"La Véritable Histoire de Billy the Kid", de Pat F. Garrett
GARRETT (Pat F.), La Véritable Histoire de Billy the Kid, [The Authentic Life of Billy, the Kid, the Noted Desperado of the Southwest, Whose Deeds of Daring and Blood Have Made His Name a Terror in New Mexico, Arizona and Northern Mexico, by Pat F. Garrett, Sheriff of Lincoln County, N. Mex., by Whom He Was Finally Hunted Down and Captured by Killing Him], traduit de l’anglais par Estelle Henry-Bossonney, préface de Thierry Beauchamp, Toulouse, Anacharsis, [1882] 2008, 202 p.
Billy the Kid est à n’en pas douter une des plus fameuses figures mythiques du Far West. Mais aussi, paradoxalement peut-être, une des plus mystérieuses. Votre serviteur, en tout cas, a toujours eu du mal à le cerner, même s’il est vrai que je n’ai commencé à m’y intéresser un tant soit peu qu’avec la lecture de Quién es ? de Sébastien Doubinsky. Il faut dire que l’on a raconté à peu près tout et n’importe quoi sur son compte, et ce dès son meurtre par le non moins célèbre (du coup) Pat Garrett, shérif du comté de Lincoln, désormais indissociable de sa légende.
Le présent ouvrage en témoigne, et à plus d’un titre à vrai dire, qui prétend livrer enfin (ou déjà…) la « véritable » histoire du Kid, mais consiste pour une bonne part en affabulations pures et simples, d’ailleurs non exemptes de contradictions ; et la préface de Thierry Beauchamp en rajoute une couche, en apportant certes d’indispensables éclairages sur la rédaction de ce texte séminal, mais aussi en livrant, quand bien même de manière autrement synthétique, sa propre version de la vie du Kid… qui tourne à peu de choses près à l’hagiographie, ou du moins l’apologie. Cruel desperado pour les uns, héros pour les autres, le Kid, pour être mort à l’âge de 21 ans, n’en a pas moins suscité les fantasmes des deux camps « pour » et « contre ». Ce qui participe bien sûr de ce statut mythique, et en fait une figure comparable à, disons, Jesse James.
La « gloire » du Kid a rejailli étrangement sur son meurtrier, Pat F. Garrett, qui a signé cette « véritable histoire » parue en 1882, très peu de temps après les faits, alors que la littérature s’était déjà emparée du phénomène, essentiellement au travers des dime novels qui faisaient les délices des pieds-tendres avides d’Ouest sauvage et cruel. Mais il n’en est bien sûr pas le véritable auteur, quand bien même il apparaît dans le récit (très tardivement) à la première personne ; l’écrivaillon derrière la chose était un certain « Ash » Upson (qui apparaît d’ailleurs lui aussi dans le texte, à la troisième personne du coup), journaliste itinérant porté sur la boisson, nous dit-on, et les citations de Shakespeare… même si, à la lecture de son œuvre, c’est bien plutôt de Walter Scott qu’il s’agit, qui est cité par moments à peu près une page sur deux, et presque systématiquement à contre-emploi ! Il faut dire que l’auteur avait la plume volontiers lyrique, pour ne pas dire pompeuse, ce qui contribue d’ailleurs à l’intérêt de la chose. Disons-le tout net, nous ne sommes pas ici en présence de « grande littérature » ; mais c’est parfois sacrément rigolo…
L’ouvrage peut être en gros divisé en trois parties. La première, totalement fantaisiste ou presque, raconte les premières années du Kid (difficile de parler de sa « jeunesse », du coup…) ; la pièce centrale, passablement complexe, c’est la « guerre du comté de Lincoln », conflit entre un gros éleveur et des plus petits ainsi que des commerçants, ce qui n’a pas manqué de me rappeler L’Homme des vallées perdues (dont Shane, du coup, subit un éclairage un peu différent…), voire Warlock ; enfin, la dernière partie raconte la longue traque du Kid par Pat Garrett, jusqu’à son meurtre dans des circonstances un tantinet ambiguës (d’aucuns parlaient d’assassinat, et Pat Garrett, qui en avait été innocenté, se sent contraint de se justifier ici).
Le portrait du Kid qui y est fait est étonnant, voire déroutant ; Pat Garrett, soucieux de passer pour un héros, doit forcément avoir un adversaire à sa mesure (pas question, donc, de faire de Billy un couard, comme certains l’avaient prétendu) ; mais la geste chevaleresque du shérif du comté de Lincoln passe aussi par une amplification des traits du Kid, qui est finalement présenté sous un jour assez sympathique : si Pat Garrett justifie son action, il ne fait pas pour autant de sa proie un être démoniaque, foncièrement mauvais, dénué de toute qualité. Bien au contraire ! Par un étrange retournement, du coup, c’est bel et bien le Kid qui est le véritable héros de cette histoire, et Pat Garrett, s’il revendique à sa manière lui aussi sa part d’héroïsme, a quelque chose de la sinistre Némésis… Aussi, La Véritable Histoire de Billy the Kid, dès 1882, amorce-t-elle dans un sens la réévaluation des faits et gestes du Kid. On n’en est certes pas encore à l’apologie qui suivra, mais ce texte étrange et bancal la contient paradoxalement quelque peu en germe.
C’est pour une bonne part ce qui fait l’intérêt de cette publication, et justifie sa réédition chez les très recommandables gens d’Anacharsis. Le portrait ambigu qui y est dessiné est tout à fait fascinant, à sa manière ; et la traque finale a bien quelque chose d’épique. On n’en fera pas pour autant un « bon western » : il manque pour cela une vraie plume ; le récit, malgré son amusant lyrisme, est très « journalistique » et passablement lapidaire (ce qui ne le rend pas toujours très facile à suivre, d’ailleurs). On est donc loin du brillant des romans précités, et de la plupart des autres que j’ai pu lire depuis l’été dernier. Peu importe, ce n’est pas pour cela que l’on lit cette Véritable Histoire de Billy the Kid. Il n’en reste pas moins qu’arrivé aux dernières pages (très instructives, notamment pour ce qui est de la double justification de Pat Garrett, à la fois pour avoir tué le Kid et pour publier ainsi son histoire – on l’accusait déjà d’être une sorte de vautour capitalisant sur son fait d’armes…), je ne savais toujours pas, au juste, qui était le Kid… Desperado ou héros, probablement les deux… Voleur, oui, meurtrier, aussi, sans doute… Mauvais ? Voilà qui est plus délicat. Une légende, en tout cas…
On peut s’interroger à vrai dire sur ce statut de légende, sur cette étrange attraction pour les « mauvais garçons », les truands, les brutes, que l’on ressent volontiers, qui que l’on soit, et qui en vient à quasiment déifier des crapules qui ne le méritent probablement pas, voire de sacrés connards, et à excuser voire légitimer leurs actions les plus sordides. Mais on en restera ici au stade de l’interrogation, je n’ai pas le bagage pour tenter d’y apporter un quelconque éclaircissement. Simple lecteur, je ne peux que faire part de ma satisfaction à la lecture de ce texte, divertissant et plus qu’à son tour rigolo, même s’il faut bien prendre conscience de ce dont il s’agit : un récit journalistique et orienté, tout sauf littéraire. Intéressant à n’en pas douter ; mais pour les westerns, veuillez voir ailleurs.