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"Un privé à Babylone", de Richard Brautigan

Publié le par Nébal

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BRAUTIGAN (Richard), Un privé à Babylone. Roman policier, 1942, [Dreaming of Babylon], traduit de l'américain par Marc Chénetier, préface de Claude Klotz, Paris, Christian Bourgois – 10/18, coll. Domaine étranger, [1981, 1983, 2003], 2010, 244 p.

 

Ce roman-là, il me faisait de l'œil depuis un sacré bout de temps. Enfin, celui-là, et d'autres titres de Brautigan, d'ailleurs, dont on ne cessait, de part et d'autre, de me vanter les mérites. Alors, quand je l'ai vu figurer dans la sélection de Fabrice Colin, libraire invité à l'indispensable Charybde – je n'étais pas présent, hélas –, je me suis dit que c'était enfin l'occasion de sauter le pas.

 

Donc. San Francisco, 1942, alors que les Californiens s'attendent à voir débouler les Japonais d'une minute à l'autre. C. Card est – nécessairement – un détective privé, modèle Sam Spade. Enfin, en théorie. En pratique, ça fait des mois qu'il ne s'est pas vu confier la moindre affaire, et là, il touche le fond, harcelé par sa propriétaire, rejeté par tous ses amis et rendu responsable par sa mère de la mort de son père, alors qu'il n'avait que quatre ans... Mais peut-être la roue de la fortune va-t-elle enfin tourner ? Un mystérieux client le contacte, et lui propose un rendez-vous, avec cette condition particulière que Card doit venir armé.

 

Or Card n'a plus de balles pour son flingue, et pas un sou vaillant, du reste... L'essentiel de ce roman à fausse intrigue (merci, McGuffin) consiste donc à suivre les démarches de notre loser de héros pour se procurer des balles ou un peu de caillasse.

 

Et, entre-temps, Card rêve de Babylone. C'est quand même vach'ment mieux. Là-bas, il peut être la star de la saison de base-ball de l'an 596 avant Jean-Claude. Ou – mieux encore – endosser l'identité de Smith Smith, le privé de Babylone, et combattre les ombres-robots du sinistre Dr Abdul Forsythe !

 

Ah – et puis il y a des coïncidences troublantes aussi, tournant autour d'une pute découpée au coupe-papier. Mais c'est un pur hasard, hein ?

 

Sous couvert de nous livrer un « roman policier », comme nous l'assure le sous-titre du roman, Richard Brautigan se livre donc ici à une lumineuse et réjouissante parodie du polar hard-boiled, à grands renforts de brefs chapitres tous plus hilarants les uns que les autres. Bien entendu, tous les codes propres au genre y passent, mais en pire. C. Card est ainsi un loser magnifique, dans une enquête qui n'a pas de sens, et se révèle au final une sorte de piège burlesque sans queue ni tête.

 

Et ça marche parfaitement. Déjà parce que Brautigan écrit fort bien, et nous livre un véritable festival de punchlines, certaines particulièrement savoureuses. On lit Un privé à Babylone avec un sourire indécrochable, et le roman, très court il faut dire, se dévore à toute vitesse. Et on se prend d'affection pour le pathétique C. Card, rendu d'autant plus attachant par son caractère lunatique. Que ce soit à San Francisco ou à Babylone, le lecteur est ainsi assuré de passer un bon moment en compagnie de ce Sam Spade au rabais.

 

Mais la parodie relève aussi de l'hommage, et là, je dois avouer manquer de clés – je ne connais absolument rien au polar, hard-boiled ou pas, d'ailleurs, lacune qu'il faudra bien que je comble un jour. En attendant, cela ne m'a pas empêché de prendre mon pied à la lecture d'Un privé à Babylone, petit bijou d'humour mi-cynique mi-éthéré. Une lecture-friandise, certes pas bouleversante – faut pas exagérer –, mais qui donne assurément envie d'en savoir plus ; m'est donc avis que ce n'est pas là le dernier Brautigan que je lis...

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"Détectives et bandits scientifiques", de Marie-François Goron & Emile Gautier

Publié le par Nébal

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GORON (Marie-François) & GAUTIER (Émile), Détectives et bandits scientifiques, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche – Baskerville, [1902] 2012, 311 p.

 

Hop, suite et fin de « Fleur de bagne », après De Cayenne à la place Vendôme et Pirates cosmopolites.

 

Nous retrouvons donc Rozen, alias le baron de Saint-Magloire, toujours au sommet de sa puissance... mais les signes annonciateurs de la chute commencent à se multiplier. Serré de près par le chef de la Sûreté Cardec et le bon docteur Lemoine, Rozen en vient à commettre des erreurs, et de nouveaux crimes : il en vient ainsi à tenter d'assassiner sa femme au radium ! Et la propriété d'Auteuil, où travaille le digne Sokoloff, fait l'objet d'une surveillance aérienne, depuis un étrange prototype d'avion... Le masque va bientôt tomber, à n'en pas douter. Et le traître Rozen pourrait avoir à subir le courroux des compagnons anarchistes.

 

S'il est une chose qui frappe dans ce troisième et ultime tome, c'est l'importance de la science, authentique comme merveilleuse, qui est ici bien plus présente que dans les deux volumes précédents. Chaque chapitre, ou presque, est propice à la description d'une nouvelle machine ou d'un nouveau procédé. Cela pourrait devenir lourd de didactisme, mais c'est la plupart du temps tout à fait charmant, voire enthousiasmant.

 

Au-delà, l'intrigue reste de qualité, et toujours servie par des personnages hauts en couleurs, Saint-Magloire en tête. Quelques scènes font particulièrement mouche, ainsi celle, d'anthologie, qui voit Cardec et Lemoine démasquer Rozen en usant des méthodes d'anthropométrie de Bertillon.

 

En somme, voilà toujours une lecture fort agréable et distrayante, et ce troisième tome ne fait à cet égard que confirmer tout le bien que je pensais déjà des deux premiers.

 

Notons pour finir que le volume se conclut une fois de plus sur des appendices fort intéressants, dus cette fois à la plume de Gautier : tout d'abord, de passionnants souvenirs de prison, extraits des Archives de l'anthopologie criminelle et des sciences pénales ; un texte édifiant, et sans doute toujours d'actualité pour une bonne part. Suivent également trois chroniques scientifiques, qui ne sont pas sans rapport avec l'intrigue du roman.

 

...

 

Reste cependant un problème, et de taille.

 

Je ne vous cacherai pas que, si j'ai lu et apprécié cette trilogie rocambolesque, c'est parce que j'ai pu bénéficier de services de presse. Il est fort probable que je serais passé à côté autrement, tout simplement en raison de son coût prohibitif : à 20 € le volume, cela fait 60 € au total ! Tout de même... Non, ce roman ne les vaut pas, et rares sont les livres qui le valent. Aussi, je ne saurais en conseiller l'achat, quand bien même j'en ai fort apprécié la lecture... J'ai cru comprendre, toutefois, qu'une édition numérique était prévue, peut-être sous forme d'intégrale : là, j'imagine que le coût ne serait plus aussi dramatiquement élevé. Alors à bon entendeur...

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"Du sel sous les paupières", de Thomas Day

Publié le par Nébal

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DAY (Thomas), Du sel sous les paupières, Paris, Gallimard, coll Folio Science-fiction, 2012, 287 p.

 

Ca deviendrait presque une habitude : les publications de Thomas Day, ça va souvent par deux (et vous remarquerez que je n'ai pas fait de comparaison testiculaire), un roman inédit chez Folio SF et un recueil de nouvelles chez ActuSF. En l'occurrence, ici, nous avons donc d'un côté Du sel sous les paupières, et de l'autre Women in chains, dont il y a fort à parier que je vous entretiendrai un de ces jours, d'autant que ça a l'air d'être de la bonne.

 

Mais on ne va pas faire de mystère ici : malgré une critique et une blogosphère unanimes pour célébrer les vertus de ce nouveau roman (inédit directement en poche, répétons-le), ben, moi, j'ai pas aimé. Mais alors pas du tout (et vous remarquerez que je n'ai pas dit que c'était à chier tout mou). Et je ne comprends pas l'intérêt que d'aucuns ont pu éprouver pour cette inutile collection de lieux communs, sans style comme sans panache, qui constitue de loin ce que j'ai lu de moins bon, pour ne pas dire de pire, de la part de Thomas Day. Très grosse déception, donc. Le tout, maintenant, va être de dire pourquoi, et ça s'annonce pas facile...

 

L'histoire d'abord : la quatrième de couv' nous parle d'uchronie et de steampunk, et, oui, certes, y en a. Disons que la der des ders y a connu un déroulement différent de ce que nous avons connu, et, en 1922, quand débute le roman, le monde est toujours noyé sous la brume de guerre, phénomène étrange que l'on n'expliquera pas, ce qui est bien pratique. Nous sommes à Saint-Malo (ça commence mal), et nous faisons la rencontre du jeune Judicaël (comme le fils aîné de Thomas Day, à qui le bouquin est dédié, si j'ai bien tout compris ; ce qui devrait donc dissuader d'en dire du mal, ou du moins d'user de formules méchantes ; je vais tâcher de), un gosse des rues de seize ans qui gagne mal sa mauvaise vie en vendant des illustrés et en chourant un peu aux petits bourgeois de temps à autre. Las, un jour, il s'attaque à la mauvaise cible, et se retrouve avec toute la police du coin au cul. Parallèlement, son Papé meurt, lui laissant toute une collection de récits de marin, et il rencontre (très vite !) l'amour en la personne de Mädchen, une jeune fille (comme son nom l'indique) qui vend des fleurs en papier.

 

Mais Mädchen disparaît. Serait-ce la faute du mystérieux Rémouleur, comme on le prétend ? Ben tiens : évidemment que non, et même qu'il est tout gentil, en fait, cet homme mécanique de fabrication allemande (ce qui nous vaut des dialogues pas croyables). Et de découvrir un complot souterrain bien vilain qui justifiera l'usage de la dynamite (boum) pour sauver les gentils gentils et se débarrasser des méchants méchants.

 

Ca, c'est pour la première partie, mauvais remake de La Cité des enfants perdus saupoudré, peut-être, d'un peu de Miyazaki, le talent et l'inventivité en moins. La suite, légèrement moins ch... plus intéressante, fait intervenir, après une escale à Guernesey, une bonne dose de folklore irlandais, histoire de tourner complètement le genre du roman.

 

Comment dire.

 

Ben c'est vraiment pas bon, et je ne comprends très franchement pas du tout l'enthousiasme que ce truc a pu susciter. Pour ma part, je n'en retiens qu'un joli titre et une jolie couverture d'Aurélien Police. Tout le reste, c'est du déjà-vu déjà-lu, du prémaché supposément entraînant, sauf que ben non, quoi. Et c'est, au nom des codes de la littérature de genre, j'imagine, une sinistre collection de clichés : c'est bien simple, ils y passent tous. L'uchronie a ses guest-stars inévitables et facilement identifiables, le steampunk son homme mécanique de pacotille, la fantasy ses elfes rigolos mais attention. Judicaël est aussi sympathique et attachant qu'une fiente, Mädchen ne sert que de véhicule pour un amour salvateur beau comme du Luc Besson, et c'est à peine si quelques Irlandais de passage (membres de l'I.R.A., tant qu'à faire) éveillent un peu notre intérêt de temps à autre.

 

Aussi, je ne vois pas le pourquoi de la chose. Pour ce qui est du fond, c'est nul ; la forme ne mérite pas un seul instant que l'on s'y attarde. Alors quoi ? Rien. On est bien loin, avec Du sel sous les paupières, du brio et du panache de La Voie du sabre, et a fortiori des nouvelles de l'auteur, autrement trashouilles, et autrement intéressantes. Du coup, la déception suscitée par ce livre qui m'a paru tristement bâclé ne m'empêchera probablement pas de lire Women in chains, dont le peu que je connais est déjà très bon. Mais là, c'est autre chose que ce mauvais roman jeunesse plus ou moins assumé, sans âme et sans caractère, écrit à la va comme je te pousse, et totalement dénué du moindre intérêt. Cela dit, il semblerait que je sois le seul à penser ainsi, et rappelez-vous : Nébal est un con. Mais quand même...

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"Coraline", de Neil Gaiman

Publié le par Nébal

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GAIMAN (Neil), Coraline, [Coraline], traduit de l'américain par Hélène Collon, illustrations de Dave McKean, Paris, Albin Michel – J'ai lu, coll. Science-fiction – Fantastique, [2002-2003] 2012, 154 p.

 

Coraline est probablement une des créations les plus célèbres de Neil Gaiman – et aussi une des plus primées, et avec lui, c'est jamais rien de le dire : Prix Hugo 2003, Prix Nebula 2003, Prix Locus 2003, Prix Bram Stoker 2003, British Science Fiction Award 2002, et oui, rien que ça. Le scénariste de Sandman (qui reste à mes yeux sa plus grande réussite tous genres confondus) nous a ainsi livré un conte noir pour les pitinenfants curieux et amateurs (déjà) d'horreur. Pas d'erreur sur le cœur de cible, ici, il s'agit clairement de littérature enfantine, bien plus que de littérature jeunesse. Mais comme la bonne littérature jeunesse, Coraline fait partie de ces livres dont certains adultes – votre serviteur, par exemple – sont à même de se régaler.

 

J'avais découvert Coraline par le biais du très bon film d'animation d'Henry Sellick (auquel on devait déjà cette merveille qu'est L'Étrange Noël de M. Jack) ; je m'en étais délecté, et me suis donc dit qu'il pourrait être intéressant de lire le conte original, à titre de comparaison et en espérant y retrouver les mêmes délices.

 

Nous avons donc Coraline Jones. Coraline, hein – et pas Caroline, comme tout le monde fait l'erreur... Coraline est une petite fille qui aime explorer. Elle vient d'emménager avec ses parents surbookés dans une vieille maison scindée en plusieurs appartements ; y vivent donc également un vieux toqué qui élève des souris de cirque, et deux actrices sur le retour (interprétées si je ne m'abuse dans le film par French & Saunders, la bonne idée que voilà). C'est bientôt la rentrée, mais, en attendant, Coraline s'ennuie. Et ses parents ne sont guère présents pour elle. Et, un jour, en explorant la maison, elle fait l'étrange découverte d'une porte donnant sur un mur de briques – en fait, une porte reliant leur appartement au dernier de la maison, inoccupé. Sauf que Coraline va trouver le moyen de franchir cette porte.

 

Et, de l'autre côté, elle va tomber sur un monde mystérieux, où tout est très semblable à chez elle, mais en mieux. Notamment, elle y fait la rencontre de ses Autres Parents, tellement plus affectueux – mais qui ont, idée géniale et terrifiante, des boutons cousus à la place des yeux... Son Autre Mère, surtout, se montre très démonstrative ; mais il va de soi que tant de bonheur dissimule une réalité bien plus sombre, à laquelle Coraline va bientôt devoir se coltiner...

 

Coraline est donc un conte, oui ; et un conte destiné en priorité aux pitinenfants. Ce qui explique sa plume très simple et l'impressionnante densité de ce bref récit, qui va toujours à l'essentiel. Ici, la littérature jeunesse s'assume pleinement, et n'endosse pas les oripeaux d'une littérature pour adultes. Mais les adultes peuvent à très bon droit se complaire dans la régression et savourer de même que les bambins cette histoire lumineusement noire et délicieusement horrible. Il y a en effet de quoi avoir quelques délicieux frissons à la lecture de Coraline, récit qui fait mouche à chaque touche, et sait particulièrement bien réveiller les angoisses du gamin qui sommeille en chaque lecteur.

 

Vous l'aurez compris, je ne peux que recommander chaudement la lecture de Coraline, ouvrage à la hauteur de sa réputation. Si j'ai un jour des gniards, ils n'y couperont pas (de même qu'à Mon voisin Totoro, mais c'est une autre histoire). En attendant (?), c'est le petit Nébal qui s'est bien amusé à partir explorer l'autre monde avec la charmante Coraline.

 

Y a pas, il est fort ce Neil Gaiman...

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"La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah", de Nick DiChario

Publié le par Nébal

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DICHARIO (Nick), La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah, [A Small and Remarkable Life], traduit de l'américain par Claudine Richetin, Paris, Télémaque – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2006, 2010] 2012, 321 p.

 

La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah, premier roman de l'illustre inconnu Nick DiChario, est un livre dont je me suis tout d'abord fortement méfié, parano que je suis. Il faut dire qu'il avait été publié en français par Télémaque, qui m'avait fait sortir de mes gonds pour Un peu de ton sang de Theodore Sturgeon, avec une quatrième de couverture pour le moins prometteuse (j'adore le « croisement inédit entre E.T. et Croc-Blanc »). Parallèlement, ce titre français sonnait un peu trop comme celui d'un récent prix Pulitzer pour être tout à fait honnête. Mais quand ce roman est sorti en Folio SF, je me suis malgré tout laissé tenter... en dépit d'un bandeau moche et menaçant affirmant que Jan Kounen « en ferait bien son prochain film ». Ce qui, vous en conviendrez, faisait pas mal de handicaps à surmonter.

 

Nous sommes donc aux Etats-Unis, essentiellement dans l'Etat de New York, au milieu du XIXe siècle. Tink Puddah est un étranger. Il faut dire qu'il pousse le vice jusqu'à avoir la peau bleue (outre diverses malformations dont je vous passe le détail), ce qui en fait un nègre tout à fait remarquable. Sur Terre, il est bien loin de l'Eauspace de ses parents, tués dès leur arrivée sur notre planète, et laissant le petit Tink orphelin.

 

Quelques années plus tard, un service funéraire est organisé pour l'étranger Tink Puddah, bien que celui-ci ait proclamé son athéisme, au grand dam du pasteur Jacob Piersol. Mais c'est l'occasion pour plusieurs des villageois de Skanoh Valley de venir témoigner de la profonde gentillesse et de la serviabilité du défunt. Quitte à heurter un peu les sentiments de Jacob.

 

Mais l'histoire ne fait que commencer. En effet, suite à l'intervention d'un jeune morveux, on en vient à s'interroger sur la mort de l'étranger. Et de découvrir que celui-ci a été tué d'une balle dans le crane, chose que les autorités et témoins se sont empressés de cacher...

 

Dès lors, l'histoire se déroule sur deux plans : d'une part, on suit Tink Puddah l'étranger dans sa vie sur Terre, où il doit faire face à bien des dangers et souffre régulièrement de la cupidité et de la haine aveugle des humains ; d'autre part, on suit l'enquête concernant la mort de Tink Puddah, et ce essentiellement à travers le personnage de Jacob Piersol... qui en vient étrangement à voir en Tink Puddah le Messie. Jusqu'à un dénouement qui ne surprendra personne tant il coule de source, mais peu importe.

 

Oui, peu importe. Parce qu'il faut reconnaître que c'est pas mal du tout, La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah. Ce récit de contact avec l'autre est assez bien foutu, dans une veine qui peut rappeler, en moins dur, Eifelheim de Michael Flynn, mais évoque surtout quelques Grands Anciens de la science-fiction la plus humaniste, en l'occurrence Clifford D. Simak – le cadre rural y est pour beaucoup – et Theodore Sturgeon.

 

Nick DiChario, pour son premier roman, a su renouveler intelligemment un thème éculé, et poser à travers cette relecture les bonnes questions. Sans avoir grand-chose d'original, La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah se lit avec un plaisir constant, et s'autorise quelques surprises (bonnes). Certes, la plume n'est pas exceptionnelle (mais peut-être la traduction est-elle en cause). Mais la profonde humanité des personnages et du propos l'emportent, et suscitent l'adhésion du lecteur, qui se laisse doucement entraîner dans cette évocation sur le mode de la parabole de la vie d'un étranger loin de chez lui.

 

Roman frais et éminement sympathique, La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah n'a sans doute pas de quoi entrer au Panthéon du genre, mais s'avère des plus appréciables. Il s'en dégage une saveur toute particulière, devenue bien rare dans la science-fiction contemporaine, plus dure et plus froide (à mes yeux en tout cas). Alors on pourrait peut-être faire à La Vie secrète et remarquable de Tink Puddah un procès en gnangnantise, mais, pour ma part, je m'avoue tout à fait satisfait de cette lecture certes un brin naïve, mais qui fait du bien. Faudra voir la suite de sa production, mais ce Nick DiChario pourrait bien être un auteur prometteur, dans une veine paisible, bucolique et profondément humaniste, au sens le plus doux...

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"Sous des cieux étrangers", de Lucius Shepard

Publié le par Nébal

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SHEPARD (Lucius), Sous des cieux étrangers, traduit de l'américain par Pierre K. Rey, Jean-Daniel Brèque et Olivier Girard, Paris, Le Bélial' – J'ai lu, coll. Science-fiction, [1992, 2000, 2003, 2007, 2010], 2012, 508 p.

 

Je ne prétendrais pas être un connaisseur de l'oeuvre de Lucius Shepard : je n'en avais lu en tout et pour tout, jusqu'à présent, que son recueil Aztechs et son court roman Louisiana Breakdown. Mais j'ai appris à le goûter, et à apprécier notamment son ouverture d'esprit, qui l'amène à dépasser les frontières au sein des genres de l'imaginaire (et au-delà, d'ailleurs). Aussi m'étais-je procuré Sous des cieux étrangers en grand format lors de sa sortie au Bélial' en 2010. Mais les hasards de la pile à lire ont fait que ce n'est qu'aujourd'hui, en poche et un Grand Prix de l'Imaginaire pour l'ensemble du recueil plus tard, qu'il m'a été donné de le lire.

 

J'attendais beaucoup de ce recueil, dont j'avais entendu dire partout le plus grand bien, et qui nous permet de suivre Lucius Shepard sur sa distance de prédilection : la novella. Sous des cieux étrangers comprend en effet cinq textes, d'une centaine de pages chacun, dont trois inédits. L'auteur y travaille à la limite des genres, sauf dans le premier texte, clairement SF, et pour le coup un peu surprenant de la part de cet auteur.

 

Ce premier texte, « Bernacle Bill le Spatial », a collectionné les récompenses (Hugo, Asimov's, Locus et Science Fiction Chronicle), et je dois avouer ne pas comprendre pourquoi. Je ne vous cacherai en effet pas plus longtemps que cette entrée en matière m'a terriblement déçu, et franchement laissé sur ma faim. Cette sorte de variation sur le thème du simplet brillant (Des fleurs pour Algernon dans l'espace ?) m'a paru totalement vide sur le plan émotionnel, et m'a surpris par sa tendance à faire parler la testostérone. En fait, j'y ai surtout vu une sorte de remake d'Outland, le western SF de Peter Hyams. Sauf que voilà : Outland, c'est sympa, mais ça ne casse pas des briques non plus ; cette nouvelle, c'est la même chose : de la part de Shepard, elle m'a paru clairement médiocre, et pas à la hauteur de sa réputation. C'est donc sur une déception que j'ai entamé la lecture de ce recueil ; mauvais signe pour la suite...

 

Entendons-nous bien : il n'y a pas de mauvais texte dans ce recueil. Même celui dont je viens de parler est au pire médiocre. Mais je n'ai jamais par la suite été renversé comme je l'espérais, d'où ce sentiment d'un recueil surestimé et le vilain arrière-goût amer que j'avais en bouche à la fin de chaque texte...

 

« Dead Money » est ensuite une nouvelle à mettre en rapport avec un roman de l'auteur, Les Yeux électriques. Amusante rénovation du thème du zombie vaudou dans le milieu des joueurs de poker, elle m'a paru bien plus convaincante que la précédente. Ambiance, personnages, sont irréprochables. Pourtant, j'ai eu l'impression qu'il manquait là aussi quelque chose pour me faire vibrer et adhérer pleinement au propos, sous tous ses aspects. Reste une novella correcte, oui, et sans doute un peu plus que cela, mais guère plus.

 

J'avais déjà lu « Radieuse Étoile verte » dans un numéro de Bifrost. Cette troisième novella ne m'avait guère laissé de souvenirs dans l'absolu, même si je me suis vite retrouvé en terrain familier à sa relecture. Là encore, le cadre est parfait, et les personnages sont très riches. Cette histoire de vengeance et d'instrumentalisation se lit fort bien... mais une fois de plus, on ne dépasse pas le stade du bon texte pour atteindre à quelque chose de vraiment bon, ce qui fait toute la différence, et justifierait la réputation de Sous des cieux étrangers. De même que dans les deux textes précédents, j'ai en outre eu l'impression d'une sorte de parasitage pulp un peu superflu, et noyant les aspects les plus intéressants du texte dans l'action et la narration conventionnelle...

 

« Limbo » est, à la réflexion, le texte qui m'a le plus séduit, du moins j'en ai l'impression. Intéressante ghost story dans laquelle se retrouve plongé un truand en cavale, qui tourne à la descente aux enfers (d'une manière qui m'a évoqué, à tort ou à raison, Clive Barker), c'est là un texte parfaitement maîtrisé, où tous les éléments sont bien dosés. Le résultat est cette fois bien plus qu'honnête, et remonte le niveau global du recueil.

 

Il en va de même, quoique dans une mesure un peu moindre, pour le dernier texte de Sous des cieux étrangers, à savoir « Des étoiles entrevues dans la pierre ». Le cadre rock est intéressant, le fond de légendes locales aussi, et tout ce qui ne relève pas à proprement parler du fantastique ou de l'insolite est nettement irréprochable. Le reste, ma foi, m'a un peu fait l'impression d'un épiphénomène plus ou moins intéressant, mais en conservant un niveau correct.

 

Reste qu'au final j'ai été terriblement déçu par ce recueil, dont, il est vrai, j'attendais beaucoup. Je n'ai vraiment pas l'impression d'avoir lu ici le meilleur de Lucius Shepard, qui m'avait bien plus convaincu au travers d'autres lectures. Et j'espère que Le Dragon Griaule saura me séduire davantage ; parce que franchement, de Sous des cieux étrangers, il n'y a pas de quoi en faire tout un plat, à mes yeux en tout cas. Un bon recuei, oui ; mais guère plus. J'en suis le premier surpris et le premier déçu...

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"Diadorim",de João Guimarães Rosa

Publié le par Nébal

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GUIMARÃES ROSA (João), Diadorim, [Grande Sertão : Veredas], traduit du brésilien par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, préface de Mario Vargas Llosa, Paris, Albin Michel, coll. Les Grandes Traductions, [1965, 1984, 1991] 2006, 501 p.

 

Diadorim de João Guimarães Rosa est un livre qui m'a été fort bien vendu (enfin, non, d'ailleurs : offert ; merci !) par la sublime Alice Abdaloff, laquelle, en sa qualité de libraire invitée dans une fameuse librairie parisienne dont le nom commence par la lettre C, aurait dit en substance (mais en mon absence, hélas) : « En littérature, c'est simple : il y a Proust, il y a Diadorim, et à côté il y a des trucs sympa... » Ah oui, tout de même (dit le Nébal qui n'a jamais rien lu de Proust, et doute fort que Diadorim ait le moindre rapport avec l'œuvre du madeleinophage). On peut donc assez légitimement en attendre beaucoup. C'est ce que j'ai fait, et je n'ai pas été déçu du voyage.

 

Diadorim, de son vrai nom Grande Sertão : Veredas – et voilà qui n'est sans doute pas anodin –, consiste en un long monologue de près de 500 pages, sans la moindre interruption (ce qui n'en rend pas l'abord facile). Il s'agit des mémoires de Riobaldo, propriétaire terrien dans le Sertão, mais qui fut dans sa folle jeunesse, vers le début du XXe siècle, un éminent jagunço, c'est-à-dire un mercenaire au service d'intérêts privés, se situant quelque part entre le preux chevalier et la franche canaille, mais plus généralement entre le condottiere et le cow-boy. Une vie épique, riche de dangers – il ne cesse de nous le répéter –, faite de subits coups de feu et de véritables batailles rangées, qui font des mémoires de Riobaldo un condensé d'action sur le mode du western métaphysique.

 

C'est l'occasion de faire la rencontre de toute une ribambelle de personnages fascinants, dont, bien entendu, le trouble Diadorim, pour lequel Riobaldo éprouve une « amitié amoureuse » ambiguë, mais aussi les seigneurs de la guerre Joca Ramiro, Medeiro Vaz ou encore Zé Bebelo (quelle scène que celle de son procès !)... sans parler des Judas, le cruel Hermógenes en tête, dont on dit qu'il a fait pacte avec le diable... mais le diable n'existe pas, hein ? Et Riobaldo Tatarana, devenu le Crotale blanc, n'a rien fait ni rencontré personne, la nuit, à la croisée des chemins...

 

Mais Diadorim, c'est aussi, comme le titre original le montre clairement, une odyssée du Sertão, c'est-à-dire des régions semi-arides du Brésil. Un décor pour le moins exotique, d'une richesse insoupçonnée, et que la plume de l'auteur, brillant de mille feux, nous dévoile avec un brio peu commun.

 

C'est rien de le dire : Diadorim est vach'ment bien écrit. Le style déconcerte tout d'abord – et, à vrai dire, ce sentiment peut demeurer jusqu'à la fin –, et il peut être nécessaire de s'accorder un peu de temps pour pénétrer pleinement dans le roman (il m'a bien fallu une centaine de pages, personnellement). Quoi qu'il en soit, Diadorim n'est clairement pas le livre à emporter dans le métro pour lire entre deux stations... Mais on s'en doutait un peu. Et on finit par adhérer pleinement au discours de Riobaldo, à son goût pour les digressions, les flash-back et flash-forward. On a l'impression authentique d'un ami qui nous parle – et qui, d'ailleurs, nous interpelle régulièrement, nous les érudits de la ville –, et ce flot continu de mots, cette véritable logorrhée, tourne à la petite musique insidieuse, d'une mélodie tantôt douce et raffinée, tantôt brutale et sauvage.

 

Car c'est un monde cruel que ce Sertão ravagé par les guerres privées. Un monde où la mort est omniprésente, et vivre une chose très dangereuse... Mais c'est aussi, au-delà des coups de feu, un monde beau, et propice à la contemplation comme à la romance. Avec une prostituée, avec la belle Otacília... et avec Diadorim, aka Reinaldo, aka le Garçon ? Le trouble érotique parcourt l'œuvre, et son titre français est pour le moins révélateur. Ou trompeur, peut-être...

 

Diadorim, ainsi que vous l'aurez compris, a tout du chef-d'œuvre. D'une perfection formelle rare, d'une puissance évocatrice qui l'est tout autant, et malgré les efforts qu'il nécessite, il séduit et convainc sans peine ; à tel point que l'on en viendra même à pardonner la Fin Impardonnable que l'auteur s'est autorisé à commettre, comme un épiphénomène de peu d'importance.

 

Livre rare et d'une densité impressionnante, Diadorimmérite bien son statut de classique international. Cet unique roman de son auteur est parfois considéré comme le plus grand livre du Brésil, si tant est que cela veuille dire quelque chose. Mais à sa lecture, on comprend sans peine l'enthousiasme suscité par ce roman à la croisée des chemins, riche d'interprétations et de lectures, qui sait être beau et intelligent tout en divertissant et fascinant.

 

 Alors merci, Mlle Abdaloff. Vous aviez raison, mille fois raison.

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"Pirates cosmopolites", de Marie-François Goron & Emile Gautier

Publié le par Nébal

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GORON (Marie-François) & GAUTIER (Émile), Pirates cosmopolites, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche – Baskerville, [1902] 2012, 287 p.

 

(Non, je ne parlerai pas des couvertures.)

 

Hop, Pirates cosmopolites, deuxième tome de « Fleur de bagne », après De Cayenne à la place Vendôme, et avant Détectives et bandits scientifiques. Le volume précédent avait tout du long prologue, mais maintenant on attaque le cœur de l'action.

 

Nous retrouvons donc l'infâme baron de Saint-Magloire, de son vrai nom Gaston Rozen, au faîte de sa puissance. Grâce à la naïveté du savant anarchiste Sokoloff, le bonhomme est devenu riche à millions. Sons sens des affaires et plus généralement sa remarquable intelligence, alliés à un bagout sans pareil, en ont fait « le Roi de Paris ». Il a eu par ailleurs beaucoup de chance. Mais ça ne va pas forcément durer. La déveine survient bientôt, et notre abominable escroc, voleur et assassin va se retrouver cerné par les ennuis.

 

En effet, Sokoloff s'impatiente, et trépigne en attendant la grande révolution sociale que lui a promis Rozen. Bastien, de son côté, commet quelques boulettes... Mais le danger va surtout percer sur deux fronts. D'une part, le chef de la Sûreté, M. Cardac, et plus encore son fidèle ami le bon docteur Lemoine, ont par hasard établi le lien entre Rozen et Saint-Magloire, et cherchent dès lors à le coincer. D'autre part, la passion amoureuse va se mettre de la partie (il ne manquait plus qu'elle...), et, en tombant sous le charme de la diva Germaine Reyval, Rozen va s'attirer l'inimitié voire la haine farouche de son « épouse » Elena Ruiz et de l'anarchiste Duval...

 

« Fleur de bagne » a décidément tout du roman feuilleton sympathique. Après le long prologue constitué par le volume précédent, il nous divertit aisément avec ses personnages hauts en couleurs et ses retournements de situation rocambolesques. On tourne les pages sans y prendre garde – preuve que ça marche – et certaines scènes valent le détour, même avec leurs défauts (je pense ici notamment à une très intéressante mais très didactique séquence médico-légale).

 

Il y a bien des maladresses dans ce second tome, comme l'introduction du personnage de Yu – que l'on aurait dû en toute logique croiser auparavant – ou la trop grande facilité avec laquelle le docteur Lemoine en vient à suspecter le baron de Saint-Magloire... Mais c'est finalement de peu d'importance, de même que les quelques tics d'écriture que l'on peut relever à l'occasion, et qui ne sont pas vraiment gênants.

 

Cerise sur le gateau : ce deuxième tome se conclut sur trente pages issues des Mémoires de Goron, et constituant des « portraits d'anarchistes ». C'est tout à fait intéressant, et ce à plus d'un titre. On en apprend long sur les mentalités de l'époque comme sur le profil du coauteur. Surtout, on se pose cette question fondamentale concernant l'anarchisme en France à la fin du XIXe siècle : pouvait-on parler d'un sincère engagement idéologique, ou bien n'était-ce qu'un prétexte commode pour « justifier »le crime, voire l'annoblir en le politisant ? Bien entendu, la réponse varie selon les cas, mais ceux que nous présente ici l'ancien chef de la Sûreté méritent toute notre attention, et montrent bien toute la difficulté de cette question. Passionnant.

 

Allez, hop, suite et fin avec Détectives et bandits scientifiques, qui nous permettra de tirer un bilan plus global de ce feuilleton jusqu'à présent éminemment sympathique, même s'il n'y a pas non plus de quoi crier au génie.

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"Les Lectures des otages", de Yôko Ogawa

Publié le par Nébal

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OGAWA (Yôko), Les Lectures des otages, [Hitojichi no Rôdokukai], traduit du japonais par Martin Vergne, Arles, Actes Sud – Leméac, [2011] 2012, 189 p.

 

C'est à l'occasion de la parution l'an dernier de Manuscrit zéro que je me suis remis à lire Yôko Ogawa. J'y avais retrouvé cette petite musique, aussi familière que déconcertante, qui fait tout le charme de ses écrits (en tout cas des plus réussis). Croisant au hasard d'une librairie mal fâmée ce nouvel opus qu'est Les Lectures des otages, je me suis laissé séduire sans trop de difficultés, intrigué par la quatrième de couverture.

 

Il s'agit en effet d'un recueil de nouvelles, mais entrelacées dans un canevas plus général. Huit touristes japonais sont pris en otages dans un pays indéterminé. L'événement suscite un temps une forte attention de la part des médias, puis on en vient à oublier cette histoire. Jusqu'à son dénouement tragique : l'intervention des forces spéciales antiterroristes se solde par la mort des huit otages.

 

Mais on dispose d'un document très particulier les concernant : des enregistrements de « lectures » effectuées par chacun des otages, dans une langue que les auditeurs extérieurs ne comprennent pas. Plus tard, ces lectures seront diffusées. Il s'agit à chaque fois d'un souvenir particulier, parfois fort lointain.

 

Il faut, j'imagine, garder cette situation bien précise en tête pour goûter pleinement les huit – non, neuf – récits composant Les Lectures des otages ; garder en tête que ces témoignages très personnels émanent de gens qui sont morts dans des circonstances atroces.

 

Mais voilà : cette fois, ça ne fonctionne pas. On est bien loin, avec Les Lectures des otages, du brio de l'excellent Tristes Revanches, ou même de Manuscrit zéro. Et on a un peu la triste impression d'un auteur qui s'auto-parodie... Tout ce qui figure dans ce recueil, en effet, évoque des réminiscences de textes plus anciens de Yôko Ogawa. Un exemple flagrant : combien de fois nous a-t-elle fait le coup de « La Salle de propos informels B » ? Au début, on pouvait très légitimement s'en régaler ; mais cette fois, ça ne passe plus.

 

Et il en va ainsi de toutes les autres « lectures », fades et ennuyeuses, qui donnent l'impression d'un auteur en petite forme, qui n'est plus que l'ombre d'elle-même...

 

Inutile par conséquent de trop s'étendre sur la question : Les Lectures des otages, en dépit de son canevas intriguant, est un triste ratage, qui ne saurait satisfaire les amateurs de Yôko Ogawa.

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"La Vallée de l'éternel retour", d'Ursula Le Guin

Publié le par Nébal

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LE GUIN (Ursula), La Vallée de l'éternel retour, [Always Coming Home], traduit de l'américain par Isabelle Reinharez, illustrations de Margaret Chodos-Irvine, Saint Laurent d'Oingt, Actes Sud – Mnémos, coll. Ourobores, [1985, 1994] 2012, 545 p.

 

Les plus assidus et perspicaces d'entre vous l'auront peut-être remarqué, mais j'adoooOOOooore Ursula Le Guin. Elle fait très clairement partie à mes yeux des très grands auteurs de science-fiction et de fantasy, et je me rue sur chacun de ses livres ou presque. Aussi, vous pensez bien que j'ai sauté au plafond quand j'ai appris que Mnémos allait rééditer La Vallée de l'éternel retour, en son temps publié par Actes Sud, dans la très belle collection Ourobores (dont j'avais adoré le précédent titre, Kadath).

 

Mais une précision s'impose d'emblée : La Vallée de l'éternel retour, c'est du Le Guin hardcore ; de la bonne, mais de la pure ; aussi ce livre ne saurait-il séduire qu'un public limité, qui ne serait pas rebuté par le principe même mis en œuvre par Ursula Le Guin.

 

On sait que l'auteur, fille d'ethnologue, a souvent – toujours ? – mêlé des éléments d'ethnologie à ses œuvres. C'est souvent une bonne part de ce qui en fait l'intérêt. Dans certains cas, cette prédilection peut se révéler discrète ; dans d'autres – et là je pense notamment au très bon recueil L'Anniversaire du monde –, l'ethnologie est au cœur du projet. Mais cela n'a jamais été aussi vrai que pour La Vallée de l'éternel retour, ouvrage étrange pour lequel le qualificatif de « roman » peut paraître douteux. Désireuse en effet de se livrer à une « archéologie du futur », l'auteur nous livre ici un volume presque intégralement dénué de narration, qui se présente sous la forme d'un ouvrage scientifique, assez velu. Disons que si l'on ne va pas jusqu'à une ethnologie très universitaire, ça s'en rapproche quand même, et le contenu est plus abstrait que dans, disons, un volume de la fameuse collection « Terre humaine ».

 

La Vallée de l'éternel retour se présente donc sous la forme d'une somme de documents ethnographiques sur le peuple kesh, vivant dans la vallée du Na, dans une Californie séparée du continent. Tout ceci provenant d'un futur indéterminé, mais qu'on supposera lointain, et probablement après une catastrophe tout aussi indéterminée (mais on a quelques indices ici ou là). Nous découvrirons donc les Kesh à travers ces documents très variés : des poèmes, chansons, danses, pièces de théâtre, écrits romanesques ou biographiques, etc. Il n'y a véritablement de narration soutenue que dans le long témoignage de Roche qui raconte (en trois parties), et dans une moindre mesure dans l'autobiographie de Pic Doré de la Serpentine de Telina-na. Pour le reste, qui forme une masse non négligeable, le lecteur se retrouve confronté directement aux documents ou à l'analyse des us et coutumes des Kesh.

 

Tout, tout, tout, vous saurez tout sur les Kesh ! De la naissance à la mort, toutes leurs cérémonies, tous leurs usages, seront présentés et analysés. Et c'est une société fascinante que nous décrit l'auteur : une civilisation qui adopte bien des traits qu'on ne confère usuellement qu'aux sociétés dites « primitives », sans être pour autant si « primitive » que ça ; les Kesh connaissent les fusils, l'électricité, et même les réseaux informatiques avec l'Échange. Mais ils sont aux antipodes des sociétés dites « développées » actuelles, et témoignent à maints égards d'une sorte de désir utopique (un peu hippie) (die, hippie, die !), anarchiste (j'ai inévitablement songé à La Société contre l'État de Pierre Clastres, et plus encore aux Nuer d'E.E. Evans-Pritchard), libertaire, égalitaire, matrilinéaire et matrilocale, et tendant au retour à la terre.

 

Mais le danger rôde : aux portes de la vallée, il y a la menace de la théocratie militariste du Condor. Pourtant, Ursula Le Guin nous présente un monde dans lequel l'impérialisme et les inégalités ne sauraient perdurer face à la vie paisible et simple des Kesh et autres peuples pacifiques de ce temps-là. Utopie ? Peut-être, oui ; sans doute, même ; mais ça n'en est pas moins fascinant et pertinent.

 

Ne nous voilons cependant pas la face : en dehors du récit de Roche qui raconte, La Vallée de l'éternel retour est d'un abord quelque peu ardu. Le lecteur non familier de quelques notions générales d'ethnologie peut à bon droit se retrouver largué. Au-delà, et cela vaut pour tous les lecteurs, il y a le risque de buter sur des documents qui peuvent parfois laisser perplexe (je pense ici notamment aux très nombreux poèmes et chants compilés dans le recueil, mais bon, il est vrai que la polésie et moi...). La Vallée de l'éternel retourest un ouvrage parfois assez difficile. On ne le conseillera certainement pas pour découvrir l'auteur ; quant à ceux qui ne goûtent guère Le Guin dans ses romans et nouvelles plus « traditionnels », ils ne seront pas davantage convaincus par ce concentré parfois un peu aride...

 

Mais pour les autres, il y a tout un monde à découvrir (ce qui justifie la publication en Ourobores). Une sorte de monde idéal, militant même, mais tout à fait saisissant, et qui n'attend qu'un mouvement pour être arpenté avec délice. Un régal, donc, pour le Nébal. Et peut-être pour vous aussi ?

 

EDIT : Le grossier Gérard Abdaloff en parle dans la Salle 101, ici. 

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