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"La Véritable Histoire de Billy the Kid", de Pat F. Garrett

Publié le par Nébal

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GARRETT (Pat F.), La Véritable Histoire de Billy the Kid, [The Authentic Life of Billy, the Kid, the Noted Desperado of the Southwest, Whose Deeds of Daring and Blood Have Made His Name a Terror in New Mexico, Arizona and Northern Mexico, by Pat F. Garrett, Sheriff of Lincoln County, N. Mex., by Whom He Was Finally Hunted Down and Captured by Killing Him], traduit de l’anglais par Estelle Henry-Bossonney, préface de Thierry Beauchamp, Toulouse, Anacharsis, [1882] 2008, 202 p.

 

Billy the Kid est à n’en pas douter une des plus fameuses figures mythiques du Far West. Mais aussi, paradoxalement peut-être, une des plus mystérieuses. Votre serviteur, en tout cas, a toujours eu du mal à le cerner, même s’il est vrai que je n’ai commencé à m’y intéresser un tant soit peu qu’avec la lecture de Quién es ? de Sébastien Doubinsky. Il faut dire que l’on a raconté à peu près tout et n’importe quoi sur son compte, et ce dès son meurtre par le non moins célèbre (du coup) Pat Garrett, shérif du comté de Lincoln, désormais indissociable de sa légende.

 

Le présent ouvrage en témoigne, et à plus d’un titre à vrai dire, qui prétend livrer enfin (ou déjà…) la « véritable » histoire du Kid, mais consiste pour une bonne part en affabulations pures et simples, d’ailleurs non exemptes de contradictions ; et la préface de Thierry Beauchamp en rajoute une couche, en apportant certes d’indispensables éclairages sur la rédaction de ce texte séminal, mais aussi en livrant, quand bien même de manière autrement synthétique, sa propre version de la vie du Kid… qui tourne à peu de choses près à l’hagiographie, ou du moins l’apologie. Cruel desperado pour les uns, héros pour les autres, le Kid, pour être mort à l’âge de 21 ans, n’en a pas moins suscité les fantasmes des deux camps « pour » et « contre ». Ce qui participe bien sûr de ce statut mythique, et en fait une figure comparable à, disons, Jesse James.

 

La « gloire » du Kid a rejailli étrangement sur son meurtrier, Pat F. Garrett, qui a signé cette « véritable histoire » parue en 1882, très peu de temps après les faits, alors que la littérature s’était déjà emparée du phénomène, essentiellement au travers des dime novels qui faisaient les délices des pieds-tendres avides d’Ouest sauvage et cruel. Mais il n’en est bien sûr pas le véritable auteur, quand bien même il apparaît dans le récit (très tardivement) à la première personne ; l’écrivaillon derrière la chose était un certain « Ash » Upson (qui apparaît d’ailleurs lui aussi dans le texte, à la troisième personne du coup), journaliste itinérant porté sur la boisson, nous dit-on, et les citations de Shakespeare… même si, à la lecture de son œuvre, c’est bien plutôt de Walter Scott qu’il s’agit, qui est cité par moments à peu près une page sur deux, et presque systématiquement à contre-emploi ! Il faut dire que l’auteur avait la plume volontiers lyrique, pour ne pas dire pompeuse, ce qui contribue d’ailleurs à l’intérêt de la chose. Disons-le tout net, nous ne sommes pas ici en présence de « grande littérature » ; mais c’est parfois sacrément rigolo…

 

L’ouvrage peut être en gros divisé en trois parties. La première, totalement fantaisiste ou presque, raconte les premières années du Kid (difficile de parler de sa « jeunesse », du coup…) ; la pièce centrale, passablement complexe, c’est la « guerre du comté de Lincoln », conflit entre un gros éleveur et des plus petits ainsi que des commerçants, ce qui n’a pas manqué de me rappeler L’Homme des vallées perdues (dont Shane, du coup, subit un éclairage un peu différent…), voire Warlock ; enfin, la dernière partie raconte la longue traque du Kid par Pat Garrett, jusqu’à son meurtre dans des circonstances un tantinet ambiguës (d’aucuns parlaient d’assassinat, et Pat Garrett, qui en avait été innocenté, se sent contraint de se justifier ici).

 

Le portrait du Kid qui y est fait est étonnant, voire déroutant ; Pat Garrett, soucieux de passer pour un héros, doit forcément avoir un adversaire à sa mesure (pas question, donc, de faire de Billy un couard, comme certains l’avaient prétendu) ; mais la geste chevaleresque du shérif du comté de Lincoln passe aussi par une amplification des traits du Kid, qui est finalement présenté sous un jour assez sympathique : si Pat Garrett justifie son action, il ne fait pas pour autant de sa proie un être démoniaque, foncièrement mauvais, dénué de toute qualité. Bien au contraire ! Par un étrange retournement, du coup, c’est bel et bien le Kid qui est le véritable héros de cette histoire, et Pat Garrett, s’il revendique à sa manière lui aussi sa part d’héroïsme, a quelque chose de la sinistre Némésis… Aussi, La Véritable Histoire de Billy the Kid, dès 1882, amorce-t-elle dans un sens la réévaluation des faits et gestes du Kid. On n’en est certes pas encore à l’apologie qui suivra, mais ce texte étrange et bancal la contient paradoxalement quelque peu en germe.

 

C’est pour une bonne part ce qui fait l’intérêt de cette publication, et justifie sa réédition chez les très recommandables gens d’Anacharsis. Le portrait ambigu qui y est dessiné est tout à fait fascinant, à sa manière ; et la traque finale a bien quelque chose d’épique. On n’en fera pas pour autant un « bon western » : il manque pour cela une vraie plume ; le récit, malgré son amusant lyrisme, est très « journalistique » et passablement lapidaire (ce qui ne le rend pas toujours très facile à suivre, d’ailleurs). On est donc loin du brillant des romans précités, et de la plupart des autres que j’ai pu lire depuis l’été dernier. Peu importe, ce n’est pas pour cela que l’on lit cette Véritable Histoire de Billy the Kid. Il n’en reste pas moins qu’arrivé aux dernières pages (très instructives, notamment pour ce qui est de la double justification de Pat Garrett, à la fois pour avoir tué le Kid et pour publier ainsi son histoire – on l’accusait déjà d’être une sorte de vautour capitalisant sur son fait d’armes…), je ne savais toujours pas, au juste, qui était le Kid… Desperado ou héros, probablement les deux… Voleur, oui, meurtrier, aussi, sans doute… Mauvais ? Voilà qui est plus délicat. Une légende, en tout cas…

 

On peut s’interroger à vrai dire sur ce statut de légende, sur cette étrange attraction pour les « mauvais garçons », les truands, les brutes, que l’on ressent volontiers, qui que l’on soit, et qui en vient à quasiment déifier des crapules qui ne le méritent probablement pas, voire de sacrés connards, et à excuser voire légitimer leurs actions les plus sordides. Mais on en restera ici au stade de l’interrogation, je n’ai pas le bagage pour tenter d’y apporter un quelconque éclaircissement. Simple lecteur, je ne peux que faire part de ma satisfaction à la lecture de ce texte, divertissant et plus qu’à son tour rigolo, même s’il faut bien prendre conscience de ce dont il s’agit : un récit journalistique et orienté, tout sauf littéraire. Intéressant à n’en pas douter ; mais pour les westerns, veuillez voir ailleurs.

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"B.I.A. : Ghost Dance"

Publié le par Nébal

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B.I.A. : Ghost Dance

 

B.I.A., dont je vous avais parlé il y a peu, est bel et bien un jeu de la collection « Intégrale » des XII Singes et, en tant que tel, se suffit en théorie à lui-même ; aucun supplément n’était donc prévu. Mais c’était sans compter sur les gens de chez Studio 9 qui, devant la richesse du matériau offert, ont sorti plusieurs petits suppléments qu’on va qualifier de « semi-officiels », puisque réalisés avec la bénédiction des XII Singes. Ghost Dance est le premier d’entre eux (et un des plus longs, puisqu’il fait 80 pages), qui présente une nouvelle réserve indienne selon les mêmes modalités que celles qui sont présentées dans le jeu de base, puis une campagne en six scénarios aux liens relativement lâches, et qui peuvent donc être joués indépendamment ou intégrés à une campagne plus vaste.

 

Si vous êtes joueurs et que vous êtes susceptibles de jouer un jour à Ghost Dance (ce qui vaut pour mes petits camarades, mmmh ?), N’EN LISEZ PAS DAVANTAGE. Il est en effet impossible de parler de ce premier supplément semi-officiel sans balancer du SPOILER à tire-larigot… Vous êtes prévenus.

 

Adonc : pour faire simple, la « Ghost Dance », dans notre monde, est en gros un mouvement spirituel syncrétiste mélangeant croyances indiennes et christianisme. Mais il s’agit ici d’en remonter aux racines, avant le massacre de Wounded Knee ; le mouvement est alors plus frontalement hostile aux Blancs, et c’est bien dans cette perspective qu’un chaman traditionaliste shoshone essaye de le ressusciter. Il s’agit pour lui d’exécuter une série de rituels reposant notamment sur l’utilisation d’une drogue appelée « Spirit Cure » pour invoquer le wendigo Uktena et foutre une branlée mémorable aux envahisseurs. C’est essentiellement à travers le « Spirit Cure » que le lien va s’opérer aux yeux des joueurs, qui seront autrement baladés d’une réserve à l’autre : seuls le premier et le dernier scénarios font véritablement intervenir les mêmes personnages et le même cadre, à savoir la « nouvelle » réserve de Wind River, déchirée entre Arapahos et Shoshones, et souffrant de l’archaïsme de ses institutions, que le B.I.A. aimerait bien moderniser.

 

La campagne s’ouvre sur « Problem Solver », qui adopte donc pour cadre la réserve de Wind River. Les joueurs y sont confrontés, en gros, aux premiers « tests » du « Spirit Cure », aux conséquences dramatiques puisqu’ils débouchent sur l’intervention d’un wendigo (pas Uktena d’emblée, un « plus petit ») et sur la mort de plusieurs personnes, vaguement reliées entre elles. Le scénario, comme la plupart de ceux du présent volume, adopte le format déjà employé dans le livret des secrets de B.I.A. Il est ainsi découpé en scènes et événements, procurant chacun (ou pas…) des indices permettant de progresser dans l’enquête. Une assez bonne entrée en matière, plutôt bien ficelée.

 

« Romeo & Juliet », dans la Navajo Nation, fait intervenir un couple de jeunes Indiens désireux d’apaiser les tensions entre leurs peuples respectifs, les Navajos et les Hopis, et qui entendent pour ce faire réaliser un complexe rituel, qui doit les emmener dans les principaux sites spirituels de la Nation, à l’aide d’objets sacrés dérobés aux deux peuples… et de « Spirit Cure ». Pas inintéressant mais tout de même un cran en dessous.

 

« Get High » change complètement de cadre, puisqu’il se déroule, non pas dans une réserve, mais à Albuquerque, où une drogue dérivée du « Spirit Cure » fait des ravages, d’une part dans la mesure où elle aggrave les troubles causés par la guerre des gangs, d’autre part en plongeant ses consommateurs dans une spirale infernale de violence. Pas mal, l’idée de sortir des réserves est plutôt intéressante (même si, du coup, l’implication des agents du B.I.A. peut paraître un peu spécieuse).

 

« Guns N’Roswell » va plonger les joueurs dans un amusant délire conspirationniste, puisqu’on y parle tout d’abord d’un enlèvement censément accompli par des extra-terrestres… La vérité est ailleurs (bien sûr), même si conspiration il y a bel et bien : un chaman de la « Ghost Dance » a été enlevé par des militaires, qui le torturent à bloc pour étudier l’apparition des oiseaux-tonnerre et la formation de wendigos ; ces cons-là vont être servis… Très amusant à vue de nez.

 

« Faites vos jeux » adopte une structure différente des autres scénarios ; dans cette enquête réalisée incognito dans un casino d’Agua Caliente, les joueurs vont partir de menus larcins pas bien graves… pour être ensuite confrontés à l’invocation d’un wendigo particulièrement destructeur lors d’un événement de grande ampleur. Cette fois, je suis un peu sceptique, tout cela me paraît un peu trop tiré par les cheveux (surtout, à vrai dire, l’implication quelque peu « forcée » du chaman invocateur…).

 

Et la campagne de s’achever sur « Pow-Wow », qui ramène les agents à la réserve de Wind River, en pleine négociation entre Arapahos (qui l’ont dans l’os) et Shoshones. Le scénario est très intéressant, mettant en avant les différents rôles du B.I.A. tout en plongeant les joueurs dans les traditions indiennes et en les confrontant aux épineux problèmes rencontrés par les Amérindiens de nos jours. Mais je suis un poil sceptique, une fois de plus, cette fois sur la possibilité pour les joueurs de rassembler toutes les ficelles des précédents scénarios pour faire apparaître la cohérence de l’ensemble de la campagne. Mais ça se tente.

 

Au final, bilan plutôt satisfaisant, voire très satisfaisant, pour cette campagne à vue de nez assez alléchante. Les gens du Studio 9 ont accompli un travail sérieux, et, pour être « semi-officiel », Ghost Dance n’en est pas moins mûrement réfléchi, et permet de mettre en évidence les aspects les plus intéressants du jeu, au travers de scénarios variés et dans l’ensemble plutôt intéressants.

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"Un cercle d'oiseaux", de Hayden Trenholm

Publié le par Nébal

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TRENHOLM (Hayden), Un cercle d’oiseaux, [A Circle of Birds], traduit de l’anglais (Canada) par Christophe Bernard, [s.l.], Les Allusifs, [1993] 2013, 125 p.

 

Une fois n’est pas coutume, j’ai lu ce bref roman sur un coup de tête : la couverture m’a attiré, la quatrième de couv’ intrigué, tant par sa présentation de l’ouvrage que par celle de l’auteur, qui fait essentiellement dans la science-fiction, figurez-vous, mais dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à présent – il faut dire que c’est là sa première traduction française (le livre n’est cependant pas tout jeune – il a vingt ans, mais cela je ne l’ai découvert qu’en cours de lecture).

 

Nous sommes le 31 décembre 1999 ; tandis que le monde s’apprête à fêter le passage à l’an 2000, le narrateur – qui n’est a priori pas si vieux que ça – est cloîtré dans une chambre d’hôpital à Edmonton. Il souffre d’une affection baptisée « aminesis », la mort de la mémoire (une sorte d’Alzheimer ?). Ses souvenirs sont de plus en plus flous, il ne se rappelle pas toujours ce qui s’est passé, ni pourquoi il est là, ni la nature de cette affection (qu’il a notée sur une feuille à la tête de son lit, au cas où) ; il ne sait pas forcément davantage quand nous sommes, et où nous sommes ; il ne se souvient même pas quand il a pissé pour la dernière fois.

 

Mais il explore cette mémoire déficiente, des traces plus ou moins anciennes refont surface, jusqu’à perturber son présent. Il n’est pas en 1999, non, mais quelques années plus tôt à peine, ou bien quelques décennies, cela dépend. Il n’est pas forcément au Canada, mais peut-être en voyage en Espagne, ou au Mexique – sous acide. Il ne nous dit pas son nom, pas plus qu’il ne le dit aux autres, dans ses souvenirs tronqués – il prend soin de se dissimuler.

 

Et puis, un chapitre sur deux, nous suivons, dans la première moitié du XXe siècle cette fois, le destin tragique de Billy/Bill/William. Une histoire riche de souffrances, physiques comme morales : la crise s’abat impitoyable sur cet homme qui a connu la douleur et l’humiliation de bien des manières différentes.

 

Et, unissant ces deux trames, il y a, au-delà de la Grande Histoire que l’on n’oublie, elle, jamais en toile de fond, des indices, des révélations fugaces, des horreurs singulières. Un homme sombre. Un autre aux yeux gris très écartés. Des femmes, qui meurent. Des accidents de la route. Des sévices, des impostures, des mesquineries. Du feu. Des oiseaux, enfin, qui tracent des cercles dans le ciel…

 

Un cercle d’oiseaux n’est pas vraiment le livre idéal pour se réconcilier avec la vie. Il en développe au fil des pages une vision foncièrement noire, morbide même ; dans sa quête de souvenirs, le narrateur semble s’attarder surtout sur les mauvais (ça me rappelle quelqu’un…) ; quant à la vie de Billy/Bill/William, elle a les accents d’une tragédie personnelle, chaque étape ou presque étant plus horrible que la précédente. « Life is a hideous thing », comme disait l’autre…

 

N’empêche : se souvenir est important, constitutif. Un cercle d’oiseaux décortique avec une adresse certaine les mécanismes de la mémoire et du rêve. La mécanique est à vrai dire ici tellement belle qu’elle ne se cache pas – limite de l’exercice, peut-être, qui souligne coïncidences, traits saillants et autres mots-clefs, dévoilant une ossature minutieusement conçue où rien, absolument rien, n’est laissé au hasard.

 

Si Un cercle d’oiseaux oscille entre « blanche » et, disons, fantastique, il emploie ainsi en même temps quelques méthodes du roman policier, voire du thriller ; peu importe, dès lors, si le héros ne quitte véritablement son lit d’hôpital que pour essayer d’aller pisser : le roman n’en est pas moins palpitant, et le lecteur attentif note précieusement les récurrences pour percer la clef (car on suppose bien vite qu’il y en a une) des souvenirs du narrateur, et ce qui les unit à Billy/Bill/William. L’enquête avance au fil des pages, les traumatismes se recoupent ; le rire de l’homme sombre, l’attention de celui aux yeux gris très écartés, se font plus pressants. Il y a une lumière blanche à l’horizon – forcément. Et l’on s’y dispute à l’avance une âme en lambeaux.

 

Atout, donc, et limite en même temps. On reconnaîtra en effet que l’astuce de la mise en scène (l’auteur est aussi dramaturge) et l’adresse du marionnettiste jouent à la fois pour et contre le roman ; et qu’en définitive, les ultimes « révélations » tombent un peu à plat, le lecteur ayant facilement une longueur d’avance : c’est que tout, ici, apparaît nécessaire, déterminé, inéluctable. Dès lors, ce n’est pas forcément un problème : il ne faut sans doute pas s’attendre à une œuvre à chute, quand bien même Un cercle d’oiseaux en emprunte la forme et les méthodes. Encore une fois, ce roman est à mon sens avant tout une belle mécanique : celle des souvenirs et des rêves, méticuleusement analysée. Et, sous cet angle, c’est une assez belle réussite.

 

On ne reste en tout cas pas indifférent à ce qui nous y est conté, et Hayden Trenholm, en professionnel accompli, sait jouer avec son lecteur d’une manière assez intéressante, propice au questionnement, tant de la mémoire et de la mort que de la littérature, en tant qu’objet ou fin en soi. Pas mal du tout.

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"Lovecraft Studies", no. 32

Publié le par Nébal

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Lovecraft Studies, no. 32, West Warwick, Necronomicon Press, Spring 1995, 36 p.

 

Où, après une longue pause, l’on retourne donc aux Lovecraft Studies (j’avoue que ce fanzine me parle un poil davantage que le néanmoins très recommandable Crypt of Cthulhu).

 

C’est Robert H. Waugh qui ouvre le bal avec « « The Picture in the House » : Images of Complicity », analyse passablement pointue d’une nouvelle de Lovecraft par ailleurs plutôt mineure à mes yeux. Il s’agit pour l’auteur de rendre un peu moins abstraite une analyse qu’il avait développée dans le volume An Epicure in the Terrible (dont je vous parlerai un de ces jours), reposant notamment sur la distinction entre plusieurs modes de perception. Intéressant, mais ça ne m’a tout de même pas parlé plus que ça (et peut-être aurait-il fallu que je lise d’abord l’article en volume pour vraiment saisir les intentions de l’auteur).

 

Suivent deux articles consacrés à une nouvelle autrement plus importante dans l’œuvre lovecraftienne : « Celui qui chuchotait dans les ténèbres ». L’article de Darrell Schweitzer, « About « The Whisperer in Darkness » » est une critique enthousiaste et sans aucun doute pertinente, mais qui en reste en peu trop aux généralités pour pleinement satisfaire. On y préfèrera la passionnante communication de Steven J. Mariconda « Tightening the Coil : The Revision of « The Whisperer in Darkness » », étude à nouveau très pointue des différents états conservés de la nouvelle, du manuscrit original à la version publiée. On y voit l’évolution, parfois sur des points de détail, d’autres fois au contraire pour des aspects majeurs, du travail de Lovecraft, qui s’est étalé sur plusieurs mois (et plusieurs États, puisque le gentleman pas reclu de Providence l’avait emmené avec lui au cours d’un long voyage). Que ce soit en raison de nouvelles idées ou de critiques formulées par ses amis, le texte a ainsi connu bien des modifications avant de nous parvenir tel qu’on le connaît. De la découverte de Pluton (Yuggoth !) à la mise en scène finale, l’article explore méticuleusement le processus de création lovecraftien, ce qui amène à souligner par ailleurs, outre le brillant de la nouvelle dans son ensemble, un certain nombre de faiblesses, malgré tout…

 

Paul Montelone s’intéresse quant à lui à une autre nouvelle majeure de Lovecraft (pas vraiment du « Mythe », cette fois), à savoir « Les Rats dans les murs ». « « The Rats in the Walls » : A Study in Pessimism » part de la célèbre ouverture de « Arthur Jermyn » : « Life is a hideous thing... » L’auteur montre comment cette sentence définitive, si elle n’éclaire pas vraiment, somme toute, la nouvelle qu’elle introduit, pourrait par contre servir parfaitement à définir celle qu’il étudie. Après avoir méticuleusement décortiqué la nouvelle (en insistant notamment, ce qui m’a paru intéressant, sur la notion de souffrance), l’auteur l’éclaire ainsi à la lumière des écrits de Schopenhauer ; même si Lovecraft n’en avait qu’une connaissance très superficielle, la rencontre opère, et le résultat est tout à fait passionnant. On voit ainsi une première phase proprement « pessimiste » dans la philosophie lovecraftienne, avant qu’il ne développe un « indifférentisme cosmique » plus caractéristique de son œuvre, et notamment des textes dits « du Mythe ».

 

Donald R. Burleson livre enfin « Lovecraft : Textual Keys », qui s’intéresse donc au symbolisme ambigu de la clef (et de tout ce qui va avec) dans l’œuvre lovecraftienne, en commençant bien sûr par « La Clef d’argent ». Mouais. Beaucoup de blabla, trouvé-je ; ce n’est pas inintéressant, mais je n’en ai pas retiré grand-chose pour autant.

 

Le numéro s’achève traditionnellement sur les chroniques. Ben P. Indick s’intéresse tout d’abord à H.P. Lovecraft in the Argosy : Collected Correspondence from the Munsey Magazines, petit volume édité par S.T. Joshi ; on y voit déjà quelques traits majeurs de la pensée lovecraftienne telle qu’elle a pu s’exprimer en public (dont son racisme…), mais aussi, ce qui est amusant, quel petit con le (futur) grand auteur pouvait être quand il maniait la plume pour abreuver de correspondance une revue (plus de détails sur tout cela dans l’indispensable I Am Providence). David E. Schultz s’intéresse aux Miscellaneous Writings de Lovecraft, gros volume cette fois, mais toujours édité par le patron S.T. Joshi (à réserver aux fans). Marc A. Michaud s’intéresse enfin à quatre volumes de lovecrafteries, montrant ainsi bien à quel point les abondants écrits du « Mythe » postérieurs à Lovecraft sont avant tout des derletheries, et s’interrogeant sur leur signification éditoriale. Il se montre très réservé pour Le Cycle de Shub-Niggurath édité par Robert M. Price et pour Encyclopedia Cthulhiana de Daniel Harms (deux titres de Chaosium), ainsi que pour The Starry Wisdom : A Tribute to H.P. Lovecraft édité par D.M. Mitchell, et plus enthousiaste pour Shadows over Innsmouth, édité par Stephen Jones, dont je vous parlerai un de ces jours.

 

Suite au prochain numéro…

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"Brûlons tous ces punks pour l'amour des elfes", de Julien Campredon

Publié le par Nébal

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CAMPREDON (Julien), Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes, avant-propos de Dominique Bordes, [s.l.], Monsieur Toussaint Louverture, coll. Véloce, [2006] 2011, 157 p.

 

Je me dois sans doute de préciser que j’ai connu (si peu, mais connu quand même) Julien Campredon avant de lire ses livres.

 

Il y a de ça quelques années, en effet, l’énigmatique individu qui se faisait alors appeler sire Planchapain avait signé un bien curieux article dans lequel il vantait les mérites d’un bref recueil de nouvelles portant le titre non moins curieux de Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes, titre il faut bien le reconnaître très planchapinesque. Aussi ai-je cru dans un premier temps à un canular, de la part de ce triste sire qui se répandait parallèlement en éloges de Paul-Loup Sulitzer ou encore Francis Lalanne.

 

Mais non, le livre existait bel et bien, portait bel et bien ce titre saugrenu, et avait été édité par un certain Monsieur Toussaint Louverture, maison dont on ne parlait alors certes pas autant qu’aujourd’hui. Mais je n’ai été persuadé de la réalité de la chose que par une soirée toulousaine impromptue, au cours de laquelle le camarade Planchapain a ramené chez moi, en plus de bières, ledit Julien Campredon. Qui est quelqu’un de très sympathique, osons le dire, quand bien même occitan (et ça se sent) (personne n’est parfait).

 

Nous nous sommes recroisés de temps à autre en librairie après mon déménagement sur Paris, et il a bien fallu que j’achète le livre mentionné plus haut (dans une très jolie réédition, toujours chez le Monsieur), ainsi que L’Attaque des dauphins tueurs. Et puis le temps a passé sans que je trouve moyen de lire les deux petits ouvrages. Ça ne pouvait pas durer, mais il faut bien reconnaître que le fait que je connaisse, même si peu, Julien Campredon ne me facilitait pas la tâche – crainte de ne pouvoir parler « objectivement » (aha) des écrits du monsieur, que je les aime ou pas, et crainte aussi (nous vivons dans un triste monde tragique) que l’on remette en cause mon « objectivité » (aha) au prétexte que, hein, bon. Mais j’ai donc franchi le pas, en commençant par ce Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes.

 

(Moi j’aurais surtout envie de brûler tous ces elfes pour l’amour des punks, s’il en existait encore, mais c’est une autre histoire.)

 

Le recueil s’ouvre sur une prétendue « Note de l’éditeur » qui donne le ton, en phagocytant une excellente nouvelle expliquant les déboires de Julien Campredon avec « La Bibliothèque de Babel » de Jorge Luis Borges. Un texte aussi drôle que pertinent, lorgnant pas qu’un peu vers l’absurde, quelque part entre voyage nécessairement philosophique et bureaucratie nécessairement kafkaïenne ; c’est très drôle, c’est bien vu, et qui plus est c’est bien écrit. Si.

 

Et le reste du recueil est à l’avenant (à l’exception du vaudeville « De l’homme idéal de ma femme, d’elle et de ma maîtresse », qui m’a laissé de marbre, mais bon, un seul écueil, c’est assez peu pour être souligné). Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes regorge de nouvelles drôlement bizarres et bizarrement drôles, en forme de contes ou de fables, où la plume plus que sympathique de l’auteur s’en donne à cœur-joie, son imagination (nécessairement débridée) n’étant pas en reste, hou-là, non.

 

Je ne vais pas détailler par le menu ce petit livre, ça serait sans doute un peu absurde (mais bon, en même temps, l’absurde est ici un maître-mot…). Mais on y navigue agréablement entre satire sociale (avec une prédilection pour les ronds-de-cuir provinciaux) et fantaisie burlesque, avec de temps à autre aussi une touche d’émotion tout de même (ainsi dans « Tornar a l’hostal ou Les Mémoires d’un revenant », qui a réussi à me toucher malgré sa thématique de retour à la terre nécessairement occitane, ce qui n’est pas une mince performance).

 

La nouvelle donnant son titre au recueil en est une belle illustration, où des gardiens de musée (à l’accent prononcé con) massacrent à tour de bras, avec un arsenal à faire bander John Rambo, les hordes de prolos à iench’ qui risqueraient autrement de s’infiltrer dans le temple de la Kulture, et en y ramenant leurs bières, en plus. Autre jolie réussite, dans un genre assez proche, « Avant Cuba ! », ou la lutte sociale de nos jours, n’opposant plus glorieux prolétaires et abjects capitalistes, mais tristes chômeurs et odieux soixante-huitards en place ; aussi drôle que juste. J’ai également trouvé délicieuse « Jean-François Cérious ne répond plus », biographie belle et rigolote d’un politicard de campagne qui a pour principale qualité (…) de faire des discours chiants ; joli portrait de famille, destinée inattendue, c’est du tout bon.

 

Je m’arrête là – il y aurait sans doute bien des bonnes choses à dire sur le reste, également recommandable, que oui, mais à quoi bon ? Ce serait prendre le risque de réduire Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes à un vulgaire catalogue, ce qu’il n’est assurément pas. Que Julien Campredon se rassure, donc – et avec lui le libraire qui, et l’éditeur qui : ce livre est fort bon. Si. Pas besoin, donc, d’envoyer un message en recommandé avec accusé de réception de mon poing dans ta gueule pour obtenir remboursement dudit ; et l’auteur pourra se passer de manger du saucisson de foie (la drôle d’idée…).

 

Un jeune écrivain à suivre, donc ; je vous parlerai prochainement de L’Attaque des dauphins tueurs, autre recueil de chez Monsieur Toussaint Louverture dont j’attends du coup le plus grand bien. Et merci, sire Planchapain : vous avez vu juste. Bravo, bravo, bravo.

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"Tenga"

Publié le par Nébal

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Tenga

 

Tenga est un jeu de rôle conçu par Jérôme Larré et publié par John Doe, qui propose de vivre des aventures dans le Japon de la fin du XVIe siècle, dans l’époque troublée mais riche de possibilités qui suivit l’assassinat de Nobunaga Oda, avant la prise de pouvoir de Ieyasu Tokugawa. L’archipel est alors à la fois sur la voie de l’unification et tiraillé par des luttes féodales impitoyables, en une apogée révolutionnaire. Un cadre superbe, propice à bien des histoires, et qui ne pouvait que séduire l’amateur du Japon, de son histoire et de sa culture, qui sommeille (à peine) en moi. L’excellente réputation du jeu, à tous les points de vue, a achevé de me convaincre d’y jeter un coup d’œil. Hélas, autant le dire de suite, je ne sais pas si c’est que je suis un peu plus aigri que de coutume en ce moment, mais je n’ai pas été pleinement convaincu par cet ouvrage, fourmillant certes de bonnes idées, mais aussi de bonnes intentions qui me laissent davantage perplexe…

 

Mais ne mettons pas la charrue avant le Breton. On peut déjà commencer par dire qu’il s’agit là d’un bel ouvrage, d’une lecture agréable, orné d’illustrations vaguement naïves mais plutôt bien vues. Le jeu est à l’évidence mûrement réfléchi et très bien conçu, du moins dans sa présentation, reposant, pas mal, outre une mise en page élégante, sur des exemples clairs qui construisent tout au long du livre une histoire, une sorte de compte rendu de partie. La richesse de l’univers, enfin, est d’ores et déjà à signaler, et nous vaut de passionnants développements sur l’histoire et la culture japonaises (encore qu’un poil complexes, et méritant sans doute un approfondissement de la part du meneur). On appréciera tout particulièrement la dimension « réaliste » souhaitée par l’auteur, qui sait jouer des archétypes (j’y reviendrai) sans pour autant verser dans la furie du chambara ou des mangas. Même le fantastique est ainsi finement inséré d’une manière très subtile, jouant avant tout sur l’ambiguïté (j’ai déjà eu l’occasion de dire que ce n’était pas là ma conception fétiche du genre, mais pour le coup c’est très approprié).

 

Pour ce qui est de la création de personnages, il y a deux possibilités : soit partir de zéro, comme le plus souvent, soit se baser sur un archétype (donc)… et il y en a tout de même 54. Généralement, cette idée des archétypes ne me séduit guère, mais ici je ne peux qu’avouer qu’ils sont très bien pensés et véritablement prêts à jouer, dans le sens où ils ont, malgré leur caractère « importé », de la substance qui les rend intéressants et riches. Un très bon point, donc : l’auteur, ici, sait jouer des codes sans verser dans les clichés (j’insiste : la nuance est subtile, mais fondamentale). Une idée que j’ai trouvée tout particulièrement intéressante et riche de possibilités consiste à s’interroger sur la destinée du personnage, avec les trois notions de « karma », d’ « ambition » et de « révolte » (encore que cette dernière soit davantage tournée vers le passé) ; on élabore ainsi les orientations, quand bien même squelettiques, d’une authentique histoire personnelle – des indications sont données plus loin pour la mettre en scène. Parallèlement, le personnage fait partie d’un groupe, et la création de ce groupe est une étape à part entière ; idée intéressante là encore, mais dont la mise en œuvre me paraît peut-être un peu plus délicate à vue de nez.

 

Jusqu’ici, c’est donc du tout bon, et Tenga mérite bien les lauriers dont on l’a unanimement couronné.

 

Mais ce qui me gêne – ou plus exactement me rend sceptique –, c’est le système de jeu. Certes, n’ayant pas pratiqué Tenga, je ne peux me fonder ici que sur des a priori. Et j’imagine que, vu la longue phase de maturation du jeu et les critiques enthousiastes qu’il a reçues de rôlistes plus enthousiastes, assidus et confirmés que votre serviteur, c’est que ça doit fonctionner… Mais je dois être un peu réac, sur le coup, trop attaché aux systèmes très intuitifs et longuement pratiqués du Basic Role Playing ou du « Monde des Ténèbres ». C’est en effet une chose qui me tient à cœur dans un système de jeu de rôle : le caractère intuitif, oui, au sens où l’on comprend immédiatement ce dont est capable le personnage et où un simple jet de dés, sans consulter nécessairement un paquet de tables, permet de déterminer si une action est réussie ou non, et à quel degré. Ce caractère intuitif va à mon sens de pair avec la fluidité et la rapidité – ce qui explique que j’ai également apprécié, par exemple, le système très simple de Savage Worlds. J’apprécie également quand le système participe de la narration – ainsi, toujours chez John Doe, dans Bloodlust Metal. Et, même si cela m’effraie un peu plus, je suis prêt à utiliser des systèmes faisant justement plus de place à la narration, sans aller jusqu’au narrativisme, comme par exemple le « Gumshoe » de Cthulhu, etc.

 

Un objectif évident de cette dernière catégorie est de réduire le nombre de jets de dés, et de ne pas faire dépendre l’histoire d’un lancer malencontreux. J’ai l’impression que c’est ce qu’a souhaité faire également le concepteur de Tenga, mais je suis donc beaucoup plus réservé (ou, pour dire les choses de manière plus juste sans doute, beaucoup moins enthousiaste) que la plupart sur la pertinence des règles de ce jeu. En effet, il s’agit ici – banalement au départ – de comparer la compétence du personnage à un seuil de difficulté : si la compétence est suffisamment élevée par rapport à la difficulté de l’action, nul besoin de jet de dé, l’action réussit, et on peut même déterminer la marge de réussite en suivant toujours ce même rapport ; sinon, l’action échoue. Rien de plus simple. Là où les choses se compliquent un peu, c’est quand les circonstances viennent pondérer le rapport : on gagne alors (ou on perd) des « crans », qui déplacent le curseur sur une table. Et c’est bien ce qui me gêne, pour l’essentiel, dans le système de Tenga : ce recours a priori presque systématique à des tables, qui me paraît présenter le risque de ralentir l’action finalement davantage qu’un jet de dé, en se montrant en outre moins intuitif, d’autant qu’il faut y rajouter tout un paquet d’autres règles, intervenant cette fois… quand le jet de dé (un d20, en l’occurrence) devient malgré tout nécessaire (en cas d’ « effort » ou de « prise de risque », notamment) ; finalement, on se retrouve ainsi malgré tout à faire rouler du plastique sur la table, mais on doit quand même passer par des tables pour l’interprétation… ce qui me paraît à vue de nez cumuler les aspects les plus déplaisants des systèmes envisagés. Encore une fois, c’est à vue de nez, hein : le jeu a été longuement testé et pratiqué, et, s’il est sorti ainsi et s’il a été aussi bien noté, c’est que ça doit marcher… Mais je ne peux m’empêcher de me montrer un poil perplexe, voire sceptique ; j’ai le sentiment (sans doute infondé…) qu’il y a là de bonnes intentions, mais que leur concrétisation (beuh) laisse à désirer. En tout cas, sur le papier, ce système original ne m’a pas enthousiasmé…

 

Ce que je viens d’évoquer de manière générale vaut pour l’ensemble des points de détail du jeu, que ce soit le combat (forcément ; avec des règles optionnelles pour les acharnés du sabre) ou tout autre aspect de l’aventure du groupe comme de l’itinéraire personnel du PJ. Et je ne peux m’empêcher de trouver ça un brin dommage, inutilement complexe ; car c’est bien, en fin de compte, une certaine complexité que je reproche à ce système. Non, décidément, pas convaincu par cet aspect du jeu ; je fais mon réac, et préfère mes bons vieux d100…

 

Aussi ai-je été au final un peu déçu par Tenga. Ce qui ne veut pas dire que le jeu est mauvais, loin de là ! Simplement, mes attentes étaient élevées, à la hauteur de l’excellente réputation du jeu, mais son système ne m’a pas convaincu. Toujours passionné par ce cadre de toute beauté, j’y jouerais malgré tout volontiers, et c’est avec intérêt que je testerais la chose, faisant fi de mes préjugés… mais, les circonstances étant ce qu’elles sont, je pense que, cette fois, je préfèrerais être joueur que meneur (et que ça serait mieux pour tout le monde).

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"Guide du Mythe de Cthulhu", de Patrice Allart

Publié le par Nébal

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ALLART (Patrice), Guide du Mythe de Cthulhu, préface de Joseph Altairac, Amiens – Paris, Encrage – Les Belles Lettres, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, 1999, 158 p.

 

Ça doit être vrai, que les meilleures choses ont une fin : nous voici donc arrivés au dernier des six « Cahiers d’études lovecraftiennes », confié cette fois à Patrice Allart, qui s’intéresse, au-delà de Lovecraft seul, à sa postérité (littéraire pour l’essentiel). On l’a en effet souvent noté, et il est à vrai dire difficile d’échapper à ce phénomène : quelles que soient les limitations que l’on pourrait être tenté de donner au prétendu « Mythe de Cthulhu », le fait est que l’œuvre lovecraftienne a suscité un enthousiasme tel, d’abord parmi certains écrivains de l’entourage (éventuellement purement épistolaire) du Maître, puis chez des héritiers plus ou moins légitimes, que les aspects les plus flagrants (même si pas nécessairement les plus profonds, donc) (aha) de sa création l’ont largement dépassé. Aussi, il est bien rare que l’on se contente de « lire Lovecraft » : à sa suite, on est amené à côtoyer un certain nombre d’épigones, plus ou moins talentueux (rarement autant que le gentleman de Providence, certes…), qui ont à leur tour donné dans le « Mythe de Cthulhu », au moins en surface, et ont ainsi participé d’un mouvement collectif de création littéraire sans commune mesure à notre époque – même si l’on peut être tenté, à plus ou moins bon droit, d’évoquer certaines œuvres anciennes pour ne pas dire antiques qui ont de même fait appel à plusieurs auteurs, pas forcément identifiables ; ce qui nous renvoie à l’essence même de la mythologie.

 

J’ai pour ma part découvert Lovecraft et ses suiveurs à peu près en même temps, et il m’a longtemps été difficile de faire la part des choses, ainsi. Ado, j’ai lu en parallèle les quatre volumes chez « Présence du futur » (l’essentiel du Lovecraft « pur ») et les deux coffrets publiés chez Presses Pocket qui avaient tendance à mettre indûment le nom de Lovecraft en avant, quand il n’était pas forcément présent au sommaire : on trouvait ainsi, sous le nom de « Papiers du Lovecraft Club », les prétendues « collaborations posthumes » d’August Derleth (et mettre le nom de Lovecraft sur ces couvertures était pour le moins gonflé… tous les éditeurs qui les ont publiées n’ont pas nécessairement commis cette imposture), et, parallèlement, sous le titre « Abominable Cthulhu » si je ne m’abuse, les « révisions » de Lovecraft et des anthologies de nouvelles lovecraftiennes, dont surtout les « Légendes du Mythe de Cthulhu » compilées par August Derleth (toujours lui), et, là encore, si le contenu pouvait être plus ou moins lovecraftien, rares étaient les textes attribuables effectivement à notre faux reclus préféré. Cela fait une éternité que je n’ai pas lu ces textes – et sans doute aurais-je bien du mal aujourd’hui pour la plupart (en tout cas pour les « collaborations posthumes »… je reste curieux pour ce qui est des anthologies, que je relirai peut-être un de ces jours, qui sait ?). Mais ils ont bel et bien constitué pour moi une porte d’entrée à l’œuvre lovecraftienne, œuvre qui a bien vite dépassé son créateur.

 

Certes – et l’on rejoint ici le débat sur l’existence du « Mythe de Cthulhu » –, bon nombre de ces lovecrafteries-là ne sont lovecraftiennes qu’en surface, reprenant des procédés d’HPL sans en retenir la philosophie sous-jacente (sans même la comprendre, parfois – souvent…). Le « Mythe de Cthulhu », ici, ne consiste pas tant en une horreur cosmique matérialiste et désabusée soulignant la vacuité de l’existence humaine, qu’en une énumération (parfois caricaturale tellement elle est excessive) de « dieux », de lieux et de livres, litanie empruntée au Maître puis à ses épigones également, constituant un vaste corpus de références où chacun a voulu, à tort (surtout) ou à raison, apporter sa pierre à l’édifice – souvent, donc, dans la vision derlethienne du Mythe, finalement anti-lovecraftienne au possible.

 

Ce sont toutes ces œuvres (de plus ou moins bon goût) que Patrice Allart étudie dans ce court volume. L’entreprise est audacieuse (il a dû en lire, des drouilles…), instructive à n’en pas douter (il y a là-dedans de quoi se constituer une forte bibliothèque de lovecrafteries, et les curieux – pervers, comme de juste – ne manqueront pas de noter certaines références pour une lecture ultérieure), mais nécessairement condamnée à une rapide obsolescence (dont témoigne déjà une des annexes) ; car le Mythe est bien vivant, au moins dans cette acception d’apparence, et les récits lovecraftiens au moins par la forme, mais aussi exceptionnellement par le fond, continuent de pulluler aujourd’hui, phénomène qui a même probablement tendance à s’accélérer depuis que Derleth n’est plus là pour « canoniser » les textes, le Mythe constituant une sorte de patrimoine collectif, un domaine public auquel sacrifient volontiers des cohortes d’écrivains et d’écrivaillons plus ou moins doués (suivez mon regard… non, cherchez pas, faudrait regarder partout en même temps, en fait) ; on aurait même l’impression que l’horreur lovecraftienne est un passage quasi obligé pour les « auteurs » qui s’intéressent au genre – jusqu’à constituer un sous-genre en elle-même.

 

Patrice Allart se livre donc ici pour l’essentiel à une indexation des contributions au Mythe, ce qui donne à ce volume de vagues airs de catalogue. Les principales œuvres du Mythe sont ainsi présentées, de Lovecraft lui-même aux plus modernes de ses suiveurs (à la veille du XXIe siècle ; il y en a eu des centaines d’autres depuis…) ; présentées (et résumées), mais pas vraiment critiquées, ce qui constitue à mon sens la principale faiblesse de ce volume autrement fort intéressant : tout est ainsi peu ou prou mis sur le même plan, et c’est parfois très regrettable (Brian Lumley et son indicible « cycle de Titus Crow » se voient même décerner des lauriers !) ; on regrettera de même qu’il n’y ait pas ici de véritable interrogation sur la notion même de « Mythe de Cthulhu », l’auteur s’en tenant trop souvent (mais pas toujours, heureusement) à une approche très large, mais façon « sens commun » ou pure « intuition ». Mais bon : on ne va pas réécrire le livre, hein… ce qui serait aujourd’hui un travail encore plus titanesque qu’à l’époque.

 

Patrice Allart parle donc ici tout d’abord des œuvres de Lovecraft (tout de même) ; on passe ensuite à celles des deux autres auteurs de la « trilogie Weird Tales », Robert E. Howard et Clark Ashton Smith ; puis il y a – nécessairement – August Derleth, pour ses « collaborations posthumes » et ses anthologies. Les « Légendes du Mythe de Cthulhu » définissent ainsi une première génération d’épigones ; mais il y en a d’autres, à commencer par celle de Ramsey Campbell, Brian Lumley donc, etc. L’héritage du Maître dans la « terreur moderne » (Stephen King, Dean Koontz, Graham Masterton, etc.) est également évoqué, dans le chapitre le plus ouvert (et le plus intéressant ?) de ce livre. Le fandom, également (Crypt of Cthulhu, surtout) ; et le développement du Mythe en France.

 

Restent encore des annexes sur les illustrations et bandes dessinées (mais l’auteur y a consacré un court volume sur lequel je reviendrai un de ces jours, de même qu’à son étude comparative de Lovecraft et Jean Ray, sujet qui lui tient visiblement à cœur) et sur le cinéma, avant de compléter le panorama par ce qui constituait alors les plus récentes publications de fictions lovecraftiennes – les volumes édités par Chaosium et repris en France par Oriflam « Nocturnes », souvent dirigés par Robert M. Price (je regrette d’ailleurs que le jeu de rôle n’ait pas été étudié ici…).

 

L’ouvrage n’est pas sans défauts (outre qu’il est parfois un brin approximatif – voyez par exemple la mauvaise attribution, récurrente, du Culte des goules du comte d’Erlette), et sa lecture a quelque chose d’un brin monotone (forcément), mais elle n’en est pas moins intéressante. Elle permet de prendre conscience de la portée du « Mythe de Cthulhu », déjà considérable à l’époque. Et on ne manquera pas de noter telle ou telle référence pour une lecture ultérieure. Même en craignant le pire… mais que voulez-vous, on est un petit fan ou on ne l’est pas ; pour ma part, je le suis, et, comme je l’ai laissé entendre plus haut, même si aujourd’hui je fais bien la différence entre les textes de Lovecraft et d’après Lovecraft, je reste curieux de ces derniers, comme s’il y avait malgré tout un bloc faisant sens en lui-même…

 

Tout à fait appréciable, donc, quand bien même largement obsolète.

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"Les Lames du Cardinal", de Pierre Pevel

Publié le par Nébal

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PEVEL (Pierre), Les Lames du Cardinal, Paris, Gallimard, coll. Folio Science-fiction – Fantasy, [2007] 2013, 396 p.

 

Une fois n’est pas coutume, c’est essentiellement la curiosité rôlistique qui m’a amené à lire Les Lames du Cardinal de Pierre Pevel, premier tome de la trilogie éponyme. Sans-Détour vient en effet tout juste d’en sortir une adaptation, qui, à vue de nez, m’a l’air plutôt alléchante. Et sans être un grand amateur de romans de cape et d’épée – à vrai dire, à part bien sûr, mais il y a très longtemps, Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, modèle évident du présent ouvrage, je n’en ai pas lu des masses –, j’avais un a priori plutôt favorable sur le mélange de ce genre avec la fantasy. Mais j’ai tout naturellement voulu d’abord lire les romans ayant inspiré le jeu avant de me lancer dans son éventuelle acquisition (onéreuse comme de juste).

 

Or Les Lames du Cardinal sont en cours de réédition chez Folio Science-fiction (la série « Fantasy » avec son odieux cachet de cire) après avoir été publiées originellement chez Bragelonne, et l’éditeur de poche en a fait un véritable événement, avec cette étrange jaquette affichant fièrement des récompenses plus ou moins glorieuses – dont une étrangere, tout de même… Ça commençait à faire beaucoup, mais il ne faut pas vendre la peau du Breton avant de l’avoir torturé, etc. Bon. J’achète le premier tome, histoire de.

 

Et là j’ai déjà un fameux souci pour le présenter, ce premier tome. En effet, passé les généralités – nous sommes en France à l’époque de Richelieu, il y a des tensions avec l’Espagne, et il y a des dragons –, difficile de résumer ce roman qui prend terriblement son temps pour se mettre en place. À peu de choses près, « l’histoire » (un bien grand mot) des Lames du Cardinal ne commence qu’à la moitié du livre environ. C’est dire si ça traîne. D’ici là, on subit bon gré mal gré la reconstitution desdites Lames, une sorte d’équipe de super agents secrets au service du Cardinal, commandés par le capitaine La Fargue. On suit donc une kyrielle de personnages, hélas tous plus ternes les uns que les autres, et accumulant les clichés (avec une mention pour l’inévitable truculent Gascon). Il y a des gentils. Il y a des méchants. Il y a des traîtres. Des faux et des vrais. Mais on s’emmerde.

 

Et à vrai dire, ça ne s’arrange guère une fois terminée cette looongue mise en place… Difficile de se prendre de passion pour cette intrigue vague et mollassonne, accumulant rebondissement prévisibles et révélations qui tombent à plat, avec une accélération finale qui en rajoute dans le ratage. Une entrée en matière plutôt douloureuse, donc, pour cette trilogie…

 

Et, du coup, je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce qui peut bien « justifier » le succès de cette série (au-delà du malentendu évoqué plus haut et dont j’ai été victime). Ce roman est en effet plein de vide. Il n’a rien pour lui. Les personnages sont nuls, l’intrigue nulle, la construction plus qu’à son tour critiquable, le style insipide et saturé de mauvais traits didactiques évoquant tant un mauvais roman historique qu’un mauvais roman jeunesse. Alors quoi ?

 

Je me suis senti floué.

 

Du coup, je doute de me taper la suite, si elle doit être du même niveau. Quant au jeu de rôle… On va dire que tant pis ?

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"Black Flag", de Valerio Evangelisti

Publié le par Nébal

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EVANGELISTI (Valerio), Black Flag, [Black Flag], traduit de l’italien par Jacques Barbéri, Paris, Rivages, coll. Fantasy, [2002] 2003, 170 p.

 

Lors de mon « western summer », on m’avait prêté Anthracite, western de Valerio Evangelisti de très bonne réputation. Je ne l’ai cependant toujours pas lu… En effet, j’avais appris que le héros de ce roman, le palero (sorcier) mexicain Pantera, était d’abord apparu dans un autre roman, Black Flag, mélangeant plus ouvertement western et imaginaire (et même auparavant dans une nouvelle du recueil Métal hurlant, mais bon…). Or ce Black Flag n’avait pas été repris en poche, et n’avait connu qu’une seule édition de par chez nous, dans la défunte collection « Fantasy » de Rivages (qui avait également publié les « Nicolas Eymerich ») ; j’ai cependant pu me le procurer, mais divers impératifs m’ont empêché de le lire jusqu’à aujourd’hui, et ce en dépit de sa brièveté. Mais c’est désormais chose faite…

 

Black Flag constitue une variation sur la méthode des « Nicolas Eymerich » (une allusion en passant à la RACHE confirme d’ailleurs que nous sommes dans le même univers), et alterne ainsi entre plusieurs époques. Lors du prologue et de l’épilogue, nous assistons à l’assaut de Panama par les Américains peu après le Onze-Septembre (et ça y fait diablement penser, très volontairement, ainsi qu’en témoigne le discours de George W. Bush en exergue – j’ai trouvé ça de très mauvais goût…). Puis on alterne un chapitre sur deux entre le réveillon de l’an 3000 – la Terre y est devenue un gigantesque hôpital psychiatrique où les Schizophrènes massacrent allègrement leurs comparses (on peut penser au roman de Philip K. Dick Les Clans de la lune alphane, en – nettement – plus gore et sans l’humour…) – et la fin de la guerre de Sécession, entre le Texas et le Missouri. Disons-le tout net : seule cette partie-là (de loin la plus longue, heureusement) mérite qu’on s’y attarde, le reste ne se rattachant que très artificiellement à cette trame principale – comme dans un « Nicolas Eymerich » raté, quoi… ce qu’est largement ce Black Flag, malgré l’absence du célèbre inquisiteur.

 

Nous y suivons donc le sorcier métis Pantera. Embauché à Laredo pour faire la peau d’un loup-garou tueur de putes, il est trahi par ses commanditaires, et ne trouve le moyen de survivre qu’en s’échappant en compagnie de sa proie (qui s’attache rapidement à lui), et en rejoignant ainsi bon gré mal gré la troupe de bushwhackers (voyez ici) du tristement célèbre Bloody Bill Anderson (en compagnie notamment des frères Jesse et Frank James). Suit une insoutenable série de massacres, jusqu’à ce que Pantera se souvienne enfin de ce qui lui est arrivé à Laredo et y retourne pour se venger…

 

Le « drapeau noir » du titre a plusieurs significations. Il renvoie bien sûr au groupe de punk, dont les chansons fournissent titre et exergue aux chapitres de Pantera. Au-delà, c’est le drapeau de l’anarchie, sinon de l’anarchisme ; un certain anarchisme du moins, hyper-individualisme sauvage dans la lignée de Stirner et annonçant Nietzsche, incarné dans le roman par le docteur français Bellegarrigue, qui voit dans les Etats-Unis en guerre le terrain idéal pour prêcher cette ultime révolution sanglante qui verra l’homme se débarrasser de toute forme d’autorité (et annonce ainsi l’an 3000 des autres chapitres). Ce drapeau noir, enfin, brandi par les bushwhackers, c’est l’antithèse du drapeau blanc : pas de quartier, et tant pis si même les confédérés sont pris de nausée à l’idée que ces brigands irréguliers se battent en principe pour la même cause (pas l’esclavage, pour Bellegarrigue, mais la liberté, donc).

 

Et donc : du sang. Black Flag enchaîne les massacres les plus abominables, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi Pantera y participe (sans les cautionner vraiment, mais bon). Le roman est riche en scènes fortes, si violentes qu’elles marquent à n’en pas douter. Mais, à vrai dire, il m’a surtout donné une impression d’overdose de gore, ne provoquant que l’écœurement. Pas d’humour, pas davantage de sens.

 

Ou presque. Du sens, il y en a. Mais, si l’on peut se reconnaître (votre serviteur itou) dans la noirceur de ce roman ultra pessimiste et nihiliste, on peut tout aussi légitimement renâcler devant les implications de cette débauche de violence. En effet – et ce n’est pas une première – je dois dire que le discours politique de Valerio Evangelisti m’a un tantinet gonflé dans ce roman. L’anti-américanisme est nécessairement primaire, a fortiori dans le prologue et l’épilogue (vraiment puants, ai-je trouvé) ; l’anti-psychiatrie des chapitres futuristes confine au ridicule ; quant à la critique d’une société déréglée telle qu’elle se présente dans les chapitres de Pantera, elle est pour le moins excessive, virant à la caricature. Bref, je ne me suis pas reconnu dans la « pensée » véhiculée par Black Flag, c’est rien de le dire…

 

Cela pourrait ne pas être gênant, ou du moins pas tant que ça. Hélas, le ratage complet des chapitres autres que ceux de Pantera et l’absence de véritable motivation (sans parler de l’histoire…) chez ce dernier ne font que confirmer à mon sens le jugement émis plus haut : même sans Eymerich, Evangelisti fait ici du Eymerich ; mais du mauvais : outrancier, mal branlé, un poil puant, et potentiellement un peu con-con.

 

Une déception, donc ; qui ne m’empêchera pas de lire Anthracite, hein : ce dernier roman a bien meilleure réputation ; mais j’espère que Valerio Evangelisti y a corrigé les travers de ce Black Flag franchement médiocre.

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"H.P. Lovecraft. Fantastique, mythe et modernité"

Publié le par Nébal

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H.P. Lovecraft. Fantastique, mythe et modernité, Colloque de Cerisy, avant-propos par Gilles Menegaldo, Paris, Dervy, coll. Cahiers de l’hermétisme, 2002, 464 p. + [16 p. de pl.]

 

Après une assez longue interruption (pour diverses raisons indicibles), retour aux lovecrafteries avec ce gros volume très dense (et très sérieux : ne pas se fier à l’étrange collection dans laquelle il a été publié…) qui me paraît constituer aujourd’hui, avec ses défauts, un des points d’orgue de l’exégèse française en la matière – à vrai dire, j’ai un peu le sentiment qu’il joue aujourd’hui le rôle du vieux Cahier de L’Herne, à bien des égards frappé d’obsolescence. Il s’agit des actes d’un colloque de Cerisy dirigé par Jean Marigny et Gilles Menegaldo qui s’est tenu du 3 au 10 août 1995, et qui visait à faire le point sur le sujet près de trente ans après ledit Cahier de l’Herne.

 

Entre autres, puisque, après un « Avant-propos » signé Gilles Menegaldo présentant l’ensemble du colloque, on passe immédiatement à un déconcertant article de Maurice Lévy intitulé « Lovecraft, trente ans après », où l’auteur de Lovecraft ou du fantastique brûle en quelque sorte ce qu’il a adoré jadis (à peu près à l’époque du Cahier de l’Herne, donc). Ce quasi-reniement de Lovecraft a de quoi laisser perplexe, et me paraît se fonder sur de mauvaises raisons, notamment en ce qu’il n’apporte pas à proprement parler de nouveaux éléments sur le sujet : seul le regard porté par l’auteur a changé. Ne nous y attardons pas, ça n’en vaut pas la peine (alors que le vieil essai précité reste très lisible aujourd’hui).

 

Je ne m’attarderai pas davantage sur « Lovecraft, précurseur de la théorie de la déconstruction », article « audacieux » signé Donald R. Burleson, pour la mauvaise et simple raison que je n’y ai à peu près rien compris… et que le peu que j’ai cru comprendre ne m’a guère paru pertinent.

 

Gilles Menegaldo livre ensuite « Résonances poesques dans la fiction de H.P. Lovecraft », une bonne synthèse sur l’influence exercée par celui que Lovecraft considérait comme son maître, voire comme son Dieu.

 

On continue sur les influences (mais réciproques, cette fois) avec Florent Montaclair et « L’Influence d’Abraham Merritt sur Howard Phillips Lovecraft : vers un renouvellement des motifs fantastiques », qui vient dans un sens compléter les articles de Michel Meurger sur la question dans Lovecraft et la S.-F. /1 (on notera comment l’un des deux exégètes met en avant la notion de fantastique – mais voyez le titre du colloque… – là où l’autre privilégie la science-fiction, à raison en ce qui me concerne…).

 

« Le Timbre du silence » d’Alain Chareyre-Méjan s’intéresse à l’importance du son dans la fiction lovecraftienne. Thème important, certes (voyez par exemple les développements de Michel Houellebecq sur les sens, de manière générale, dans sa lecture), mais je dois dire n’avoir guère été convaincu par cet article quelque peu emprunté (il est vrai que Nébal est un con).

 

Pas vraiment convaincu non plus par « Lovecraft en proie à ses monstres » de Roger Bozzetto, qui ne me paraît pas apporter grand-chose de neuf (mais il est vrai que Nébal est un con, qui se répète, en plus).

 

J’ai davantage été interpellé par « Le Rhéteur et le pornographe » de Denis Mellier (extrait de son ouvrage Textes fantômes, fantastique et autoréférence), qui revient sur la délicate question du style de Lovecraft (mais écrivait-il bien, à la fin, ce bougre ?), et qui, sans apporter là encore d’éléments fondamentalement nouveaux sur ce sujet abondamment traité, constitue néanmoins une synthèse appréciable et que j’ai trouvé pour une fois plutôt pertinente.

 

Place à Max Duperray pour « Entre le sublime et le « grotesque » : la phobie de l’autre et sa représentation  dans les rêves régressifs de Randolph Carter ». Tout est dans le titre, ou presque. Je note juste l’originalité relative consistant à traiter de cette « phobie de l’autre » dans un « cycle » qui ne me paraît pas a priori être l’aspect de l’œuvre lovecraftienne qui en témoigne le plus ouvertement. Mais c’est juste.

 

Michel Graux livre ensuite « Meurtres dans la rue d’Auseil, ou les « je » interdits de Lovecraft ». Passons sur le jeu de mots laid du titre… L’idée est que l’emploi très poesque de narrateurs non fiables par Lovecraft (car fous… ou menteurs ?) offre une grille de lecture dans laquelle le Mythe et ses différents aspects ne servent que de couverture pour masquer un meurtre perpétré par celui qui raconte. L’idée n’est pas inintéressante, et me paraît effectivement productive dans quelques (rares) cas. Mais en faire à peu de choses près une grille de lecture applicable à l’ensemble de la fiction lovecraftienne me paraît gonflé, et pas du tout convaincant (d’autant que cette théorie conduit à évacuer le « surnaturel » pour faire du « fantastique » de Lovecraft un système reposant sur l’ambiguïté ; or j’ai toujours été gêné par cette vision du fantastique, qui me paraît bien réductrice – voyez par exemple ici).

 

On passe alors à l’excellent, comme toujours, Michel Meurger pour « Lovecraft et l’imaginaire scientifique : la « weird science », de 1926 à 1931 ». Une fois de plus un article d’une grande érudition, venant compléter les deux volumes des « Cahiers d’études lovecraftiennes » (hop et hop) ; et, décidément, à l’instar de l’auteur, c’est bel et bien de la science-fiction ou au moins de la « weird science » que je vois le plus souvent dans l’œuvre lovecraftienne, dimension qui paraît faire tache dans ce colloque axé sur la notion de « fantastique ». Vieux débat, qu’on pourra juger stérile, mais Nébal a dans l’ensemble choisi son camp, camarades…

 

« Mythe et métamorphose » d’Elsa Grasso est un article assez complexe, s’intéressant notamment à la figure de Pan et à la terreur panique chez Machen et Lovecraft ; intéressant, même si j’avoue ne pas en avoir forcément retenu grand-chose (mais il est vrai que…).

 

Jean-Pierre Picot livre ensuite « Randolph Carter, frère d’Ulysse l’avisé et de Sindbad le marin ». C’est à nouveau une lecture « audacieuse », parfois sans doute exagérée, mais assez intéressante.

 

On passe alors à « La Gémellité et le double monstrueux du moi : deux exemples du double lovecraftien » de William Schnabel. J’avoue n’avoir guère été convaincu… mais je préfère réserver mon jugement pour la lecture de l’ouvrage de l’auteur consacré à la thématique du double, donc.

 

Gilles Menegaldo revient avec « Le Méta-discours ésotériste au service du fantastique dans l’œuvre de H.P. Lovecraft ». Le titre est assez éloquent, et le sujet a été abondamment traité (mais la synthèse reste intéressante). Notons juste, à nouveau, que l’on parle ici de « fantastique »…

 

Jean Marigny poursuit sur cette thématique avec « Le Necronomicon ou la naissance d’un ésotérisme fictionnel » ; pas vraiment d’intérêt pour autant que je m’en souvienne…

 

Suit un très gros morceau, de loin le plus long article de ce volume, avec « Le Thème de la décadence chez C.A. Smith et R.E. Howard » de Lauric Guillaud. Très intéressant,et cela ne fait que confirmer qu’il est temps que je me mette sérieusement à Clark Ashton Smith…

 

Jean Marigny revient en vitesse (et aurait peut-être pu s’en passer…) pour « Robert Bloch et le Mythe de Cthulhu », article qui m’a paru bien approximatif et plus qu’à son tour critiquable (l’éloge de Retour à Arkham est assez impayable…).

 

On aborde ensuite la thématique cinématographique, d’abord avec Jean-Louis Leutrat et « Lovecraft et le cinéma ». Bref, mais pas inintéressant. Le même auteur livre ensuite « L’Égypte et le cinéma dans l’œuvre de Howard Phillips Lovecraft », article un peu fait de bric et de broc, passionnant quand il traite véritablement de Lovecraft, mais largement hors-sujet ensuite…

 

On reste dans le hors-sujet cinématographique avec « Cinéma de la peur, cinéma de l’inconnu : de l’indicible à l’écran (la malédiction de Freaks) » d’Isabelle Viville, qui s’intéresse donc essentiellement au célèbre film de Tod Browning (dont je ne savais pas qu’il avait été si mal accueilli à l’époque). C’est tout à fait intéressant, mais, en dépit des contorsions de l’auteur, on se demande franchement ce que ça vient faire là.

 

Philippe Rouyer livre enfin « Hommages et pillages. Sur quelques adaptations récentes de Lovecraft au cinéma », article nécessairement obsolète qui s’intéresse d’abord (sans doute trop brièvement) aux cas de Stuart Gordon et Brian Yuzna, avant de livrer une critique à juste titre enthousiaste de L’Antre de la folie de John Carpenter.

 

Et le colloque de s’achever sur une « Table ronde. Lovecraft et sa réception en France ». Le sujet m’intéresse grandement (voyez ici), mais cette conversation, qui n’en traite finalement que par la bande ou presque, ne m’a guère paru enrichissante, si l’on excepte quelques données « chiffrées » de Jacques Goimard (on passera sur son éloge déconcertant des abjectes lovecrafteries de Brian Lumley…), et, bien sûr, les interventions toujours pertinentes de Michel Meurger (mais je suis un petit fan).

 

L’ouvrage, gros et dense, contient donc comme de juste un peu de tout, de l’excellent au franchement passable, et souffre à mon sens de quelques partis-pris un brin dommageables (notamment, donc, en insistant sur la notion de « fantastique », ce qui ne pose pas forcément problème, mais surtout en évacuant presque totalement celle de « science-fiction », ce qui est autrement gênant). Mais il constitue à n’en pas douter une référence pour l’exégèse française contemporaine de l’œuvre lovecraftienne. En ce sens, il remplit parfaitement sa mission, et constitue une lecture indispensable pour qui s’intéresse au Maître de Providence et a envie d’approfondir le sujet.

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