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"Eclipse Phase : Alpha+Phase #1. Premier Morphe"

Publié le par Nébal

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Eclipse Phase : Alpha+Phase #1. Premier Morphe

 

Alpha+Phase est un fanzine français consacré à Eclipse Phase, que l’on trouve gratuitement en .pdf sur eclipsephase.fr. Très belle initiative, pleinement justifiée par l’enthousiasme que ce jeu foisonnant peut susciter. Aussi, malgré les (nombreuses…) réserves que je vais exprimer dans le présent compte rendu, je ne peux qu’encourager les responsables de la chose à poursuivre (et un numéro 2 est d’ailleurs annoncé pour bientôt).

 

Le premier abord est extrêmement favorable. Le fanzine, d’un peu plus de soixante pages tout de même, reprend la maquette du jeu de manière très pertinente, et est abondamment et chouettement illustré (avec pas mal de trucs de Posthuman Studios). Très agréable à l’œil, donc.

 

Mais ça se complique quand on s’approche un peu ; à vrai dire, ça pique même pas mal… Parce que bon : les gens, ce que vous faites, c’est bien, et, encore une fois, l’initiative mérite d’être saluée ; mais, par pitié, RELISEZ-VOUS ! Le niveau varie selon les rédacteurs, bien sûr, mais ce premier numéro est tout de même dans l’ensemble bourré de vilaines coquilles, fôtes d’otograf ou de granmère, et je ne vous parle pas de la syntaxe, de la concordance des temps, etc. Pitié ! Un petit effort sur ce plan-là serait vraiment souhaitable, parce que, en l’état, c’est parfois carrément illisible ; du coup, par exemple, tous les petits « récits » qui parsèment ce premier numéro sont atrocement mal écrits, et donc à jeter (je n’en parlerai pas ; heureusement, on peut se montrer un poil moins exigeant pour les scénarios et les aides de jeu qui constituent l’essentiel de la chose)… Je sais pas, moi, embauchez un relecteur ! Éventuellement, je veux bien, moi…

 

Mais bon. On va dire que c’est une erreur de débutants, hein…

 

Passons, donc, et concentrons-nous sur le fond. Le fanzine est scindé en deux parties, « In Vivo » et « Ex Vivo ». La première s’intéresse à la thématique du numéro, à savoir le « premier morphe » ; la seconde comprend tout le reste.

 

On commence avec l’aide de jeu « Transcréation » de Guillaume « Slevin » Petot. Et là, ben, désolé, mais je suis obligé de repasser brièvement par la forme… En effet, cet article à prétention scientifique est tellement confus que je n’y ai à peu près rien panné. Bon, en gros, mais je dis peut-être des bêtises, il s’agirait d’une technique proche du clonage, mais cependant différente, en ce qu’elle se fonderait sur le « premier morphe », donc, dont l’ego est supposé garder la trace. Idée qui ne me plait pas vraiment… Allons-y avec des pincettes, hein, ma compréhension limitée de cet article ne me permettant pas d’affirmer quoi que ce soit avec la plus grande certitude, mais la philosophie du machin m’a l’air tout de même passablement, euh, « jovienne », disons… Ce n’est pas exactement ce qui m’emballe dans le futur transhumain d’Eclipse Phase

 

Je passe maintenant au cœur de ce numéro, et à ce qu’il contient de plus intéressant, à mon sens tout du moins, avec les trois articles de Thex consacrés à… Marseille. Oui, oui, Marseille, la ville des sardines géantes, tout ça. Sur Terre. Chez nous. Pendant la Chute… L’idée me paraissait un peu foireuse tout d’abord, et je ne pense pas l’utiliser (ce serait se priver des passionnants backgrounds que l’on peut mettre en place avec les dix années PC), mais je dois reconnaître que c’est plutôt bien fait. Si le scénario d’introduction « De poussière et d’acier » est à vue de nez une grosse bourrinade façon « survival », les aides de jeu qui viennent le compléter, « Marseille, cité libre » et « Flash info : la Chute », sont vraiment bien pensées, et dessinent un cadre tout à fait séduisant. M’est avis qu’il doit y avoir moyen d’en faire bon usage, même dans la période de jeu « classique »… Je me garde ça derrière l’oreille, du coup.

 

On passe alors à la partie « Ex Vivo ». Le scénario « Projet Hyperconscience (1/2) » de Stéphane « Algeroth » Idczak repose sur une idée très intéressante… mais qui ne sera véritablement développée que dans le numéro suivant, le « scénario » figurant ici n’étant clairement à mes yeux qu’un prologue ! Ce qui, disons-le tout net, est passablement frustrant… Dommage.

 

Thierry « Kryane » Gaudillier consacre ensuite un article au petit logiciel fort pratique qu’est EP Manager, qui permet de simplifier considérablement la procédure de création de personnage. Testé et approuvé, malgré quelques bugs (qui ont peut-être été corrigés depuis ?).

 

En parallèle, Guillaume « Slevin » Petot propose avec « PNJ Easy » un système de création de PNJ très simplifié afin de ne pas y passer des plombes ; ça a l’air plutôt bien fait à vue de nez, mais je doute d’en faire usage, préférant pour ma part me fonder sur des « banques » pour les PNJ lambda, mais créer par contre en détail les PNJ principaux (par exemple… avec EP Manager ; c’est beaucoup plus long, certes, mais bon…).

 

Denis « Quincey Forder » De Plaen propose ensuite avec « Trans//Média » diverses inspirations pour Eclipse Phase, notamment du côté des jeux vidéos, mais aussi du cinéma (enfin, pour autant que Man of Steel soit du cinéma…) ou des anime. Bonne idée, mais j’ai pour ma part une énorme pile de bouquins de SF qui me paraissent plus capitaux en l’espèce.

 

Guillaume « Slevin » Petot, enfin, livre une « Banque de PJ » (des prétirés parfaits pour le scénario marseillais), et suivent de nouveaux archétypes.

 

Bilan ? Le fond est plutôt bon, donc, même si critiquable ; la forme, elle, est calamiteuse en dépit des jolies illustrations et de la maquette… Reste que c’est là une entreprise appréciable, qui, je l’espère, ira en s’améliorant. C’est tout le mal que je souhaite à Alpha+Phase.

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"Metropolis", vol. 1, de Lehman, De Caneva & Martinos

Publié le par Nébal

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LEHMAN, DE CANEVA & MARTINOS, Metropolis, volume 1, [s.l.], Delcourt, 2014, 95 p.

 

Une BD du nom de Metropolis signée Serge Lehman ? Quand j’ai appris la chose, ça n’a pas manqué de m’intriguer. Et de m’allécher. En effet, il y a longtemps de cela, l’auteur de l’excellent Livre des Ombres (entre autres…) avait évoqué à plusieurs reprises ce nom, mais pour un roman, a priori. Mais la documentation s’est semble-t-il accumulée, et le projet a pris une ampleur pharaonique, jusqu’à devenir irréalisable… Néanmoins, ce thème a ressurgi dans plusieurs œuvres de Serge Lehman, comme la nouvelle « Superscience » dans Le Haut-Lieu, et, bien sûr, en bande dessinée, La Brigade chimérique… C’est semble-t-il désormais dans ce médium que Serge Lehman a trouvé à exercer son talent (avec une certaine réussite, même si je n’ai pas lu d’autres BD du monsieur en dehors de ladite Brigade). J’espère toujours qu’il saura revenir aux romans ou, mieux encore, aux nouvelles, mais bon, hein, en attendant, la BD, c’est très bien (et certainement pas un pis-aller).

 

Et donc Metropolis. Une nouvelle variation sur ce thème, mais qui affiche cette fois d’emblée la source du projet dans son titre même. Comme s’il s’agissait de clore la question (encore que…). Avec Stéphane De Caneva au dessin et Dimitris Martinos aux couleurs, histoire de donner à tout cela une dimension collaborative qui permet, peut-être, de porter plus facilement un projet trop lourd pour Serge Lehman seul ? Quoi qu’il en soit, et autant le dire de suite, cette série (qui devrait compter quatre volumes) part sur d’excellentes bases, et ce premier tome est une réussite en tout point. Plus séduisante encore, à mon sens, que le premier tome de La Brigade Chimériqueen son temps.

 

Nous sommes dans les années 1930, dans une Europe utopique qui n’a pas connu la guerre de 1914-1918, et dans laquelle la « Belle Époque » s’est donc prolongée… La gigantesque ville de Metropolis symbolise l’entente franco-allemande, qui dure depuis 1871. Même si les résurgences du nationalisme se font à l’occasion sentir… ainsi (peut-être ?) lors de ce terrible attentat sur le parvis de la Réconciliation, auquel assiste le lieutenant Gabriel Faune.

 

Et Faune n’est pas n’importe qui. Ce n’est pas seulement un enquêteur brillant, c’est aussi « le premier citoyen de Metropolis », enfant trouvé sur le chantier lors de l’inauguration… Adopté par la ville, élevé par ses autorités, Gabriel Faune – qui a quelques soucis justifiant des séances de psychothérapie auprès du bon docteur Freud en personne… – vit dans une relation symbiotique avec sa ville. Il en connaît chaque pierre, chaque rue, sait toujours quel est le meilleur itinéraire à prendre… Dès que Metropolis est en question, Faune semble ne jamais se tromper.

 

Et le voilà qui est amené à enquêter sur une double affaire : l’attentat précédemment évoqué, mais aussi ce que l’explosion a révélé, à savoir de bien mystérieux cadavres de femmes… L’occasion de remettre sur les rails un autre enquêteur brillant, Lohmann (…), celui qui en son temps avait mis la main (aha) sur Peter Kurten, alias « M le Maudit », mais qui a quelque peu dérapé depuis…

 

Difficile d’en dire beaucoup plus. Non pas de crainte de faire dans le spoiler, mais tout simplement parce que ce premier tome laisse beaucoup de portes ouvertes. Ce qui est passablement frustrant. Mais témoigne aussi de sa réussite. Plus encore que pour La Brigade chimérique, on est intrigué et enthousiasmé par ce tome inaugural, et on a hâte de lire la suite.

 

En effet, Serge Lehman use ici avec un très grand brio d’idées obsessionnelles, de thèmes passionnants, de références pertinentes, pour bâtir un univers finalement surprenant, là où l’on pouvait craindre une triste répétition de « procédés ». Oui, il s’agit à nouveau d’une uchronie européenne dans les années 1930. Oui, en uchronie « classique », elle fait intervenir des personnages historiques (Freud, donc, mais aussi Einstein, Briand, etc.) ainsi que des références culturelles, ici essentiellement cinématographiques (Metropolis, M le Maudit, Loulou…), au milieu des quidams. Le héros a bien quelque chose du super-héros (de par son origine et ses pouvoirs étranges). Et ainsi de suite…

 

Mais Serge Lehman ne se répète pas, donc. Il teste, il fait des variations. Cette BD, malgré ses prédécesseurs et sa longue maturation, donne une impression de nouveauté indéniable. Et, dans ses thématiques, elle m’intéresse tout particulièrement. J’ai été d’emblée séduit par l’idée de cette Europe unie, uchronie au sens de Renouvier, donc utopique au sens « positif », au moment où elle semble vasciller ; il faut dire que la construction européenne m’a toujours paru d’une très grande importance, que les retours de bâton nationalistes figurent parmi mes pires hantises, et, j’ai envie de le noter, que tout cela est d’une actualité brûlante à la veille d’un scrutin qui s’annonce catastrophique et en plein milieu de la crise ukrainienne… Les références sont en outre judicieusement utilisées, les personnages ont du corps, l’intrigue, si elle se met lentement en place, eh bien, intrigue, justement… Du beau boulot, en somme.

 

Et on saluera également le graphisme, cette fois véritablement à la hauteur du scénario (j’avais le sentiment que ce n’était pas tout à fait le cas pour La Brigade chimérique, Gess faisant un peu trop à mon sens du sous-Mignola ; quant à Masqué, le dessin m’avait carrément dissuadé – bêtement, sans doute, mais bon, j’ai pas de sous, en plus – de tenter l’expérience…) et parfaitement approprié, que ce soit dans ses effets cinématographiques, du travelling aux plans d’ensemble, ou encore dans ses surprenantes explosions de violence. Lisible, dynamique et beau, le trait de De Caneva est vraiment des plus intéressants.

 

Je recommande donc chaudement ce premier tome aussi intriguant qu’enthousiasmant, et attends la suite avec impatience.

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"Eclipse Phase : Kit d'introduction"

Publié le par Nébal

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Eclipse Phase : Kit d’introduction

 

Avant même la parution (retardée…) d’Eclipse Phase en français, les gens de chez Black Book avaient sorti ce petit Kit d’introduction, disponible gratuitement au téléchargement. Il me semble mériter que j’en dise quelques mots, dans la mesure où il est autrement plus conséquent que celui qui avait été fait, par exemple, pour Deadlands Reloaded.

 

On commence en gros par une présentation succincte de l’univers. Et là, autant le dire, c’est le point faible de ce Kit d’introduction : l’univers foisonnant d’Eclipse Phase est tout simplement trop riche pour être réduit en ces quelques pages beaucoup trop réductrices. Si la chronologie et le glossaire abrégé sont utiles pour se donner une idée de ce dans quoi on s’embarque, le reste se révèle plus frustrant qu’autre chose. Pas d’indications véritables sur le système intérieur et le système extérieur, trop peu d’hypercorps, quelques vagues données sur les factions criminelles, en gros rien sur Firewall… Ben, ça ne marche pas, quoi. On ne peut cependant en blâmer les responsables, résumer cet univers extrêmement dense au format d’un Kit d’introduction relevait de la mission impossible.

 

Rien à redire, par contre, sur les règles abrégées qui suivent immédiatement. C’est là un outil qui pourra même se révéler utile une fois une véritable campagne lancée. L’essentiel est là (et on prend déjà la mesure de sa complexité relative). Bien évidemment, il n’y a ici rien sur la création de personnage, mais les valeurs, les tests et le combat sont suffisamment détaillés et illustrés par des exemples pour approcher en douceur le système.

 

Suit un scénario d’introduction. ATTENTION, à partir de là, spoilers Intitulé « Prenez garde aux ADM », il se joue avec quatre personnages prétirés, membres de Firewall depuis un certain temps mais qui ne sont pas censés se connaître au début. On les lance, alors qu’ils se trouvent sur une barge d’écumeurs, sur la piste d’un marchand d’armes, qui compte vendre une nanonuée relique des Titans. Bien entendu, les PJ sont censés empêcher que la vente aboutisse, et si possible se débarrasser de cette dangereuse arme. Pour cela, une excellente idée du scénario consiste à inciter les joueurs à faire mourir leurs personnages pour les ressusciter ensuite avec leurs sauvegardes… On intègre ainsi un concept fondamental d’Eclipse Phase. La morphose se fait ensuite avec des synthémorphes plus taillés pour le combat, et le scénario se poursuit, assez bourrinement certes, sur Mars, là où la relique a été découverte. Un scénario plutôt bien conçu ; des phases libres sur la barge et sur Mars permettent de découvrir l’univers, là où l’intrigue (certes minimaliste et bourrine), plus linéaire, permet bien de tester divers aspects du système et des principes fondamentaux de la transhumanité. On trouve en fin de livret les personnages prétirés sous leurs deux aspects, et deux plans (qui me paraissent difficilement utilisables…).

 

Aussi, en dépit de l’inévitable bémol concernant la présentation de l’univers – je reste persuadé qu’il faut que les joueurs sachent presque tout avant de se lancer dans une campagne… –, ce Kit d’introduction me paraît remplir parfaitement son office. Une bonne porte d’entrée, donc, pour un jeu qui m’a toujours l’air très exigeant, mais résolument fascinant.

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"Idées noires, l'intégrale", de Franquin

Publié le par Nébal

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FRANQUIN, Idées noires, l’intégrale, Paris, Audie – Fluide glacial, [2001] 2007, 70 p.

 

Si, dans mon inculture crasse, je n’ai finalement que très peu lu les Spirou & Fantasio de Franquin, c’est néanmoins là un auteur de BD qui a beaucoup compté pour moi. D’abord et avant tout pour Gaston, bien sûr, dont, gamin, j’ai lu et relu avec un plaisir croissant les gaffes, et qui est définitivement devenu mon modèle en tout ou presque. Mais aussi pour les Idées noires

 

Je n’étais pas encore dépressif, loin de là, quand j’en ai lu pour la première fois. Et pour cause : je devais avoir dix ou onze ans. Je m’étais alors procuré, sur la seule foi du nom de Franquin, ce deuxième tome bâtard en semi-format. Bien entendu, on était là très loin de Gaston, bien plus loin que tout ce que j’aurais pu imaginer… Mais, malgré mon jeune âge (tendre, mon cul), j’ai immédiatement adhéré à la chose. Tout m’a séduit, des vers de Victor Hugotlib ouvrant ce petit volume (hélas pas repris ici, mais je crois que ça finissait par « L’œil était sur la page et regardait Franquin »…), au terrible « Qui m’aime me suive ! » final. Je me souviens, encore aujourd’hui, de la plupart des « gags » (qui n’en sont pas toujours), au point que je pourrais en citer quelques-uns quasiment par cœur. Et puis ce dessin, superbe noir et blanc, que j’ai redécouvert émerveillé avec cette intégrale, et qui me fait penser que Franquin, c’est un peu notre Frank Miller à nous dans la franco-belge, tiens… Et les signatures, aussi ! Bref : ce tout petit album, je l’ai lu et relu, et adoré par-dessus tout. Ce fut un véritable choc, voire – le terme serait peut-être plus juste encore – un traumatisme. Et déjà un avant-goût de cette donnée fondamentale : la BD, ce n’est pas que pour les enfants, non mais. Et j’ai eu l’impression, du coup, d’avoir grandi d’un bond à la lecture des Idées noires – hop !

 

Même si, bien sûr, il m’a fallu un peu de temps, encore, pour comprendre certaines planches, et saisir leur portée. Si la dimension écologiste m’avait déjà fortement marqué dès la première lecture – c’était dans l’air du temps, sans doute –, je pense n’avoir saisi que plus tard tout le côté anar des Idées noires (voire de Gaston…), avec ses nombreuses piques contre les militaires, les patrons, les politiques, les curés et leurs fidèles…

 

Et puis, le côté dépressif et parano, bien sûr, je ne l’ai pleinement intégré qu’au fur et à mesure… Je me souviens d’un Spirou, tiens, mais qui, hérésie, n’était pas de Franquin (probablement de Tome & Janry) : Fantasio y était méchamment déprimé, et Spirou faisait la remarque que c’était les gens les plus rigolos qui faisaient les pires dépressions, ou l’inverse, je ne sais plus. Cette idée m’a marqué à vie. Je ne suis pas certain d’être pour ma part particulièrement rigolo, pourtant, mais je fais des efforts… En tout cas, j’ai eu l’impression de vérifier régulièrement cet axiome. Et c’est sans doute dans les Idées noires, rétrospectivement, que j’en avais eu le premier aperçu. Je ne ferai pas l’affront de qualifier Franquin de « clown triste », parce que je peux pas blairer ces putains de clowns qui, eux, ne m’ont jamais fait rire (mais ça me rappelle la blague sur le clown dépressif dans Watchmen, au passage…).

 

Mais il y a, dans ces Idées noires, une harmonie parfaite entre l’humour et le tragique, a fortiori quand c’est le destin de l’humanité entière qui est en jeu. Et sans doute aussi ce que je qualifierais volontiers de « misanthropie bienveillante », une philosophie qui est mienne depuis, pfou, au moins (et donc probablement depuis la lecture des Idées noires, en fait…) : en gros, tous les hommes sont des cons, mais, hein, bon, ben c’est pas une raison, quoi. Bon. Et puis il y a parfois une rage mêlée de dégoût qui s’exprime (l’exemple le plus frappant étant peut-être celui du soleil qui dégueule…). Une cruauté politique jubilatoire, enfin – le fusil PANDAN-TAGL !

 

Quoi qu’il en soit, tout le monde y passe. Quand Franquin broie du noir (donc), cela est bon. « Lorsqu’après avoir lu une page d’Idées noires de Franquin on ferme les yeux, l’obscurité qui suit est encore de Franquin. » Il fait tout noir, là. Et cela est bon.

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"Le Piège de Lovecraft", d'Arnaud Delalande

Publié le par Nébal

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DELALANDE (Arnaud), Le Piège de Lovecraft. Le livre qui rend fou, Paris, Grasset, 2014, 365 p.

 

Tiens donc. Une lovecrafterie, encore, oui, mais chez un gros machin où on ne s’y attend pas. Et de la part d’un auteur français, à succès semble-t-il, notamment pour son thriller ésotérique (genre qui aurait dû, dans un monde idéal, crever après l’excellent et définitif Pendule de Foucault d’Umberto Eco) Le Piège de Dante. Et qui du coup appelle son nouveau roman… Le Piège de Lovecraft. Ça fait beaucoup, quand même. Au regard de mes préjugés, en tout cas. Disons-le tout net : j’en avais tellement que, si on ne m’avait pas suggéré d’en causer dans Bifrost, je n’aurais probablement jamais touché ce livre. Mais, vous le savez, Nébal est un con… Nouvelle démonstration, puisque j’ai en définitive passé un très bon moment avec ce roman ludique et malin, bien plus intéressant que ce à quoi je m’attendais, quand bien même certains défauts m’empêchent de lui décerner des lauriers.

 

Le livre commence par un échange de mails entre le narrateur, le Canadien David, et… Michel Houellebecq. Si. Au sujet de Lovecraft et du Necronomicon. L’auteur de H.P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie comprend bien vite qu’il est tombé sur un guedin, et met rapidement un terme à la discussion.

 

Suit le récit à la première personne de David, récit qui explique comment il a sombré dans la folie. Étudiant à l’Université de Laval, qui se pique de littérature, David se lie (autant que l’on peut se lier) avec le dénommé Spencer, qui ne tarde pas à abandonner leur pathétique groupe de pouètes pour s’impliquer dans un autre cercle dédié à Cthulhu, et pratiquant semble-t-il une sorte de jeu de rôle sur support électronique. Groupe qu’il ne tarde cependant pas à quitter… pour commetre un meurtre de masse suivi d’un suicide dans l’université.

 

Expérience traumatisante pour David, témoin de tout cela, et qui, du coup, cherche à comprendre, à déterminer les racines du mal qui s’est si étrangement exprimé. Alors David se penche sur le cercle de Cthulhu, et en arrive logiquement à Lovecraft. Et au Necronomicon, ce célèbre livre factice dont la légende le fascine bientôt, à tel point qu’il va consacrer sa thèse aux « livres imaginaires » en général et aux « livres maudits » en particulier. Ce qui va rejoindre son « enquête » sur Spencer et le Cercle de Cthulhu.

 

David va ainsi aller de révélation en révélation, dans sa quête du Necronomicon, ou, au-delà, du livre ultime, la source, celui qui contient tous les autres. Et il va être persuadé que l’invention de Lovecraft… pourrait bien avoir une forme d’existence réelle (numérisée par le Cercle ?). Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’évoquer les pathétiques canulars tels que celui-ci, ou, pire encore, celui-là… Non, il s’agit ici d’une quête de l’horreur cosmique et du mal métaphysique.

 

Mais l’enquête de David est pour le moins étrange : facilitée sous certains angles – ainsi il rencontre « par hasard » Stephen king à Castle Rock, dans le Maine… –, elle laisse apparaître des données troublantes. Les noms, par exemple : sa femme s’appelle Armitage, il croise un Wade Jermyn, psychopathe soigné par un docteur Simon Orne… Des noms qui viennent de l’œuvre de Lovecraft ! Et c’est à Providence, bien sûr, que se trouvera la porte (et la clef) qui permettra de comprendre tout cela…

 

Oui, à lire ce résumé, j’imagine que vous avez déjà pigé la fin… En fait, on se doute très vite du tour que va prendre ce Piège de Lovecraft. Cela pourrait être ennuyeux, voire rédhibitoire, mais pourtant, non. C’est comme Lovecraft, en fait : pour tout un tas de raisons, ça ne devrait pas marcher… et pourtant, ça marche.

 

Sans doute parce que, au-delà de cette dimension vaguement dickienne, et résolument arrogante voire mégalomane, mais pas inintéressante, Arnaud Delalande se montre un conteur doué et plein d’astuce. La fin peut agacer, oui ; la philosophie de l’auteur aussi, qui paraît résolument hostile au matérialisme mécaniste et athée de Lovecraft… Mais ces points négatifs (on pourrait y ajouter quelques menues erreurs factuelles, mais qui ne seront relevées que par les puristes) sont compensés par une construction adroite, un indéniable sens du rythme, une plume agile et agréable.

 

Aussi Le Piège de Lovecraft est-il en définitive… un bon thriller ésotérique. Ce qui, logiquement, ne devrait pas exister. On pourrait s’arrêter là, et conclure au bon roman de plage, ce qui serait déjà en soi tout à fait honorable. Mais je tends à coire qu’il y plus que cela dans ce livre, qui, à défaut d’apporter des réponses satisfaisantes, pose de bonnes questions.

 

Ludique et malin, disais-je. Une très bonne surprise, donc. Certainement pas irréprochable, mais nettement au-dessus du lot des lovecrafteries habituelles.

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"L'Abomination d'Innswich", d'Edward Lee

Publié le par Nébal

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LEE (Edward), L’Abomination d’Innswich, [The Innswich Horror], traduit de l’anglais par Thomas Bauduret, [s.l.], Mythologica, 2014, 150 p.

 

Oh ben tiens, une lovecrafterie de plus. Le titre (pas terrible…) est assez explicite, non ? En tout cas, il m’a davantage parlé que le nom de l’auteur : je n’avais jamais entendu causer d’Edward Lee avant de découvrir ce court roman, et avais même soupçonné, du coup, le pseudonyme (on est paranoïaque ou on ne l’est pas)… Mais non, il semblerait bien qu’Edward Lee existe (il a une fiche Wikipedia, preuve ultime !), et même qu’il ait commis plusieurs lovecrafteries en dehors du présent roman.

 

Vous l’aurez sans doute compris à la lecture de ces quelques lignes d’introduction : j’avais pas mal de préjugés concernant ce livre publié parallèlement au Mythologica spécial Lovecraft, et par les mêmes gens, grosso modo. La faute à ce titre un peu couillon, à la ridicule et bête mention « Pour public averti » figurant en quatrième de couv’ (ce gag ne me fait jamais rire), et à une abondance de coquilles que le lecteur imprudent se prend en pleine poire dès l’incipit.

 

On aurait cependant bien tort de s’arrêter à cela. Et, disons-le, si L’Abomination d’Innswich ne casse pas trois tentacules à un shoggoth, c’est quand même pas pire (bitte), et même, allez, tout à fait honnête, à condition d’aimer, au-delà du Lovecraft « pur », les séries B à Z vaguement lovecraftiennes et jouant volontiers la carte du grotesque ; disons, pour faire un parallèle cinématographique, que ce Lovecraft-là m’a pas mal fait penser à Stuart Gordon, pour le pire (From Beyond) mais heureusement surtout pour le meilleur, ou en tout cas le plus sympathique (Re-Animator et surtout, bien sûr, Dagon, puisque ce dernier film, en dépit de son titre, est en fait une adaptation plutôt marrante du « Cauchemar d’Innsmouth »). En effet, il y a tout de même pas mal d’humour dans cette Abomination d’Innswich, pas mal de cul aussi (mais gentil, hein, le « public averti » s’en prend aisément plus dans le foufouillon – faudra que je vous parle prochainement du Neonomicon d’Alan Moore et Jacen Burrows, d’ailleurs…), un héros con-con, une romance bêtasse, des twists et des révélations qui n’en sont pas mais c’est pas grave puisque c’est le jeu… Bref, oui, tous les ingrédients d’une série B à Z vaguement lovecraftienne, donc. Et plutôt d’une bonne. Certes, il ne faut pas s’attendre ici à des merveilles de littérature et à des baffes stylistiques, pas davantage à des constructions audacieuses, et en fait de profondeur on se contentera de Profonds. Mais ça se lit tout seul, et ça fonctionne ; bon nombre de pastiches ne peuvent pas en prétendre autant…

 

L’histoire ? L’est pas ben compliquée… Cousue de fil blanc, à vrai dire, mais ça fait partie du jeu, encore une fois. Nous sommes à la fin des années 1930, peu après la mort de Lovecraft, donc. Foster Morley, de Providence, s’est pris de passion pour l’œuvre de cet illustre inconnu qui finira par devenir une célébrité locale et mondiale. Riche dilettante, il fait du tourisme en Nouvelle-Angleterre sur les traces de son idole. Et, un jour que l’on n’osera pas qualifier de « beau », il fait la découverte d’un patelin du nom d’Olmstead… comme le narrateur du « Cauchemar d’Innsmouth », sa nouvelle préférée (on notera que cette information ne figure pas dans la nouvelle, en fait, mais seulement dans des papiers de Lovecraft dont je ne suis pas certain qu’ils aient été publiés à l’époque, mais passons…). Intrigué par la coïncidence, Morley se rend sur place ; là, il découvre une ville presque entièrement neuve – tous les bâtiments ont été refaits au début de la décennie –, bien différente de la terrible Innsmouth de Lovecraft. Mais Morley, fin connaisseur de ce chef-d’œuvre, repère en ville bien des coïncidences étranges dans les noms locaux… jusqu’à la pointe de la ville, du nom d’Innswich. Bien décidé à percer les secrets de l’inspiration du gentleman de Providence, Morley prend une chambre en ville. Mais il n’est pas au bout de ses surprises… dans ce patelin où toutes les femmes semblent être enceintes, comme la belle Mary.

 

Vous vous doutez déjà de la suite : l’idée, pour l’essentiel, c’est que Lovecraft a dit la vérité dans sa nouvelle, ne masquant qu’à peine les noms et les événements. SPOILER !!! Tu parles, on le voit venir dès le début. Et c’est bien pour ça que je trouve que ça fait partie du jeu. Edward Lee s’amuse avec la nouvelle de Lovecraft comme avec le lecteur qui l’apprécie, quitte à commettre quelques hérésies ici ou là. Et ça marche plutôt bien, notamment du fait de la naïveté, non, de la bêtise du narrateur (par ailleurs conservateur et très chrétien…). Du coup, c’est assez drôle, en fait, même quand ça sombre dans le pire mauvais goût grivois. On se serait peut-être passé du gros twist final, mais peu importe : en attendant, aussi étrange que cela puisse paraître, on a plutôt passé un bon moment. Et ce même si ça ne tient pas totalement la route.

 

Plutôt une bonne surprise, donc. Même si l’on ne fera certainement pas de cette Abomination d’Innswich une lecture indispensable – à vrai dire, je ne sais même pas si elle est recommandable… –, le fait est que je me suis plutôt amusé avec cette courte lecture. Un pastiche assez réussi, donc. Et dans le foisonnement des lovecrafteries, ça n’arrive pas tous les jours…

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"In God We Trust", de Winshluss

Publié le par Nébal

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WINSHLUSS, In God We Trust, Bègles, Les Requins Marteaux, 2013, [n.p.]

 

Je le confesse : je ne connais vraiment pas grand-chose en matière de BD bien eud’ chez nous. Au-delà des classiques franco-belges de mon enfance, et de quelques Humanoïdes et autres Fluides plus tard, j’ai de sérieuses lacunes. Aussi ai-je dû à maintes reprises me reposer sur le bon goût d’aimables concitoyens pour piocher ici ou là tel ou tel machin qu’il est bien.

 

C’est comme ça que j’ai découvert Winshluss, grâce à un aimable concitoyen, donc (et dont c’est d’ailleurs l’anniversaire aujourd’hui, vieillis heureusement, l’ami) qui, constatant mon ignorance de la BD bien eud’ chez nous, a fortiori à une époque où je lisais surtout des histoires de tapettes en collants, m’a glissé régulièrement un Ferraille entre les pattes. Et ça me plaisait bien, ça, la revue des Requins Marteaux. C’était ben drôle, ça oui, et ça trépignait d’enthousiasme juvénile délicieusement régressif et de bon mauvais goût qui tache ; tout pour me plaire, quoi, et remplacer avantageusement Fluide Glacial qui me paraissait alors en sévère perte de vitesse (sans parler du reste). Et Winshluss, donc, y était, qui nous contait avec Cizo les aventures de Monsieur Ferraille, rien que ça. C’était bien.

 

Quelques années plus tard, j’ai – comme beaucoup de gens semble-t-il – redécouvert Winshluss à l’occasion de la sortie, toujours chez les Requins Marteaux, du fantabuleux Pinocchio, lu chez un autre aimable concitoyen, de bon goût lui aussi malgré son humour déficient car planchapinesque. Et disons-le tout net, sans faire preuve d’originalité : Pinocchio est un chef-d’œuvre, d’une ambition démesurée, qui expérimente volontiers, mais garde toujours le ton absurdo-trash et frais qui faisait tout l’intérêt de Ferraille en général et de Winshluss en particulier.

 

Une émission de radio – mais mérite-t-elle seulement ce nom ? –, à savoir la Salle 101, est depuis revenue maintes fois sur la carrière de Winshluss, par le biais de l’ignoble et répugnant Raoul Abdaloff. Le bougre ne tarrissait pas d’éloges sur chaque nouvelle sortie du créateur de petits mickeys, et c’est comme ça que j’ai fini par entendre parler de In God We Trust (toujours chez les Requins Marteaux). Le projet – revisiter la Bible, épisodes I et II, à la sauce Ferraille – me plaisait bien, et, dès que l’opportunité s’en est présentée, j’ai donc acheté puis lu la chose.

 

Adonc, nous avons saint Franky, patron des amateurs de boublon et des bandes dessinées (un type bien, donc), qui nous rapporte pour notre plus grand plaisir quelques fameux épisodes des deux testaments, de la Genèse à l’Apocalypse, même si un peu dans le désordre, mais on s’en fout. C’est que Winshluss a une mission, dans In God We Trust : sauver nos âmes pécheresses et ignorantes en nous disant ce qu’il y a au juste dans le Livre des livres, histoire de mourir moins bête, et si possible d’aller faire un saut au Paradis plutôt qu’en ENFER. Ambition louable, qui va s’exprimer dans des cases avec des bulles, parce que lire vraiment la Bible, c’est quand même sacrément chiant (pour ma part, dans l’Ancien Testament, j’ai jamais pu franchir les Nombres ; j’ai lu le Nouveau, mais quel pensum…).

 

On s’en doute : dans sa mission d’édification religieuse, Winshluss va adopter un ton absurde et blasphématoire. Certes, le blasphème, c’est foncièrement puéril, et peut-être même un peu ambigu (après tout, un agnostique convaincu comme votre serviteur, et a fortiori un athée, n’a pas besoin de blasphémer…), mais ça peut être vach’ment rigolo.

 

Ça peut.

 

Mais là, c’est triste à dire, le plus souvent, ça ne marche pas.

 

Oh, il y a bien quelques bons gags – comme celui de la tequila paf, crétin comme on les aime –, et les pubs sont toujours aussi hilarantes, mais on sourit plus qu’on ne rit, généralement. Pour une raison toute simple : la plupart des gags composant In God We Trust sont sacrément éculés, voire carrément faciles. Et, du coup, malgré quelques bonnes idées ici ou là, quand l’absurde l’emporte sur le blasphème (ou quand l’auteur fait intervenir Conan et Superman, ce qui marche forcément bien sur moi…), dans l’ensemble, on tourne les pages sans grande passion. Et plutôt qu’un bon Ferraille, on a parfois le triste sentiment de parcourir d’un œil distrait un mauvais Charlie Hebdo (oui, je sais, c’est un pléonasme)…

 

Graphiquement, on peut de même être un peu déçu : certes, c’est bien fait, et il y a bien un peu de variation de styles, mais on est quand même très loin de la maestria de Pinocchio, album mégalomane qui montrait toute la palette du talent de Winshluss.

 

Bref : ce n’est pas foncièrement mauvais, mais ça n’est pas bon pour autant ; et j’ai le sentiment d’avoir un peu gaspillé mes sous avec cet album dont j’attendais trop… On sait que Winshluss est capable de faire bien mieux ; alors, même en tant que fanboy, on ferait mieux de ne pas s’encombrer de cette pochade inutile. Déception…

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"Les Furies de Boras", d'Anders Fager

Publié le par Nébal

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FAGER (Anders), Les Furies de Borås et autres contes horrifiques, [Samlade Svenska Kulter], traduit du suédois par Carine Bruy, Bordeaux, Mirobole, coll. Horizons pourpres, [2011, 2013] 2014, 345 p.

 

Les jeunes éditions Mirobole m’ont tapé dans l’œil avec leurs chouettes couvertures à forte identité graphique, et tout particulièrement la collection « Horizons pourpres », abritant semble-t-il du chouette fantastique à la provenance plus ou moins improbable. J’avais ainsi envie, depuis pas mal de temps, de me lancer dans la lecture de Je suis la reine d’Anna Starobinets, dont j’ai entendu dire le plus grand bien. Mais les lecteurs qui m’ont précédé ont été unanimes : s’il y en avait un, parmi ces titres, qui m’était destiné, c’était de toute évidence Les Furies de Borås du Suédois Anders Fager. Il faut dire que, là encore, la couverture est explicite : il y a du tentacule dans le bocal.

 

Smloutch !

 

Et, oui, tout cela est effectivement très lovecraftien, mais à la sauce contemporaine. Les références ne manquent pas : si l’on ne cite directement ici que Nyarlathotep et Ithaqua, il y a des allusions transparentes à Shub-Niggurath, à Cthulhu, aux Profonds… Anders Fager ne fait sans doute pas vraiment dans « l’horreur cosmique » purement lovecraftienne, il se place clairement dans le registre fantastique plutôt que dans celui de la science-fiction, mais tout ceci est bel et bien « weird » au plus haut point, et s’avère très vite un régal.

 

Smloutch !

 

Au-delà de Lovecraft et de ceux qui l’entourent, références évidentes, la quatrième de couverture évoque également Stephen King (forcément) ou encore John Ajvide Lindqvist (qu’il faudra que je me décide à lire un jour) ; mais j’aurais pour ma part envie de citer un autre nom : les nouvelles composant Les Furies de Borås (une sélection prise dans trois recueils suédois) m’ont en effet furieusement fait penser au Clive Barker des « Livres de sang ». C’est dire si c’est de la bonne…

 

Smloutch !

 

Ce recueil est donc composé de nouvelles et « fragments » qui se répondent et se reprennent, gravitant surtout autour de la nouvelle titre : « Les Furies de Borås » constitue il est vrai une introduction de choix, avec ses lycéennes dévergondées qui sacrifient des mâles dans la tourbière… Du sexe, du sang et des tentacules : joli programme.

 

Smloutch !

 

Mais Anders Fager ne s’en tient pas à ce seul registre, et sait multiplier, avec une grande astuce et un certain humour, les expériences horrifiques. Certes, le thème de ces femmes qui ont pactisé avec des entités antédiluviennes (ou en sont elles-mêmes ?) et massacrent çà et là des mâles stupides revient à plusieurs reprises ; mais les variantes sont fort goûtues. On admirera ainsi la Profonde de « Trois Semaines de bonheur », ou encore le couple SM et leur étrange rencontre de « Encore ! Plus fort ! ». On retournera aussi avec grand plaisir dans le passé, à l’aube du XVIIIe siècle dans « Le Vœu de l’homme brisé », très touchant, ou aux débuts de la psychanalyse dans « L’Escalier de service », nouvelle très astucieuse et absolument délicieuse. Et le recueil se conclut sur « Le Bourreau blond », superbe nouvelle qui reprend, de même que certains fragments, une des protagonistes des « Furies de Borås ».

 

Smloutch !

 

Mais il est d’autres textes (je ne vais pas revenir ici en détail sur les « fragments », mais ils sont généralement du plus grand intérêt) qui jouent sur un tout autre registre. J’avoue avoir particulièrement aimé « Joue avec Liam », avec son gamin « innocent » qui s’amuse avec les « lapins-caca ». On notera enfin « Un point sur Västerbron », nouvelle très intrigante sur un suicide collectif de vieillards…

 

Smloutch !

 

Vous l’aure compris : Les Furies de Borås est un recueil de très grande qualité. À vrai dire, je le trouve même salutaire, en cette triste époque où le fantastique est le plus souvent réduit à peau de chagrin, quand il n’est pas noyé dans la bit-lit… Mais même au-delà : cela faisait très longtemps que je n’avais pas lu un aussi bon livre d’horreur contemporain. Indispensable ! On en veut encore, de ces nouvelles jubilatoires et riches en images fortes, à la fois sombres et drôles. Une vraie réussite, qui appelle une continuation… En attendant, foncez, c’est vraiment excellent.

 

Smloutch !

 

Smloutch !

 

Smloutch !

 

(NB : « Smloutch ! » est © Natacha Lamour.)

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