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"La Terre mourante. L'intégrale", de Jack Vance

Publié le par Nébal

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VANCE (Jack), La Terre mourante. L’intégrale, traduit de l’américain par France-Marie Watkins, Paul Alpérine, Monique Lebailly, Michel Darroux & Bernadette Emerich, traductions révisées et complétées par Sébastien Guillot, Pygmalion – J’ai lu, coll. Sience-fiction – Fantasy, [1950, 1966, 1983-1984, 2010-2011] 2012, 2 t., 436 et 637 p.

 

Non, décidément, y a pas, j’aime bien Jack Vance. Oh, certes, on peut lui reprocher bien des choses – je ne vais pas revenir là-dessus, j’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de m’exprimer à ce sujet –, mais il reste tout de même un conteur doué, qui n’a pas son pareil pour faire voyager ses lecteurs, et, souvent, leur faire découvrir des cultures et coutumes étranges et fascinantes, témoignant de l’imagination débordante de ce bourlingueur invétéré. Aussi, de temps en temps, un petit Vance, hop ! ça ne peut pas faire de mal.

 

Mais j’ai de terribles lacunes dans ma bibliothèque vancienne – de véritables classiques de la SF et de la fantasy qui me sont passés sous le nez, pour une raison ou pour une autre. « La Terre mourante » en faisait partie. Aussi, la parution de cette intégrale révisée en poche me fit l’effet d’une occasion de choix pour y remédier, d’autant que, parmi les livres composant le cycle, on trouve les deux romans ayant Cugel l’Astucieux pour héros, et je me souvenais encore du témoignage d’un ami un temps vancien frénétique qui me vantait la chose.

 

Un futur très lointain.  À des éons et des éons de distance, qui ont vu naître, fleurir, prospérer et mourir des civilisations sans nombre. Mais ça ne va pas durer : en effet, le soleil se meurt (et non pas « se meure », vilaine coquille présente sur les deux quatrièmes de couverture), et la Terre avec, balayée par quelques rayons rougeoyants témoignant du déclin inéluctable et de la mort prochaine, sans grands effets spéciaux pyrotechniques, de notre soleil et de tout ce qui en dépend.

 

Mais la Terre est alors devenue Un monde magique. C’est ainsi avec un recueil de six nouvelles plus ou moins enchevêtrées qu’il nous sera donné de découvrir cet étrange univers apocalyptique. Six nouvelles généralement placées sous le signe de la quête du savoir, et dont les héros sont généralement de puissants magiciens avides de connaissances… ou leurs créatures, comme T’saïs. Je ne vais pas faire le détail de nouvelles, et me contenterai donc de noter ici que, pour être quelque peu inégales, elles n’en sont pas moins dans l’ensemble intéressantes, et contiennent à l’occasion quelques fort bonnes idées (ainsi dans « Ulan Dhor », qui anticipe dans un sens The City & the City de China Miéville de façon étonnante, avec soixante ans d’avance…). Reste que ces récits très courts ne sont pas la distance de prédilection de Jack Vance, plus à l’aise dans des romans – quand bien même picaresques et à la limite du fix-up –, qui lui fournissent l’occasion de déployer toute son imagination au service de voyages fantastiques.

 

L’odyssée de Cugel l’Astucieux en est un très bon exemple. Cugel, minable petit voleur qui mérite cependant son surnom quand il ne joue pas au con – c’est-à-dire rarement –, est condamné par Iucounu le magicien rieur à effectuer une quête pour lui, en dédommagement d’une tentative de cambriolage. Pas de problème : la quête à proprement parler sera accomplie dès le premier chapitre du roman ! Mais les aventures – et les malheurs – de Cugel ne sont pas terminées pour autant : il lui faut revenir par ses propres moyens du Nord barbare, et c’est un bien long voyage, auquel il est néanmoins contraint et forcé. Aussi rumine-t-il sa vengeance à l’encontre de Iucounu et de ses mauvaises blagues… Cugel l’Astucieux est clairement le point d’orgue du cycle, et, au-delà, une sorte de type idéal de la fantasy légère, distrayante et drôle ; autant dire que Jack Vance a parfaitement rempli son contrat avec ce roman frais et enjoué, bourré d’astuce, parfois désopilant, toujours enchanteur. Voilà ce que j’appelle du divertissement de qualité : Cugel l’Astucieux s’est révélé être à la hauteur de sa réputation.

 

Passons maintenant au deuxième tome avec Cugel Saga. Le roman – deux fois plus long que son illustre prédécesseur – prend les mêmes et recommence : il débute juste là où s’achevait Cugel l’Astucieux… c’est-à-dire à la veille d’un nouveau voyage interminable, avec à la clé la vengeance contre Iucounu le magicien rieur. Mais, cette fois, la plaisanterie est sans doute trop longue, et, si les bonnes idées ne manquent pas dans Cugel Saga, qui est en outre sans doute le roman du cycle où l’on retrouve le plus la veine « ethnologique » de l’auteur, il n’en reste pas moins que le résultat n’a pas le panache, le brio et l’agréable légèreté de son modèle, plus dense et plus maîtrisé.

 

Reste enfin Rhialto le Merveilleux, qui comprend trois récits en rapport avec un collège de magiciens cupides et ridicules (qui valent bien ceux de l’Université Invisible de Terry Pratchett). Distrayant, mais pas assez pour emporter l’adhésion : ces trois brefs récits ont tous comme un goût d’inachevé, et sont par ailleurs assez bavards… Plutôt raté, donc, pour ne pas dire bâclé.

 

 Au final, nous retiendrons donc surtout Cugel l’Astucieux dans cette intégrale, qui est largement au-dessus du lot. Le reste est cependant assez sympathique et, même quand Vance accuse un coup de mou, il demeure un conteur plein de talent, qui sait divertir son lectorat. Ça tombe bien : on ne lui demande pas autre chose.

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"Le Vent dans les saules", de Kenneth Grahame

Publié le par Nébal

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GRAHAME (Kenneth), Le Vent dans les saules, [The Wind in the Willows], préface par Alberto Manguel, traduit de l’anglais par Gérard Joulié, illustrations d’Arthur Rackham, Phébus – Libella, coll. Libretto, [2006] 2011, 215 p.

 

Pardon du lieu commun, mais il en va de certains livres comme de la pop ou de l’humour : ils acquièrent une saveur toute particulière du simple fait qu’ils sont définitivement anglais. C’est assurément le cas pour Le Vent dans les saules de Kenneth Grahame, immense classique de la littérature enfantine et du merveilleux animalier que je souhaitais lire depuis une éternité.

 

Entendons-nous cependant sur les termes : quand je parle ici de « littérature enfantine », c’est de la meilleure qu’il s’agit, celle qui réjouit les adultes autant (si ce n’est plus…) que leurs bambins. Kenneth Grahame s’inscrit ici dans la tradition, par exemple, d’un Lewis Carroll ou d’un James Matthew Barrie. La présentation de l’auteur tient d’ailleurs à en faire « le seul alter ego crédible de Lewis Carroll », mais c’est à mon sens faire un peu fausse route : au non-sense des aventures « d’Alice » ou de Sylvie et Bruno s’oppose ici assez radicalement une apologie du solide « bon sens », tout aussi britannique (et très conservateur, mais c’est une autre histoire…).

 

De même, quand on parle ici de « merveilleux animalier », il ne faut pas s’attendre à une débauche d’effets spéciaux de fantasy : le merveilleux réside dans les caractères anthropomorphes des personnages animaux et dans leur parfaite intégration, « naturelle » dans un sens, dans le monde des humains (un peu comme dans Le Roman de Renart, par exemple) (si j’veux) (ah mais).

 

Le Vent dans les saules – joli titre, au passage ; il faut dire que la plume de l’auteur est de manière générale du meilleur goût, mais on y reviendra – nous dépeint les itinéraires de quatre amis, au sens le plus fort (et le plus britannique) du terme. Nous faisons tout d’abord la connaissance de Mr Taupe, qui, un jour, las de son nettoyage de printemps, l’envoie paître et se décide pour une promenade au soleil, qui l’amènera sur la berge de La Rivière, où il rencontrera Mr Rat d’eau, qui deviendra bientôt son meilleur ami. Mais à ces deux amateurs de canotage et de pique-nique, il faut encore ajouter deux personnages que tout oppose : Mr Blaireau, paternaliste, sévère mais juste, incarnation d’une certaine amitié sage et quelque peu moralisatrice, et, de l’autre côté du spectre, Mr Crapaud, l’excentrique et égocentrique Mr Crapaud, toujours possédé par les plus folles des lubies – en ce moment, c’est surtout celle des automobiles, pour son plus grand malheur, et celui des autres aussi, d’ailleurs.

 

L’œuvre entière est parcourue par une tension entre deux tentations incompatibles : le désir d’aventure, et le confort du chez-soi. L’aventure… C’est qu’il y a, au-delà de La Rivière, la Forêt sauvage, et au-delà le Vaste Monde ! C’est essentiellement Crapaud, l’intrépide et inconscient Crapaud, qui incarnera ce goût pour l’aventure. Mais Taupe joue également ce rôle dans les premiers chapitres, et Rat est bien près de succomber à l’appel lors du très beau chapitre intitulé « Les voyageurs ». Mais « Ah ! Regagner ses pénates… » En fin de compte, il n’y a rien de meilleur qu’un bon chez-soi, avec un intérieur cosy (of course) et de quoi faire de bons repas (car voilà bien une occupation qui revient souvent dans ce court roman : MANGER).

 

La fable est belle et savoureuse, portée à l’occasion par des pages magnifiques, où la plume de l’auteur se révèle tout à fait délicieuse. L’humour est également au rendez-vous, bien entendu, qui tend à l’occasion vers le burlesque – merci Mr Crapaud ! –, avec peut-être de temps à autre une brin de satire (mais juste un brin).

 

Le Vent dans les saulesest une lecture succulente, et l’on comprend sans peine pourquoi on lui a tressé des lauriers de classique. So British, certes, et en même temps universel, il s’agit bien là d’un « livre magique », comme le dit Alberto Manguel dans sa préface. Envoûtant et beau, il a l’intemporalité des chefs-d’œuvre.

 

Sur ce, je m’en vais réécouter The Piper at the Gates of Dawn, tiens…

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"Mimosa", de Vincent Gessler

Publié le par Nébal

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GESSLER (Vincent), Mimosa, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, 2012, 342 p.

 

Vincent Gessler est à l’évidence un être exceptionnel – et je ne dis pas ça seulement parce qu’il n’est même pas français. Non, voyez plutôt : après avoir tout raflé avec son premier roman, le post-apocalyptique Cygnis, que, bien évidemment, votre serviteur n’a toujours pas trouvé l’occasion de lire alors que bon, voilà qu’il impose pour la deuxième fois à L’Atalante un roman avec une couverture qui ne pique pas les yeux, ce qui, en ces temps difficiles, relève du tour de force.

 

Mimosa, donc. C’est mimi. Sauf que sous ce titre, et pour son deuxième pavé dans la mare, Vincent Gessler nous prodigue pour le coup un récit cyberpunk (ou post-cyberpunk, si vous y tenez) survitaminé et pyrotechnique, même que ça pète dans tous les coins. Tendez l’oreille :

 

BOUM !

 

TAKATAKATAKATAKATAKATAKATAKATAK !

 

PAN ! PAN !

 

PIOU !

 

« Aaaargh ! »

 

Eh oui.

 

Nous sommes en Amérique du Sud, à Santa Anna, dans un futur proche, mais pas trop quand même. La mode, en ce temps-là, c’est de devenir le sosie d’une personnalité, réelle ou fictive, jusqu’à l’incarner. C’est ainsi que joueront un rôle non négligeable dans ce roman des personnages aussi divers qu’Ed Harris, Crocodile Dundee, Jésus de Nazareth, Gary Coleman, Lambert Wilson, et bien d’autres encore que je vous laisserai découvrir.

 

Mais Tessa ne suit pas cette mode. Elle n’entend être qu’elle-même (non mais oh). À la tête de l’agence Two Guns Company & Associates, elle fait son boulot de détective privée, et remonte une piste qui sent bon le mimosa (moi, je sais pas si ça sent bon, j’ai le nez bouché) et le bon krovi rouge rouge des familles.

 

Sauf que les choses ne sont pas aussi simples. L’enquête se mue en traque, pouis en guerre des gangs, puis en guerre tout court.

 

BOUM !

 

Voilà. Et Tessa de se retrouver au milieu de tout ça, car elle aura l’occasion, entre deux coups de feu, d’en apprendre long sur son passé. Ce qui peut dire bien des choses, en ces temps de clonage et de reconstruction mémorielle.

 

Mimosa, c’est explosif, donc. Allez, encore une fois :

 

BOUM !

 

Mais c’est aussi et avant tout un roman survolté et efficace, pas hyper original mais suffisamment malin pour que ça ne pose pas de problème, et qui se lit d’une traite. Écrit avec une plume plus qu’honnête, doté de personnages bien campés en dépit de leur nécessaire superficialité de façade (et bonjour les pléonasmes), Mimosa convainc sans peine, et c’est avec plaisir que l’on suit les pérégrinations de Tessa et de ses petits camarades.

 

Plaisir : voilà le maître-mot de Mimosa. On sent à maintes reprises que l’auteur s’est fait plaisir en l’écrivant, et qu’il entend bien communiquer ce plaisir au lecteur (ce qui, vous l’avouerez, est gentil de sa part). Seulement c’est là tout à la fois la force et la faiblesse du roman. Disons-le franchement : si l’on joue volontiers le jeu des références et allusions fortement geek et plus ou moins cryptiques, si l’on s’amuse tout d’abord de cette tendance au name dropping et aux private jokes (if je dare m’exprimer ainsi), au bout d’un moment, ça devient quand même un peu lourd. À trop solliciter la connivence du lecteur, Vincent Gessler se retrouve parfois dans l’embarrassante situation d’un énergumène qui multiplie les « wink wink nudge nudge » à grands coups de clins d’œil crispés et de coudes dans les reins. Ce qui est un peu énervant.

 

Mais bon : ça n’enlève rien à l’essentiel, et, oui, globalement, Mimosa est un roman réussi, palpitant et bien foutu. Mais il a ses excès difficilement pardonnables, telles ces annexes en fin d’ouvrage, pour le coup vraiment trop potaches, et on se dispensera allègrement. Alors voilà, petite déception, du coup, même si ça n’a rien de dramatique ; mais j’en attends un peu plus de Cygnis, qu’il va bien falloir que je me décide à lire un jour. Parce que, dans Mimosa, il y a à boire et à manger. En quantité certes. Et, oui, comme c’est Nébal qui vous le dit, vous pouvez en déduire qu’un con fait des rations helvétiques.

 

(Désolé.)

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"Divertissements transylvaniens", de Cristian Vila Riquelme

Publié le par Nébal

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RIQUELME (Cristián Vila), Divertissements transylvaniens, [Divertimentos Transylvánicos], traduit de l’espagnol (Chili) par Philippe Muller, illustrations de Raúl Schneider, postface de Roger Bozzetto, Cadillon, Le Visage Vert, [2001] 2012, 205 p.

 

De l’auteur chilien Cristián Vila Riquelme, je ne saurais rien vous dire de plus que ce qui figure sur la quatrième de couverture de ces Divertissements transylvaniens ou dans la postface de Roger Bozzetto. Passons donc outre, mais retenons-en deux choses qui nous seront d’une certaine utilité dans l’élaboration de ce compte rendu miteux : d’une part, l’auteur est un pouète (et les plus assidus d’entre vous savent ce que je pense de la polésie) ; d’autre part, il a très longtemps vécu en exil loin du sinistre Pinochet, et c’est pour la plupart durant cet exil qu’ont été composés les récits fort disparates qui constituent ce recueil. Ces textes ne sont donc pour la plupart pas tout neufs, souvent « européens », et généralement marqués par cette thématique de l’exil et, inversement, du retour.

 

Les lecteurs du Visage Vert (du moins ceux qui ont eu la chance de mettre la main sur le numéro 17, aujourd’hui épuisé…) avaient eu droit à un premier aperçu de ces Divertissements transylvaniens, sous la forme de deux récits très différents : l’un, « Nautilus », relevait assez largement de la poésie en prose, et se montrait passablement hermétique ; l’autre, « Retour », bien plus conventionnel, marquait les esprits par sa jolie plume et l’émotion qui s’en dégageait. Dans les deux textes, on trouvait le thème de l’exil (plus franchement dans le second, certes), ainsi qu’un mystérieux Consul Itinérant de la République Monarchique de Transylvanie, évidemment vampire de son état, et qui figure à des degrés divers dans tous ces « divertissements », tantôt acteur de premier plan, parfois simple figurant, quand il ne se contente pas d’être un simple spectateur, ou le « destinataire » du récit. Fil (rouge, bien sûr) ténu qui relie tous ces textes, le Consul s’ajoute aux thématiques de l’exil et aux amours tristes, voire pathologiques, pour fonder en fin de compte l’unité du recueil.

 

Les pistes données par « Nautilus » et « Retour » se retrouvent dans le volume, que l’on peut bien (quoique sans doute un peu hâtivement) séparer en deux blocs : le premier, à la « Nautilus », n’a généralement pas grand-chose de narratif, et verse volontiers dans l’expérimentation post-post-post-post-post-moderne (oui, je mets cinq « post- », parce que c’est plus funky), pour un résultat généralement assez intéressant sur le plan formel, mais qui a néanmoins de quoi plonger le lecteur innocent (oui, je suis innocent) dans des abîmes de perplexité, pour ne pas dire de perplexitude.

 

Le second, à la « Retour », pour être moins audacieux (oh que oui), n’en est pas moins à mon sens plus convaincant. Cristián Vila Riquelme s’y montre un nouvelliste souvent talentueux, capable de susciter tout un bouqet d’émotions et de sentiments touchants, et généralement douloureux. Le lecteur en ressort mélancolique, même si certains textes, notamment parmi les derniers, changent quelque peu de tonalité.

 

Un recueil bicéphale, donc. Étrange, et, à mon sens, plus ou moins pertinent. Mais, ainsi que vous le savez, j’ai un problème avec les pouètes, et tout ceci n’engage donc que moi. Les amateurs de plumes sophistiquées que l’expérimentation ne répugne pas trouveront sans doute leur compte dans ces Divertissements transylvaniens. Et je reconnais ne pas en être sorti avec le même sentiment de frustration que pour, disons, un Madman Bovary. Aussi est-ce en définitive à vous de voir : devant ce genre d’ouvrages, le Nébal n’a pas grand-chose à dire, et ferait sans doute mieux de fermer totalement sa gueule. Mais, que voulez-vous…

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"Le Livre des choses perdues", de John Connolly

Publié le par Nébal

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CONNOLLY (John), Le Livre des choses perdues, [The Book of Lost Things], traduit de l’anglais (Irlande) par Pierre Brévignon, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction – Fantasy, [2006, 2009-2010] 2011, 380 p.

 

Tiens ? Un livre qui a raflé en 2010 le Grand Prix de l’Imaginaire et le Prix Imaginales sans que j’y prête attention ? Étrange… Connais pas ça du tout, moi. Et l’auteur, l’Irlandais John Connolly, pas davantage… Bon, ben, essayons, hein.

 

Nous sommes en Angleterre, à l’aube de la guerre. La mère du jeune David est morte des suites d’une longue maladie, en dépit des « rituels » que David exécutait pour la protéger. Mais son père a retrouvé l’amour en la personne de Rose, et bientôt naît un demi-frère, Georgie. Deux intrus aux yeux de David, qui ne les porte pas dans son cœur et reproche à son père son comportement.

 

David est un jeune garçon passionné par les livres ; d’ailleurs – il se garde bien de le dire, craignant les conséquences – il les entend murmurer. Dans la vieille maison de Rose, David a trouvé les livres d’un enfant disparu. Bientôt, il entend la voix de sa mère l’appeler du fond du jardin… et, bien sûr, il ne résiste pas à cet appel.

 

Il passe alors dans un autre monde, peuplé de dangers redoutables. En quête de sa mère et/ou d’un moyen de retourner chez lui – le Livre des choses perdues du roi le permettrait peut-être ? –, le jeune David se met en route, poursuivi par une meute de loups gigantesque, avec à sa tête le premier des sire-loups, Monarque. Mais il y a bien d’autres dangers dans ce monde étrange… Et le pire pourrait bien être ce sinistre « Homme Biscornu » qu’il avait aperçu un jour à sa fenêtre…

 

Alors, alors.

 

La quatrième de couv’ invoque immanquablement les mânes de Tolkien et Lewis Carroll. Je veux bien l’admettre pour le second, mais pour le premier, nan, c’est vraiment n’importe quoi. Et c’est d’autant plus consternant que les influences plus flagrantes ne manquent pas : outre les innombrables contes, notamment de Perrault et des frères Grimm, qui fournissent le matériel de base de l’intrigue du Livre des choses perdues, on pense beaucoup, au cours de la lecture, à, par exemple, Neil Gaiman, ou au film de Guillermo Del Toro Le Labyrinthe de Pan, ou encore à la bande-dessinée Fables. Avec peut-être – probablement, même – un soupçon de Forêt des Mythagos par dessus.

 

Et c’est bien le problème, en fait. Ce Livre des choses perdues n’apporte rien de vraiment neuf, et chaque page donne une impression de déjà-vu ou lu, en mieux. Alors, certes, John Connolly maîtrise bien les codes des contes de fées, et s’amuse bien avec leur quota – ici exacerbé – de sexe et de sang. C’est assez professionnel, oui, plutôt bien foutu. Il y a quelques scènes d’horreur bien vues, et, j’avoue, j’ai laissé échapper un sourire devant les sept nains communistes.

 

Reste que ce Livre des choses perdues ne fait pas vraiment avancer le Schmilblick. Une fois que l’on a saisi les mécanismes essentiels du roman, tout se déroule machinalement ; c’est bien huilé, ça coule tout seul, mais c’est sans surprise. Le didactisme assez agaçant de quelques scènes n’arrange rien à l’affaire.

 

Bon, Le Livre des choses perdues n’est pas un mauvais roman pour autant ; il fonctionne. Mais il se contente de fonctionner, sans véritable audace, et surtout sans passion. On le lit sans y prêter plus d’attention que le strict nécessaire et, une fois la dernière page tournée, on sait que cette lecture ne laissera guère de souvenirs. Aussi ce double prix m’étonne-t-il : très franchement, si l’on a lu bien pire, on a aussi lu bien mieux. Et le roman de John Connolly donne au final l’impression d’être médiocre, au sens strict. Un roman moyen, pas désagréable, vite lu et tout aussi vite oublié. Pas de quoi en faire tout un plat…

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"Armageddon Rag", de George R.R. Martin

Publié le par Nébal

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MARTIN (George R.R.), Armageddon Rag, [The Armageddon Rag], traduit de l’américain par Jean-Pierre Pugi, Paris, Denoël, [1983] 2012, 525 p.

 

C’était à prévoir : le succès du « Trône de fer aidant, et plus encore celui de son adaptation en série télévisée, tout un chacun y va de son édition ou réédition de George R.R. Martin. Ces derniers temps, ActuSF et Mnémos ont joué le jeu, et c’est maintenant le tour de Denoël (mais pas en Lunes d’encre, collection qui sent décidément de plus en plus le sapin…), avec cet Armageddon Rag, thriller rendant hommage au rock des 60’s.

 

Parmi les grands groupes de l’époque, il en est un que, nécessairement, les connaisseurs placent au-dessus du lot : les Nazgûl (merci tonton Tolkien), groupe de proto-hard-rock entré dans la légende, mais qui connaît une fin absurde et tragique en 1971, à West Mesa, quand un tueur non identifié abattit le chanteur en plaine interprétation de leur fameux et interminable « Armageddon/Resurrection Rag ».

 

Exactement dix ans plus tard, jour pour jour, un autre meurtre secoue la planète rock (ou ce qu’il en reste) : celui de Jamie Lynch… qui fut en son temps le producteur des Nazgûl. Y aurait-il un lien entre ces deux assassinats ? Le romancier et ex-journaliste Sander Blair enquête là-dessus, d’abord pour le Hedgehog, mythique magazine dont il fut un des piliers avant de s’en faire virer à coups de pied au cul, ensuite à son compte, pensant peut-être y trouver la matière de sa version très personnelle de De sang-froid (qu’il faudra décidément bien que je me décide à lire un jour), plutôt que de rester bloqué sur la page 37 de son dernier opus.

 

Alors Blair part en voyage ; il s’agit pour lui de retrouver les Nazgûl survivants, et par la même occasion ses anciens camarades du Hog, dix ans plus tard. Un « road-trip » qui permettra de tirer un bilan de ce qui reste du rock des 60’s et de l’esprit de cette époque, dans le milieu de la musique comme dans le terrorisme d’extrême gauche.

 

George R.R. Martin, déjà à l’époque, était un grand professionnel, et son thriller, finement ciselé, se révèle très vite être un page-turner d’une efficacité redoutable. Dialogues aux petits oignons et personnages bien campés contribuent largement à la réussite de ce roman qui prend aux tripes et passionne de la première à la dernière page (ou presque… mais on y reviendra). Armageddon Rag fait donc figure de divertissement plus qu’honnête, et, sans en faire un chef-d’œuvre pour autant, on peut bien le saluer comme une réussite.

 

Pourtant, disons-le tout net, l’intrigue… vaut ce qu’elle vaut, et, si l’on ne s’ennuie jamais à la lecture d’Armageddon Rag, on est plus ou moins convaincu par ce qu’on lit. Surtout vers la fin : le dernier chapitre est clairement de trop, et même, auparavant, le climax fait un peu léger, alors que George R.R. Martin a su habilement faire monter la pression tout du long avec le talent qu’on lui connaît.

 

Heureusement, le véritable intérêt d’Armageddon Rag est probablement ailleurs, dans ce bilan atrocement déprimant d’une décennie d’idéaux trompés ou déçus. Que ce soit auprès des Nazgûl ou de ses anciens camarades, ce loser de Sandy Blair ira de mauvaise surprise en mauvaise surprise, tombant sur des hommes et des femmes perdus dans un monde qu’ils ont bel et bien contribué à changer, mais qui est bien loin de ressembler à celui qu’ils appelaient de leurs vœux dans leur prime jeunesse. En fait, bien loin des utopies hippies (die, hippie, die !) et des projets révolutionnaires du Mouvement, c’est dans un sens l’Amérique de Patrick Bateman qui se dessine sous nos yeux. Pour un roman datant du début des années 1980, c’est faire preuve d’une lucidité tout à fait remarquable.

 

Et c’est bien ici que George R.R. Martin fait mouche. On sort profondément déprimé (surtout si l’on fait l’impasse sur le dernier chapitre…) de ces pages débordant de souffrance, de dépit et de rancœur. Impressionnant de voir à quel point une décennie a suffi pour tout foutre en l’air. Et les survivants de l’époque de faire figure, bien malgré eux, de tristes dindons de la farce, quand ils n’ont pas choisi d’y participer plus ouvertement.

 

Un thriller qui vaut ce qu’il vaut, donc, mais qui se fonde sur un arrière-plan solide, lucide et du plus grand intérêt. Ce qui nous donne au final une demi-réussite seulement, mais qui se lit néanmoins avec une grande facilité, et sans que l’on s’ennuie un seul instant. Un roman triste, aussi, plein de colère rentrée, et qui ne laisse pas indifférent ; c’est déjà pas mal.

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"Le Chant du bourreau", de Norman Mailer

Publié le par Nébal

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MAILER (Norman), Le Chant du bourreau, [The Executioner’s Song], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Rosenthal, Paris, Robert Laffont, coll. Pavillons poche, [1979, 2008] 2009, 1300 p.

 

Notre triste monde tragique a parfois une imagination des plus fertiles, devant laquelle le plus créatif des écrivains ne peut que s’incliner. La réalité n’est pas soumise aux règles de la vraisemblance, et s’autorise parfois des sujets étonnants, dans la série « incroyable mais vrai ». L’écrivain, confronté à semblables histoires, peut adopter plusieurs attitudes. L’une d’entre elles a été incarnée par Truman Capote avec son célèbre De sang-froid : le récit du fait divers sordide se devait de coller au plus près de la réalité, à tel point que la frontière entre fiction et reportage tendait à s’effacer (pour ce que j’en sais, tout du moins…). D’autres ont suivi cet exemple, comme, au hasard, Daniel Keyes avec Les Mille et Une Vies de Billy Milligan. Mais Norman Mailer nous en a donné un exemple particulièrement frappant avec Le Chant du bourreau, monumental pavé qui avait pour ambition affichée de faire aussi bien, sinon mieux, que De sang-froid.

 

Il faut cependant reconnaître que, avec l’affaire Gary Gilmore, Norman Mailer a hérité d’un sujet en or : le fait-divers, en effet, tend ici à s’effacer devant ses implications éthiques, pour ne pas dire philosophiques, ce qui produit au final un monstre d’intelligence aussi déconcertant que fascinant.

 

Le Chant du bourreau nous conte pour l’essentiel les neuf derniers mois sur Terre de Gary M. Gilmore, principalement dans l’Utah des mormons. Gary Gilmore, qu’on nous assure être d’une intelligence supérieure à la moyenne, était une personnalité fondamentalement antisociale (tu perds ton sang-froid, aha), qui a sombré très tôt dans la délinquance. Après avoir passé plus de la moitié de sa vie en prison et plus puisque affinités, le voilà de nouveau libre. Libre, hélas, d’enchaîner les conneries. Au bout de quelque temps, au cours d’une crise amoureuse – sa liaison « bigger than life » avec cette sublime pétasse qu’est la belle Nicole –, il en vient à tuer de sang-froid (…) deux personnes, de la manière la plus gratuite qui soit.

 

L’histoire pourrait s’arrêter là. Mais elle ne fait en fait que commencer… Et c’est un époustouflant et hors du commun cirque médiatico-judiciaire qui se met bientôt en place. En effet, on a eu tendance à l’oublier, mais fut un temps où la peine de mort avait pour ainsi dire disparu des Etats-Unis. En Utah, malgré l’opinion populaire, la peine capitale était ainsi tombée en désuétude. Mais quand Gary Gilmore est reconnu coupable d’homicide volontaire avec préméditation, et subséquemment condamné à mort, il décide de ne pas faire appel. Il devient dès lors Gary Gilmore, « l’homme qui voulait mourir ».

 

Qu’est-ce que la peine de mort, dans un tel cas ? Un homicide légal ? Un suicide avec la complicité de l’État ? Le débat est lancé, et les implications sont lourdes : aux États-Unis, des centaines de détenus attendent dans les « couloirs de la mort », et leur sort est désormais inextricablement lié à celui de Gilmore : s’il est exécuté, alors plus rien ne s’oppose à ce que leur tour vienne en son temps.

 

Gary Gilmore sera bel et bien exécuté – fâcheux précédent. Et Norman Mailer de nous narrer avec brio, en se fondant sur une documentation de première main impressionnante, les différents épisodes de cette complexe affaire. À l’aide d’un style clinique (pas toujours bien servi par la traduction, hélas – « Samedi soir vivant », vraiment ?) et avec une étonnante volonté d’exhaustivité, l’auteur nous entraîne dans la ronde infernale qui tourne autour de Gary Gilmore, impliquant des dizaines de personnages, des plus banals aux plus charismatiques, parents, amis, journalistes, avocats (qui le défendent malgré lui), etc.

 

Un sujet en or, donc. Au-delà de la seule volonté de coller au plus près des faits, Le Chant du bourreau interroge tout un chacun et ébranle les convictions les plus solides (parole d’abolitionniste convaincu). Le dilemme éthique qu’il soulève est pour ainsi dire trop beau pour être vrai. Mais l’auteur n’oublie jamais, et ne manque pas de rappeler à son lecteur, que derrière les faits sordides et les grandes questions se tiennent des êtres humains, pensants, en chair et en os, et dont la vie ne tient parfois qu’à un fil.

 

Une autre marque du talent de Mailer réside dans la très grande « objectivité » du Chant du bourreau. Il nous offre tous les points de vue sans en privilégier aucun, et traite ses personnages avec respect, quel que soit leur camp, ne sombrant jamais dans la caricature. On sent cependant à l’occasion le pamphlétaire s’agiter derrière le narrateur et, à n’en pas douter, ce livre étonnant et monumental a bien quelque chose d’un cinglant réquisitoire contre le système carcéral et ses insuffisances. Mais, pour le reste, le lecteur doit faire face seul, comme Gary Gilmore devant le peloton d’exécution.

 

Un sujet en or, oui. Et magnifiquement traité. Le Chant du bourreau est très certainement un grand livre, et l’on peut bien dire que Norman Mailer a bien remporté son pari.

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"Elliot du Néant", de David Calvo

Publié le par Nébal

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CALVO (David), Elliot du Néant, [s.l.], La Volte, 2012, 312 p.

 

David Calvo déconcerte – c’est rien de le dire. On connaît le goût du bonhomme pour les marges et les interstices (on y reviendra), mais, et en partie justement pour cela, difficile de prédire ce qu’il va nous pondre pour la prochaine fois. Enfin, si : un œuf (en l’occurrence bourré de coquilles, c’est mal). Mais, que ce soit pour les initiés ou les béotiens – votre serviteur se situant plutôt dans la seconde catégorie –, il y a fort à parier que ce sera un Kinder Surprise.

 

On ne sait donc pas vraiment dans quoi on s’embarque en entamant la lecture d’Elliot du Néant, septième titre (et non pas roman, non, non) de l’auteur, publié cette fois chez La Volte. La couverture d’une étonnante – ou pas – sobriété ne nous aide à vrai dire pas vraiment pour déterminer le contenu. Alors, de quoi David Calvo nous parle-t-il dans Elliot du Néant ?

 

Eh bien, du Néant.

 

C’est-à-dire de Rien.

 

Ou peut-être que non, disons le Vide.

 

Voire le Non-Être.

 

Et là, le lecteur cuistre de brandir son Gorgias et quelques volumes de sagesses orientales en pensant y trouver la clé.

 

Raté.

 

« Et si le Néant était quelque chose plutôt que rien ? » La vérité est ailleurs. Dans les marges, les interstices. Comme par exemple dans l’espace qui sépare deux cases d’une bande-dessinée, ou, mieux encore, en continuant dans le même registre, de la ligne claire qui distingue Tintin du décor dans lequel il évolue. Et comme dans Tintin, à chaque page sa surprise. Il faut dire qu’avec un sujet pareil, David Calvo peut nous parler de tout ou de n’importe quoi. Voire de tout et de n’importe quoi. Alors pourquoi pas un peu de folklore islandais mâtiné de proto-cyberespace ludique, avec des vrais morceaux de féerie dedans ? Et, en majesté, Mallarmé qui fait dans l’-yx.

 

Nous sommes donc en Islande, et plus précisément à Hafnadjordur – franchement, on devrait les exterminer rien que pour avoir des noms aussi compliqués –, en 1986. Elliot, le vieux concierge de l’école, pas qu’un peu autiste, a disparu façon « chambre jaune ». La direction fait appel à Bracken, qui a la double malchance d’être professeur de dessin et français, pour retrouver la trace du vieux bonhomme, à la veille de la grande kermesse annuelle.

 

Et David Calvo de nous emmener ainsi, à force d’étranges dialogues pour le moins abscons sur la nature du Néant, et d’autant plus étonnants qu’ils paraissent tout à fait sensés et « normaux », dans une fente entre les mondes. L’intrigue se déroule dès lors sur deux plans : le nôtre, et celui du Néant, dont Elliot pourrait bien être le maître. D’un côté, une bande de profs qui en ont gros, mais alors très gros sur la patate ; de l’autre, un sympathique morse et plein de macareux.

 

On pense alors beaucoup, dans cette féerie absurde et grotesque, à l’univers d’un James Matthew Barrie ou plus encore d’un Lewis Carroll. « Alice », bien sûr, jusque dans la dimension ludique du Néant, mais peut-être plus encore Sylvie et Bruno, du fait de ces passages incessants, dont on ne sait trop s’ils sont brutaux ou du genre à se fondre discrètement, entre notre réalité, où l’on philosophe volontiers, et celle de la féerie, tellement plus enthousiasmante. Le grotesque fait des ravages dans les deux décors, et pour le mieux.

 

Armé de sa plume irréprochable, campant des personnages solides et sympathiques – et je ne vous parle même pas des tortues –, David Calvo nous livre ainsi avec Elliot du Néant un étonnant petit bouquin, dont on ne sait trop s’il est d’une simplicité enfantine ou d’une complexité, euh, « post-moderne », disons ; quoi qu’il en soit, il parvient aisément à son but, et se révèle tout à fait enthousiasmant de la première à la dernière page. Intelligent et joueur, jubilatoire et beau, Elliot du Néant séduit et convainc sans souci. Le Calvo nouveau est donc un bon cru, que l’on recommandera sans hésiter à ses admirateurs comme à ceux qui souhaiteraient découvrir son univers si particulier.

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"Le Maître et Marguerite", de Mikhaïl Boulgakov

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N.B. : Compte rendu rédigé à un mauvais moment, je vous prie de m’excuser pour ses flagrantes insuffisances.

 

BOULGAKOV (Mikhaïl), Le Maître et Marguerite, texte intégral précdé d’une introduction de Sergueï Ermolinski, traduit du russe par Claude Ligny, Paris, Robert Laffont, coll. Pavillons poche, [1968] 2012, 643 p.

 

Une fois n’est pas coutume, c’est à un ouvrage posthume et peu représentatif de la majeure partie de sa production littéraire (il était essentiellement dramaturge) que l’écrivain russe Mikhaïl Boulgakov doit sa renommée mondiale. Paru un quart de siècle après la mort de son auteur, venant parachever des années de lutte contre la censure sous toutes ses formes, Le Maître et Marguerite est un roman fantastique dans tous les sens du terme.

 

Un ouvrage riche et dense, saturé de personnages secondaires, et qu’il n’est guère aisé de résumer. On ne fera cependant pas de mystère : comme le champ lexical le laisse supposer très tôt, dans ce roman, le Diable et sa suite s’abattent sur Moscou, et vont en faire voir de toutes les couleurs aux Moscovites.

 

Tout commençait pourtant si « innocemment », par un débat – pour le moins pittoresque – sur l’existence ou non de Jésus, débouchant sur la première partie d’un récit de la Passion envisagée selon le point de vue de Ponce Pilate… Mais l’étranger qui s’est immiscé dans la scène dit avoir vu ces événements. Il prétend aussi voir le futur, et prédit la mort dans des circonstances atroces d’un de ses interlocuteurs… qui survient presque aussitôt. On le poursuit comme assassin et « hypnotiseur », mais impossible de mettre la main sur lui, de même que sur son comparse vêtu de carreaux qui se fait passer pour son interprète, ou cet étrange chat qui a tenté de monter dans le tramway et d’acheter un ticket… Les noms de Woland, Koroviev et Behemoth vont bientôt devenir célèbres à Moscou, après une série de « miracles » détournés en mauvaises blagues abusant de la cupidité du spectateur lambda.

 

Et le Maître et Marguerite dans tout ça ? Eh bien, malgré le titre, ils n’ont tout d’abord qu’un rôle éminemment secondaire, et l’auteur aura beau dire, son Maître – nous ne le connaîtrons jamais que sous ce pseudonyme – n’a pas vraiment la carrure d’un héros… C’est juste un auteur qui a écrit un roman sur Ponce Pilate, roman dont personne ne veut, et qui a sombré dans la folie.

 

Mais Marguerite est indéniablement plus charismatique. Maîtresse du Maître (ben oui), elle est de ces femmes adultères auxquelles on ne jettera pas la pierre. Elle vénère son amant et est prête à tout pour lui. Absolument tout. Alors pourquoi ne pas s’enduire le corps de l’onguent des sorcières et se rendre au bal du Diable ? La délicieuse amoralité des amours du Maître et de Marguerite ne les rend que plus belles, et, paradoxalement, pures.

 

Le roman de Mikhaïl Boulgakov offre donc une fort jolie romance. Mais ce n’est bien évidemment pas tout. En accumulant les scènes grotesques, en poussant parfois jusqu’au burlesque, Le Maître et Marguerite se présente également comme une satire vive, enjouée et jubilatoire de la société moscovite d’alors, et plus particulièrement de ses élites ô combien cupides et bornées.

 

Par un complet retournement des valeurs, les forces du mal nous sont donc présentées ici de façon plutôt sympathique. Mais il y a de quoi faire pencher la balance en sens inverse (ou bien…?) avec cette minutieuse et apocryphe reconstitution de la Passion qui constitue un des fils rouges de ce texte extrêmement riche et faisant feu de tout bois.

 

L’art de Mikhaïl Boulgakov impressionne. Sa plume, toujours juste, est capable de susciter une incroyable variété d’émotions. On notera plus particulièrement ce génie pour l’absurde et le grotesque, qui parvient à susciter à la fois et le rire et la peur, ce qui n’est pas une mince performance. Mais cet exploit est renouvelé à plusieurs reprises, dans ce roman qui sait aussi se montrer tendre comme fougueux, délicat comme brutal, spirituel comme matériel.

 

On comprend donc bien pourquoi Le Maître et Marguerite est si estimé, et très justement placé au sommet des chefs-d’œuvre du fantastique, russe certes, mais pas seulement. Un très grand roman, protéiforme, toujours surprenant mais toujours pour le mieux.

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"Ada ou l'Ardeur", de Vladimir Nabokov

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N.B. : Compte rendu rédigé à un mauvais moment, je vous prie de m’excuser pour ses flagrantes insuffisances.

 

NABOKOV (Vladimir), Ada ou l’Ardeur. Chronique familiale, [Ada or Ardor : A Family Chronicle], traduit de l’anglais par Gilles Chahine avec la collaboration de Jean-Bernard Blandenier, traduction revue par l’auteur, Paris, Fayard – Gallimard, coll. Folio, [1969-1970, 1975, 1994] 2009, 765 p.

 

Nabokov, l’immense Nabokov, disait, à ce qu’il semblerait : « Ada est probablement l’œuvre pour laquelle j’aimerais qu’on se souvienne de moi. » Pas de chance, il y a Lolita… Mais ça n’empêche pas Ada ou l’Ardeur de figurer parmi les ouvrages les plus plébiscités de l’auteur, même s’il se traîne l’étrange réputation de « roman pour écrivains ».

 

En tout cas, en faire une critique n’est pas particulièrement aisé… d’autant plus que l’auteur lui-même achève son roman sur sa critique : « Le château d’Ardis – les Ardeurs et les Arbres d’Ardis – voilà le leitmotiv qui revient en vagues perlées dans Ada, vaste et délicieuse chronique, dont la plus grande partie a pour décor une Amérique à la clarté de rêve – car nos souvenirs d’enfance ne sont-ils pas semblables aux caravelles voguant vers la Vinelande, qu’encerclent indolemment les blancs oiseaux des rêves ? Le protagoniste, héritier de l’une de nos plus illustres et plus opulentes familles, est le Dr Van Veen, fils du baron « Démon » Veen, mémorable personnalité de Reno et de Manhattan. La fin d’une époque extraordinaire coïncide avec la non moins extraordinaire enfance de Van. Il n’est rien dans la littérature mondiale, sauf peut-être les réminiscences du comte Tolstoï, qui puisse le disputer en allégresse pure, innocence arcadienne, avec les chapitres de ce livre qui traitent d’ « Ardis ». Dans cette fabuleuse propriété de campagne de l’oncle de Van, Daniel Veen, grand amateur d’art, un ardent amour d’enfance va naître et se développer en une série de scènes fascinantes entre Van et la jolie Ada, une gamine vraiment exceptionnelle, fille de Marina, l’épouse entichée de théâtre de Daniel. Le fait que leurs relations ne sont pas qu’un dangereux cousinage, mais présentent un aspect défendu par la loi, est suggéré dès les premières pages.

 

« Malgré les nombreuses complications de l’intrigue et de la psychologie, le récit va bon train. Avant même que nous ayons le temps de souffler et de contempler tranquillement le nouveau décor au milieu duquel le tapis magique de l’auteur nous a « versés », une autre charmant créature, Lucette Veen, sœur cadette d’Ada, s’emballe pour Van, notre noceur irrésistible. La destinée tragique de Lucette représente un des « highlights » de ce délicieux livre.

 

« Le reste de l’histoire de Van a pour sujet – présenté d’une manière franche et colorée – sa longue aventure amoureuse avec Ada. Leur roman est interrompu par son mariage dans l’Arizona avec un éleveur de bétail dont l’ancêtre fabuleux découvrit l’Amérique du Nord. Le mari meurt, les amants sont réunis. Ils passent leur vieillesse à voyager ensemble et à séjourner dans les nombreuses villas, chacune plus belle que l’autre, que Van a érigées un peu partout dans l’hémisphère occidental.

 

« La délicatesse du détail pittoresque n’est pas le moindre des ornements de la présente chronique : une galerie treillissée ; un plafond peint ; un joli jouet échoué parmi les myosotis d’un ruisseau ; des papillons et des orchis papilionacés en marge du roman, un lointain voilé vu d’un perron de marbre ; une daine héraldique qui tourne la tête vers nous dans le parc ancestral ; et bien des choses encore. »

 

 

Que dire de plus ? Non, mais franchement ? L’auteur lui-même a fort bien décrit son propos dans ces deux dernières pages narquoises et enjouées, comme l’est le roman dans son ensemble. Nous y vivons avec lui les amours pas très innocentes (autant le dire : incestueuses) de Van et des sœurs Ada et Lucette dans la magnifique demeure d’Ardis, sur Antiterra, planète jumelle et inaccessible, celle probablement où l’on attend sur Le Rivage des Syrtes, ou bien où l’on erre dans le dédale de Gormenghast. Mais avec plus de luminosité, sans doute.

 

Si le ton change en cours de route, la majeure partie du roman est frappée au sceau de la joie pure et de l’amour intégral. Ce qui peut être agaçant… Enfin, ça l’a été pour moi, mais le moment où je l’ai lu y était pour beaaucoup. Mais il y a ces si beaux personnages, si troublants tous autant qu’ils sont, et, bien sûr, cette plume inimitable et polyglotte (du coup, le texte est bourré de calembours et de mots-valises qui passent plus ou moins bien en français, mais aussi en anglais et en russe, ou alors peut-être que non… ?).

 

Roman amoureux et lumineux, Ada séduit avant tout, et se pose incontestablement en modèle d’érotisme.

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