ASIMOV (Isaac), Le Grand Livre des robots, 1. Prélude à Trantor, préface de Jacques Goimard, [Paris], Presses de la Cité / Omnibus, [1967, 1976, 1978, 1980, 1986] 1990, XXI + 998 p.
ASIMOV (Isaac), Le Grand Livre des robots, 2. La gloire de Trantor, préface de Jacques Goimard, [Paris], Presses de la Cité / Omnibus, [1950-1952, 1973-1974, 1983-1986] 1991, XVIII + 1183 p.
Mon article, qui porte sur le « cycle des Robots » stricto sensu, se trouve dans le Bifrost n° 66, dans le dossier consacré à Isaac Asimov, pp. 136-142.
Je vais tâcher de le rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.
En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…
EDIT : Hop :
1. Les robots sont nos amis
« Première Loi : Un robot ne peut nuire à un être humain ni laisser sans assistance un être humain en danger.
« Deuxième Loi : Un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par les êtres humains, sauf quand ces ordres sont incompatibles avec la Première Loi.
« Troisième Loi : Un robot doit protéger sa propre existence tant que cette protection n’est pas incompatible avec la Première ou la Deuxième Loi. »
Si, comme disait l’autre, le propre du génie est d’inventer les clichés, alors il y avait à n’en pas douter du génie chez Isaac Asimov. Incontestablement, il y a, dans la science-fiction américaine, et au-delà mondiale, un avant et un après Asimov, tout particulièrement en ce qui concerne le thème si essentiel au genre des robots et de la robotique (le bon docteur s’attribuant la paternité de ce dernier terme avec son arrogance et son autosatisfaction coutumières).
Les fameuses « Trois Lois de la robotique » que nous venons de citer sont devenues incontournables pour le thème, bien au-delà de la seule production d’Asimov : nombre d’œuvres de science-fiction, qu’elles soient littéraires ou cinématographiques (sans se limiter au navrant I, Robot supposé inspiré par l’auteur…), etc., ont repris à leur compte ces Trois Lois ou les ont pastichées (on pourrait citer Roland C. Wagner ou Xavier Mauméjean, de par chez nous, ou encore Cory Doctorow dans deux nouvelles de son recueil Overclocked, dont l’une figure dans le présent numéro de Bifrost), et l’on sait aussi – lieu commun à nouveau – que certains chercheurs en intelligence artificielle et en robotique ont confessé s’en inspirer. C’est toujours le cas aujourd’hui, plus de 70 ans après les premiers textes du « cycle des Robots » (« Robbie » date de 1940).
Plus généralement, au-delà des seules Trois Lois de la robotique, mais en bonne partie grâce à elles, c’est la figure même du robot qui a changé – figure par excellence de l’altérité chez Asimov, qui n’a que très rarement recours aux extraterrestres. La plupart des premiers exemples de « robots » que nous a fournis la littérature avaient quelque chose d’inquiétant, constituaient largement une menace : on pourrait remonter jusqu’au golem ou à la créature de Frankenstein, mais, pour s’en tenir aux « robots » au sens strict (encore que…), ceux de R.U.R. de Karel Čapek, la pièce où le terme apparaît pour la première fois, en sont une bonne illustration. Expression éclatante de l’hybris humaine, et plus particulièrement des scientifiques jouant à être Dieu, les robots sont contre-nature et menaçants pour l’humanité qu’ils singent, que le danger prenne un aspect individuel ou collectif (la fameuse révolte des robots). Il y avait certes des contre-exemples, et Asimov le premier évoquait volontiers ces lectures qui l’enchantaient tant où l’on trouvait, déjà, des robots amicaux, voire émouvants. Mais c’est en grande partie son œuvre qui a changé la donne : Asimov a, plus que quiconque auparavant, fait du robot un produit industriel de masse, auquel on était obligé de s’adapter, mais tout en offrant les garanties nécessaires pour prévenir tout danger à l’égard des humains en particulier ou de l’humanité en général ; d’où les Trois Lois. Aussi, si l’obsession de la menace, ou « complexe de Frankenstein », touche toujours bon nombres de personnages humains d’Asimov (on y reviendra), on ne trouve que rarement des robots menaçants dans son œuvre (même s’il en existe : pensez aux « automatobiles » de « Sally », ou aux androïdes de « Assemblons-nous » ; de manière plus subtile, et plus convaincante, citons aussi « Le Robot qui rêvait » et « Pour que tu t’y intéresses ») et, de manière générale, la figure même du robot menaçant s’est faite plus rare (même si l’on en conserve aujourd’hui des exemples non négligeables, dont les plus flagrants sont probablement Terminator et Battlestar Galactica). Par contre, la figure autrefois rare du robot sans danger (version a minima du simple produit industriel), éventuellement amical, et même potentiellement émouvant – human after all ? voyez « L’Homme bicentenaire » – s’est généralisée.
2. De Susan Calvin à la Loi Zéro
Le « cycle des Robots » constitue ainsi un des deux grands piliers de l’œuvre science-fictive d’Asimov, l’autre étant le « cycle de Fondation » ; mais très tôt s’est dessiné un vaste projet d’unification de ces deux ensembles (même si sa réalisation n’a été que tardive), dessinant une « histoire du futur » sans commune mesure, dépassant en ampleur les travaux similaires de, par exemple, Robert Heinlein et Cordwainer Smith. C’est cependant le seul « cycle des Robots » qui retiendra ici notre attention, même si les textes les plus tardifs le composant comportent des passerelles vers « Fondation ».
Stricto sensu, le « cycle des Robots » est composé d’une grosse trentaine de nouvelles (publiées en français dans divers recueils, le plus complet étant Nous les robots dans l’omnibus Le Grand Livre des robots, I. Prélude à Trantor) et de quatre romans : le diptyque policier composé des Cavernes d’acier et de Face aux feux du soleil, et les plus récents Les Robots de l’aube et Les Robots et l’Empire (Le Grand Livre des Robots comprend également Les Courants de l’espace, Poussière d’étoiles et Cailloux dans le ciel, mais il s’agit là, assez clairement, d’un autre ensemble, le « cycle de l’Empire galactique », entre les « Robots » et « Fondation »).
Le volumineux Nous les robots (plus de 500 pages au format omnibus), traduction augmentée de The Complete Robot, est organisé thématiquement et non chronologiquement. On y croise toutes sortes de robots, y compris certains pour lesquels ce terme paraît d’une application contestable (les « robots immobiles » sont clairement des ordinateurs), même si l’essentiel renvoie bien aux fameux robots positroniques chers à l’auteur.
Y figurent quelques personnages récurrents : outre les flics Elijah Baley et R. Daneel Olivaw, héros des polars SF du cycle, qui font une brève apparition dans « Effet miroir », on pourra ainsi citer les techniciens de terrain Powell et Donovan, inspirés de personnages de Campbell, et, surtout, la géniale robopsychologue Susan Calvin, qui figure, avec ses collègues de l’U.S. Robots, dans un tiers de ces nouvelles, et est apparue dès la troisième histoire de robot de l’auteur, « Menteur » (après une mention anecdotique dans la première de ces nouvelles, « Robbie », qu’on supposera être un rajout ultérieur).
On y retrouve régulièrement un schéma qui traverse l’ensemble du cycle : un problème est soulevé qui concerne l’application des Trois Lois de la robotique, rendant éventuellement un robot « fou » ou en tout cas « anormal » (de manière très concrète ou bien seulement en apparence – voir par exemple « Le Correcteur »), problème qu’il s’agit dès lors de résoudre, souvent en faisant face à l’hostilité humaine à l’encontre des robots (complexe de Frankenstein, qui conduit notamment à bannir – temporairement – les robots de la Terre). Bon nombre de ces nouvelles prennent ainsi l’aspect d’un jeu logique, où Asimov s’amuse à explorer, ou à contourner, toutes les ambiguïtés des Lois (voir notamment « Le Petit Robot perdu »).
Prenons par exemple les nouvelles de Powell et Donovan (en passant sur « Évasion ! », qui est avant tout une nouvelle de Susan Calvin, et « Première Loi », qu’Asimov lui-même qualifie de « plaisanterie », mais qui applique bien ce schéma… tout en s’intégrant mal dans un cycle il est vrai non exempt de contradictions – ce n’est d’ailleurs pas la seule nouvelle dans ce cas, un autre exemple flagrant étant la très blagueuse également « Victoire par inadvertance ») : dans celle intitulée « Cercle vicieux », un robot, Speedy, tourne en rond au lieu d’effectuer sa mission, pourtant vitale pour les humains que sont Powell et Donovan ; on découvre que ceci résulte d’instructions contradictoires (double bind, si l’on y tient), la Troisième Loi ayant été renforcée chez ce robot, et entrant ainsi en conflit avec les Première et Deuxième Lois ; une fois cette prise de conscience effectuée, il ne s’agit plus que de ramener le robot « fou » à la raison… « Raison » qui, cependant, comme dans la nouvelle éponyme, peut avoir des conséquences inattendues, voire « folles » : cogito ergo sum… Quant à « Attrapez-moi ce lapin », qui conclut ce « cycle dans le cycle », on y retrouve une fois de plus un robot « fou » qui n’obéit pas aux ordres qu’on lui a donnés : il s’agit donc de trouver pourquoi la Deuxième Loi est mise en échec… ou semble l’être.
Ce jeu logique peut être poussé très loin, et constituer à vrai dire l’ensemble de la nouvelle, comme dans « Effet miroir », où l’on retrouve dans un sens le paradoxe du menteur.
Tout ceci s’effectue très souvent dans le cadre de nouvelles « à chute », mais ce caractère vaut également au-delà de ce seul schéma primordial. « Ségrégationniste », « Assemblons-nous » ou encore « L’Incident du tricentenaire » en sont de bons exemples.
Aussi nombre des nouvelles composant Nous les robots ont-elles un parfum de policier classique. On sait qu’Asimov appréciait le genre, et s’y est livré parallèlement à sa production science-fictive (voir « les Veufs noirs »). Rien d’étonnant, donc, dans un sens, si la suite du cycle est constituée par deux romans symétriques mêlant science-fiction et polar à l’ancienne, Les Cavernes d’acier et Face aux feux du soleil, mettant en scène le duo d’enquêteurs composé d’Elijah Baley et R. Daneel Olivaw.
Les Cavernes d’acier se situe plusieurs milliers d’années après l’époque héroïque des travaux de Susan Calvin. L’humanité s’est scindée en deux camps bien distincts : les Terriens, restés sur la planète bleue, ont développé la culture « civique », et vivent entassés dans de gigantesques Cités communautaires coupées de l’extérieur (ambiance claustrophobe garantie) ; les Spaciens sont les habitants des Mondes Extérieurs, descendants des premiers colons envoyés par la Terre à travers la galaxie : peu nombreux, ils sont résolument progressistes, et habitués aux robots. Ce n’est pas le cas des Terriens, chez qui existe un fort courant réactionnaire, dit « médiévaliste », qui en veut terriblement aux Spaciens comme aux robots, accusés de tous les maux…
Le roman se déroule à New York, et dans la minuscule enclave voisine de Spacetown. Le flic new-yorkais Elijah Baley, qui ne porte pas vraiment les Spaciens dans son cœur, se voit confier une enquête sur un mystérieux meurtre commis à Spacetown. Aussi lui a-t-on adjoint un collègue spacien : R. Daneel Olivaw, qui, comme son nom l’indique, est un robot (et accessoirement la dernière création, à son image, de la victime, ardent partisan de la culture « C/Fe » où humains et robots vivraient en harmonie). La cohabitation n’est pas évidente entre ces deux personnages que tout oppose… d’autant qu’Elijah Baley est porté à chercher le coupable à Spacetown, et R. Daneel Olivaw à New York. Mais cette enquête sera pour Baley l’occasion de prendre conscience de ses préjugés et d’en balayer quelques-uns.
Le roman, au-delà de la seule enquête policière, et sous l’éventuelle allégorie anti-raciste, offre ainsi une sorte de périple initiatique, qui est également l’occasion d’une réflexion sur la nature du progrès et des échanges inégaux entre cultures radicalement différentes.
Face aux feux du soleil se déroule un an plus tard, et prend le contre-pied des Cavernes d’acier. Si l’on retrouve le même duo d’enquêteurs – encore que R. Daneel Olivaw ne fasse guère ici que de la figuration –, c’est dans un cadre totalement opposé : des Cités cloisonnées de la Terre, on passe aux vastes étendues désertiques d’un des Mondes Extérieurs, Solaria, qui n’est peuplé que de 20 000 habitants (humains, s’entend ; les robots sont par contre extrêmement nombreux). Elijah Baley, qui souffre méchamment d’agoraphobie, se voit requis par les Spaciens – néanmoins toujours aussi méprisants à son égard, mais il le leur rend bien – pour résoudre un crime impossible : un meurtre a été commis, sur cette planète où les gens ne se rencontrent jamais physiquement, mais communiquent par stéréovision. Gladïa, la femme de la victime, bien obligée de croiser son époux de temps à autre malgré qu’elle en ait, est donc un suspect tout désigné. Mais les choses ne sont bien entendu pas aussi simples…
La dimension « policier classique » est ici particulièrement marquée, avec cette logique de crime impossible (un peu « Chambre jaune », dans un sens). Roman plein d’astuce et offrant un cadre riche et dépaysant, Face aux feux du soleil soulève de nouveaux questionnements sur les Lois de la robotique, tout en accentuant la thématique de « choc culturel » des Cavernes d’acier.
Le cycle se conclut sur Les Robots de l’Aube et Les Robots et l’Empire, deux romans publiés dans les années 1980, parallèlement à Fondation foudroyée et Terre et Fondation. De même qu’avec ces deux derniers livres, il s’agit ici pour Asimov de parachever son entreprise d’unification, avec pour figures centrales les robots quasi divins R. Daneel Olivaw et R. Giskard (ça ne s’invente pas).
Les Robots de l’aube (entamé dans les années 1950 mais achevé bien plus tard) débute deux ans après Face aux feux du soleil. Il s’agit à nouveau d’un polar SF, dans lequel Elijah Baley, secondé par R. Daneel et R. Giskard, doit enquêter sur un éventuel « roboticide » commis sur Aurore, la plus vieille planète spacienne. L’affaire a en fait des résonances politiques importantes, puisqu’en découle indirectement l’avenir de la colonisation de la galaxie, par la Terre ou non, par des robots ou par des humains ; c’est le terrain sur lequel s’affrontent le Dr Fastolfe, que l’on avait déjà croisé dans Les Cavernes d’acier, et qui se pose ici en précurseur de la psycho-histoire, et le Dr Amadiro, qui défend les intérêts aurorains. On y retrouve également Gladïa de Face aux feux du soleil, qui a décidément un don pour se mettre dans les ennuis jusqu’au cou.
Les Robots et l’Empire se situe 200 ans plus tard. Fastolfe et a fortiori Elijah Baley sont morts depuis longtemps. Mais on retrouve les autres personnages du volume précédent, auxquels il faut ajouter notamment le mystérieux Dr Mandamus, descendant de Gladïa, et D.G. Baley, descendant d’Elijah. Les projets de Fastolfe se sont concrétisés : la Terre entreprend à nouveau son expansion à travers la galaxie, et, aux Terriens et Spaciens, il faut donc ajouter dorénavant les Coloniens (comme D.G., de Baleyworld). On aura l’occasion de découvrir cet univers suite à un long voyage de Gladïa, Daneel et Giskard, qui les conduira d’Aurore à Solaria, puis à Baleyworld et sur Terre. Mais les vrais héros du roman sont bien Daneel et Giskard, qui enquêtent sur une terrifiante mais indicible menace planant sur la Terre. Il en résultera le développement de la « Loi Zéro » et l’apothéose de Daneel, idées que l’on retrouvera dans les derniers tomes de « Fondation ».
3. Sacrifions Isaac (sans intervention divine de dernière minute, parce que bon)
On connaît la blague : « What is the golden age of science-fiction ?
— Thirteen. »
Celle-ci s’applique à bon nombre d’auteurs du fameux (fumeux ?) « Âge d’Or de la science-fiction »©, et en tout cas très clairement à Isaac Asimov, du moins pour ce qui est du « cycle des Robots ». Sans aller nécessairement jusqu’à en faire un auteur « jeunesse » (mais pourquoi pas, après tout ? il ne serait pas le premier à avoir franchi la barrière au fil du temps), on avouera que ces textes gagnent à être découverts tôt. Ils constituent même à cet égard une très bonne introduction à la science-fiction, ainsi que peut en témoigner votre serviteur, qui avait lu et relu et re-relu Les Cavernes d’acier à l’âge des premiers boutons sur la gueule. Le ton (relativement) léger de l’ensemble, l’humour dont fait généralement preuve l’auteur (on y reviendra, ceci dit…), sa plume souvent louée pour sa simplicité et sa clarté dans l’expression (n’oublions pas qu’Asimov fut aussi un très grand vulgarisateur), ses thématiques universelles et très morales, son astuce enfin, tout cela joue en faveur du « cycle des Robots » auprès des plus jeunes lecteurs, qui pourront à bon droit se régaler de ce qu’il convient bien d’appeler un monument de la science-fiction mondiale.
Mais pour des lecteurs adultes, c’est une autre histoire… Votre serviteur (encore lui) avouera que cette relecture, entamée dans l’enthousiasme et avec plein de souvenirs émerveillés en tête, s’est très vite avérée un véritable calvaire. Aussi ne pourra-t-on que difficilement conseiller ce cycle à des lecteurs qui seraient passés à côté durant leur enfance, et ce malgré son caractère séminal. C’est qu’il est riche de défauts qui, pour être plutôt moins gênants que plus quand on est un ado, ne passent plus au-delà d’un certain âge, et ne supportent pas la relecture.
Inévitablement, on commencera par pester sur le style. Disons-le franchement : c’est abominablement mal écrit (et sans doute traduit, ce qui n’arrange rien) ; la plume purement utilitaire d’Asimov, qui n’avait certes aucune autre ambition ici que celle de la simplicité, ambition parfaitement louable en elle-même, nous réserve en effet bien des mauvaises surprises, tels d’innombrables et fort maladroits dialogues d’exposition (qui constituent à vrai dire à eux seuls la quasi-totalité des textes). Et on peine régulièrement devant ces écrits sans apprêt, finalement plus lourds que simples. Le « cycle des Robots » est une véritable caricature de la science-fiction de cette époque, écrite avec les pieds, où le fond seul importe, la forme n’ayant qu’une fonction de véhicule.
Cette lourdeur, hélas, vaut aussi pour le ton de l’ensemble : l’humour du bon docteur, élément récurrent du cycle, est à peu de choses près imbitable, et terriblement gamin. Tout cela est en outre d’une candeur affligeante, d’une naïveté à faire peur, tout bonnement inacceptable pour un lecteur adulte. Enfin, Asimov, toujours sans doute à la recherche de la clarté, se montre d’un didactisme fort pénible, à expliquer tout, absolument tout, même le plus évident (prenez par exemple la fin de « Victoire par inadvertance », particulièrement éloquente à cet égard).
Nous les robots, notamment, s’est avéré très rude à la relecture, celle-ci se montrant très difficile, à la limite de l’impossible. Passé un certain âge, bon nombre de ces histoires courtes ne fonctionnent tout simplement plus. Certes, ce n’est pas totalement de la faute d’Asimov : les clichés aujourd’hui si horripilants dans ces textes n’en étaient pas au moment de leur rédaction, et lui reprocher de faire dans le lieu commun serait très clairement sombrer dans l’anachronisme. Mais ça n’en facilite pas la lecture… De même que la construction de l’ensemble : les nouvelles « à chute », nombreuses, voient leur effet totalement anéanti par leur prévisibilité et le didactisme à gros traits de l’auteur. Ces textes, qui n’offrent plus aujourd’hui la moindre surprise, ne présentent dès lors plus guère d’intérêt, voire plus du tout, si ce n’est à titre de témoignage d’une époque où la science-fiction pouvait se permettre de se montrer aussi innocente. Si l’on ajoute à tout cela le caractère très répétitif des intrigues et des structures, on aboutit à un gros recueil finalement plutôt indigeste.
Les personnages, hélas, n’arrangent rien : au mieux parfaitement creux, réduits au simple rôle de pourvoyeurs de dialogues (voyez Powell et Donovan, par exemple – et quels dialogues, mes aïeux !), ils sont au pire agaçants et/ou ridicules. Susan Calvin en est un très bon (et triste) exemple : personnage féminin dans un monde très masculin, elle n’en relève pas moins de la caricature machiste ; dans la mesure où elle se montre « géniale », elle ne saurait par voie de conséquence être ni séduisante, ni sympathique ; et Asimov de préciser, goguenard : « il est évident qu’elle est sexuellement insatisfaite. Mais on ne peut pas tout avoir. » Imaginerait-on pareille allusion pour un personnage masculin ? Et la robopsychologue de se trouver ainsi artificiellement « féminisée » à outrance, façon vieille harpie frigide – amoureuse jalouse (« Menteur ») ou complaisante (« Satisfaction garantie »), mère frustrée (« Lenny »), etc. Aussi ce personnage central dans le cycle se révèle-t-il très vite absolument insupportable et hélas souvent ridicule (surtout dans les premiers textes où elle figure, disons ; les autres personnages féminins, quand il y en a, se contentant généralement d’être superficiels – voyez encore « Satisfaction garantie » ; et de manière générale, la nouvelle « Intuition féminine » est assez éloquente, malgré son ambiguïté supposée).
À la plus grande surprise et déception de votre serviteur (toujours lui), les choses ne se sont pas vraiment améliorées avec Les Cavernes d’acier, roman qui, pour être riche de bonnes idées, n’en a pas moins terriblement mal vieilli. L’enquête est poussive, faite de rebondissements grotesques, généralement dus à la bêtise insondable et aux préjugés d’Elijah Baley (difficile de s’identifier à ce héros, du coup). Et les aspects les plus intéressants du roman sont noyés dans une soupe peu ragoûtante, au style déplorable, aux dialogues ineptes, aux personnages caricaturaux, aux situations téléphonées. Quant à la conclusion, on dira poliment qu’elle n’est guère satisfaisante… Autant dire que ce roman n’a pas supporté lui non plus la relecture.
Si l’on retrouve la plupart de ces défauts dans Face aux feux du soleil, ce second roman policier passe néanmoins mieux dans l’ensemble, du fait de son astuce et de son cadre foisonnant : les idées fourmillent, qui l’emportent sur les traits les plus pénibles de l’écriture d’Asimov… sans les gommer pour autant. Jusqu’à la conclusion, disons, où là, ça ne passe vraiment plus, tant c’est d’un ridicule achevé.
Pour la suite, les réserves seront plus franches : Les Robots de l’aube est à n’en pas douter un roman raté, reposant sur un postulat bancal, atrocement bavard – des pages et des pages de dialogue d’exposition et de digressions saugrenues (on notera une étrange fascination pour les toilettes) – et d’un ennui mortel. Et les choses empirent (aha) avec le volume suivant, mal construit et verbeux au possible.
« Brûle ce que tu as adoré, fier sicambre ! », comme disait l’autre. À l’évidence, relire « les Robots » fut une erreur. Mieux vaut en garder les bons souvenirs d’une lecture enfantine, que de se risquer à relire le monstre d’un œil plus mature et critique, sauf à vouloir faire dans l’histoire du genre. Car Asimov est bel et bien un monument de la science-fiction, cela, nul ne le niera. Mais les monuments, avec les années, ça s’abîme, ça prend la poussière, et parfois, parfois, à les avoir sempiternellement sous les yeux, on en arrive à vouloir les déboulonner…