Zarek (c’est probablement parmi ceux-là que sera choisi le président, qui peut utiliser les cartes « quorum », lesquelles autorisent diverses actions particulières) ; parmi les pilotes, nous avons Lee « Apollo » Adama, Kara « Starbuck » Thrace et Sharon « Boomer » Valeri (les pilotes sont les seuls à pouvoir aller dans l’espace à bord d’un viper, mais « Helo » le peut également) ; reste enfin le seul et unique membre du personnel, « Chef » Galen Tyrol. Chaque personnage a des caractéristiques particulières, qui décident des cartes de compétences qu’il va pouvoir tirer à chaque tour ; il a en outre une qualité permanente qui s’applique durant toute la partie, une qualité exceptionnelle qui s’applique une fois par partie, et un défaut permanent.

 

Au début du jeu, en fonction du nombre de joueurs, on établit le paquet « loyauté », qui va déterminer si le joueur est un humain ou un cylon ; par exemple, à trois joueurs, on fait un paquet comprenant cinq cartes « Vous n’êtes pas un cylon » et une carte « Vous êtes un cylon ». Au début de la partie, on en distribue une à chaque joueur : il est donc possible de commencer la partie avec uniquement des joueurs humains… ou pas. Par contre, les trois autres cartes seront distribuées à la moitié du jeu, lors de la phase « agent dormant » (j’y reviendrai). Là, on est sûr qu’il y aura un cylon parmi les trois joueurs… D’où la forme particulière du jeu, qu’on va qualifier de « semi-coopératif », ou, si vous préférez, de « coopératif paranoïaque » : tous les joueurs sont d’abord censés être unis contre les cylons, mais il est possible qu’il y ait dès le début un ver dans la pomme, et certain qu’il y en aura un au bout d’un moment… Restera alors pour les autres joueurs à l’identifier.

 

Le challenge est élevé pour les humains, disais-je. Ceux-ci n’ont en effet qu’une seule manière de remporter la partie, contre six moyens de la perdre (ce qui s’inverse bien entendu pour les cylons…). Les humains remportent en effet la partie s’ils arrivent à Kobol (bon, logiquement, ça devrait être la Terre, mais, hein, bon…), c’est-à-dire s’ils arrivent à parcourir huit distances en effectuant des sauts PRL (plus rapides que la lumière), sachant que la phase « agent dormant » a lieu à quatre distances. Ils ont par contre six moyens de perdre : si le carburant tombe à 0 ; si les rations tombent à 0 ; si le moral tombe à 0 ; si la population tombe à 0 ; si le Galactica est endommagé en six endroits ; si les troupes d’abordage (les centurions) arrivent à la case « défaite des humains ». Eh oui, quand même…

 

Voyons maintenant comment se déroule un tour de jeu. La première phase est celle de réception des compétences. Le joueur actif pioche autant de cartes de chaque couleur qu’il est inscrit sur sa fiche de personnage (sauf si c’est un cylon révélé, auquel cas il en pioche deux de son choix). Il existe cinq compétences différentes : politique, commandement, tactique, pilotage et ingénierie. Chaque compétence comprend seulement deux types de cartes, mais qui ont une valeur en points variable, pouvant aller de 1 à 5 (j’y reviendrai). Le joueur peut avoir jusqu’à dix cartes compétences en main (sauf « Chef », qui du fait de son défaut n’a qu’une main de huit cartes).

 

La deuxième phase est celle du mouvement. Le joueur déplace son pion où il veut sur le Galactica ou sur le Colonial One s’il est un humain ou un cylon caché (sachant que passer d’un vaisseau à l’autre implique de se défausser d’une carte compétence), ou bien d’un site cylon à l’autre s’il est un cylon révélé.

 

La troisième phase est la phase d’action. Le joueur peut activer le lieu où il se trouve, et faire l’action indiquer sur la case ; il peut faire une action propre à son personnage ou à son titre ; il peut enfin faire une action indiquée par une carte de compétence.

 

La quatrième phase est la phase de crise (qui correspond plus ou moins à la phase de mythe dans Horreur à Arkham). Le joueur actif tire une carte « crise », et la lit à voix haute. Il y a trois types de cartes « crise » : il y a tout d’abord les cartes « attaque des cylons » ; dans ce cas, on active les vaisseaux indiqués sur la carte (j’y reviendrai), puis on place les vaisseaux comme indiqué, et on tient compte s’il y a lieu de la règle spéciale ; il y a ensuite les « événements », qui donnent généralement un choix, soit au joueur actif, soit au président, soit à l’amiral ; il y a enfin les « tests de compétence ». Dans ce cas, la carte indique en haut à gauche une difficulté (par exemple, 11), suivie de couleurs de compétence (par exemple, jaune – politique –, vert – commandement –, rouge – pilotage) ; puis elle donne une réussite (généralement, « pas d’effet », mais c’est parfois quelque chose de positif), parfois un échec partiel (par exemple, « 8 + : – 1 en population »), et un échec (par exemple, «  – 1 en moral et – 1 en population »). Dans ce cas, on commence par prendre deux cartes du « paquet destinée » face cachée (ce sont des cartes de compétence prises au hasard), puis les joueurs, chacun leur tour, jouent autant de cartes de compétence qu’ils le veulent, face cachée, après quoi on les mélange (afin de ne pas pouvoir déterminer qui a joué quoi…). Dans cet exemple, toutes les cartes jaunes, vertes et rouges compteront en positif, mais les cartes violettes et bleues compteront en négatif. Il suffit alors de calculer le résultat final, et de comparer aux résultats demandés par la carte. Du coup, s’il y a trois cartes négatives, vous pouvez être sûr qu’il y a un cylon dans le tas…

 

Les cinquième et sixième phases sont des prolongements de la phase de crise, qui n’ont pas nécessairement lieu. La cinquième phase est celle de l’activation des vaisseaux cylons : en fonction du symbole en bas à gauche de la carte de crise, les vaisseaux cylons agissent. Enfin, en bas à droite, s’il y a l’icône correspondante, on passe à la sixième phase, qui est celle de la préparation au saut : on avance le pion de la flotte d’une case sur l’échelle de préparation au saut ; quand il arrive au bout, la flotte saute automatiquement, l’amiral tire deux cartes « destination », et choisit où on va ; mais sur les deux cases précédentes, il est également possible de « forcer » le saut en activant la case « Contrôle PRL », mais il y a alors le risque de perdre de la population ; cela peut néanmoins être fort utile si l’on croule sous les forces ennemies...

 

Car à côté de tout ça, il y a bien entendu les combats spatiaux. Les humains disposent de trois types de vaisseaux pouvant être impliqués dans un combat (puisque le Colonial One ne l’est jamais, et les quatre raptors ne servent qu’aux missions d’exploration) : le Galactica lui-même, qui peut lâcher des vipers et en contrôler deux depuis la passerelle, tirer depuis le contrôle de l’armement, et comprend également les deux charges nucléaires de l’amiral ; les vipers, peu nombreux, mais pouvant être pilotés ou contrôlés depuis la passerelle ; et enfin les vaisseaux civils, qui ne sont que des proies (ils sont totalement incapables de se défendre). En face, les cylons ont trois types de vaisseaux : des basestars (il ne peut jamais y en avoir plus de deux en même temps), qui peuvent tirer sur le Galactica ou larguer d’autres vaisseaux ; des raiders, qui sont très fragiles mais en nombre illimité ; des raiders lourds, qui ne prennent pas part au combat, mais cherchent juste à faire aborder des centurions (et qui sont bien costauds…). Les raiders lourds cherchent toujours à se rapprocher des zones de débarquement. Pour ce qui est des raiders, leur comportement obéit à cette grille : «  Attaquer un viper dans sa zone (sans personnage à bord si possible). 2° Détruire un vaisseau civil dans sa zone (au choix du joueur actif). 3° Se déplacer vers le vaisseau civil le plus proche (en cas d’égalité, déplacement dans le sens horaire. 4° Attaquer le Galactica. » Quant au combat, rien de bien compliqué : il suffit de jeter 1D8, et de se reporter à une table. Élémentaire, mon cher cylon. Idem pour les centurions débarqués, qu’on (ne) peut blaster (que) depuis le lieu « Arsenal » (et qui sont solides).

 

 Tout ça nous donne un jeu aux règles finalement très simples, mais d’une richesse assez exceptionnelle. L’ambiance de parano qui règne est très réussie, et quant à l’atmosphère de crise permanente, n’en parlons même pas… Battlestar Galactica – le jeu de plateau est donc une vraie réussite, un vrai bon jeu, et pas un simple bâclage développé à partir d’une licence juteuse. Chaudement recommandé par Nébal.

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"L'Edition sans éditeurs", d'André Schiffrin

Publié le par Nébal

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SCHIFFRIN (André), L’Édition sans éditeurs, traduit de l’américain par Michel Luxembourg, [s.l.], La Fabrique, 1999, 94 p.

 

Et le Nébal de poursuivre ses lectures éditoriales, cette fois avec un tout petit ouvrage, paru chez les ultra-gauchiss’ de La Fabrique. L’Édition sans éditeurs. Un titre qui peut prêter à confusion, tant il est susceptible de revêtir plusieurs sens (surtout chez des ultra-gauchiss’) ; et un titre qui, en l’occurrence, a été « emprunté » à un article de Jérôme Lindon paru dans Le Monde du 9 juin 1998. Mais l’essai n’est pas de Jérôme Lindon, mais d’André Schiffrin, lequel, pour avoir un prénom éminemment français, n’en est pas moins Américain.

 

Explication. André Schiffrin est le fils de Jacques Schiffrin, fondateur de La Pléiade. Au début, celle-ci était une maison d’édition indépendante, puis elle est devenue une prestigieuse collection au sein de la maison Gallimard (j’avais eu rapidement l’occasion d’en parler à l’occasion de la biographie de Gaston Gallimard par Pierre Assouline). Mais, pendant la deuxième guerre mondiale, Jacques Schiffrin, Juif d’origine russe, dut s’exiler. Il partit, avec d’autres émigrés, à New York. Et, pour des raisons de santé, il n’en revint jamais…

 

Là-bas, il fit la rencontre d’un autre exilé, Kurt Wolff, qui avait fondé une petite maison d’édition du nom de Pantheon Books. Il s’associa bientôt avec lui, et les deux hommes commencèrent à publier des auteurs allemands et français « résistants » ainsi que des classiques. Puis, rapidement, ils se virent offrir davantage d’opportunités, notamment avec la collection « Bollingen » accueillant les œuvres de Jung et de ses disciples. Et il y eut également d’autres grands succès, comme par exemple la traduction du I Ching, ou celle du Docteur Jivago de Boris Pasternak.

 

En raison de problèmes de santé, Jacques Schiffrin resta à New York après la fin de la guerre ; il y mourut en 1950 d’emphysème pulmonaire.

 

Son fils André travaillait également dans l’édition, tout d’abord à la New American Library, qui avait succédé aux Etats-Unis à Penguin Books. Son slogan était « de bons livres pour le plus grand nombre » (p. 24), et, à en croire l’auteur, ce n’était pas une imposture.

 

Mais il fut ensuite contacté, en 1961, pour travailler à Pantheon Books, accepta et y arriva au début de 1962. La maison était dans un sale état, mais on lui avait donné carte blanche pour redresser la situation. Ce qu’il fit, en commençant par publier des ouvrages pourtant très sérieux, notamment d’histoire dans une perspective marxiste, puis des œuvres de Foucault, et d’autres auteurs français tels que Edgar Morin, Georges Balandier ou Georges Duby, mais aussi les ouvrages les plus récents de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, ainsi que de Marguerite Duras (L’Amant inclus, qui fut un best seller).

 

Jusqu’ici, tout allait bien dans le meilleur des mondes possibles. Mais le marché allait s’introduire dans l’histoire, et entraîner un véritable fiasco…

 

Pantheon Books faisait partie du groupe Random House, et, au moins, ne lui faisait pas perdre d’argent. Mais Random fut racheté par le géant de l’électronique et du divertissement RCA, dans une grande vague d’opérations similaires au même moment. Mais, très vite, RCA pensant avoir fait une mauvaise affaire, décida de vendre Random, qui fut racheté par le « tycoon » S.I. Newhouse. Celui-ci ne manqua pas de multiplier les assurances formelles quant à la pérennité du groupe et son indépendance… mais la réalité devait vite démentir cette fiction. S.I. Newhouse se révéla en effet être une sorte de grand patron à la Murdoch, et instaura très vite une politique du chiffre à Random, surtout à partir du moment où il nomma à sa tête Alberto Vitale, un homme qui se disait lui-même « trop occupé pour ouvrir un livre »… Il s’agissait désormais pour chaque titre d’être bénéficiaire. Parallèlement, des avances énormes étaient octroyées à des auteurs de best sellers pour les fidéliser. Le démantèlement de Pantheon Books semblait se préparer dans l’ombre. André Schiffrin et ses amis menacèrent de démissionner en bloc, ce qui entraîna un concert de protestations, et obligea pour un temps S.I. Newhouse à faire marche arrière et à publier des chiffres fantaisistes. Mais les faits étaient là : Random avait considérablement perdu de sa valeur, et en son sein Pantheon également. Et Random fut finalement racheté par le groupe Bertelsmann, dont la politique ne fut guère meilleure, exigeant des bénéfices impensables.

 

Aussi André Schiffrin alla-t-il voir ailleurs – il quitta Pantheon en 1990 –, et fonda une maison d’édition sans but lucratif, The New Press. Et l’ouvrage de se conclure sur une apologie des petites maisons d’édition, montrant tout leur potentiel – ce qu’il avait déjà fait auparavant avec Pantheon – tout en reconnaissant leurs limites, après avoir dénoncé le système de « l’édition sans éditeurs » tel qu’il est pratiqué par les grands groupes qui ne songent plus qu’au profit immédiat.

 

Or, ce que montre André Schiffrin, et avec des arguments assez intéressants, c’est qu’à agir ainsi, ces grands groupes courent à leur perte : l’expérience du rachat de Random par S.I. Newhouse l’a bien montré ; en l’espace de quelques années, cette politique du profit immédiat sur chaque titre a entraîné une baisse considérable du chiffre d’affaires ; parallèlement, le système des avances faramineuses aux auteurs de best sellers est à même de noyer en un rien de temps une entreprise jusqu’alors florissante…

 

Mais, au-delà, cette « édition sans éditeurs » dissimule toute une idéologie qui a bien d’autres effets pervers, et notamment une certaine collusion avec le pouvoir – illustrée par exemple par le cas Murdoch – qui aboutit à un véritable contrôle de la parole (c’est le titre de « la suite »), et même, autant le dire, à une authentique censure… qui vient se rajouter à une autre forme, plus pernicieuse, de censure, celle du marché. Enfin, ce système a également des répercussions sur les réseaux de distribution, et les petites librairies en souffrent également.

 

Le bref essai d’André Schiffrin, d’une lecture agréable, se montre dans l’ensemble très convaincant. En partant de son expérience personnelle, l’auteur argumente assez solidement pour aboutir à des conclusions qui semblent difficilement contestables. Son attaque des grands groupes tient assurément la route, si son apologie des petits éditeurs peut paraître parfois un brin utopique. Car il y a bien un brin d’utopie dans tout cela, une certaine confiance en l’homme que je ne suis pas certain d’éprouver (« les lecteurs n’ont pas disparu, il suffit d’aller les chercher », p. 81 ; je voudrais le croire, mais…) ; je reprocherai en même temps à l’auteur une certaine tendance au moralisme, parfois, qui peut être un tantinet agaçante.

 

Il n’en reste pas moins que L’Édition sans éditeurs est bien, comme le proclame haut et fort la quatrième de couverture, « un ouvrage révélateur et salutaire, indispensable pour ceux qui considèrent le livre comme autre chose qu’un « produit » et souhaitent le maintien d’une édition et d’une librairie indépendantes ».

 

 « À suivre » (façon de parler, bien sûr) avec Le Contrôle de la parole, qui semble s’intéresser plus spécifiquement au cas français.

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"Ilya Mouromets et autres héros de la Russie ancienne"

Publié le par Nébal

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Ilya Mouromets et autres héros de la Russie ancienne, textes traduits du russe par Viktoriya et Patrice Lajoye, présentation par Patrice Lajoye, Toulouse, Anacharsis, coll. Famagouste, 2009, 170 p.

 

Voilà exactement le genre d’ouvrages à côté duquel je serais passé en temps normal. Petit éditeur toulousain mais néanmoins obscur, thème non moins obscur… Par contre, regardez, là, en tout petit : « textes traduits du russe par Viktoriya et Patrice Lajoye »… Eh, mais on les connaît, ces deux-là ! Ensemble, ils ont commis Dimension Russie (c’est bon, mangez-en) ; la dame a révisé les traductions des romans des frères Strougatski parus chez Denoël dans la collection Lunes d’encre (Il est difficile d’être un Dieu, Stalker et L’Île habitée) ; et le monsieur avait commis Dimension URSS, et fréquente assidûment les forums consacrés à « l’excellente mauvaise littérature » dont parlait George Orwell. C’est de suite plus engageant.

 

Or il se trouvait que le camarade Lajoye devait venir à Toulouse présenter ce petit ouvrage dans une librairie que je ne nommerai pas pour ne pas faire de publicité aux frères Floury, et le lendemain à la Cinémathèque de Toulouse à l’occasion de la projection du film Le Géant des steppes, inspiré des mêmes légendes. Je me suis bien évidemment rendu à la librairie, désireux de me faire dédicacer tant qu’à faire mon exemplaire de Dimension Russie (c’est bon, mangez-en), et me suis procuré au passage cet Ilya Mouromets et autres héros de la Russie ancienne, tant la présentation du camarade Lajoye m’avait convaincu (davantage, dois-je dire, que la lecture d’extraits par un comédien, mais bon, ça, ça n’engage que moi…).

 

Ilya Mouromets et autres héros de la russie ancienne. De quoi s’agit-il donc ? Eh bien, d’un recueil de bylines. Ah. Mais encore ? Eh bien, les bylines sont des chants épiques russes faisant référence à un passé lointain et magique, et qui ont longtemps été proscrits par le pouvoir central et l’Église orthodoxe, ce qui les a relégués aux confins de la Russie ; on les a rapprochées des chants épiques des Slaves du Sud ou des chansons de geste françaises. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle qu’on a commencé à s’y intéresser vraiment et à les collecter, et on en a alors relevé plus de 3000, conservées par la mémoire orale (avec les variantes que cela suppose). Il en existe de plusieurs sortes : il y a des bylines « historiques », mettant en scène des personnages réels (jusqu’à Napoléon… ou Lénine !), ou d’autres « mythologiques », mettant en scène des puissances surnaturelles ; et il y a enfin celles qui occupent le plus gros de ce recueil, les bylines du « cycle kiévien », « axées autour du prince Vladimir – dont le nom évoque les souverains qui régnèrent sur Kiev au Moyen Âge, entre le Xe et le XIIe siècle –, souvent surnommé « Beau Soleil » ou « Rouge Soleil » (pp. 8-9), et qui composent un équivalent russe du cycle arthurien, ou de la figure de Charlemagne.

 

Le recueil est divisé en deux parties, la première consacrée à Ilya Mouromets, le plus fameux héros de bylines (elle en contient sept), la seconde évoquant quelques autres héros, généralement du « cycle kiévien » (onze bylines). Je ne vais pas rentrer dans le détail des bylines, ce qui serait inutilement fastidieux. Contentons-nous donc de dégager quelques grandes lignes.

 

Et tout d’abord concernant le « vieux cosaque » Ilya Mouromets, désigné ainsi car natif de « la ville glorieuse de Mourom » (p. 19). C’est le héros par excellence, le plus puissant des bogatyrs. D’origine paysanne, il est longtemps apathique, et ne devient un héros que sur le tard. Mais quel héros ! Il est d’une force herculéenne, et triomphe de tout ; il est le défenseur de la Sainte Russie contre tous les « Tatars », entendre par-là les païens, quels qu’ils soient ; mais il est aussi celui qui n’hésite pas à contredire, voire à critiquer vertement, son maître le prince Vladimir (qui le mérite bien, mais on y reviendra) ; et, en définitive, il deviendra un saint : Ilya Mouromets fut canonisé au XVIIe siècle ! C’était pourtant un rude gaillard, qui avait bien du sang sur les mains – y compris celui de sa propre fille –, quand bien même il aurait fini sa vie comme moine… Mais au fil des bylines qui lui sont consacrées, nous le voyons sous différentes facettes, du début de sa carrière de bogatyr à sa retraite avec les autres héros dans les poches du géant Svyatogor (dont ils sont supposés sortir, à la suite de saint Michel et de saint Georges, pour libérer la Russie de l’Antéchrist, c’est-à-dire du communisme, p. 83…). Nous le voyons capturer Soloveï, le « rossignol » ; combattre Idolichtche (le nom est assez éloquent) à Iérosolim (Jérusalem), ou encore hésiter entre trois destins : la mort, le mariage ou la richesse…

 

Mais, si Ilya Mouromets fait figure de premier des héros, les autres ne sont pas forcément en reste, et les bylines qui leur sont consacrées sont également fort intéressantes. La plupart appartiennent au « cycle kiévien », et plusieurs d’entre elles obéissent à un même schéma. Souvent, le prince Vladimir donne un banquet, et tout le monde de se vanter, sauf le bogatyr auquel est consacré la byline ; alors Vladimir, plus ou moins sottement, lui donne l’occasion de se vanter en accomplissant un acte parfois fort simple (aller chasser), parfois héroïque, parfois méprisable. Car il n’y a pas que du beau monde dans ces bylines, en témoigne notamment celle intitulée « Danilo Lovtchanine et sa femme », très belle – et relativement « courtoise » –, et qui est à vrai dire la seule où l’on trouve un personnage féminin véritablement digne.

 

(Message personnel : Cachou, toi qui parlais de misogynie, ben, là, tu vois, oui…)

 

Dans cette byline, le personnage de Michatotchka Poutianine est une belle ordure. Mais c’est aussi le cas, dans la dernière byline, de l’odieux Dobryniouchka Nikititch – la conclusion est passablement atroce, dans le genre, même si elle devait sembler morale aux auditeurs d’antan !

 

(Re-message personnel : Tiens, là, par exemple…)

 

Heureusement, tous ne sont pas ainsi : Danilo Lovtchanine, donc, est un personnage tout ce qu’il y a de respectable, et il n’est pas le seul.

 

Mais, parallèlement, on avouera qu’on a affaire dans l’ensemble à une belle brochette de psychopathes (en témoigne dès la première byline de cette seconde partie Volkh Vseslavievitch…).

 

Quoi qu’il en soit, tout cela se révèle passionnant à lire… pour qui n’est pas rebuté par les archaïsmes et les très nombreuses répétitions que la forme très particulière de ces chants épiques suppose. Pour ma part, cela ne m’a en rien gêné (mais, rappelez-vous, je suis un admirateur fanatique du Roman de Renart, aussi, alors bon…). Il y a cependant une chose qui m’a franchement perturbé, et dont je ne sais pas si c’était un choix éditorial judicieux : il s’agit de la concordance des temps ; dans une même phrase, on passe très souvent du passé au présent puis de nouveau au passé, ce qui jure franchement. Peut-être la traduction littérale l’exigeait-elle, mais la beauté de la langue y a perdu…

 

 Quoi qu’il en soit, je suis ressorti comblé de la lecture de cet Ilya Mouromets et autres héros de la Russie ancienne. Je n’ai qu’un seul regret dans tout ça : ne pas avoir pu voir Le Géant des steppes, tout ça pour préparer des #%$! de dossiers qui n’ont finalement servi à rien…

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"Gaston Gallimard. Un demi-siècle d'édition française", de Pierre Assouline

Publié le par Nébal

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ASSOULINE (Pierre), Gaston Gallimard. Un demi-siècle d’édition française, Paris, Balland – Éditions du Seuil, coll. Points – Biographie, [1984] 2001, 534 p.

 

« Pourquoi Gallimard ? Parce qu’il fut unique et exceptionnel.

 

« Certes, de grands éditeurs, il y en eut d’autres et non des moindres. Mais de tous ceux qui s’étaient lancés dans cette aventure au cours de la première décennie du siècle, il fut certainement le seul, au soir de sa vie, à pouvoir se permettre de feuilleter l’épais catalogue de sa maison d’édition en se disant : la littérature française, c’est moi. »

 

C’est sur ces mots définitifs que s’ouvre, page 9, l’imposante biographie de Pierre Assouline consacrée au géant de l’édition française que fut Gaston Gallimard. « La littérature française, c’est moi. » Rien que ça ! Mais c’est que cette réputation, finalement, n’était guère usurpée, et que le bonhomme l’acquit de son vivant même à l’international. Le pire étant que Gallimard, ce n’était en outre pas que la littérature française, mais aussi une part non négligeable de la littérature étrangère « de qualité » en France…

 

Bref : Pierre Assouline, avec sa biographie, s’attaque à un gros morceau de l’édition française ; un demi-siècle, nous dit-il, en gros ; et pas seulement Gallimard, loin s’en faut, puisqu’il a le bon goût de s’intéresser également à ce qui se passe tout autour.

 

La biographie est divisée en un avant-propos et dix « époques », qui constituent autant de chapitres de longueur très variable.

 

On ne s’attardera guère sur la première époque, 1881-1900, qui nous présente la jeunesse de l’auteur. Tout juste évoquera-t-on rapidement le conflit latent avec son rentier de père, et ses études interrompues au baccalauréat. Et une rencontre importante sur les bancs du Lycée Condorcet : celle de Roger Martin du Gard.

 

La période 1900-1914 est déjà autrement riche : Gallimard, jeune dandy, y fait la rencontre de Proust vers 1907-1908. Mais surtout, tout commence avec la Nouvelle Revue Française (NRF), revue littéraire et critique fondée en 1909 sous le patronage d’André Gide (après un faux départ en 1908). Très vite, la revue, qui deviendra rapidement prestigieuse, entend se doter d’un « comptoir d’édition » ; et, en 1910, elle engage pour le gérer Gaston Gallimard, qui apporte le capital avec Gide et Jean Schlumberger. Gallimard, du jour au lendemain, devient éditeur, et, à l’enseigne de la NRF, commence à publier des ouvrages, dont certains de son ami Roger Martin du Gard. La société diversifie bientôt ses activités, et, en 1913, Gallimard est également nommé administrateur du théâtre du Vieux-Colombier qui vient d’être créé.

 

Troisième époque, 1914-1918. C’est la guerre. Gallimard craint la mobilisation. Elle le terrifie, le rend littéralement malade. Il cherche par tous les moyens à se faire réformer… et y parvient, puisque son état de santé s’aggrave en vérité, à tel point qu’il doit faire plusieurs séjours dans des sanatoriums. Mais, le conflit s’éternisant, l’angoisse s’accroît. Et Gallimard de s’inquiéter parallèlement pour ses amis partis sur le Front – certains, écrivains compris, y ont déjà perdu la vie – tandis qu’eux ne cessent de s’inquiéter pour lui, le planqué ! Mais Gallimard échappe à la guerre. En 1917, il accompagne même la troupe du Vieux-Colombier pour une tournée de propagande à New York. Puis, en 1918, il prend une décision capitale : il crée la librairie Gallimard, clairement distincte de la NRF, ce qui lui permet de se débarrasser des empiètements les plus gênants de certains indésirables, Gide en premier lieu, et de se poser enfin véritablement en tant qu’éditeur ; son frère Raymond le rejoint pour prendre en charge les questions de gestion.

 

Quatrième époque, 1919-1936. Une grande époque pour la librairie Gallimard, qui ne cesse de se développer, et va bientôt acquérir une mainmise incontestable sur les prix littéraires, et en premier lieu le Goncourt. L’importance de la librairie Gallimard et de l’austère NRF dans le paysage littéraire français va finir par déboucher, au début des années 1920, sur ce que l’on va appeler la « croisade des longues figures », violente campagne de presse à son encontre. C’est aussi l’époque de la grande rivalité entre Gallimard et Grasset, qui commence avec Proust, mais durera des années. Mais Gallimard, parallèlement, continue de diversifier ses activités : nouvelles revues (dont une consacrée au cinéma ; en 1933, il produit d’ailleurs le Madame Bovary de Renoir, avec sa maîtresse Valentine Tessier dans le rôle titre, mais c’est un four), et hebdomadaires à succès par le biais de ZED-publications, le plus célèbre étant incontestablement Détective. Et de nouveaux auteurs rejoignent l’écurie Gallimard : Malraux, Aragon, etc. Il rate par contre Céline, qui aboutit chez le jeune concurrent Robert Denoël…

 

Cinquième époque, 1936-1939. Léon Blum est un ami ; mais le projet de loi des socialistes sur l’édition fait jaser dans la profession, et Bernard Grasset monte aux créneaux… Ce n’est cependant qu’un entracte…

 

… avant le gros morceau, à mon sens la partie la plus passionnante de cette biographie, la sixième époque consacrée à la guerre et à l’Occupation, 1939-1944. Se pose un dilemme : l’éditeur est-il un entrepreneur comme un autre, ou pas ? A-t-il une responsabilité intellectuelle supplémentaire, du fait même de sa fonction ? Autrement dit, peut-il, doit-il exercer son métier sous la botte de l’occupant nazi ? Pour beaucoup, alors, la question ne se pose même pas… Grasset précède l’entrevue de Montoire, et engage la profession à collaborer avant même que la collaboration ne devienne la doctrine officielle de l’État français ! Les éditeurs, Gallimard compris, signent la « liste Otto », désignant les livres désormais interdits. Les éditeurs juifs – Nathan, Calmann-Lévy… – sont spoliés. La Propaganda allemande encourage les éditeurs à publier des textes pro-allemands, ou au moins des classiques allemands (c’est cette dernière voie que choisit judicieusement Gallimard, en éditant notamment Goethe à la Pléiade, maison d’édition rachetée et devenue collection prestigieuse avant-guerre). D’autres s’engagent bien plus avant dans la collaboration : Grasset, donc, mais aussi Denoël, qui publie les virulents pamphlets de Céline, ou encore – un best-seller à l’époque – Les Décombres de Lucien Rebatet. Chez Gallimard, c’est à la NRF que l’Occupation se fait sentir : exit Paulhan, le nouveau directeur est Drieu La Rochelle, qui sert de caution fasciste. Il en a pleinement conscience… Pendant ce temps, les « éditeurs résistants » (et donc clandestins) sont rares (on peut néanmoins citer les Éditions de Minuit, avec Vercors). Et le dilemme des éditeurs se pose également aux auteurs : peuvent-ils publier sous la botte des nazis ? Pour la plupart, il ne fait aucun doute que oui… Chez Gallimard, il y a de francs succès avec des écrivains que l’on qualifiera de « résistants » : Sartre avec Les Mouches, Huis-clos et L’Être et le néant ; Camus avec L’ÉtrangerPilote de guerre de Saint-Exupéry est par contre censuré… et apprend à Gallimard à se montrer un peu plus prudent. Toute cette partie (pp. 283-390) est véritablement passionnante de bout en bout.

 

Et la suite l’est également. Septième époque, 1944-1945 : la Libération, c’est-à-dire l’Épuration (pp. 391-429)… Gallimard s’en sort plutôt bien, de même, à vrai dire, que la plupart des grands éditeurs. Il a pour lui le soutien de nombreux « écrivains résistants », tels que Sartre, Camus ou encore Malraux. Seule pièce à charge : une lettre où il proclame « l’aryanité » de son entreprise. Parallèlement, on fait très vite le distinguo entre les éditions Gallimard et la NRF fasciste de Drieu… lequel se suicide. La NRF est interdite. Fin d’une époque… D’autres éditeurs ont moins de chance : l’affaire Grasset se prolonge, et si, finalement, l’éditeur s’en tire à bon compte, il en ressortira néanmoins durement atteint et profondément touché. Quant à Denoël, il sera mystérieusement assassiné avant son procès.

 

Huitième époque, 1946-1952. Les affaires reprennent (cela dit, elles n’étaient pas mauvaises sous l’Occupation…). De nouveaux auteurs apparaissent, de nouvelles revues aussi – il faut bien remplacer la NRF… Et de nouvelles collections : la « Série noire », notamment. La rivalité, maintenant, n’est plus avec Grasset, mais avec Julliard. Passé un certain temps, Gallimard « récupère » Céline. Puis, le temps passant, on pourra envisager une NNRF

 

Neuvième époque, 1953-1966. L’entrée du marketing dans l’édition. C’est l’époque des grandes concentrations, des éditeurs gloutons qui absorbent – Gallimard au premier chef (Denoël, La Table Ronde, le Mercure de France…).

 

Dernière époque, 1967-1975. Le conflit avec Hachette aboutit à la création de la Sodis et de Folio ; pas rien, quoi. Mais c’est surtout l’heure du bilan, et de la retraite, pour un vieil homme dépassé par les événements… Gaston Gallimard meurt à l’âge de 94 ans.

 

La biographie de Pierre Assouline tient du modèle du genre. Extrêmement documentée, très riche, elle est en même temps d’une lecture fluide et passionnante, et se dévore à vrai dire comme un savoureux roman du XIXe siècle, disons un Zola en moins austère, ou un Flaubert peut-être, riche en scènes de mœurs et en beaux portraits, en anecdotes croustillantes et en analyses judicieuses.

 

Mais, je le répète encore une fois, l’ouvrage vaut à mon sens surtout pour ses pages consacrées à l’Occupation et à la Libération, qui sont vraiment particulièrement intéressantes. Le dilemme soulevé est très complexe, et l’auteur a le bon goût d’éviter le manichéisme et les jugements à l’emporte-pièce. Il sait aussi – notamment dans ces pages – ne pas verser dans l’hagiographie, et montrer à quel point son personnage pouvait être double. Mais cela ne le rend que plus fascinant.

 

 Un bel ouvrage, indispensable à qui s’intéresse à l’histoire de l’édition en France.

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