"Le Culte des goules", du comte d'Erlette
ERLETTE (François-Honoré de Balfour, comte d’), Le Culte des goules. Traité sur la servitude des âmes, ses rites & causes & comment en user, édition princeps inventée par Antoine Téchenet, [s.l.], Mnémos, coll. Ourobores, 2012, 117 p.
Oui, nous traitons ici d’un énième « livre maudit » lovecraftien. Mais fois raffuré, ô lecteur, celui-ci eft nettement plus fympathique que les abjects Necronomicon évoqués récemment en ces pages, ici et là. Il eft certes raté… mais point fcandaleux, et j’ofe efpérer que mes explications fauront rendre compte pertinemment de ce demi-échec ou de cette demi-réuffite, felon que l’on eft du genre à envifager le verre proverbial comme étant à moitié plein ou à moitié vide.
Le Culte des goules, l’œuvre maudite du comte d’Erlette (allufion tranfparente au triftement célèbre Auguft Derleth), Paris, MDCCIII, conftitue à l’origine une des contributions du jeune (alors) Robert Bloch au prétendu « Mythe de Cthulhu », à l’inftar du non moins célèbre De Vermis Mysteriis de Ludwig Prinn. Un titre étrange pour un grimoire dont on ne favait jufqu’à préfent pas grand-chofe, même fi l’œuvre du Maître de Providence ne manque certes pas de goules (voyez « Le Modèle de Pickman » et La Quête onirique de Kadath l’inconnue), et fi fes pafticheurs n’ont de même pas lésiné fur l’emploi de ce thème (Robert Bloch au premier chef comme de jufte) ; voyez auffi l’article de Robert M. Price fur la nécrophagie dans l’œuvre lovecraftienne, ici.
Mais grâce à Antoine Téchenet, inventeur de l’édition princeps, et aux éditions Mnémos, qui en ont publié le fac-fimilé, il nous eft déformais poffible de confulter directement le diabolique ouvrage dans les meilleures conditions.
Ou prefque…
Nous noterons, pour commencer, que l’objet eft beau. Certes, ce n’eft point là gage de qualité, ainfi que nous l’avons triftement conftaté avec l’abject Necronomicon du myftérieux Simon l’impofteur. Mais ce Culte des goules correfpond ainfi aux canons de la fort fympathique collection « Ourobores » des éditions Mnémos, dont j’ai maintes fois vanté les mérites céans. Il n’eft que de s’habituer aux « s » longs (qui reffemblent décidément fort à des « f », d’où mon emploi abufivement ftupide de ce caractère typographique dans ce compte rendu crétin) pour pénétrer l’univers angoissant du comte, et fe délecter des fi éloquentes gravures qui le parfèment.
L’ouvrage peut être fchématiquement fcindé en cinq parties. Dans la première, le comte nous expofe les différents afpects du myftérieux culte des goules à travers le monde. Ces pages ne font que moyennement intéreffantes, mais conftituent fans doute un préalable indifpenfable.
Font enfuite expofées les révélations du Micoaz, étrange codex aztèque qui renferme la clé du culte, à favoir que les dieux quels qu’ils foient fe nourriffent des âmes des mortels, et qu’il n’eft point d’échappatoire à moins de trouver à pactifer avec lefdites puiffances. Le contenu de l’ouvrage devient ici ouvertement blafphématoire (on peut dès lors fe demander, fi l’on pinaille, comment grimoire auffi hérétique a pu obtenir le privilège du roi Louis en fes fort dévotes dernières années de règne, mais paffons – après tout, il eft écrit en lettres de fang et relié en peau humaine, n’eft-ce pas ?).
Il s’agit donc alors de préfenter, de manière plus fpécifiquement lovecraftienne (encore que c’est tout le « cercle Lovecraft » qui est ainfi convoqué), les différents « dieux » du panthéon cthulien (et c’eft bien de dieux qu’il s’agit ici) ; une mauvaife idée, cependant, à mes yeux en tout cas : la regrettable, mais peut-être, eu égard au nom de l’auteur, inévitable influence d’Auguft Derleth fur ces pages, qui évoquent péniblement la prétendue révolte des Grands Anciens contre les Dieux très anciens, et jouent la carte élémentaire, afpect renforcé par l’affimilation des déités du Mythe aux divinités de notre trifte monde tragique, effentiellement romaines (ainfi, pour prendre un exemple particulièrement fâcheux, l’extra-terreftre Cthulhu eft affocié à Neptune, ce qui lui confère un aspect élémentaire d’eau pourtant incompatible avec fa fuppofée féqueftration à R’lyeh fous les vagues du Pacifique…). Chaque dieu ou prefque eft en outre affocié à une cité, comme, bien entendu, Haftur – ou Mars (?) – à Carcofa.
Puis le comte en vient à aborder l’afpect « pratique » du culte des goules. Ces pages parviennent dans l’enfemble à éviter le finiftre écueil du « livre de cuifine » que l’on rencontre fouvent dans les grimoires, ainfi Le Necronomicon édité par George Hay, et tout autant le ridicule des invocations charabiefco-fumériennes du ridicule Necronomicon du myftérieux Simon l’impofteur.
Et l’ouvrage de fe terminer fur un palimpfefte, quelques pages manufcrites d’Antoine Téchenet, qui viennent changer la donne quant au contenu de l’ouvrage et, pour ce que j’en ai compris, lui conférer plutôt aftucieufement une certaine coloration « politique ». Pour ce que j’en ai compris, difais-je : en effet, la police utilifée est quafiment illifible et les coquilles abondent encore plus que dans ce qui précède – ce qui n’eft pas peu dire –, ce qui en rend la lecture extrêmement pénible…
Nous touchons là au problème effentiel de ce Culte des goules. Non, ce n’eft pas tant l’afpect derléthien précédemment évoqué, même si je le regrette ; ce n’eft pas non plus la relative banalité du livre, forcément moins ténébreux et horrifique que ce que les fictions lovecraftiennes laissaient entendre (mais on pourra tout de même faluer les efforts d’Antoine Téchenet pour livrer quelque chofe de paffablement horrible malgré tout, bien plus que les deux pathétiques ouvrages précédemment évoqués).
Non : le problème, c’eft que ce livre n’eft pas écrit en français. Et encore moins en français claffique du début du fiècle des Lumières. L’expreffion eft lourde fans paraître authentique, certes non ; il eft des phrafes qui ne veulent tout fimplement rien dire, et font plus d’une fois foupirer le lecteur fe voyant infliger ce calvaire. Mais je ne crois pas que la faute en incombe uniquement à Antoine Téchenet : certes, c’eft là fon texte, et il ne coupera pas à fa refponfabilité (terrible malédiction d’Azathoth fur lui !) ; mais il eft bien des indices qui laiffent à entendre que ce livre n’a tout fimplement pas été relu : en temps normal, j’aurais dit « pas fuffifamment relu », mais coquilles, lourdeurs et fautes impardonnables font fi fréquentes que je tends à penfer que ce livre n’a pas été relu du tout… Et c’eft pour le moins regrettable, parce que cela en devient parfois tout bonnement illifible.
Ce qui eft d’autant plus dommage que le livre a malgré tout quelque chofe de fympathique dans fon principe, qui le rend incomparablement fupérieur à ceux que vous favez… Mais, en l’état, je ne faurais pour autant le recommander : ce livre fait peur, oui ; et il fait fouffrir ; mais c’eft furtout parce qu’il pique les yeux, et perfore les oreilles…
Trifteffe.