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"The Brief Wondrous Life of Oscar Wao", de Junot Diaz

Publié le par Nébal

The-Brief-Wondrous-Life-of-Oscar-Wao.jpg

 

DÍAZ (Junot), The Brief Wondrous Life of Oscar Wao, New York, Penguin Books – Riverhead Books, [2007] 2008, 349 p.

 

« Don’t judge a book by its cover », comme c’est qu’y disent. Parce que là, je me suis complètement planté. Je ne sais pas pourquoi, mais je m’étais fait une image complètement fausse de ce livre, premier roman (mais pas premier bouquin) de l’auteur américain d’origine dominicaine Junot Díaz, et qui hop, là, comme ça, tranquille, a décroché le prix Pulitzer (entre autres). L’adjectif « Wondrous » du titre doit y être pour quelque chose ; la rumeur aussi, peut-être.

 

Toujours est-il que je m’attendais à un bouquin fun.

 

Or pas du tout.

 

The Brief Wondrous Life of Oscar Wao, s’il fait sourire de temps à autre, est un roman fondamentalement tragique, avec des personnages tragiques, des situations tragiques et un dénouement tragique.

 

Là, vous êtes prévenus.

 

Mais du coup, je me demande où j’ai bien pu pêcher cette idée d’un bouquin fun… Sans doute cela vient-il du filtre « geek » : le « héros » du roman est un « nerd » complet, et le narrateur (généralement Junot Díaz lui-même, a priori) interprète le moindre événement à travers une grille de lecture faisant appel aux grands classiques de la sous-culture geek, SF et fantasy en tête (avec une nette prédilection pour Tolkien, citations à l’appui, et Dune), mais aussi comics, manga, jeux de rôles, etc. D’où cet exergue qui semble donner le ton :

 

« “Of what import are brief, nameless lives… to Galactus??

« Fantastic Four

« Stan Lee and Jack Kirby

« (Vol. I, No. 49, April 1966) »

 

Cet exergue est parfaitement justifié. Mais pas dans le sens « rigolo »… Disons-le donc d’ores et déjà : non, The Brief Wondrous Life of Oscar Wao n’a rien à voir avec, disons, un (bon…) épisode de The Big Bang Theory, sans les rires enregistrés, et dilaté sur 350 pages. Et c’est tant mieux, et bien plus juste.

 

Il est un point, cependant, où c’est bien le titre qui peut nous mettre en erreur : non, The Brief Wondrous Life of Oscar Wao (outre qu’on peut se demander où est vraiment le « Wondrous »…) ne nous conte pas uniquement la vie brève et merveilleuse d’Oscar Wao. C’est en fait toute sa famille qui y passe. Et, en filigrane, toute la République dominicaine.

 

À cause du fukú.

 

Le fukú, c’est une malédiction, dont on dit qu’elle a été traînée en Amérique en général, et en République dominicaine en particulier, par Colomb en personne. Ou plus tard par les négriers. Enfin, en tout cas, c’est une malédiction, qui s’étend sur des générations. Et la famille d’Oscar, depuis au moins trois générations, est méchamment touchée par le fukú (si on y croit…), ainsi qu’on aura l’occasion de le voir au fil des pages de ce roman.

 

Mais commençons avec Oscar (non, pas Wao ; ce n’est pas son nom de famille, mais une mauvaise blague…) : Américain d’origine dominicaine, obèse, nerd achevé, passionné de SF et de fantasy, a pour ambition de devenir le J.R.R. Tolkien dominicain (ou son E.E. « Doc » Smith, ça dépend des fois) ; a un sérieux problème avec les filles : craint d’être l’exception qui confirme la règle selon laquelle aucun Dominicain ne saurait mourir vierge… Un personnage pathétique, loser jusqu’au bout des bourrelets, dans lequel, je plaide coupable, je me suis volontiers reconnu plus qu’à mon tour…

 

Il faut également évoquer sa sœur Lola, la rebelle, la punkette, indépendante au possible, à bien des égards l’antithèse de son « Mister » de frère. Sa vie n’est pourtant pas de tout repos non plus, ainsi qu’elle en témoigne à l’occasion elle-même (à la première personne, prenant le relais du narrateur « Watcher » – sur la zone bleue de la Lune, bien sûr).

 

Et il faut surtout remonter le temps, d’abord pour évoquer la cruelle adolescence dominicaine de leur mère Beli, puis « l’erreur » de leur grand-père Abelard. C’est alors l’occasion de dresser un terrible tableau de la République dominicaine sous la brutale dictature de Trujillo et de ses sbires (ou, si vous préférez, du Mordor sous la botte de Sauron et de ses Nazgûls). Tableau d’autant plus effrayant qu’il sera une découverte pour bon nombre de lecteurs (ce fut mon cas – je ne savais rien de rien à ce sujet). Et là, le fukú prend tout son sens… et à vrai dire les petits ennuis d’Oscar et de Lola, du moins dans un premier temps, paraissent dérisoires en comparaison.

 

Jusqu’au retour d’Oscar en République dominicaine, où, malgré l’assassinat de Trujillo et la fin du règne du démon Balaguer, il reste encore bien des séquelles du passé…

 

Junot Díaz nous conte tout cela en collant au plus près de ses personnages, et en même temps en usant de ce fameux « filtre geek » que j’évoquais plus haut – l’effet de décalage est parfois surprenant, parfois drôle, jamais gratuit, généralement bien vu, y compris quand il s’agit de décrire les pires des horreurs. The Brief Wondrous Life of Oscar Wao est un texte d’une empathie rare, qui mérite d’être relevée. J’avais déjà noté plus haut la très grande facilité avec laquelle le lecteur peut s’identifier à Oscar, mais c’est vrai d’autres personnages, tous, non pas plus vrais que nature, mais d’une humanité simplement parfaite. Aussi leurs émotions sonnent-elles juste, et leurs actions de même. C’est cependant avec Oscar que Junot Díaz gagne la palme de l’empathie sans pathos et du sentiment sans sentimentalisme ; à tel point que cet enfoiré m’a (presque) tiré des larmes de détresse lors d’une scène bouleversante (je ne vous dirai pas laquelle), ce qui ne m’étais pas arrivé au moins depuis la fin des Mille et Une Vies de Billy Milligan de Daniel Keyes, voire, du même, depuis la fin de Des fleurs pour Algernon.

 

Mais justement, la fin, parlons-en. Un peu. Je ne vais bien entendu pas la dévoiler, mais de toute façon le titre est assez explicite : on se doute bien que ça finit mal. Mais ici, j’avoue que la toute fin m’a déçu, en évitant le désespoir total, et en infusant une légère dose de « you can get it if you really want » finalement très… ben, américaine, quoi. Dommage. Mais bon. Ce n’est pas pour une ou deux pages que je vais faire la fine bouche.

 

Parce que, vous l’aurez compris, The Brief Wondrous Life of Oscar Wao est bien un grand roman, très émouvant, remarquablement bien construit, doté de solides personnages et par ailleurs – last but not least – superbement écrit, dans une langue très originale et sonore, usant et abusant du « spanglish ». En VO, je vous avouerai que ça ne m’a pas facilité la lecture – moi y’en a rien connaître à l’espagnol –, mais que le résultat est généralement délicieux. Je n’ai absolument aucune idée de ce que ça peut rendre en français ; en tout cas, je plains les pauvres traducteurs…

 

 Bilan plus que satisfaisant, donc, pour cet étrange roman qui ne correspondait pas du tout à ce que je m’imaginais ; pas grave : c’était sans doute mieux comme ça.

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"J.G. Ballard. Hautes altitudes", de Jérôme Schmidt & Emilie Notéris (dir.)

Publié le par Nébal

J.G.-Ballard.-Hautes-altitudes.jpg

 

SCHMIDT (Jérôme) & NOTÉRIS (Émilie) (dir.), J.G. Ballard. Hautes altitudes, Alfortville, è®e, 2008, 216 p.

 

Ayé, voilà, ça n’a pas manqué : avec leurs conneries, là – à savoir le Bifrost spécial Ballard –, me voilà de nouveau atteint de ballardite aiguë. C’est malin ! Résultat immédiat, en attendant avec impatience la sortie (pour octobre normalement) du troisième et dernier tome de l’intégrale des nouvelles du génial auteur britannique, la lecture, enfin, d’Empire du Soleil et, ce qui va nous préoccuper aujourd’hui, de ce petit (trop petit, ça se lit vraiment très vite…) recueil d’essais qui traînait depuis quelque temps déjà dans ma volumineuse étagère de chevet (enfin, maintenant, c’est une commode) (vous savez tout).

 

L’ouvrage, petit, donc, mais fort joli car abondamment illustré, le plus souvent avec goût si ce n’est toujours avec pertinence, a été publié sous la supervision de Jérôme Schmidt, musicien et « co-animateur » d’Inculte (la revue et la maison d’édition), et d’Émilie Notéris, écrivain et plasticienne, ce qui explique sans doute le ton étrangement artisteux de leur introduction, « Dystopia » (pp. 7-11 ; où l’on voit décidément qu’il y a des cons partout, surtout p. 9). Pour continuer sur la forme, rapprochons-nous un peu… et là le bilan est moins glorieux : de nombreuses coquilles, et quelques traductions foireuses (j’ai vu passer un « caractère » pour « personnage », notamment…), émaillent le bouquin, qu’on aurait pu espérer davantage soigné.

 

Évacuons d’emblée le sympathique texte de Jacques Barbéri, « Slowing Apocalypse », hommage façon cut-up à Ballard, unique en son genre dans le recueil (on notera juste que, parmi ses « samples », il cite mal Kraftwerk ; un comble !). On peut alors en gros découper J.G. Ballard. Hautes altitudes en trois parties d’importance inégale : des entretiens, des articles de fond, et enfin un guide de lecture.

 

Commençons par les entretiens. À tout seigneur tout honneur, J.G. Ballard s’en voit accorder deux. Le premier, conduit par Jérôme Schmidt et datant de 2008 (« Shepperton 2008 », pp. 13-24), n’est que moyennement intéressant, en raison même de sa forme : c’est un peu l’auberge espagnole, un fourre-tout où le sage glisse ses maximes comme il peut, et c’est du coup un peu too much… Aussi y préfèrera-t-on l’entretien bien plus traditionnel mené par Stan Barets & Yves Frémion en 1977 (« Zones d’influence », pp. 27-37), et ce en dépit de son caractère nécessairement daté… Eh ! ma bonne dame, il semblerait bien qu’on ne puisse pas tout avoir… Victime suivante de l’Inquisition, David Cronenberg, essentiellement à propos de Crash, bien sûr, mais pas que (« Mécanique du désir », pp. 39-45) ; pas mal. Plus loin dans le recueil – zwoof –, ce sont deux confrères de Ballard qui passent sur la sellette : tout d’abord Bruce Sterling, qui livre probablement à Chris Nakashima-Brown l’intervention non ballardienne la plus intéressante du recueil, encore qu’elle ne soit sans doute pas exempte de contradictions internes (« Bruce Sterling face à Ballard », pp. 103-114) ; reste enfin Norman Spinrad, qui parle autant de lui que de Ballard, mais fait ça très bien (« À bras-le-corps », pp.147-155).

 

Passons maintenant aux articles de fond. Le premier, je dois l’avouer, m’a laissé plus que perplexe (« Suburbia. Du monde (urbain) clos à l’espace (suburbain) infini », pp. 47-64, texte publié à l’origine dans le catalogue de l’exposition du Centre Georges Pompidou Airs de Paris). Outre le fait que ce concept (intéressant en tant que tel) de « suburbia » me paraît difficilement généralisable (la situation ici et outre-Atlantique me semblant assez différente), j’ai tout simplement l’impression de ne pas vivre sur la même planète que le philosophe de formation Bruce Bégout. Mais il est vrai que je n’ai jamais vécu dans la « suburbia », seulement à la ville ou à la campagne (la grande oubliée de l’histoire) ; et que je fais partie de ces gens étranges qui n’ont ni voiture ni télévision. En fait, les seuls passages qui m’ont véritablement interpellé dans cet article sont ceux (fort brefs qui plus est)… où il cite Ballard, parfois à contre-emploi d’ailleurs. Pour le reste, j’ai eu une impression de sous-Houellebecq sans l’humour et la pertinence, mais en beaucoup plus pédant. Je passe, d’autant qu’on est à la limite du hors-sujet. Bien plus intéressant à mon sens, Rick McGrath en étonnera sans doute plus d’un avec « J.G. Ballard à propos de la ‘fiction expérimentale’ » (pp. 77-87) ; où l’on voit que l’auteur de La Foire aux atrocités, dès ses débuts en littérature, avait des idées révolutionnaires en la matière (bien plus, à vrai dire, que dans ce célèbre ouvrage !) ; cet article autorise le suivant, casse-gueule mais passionnant, l’enquête de David Pringle intitulée « Toi, moi et le continuum : à la recherche du roman perdu de J.G. Ballard » (pp. 89-101) : un exercice de haute-voltige, mais qui semble confirmé sur bien des points par l’auteur lui-même. On ne s’attardera par contre guère sur l’ultra journalistique (mais quoi de plus naturel pour un article du New York Times ?) « Légendes de l’obscurité » de Luc Sante (pp. 117-132), qui n’a pas grand-chose à faire dans ce recueil s’adressant de toute évidence à des lecteurs de Ballard relativement confirmés. Tout au plus mentionnera-t-on, pour le plaisir comme disent Julien et Herbert, cette anecdote dont l’authenticité me paraît plus que douteuse, mais bon (p. 128) :

 

« Lorsque Ballard l’envoya [il s’agit de Crash !] pour la première fois à son éditeur, les lecteurs de la maison d’édition retournèrent le manuscrit à leurs employeurs avec la mention suivante : « Cet auteur est bien au-delà de toute possibilité de traitement psychiatrique. NE PAS PUBLIER. » »

 

Ben tiens, à propos de Crash !, justement, Rick Poynor livre une étude assez intéressante sur les différentes couvertures (essentiellement anglaises) du roman (« Effondrement du donjon : les couvertures de Crash », pp. 135-145). Pas mal du tout.

 

Reste enfin « l’œuvre commentée », comme ils disent (pp. 157-208).

 

 

Mais c’est un bien grand mot pour quelque chose d’aussi inepte et bourré d’erreurs (parfois rigolotes : dès la première « fiche », Le Vent de nulle-part, 1961, « écrit en 1962 »…). Même « guide de lecture » me paraît contestable, surtout quand, à l’occasion, les « auteurs » se contentent de pomper les quatrièmes de couv’… Et hop ! Une cinquantaine de pages qui pourraient tout aussi bien filer directement à la poubelle.

 

Bilan ? Ben bof, bof, bof. Comme on peut virer « l’œuvre commentée » (et mon cul, c’est du poulet ?), on se retrouve avec un bouquin de 150 pages trèèèèèèèèès aéré pour 18 €. Pardon pour le matérialisme de bas étage, mais ça fait un peu mal au cul, quand même. D’autant que sur ces 150 pages, peu, somme toute, se révèlent vraiment intéressantes, au point de justifier un achat (les entretiens ne se montrant guère indispensables, s’il fallait en sélectionner, je parierais sur les articles de Rick McGrath et David Pringle, clairement les plus saisissants du lot… or ce sont des textes qui font un peu double emploi, et que l’on trouve en anglais sur rickmcgrath.com !). À l’époque de sa sortie, ce petit livre pouvait à la limite paraître utile au ballardien frustré qui sommeille en nous ; mais aujourd’hui, maintenant qu’il y a le Bifrost spécial Ballard… Vous allez dire que je suis de parti pris, j’imagine. N’empêche : le numéro spécial de la revue du Bélial’ est beaucoup plus intéressant et riche à mon goût ; et si son dossier Ballard ne fait « que » 75 pages (auxquelles il faut ajouter les 75 pages de nouvelles, cela dit), elles sont bien autrement denses et ciblées que celles de ce J.G. Ballard. Hautes altitudes, qui y est par ailleurs très gentiment chroniqué.

 

 Dans un vrai guide de lecture, certes non exhaustif, mais véritablement « commenté ».

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"Kull le roi atlante", de Robert E. Howard

Publié le par Nébal

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HOWARD (Robert E.), Kull le roi atlante, illustrations de Justin Sweet, traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrice Louinet, Paris, Bragelonne, 2010, 431 p.

 

Poursuite de la (re)découverte des œuvres de Robert E. Howard, cette fois avec ce beau volume (très) abondamment illustré consacré au roi Kull, que l’on pourrait en quelque sorte désigner comme l’arrière-arrière-grand-père de Conan. Kull, pour moi, outre un nom ridikull (pardon), ça a d’abord été un personnage de bandes-dessinées, et ce n’est qu’avec la parution de cet ouvrage qu’il m’a enfin été donné l’occasion de lire les textes que le barde de Cross Plains lui avait consacrés… dans sa jeunesse, ce qui n’est pas forcément rassurant, on l’a vu notamment avec Les Dieux de Bal Sagoth.

 

(Enfin, si, j’en avais lu un texte, mais j’y reviendrai…)

 

N’empêche : Kull, ce n’est pas rien. Et si Steve Tompkins (eh non, pas Patrice Louinet, pour une fois), dans son « Introduction » (pp.7-19), a l’honnêteté de reconnaître que Robert E. Howard, contrairement à ce que l’on croit souvent, n’a pas inventé avec Kull le genre sword’n’sorcery (il avait été précédé au moins par Dunsany), il n’en reste pas moins qu’il a bel et bien été un des pionniers et des piliers du genre, et a largement contribué à en dessiner les contours, d’abord avec Kull, plus tard avec Conan.

 

Contexte général : l’Âge Thurien, époque pré-cataclysmique qui est en gros à l’Âge Hyborien ce que celui-ci est à notre époque. C’était le temps de l’Atlantide et de la Lémurie, et surtout des Sept Empires. Car l’Atlantide, chez Howard, ce sont des barbares, et Kull en est un représentant éloquent. Mais pas typique, cela dit, car doué d’une intelligence et d’une ambition peu communes chez ses compatriotes ; aussi, quand ceux-ci l’exileront et qu’il échouera dans la décadente Valusie, il ne tardera pas à gravir les échelons, jusqu’à faire un coup d’État contre le tyrannique roi Borna, et devenir ainsi, lui le barbare atlante, roi de Valusie, le plus puissant des Sept Empires. Mais son règne n’est pas de tout repos, et la royauté est parfois pire que l’esclavage…

 

Si l’on excepte la première nouvelle, dont le titre a été donné par Glenn Lord, ainsi que les « fragments d’Am-Ra » en fin de volume (j’y reviendrai), toutes les nouvelles de ce recueil nous présentent donc un Kull roi de Valusie (différence essentielle avec Conan, que l’on fréquente à plusieurs étapes de sa carrière, et non uniquement à son « apogée », si tant est que ce terme soit approprié). Commençons donc par « Exilé d’Atlantide » (pp. 21-30), courte nouvelle où figure également un certain Am-Ra (oui, oui, j’y reviendrai !) ; pas grand chose à dire, en tant que tel, de ce texte qui ne constitue qu’une bien maigre introduction expliquant très vaguement l’exil de Kull, mais peignant déjà quelque peu son caractère rebelle.

 

Les choses sérieuses commencent avec « Le Royaume des Chimères » (pp. 31-82), première véritable nouvelle du roi Kull, première vendue à Weird Tales et publiée dans ladite revue. Et première franche réussite, autant le dire de suite, que cette longue nouvelle au canevas d’inspiration plus ou moins biblique (lire à ce sujet les développements toujours passionnants de Patrice Louinet dans sa postface, « Une genèse atlante », pp. 407-429). La nouvelle a ainsi un contenu allégorique marqué, ce qui ne l’empêche en rien d’être tout à fait palpitante et riche en action. On voit dès ce premier « véritable » texte apparaître Brule, le Tueur à la lance, l’ami picte de Kull, et on a de beaux ennemis avec les fameux hommes-serpents qui seront récurrents dans les BD de Kull (si mes souvenirs sont bons).

 

Deuxième texte, et deuxième réussite, encore que sur un mode nettement plus mineur, avec « Les Miroirs de Tuzun Thune » (pp. 83-97) ; la nouvelle est à nouveau riche d’introspection, et son contenu métaphysique vous saute littéralement à la gueule. Ce qui autorise à l’occasion quelques belles répliques (dont John Milius et Oliver Stone sauront se souvenir pour Conan le barbare), d’autres un peu plus faibles, voire d’une naïveté confondante. Reste que la nouvelle fonctionne assez bien, et a également été achetée et publiée par Weird Tales.

 

C’est après que les choses se gâtent… Et ce dès « Le Chat et le Crâne » (pp. 99-137), nouvelle qui ne manque pourtant pas d’atouts, mais sent trop le collage d’éléments disparates pour convaincre, voire l’artifice grossier… notamment, en l’occurrence, en ce qui concerne l’identité du meuchant, un certain Thulsa Doom…

 

Suivent plusieurs nouvelles fort courtes, et dans l’ensemble plutôt médiocres, même si la première d’entre elles, « Le Crâne hurlant du Silence » (pp. 139-150), est encore relativement correcte (en dépit de son Kull particulièrement crétin). « Le Coup de gong » (pp. 151-158) se la joue fable philosophique, un peu à la manière des « Miroirs de Tuzun Thune », mais, sans mauvais jeu de mots, avec beaucoup moins d’éclat.

 

Dans les deux textes suivants, Kull n’apparaît même pas, l’Âge Thurien constituant un simple cadre, et le roi atlante étant tout juste évoqué au passage. Pas grand-chose à dire de toute façon sur « L’Autel et le Scorpion » (pp. 159-166) et « La Malédiction du Crâne d’Or » (pp. 167-174), textes médiocres et ultra convenus.

 

On retourne à quelque chose de bien autrement intéressant avec « Par cette hache, je règne ! » (pp. 175-205), nouvelle shakespearienne où le bon roi Kull, survivant à un complot destiné à l’abattre, se mue en dictateur. La nouvelle en elle-même est correcte… mais on avouera qu’elle nous intéresse surtout en ce qu’elle constitue le brouillon de « Le Phénix sur l’épée », la première nouvelle de Conan, à mon sens bien autrement réussie. Je rejoins en outre Patrice Louinet sur l’interprétation qu’il fait de cette nouvelle, comme annonçant l’abandon prochain du personnage.

 

Suit une autre longue nouvelle, « Les Épées du Royaume Pourpre » (pp. 207-246), qui commence plutôt pas mal, mais devient de plus en plus mauvaise au fil des pages. On se dit, arrivé à la fin poussive, que Kull doit en avoir marre de jouer les agences matrimoniales…

 

Mon incapacité à apprécier la polésie m’empêchant de dire quoi que ce soit d’utile sur « Le Roi et le Chêne » (pp. 249-250 ; pp. 247-248 pour la version anglaise), je m’abstiendrai de tout commentaire.

 

Reste une dernière nouvelle, et, heureusement, c’est une réussite, en dépit de son côté nécessairement artificiel. Mais c’est une nouvelle que j’avais déjà lue (donc)… puisqu’elle figurait déjà au sommaire de l’excellent recueil consacré à Bran Mak Morn ! Je veux bien sûr parler de « Les Rois de la nuit » (pp. 253-298), improbable crossover réunissant le temps d’une bataille épique contre les légions romaines le héros picte descendant de Brule et Kull ressuscité à la tête d’une troupe de Vikings. Alors, oui, c’est totalement artificiel, mais on s’en fout : ça marche. Là encore, la nouvelle fut achetée et publiée par Weird Tales, et à bon droit ; les morceaux de bravoure ne manquent pas dans ce récit enlevé et tragique, une pièce de choix pour conclure le cycle de Kull.

 

Restent les appendices, comme d’hab’. Outre les habituelles versions de travail qui n’intéresseront vraisemblablement que les exégètes les plus acharnés, on y trouvera quelques textes inachevés qui méritent bien quelques remarques. Ainsi, le « Fragment sans titre, inachevé (Lala-Ah et Felgar) » (pp. 309-335), s’il débouche sur une impasse insoluble, contient d’assez beaux moments et est d’une lecture agréable. « La Cité noire (texte inachevé) » (pp. 369-372) est par contre trop court pour que l’on puisse en dire quoi que ce soit, si ce n’est que Brule semble y jouer un rôle majeur ; impression confirmée par le texte suivant, « Fragment sans titre (Ronaro atl Volante) » (pp. 373-377), où le Tueur à la lance décrit le système politique picte, ce qui n’est pas sans intérêt.

 

Suivent « Les Fragments d’Am-Ra » (pp. 385-406), soit plusieurs poèmes (dont au moins un qui pue sévère…) et récits en prose inachevés ou incomplets décrivant un héros préhistorique (vous vous rappelez de « Lance et croc » ? Brrr…) du nom d’Am-Ra, fondamental dans la genèse de Kull, à l’origine simple personnage secondaire, mais qui a pris le devant de la scène : c’est ce que l’on voit dans « Exilé d’Atlantide ». Pour de plus amples détails, je vous renvoie là encore à l’excellent Patrice Louinet. Notons que le nom d’Am-Ra reviendra plus tard dans l’œuvre d’Howard, sans la césure, pour désigner Conan.

 

 Bilan ? Plus que mitigé… Seules deux nouvelles valent vraiment le détour (trois en comptant « Les Miroirs de Tuzun Thune », un bon cran en-dessous ; quatre si on est bon prince avec « Par cette hache, je règne ! », m'enfin bon...), dont une figure également dans un autre recueil de bien meilleure qualité… Aussi, si Kull le roi atlante sera probablement une acquisition indispensable pour les fanatiques howardiens et pourra à la limite (je dis bien : à la limite) satisfaire les simples amateurs de Conan, je conseillerais plutôt aux autres de faire l’impasse sur ce volume… et éventuellement de se reporter sur l’excellent Bran Mak Morn.

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"Les Soldats de la mer", d'Yves et Ada Rémy

Publié le par Nébal

Les-Soldats-de-la-mer.jpg

 

RÉMY (Yves et Ada), Les Soldats de la mer. Chroniques illégitimes sous la Fédération, [Paris], Seghers – Pocket, coll. Science-fiction, [1968, 1980] 1987, 313 p.

 

Peut-être l’avez-vous remarqué, mais je suis d’un naturel plutôt francophobe. C’est bête, hein, mais c’est comme ça. Quand c’est français, je me méfie, d’instinct.

 

Et là…

 

Là, ce bouquin, il était tellement bon, que je n’en revenais pas qu’il soit français. Autant le dire tout de suite, en effet : avec Les Soldats de la mer d’Yves et Ada Rémy, on joue, comme trop rarement en France à mon goût, dans la cour des très grands, et cette fois le qualificatif de chef-d’œuvre ne serait pas usurpé comme il l’est trop souvent dans notre petit landernau (même si j’aurais une petite réserve, mais j’y reviendrai). C’est dire si ce bouquin m’a collé une baffe. Salutaire.

 

À plus d’un titre, d’ailleurs. Parce qu’elle intervient aussi dans le toujours pénible et fâcheux débat sur les étiquettes. En effet, les étiquettes, Yves et Ada Rémy semblent s’en contrefoutre, eux qui mélangent sans vergogne science-fiction, fantastique et ce que l’on n’appelait pas encore (en France en tout cas) fantasy dans cet étonnant recueil de nouvelles pour lequel la meilleure désignation, n’en déplaise aux culs serrés, restera celle d’imaginaire (à la limite avec un grand « I », comme la collection de Gallimard, dans laquelle Les Soldats de la mer, tous préjugés mis à part, ne feraient pas si tache que ça…). Alors, certes, Les Soldats de la mer, ça n’est probablement pas de la science-fiction selon la définition stricte du genre ; mais qu’est-ce qu’on s’en branle… On pourrait par contre, si on voulait, parler de « transfiction », dans la mesure où les frontières des genres sont ici sacrément floutées, mais bon, comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, cette notion ne m’apparaît que moyennement pertinente. Mais on s’en fout. On ne retiendra ici que l’essentiel : Les Soldats de la mer sont d’autant meilleurs qu’ils apparaissent inclassables ; aujourd’hui encore, ce recueil thématique est unique en son genre (pour ce que j’en sais tout du moins).

 

Le cadre : un monde très semblable au nôtre, si ce n’est qu’il a deux lunes et que ses villes portent des noms différents. L’atmosphère évoque un long Premier Empire, qui évolue peu à peu mais sans jamais trop s’éloigner de cette première base. Tout commence avec la création par les villes souveraines de Laërne, Lauterbronn et Ozmüde de la Fédération. Celle-ci ne manque pas d’ennemis, à l’intérieur comme à l’extérieur. Aussi le recueil sera-t-il focalisé sur la guerre et ses héros seront-ils tous ou presque des soldats, dragons, hussards, chevau-légers ou grenadiers… Il faut dire que la Fédération développe vite une politique expansionniste, pour ne pas dire impérialiste. Et c’est ainsi que, au fil des pages et des nouvelles, nous passerons de la première à la deuxième, troisième, quatrième et enfin cinquième Fédération, quand Torre Bianca, Libemoth, Durango et Doña Real rejoindront les trois premières villes ; ceci sans compter, bien sûr, les protectorats et colonies… Les nouvelles sont par ailleurs encadrées par des extraits de manuels destinées à les situer dans un cadre historique et géopolitique. Au fil des textes, c’est ainsi tout un monde que l’on voit se constituer. Et, en fait de recueil thématique, Les Soldats de la mer prend à vrai dire des allures de fix-up.

 

Mais ce monde a une autre particularité par rapport au nôtre : c’est la présence de la surnature. On y croise régulièrement, au fil des pages, des fantômes, des vam… pardon, des oupires et autres morts-vivants, on y trouve des passages entre les mondes, des forêts pétrifiées, des lacs sans fond, des îles ensorcelées, des dieux enfin… Chaque nouvelle explore ainsi un thème fantastique, et le recueil dans son ensemble creuse à peu près toutes les veines du genre, du simplement insolite ou du merveilleux à la terreur pure éventuellement saupoudrée de gore, en passant par la ghost story ou l’horreur vaguement lovecraftienne. Sur une gamme de tons par ailleurs très variée : si le style reste tout du long d’un certain baroque qui colle à l’atmosphère (mais peut rebuter, je le conçois), le ton peut passer d’un extrême à l’autre entre les nouvelles, tantôt gothiques ou romantiques, tantôt burlesques ou satiriques, etc.

 

Dix-sept récits composent Les Soldats de la mer, sachant que le dernier – la quatrième de couverture ne se prive pas de le préciser… – est à mettre un peu à part. Décortiquons brièvement.

 

Les choses commencent très bien, sous la Première Fédération, avec « Suicide par imprudence » (pp. 11-41), une très astucieuse et rondement menée variation sur le thème hautement classique du double. « Celui qui se faisait appeler Schaeffer » (pp. 45-56) est ensuite une histoire classique mais sympathique de château hanté, avec une belle atmosphère. « Mort pitoyable d’un oupire » (pp. 59-97) est une palpitante enquête policière sur le thème du vampirisme, avec une narration relativement originale ; capillotracté, mais très prenant. Je ne dirai pas grand chose de « Mon lieutenant, ne prendrez-vous jamais vos quartiers d’hiver ? » (pp. 101-111), si ce n’est pour louer l’atmosphère de ce joli petit texte. Une petite merveille ensuite avec « Enfants perdus, perdus » (pp. 115-134), joli morceau de terreur pure et de désespoir, avec en prime… mais non, chut ! « La Maison aux engoulevents » (pp. 137-147) introduit un point de vue féminin sur la guerre, et c’est joliment fait.

 

Un seul texte pour la Deuxième Fédération, mais brillant : « Les Soldats de plomb de Niccolo Pasini » (pp. 151-167) ; la narration est délicieuse, et l’histoire jubilatoire.

 

On passe à la Troisième Fédération avec « Verso d’ailleurs » (pp. 171-182), un texte définitivement so British, et très réussi de ce point de vue ; il en va de même pour le très court (mais la narration est originale) « Les Artilleurs de Cat-Valley » (pp. 185-188) : c’est prévisible de bout en bout, mais ça n’empêche pas de se régaler. « Olga Mensonge » (pp. 191-199) joue dans un tout autre registre, mi-grivois, mi-romantique, et c’est bien vu.

 

Quatrième Fédération : « Les Rogandins d’Argos » (pp. 203-220) est une superbe histoire de vengeance d’outre-tombe, avec pour fond les crimes de guerre, sans manichéisme pour autant. « Le Joueur de dames » (pp. 223-228) est sympathique, et remplace un joueur d’échecs de par chez nous, mais rien d’exceptionnel, cette fois…

 

Et on en arrive à la Cinquième Fédération : « Les Dogues de Tchangoon » (pp. 231-240), nouvelle sur l’inéluctable, m’a beaucoup fait penser à Lovecraft ; une réussite. « Chut ! mon lieutenant » (pp. 243-260) est à n’en pas douter une des nouvelles les plus originales et les plus terrifiantes du recueil, et figure donc parmi les meilleures ; aussi n’en dirai-je pas davantage, eh eh… « Dévouement posthume de Charles Tör » (pp. 263-266) est une hilarante petite nouvelle satirique, même si, en fait… eh eh, une fois de plus. Une réussite encore une fois, en tout cas. De même pour la très burlesque « La Seconde Carrière du général des Fosses » (pp. 269-279) ; je ne résiste pas à l’envie de vous en citer un passage (pp. 275-276) :

 

« – Qu’est-ce que vous avez aujourd’hui, mon garçon ? Je ne vous ai jamais connu si agressif.

« – Je suis las, général. Trop de batailles. Trop de shakos dans les fossés, trop de talpacks sur les eaux des marais, trop de casques dans les champs, trop de bonnets ensanglantés, et des toques et des casquettes et des képis et des chevaux morts et des équipages ruinés. La guerre est triste.

« – La guerre est belle.

« – La guerre est triste.

« – Silence, mon garçon ! Je suis un petit bonhomme graisseux et probablement assez dégoûtant. Je suis habillé comme un paltoquet et vous qui avez l’élégance d’un épouvantail, n’en manquez certes pas à mes côtés mais je connais la beauté des bataillons en marche, la grandeur d’un escadron qui charge, l’incomparable, le vertigineux décor de la guerre.

« – Je connais aussi les quatre armées qu’elle laisse sur ses champs de bataille, une armée de morts, une armée de pleureuses, une armée de bandits et une armée de pauvres.

« – De qui vous moquez-vous ? L’incendie est-il moins beau parce qu’il laisse des cendres et des ruines ? Êtes-vous souffrant pour ne plus apprécier un lancier qui charge, fer pointé ? Êtes-vous devenu si las pour ne plus admirer le plus grandiose spectacle que les hommes se soient jamais offert ? N’avez-vous donc jamais assisté dans une courtine au fabuleux galop des ennemis tournoyant autour d’un fortin, dans un paysage gris, boueux, avec des nuages qui écrasent les hommes comme des punaises dans les champs, et ce galop et ces hurlements, ces coups de feu qui lâchent une bordée de fumée, ce sifflement brut des balles et l’impact du plomb dans les sacs de sable ou sur les pierres de remblai ?

« – Ou dans les corps, général.

« – Quoi, dans les corps ? Évidemment ! Il faut bien qu’il en tombe le plus possible, faute de quoi ils deviendraient tous des anciens combattants. Sont-ils déjà assez nombreux, ceux-là ! »

 

Reste « Fondation » (pp. 283-314). Et là, mon sentiment est partagé. Dans un premier temps, la nouvelle fonctionne assez comme « Chut ! mon lieutenant », et, si cela lui confère un air de déjà-vu, cela ne l’en rend pas moins efficace ; mais c’est la toute fin qui me pose problème. En effet, elle vient tout expliquer. Tout. Absolument tout. Le titre du recueil, la Fédération, les deux lunes, et chaque nouvelle. Et j’avoue avoir trouvé ça un peu too much, et à vrai dire pas nécessaire. Peut-être s’agissait-il d’essayer de tirer le recueil vers la SF en définitive (mais bon, avec toute la magie qui traîne malgré tout, ça ne convaincra pas grand monde…) ? Mais était-ce vraiment indispensable ? Pour ma part, je ne le pense pas. Non, je pense plutôt que le recueil aurait gagné à rester dans le mystère, le non-dit, qui se suffit très bien à lui-même. Cette volonté de tout vouloir expliquer me paraît nuisible, et à vrai dire absurde. À mon sens, ces sept ou huit dernières pages – c’est tout ! – sont la seule chose qui empêchent Les Soldats de la mer de prétendre totalement au statut de chef-d’œuvre, c’est là le seul bémol que j’y mettrais. Un bémol bien mince, on le voit… Alors, on peut bien mettre un voile pudique là-dessus, faire comme si on n’avait pas lu ces dernières pages, ou comme si on les avait trouvées plus convaincantes et effectivement nécessaires, et allez, hop : chef-d’œuvre.

 

Hop, vous dis-je.

 

Hop !

 

Demi-tour, droite ! En avant, marche ! Pour la plus grande gloire de la Fédération !

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Pub copinage : "Bifrost", n° 59. "J.G. Ballard : autopsie d'un monument..."

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Bifrost, n° 59. J.G. Ballard : Autopsie d’un monument…, Saint Mammès, Le Bélial’, juillet 2010, 191 p.

 

Bon, ayant participé – même si ce n’est qu’un chouia – à la chose, il ne me paraît pas honnête d’en faire un compte rendu…

 

Donc je vais faire ma feignasse, et me contenter de rappeler que s’y trouvent trois de mes comptes rendus : ensemble Stalker et L’Île habitée des frères Strougatski (pp. 99-101), et À travers temps de Robert Charles Wilson (pp. 103-105).

 

 

 Hop.

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"Du néant de la vie", d'Arthur Schopenhauer

Publié le par Nébal

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SCHOPENHAUER (Arthur), Du néant de la vie, traduit de l’allemand par Auguste Dietrich, postface de Didier Raymond, Paris, Fayard – Mille et une nuits, [1906] 2004, 78 p.

 

Ah, Schopenhauer ! Le philosophe du pessimisme ! Avec une signature pareille, je ne pouvais que m’y intéresser, vous pensez bien. Je cite (de mémoire, hein) : « La vie oscille tel un pendule entre souffrance et ennui. » La classe. Alors, logiquement, lors de mes émois existentialistes adolescents, je me suis tout naturellement attelé à la lecture du Monde comme volonté et comme représentation.

 

Inutile de préciser que je n’y ai rien panné (mais alors rien du tout).

 

Mais j’en ai quand même retenu ceci : l’influence déterminante de Schopenhauer sur Nietzsche, puis sur Freud, à travers son concept de « vouloir-vivre », et plus précisément son idée du primat de la volonté sur l’intellect.

 

Un de ces jours, il faudra que je m’y remette, au Monde comme volonté et comme représentation, voir si mon esprit un peu mieux configuré (?) est plus à même d’y saisir quelque chose. Mais en attendant, j’avais envie de retrouver Schopenhauer par quelque chose de moins impressionnant, de plus petit (car ce qui est petit est joli), d’où ma lecture de cet opuscule à la zoulie couverture qui traînait depuis fort longtemps dans mon étagère de chevet.

 

(Au passage, toujours dans la même collection et du même auteur, j’avais pu lire le jouissif L’Art d’avoir toujours raison, belle adaptation contemporaine des principes de la sophistique, ou, comme préférait le dire l’auteur, de la dialectique éristique).

 

Sous le titre, plus ou moins trompeur, Du néant de la vie, il s’agit en fait d’un recueil de deux brefs essais initialement publiés dans le chapitre « Sur la religion » des Parerga & Paralipomena (ce nom !), le dernier grand ouvrage de Schopenhauer, et celui qui lui a permis (enfin !) d’accéder à la célébrité. Précision utile, sans doute, car on pourrait autrement s’étonner de la direction prise par l’auteur dans les dissertations qui vont suivre…

 

Inutile de dire, d’ailleurs, que je n’y ai rien panné.

 

Enfin, si, un peu.

 

Bon, bref, je vais essayer de vous rapporter ce que j’ai cru en comprendre, en espérant ne pas dire trop de conneries.

 

Commençons donc avec « Sur la doctrine de l’indestructibilité de notre être réel par la mort », à mon sens le plus complexe et le plus perturbant de ces deux essais. L’idée essentielle repose sur la distinction classique depuis Kant entre le phénomène, connaissable, et la chose en soi, inconnaissable. Pour Schopenhauer, la vie telle que nous la concevons n’est qu’une manifestation du vouloir-vivre, commune à tous, y compris aux animaux, et par-là même un phénomène, et non la chose en soi. Aussi la peur de la mort est-elle absurde – quelle que soit par ailleurs la valeur accordée à la vie, mais on y reviendra –, car celle-ci ne consiste pas en la destruction de l’être réel, mais en sa transformation. Transformation qui peut d’ailleurs être, pour ce que j’en ai compris (ou ce que j’ai cru en comprendre…) prolongement ou continuation, que ce soit sous la forme de la reproduction, ou de manière plus « intègre » – et la on touche vraiment au domaine du religieux – sous la forme de la métempsycose ou de la palingénésie (entre lesquelles Schopenhauer fait une distinction subtile, et qui témoigne de l’influence de la pensée bouddhiste sur sa philosophie).

 

Le second essai s’intitule « Affirmation et négation de la volonté de vivre ». Il consiste essentiellement en un éloge de l’ataraxie, du détachement, et plus particulièrement de l’ascèse chrétienne des origines (notamment sexuelle – voir ce qui concerne la reproduction, plus haut), caractéristique selon Schopenhauer de la négation du vouloir-vivre, et donc très proche de son éthique personnelle. En effet (pp. 53-54), « chaque vie humaine, envisagée dans son ensemble, nous montre […] les caractères d’une tragédie, et nous voyons que la vie n’est autre chose, en règle générale, qu’une série d’espérances avortées, de projets déçus et d’erreurs reconnues trop tard ». Il faut donc (p. 55) « envisager la vie comme une sévère leçon qui nous est infligée, bien que, avec nos formes de pensée dirigées vers de tout autres buts, nous ne puissions comprendre comment nous avons eu besoin de cette leçon. Nous devons donc songer avec satisfaction à nos amis défunts, en considérant qu’ils en ont fini avec elle, et en souhaitant de tout cœur qu’elle leur ait profité. Et du même point de vue nous devons envisager notre propre mort comme un événement désirable et heureux, et non en tremblant d’effroi, ainsi que c’est d’ordinaire le cas. » On rejoint donc indirectement le premier article. Mais Schopenhauer poursuit de manière on ne peut plus franche : « une vie heureuse est impossible »…

 

D’où le titre de la postface de Didier Raymond, qui permet utilement de faire le point sur ces deux articles et de les lier entre eux : « De l’impossibilité de vivre et de mourir »

 

Joyeux, non ?

 

Sur ces bonnes paroles…

 

 Parti Socialiste (moribond) : Si j’ai écrit des conneries, et qu’un philosophe compétent se sent de me rectifier, qu’il n’hésite surtout pas à le faire, ça m’intéresse.

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"L'Argent et les mots", d'André Schiffrin

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SCHIFFRIN (André), L’Argent et les mots, traduit de l’anglais par Éric Hazan, Paris, La Fabrique, 2010, 103 p.

 

Et un nouveau André Schiffrin, un ! Après L’Édition sans éditeurs et Le Contrôle de la parole, voici donc L’Argent et les mots, toujours chez les ultra-gauchiss’ de La Fabrique. Et un premier constat s’impose rapidement : c’est que notre auteur a tendance à se répéter, et que ses livres, dont une bonne partie est constituée de simples mises à jour, sont de moins en moins intéressants…

 

Cela se vérifie assurément ici, quand bien même le champ d’investigation est étendu, géographiquement (l’enquête se fait au niveau mondial) et thématiquement (elle porte sur l’édition, le cinéma, la librairie et la presse). Mais si l’on excepte le long chapitre sur la presse, qui occupe une petite moitié de l’ouvrage, pour le reste, nous sommes surtout confrontés à des mises à jour ou à des développements, soit trop légers pour être vraiment consistants, soit n’apportant pas grand-chose de neuf au lecteur français s’intéressant un minimum à ces questions.

 

Pour ce qui est de l’édition, ainsi, on a surtout affaire à des rappels et mises à jour (notamment le rachat d’Editis par Planeta). Sont cependant brièvement esquissées quelques « solutions » possibles, passant par l’aide publique, notamment des collectivités locales (voir l’exemple édifiant de Chambon-sur-Lignon…) ou du CNL. Est également esquissé le rôle possible en la matière des universités et des bibliothèques.

 

Mais un (bref) chapitre est consacré intégralement à « l’exemple norvégien » (pp. 36-43), à la fois pour la presse, l’édition et le cinéma. Le bilan dressé par l’auteur a l’air effectivement paradisiaque, pour ce riche petit pays… Reste à voir si le « système exceptionnel » mis en place par la Norvège sans qu’elle se gargarise d’une quelconque « exception norvégienne » (p.43) pour autant (heureux pays !) serait véritablement applicable ailleurs.

 

On passe ensuite au cinéma, pour un chapitre assez bref là encore, et qui n’apprendra pas forcément grand-chose au lecteur français.

 

Autant passer de suite au bref chapitre suivant, consacré à la librairie… sauf qu’il est là encore largement constitué de redites et de mises à jour.

 

On passe alors au long chapitre sur la presse. Si les redites et mises à jour ne manquent pas là non plus, c’est néanmoins (et heureusement !) la partie la plus intéressante de ce petit ouvrage, en ce qu’elle confronte enfin véritablement médias anciens et nouvelles technologies, et notamment Internet. Le déclin de la presse dans les pays occidentaux y est analysé assez finement (pour le reste, on trouvera quelques conneries ; j’en relèverai une : quel est le rapport entre « l’intoxication » – p. 68 – supposée des Japonais aux jeux vidéos et la lecture des journaux ? Tsk tsk tsk…). Se pose alors la question, qui occupe approximativement la moitié du chapitre, de comment sauver la presse. Plusieurs solutions sont esquissées. Ainsi – mais l’auteur n’en est guère partisan – celle de l’endowment à la manière des universités américaines ; mais la plupart des autres solutions impliquent un minimum d’intervention publique, chose qui tend à effrayer quelque peu les Américains qui y voient une « socialisation » de la presse, néfaste à son « indépendance » supposée (la bonne blague…). Diverses autres possibilités sont néanmoins esquissées, comme l’aide de fondations ou d’universités.

 

La conclusion poursuit sur la confrontation entre les médias traditionnels et les nouvelles technologies. Ici, ce sont clairement Google et son programme de numérisation des livres, d’une part, et Amazon d’autre part, qui sont en ligne de mire, pour l’essentiel. André Schiffrin propose tout simplement une taxe… Mais il évoque aussi en passant d’autres sujets, comme le « Mickey Mouse Protection Act »…

 

 Il n’en reste pas moins que L’Argent et les mots déçoit. Le Contrôle de la parole était déjà plus dispensable que L’Édition sans éditeurs, et il en va a fortiori de même pour celui-ci. L’auteur tend à se répéter dans son analyse, ou bien à n’en livrer qu’une vision par trop fragmentaire pour qu’elle se montre convaincante. Sans doute le format est-il en cause : ces éternels petits bouquins de 100 pages ne permettent guère une analyse autre que purement « journalistique » et lapidaire. On en vient à « rêver » (façon de parler…) d’une somme, plus dense et plus complexe, plus longue assurément, qui viendrait, non pas clore la question et apporter une solution définitive au problème, ce qui serait illusoire, mais du moins témoigner d’une expérience (comme L’Édition sans éditeurs) et d’une analyse plus solides, résistant davantage au passage des années et à la contre-expertise. Car il ne fait à mon sens aucun doute qu’un tenant du néo-libéralisme un minimum motivé briserait en deux ce petit bouquin les doigts dans le nez et avec une seule jambe si jamais il lui en prenait l’envie, tant la conviction l’emporte ici largement sur la solidité et la pertinence de la démonstration. Et ça serait quand même bien dommage…

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"Suleyman", de Simon Sanahujas

Publié le par Nébal

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SANAHUJAS (Simon), Suleyman, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche, 2005, 201 p.

 

Simon Sanahujas, jusqu’à présent, je le connaissais en tant qu’essayiste et fanatique howardien (voyez notamment Les Nombreuses Vies de Conan). Ah, et pour avoir croisé le bonhomme, je peux vous dire qu’il est très sympathique. Mais je n’avais pas encore lu l’auteur de fictions. Pourtant, j’avais deux de ses romans (ses deux romans ?) qui traînaient dans mon étagère de chevet depuis pas mal de temps déjà (car le bonhomme avait attisé ma curiosité, dois-je dire). Alors, mieux vaut tard que jamais, hop, c’est parti, voyons voir ce que donne ce Suleyman.

 

Eh bien le premier constat, c’est celui d’une grosse bourrinade bière-cahuètes. Le genre où l’on pose son cerveau à côté, sur la table de chevet, là où personne ne viendra vous le prendre. Ce qui fait du bien des fois. Un chapitre = une baston. Yeah ! Mais en fait, on aurait tort d’en rester à cette première impression, qui vaut surtout pour le début du roman.

 

La seconde impression, par contre, est la bonne. Simon Sanahujas s’amuse bien ici à pasticher Robert How… PERDU ! Non, s’il y a bien ici ou là quelques allusions au papa de Conan (cité in english in ze text, d’ailleurs), c’est en fait Michael Moorcock la cible essentielle. Déjà, parce que nous sommes confrontés dans cette histoire à un Multivers qui ne manquera pas de faire penser à celui où zone le champion éternel. Ensuite parce qu’un des personnages, le sobrement dénommé Mercenaire, rappelle pour le moins le plus célèbre avatar du champion éternel : un guerrier ultime, mais albinos et taciturne, à la morale douteuse, mmmh, suivez mon regard… voui bon.

 

Mais commençons par le commencement.

 

C’est-à-dire une couverture particulièrement hideuse qui…

 

Non, bon, j’arrête, l’auteur semble en être content en plus (va comprendre, Charles…).

 

Commençons par le commencement, disais-je. Nous suivons l’essentiel du roman par les yeux d’une jeune Terrienne, Zoé, Lyonnaise de son état mais ce n’est pas sa faute, embarquée dans cette histoire où elle ne comprend rien pour avoir flâné quelques instants de trop au Parc de la Tête d’Or. Là, elle a vaguement surpris une conversation entre deux énergumènes accompagnés d’une horde de sbires, et n’a dû la vie sauve qu’à l’intervention de deux personnages, les énigmatiques Suleyman, tout de noir vêtu, treillis à l’appui et nunchaku en main, et Mercenaire, plutôt genre armure de plaques et fidèle destrier.

 

Ceux-ci lui expliquent vaguement la nature du Multivers, fondé sur les rêves de tout un chacun, et comprenant une infinité de mondes entre lesquels on peut naviguer dès l’instant que l’on connaît les portails adéquats. Ils conduisent la jeune Zoé, dont les souvenirs sont précieux, auprès du Conseil dirigé par la troublante Schamsralia, et c’est alors que la vérité se fait jour : les deux énergumènes, à savoir Monsieur Yargast et le Saâris Zangetoy, complotent rien de moins que la destruction et la recréation selon leurs rêves du Multivers ! Évidemment, il faut les en empêcher. Et devinez qui c’est qui s’y colle ? Mmmh ?

 

Sur ce canevas somme toute assez classique, Simon Sanahujas, bien que pâtissant d’un style plutôt médiocre, bâtit une histoire plus que correcte et divertissante, mêlant pastiche de Moorcock (donc) et aventure vancienne riche en détails sur les mondes traversés et leurs civilisations le cas échéant. Si les quelques traits d’humour qui figurent ici ou là ne font pas toujours mouche, l’action, très enlevée, est assurément efficace, et il y a quelques beaux moments de pathos, appropriés à l’atmosphère épique de l’ensemble, plutôt bien rendue.

 

Certes, tout cela n’est pas sans défauts, loin de là. À l’évidence, ce roman aurait mérité une ou deux bonnes grosses couches de relecture, tant les coquilles, répétitions et tournures malencontreuses abondent. On pourra ajouter que ce Multivers ne tient pas totalement debout – les mondes devraient être beaucoup, mais alors beaucoup plus nombreux que ça, rendant leur « immatriculation » beaucoup, mais alors beaucoup plus complexe… – ou s’amuser devant tous ces « extraterrestres » qui ont la bonne idée de parler français…

 

 Il n’en reste pas moins que, malgré un dernier tour de passe-passe un peu décevant (sur lequel je ne dirai rien, cherchez pas, je suis incorruptible), c’est sur une note plutôt positive que l’on conclut cet honnête roman de gare, dont on lira volontiers la suite (la suiiiiiiiite !), tout en l’espérant plus mature.

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"The Castle of Otranto", d'Horace Walpole

Publié le par Nébal

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WALPOLE (Horace), The Castle of Otranto, edited with an introduction and notes by Michael Gamer, London, Penguin Books, coll. Penguin Classics, 2001, XLII + 159 p.

 

Bon, j’ai du retard à rattraper, moi… Allez, c’est tipar.

 

Un beau jour (enfin, vu mon rythme de sommeil actuel, il devait faire encore nuit), je me suis réveillé avec une idée saugrenue en tête : « Et si que je lirais des livres in english in ze text, pour voir ? hein ? hein ? » Idée saugrenue s’il en est, quand on sait que mon niveau dans la langue de Shakespeare, s’il fut correct du temps où c’que j’avais des boutons sur la gueule, a considérablement pour ne pas dire dramatiquement chuté depuis mon entrée dans le supérieur. Quelques expériences ici ou là s’étaient d’ailleurs avérées des semi-réussites, mais sans doute cela venait-il du choix des textes : Stephen King, ça passait (en gros) ; Lewis Carroll, oui et non ; Bradbury et Wells, idem. Finalement, par pure lâcheté, je n’ai guère poursuivi (si ce n’est en comics, là, OK), et c’était sans doute un tort.

 

D’où l’idée saugrenue que voilà. Et cette fois, histoire de ne pas reculer devant l’adversité, je me suis payé un certain nombre de bouquins en VO. Et parmi ceux-là, quelques gothiques anglais, histoire de parfaire ma culture du genre. En effet, des grands classiques de ce domaine littéraire (entendu au sens strict), je n’avais lu jusqu’à présent (et en français, œuf corse) que Le Moine, de Matthew Lewis, que j’avais bien aimé au passage (normal, vu le côté éminemment « sadien » de la chose – quoi qu’ait pu en dire le divin marquis lui-même). D’où mon envie de commencer ce cycle de lectures anglaises par le « grand-père » de la littérature gothique britannique, The Castle of Otranto d’Horace Walpole.

 

D’Horace Walpole ? Mais c’est que ce petit filou cachait bien son jeu ! La première édition de ce texte séminal était signée « William Marshall, translator » : il s’agissait en effet de faire croire que le texte en question était une traduction d’un original italien datant de l’époque des croisades, retrouvé dans une vieille famille catholique du nord de l’Angleterre (ce qui, dans l’Albion d’alors, n’était certes pas innocent sur les plans politique, philosophique et spirituel)… Le pire étant que la supercherie a effectivement fonctionné, et en a berné quelques-uns. Mais dès la seconde édition, la vérité a été rétablie, et l’honorable Horace Walpole (d’autant plus honorable que, bien, bien qu’imprimeur à ses heures, il ne voulait pas de la réputation d’homme de lettres…) a reconnu sa paternité sur ce petit texte unique en son genre, destiné à réconcilier « two kinds of romances », l’ancienne et la moderne. Comprendre par-là la « naïveté » et la magie des récits de chevalerie et la psychologie et le sentiment des romans modernes.

 

Mais ce qui surprend énormément, chez ce « grand-père » de la littérature gothique (« grand-père », oui, je me répète : le genre ne sera véritablement à la mode, avec Ann Radcliffe et compagnie, qu’une ou deux générations plus tard), c’est son goût affiché pour l’humour (voyez la préface à la seconde édition, où Voltaire s’en prend plein la gueule, ce qui n’est pas pour me déplaire, uh uh…) et le grotesque, voire, diraient les mauvaises langues – et on en a un échantillon dans les appendices, comprenant des critiques contemporaines ou légèrement postérieures –, le ridicule.

 

Ainsi dès les toutes premières pages. La scène se déroule au château d’Otrante, dans le sud de l’Italie, cadre quasi unique de l’action. Conrad, chétif héritier de la maison d’Otrante, doit épouser Isabella. Mais – CHPLONK ! – il est écrasé le jour même, avant ses noces, par un heaume géant qui lui tombe du ciel directement sur la gueule (si, si !), première des nombreuses manifestations surnaturelles qui parsèment le roman, et dont bon nombre se ramènent à des éléments d’armure géants (ce qui a son sens, mais chut, chut…). C’est qu’une malédiction pèse sur la maison d’Otrante, qui a usurpé son pouvoir, et le tyrannique Manfred, dont Conrad était le seul fils, en est bien conscient ; il entend tout faire pour tromper la malédiction. Et bien que marié lui-même à la loyale Hippolita, le prince d’Otrante entend épouser Isabella en lieu et place de son fils (mouhahahaha !), afin d'en obtenir une descendance mâle. Il faut encore ajouter au tableau sa fille Mathilda, un jeune et brave paysan du nom de Théodore, le prêtre de l’église locale, le père Jérôme, et enfin toute une flopée de domestiques shakespeariens en diable (ceux qui font frémir Voltaire). Voilà pour les personnages et pour le décor.

 

Quant à l’histoire, vous vous en doutez déjà : fantômes, passages secrets, demoiselles en détresse, quiproquos, révélations improbables, drames familiaux, retournements de situation invraisemblables… le tout à fond de train, pour tenir dans une centaine de pages, en cinq chapitres extrêmement denses, et quasiment dénués de descriptions (ce qui en rend la lecture en anglais extrêmement aisée, dois-je dire) : tout passe dans les dialogues, très finement écrits ; on ne sera pas surpris d’apprendre que The Castle of Otranto a très tôt été adapté pour la scène, tant tout y incite ou presque. On notera au passage une chose qui a choqué à l’époque, mais qui me paraît un plus intéressant : l’absence de véritable morale dans cette histoire, ou plutôt le côté désagréable et injuste de sa « morale », puisqu’il s’agit bien, avec cette histoire de malédiction, de faire peser sur des innocents la faute commise par des ancêtres…

 

Au final, The Castle of Otranto se révèle être aujourd’hui encore ce qu’il était déjà il y a près de 250 ans : un divertissement efficace et jubilatoire, rondement mené et brillamment exécuté.

 

 Quelques mots pour finir sur cette édition : le fait est que c’est du beau boulot. On commence par une chronologie et une longue introduction suivie d’une bibliographie sur Horace Walpole et son œuvre, tout à fait intéressantes ; quelques notes viennent de temps en temps éclairer quelques points d’histoire ou de vocabulaire ; mais, surtout, il ne faut pas négliger les appendices, qui, comme je l’ai indiqué plus haut, contiennent de très intéressants jugements critiques sur The Castle of Otranto en particulier et/ou Horace Walpole en général (on y croise au passage quelques grands noms, comme Walter Scott). De la belle ouvrage, pour un classique de la littérature gothique, et de la littérature en général.

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Le Chant du barde, de Poul Anderson

Publié le par Nébal

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ANDERSON (Poul), Le Chant du barde. Les meilleurs récits de Poul Anderson, ouvrage proposé et publié sous la direction de Jean-Daniel Brèque, avant-propos de Jean-Daniel Brèque, traduit de l’américain par Denise Hersant, Bruno Martin, Michel Deutsch, Pierre Billon, Jean-Pierre Pugi et Jean-Daniel Brèque, traductions revues et complétées par Jean-Daniel Brèque, Saint Mammès, Le Bélial’, [1953, 1957, 1960, 1963, 1968, 1970-1972, 1981] 2010, 586 p.

 

Ma chronique vient du beau site du Cafard Cosmique. Je la reproduis ici au cas où.

 

 

Poul Anderson a longtemps souffert d’un certain ostracisme en France ; il n’est d’ailleurs qu’à voir son étique fiche d’auteur sur le néanmoins beau site du Cafard cosmique pour s’en persuader, laquelle ose dire que « son œuvre n’est pas réellement impérissable »… Allons bon ! Heureusement, de l’eau a coulé sous les ponts depuis et, notamment grâce à l’exégète Jean-Daniel Brèque et aux éditions du Bélial’, on a pu revenir sur cette image défavorable. On leur doit ainsi la parution intégrale du cycle de « La Patrouille du temps » (enfin !), entre autres ; et aujourd’hui, la fine équipe nous concocte une sorte de best of science-fictif de l’auteur, sur son format de prédilection qu’est la novella. Un beau pavé comprenant neuf textes, qui totalisent six prix Hugo, un prix Locus et trois prix Nebula, oui, rien que ça. « Pas réellement impérissable » ? C’est ce qu’on va voir…

 

Le recueil obéit à la chronologie de la publication des textes, ce qui explique peut-être sa tendance au crescendo : s’il démarre sur un mode plus ou moins mineur, il ne cesse au fil des nouvelles de gagner en puissance, jusqu’à l’apothéose constituée par les trois dernières, toutes titulaires d’au moins deux prix. Aussi les premières novellas peuvent-elles sembler anodines, ou juste sympathiques ; c’est particulièrement le cas de « Sam Hall », nouvelle écrite dans le contexte du maccarthysme, et qui décrit une révolution conduite par un personnage imaginaire généré par ordinateur ; pas inintéressant, cela dit, et cela présage sur certains points le fameux Révolte sur la Lune de Robert Heinlein.

« Jupiter et les centaures » retient cependant davantage l’attention… surtout aujourd’hui, dans la mesure où un certain film à grand succès très récent dont le titre commence par un « A » et finit par un « R » ressemble largement à cette nouvelle très inventive, pour le reste assez influencée, comme le note Jean-Daniel Brèque dans sa note d’introduction, par un fameux épisode du classique de Clifford D. Simak Demain les chiens. On notera aussi que l’on peut y voir une forme de résurgence mythologique, ce qui reviendra plusieurs fois dans les textes ultérieurs, et notamment les meilleurs. Tout à fait intéressant.

Avec « Long cours » (prix Hugo 1961), on attaque les textes primés. Poul Anderson nous livre ici une sorte de texte post-apocalyptique très particulier, un tantinet vancien, et qui vibre tout entier d’un thème qui lui est cher : la liberté de choisir son destin. Là encore, c’est quelque chose qui reviendra dans le recueil.

Et ce dès le texte suivant, « Pas de trêve avec les rois ! » (prix Hugo 1964), nouvelle bien plus complexe et ambiguë qu’il n’y paraît au premier abord, et qu’il serait triste de balayer du revers de la main en la qualifiant bêtement de « réactionnaire », comme on a pu le faire en France à l’époque. Ce récit de guerre civile déchirant une famille dans une Amérique post-cataclysmique est une réussite indéniable, qui vaut bien plus que ça.

« Le Partage de la chair » (prix Hugo 1969) est un texte également assez subtil, sur les différences culturelles et la difficulté du jugement, ici poussée à son paroxysme puisque portant sur un acte vraiment atroce : le cannibalisme. Bien vu.

Mais c’est sans doute avec le pourtant non primé « Destins en chaîne » que l’on attaque les très grands textes de ce recueil. Il s’agit à l’origine d’un projet initié par l’écrivain Keith Laumer, qui rédigea un prologue, et mit au défi quatre de ses confrères de poursuivre le récit… dont le protagoniste venait de mourir. Poul Anderson, Gordon R. Dickson, Harlan Ellison et Frank Herbert relevèrent le gant. Mais Anderson s’amusa en outre à pasticher Philip K. Dick, qui l’avait lui-même mis en scène dans sa nouvelle « Projet Argyronète ». Le résultat est une excellente satire et une parodie de la plus belle eau, qui devrait régaler tous les amateurs des deux grands écrivains de science-fiction.

Arrive maintenant le tiercé gagnant du recueil, avec tout d’abord ce qui constitue probablement son sommet, « La Reine de l’Air et des Ténèbres » (Prix Hugo 1972, Nebula 1971, Locus). Un vrai chef-d’œuvre que cette novella mêlant avec une adresse exemplaire enquête policière, science-fiction et mythologie celtique, et où l’on retrouve en outre le thème de l’autodétermination. La quintessence de l’art de Poul Anderson, qui livre ici une de ses plus belles pièces. Un monument impérissable (si).

Suit « Le Chant du barde » (prix Hugo 1973 et Nebula 1972), très belle relecture science-fictive et rebelle du mythe d’Orphée, le harpiste étant ici confronté à un dieu informatique. Bien vu et très fin.

Et le recueil de s’achever sur une longue pièce visionnaire et palpitante, « Le Jeu de Saturne » (prix Hugo 1982 et Nebula 1981), où une mission d’exploration spatiale se trouve parasitée par une sorte de jeu de rôle médiéval-fantastique… avec les avantages et les inconvénients que ce « psychodrame pour adultes » peut présenter.

 

Le bilan est sans surprise : Le Chant du barde est bien un excellent recueil, indispensable aux amateurs de Poul Anderson, et constituant probablement une bonne porte d’entrée pour ceux qui souhaiteraient découvrir cet auteur que l’on aurait sans doute tort de vouloir enterrer trop vite. Il fut bien un des très grands auteurs américains de science-fiction, et les neuf textes ici repris en témoignent amplement.

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