Battlestar Galactica – le jeu de plateau
Je sais pas vous, mais moi, dans l’ensemble, j’ai plutôt bien aimé la série Battlestar Galactica. Oh, certes, elle n’est pas exempte de défauts – elle s’est même montrée particulièrement inégale – mais, dans l’ensemble encore une fois, j’y ai vu un plutôt chouette divertissement, assez bien ficelé et qui, avouons que ça ne gâche rien, en foutait plein la vue.
Et puis, au fil de ces quatre saisons, je me suis pris de sympathie pour cet univers, ces personnages… et surtout le principe même de la série : celui d’une humanité aux abois, qui s’est pris une énorme branlée d’entrée de jeu, et qui se retrouve traquée d’un bout à l’autre de la galaxie par un ennemi protéiforme et plus subtil, plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord.
Rappelons donc un peu le background. Il y a quelque temps de cela, l’humanité – mais bien loin de chez nous – a créé une « race » de robots, les cylons. Ceux-ci, comme de bien entendu, se sont retournés contre leurs créateurs, et une guerre s’en est suivie, que l’humanité n’a gagné que de justesse. Depuis, une trêve s’est instaurée. Mais les cylons ont brisé cette trêve, et lancé un assaut massif contre les douze colonies, anéantissant toute l’humanité ou presque. Il ne reste plus que quelques milliers d’humains survivants, rassemblés autour d’un unique vaisseau de combat, le Galactica commandé par l’amiral Adama. Sous son commandement – et celui de la présidente Laura Roslin, à bord du… Colonial One (eh eh) –, l’humanité va se lancer dans une quête folle : celle de la treizième colonie, une planète appelée la Terre. Mais les cylons risquent toujours de leur mettre des bâtons dans les roues, d’autant qu’ils ont changé. Il existe maintenant des cylons qui ont l’apparence d’être humains ; pire encore (et merci Philip K. Dick au passage), il existe des cylons qui n’ont même pas conscience d’être des cylons… pas encore, tout du moins. Bref, ça s’annonce mal pour les pauvres humains.
Le jeu de plateau inspiré de la série Battlestar Galactica nous propose de vivre cette épopée, soit dans le camp des humains, soit dans le camp des cylons. Et autant dire que, du côté des humains, le challenge est élevé…
Souvent, quand il s’agit de jeux développés à partir d’une licence, on est en droit d’avoir peur, et de craindre le bâclage. Mais pas cette fois. L'auteur, ici, Corey Konieczka, s'est parfaitement imprégné de l’esprit de la série, et a développé un jeu extrêmement riche, original et bien conçu, garantissant des heures de jeu tout à fait passionnantes.
Battlestar Galactica est un jeu pour trois à six joueurs, à partir de dix ans (disent-ils…), et dont les parties durent de deux à trois heures (mais on dépasse assez facilement cette limite, je trouve…).
Les joueurs incarnent chacun un personnage de la série, choisi parmi quatre catégories (sachant que l’on doit choisir son personnage dans la catégorie où il en reste le plus, sauf celle de « personnel », que l’on peut toujours prendre) : parmi les « chefs militaires », nous avons William Adama, Saul Tigh et Karl « Helo » Agathon (c’est probablement parmi ceux-là que sera choisi l’amiral, qui dispose de deux charges nucléaires, et choisit la destination lors de chaque saut ; j’y reviendrai) ; parmi les leaders politiques, nous avons Laura Roslin, Gaius Baltar et Tom Zarek (c’est probablement parmi ceux-là que sera choisi le président, qui peut utiliser les cartes « quorum », lesquelles autorisent diverses actions particulières) ; parmi les pilotes, nous avons Lee « Apollo » Adama, Kara « Starbuck » Thrace et Sharon « Boomer » Valeri (les pilotes sont les seuls à pouvoir aller dans l’espace à bord d’un viper, mais « Helo » le peut également) ; reste enfin le seul et unique membre du personnel, « Chef » Galen Tyrol. Chaque personnage a des caractéristiques particulières, qui décident des cartes de compétences qu’il va pouvoir tirer à chaque tour ; il a en outre une qualité permanente qui s’applique durant toute la partie, une qualité exceptionnelle qui s’applique une fois par partie, et un défaut permanent.
Au début du jeu, en fonction du nombre de joueurs, on établit le paquet « loyauté », qui va déterminer si le joueur est un humain ou un cylon ; par exemple, à trois joueurs, on fait un paquet comprenant cinq cartes « Vous n’êtes pas un cylon » et une carte « Vous êtes un cylon ». Au début de la partie, on en distribue une à chaque joueur : il est donc possible de commencer la partie avec uniquement des joueurs humains… ou pas. Par contre, les trois autres cartes seront distribuées à la moitié du jeu, lors de la phase « agent dormant » (j’y reviendrai). Là, on est sûr qu’il y aura un cylon parmi les trois joueurs… D’où la forme particulière du jeu, qu’on va qualifier de « semi-coopératif », ou, si vous préférez, de « coopératif paranoïaque » : tous les joueurs sont d’abord censés être unis contre les cylons, mais il est possible qu’il y ait dès le début un ver dans la pomme, et certain qu’il y en aura un au bout d’un moment… Restera alors pour les autres joueurs à l’identifier.
Le challenge est élevé pour les humains, disais-je. Ceux-ci n’ont en effet qu’une seule manière de remporter la partie, contre six moyens de la perdre (ce qui s’inverse bien entendu pour les cylons…). Les humains remportent en effet la partie s’ils arrivent à Kobol (bon, logiquement, ça devrait être la Terre, mais, hein, bon…), c’est-à-dire s’ils arrivent à parcourir huit distances en effectuant des sauts PRL (plus rapides que la lumière), sachant que la phase « agent dormant » a lieu à quatre distances. Ils ont par contre six moyens de perdre : si le carburant tombe à 0 ; si les rations tombent à 0 ; si le moral tombe à 0 ; si la population tombe à 0 ; si le Galactica est endommagé en six endroits ; si les troupes d’abordage (les centurions) arrivent à la case « défaite des humains ». Eh oui, quand même…
Voyons maintenant comment se déroule un tour de jeu. La première phase est celle de réception des compétences. Le joueur actif pioche autant de cartes de chaque couleur qu’il est inscrit sur sa fiche de personnage (sauf si c’est un cylon révélé, auquel cas il en pioche deux de son choix). Il existe cinq compétences différentes : politique, commandement, tactique, pilotage et ingénierie. Chaque compétence comprend seulement deux types de cartes, mais qui ont une valeur en points variable, pouvant aller de 1 à 5 (j’y reviendrai). Le joueur peut avoir jusqu’à dix cartes compétences en main (sauf « Chef », qui du fait de son défaut n’a qu’une main de huit cartes).
La deuxième phase est celle du mouvement. Le joueur déplace son pion où il veut sur le Galactica ou sur le Colonial One s’il est un humain ou un cylon caché (sachant que passer d’un vaisseau à l’autre implique de se défausser d’une carte compétence), ou bien d’un site cylon à l’autre s’il est un cylon révélé.
La troisième phase est la phase d’action. Le joueur peut activer le lieu où il se trouve, et faire l’action indiquer sur la case ; il peut faire une action propre à son personnage ou à son titre ; il peut enfin faire une action indiquée par une carte de compétence.
La quatrième phase est la phase de crise (qui correspond plus ou moins à la phase de mythe dans Horreur à Arkham). Le joueur actif tire une carte « crise », et la lit à voix haute. Il y a trois types de cartes « crise » : il y a tout d’abord les cartes « attaque des cylons » ; dans ce cas, on active les vaisseaux indiqués sur la carte (j’y reviendrai), puis on place les vaisseaux comme indiqué, et on tient compte s’il y a lieu de la règle spéciale ; il y a ensuite les « événements », qui donnent généralement un choix, soit au joueur actif, soit au président, soit à l’amiral ; il y a enfin les « tests de compétence ». Dans ce cas, la carte indique en haut à gauche une difficulté (par exemple, 11), suivie de couleurs de compétence (par exemple, jaune – politique –, vert – commandement –, rouge – pilotage) ; puis elle donne une réussite (généralement, « pas d’effet », mais c’est parfois quelque chose de positif), parfois un échec partiel (par exemple, « 8 + : – 1 en population »), et un échec (par exemple, « – 1 en moral et – 1 en population »). Dans ce cas, on commence par prendre deux cartes du « paquet destinée » face cachée (ce sont des cartes de compétence prises au hasard), puis les joueurs, chacun leur tour, jouent autant de cartes de compétence qu’ils le veulent, face cachée, après quoi on les mélange (afin de ne pas pouvoir déterminer qui a joué quoi…). Dans cet exemple, toutes les cartes jaunes, vertes et rouges compteront en positif, mais les cartes violettes et bleues compteront en négatif. Il suffit alors de calculer le résultat final, et de comparer aux résultats demandés par la carte. Du coup, s’il y a trois cartes négatives, vous pouvez être sûr qu’il y a un cylon dans le tas…
Les cinquième et sixième phases sont des prolongements de la phase de crise, qui n’ont pas nécessairement lieu. La cinquième phase est celle de l’activation des vaisseaux cylons : en fonction du symbole en bas à gauche de la carte de crise, les vaisseaux cylons agissent. Enfin, en bas à droite, s’il y a l’icône correspondante, on passe à la sixième phase, qui est celle de la préparation au saut : on avance le pion de la flotte d’une case sur l’échelle de préparation au saut ; quand il arrive au bout, la flotte saute automatiquement, l’amiral tire deux cartes « destination », et choisit où on va ; mais sur les deux cases précédentes, il est également possible de « forcer » le saut en activant la case « Contrôle PRL », mais il y a alors le risque de perdre de la population ; cela peut néanmoins être fort utile si l’on croule sous les forces ennemies...
Car à côté de tout ça, il y a bien entendu les combats spatiaux. Les humains disposent de trois types de vaisseaux pouvant être impliqués dans un combat (puisque le Colonial One ne l’est jamais, et les quatre raptors ne servent qu’aux missions d’exploration) : le Galactica lui-même, qui peut lâcher des vipers et en contrôler deux depuis la passerelle, tirer depuis le contrôle de l’armement, et comprend également les deux charges nucléaires de l’amiral ; les vipers, peu nombreux, mais pouvant être pilotés ou contrôlés depuis la passerelle ; et enfin les vaisseaux civils, qui ne sont que des proies (ils sont totalement incapables de se défendre). En face, les cylons ont trois types de vaisseaux : des basestars (il ne peut jamais y en avoir plus de deux en même temps), qui peuvent tirer sur le Galactica ou larguer d’autres vaisseaux ; des raiders, qui sont très fragiles mais en nombre illimité ; des raiders lourds, qui ne prennent pas part au combat, mais cherchent juste à faire aborder des centurions (et qui sont bien costauds…). Les raiders lourds cherchent toujours à se rapprocher des zones de débarquement. Pour ce qui est des raiders, leur comportement obéit à cette grille : « 1° Attaquer un viper dans sa zone (sans personnage à bord si possible). 2° Détruire un vaisseau civil dans sa zone (au choix du joueur actif). 3° Se déplacer vers le vaisseau civil le plus proche (en cas d’égalité, déplacement dans le sens horaire. 4° Attaquer le Galactica. » Quant au combat, rien de bien compliqué : il suffit de jeter 1D8, et de se reporter à une table. Élémentaire, mon cher cylon. Idem pour les centurions débarqués, qu’on (ne) peut blaster (que) depuis le lieu « Arsenal » (et qui sont solides).
Tout ça nous donne un jeu aux règles finalement très simples, mais d’une richesse assez exceptionnelle. L’ambiance de parano qui règne est très réussie, et quant à l’atmosphère de crise permanente, n’en parlons même pas… Battlestar Galactica – le jeu de plateau est donc une vraie réussite, un vrai bon jeu, et pas un simple bâclage développé à partir d’une licence juteuse. Chaudement recommandé par Nébal.