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Fond d'écran, de Terry Pratchett

Publié le par Nébal

Fond d'écran, de Terry Pratchett

PRATCHETT (Terry), Fond d’écran. Nouvelles et textes courts, [A Blink of the Screen], préface d’A.S. Byatt, traduit de l’anglais par Patrick Couton, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du Cygne, [2011-2012] 2015, 328 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 82, pp. 81-82.

 

Mais n’hésitez pas à en causer ici.

 

EDIT : la chronique de Bifrost, .

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Les Affinités, de Robert Charles Wilson

Publié le par Nébal

Les Affinités, de Robert Charles Wilson

WILSON (Robert Charles), Les Affinités, [The Affinities], traduit de l’anglais (Canada) par Gilles Goullet, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [2015] 2016, 324 p.

 

Il ne fait guère de doute que le Canadien Robert Charles Wilson figure parmi les écrivains de science-fiction les plus importants du moment – mais, au-delà de ces généralités plus ou moins objectives, il est aussi un auteur qui a tout particulièrement compté pour moi : c’est en effet avec Spin, probablement son plus célèbre roman, que j’ai commencé (bien tardivement…) à m’intéresser à la science-fiction contemporaine – moi qui, jusqu’alors, me contentais surtout des « classiques » du genre (William Gibson était probablement la seule exception). Je l’ai, comme beaucoup, découvert avec Spin, donc, qui m’avait collé une baffe conséquente – expérience renouvelée quelque temps après avec Les Chronolithes, ouvrage antérieur, pour un effet comparable (mais les deux romans sont par ailleurs assez proches). Depuis cette découverte, j’ai régulièrement lu les publications de l’auteur (même si certaines, achetées sur le moment, dorment encore dans ma bibliothèque de chevet), en éprouvant toujours une certaine satisfaction, mais sans nécessairement retrouver l’extase du premier contact ; et, à vrai dire, il s’en est même trouvé au moins un pour me décevoir franchement : Axis, deuxième tome de la « trilogie des Hypothétiques » (Vortex, le troisième, était meilleur, mais…).

 

Mais je voulais garder une certaine confiance, espérant que l’auteur saurait à nouveau sortir de quoi me tournebouler avec son habileté des meilleurs moments ; or Les Affinités, sa dernière parution française (toujours chez Lunes d’encre, même si on a connu des publications originales dans d’autres collections – voyez Ange Mémoire et plus récemment Les Perséides), avait globalement reçu de très bons échos çà et là, et me faisait bien de l’œil : j’ai donc voulu retenter l’expérience, et m’en trouve ravi – car c’est bien un excellent roman, cette fois, et pas un simple Wilson « correct » (ce qui suffit en même temps souvent à en faire un roman bien, bien supérieur au lot commun des parutions dans le genre, il est vrai) ; et c’est du pur Wilson, au sens humaniste souvent associé à l’auteur, qui cultive avec habileté la profondeur psychologique de ses personnages, mais tout autant un bel ouvrage de spéculation, développant des idées plutôt inattendues pour livrer l’esquisse fascinante d’un futur possible, par ailleurs chargé d’utopie…

 

Un futur très proche. L’action se partage pour l’essentiel entre le Canada, patrie d’adoption (eh eh) de l’auteur, et notamment Toronto, et les États-Unis – surtout le patelin de Schuyler, dans la région de New York. Le narrateur est un certain Adam Fisk, un jeune homme américain qui a plus ou moins fui sa famille ou plus exactement son con de père, WASP et Républicain jusqu’à l’os, pour étudier contre vents et marées les arts graphiques dans le cadre moins oppressant de Toronto – ce qui ne lui est possible que du fait de l’intervention de sa grand-mère adorée, autrement plus sympathique que son con de fils, et qui lui fournit de quoi subsister. Mais ladite grand-mère – c’est le lot des grand-mères – est d’une santé fragile et, quand bien même Adam a du mal à l’envisager, son décès se profile à l’horizon, qui changera forcément la donne…

 

Adam, parallèlement, a de manière générale des relations sociales un peu troubles – ou plus exactement limitées : notre bonhomme est quelque peu discret, pas forcément des plus liants ; il a peu d’amis (en a-t-il seulement ?) et sa vie sentimentale est bien morne (s’arrêtant pour l’essentiel à une vague liaison ambiguë, héritée de l’adolescence, avec Jenny, une camarade de sa ville natale de Schuyler – où, pour des raisons bien compréhensibles, Adam ne cherche guère à revenir souvent). Mais une décision prise sur un coup de tête va bouleverser ce tranquille et même morne petit monde.

 

Meir Klein, un scientifique israélien reconnu, spécialiste de téléodynamique (à la fin du roman, Robert Charles Wilson précise que le concept scientifique existe bel et bien, même si son roman a allègrement brodé dessus au point de le dépasser radicalement), a délaissé depuis quelques années les universités pour vendre les fruits de ses travaux à InterAlia, une société commerciale spécialisée à la base dans le data mining. Il s’agit, pour ce nouveau marché, d’organiser une série de tests, qui permettent de définir le comportement social global d’un individu, et de déterminer dès lors dans quel cadre il serait le plus à l’aise ; il en résulte le classement des individus dans un ensemble de vingt-deux catégories (enfin, vingt-trois, en fait : il ne faut pas – surtout pas – oublier ceux, nombreux, qui passent le test sans correspondre à la moindre des catégories définies), désignées par des lettres de l’alphabet phénicien ; parmi ces « Affinités », certaines sont plus importantes que d’autres (même si Wilson ne précise pas vraiment en quoi), comme Tau et Het, notamment. Et la nouvelle tombe : Adam est un Tau.

 

Les Affinités sont un concept bien plus complexe qu’il n’en a l’air. Le gag de mauvais goût, chez les détracteurs de la chose, ou probablement même ceux qui se contentent d’ignorer narquoisement son contenu exact, consiste à dire que ce n’est qu’un nouvel ersatz, élaboré sur une base scientifique douteuse, de « club de rencontres ». C’est pourtant bien plus que ça. De manière plus neutre, nombre des chroniqueurs du roman – et même l’éditeur, à en croire le bandeau – mettent l’accent sur les réseaux sociaux ; il y a bien du vrai là-dedans, mais, pourtant, c’est à nouveau bien plus que ça (a fortiori si, par « réseaux sociaux », on s’en tient classiquement aux choses comme Facebook ou Twitter – mais prendre l’expression au pied de la lettre aurait plus de sens). Une erreur commune consiste par ailleurs à supposer que les membres d’une Affinité sont « tous pareils »… Mais non. L’Affinité associe des personnes éventuellement très différentes, aux parcours nuancés et de toutes origines, mais qui, de manière générale, se sentent bien entre elles – du fait sans doute de centres d’intérêt communs et d’une approche globale du monde comparable, mais avec un petit plus pas forcément aisé à définir… Les Taus, ainsi, au-delà de leur bête caricature (qui en fait par exemple des gentils fumeurs de chichon, un peu libertaires mais sans être débauchés pour autant), éprouvent quand ils sont ensemble ce qu’ils appellent la « télépathie tau » – qui n’a bien sûr rien d’une télépathie à proprement parler, mais témoigne bien de ce que ces individus, pour dissemblables qu’ils puissent paraître, se comprennent instinctivement, sans qu’il leur soit nécessaire d’ouvrir la bouche pour exprimer verbalement tel ou tel problème dont ils souffrent, telle ou telle opinion qu’ils aimeraient défendre. Mais le corollaire le plus essentiel, peut-être, de ces Affinités, réside sans doute dans la confiance que les divers membres éprouvent à l’égard de chacun d’entre eux…

 

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que ces groupes de socialisation, à mesure qu’ils se popularisent, s’attirent les grincements de dents des conservateurs (comme le père et le frère aîné d’Adam) : ils instituent de nouvelles loyautés, parallèles, qui, du fait de leur efficience amplement constatée, compensent et dépassent, au point en fin de compte de les anéantir ou du moins de menacer de le faire, les loyautés plus traditionnelles que sont notamment la famille et la patrie (au cœur du roman, qui s’intéresse surtout à la première mais revient régulièrement à la seconde), et probablement tout autant la religion (de la paroisse à l’Église ; voire l’idéologie de manière plus globale, dès l’instant qu’elle débouche sur un sentiment d’appartenance – et donc l’idéologie politique notamment), la classe sociale (ailleurs l’ordre ou la caste), l’entreprise éventuellement, etc.

 

Une thématique qui me parle énormément. Ces groupes auxquels les circonstances nous affectent m’ont toujours, au mieux, fait l’impression d’être incompréhensibles, et probablement indéfendables. Dans mes rêveries utopiques, il va presque de soi que des choses aussi futiles et néfastes que la famille (y compris limitée au noyau du couple, d’ailleurs) ou la patrie, pour s’en tenir aux deux réseaux de loyautés au cœur du roman, n’ont pas leur place – du moins pas sans de sérieux amendements. Les sentiments d’appartenance, la question de l’identité, me laissent perplexe ; irrationnels par essence, ces concepts, comme bien d’autres concepts irrationnels, me paraissent ne pouvoir se fonder que sur un bête conservatisme, la conviction inébranlable, mais d’autant plus absurde, que les choses doivent être ainsi parce qu’elles ont toujours été ainsi…

 

Avec les Affinités, Robert Charles Wilson, à la manière de la meilleure fiction spéculative, développe un concept innovant qui permet de remettre la question à plat, et de l’envisager aussi sereinement qu’exhaustivement. D’autant qu’il y glisse – pour un temps du moins – un zeste d’utopie qui fait chaud au cœur et, à première vue, permet aux lecteurs d’envisager l’avenir sous un angle étonnamment souriant…

 

Car la rencontre des Taus par Adam Fisk touche profondément. Wilson a toujours été remarquablement doué pour camper des protagonistes à la psychologie complexe, avec un humanisme et une empathie appréciables – tranchant ô combien sur les froids stéréotypes souvent associés au genre. On s’identifie (si j’ose dire) tout naturellement à Adam – et le choc heureux de son intégration parmi les Taus affecte tout autant le lecteur qui, subitement, découvre un groupe dans lequel il se sent bien ; une communauté parfaite, où les gens se comprennent instinctivement, ont confiance les uns dans les autres sans qu’il ne soit jamais besoin de tester cette foi, où les gens s’aiment, vraiment, sans faux-semblants, sans ambiguïtés, instinctivement et pleinement.

 

Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : Robert Charles Wilson n’est pas un (putain de) hippie. Si le regard qu’il porte ici sur l’avenir me paraît globalement optimiste (faut dire, voyez la concurrence…), il n’est certainement pas naïf pour autant – et l’auteur ne se leurre en rien à cet égard, pas plus qu’il ne leurre le lecteur. Notamment en ce que les Affinités souffrent d’un défaut commun des utopies : elles sont par essence fermées, et exclusives. L’utopie réside au sein de chaque Affinité, mais les relations des Affinités entre elles (ou avec les nombreux laissés pour compte de cette nouvelle organisation sociale) n’ont rien d’idéal… L’appartenance au groupe, au fil des pages, devient – comme, hélas, pour la famille, la patrie, la paroisse… – sa seule justification. Les Taus doivent agir en Taus, les Hets en Hets, et parce que nous avons des Taus d’une part, des Hets de l’autre, le conflit est au fond inévitable… Par ailleurs, l’utopie – inévitablement ? – tend à se muer en dystopie : l’appartenance au groupe, vertu cardinale, en vient peu ou prou à exiger le sacrifice individuel – un Tau doit agir dans l’intérêt de Tau, toujours, partout, forcément. Ce qui, tout aussi naturellement, vient poser problème quand les convictions personnelles, ainsi que les attaches traditionnelles qu’elles soient choisies ou imposées, entrent en conflit avec l’intérêt supérieur de Tau – thématique fondamentale du roman, abordée de bien des manières par ailleurs subtiles, mais qui trouve son point d’orgue dans la relation entretenue par Adam avec la partie appréciable de sa famille (sa famille au sens où nous l’entendons couramment, pas sa famille tau par essence parfaite), en l’espèce sa belle-mère Maman Laura et surtout son demi-frère Geddy (témoignant donc déjà de ce que, au-delà de la seule famille « biologique », infernale pour Adam, la famille « juridique », dépassant les liens ineptes du sang pour mettre en valeur ceux de l’affection et du choix, peut conserver une emprise aussi légitime qu’admirable), et avec aussi Jenny non loin (car, pour Jenny, dont les parents sont alcooliques, la famille Fisk est un havre, au moins autant que la famille tau l’est pour Adam – ce qui, là encore, vient bellement chambouler les préconçus).

 

Mais Robert Charles Wilson gère tout cela admirablement bien – notamment en ce qu’il n’impose au fond rien au lecteur, au-delà du procédé du narrateur à la première personne, qui implique certes un point de vue, et donc partisan, mais Wilson et son narrateur Adam sont trop humains pour que la spéculation vire au seul pamphlet d’une rationalité étouffante et unilatérale. L’astuce consiste aussi, au-delà de la trame inévitable (on se doute bien vite que l’appartenance à l’Affinité Tau, pour Adam, se montrera en fin de compte problématique, à la mesure de l’enthousiasme qu’elle suscite tout d’abord), à laisser entrevoir, tout au bout, d’autres portes ouvertes, qui laisseront à l’humanité cette possibilité fondamentale, la seule en fin de compte qui justifie que l’on poursuive la route : celle du changement. Thématique à inscrire, sans doute, dans le cadre du débat abstrait auquel se livrent à deux reprises Adam et Geddy, visant à savoir si le monde dans lequel nous vivons est jeune ou vieux – la conclusion, au-delà des drames qui entachent l’histoire du monde, l’histoire des Taus, l’histoire des Fisk, l’histoire d’Adam, n’est donc pas exempte d’un certain optimisme, mais sans être naïve pour autant ; c’est là un optimisme en mesure de parler aux plus pessimistes des cassandres, tel que votre serviteur.

 

Les Affinités, au-delà de ce questionnement fascinant sur ce qu’est au juste la société, présente bien sûr des traits coutumiers de l’œuvre de Robert Charles Wilson : ses personnages ô combien humains et touchants s’inscrivent ainsi dans une trame mêlant le meilleur des soaps et une intrigue lorgnant largement vers le thriller, avec une habileté constante (dépassant mes préjugés en l’espèce, pourtant conséquents). Le roman se dévore autant qu’il interpelle, le divertissement efficace et la spéculation ambitieuse se soutiennent et se complètent, sans artifice, pour un résultat imparable.

 

Et enthousiasmant, donc. C’est un roman d’une belle intelligence, qui pose des questions hautement complexes, et avance avec brio des réponses potentielles, mais laisse en fin de compte au lecteur la possibilité d’entrevoir une infinité de possibles – parmi lesquels nombre ont de quoi séduire : faire rêver, dans un premier temps, puis offrir de participer à leur construction. C’est un très bon roman de science-fiction, et, pour une fois, je crois bien que Robert Charles Wilson a retrouvé son meilleur niveau, celui des Chronolithes et de Spin.

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CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (10)

Publié le par Nébal

CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (10)

Dixième séance de la campagne de L’Appel de Cthulhu maîtrisée par Cervooo dans la pègre irlandaise d’Arkham. Vous trouverez les premiers comptes rendus ici, et la séance précédente .

 

Le joueur incarnant le bootlegger Clive était absent. Étaient donc présents l’homme de main Johnny « La Brique », la flingueuse Moira, le perceur de coffres Patrick, et ma « Classy » Tess, maître-chanteuse.

 

Sur l’astéroïde, en pénétrant dans la cabane à outils, Moira et Clive trouvent un gamin à l’agonie en train de pleurer. Moira lui dit doucement de venir avec elle et Clive, qu’elle ne lui veut pas de mal, qu’elle va le mettre à l’abri… Mais l’enfant dit qu’il n’a plus confiance en aucun adulte, et qu’il ne veut plus en voir : « Le monde des adultes est ignoble ! » Moira admet que c’est vrai, mais que « c’est le monde de tout le monde » ; et elle va s’occuper de lui, il peut lui faire confiance… Mais Clive s’insinue subitement entre eux… et égorge le gamin ! Moira est outrée, mais Clive, confus, lui dit qu’il croyait que l’enfant allait l’attaquer avec sa fourchette… Moira s’agenouille contre l’enfant qui n’en a plus pour longtemps, elle le prend dans ses bras, comme pour le bercer : « Ça va aller, ça va aller… », lui répète-t-elle, tandis qu’il trépasse dans ses bras… Clive bredouille, il dit qu’il ne comprend pas comment Moira peut faire ça : « Ce sont des monstres ! » Moira lui dit que non, ce sont simplement des enfants qui ont été manipulés… Dégoûtée, elle se relève enfin et dit qu’ils doivent rejoindre Johnny – mais elle ne veut visiblement pas parler davantage à Clive…

 

Johnny jette un œil en arrière – deux gamins le poursuivaient, mais l’un d’entre eux se dirige finalement vers le jardin, laissant l’autre en arrière, qui l’interpelle sans succès et est visiblement un peu perdu, au point de s’immobiliser (il voit par ailleurs Moira et Clive sortir de la cabane derrière lui). Johnny s’interrompt dans sa course, pour reprendre son souffle. Mais, après une petite pause, quand il a un peu récupéré, il se retourne brusquement et se précipite sur le gosse immobile ! Celui-ci, terrifié, cherche alors à s’enfuir, mais ses petites jambes ne lui permettent pas de courir assez vite – d’autant qu’il a le mauvais réflexe de regarder souvent en arrière ; il finit par trébucher et s’étale par terre… Johnny le rattrape sans la moindre difficulté et lui brise la nuque d’un coup sec, à l’aide de son seul bras valide. Puis il se tourne vers l’autre enfant, dans le jardin…

 

Moira et Clive, en sortant de la cabane, sont entourés par les cadavres – notamment celui d’un gamin éventré, qui semblait avoir eu pour dernier réflexe de rassembler ses tripes en essayant vainement de les faire rentrer dans son ventre déchiré… À leur droite se trouve cependant un rescapé… pour un temps : il est très pâle, a perdu beaucoup de sang, et essaye absurdement de revisser son bras droit tranché ! Moira lâche perfidement à Clive qu’il ferait bien de « le finir », puisque c’est son truc… Clive est touché au vif, il lui jette un bref regard noir : « Soit ! » Il tranche la gorge du gamin avec son cimeterre. Moira, comme par réflexe, récite une prière pour l’énième défunt… Ils repartent ensuite dans la direction de Johnny, et voient le gamin dans le jardin, qui va s’abriter dans la cabane où se trouve l’autel. Moira dit à Clive de le laisser ; mais tous deux comprennent bien que Johnny va dans cette direction… Moira l’interpelle : « La Brique ! Laisse-le, il ne nous fera rien… » Mais Johnny, toujours plus ou moins sous le coup de sa rage (et le visage toujours tordu dans un rictus douloureux baigné de larmes), n’y prête pas attention et continue ; Moira cherche alors à l’intercepter tout en lui adressant de grands signes, tandis que Clive, méfiant, reste un peu en arrière. Johnny se retrouve ainsi bientôt face à Moira… qui l’enlace. Il lui dit qu’il faut en finir, mais Moira refuse : « Non, il est tout seul… » Johnny lui rétorque que celui qui lui a fait perdre son bras était tout seul lui aussi… Obnubilé, il ajoute que, si on en laisse au gamin le temps, il va faire une autre incantation… Moira, qui prend alors conscience de ce que Johnny n’a plus d’ossature dans le bras droit, lui demande, perplexe, s’il s’agit de sorcellerie, et Johnny répond machinalement que oui. Moira, sur le point de craquer, se prend la tête entre les mains… et concède qu’il a sans doute raison. Clive se tient en retrait et laisse passer Johnny – qui guette une nouvelle incantation, mais n’entend que des sanglots…

 

Sur Terre, Patrick, Fran et moi dépassons la périphérie de Boston. Patrick souffre toujours de douleurs internes, il est plus ou moins somnolent et grommelle de temps à autre. Fran aussi est dérangée, même si c’est pour d’autres raisons : elle a beaucoup trop mangé depuis qu’elle s’est échappée de l’enfer de Templesmith… Tandis que nous approchons d’une ultime station-service, elle me demande de m’arrêter. J’obéis, et elle se précipite aux toilettes… Patrick a de toute évidence besoin d’un médecin, mais pense qu’il devrait tenir le long du trajet. Il transpire beaucoup – c’est d’autant plus visible qu’il n’a plus de cheveux… Il sort à son tour de la voiture, et se traîne devant un buisson pour vomir. Je descends le rejoindre, en coupant le contact et en prenant les clefs. Je le soutiens alors qu’il manque s’étaler dans son vomi. Il a visiblement besoin de se reposer, je lui dis de s’allonger sur la banquette arrière. Il ricane douloureusement, dit qu’il n’aurait jamais cru voir quelque chose de pire que les horreurs qu’il avait vécues du temps où il combattait au sein de l’IRA… Je me rends dans la station-service, me dirige vers la cabine téléphonique, et appelle le Trèfle, où je tombe sur Seth. Je me décide alors quant à l’itinéraire : je vais prendre la voie rapide (plutôt que de m’égarer dans les petites routes, ce qui serait probablement trop long, pensé-je), et je dis à Seth que nous sommes en route et avons besoin d’un médecin ; Seth laisse entendre qu’ils vont nous rejoindre sur le trajet… Je vais régler le factotum, et retourne à la voiture. J’entends Fran qui essaye de siffloter faiblement, très mal ; elle cherche une mélodie, mais n’y parvient pas… Je lui demande comment elle se sent, elle me répond que ça va, mais je sais qu’elle ment, même si c’est pour m’être agréable… Et elle se mordille régulièrement la phalange. Je lui dis qu’elle peut me parler, si elle en a besoin. C’est le cas : elle me demande quelles relations j’entretenais avec mes parents, et s’ils sont toujours en vie ; je lui dis qu’ils sont morts, et que ça se passait plus ou moins bien… Mais que j’ai appris, depuis, à dépasser tout ça ; pas forcément à faire « ce que je veux », mais du moins à toujours prendre en compte mon intérêt – à ne pas faire forcément tout ce qu’on m’imposait, parce que j’étais la fille d’untel, parce que j’étais née dans tel milieu… Cette petite conversation soulage visiblement Fran, qui avait une relation conflictuelle à son père, mais la mort atroce de ce dernier la perturbe et lui fait relativiser les choses…

 

Au bout d’un moment, à un peu moins d’un kilomètre devant nous, Fran et moi repérons des voitures arrêtées des deux côtés de la route : c’est de toute évidence un barrage policier… Autour de la route, il y a des champs céréaliers d’un côté, des bois de l’autre… Mais je repère un chemin de terre sur la gauche. Je décide de m’y engager, et demande à Fran si elle ne connaîtrait pas le coin, à tout hasard ; elle me parle d’un ex (plus ou moins…), visiblement un obsédé, qui voulait de toute force l’emmener par-là, où se trouverait une ferme abandonnée propice aux amourettes, mais elle a toujours refusé… Fran perçoit un reflet lumineux quand nous tournons : peut-être des jumelles ? Les flics nous ont-ils vus bifurquer ? C’est semble-t-il bien le cas : au bout de cinq ou dix minutes sur le chemin de terre, Fran voit qu’une voiture de police s’est à son tour engagée dans les champs, à notre suite… Je conserve la même vitesse, en disant à Fran de guetter nos arrières et de me tenir au courant de ce qui se passe. Nous approchons d’une ferme, avec quelques lumières allumées ; il y en d’autres plus loin, qui se découpent vaguement dans l’aube naissante… Je poursuis. Fran me dit que les policiers semblent accélérer. Je réfléchis à nos options en poursuivant ma route, pensant peut-être jouer la comédie des rendez-vous galants mentionnés par Fran, mais elle ne peut pas m’en dire davantage quand je lui demande de me briefer… Patrick, à demi conscient, suggère que nous pourrions descendre lui et moi, et laisser Fran conduire – elle n’est a priori pas recherchée, contrairement à nous… Même si, après ce qui s’est produit dans le manoir des Templesmith, nous n’en avons finalement aucune certitude. Mais nous entendons alors un bruit de moteur sur la gauche, et distinguons des phares à travers champs ; nous comprenons bientôt qu’il ne s’agit cette fois pas d’une voiture de police : c’est un véhicule tout noir, avec des vitres teintées. Et Fran devient livide. Je lui demande ce qui se passe, et elle nous parle de la cuve, de ce que Templesmith y mettait… Je me décide pour une marche arrière rapide. La voiture des flics, derrière nous, lance sa sirène. L’autre voiture, dans les champs, bifurque clairement vers nous – nous sommes bel et bien sa cible… et je vois qu’il n’y a a priori personne au volant ! J’arrive au niveau des flics, contourne tant bien que mal leur voiture et, sans m’arrêter de reculer, leur fais un geste pour indiquer l’autre voiture, qui a atteint le chemin de terre et se précipite vers nous…

 

De retour sur l’astéroïde. Johnny colle son oreille contre la paroi de la cabane de l’autel, il entend les sanglots de l’enfant qui s’y est réfugié, et ouvre la porte. La vision de l’autel le perturbe encore un peu davantage, si c’était encore possible, et de même pour le spectacle que lui offre l’enfant qui s’y est caché : il s’est emparé de boyaux ou autres reliquats de chair sur une des idoles, et chuchote : « Maman, à l’aide… » Johnny comprend que ce sont bien les restes de sa mère qu’il serre contre lui !

 

Moira, abattue, laisse Johnny se charger de cette ultime proie, et préfère se diriger vers la bâtisse au « nord-ouest », en demandant à Clive de l’accompagner. Moira ouvre doucement la porte. Elle donne sur une sorte de salle de classe, avec des bureaux pour écoliers, un tableau noir au fond (sur la gauche, on trouve des éléments pour l’étude du système optique humain, tandis qu’à droite s’étalent des noms incompréhensibles : « sothoth », « hotep », « Cthul », mais aussi « Siksxis ») ; on y trouve également une petite bibliothèque, ainsi que divers posters affichés aux murs concernant l’anatomie humaine, et d’autres arborant l’écriture « runique », à base d’angles et de courbes, que nous avons croisée plusieurs fois ; on y trouve enfin un squelette d’étude, tandis qu’au fond de la pièce une porte donne sur une remise avec du matériel de chimie.

 

Johnny, dans la cabane de l’autel, s’approche de l’enfant qui geint et marmonne, répétant sans cesse : « C’est pas ma faute ! J’ai suivi ce qu’on m’a dit ! » Il fixe alors Johnny de ses yeux embués de larmes : « Moi je voulais devenir comme vous ! Être fort ! Et puis j’étais un très bon élève ! » Il se met à réciter ses cours, frénétique… Johnny, sans plus attendre, lui brise la nuque d’un coup sec.

 

Moira et Clive sortent de la salle de classe, ils entendent le très bref cri de l’enfant quand Johnny le tue, et vont le rejoindre. Johnny sort de la cabane – toujours souriant, toujours pleurant… Moira dit qu’il faut qu’ils trouvent un moyen de rentrer chez eux ; Johnny acquiesce, sans un mot. Or un navire très sombre approche dans le ciel émaillé d’étoiles, qui semble littéralement descendre vers les quais. En guise de proue, il arbore une sorte de visage pas tout à fait humain, avec un seul œil, par ailleurs couvert de sortes de tentacules. Johnny retourne à la cabane à outils pour y reprendre sa hache, tandis que Moira sort ses dagues. Mais Clive, lui, veut se planquer : « Ils nous ont peut-être pas vus ! On peut pas partir à l’assaut comme ça ! On ne sait même pas ce que c’est ! » Il s’éloigne vers le grand bâtiment au « nord », et Moira le suit… Elle discerne un bruit de l’autre côté du bâtiment, mais ne s’y arrête pas, et pénètre à l’intérieur, à la suite de Clive. Johnny, par contre, voit ce qui fait ce bruit : encore un gamin… Mais Johnny reconnaît cette fois ce petit rouquin : c’est Pete, un fils de la famille O’Reilly, des distillateurs irlandais qui ont la réputation de vivre perpétuellement sous terre, dans leurs caves où ils travaillent – et il est visiblement terrorisé…

 

De retour sur Terre. Patrick fouille dans la cache derrière le siège, où se trouvent les armes et les munitions, et il met un chargeur sur la Thompson. La marche arrière n’étant pas assez rapide et, pire encore, rendant la conduite plus difficile, je tente d’opérer un brusque demi-tour… mais la voiture des flics, qui avait elle aussi entamé une marche arrière, percute notre véhicule en fin de manœuvre. Surtout, l’autre voiture emboutit celle des flics à grande vitesse, la repoussant violemment dans les champs… Un des flics est blessé, l’autre simplement sonné. Patrick et Fran distinguent mieux l’autre voiture : il n’y a effectivement personne au volant, mais ils voient une petite boîte d’écailles, semblable à celles que l’on avait trouvées chez Templesmith puis dans le tunnel, au-dessus du tableau de bord ; elle est reliée par un ensemble de tiges métalliques au volant : la voiture est conduite par un automate… La porte arrière s’ouvre, et en émerge une silhouette en imperméable… sans tête. J’essaye d’aller à fond – mais la conduite n’est pas aisée sur ce chemin de terre, et les cahots me font régulièrement mordre dans les champs… La silhouette en imperméable sort une Thompson dans sa main droite, et une arme de poing dans la gauche. Patrick, à l’arrière, défonce une vitre d’un coup de crosse, y glisse sa mitraillette et fait feu, en espérant toucher le réservoir ; il se blesse avec des éclats de verre, un premier coup tiré par réflexe part dans le vide, mais sa rafale touche au but en fin de compte… et la dernière balle fait même exploser le moteur ! La silhouette sans tête est projetée par le souffle, six mètres en avant… Fran jubile : emplie de dévotion pour Patrick, qui la sort à nouveau d’un mauvais pas, elle ne peut se retenir de l’enlacer…

 

Je parviens à remettre la voiture sur le chemin de terre et fonce ; cette fois, je distingue une autre bifurcation qui m’avait échappé à l’aller – un raccourci probable, permettant de rejoindre plus loin la voie rapide, et je m’y engage. Patrick repère sur la grande route une voiture de flics, gyrophare allumé, qui, sans doute attirée par les détonations et l’explosion, emprunte le chemin de terre qu’on avait pris tout d’abord – elle nous dépasse ainsi sans faire attention à nous. À un moment, je repère un paysan qui rejoint notre chemin de terre depuis son champ, et qui est ébloui par mes phares. Je parviens à l’éviter sans souci, et peux maintenir une allure plus que correcte. Plus loin, cependant, un portail nous barre la route ; je ralentis, m’arrête, et demande à Fran d’aller l’ouvrir. Mais on entend des détonations à l’arrière, un cri de douleur, des balles qui sifflent autour de nous, dont une raye la carrosserie… Fran avait commencé à descendre, mais remonte immédiatement : une balle l’a effleurée à la jambe… J’essaye alors de foncer dans le portail pour le briser… mais le choc est rude, notre pare-brise vole en éclats, et le pneu avant gauche est crevé par une écharde ! Fran pousse à nouveau un petit cri de douleur…

 

Nous rejoignons cependant la voie rapide. Je poursuis un temps avec le pneu crevé, mais ça ne peut pas durer : au bout d’un moment, je suis contrainte de m’arrêter sur le bas-côté ; Fran et Patrick descendent pour s’occuper de changer le pneu (je me sens incompétente à cet égard)… Mais Patrick a toujours les organes perturbés, et doit s’arrêter pour vomir – il y a cette fois un peu de sang au milieu de la bile… Il est donc contraint de remonter dans la voiture, et, n’ayant guère le choix, je descends aider Fran pour changer le pneu. Nous débarrassons aussi le pare-brise des éclats les plus gênants. Tandis que l’aube se lève, je tente de redémarrer, mais le moteur grince un peu… C’est alors qu’une voiture se gare devant nous ; en sort une femme d’une quarantaine d’années, qui nous demande, pleine de bonne volonté, si on a un souci… Je ne sais trop que dire, essaye sans grande conviction de la baratiner, en faisant comme si j’étais un peu secouée par un accident, mais glisse un vague signe à Fran et Patrick pour qu’ils passent derrière elle et la maîtrisent. Fran s’approche d’abord de Patrick… qui lui dit qu’il vaut mieux qu’il monte avec la femme pour qu’elle le conduise à l’hôpital le plus proche, tandis que nous poursuivrons, Fran et moi ; mais Fran sait très bien qu’il finira alors en prison, et le lui dit… De mon côté, je demande enfin à la femme de nous conduire un peu plus loin – elle dit qu’il y a bientôt une station-service sur la route. Mais Fran passe derrière elle, je hoche la tête… et elle frappe la femme en haut du crâne : celle-ci tombe à genoux, un peu sonnée mais consciente ; je lui donne un coup de plus et elle s’effondre… Nous la ligotons avec le peu de matériel dont nous disposons, derrière la voiture pour ne pas attirer l’attention, et la mettons enfin dans le coffre de notre épave. Fran transvase nos affaires, dont les armes, dans notre nouveau véhicule, et nous repartons – je prends à nouveau le volant… Je réalise que Fran en a profité pour voler le portefeuille et les papiers de la conductrice – elle partage la petite monnaie, nous donnant un dollar à chacun (mais peut-être conserve-t-elle les billets ?), puis jette le portefeuille désormais vide par la fenêtre. Au bout d’un moment, nous repérons la voiture de Seth, qui nous fait signe ; elle est suivie par une autre voiture d’Irlandais, parmi lesquels Big Eddie ; je me gare à leurs côtés …

 

Sur l’astéroïde, Moira et Clive se sont réfugiés dans le grand bâtiment au « nord » ; Moira, plus précisément, se cache dans cuisine, tout à gauche, et perd de vue Clive ; on trouve à côté, dans l’ordre, un grand dortoir, un salon ou salle à manger, enfin une grande salle de bains. Johnny, dehors, s’adresse à Pete qui est terrorisé : « Pete, c’est toi ? » Le gamin reconnaît « La Brique », et lui répond par ce sobriquet ; mais il le voit armé d’une hache, et il est impossible d’ignorer les nombreux cadavres d’enfants qui parsèment la surface de l’astéroïde… Moira, à l’intérieur, demande à Clive de la rejoindre dans la cuisine – il étouffe quelques jurons, mais obtempère. Pete, dehors, a peur de Johnny : « T’approche pas ! » Mais « La Brique » lui dit qu’il n’a rien à craindre de lui (son rictus baigné de larmes ne le rend cependant pas très rassurant…) : « Tu sais bien que je ne te ferai pas de mal, Pete… ». Ce dernier lui demande s’il travaille pour « Siksxis »… Mais, quand Johnny s’approche encore, Pete s’enfuit en courant… Johnny se précipite derrière lui, au moins pour voir où il se rend.

 

Moira l’aperçoit par une fenêtre de la cuisine, elle tape à la vitre pour lui dire d’arrêter. Mais Johnny continue, après lui avoir adressé un regard indécis. Clive regarde Moira à la fenêtre, et passe sa main sur sa gorge d’un air interrogatif. Moira est interloquée : « Non… Non… Non ! » Clive lui demande si elle est sûre d’elle : « Oui ! » Moira change de sujet, elle dit qu’il faudrait voir s’ils pourraient monter dans le bateau ; celui-ci est en train d’accoster sur le quai, des cordages en sont lancés. Moira voit enfin des silhouettes en descendre : leur peau, nue, est très pâle, comme la Lune – et un brin répugnante… Un de ces êtres, qui regardent partout autour d’eux, crie le nom de « Siksxis ». Moira est très affectée par ce spectacle… Et les autres « marins » appellent « Siksxis » à leur tour. Moira poursuit cependant sur sa lancée, demandant à Clive si ça ne serait pas le moment d’aller sur le bateau, mais elle est visiblement confuse, et guère convaincante… Clive lui répond qu’elle fait ce qu’elle veut, mais lui, il se planque !

 

Johnny, de son côté, a rejoint Pete caché derrière un buisson, et lui demande calmement s’il sait comment partir d’ici. Pete répond qu’il n’en sait rien : il n’est pas comme eux ! (Johnny, en y repensant, se rend compte qu’il n’a pas entendu dire que les parents O’Reilly soient morts.) Moira veut rejoindre Johnny et Pete, elle passe par la fenêtre. Elle discerne les silhouettes des « marins », qui sont descendus sur le quai. Moira s’adresse à son tour à Pete : « Mon garçon, aide-nous s’il te plaît ! » Son ton plus maternel fonctionne autrement mieux que celui de Johnny… Mais Pete dit qu’il ne sait pas, il se cache des autres enfants – il les avait suivis parce qu’ils avaient l’air « cool », mais sans en savoir davantage, et notamment comment retourner sur Terre… Moira lui demande s’il sait quoi que ce soit quant au bateau qui est arrivé. Mais Pete a peur, et n’a pas forcément grand-chose à dire à ce sujet : ce sont des « commerçants », qui achètent des « trucs » à « Siksxis », qui est le maître, le professeur des enfants. Moira lui demande de qui il s’agit… et il répond que c’est Hippolyte Templesmith ; qui vient ici, des fois… D’après Pete, tous les passages se font en tout cas par le bâtiment abritant les cages, par lequel Johnny, Clive et Moira eux-mêmes sont arrivés. Moira cogne alors aux vitres de la cuisine, pour dire à Clive qu’ils vont tenter de quitter les lieux. Tous entendent cependant des bruits répugnants, évoquant des gens en train de se nourrir (probablement des cadavres des enfants…) ; puis résonne une voix évoquant des grognements tirés d’une gorge monstrueuse : « OK, cherchez, et on embarque les survivants ! » Et ils comprennent ça en anglais, tout en ayant le sentiment dérangeant qu’ils ne devraient pas pouvoir le faire, car ces mots n’avaient pas été prononcés en anglais…

 

À suivre…

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Roverandom, de J.R.R. Tolkien

Publié le par Nébal

Roverandom, de J.R.R. Tolkien

TOLKIEN (J.R.R.), Roverandom, [Roverandom], édité par Christina Scull et Wayne G. Hammond, traduit de l’anglais par Jacques Georgel, illustrations de J.R.R. Tolkien, Paris, Christian Bourgois – Pocket, coll. Science-fiction – Fantasy, [1992, 1995, 1998-1999] 2013, 153 p.

 

L’œuvre posthume de J.R.R. Tolkien (le plus souvent éditée par son fils Christopher – mais ce n’est étonnamment pas le cas du présent petit ouvrage) est colossale : en volume, elle dépasse largement les textes publiés de son vivant. Le succès sans pareil du Seigneur des Anneaux aurait sans doute « légitimé » la parution de bien des fonds de tiroir – phénomène toujours à craindre en cas semblable… Et, à vrai dire, c’est longtemps l’impression que j’en ai retiré. Une erreur d’appréciation sur laquelle je suis depuis revenu.

 

Mais si bon nombre de ces ouvrages portent sur le « Légendaire », en étant par ailleurs d’un degré d’achèvement très variable (les livres lisibles pour eux-mêmes, quitte à être retouchés, que sont Le Silmarillion et Les Enfants de Húrin, étant complétés par les fragments arides mais fascinants des Contes et légendes inachevés et de « L’Histoire de la Terre du Milieu »), ce n’est pas le cas de tous, et on relève un certain nombre de textes qui s’en émancipent, même s’ils peuvent parfois (souvent ?) entretenir des liens indiscutables avec ce grand-œuvre. Longtemps, on a dû en ce domaine se contenter peu ou prou des trois contes de l’édition originale de Faërie et des Lettres du Père Noël, mais d’autres textes ont été publiés depuis (outre que ces deux anciens recueils ont été complétés), plus ou moins achevés eux aussi ; j’avoue ne pas connaître plus que ça ce versant de l’œuvre tolkienienne, sans doute dissimulé, par la force des choses, derrière la majesté et l’ambition du « Légendaire ». Toutefois, la lecture de Faërie confirme amplement que Tolkien était capable de briller bien loin de sa Terre du Milieu. Et c’est dans ce contexte que s’inscrit Roverandom, tout petit ouvrage étonnant, combinant à la fois des qualités littéraires qui lui sont propres et des thématiques érudites permettant d’envisager sous un angle un brin différent l’œuvre globale de Tolkien.

 

Roverandom est résolument un conte pour enfants – un élément supplémentaire dans le dossier envisageant Tolkien en aimable et attentif père de famille, régalant ses enfants de son imagination (comme dans Les Lettres du Père Noël à la même époque et, plus tard et surtout, Le Hobbit). En l’espèce, il s’agissait de consoler son deuxième fils, Michael, qui avait perdu un jouet qu’il adorait par-dessus tout – une petite figurine représentant un chien – sur une plage, lors de vacances de la famille Tolkien en 1925 (juste avant que le distingué professeur devienne plus distingué encore en allant enseigner à Oxford – le séjour à la mer était une célébration de cette nomination). Tolkien a conçu un conte afin d’aider son fils à digérer cette perte douloureuse, conte sur lequel il est revenu deux ans plus tard, en essayant de le coucher par écrit et de lui donner une forme plus ou moins définitive (rappelons que cela faisait alors une dizaine d’années déjà qu’il travaillait sur son « Légendaire ») ; il n’en est cependant rien sorti dans l’immédiat… Plus tard, cependant, Tolkien s’est lancé dans la rédaction du Hobbit – dans un contexte pas forcément très différent. Cette autre œuvre destinée aux enfants (mais probablement plus âgés quand même que Roverandom), par ailleurs bien plus ample, a cette fois eu les débouchés que l’on sait : le texte a été soumis à un éditeur, Allen & Unwin, qui s’est montré très enthousiaste et l’a bientôt publié – et le succès viendra. Aussi l’éditeur en question n’a-t-il guère tardé à demander à Tolkien s’il avait d’autres histoires du même tonneau. Le philologue oxonien a alors sorti de ses cartons le tapuscrit de Roverandom, qu’il a soumis pour lecture et éventuellement publication. Ce bref texte a lui aussi été bien accueilli (notamment par le fils de l’éditeur, Rayner Unwin, le critique ultime en l’espèce, qui avait adoré Le Hobbit, et a cette fois trouvé Roverandom « bien écrit et drôle »)… mais pas retenu pour autant. L’éditeur, en effet, incitait plutôt Tolkien à livrer un nouveau roman portant sur les Hobbits… Et Roverandom est ainsi retourné dans les cartons (pour n’en ressortir qu’en 1998 – bien après la mort de son auteur). Tolkien n’y est en effet pas revenu suite à ce « refus », et s’est attelé à la longue et exténuante tâche de la rédaction du Seigneur des Anneaux – nouveau roman « de Hobbit », certes… mais qui n’avait au fond, et bien vite, plus rien d’enfantin.

 

Alors, Roverandom, un fond de tiroir ? Matériellement, peut-être… Mais, si c’est sans doute une œuvre qui aurait dû être considérablement amendée dans l’optique d’une publication, elle n’en présente pas moins un certain degré d’achèvement qui la distingue de bon nombre des œuvres posthumes de Tolkien – et présente des qualités littéraires indéniables.

 

Il s’agit d’un bref conte, composé pour l’essentiel de trois parties, distinguées selon leur cadre – l’Angleterre tout d’abord, la Lune ensuite, le fond des océans enfin. Nous y suivons le petit chien Rover, qui a eu la mauvaise idée, sur une impulsion, de mordre un magicien aigri (dont nous apprendrons plus tard le nom, Artaxerxès), lequel, en guise de punition, a jeté un vilain sort sur l’animal agressif, le transformant en un petit jouet, une figurine de chiot – celle que Michael Tolkien adorait et avait donc perdue. Le jouet se rend bien compte qu’à l’instar de ses semblables il s’anime après minuit, mais ce n’est pas une vie… Aussi cherche-t-il à fuir, malgré l’affection que lui porte « Fistondeux » (le nom français pour « Little Boy Two » ; au passage, je suis assez sceptique quant à la traduction de Roverandom, et c’est peu dire, qui me paraît régulièrement tordue sans à-propos, et par ailleurs sans grande élégance, notamment en ce qui concerne les noms propres, mais cela va sans doute au-delà…) ; mais le petit garçon l’égare sur une plage… Là, le magicien Psamathos Psamathidès le trouve et, sans en faire de nouveau un vrai chien de bonne taille, il lui rend cependant quelques facultés utiles avant de l’envoyer sur la Lune, auprès d’un autre magicien, le Lunehomme (« the Man in the Moon »…), où il gagnera des ailes, rencontrera bien des créatures étranges et changera de nom (il y tombe en effet sur un autre chien du nom de Rover, le « Lunechien » – « the Moon Dog »… – et devient donc arbitrairement Roverandom), connaissant alors des aventures fantasques, qui se prolongeront ultérieurement sous la mer (là encore, il y aura un autre Rover, le « Merchien » – « the Sea Dog »…) – dans l’espoir, enfin, de redevenir un vrai petit chien…

 

Nous sommes sans doute très loin du « Légendaire » quant à la forme et au fond – et, à vrai dire, très loin aussi du Hobbit, qui sera ultérieurement la grande œuvre pour la jeunesse de Tolkien. Le ton est à la fois beaucoup plus enfantin, et par ailleurs beaucoup plus « classique ». On n’en fera pas pour autant un texte impersonnel : il y a bien du Tolkien dedans… Mais le ton renvoie davantage à un merveilleux un peu plus conventionnel et assurément enfantin, sans la majesté épique du Hobbit. Et les références sont comme de juste à chercher ailleurs, bien loin du terreau qui donnera la fantasy par la suite associée à Tolkien. Plusieurs pourraient être citées (et le sont dans les notes, nombreuses, mais qui m’ont paru d’une utilité et d'une pertinence variables), mais le goût de l’absurde, la multiplicité des niveaux de lecture (avec notamment les blagues que s’autorise le narrateur adulte), la densité extrême de l’action par ailleurs, les nombreux jeux sur le langage enfin (mots-valises et autres jeux de mots) peuvent renvoyer, pour citer un nom célèbre, à Lewis Carroll, d’une certaine manière – peut-être plus, cependant, celui de Sylvie et Bruno que des Alice (encore que, c’est à débattre).

 

Tout cela, en tout cas, est d’une grande légèreté – contrastant éventuellement avec des apports d’un autre ordre, infusant le texte, et donnant sans doute quelques indications sur la suite des événements : après tout, Rover devenu Roverandom, sur la Lune, est bien confronté à un grand dragon blanc ainsi qu’à des araignées géantes, et, plus tard, sous la mer, il aura affaire à l’Antique Serpent-de-Mer… On est tenté, bien sûr, et au-delà des seules sources historiques et mythologiques que Tolkien mentionne de lui-même dans un texte autrement bien plus enfantin (c’est aussi dans ce décalage, à l’occasion, que je pense à Sylvie et Bruno), d’y voir des préfigurations de sujets ultérieurs – en l’espèce Smaug, bien sûr, et les araignées de Mirkwood, mais ce n’est peut-être pas forcément très pertinent. Il en va sans doute de même pour les magiciens de Roverandom, qu’on tend instinctivement à rapprocher des Istari, Gandalf en tête – et ces fumeurs de pipe, tantôt joviaux, tantôt bougons, ont bien des traits que l’on retrouvera ultérieurement ; mais, là encore, c’est sans doute l’effet d’une lecture a posteriori, et la filiation est peut-être à relativiser… D’autres allusions sont en fait probablement plus sûres – qui concernent cette fois le « Légendaire » en cours d’élaboration, plutôt que les romans « de Hobbits » à venir ; sans doute y a-t-il bien quelque chose à relever dans l’évocation de ce monde plat, de cette Lune accessible aux voyageurs habiles... ou de ces îles tout à l’ouest, dissimulant aux yeux des mortels le pays des fées ! Le texte évoque par ailleurs à l’occasion la « Terre Centrale », je ne sais pas si cela renvoie à une expression anglaise différente de « Middle-Earth » ou s’il s’agit d’une nouvelle lubie…

 

L’intérêt de Roverandom est donc double : il s’agit à la fois d’un texte à lire pour lui-même, et d’un document utile à l’appréhension de l’œuvre de Tolkien dans son ensemble. C’est dès lors sans doute une lecture enrichissante. Mais est-ce, indépendamment du reste, un bon livre ? Là, je ne sais pas vraiment… Il y a des choses très appréciables dans tout ça : c’est frais, vif, léger, par ailleurs touchant si l’on a en tête l’image de ce brave professeur consolant son fiston d’une perte irréparable… Pourtant, j’avoue m’y être quelque peu ennuyé… et avoir trouvé la plume un brin lourde, tranchant dès lors de manière plutôt gênante sur la légèreté apparente du propos (peut-être, ici, le texte français est-il en cause, donc…). J’ai eu, enfin, au cours de ma lecture, la sensation d’un vide à combler – on y devine tant Tolkien, pourtant sincèrement impliqué dans son conte pour tout petits, tirer cependant son récit, à plus ou moins bon droit, vers son « Légendaire » autrement adulte… Roverandom, à cet égard, est autant une étape qu’une variation ; mais peut-être s’agissait-il en fin de compte d’une fausse route ? La demande d’Allen & Unwin pour un nouveau roman « de Hobbit », si elle a pu s’avérer frustrante sur le moment pour Tolkien, et si, toutes choses égales par ailleurs, elle a pu sembler quelque peu injuste, débouchera bien sur quelque chose d’une tout autre ampleur, et en même temps d’une singularité essentielle, qui fera la gloire de Tolkien. Je doute que l’on puisse vraiment envisager Roverandom, sereinement, en dehors de ce contexte crucial… Mais cela reste un peu plus qu’une curiosité.

 

(Avec un bonus : les quelques illustrations de Tolkien, fort jolies – dont deux en couleurs.)

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Lifeboat, d'Alfred Hitchcock

Publié le par Nébal

Lifeboat, d'Alfred Hitchcock

Réalisateur : Alfred Hitchcock

Année : 1944

Pays : États-Unis

Durée : 96 min.

Acteurs principaux : Tallulah Bankhead, Walter Slezak, John Hodiak…

 

Mon ciné-club familial périgourdin ne me laisse pas forcément beaucoup de choix quant à la programmation, mais je me suis autorisé quelques virées plus personnelles avec des films pas tout jeunes. Il y a peu, je vous avais ainsi parlé de mon revisionnage de La Corde, d’Alfred Hitchcock, fameux film « à dispositif » (en l’espèce, il s’agissait donc de l’illusion d’un plan-séquence unique courant sur tout le métrage). J’avais noté alors que c’était une des choses qui me fascinaient le plus chez Hitchcock, cette conciliation peut-être trop rare de l’art et du divertissement ; il ne s’agit justement pas de dire que ces deux dimensions sont exclusives, comme c’est trop souvent le cas – mais bien qu’un authentique artiste saura parfaitement produire un film offrant un beau spectacle au premier degré disons, sans pour autant s’imposer nécessairement les codes quelque peu fainéants du « film familial », qu’il sera bien au contraire en mesure de transcender – éventuellement au regard d’un défi technique, ou plus généralement d’un jeu sur les contraintes. Le cinéma de Hitchcock fournit bien des exemples de cette double ambition – si La Corde en est peut-être le plus radical exemple dans la filmographie du maître, c’est néanmoins un aspect que l’on retrouve dans bon nombre de ses films ; pour en citer parmi les plus célèbres, Fenêtre sur cour et Psychose, notamment, jouent bien dans cette catégorie. Mais cela vaut pour d’autres films, moins connus peut-être, même si pas forcément confidentiels pour autant – et par ailleurs pas moins bons dans bien des cas.

 

Et donc Lifeboat, antérieur à tous ceux que j’ai cités – mais qui est peut-être bien un des exemples les plus flagrants de cette approche. En fait, dès la rédaction de mon compte rendu de La Corde, je savais qu’il me faudrait revenir sur celui-ci… Il y a d’ailleurs une vague parenté entre les deux films – par exemple la collaboration entre Hitchcock et le scénariste Ben Hecht, non crédité ici mais qui a travaillé sur les deux films, entre autres ; on peut aussi mentionner le cas de Hume Cronyn, qui était à la fois acteur et scénariste : il joue dans Lifeboat, mais a participé à l’adaptation de la pièce de théâtre Rope’s End ; enfin, et de manière plus visible, les deux films jouent d’une certaine manière des codes du huis-clos, même si c’est joliment paradoxal dans le cadre de Lifeboat.

 

Lifeboat ne figure certes pas parmi les films les plus célèbres d’Alfred Hitchcock… et, à mon sens, c’est bien dommage : parce que ce film, pour avoir été boudé à sa sortie (le contexte y étant pour beaucoup, j’y reviendrai bien sûr), ne me paraît pas moins fréquentable que nombre des plus fameux chefs-d’œuvre de Hitch ; en fait, au-delà de ce caractère relativement confidentiel (qui lui fut imposé…), je n’hésiterai pas à dire que c’est un de mes films fétiches dans toute la carrière de l’indépassable réalisateur – un beau témoignage de son art, combinant défi technique, et écriture et réalisation virtuoses, reposant notamment sur un story-board d’une précision jusqu’alors inouïe et des dialogues touchant à la perfection, sublimés par une direction d’acteurs mémorable ; et, cerise sur le gâteau mais qui lui avait pourtant considérablement nui à l’époque, il se montre aussi rudement malin, plus subtil qu’on ne pourrait le croire dans son propos, et enfin délicieusement dérangeant…

 

Le pitch est pour le moins alléchant – et, par ailleurs, on le doit à quelqu’un de notable, et c’est peu dire : ni plus ni moins que John Steinbeck. Lifeboat est en effet l’adaptation d’une nouvelle du célèbre auteur de Des souris et des hommes et Les Raisins de la Colère, et c’est dans un premier temps lui-même qui a travaillé sur son adaptation… avant de jeter l’éponge… et, en définitive, de demander (vainement) que son nom disparaisse du générique – car Hitchcock et ses collaborateurs sur le scénario (Jo Swerling et Ben Hecht) avaient entretemps passablement changé la donne, et même trahi (mais pour le mieux en ce qui me concerne) le propos initial du récit…

 

Nous sommes en pleine Deuxième Guerre mondiale. Les journaux croulent sous les nouvelles évoquant des bateaux américains (entre autres) torpillés par les redoutables sous-marins allemands. Hitchcock y voyait un bon sujet pour un film, qui pourrait tout à la fois raconter une histoire selon son goût (avec le défi technique inhérent, très vite), tout en constituant sa contribution à l’effort de guerre. Car il ne fait aucun doute que Lifeboat, à la base, est conçu comme un film de propagande. Mais Hitchcock va tourner la chose à sa manière, et dépasser ainsi les attentes simplistes inhérentes à ce caractère « engagé »…

 

Le film commence sur un plan mystérieux, où l’on voit de nombreux objets, très divers, flotter dans l’eau – et bientôt on y devine des cadavres… C’est qu’un bateau américain a été torpillé par un sous-marin allemand ; et si celui-ci a fini par couler à son tour, il n’en a pas moins eu le temps de prolonger le massacre en visant délibérément les canots de sauvetage…

 

Il en reste un, cependant ; et le défi technique de Lifeboat consistera justement à en faire l’unique décor du métrage, sur une heure et demie. Le film est tourné en studio (on sait combien Hitchcock détestait les extérieurs, mais pouvait-il de toute façon faire autrement en l’espèce ?). Il y avait donc un plateau unique, avec un canot dans un réservoir, dont l’eau bouillonnait régulièrement, c’est peu dire, les ventilateurs se mettant alors également de la partie : les acteurs (ce « bétail » ?) ont du coup mouillé la chemise, pour le moins ; à vrai dire, le traitement que leur a imposé Hitchcock confine au sadisme ! Mais le résultat est là et bien là… Enfin, le fond – la mer et le ciel – était projeté sur un écran en arrière-plan (l’illusion fonctionne très bien, globalement – ce procédé dangereux est remarquablement employé ici). Le principe est que la caméra ne doit jamais quitter le bateau (même si, en de rares occasions, Hitch « triche » un peu – comme il le fera dans La Corde, en fait). Mais cette approche, du fait du pitch et des conditions de réalisation, débouche sur une ambition et un résultat étonnants : le film, alors qu’il se déroule dans un environnement par essence ouvert (mais le principe de la caméra à bord du canot interdit peu ou prou les plans larges affirmant cette dimension), fonctionne parfaitement comme un huis-clos…

 

Entrent donc en scène les personnages, qui, en s’accumulant dans cet espace extrêmement réduit (bien plus d’ailleurs que pour la plupart des huis-clos plus conventionnels) où ils s’entassent littéralement les uns sur les autres, fournissent la base du drame psychologique au cœur de Lifeboat (et compensant de manière appréciable son caractère initial d’œuvre de propagande). Le projet de Steinbeck était de faire une ode à l’unité du peuple américain, rassemblé dans sa diversité ; le résultat final s’éloigne pourtant régulièrement de cette base… car, comme de juste, les personnages à bord ne cesseront de se déchirer. Par ailleurs, le rôle principal – ou plus exactement le seul à avoir été confié à une star, le reste de la distribution est autrement plus confidentiel – est sauf erreur un rajout de Hitchcock au pitch de Steinbeck, et un rajout bienvenu : Tallulah Bankhead, diva théâtrale, crève littéralement l’écran dans son interprétation magistrale de Connie Porter, une journaliste sophistiquée et passablement cynique (l’idée était de placer dans ce canot de sauvetage la personne qui y serait le plus incongrue – ce qui valait à vrai dire tant pour l’actrice que pour le personnage incarné…), personnalité hautement complexe cependant, merveilleusement mise en valeur par des traits de caractérisation bienvenus, et quelques gimmicks savoureux (ainsi de ses innombrables répliques brodant autour d’un définitif « J’en ai parmi mes meilleurs amis… »). Elle est au départ seule dans le canot – avec ses valises, son coûteux manteau de vison, sa machine à écrire, son appareil photo… Mais elle est bientôt rejointe, notamment par son antagoniste Kovac (John Hodiak), le plus ou moins communiste, prolétaire jusqu’au bout des ongles en tout cas, par ailleurs porté sur l’autorité et les solutions radicales (c’était – sans surprise ? – le personnage point de vue dans la nouvelle de Steinbeck). Puis par d’autres figures encore, toutes ayant leur place dans ce microcosme étouffant : William Bendix joue Gus Smith (anciennement Schmidt…), marin mais surtout danseur émérite, en mauvaise passe ; la jeune première Mary Anderson incarne l’infirmière fragile Alice MacKenzie ; le vieux Henry Hull endosse le rôle de Charles D. Rittenhouse, richissime homme d’affaires incarnant l’ « American way of life » versant succès, ce en quoi il s’oppose sans doute, plus encore qu’à Kovac, à Stanley « Sparks » Garrett (Hume Cronyn), marin lambda et Américain moyen ; et il y a même à bord de ce canot – soyons fous – un Noir, George « Joe » Spencer (incarné par Canada Lee), inévitablement réduit par les autres et peut-être aussi par lui-même, en réflexe, à des stéréotypes : le domestique, le musicien (la majeure partie de la bande son repose sur son pipeau, même si « Ritt » le lui emprunte à un moment), l’ex-voleur même, et surtout peut-être le croyant – c’est à vrai dire un personnage d’essence angélique, sans doute un brin naïf, mais peut-être bien le seul à se montrer irréprochable en définitive ; la scène où il s’étonne de ce qu’on lui offre généreusement de prendre part aux votes à l’instar de ses compagnons blancs vaut cependant son pesant de cacahuètes…

 

Ce petit monde, comme de juste dans un huis-clos, ne va pas tarder à se déchirer – notamment parce qu’ils repêchent bientôt un dernier naufragé… qui est un marin allemand (incarné par Walter Slezak, parfait)…

 

Oui, nous sommes en 1944, et Lifeboat est un film de propagande. Le projet de Steinbeck mettait donc l’accent sur l’union des rescapés américains, plutôt que de se focaliser sur l’adversité. Mais celle-ci, dès l’instant qu’elle est envisagée, ne peut s’autoriser la moindre équivoque : le marin allemand est un ennemi – il est, comme ça ne fait bien vite guère de doute, le « méchant » de l’histoire.

 

Et pourtant, les choses sont en fait beaucoup plus compliquées que ça... Car « Willy », le nazi (dont on comprendra au bout d’un moment qu’il n’était pas un marin lambda, mais bien le capitaine du sous-marin qui a agressé si sauvagement les Américains – la nouvelle de Steinbeck ne révélait semble-t-il rien à cet égard), est un personnage complexe lui aussi, et son rôle sur le canot amène bientôt tout un chacun à se poser tout un tas de questions désagréables, dont les réponses le sont plus encore – quand elles existent : ce n'est probablement pas toujours le cas... et cela ne fait qu’accroître les tensions à bord. Oui, c'est un salaud ; mais c’est un salaud habile, étrangement charismatique sous ses dehors de brave gars à la bonne bouille et à l’embonpoint marqué. Et son discours, de manière générale, s’avère bien plus réfléchi que celui des autres naufragés – ce qui les conduit immanquablement, mais le spectateur tout autant, à se demander si, d’une certaine manière, il n’aurait pas raison… Aïe !

 

Mais c’est ce qui en fait un des plus fascinants « méchants » du cinéma de Hitchcock – et peut-être même le meilleur (j'assume). Car, sous ses dehors bonhommes, il a plus que jamais, plus que tout autre, le charme du diable...

 

Mais du coup, le scénario retravaillé par Hitchcock, Jo Swerling, et Ben Hecht ne correspond plus guère, en définitive, aux attentes simplistes associées à un pur film de propagande. Oui, il est beaucoup plus compliqué que ça... et la critique, si elle n’a pas manqué d’admirer la technique virtuose du film – incontestable –, n’a pas non plus tardé à se montrer plus récalcitrante quant au fond du film (et Steinbeck de même, donc) ; certains sont même allés jusqu’à laisser entendre que Lifeboat avait un contenu « pro-nazi » ! Ce qui est bien d’une absurdité sans nom, mais témoigne des difficultés que soulevait le contexte...

 

Mais cela ne s’arrête pas là ; et peut-être les critiques ont-ils été en définitive encore plus choqués par cette terrible scène où l’unité voulue par Steinbeck à la base se réalise enfin, mais de la pire manière ; car, quand les « gentils Américains », confrontés au « salaud nazi », parviennent enfin à agir de concert, ils donnent l’impression d’une meute de loups – bien loin de tout héroïsme de pacotille, et de toute vaine gloriole patriotique, le lynchage de « Willy » s’avère douloureux, presque scandaleux (quand bien même la simple question de la survie le justifie sans l’ombre d’un doute, mais en évacuant les beaux principes, ce qui fait toujours mal) ; en fait, c’est probablement une des scènes de meurtre les plus insoutenables de tout le cinéma d’Alfred Hitchcock – anticipant peut-être la fameuse séquence de l’assassinat interminable dans Le Rideau Déchiré, rappelant combien la mise à mort de qui que ce soit, y compris un ennemi certifié et un salaud de première, est un geste horrible, et même terrible, et ô combien plus difficile à commettre que les exécutions rapides du cinéma hollywoodien classique ; de ces westerns par exemple où le méchant tombe dans le duel épique le confrontant au héros fort de son bon droit, mort en un coup, et c’est bien fait, et s’écroulant au sol sans plus de conséquences, en faisant un beau cadavre immaculé… C’est peu dire : cette scène cruelle laisse un goût amer en bouche. Une chose de plus, sans doute, expliquant l’hostilité de la critique quant au fond du film… Lifeboat, certes, ne s’arrête pas là ; et la toute fin, peu ou prou inévitable, relativise l’horreur de ce qui a précédé... encore que, une fois de plus, c'est sans doute plus compliqué que ça.

 

Et c’est sans doute la phrase qui résume le mieux Lifeboat, en fait : c’est plus compliqué que ça…

 

Toujours est-il que ces mauvais retours ont coulé (si j'ose dire, aha) le film à sa sortie... de manière profondément injuste et témoignant d'une vue bien courte. Compréhensible, cependant : le contexte autorisait-il une autre réaction ?

 

Mais de l’eau a coulé sous les ponts, heureusement, et on peut bien apprécier aujourd’hui Lifeboat pour ce qu’il est : un film que je n’hésiterai pas un seul instant à qualifier de magistral. Bien sûr, il est superbement filmé – le défi technique a été relevé haut la main, pour un résultat irréprochable – et, après tout, même les critiques les plus hostiles au film à sa sortie n’ont semble-t-il pas osé nier ce fait. Il est aussi merveilleusement écrit et interprété : les dialogues sont très forts, mais aussi très justes – participant pleinement de cette dimension de « drame psychologique », compensant (heureusement sans doute à nos yeux de spectateurs tardifs) la dimension purement propagandiste qui nous l’aurait probablement rendu indigeste. Et le résultat est d’autant plus appréciable qu’il se montre donc immanquablement troublant, délicieusement dérangeant…

 

Ce film, aujourd'hui, ne mérite que davantage qu'on s'y attarde – en oubliant les bêtes préventions (quand bien même fort compréhensibles du fait du contexte) qui lui ont nui à sa sortie.

 

Vraiment, j'aime beaucoup ce film – il m'épate à chaque fois.

 

(Et, pour conclure sur un plan plus accessoire et léger, c'est aussi le caméo le plus inventif et rigolo de toute la filmographie d'Alfred Hitchcock...)

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CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (09)

Publié le par Nébal

CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (09)

Neuvième séance de la campagne de L’Appel de Cthulhu maîtrisée par Cervooo. Vous trouverez les premiers comptes rendus ici, et la séance précédente .

 

Le joueur incarnant le bootlegger Clive était absent. Étaient donc présents l’homme de main Johnny « La Brique », la flingueuse Moira, le perceur de coffres Patrick, et ma « Classy » Tess, maître-chanteuse.

 

Fran et moi avons intercepté Patrick et l’avons empêché de jeter le mannequin dans la grande cuve de sang au centre de la pièce, non loin de la grue où pendent des chaines – un moteur agite des pales au fond, destinées à réduire en bouillie la chair ; le bac contenant le liquide vert phosphorescent, de l’autre côté, a des sortes de « flotteurs », et répand ainsi automatiquement de son liquide quand le contenu de la cuve atteint un certain niveau. Fran est très nerveuse, elle se mordille instinctivement l’index droit, et guette les réactions des autres prisonniers. Je dis à Patrick qu’il ne doit pas jeter ainsi le mannequin dans la cuve, que nous n’en connaissons pas les conséquences et que cela pourrait être dangereux ; Patrick se calme et s’excuse. Je me tourne alors vers Fran, lui demandant ce qu’elle voulait dire (notamment pour « le sans-tête »), mais ça la secoue trop, elle dit que ce n’est pas le moment d’en discuter, qu’il nous faut fuir cet enfer. Je lui dis cependant que, plus elle nous en dira, et plus nous aurons de chances de nous en tirer – ensemble, j’insiste toujours sur ce mot. Elle nous désigne vaguement les endroits où Templesmith « travaillait » ; pour elle, c’est un sadique, aucune autre raison ne pourrait expliquer ce qu’il fait ; d’ailleurs, il lui demandait régulièrement de lui faire signe quand elle n’en pourrait plus – alors, il la lobotomiserait… Par ailleurs, il lui avait fait comprendre qu’il trouverait toujours un moyen de la « ranimer » si elle tentait de se suicider… Elle est visiblement à bout, je fais de mon mieux pour la calmer et l’assurer qu’on va s’en sortir.

 

Patrick tire alors le mannequin, et le dépose sur une table de menuiserie, avant d’explorer la grande pièce qui se trouve au sud-est : c’est un atelier, débordant de matériel chirurgical ou chimique ; sur le côté se trouve un bureau d’études, avec de nombreux papiers, et Patrick va y voir de plus près. Il s’y trouve des documents importants, dont un vieux parchemin en vélin, roulé, un manuscrit en anglais, des notes associées évoquant les symboles et courbes « runiques » que nous avons croisés à plusieurs reprises (c’est clairement une écriture, soignée et sophistiquée, les arabesques remplissent de nombreux feuillets). Fran est plus que jamais nerveuse, à voir Patrick traîner ainsi dans le coin, elle succombe à un surplus d’émotions ; je lui parle doucement pour la calmer, lui adresse des « chut… chut… » compatissants et même tendres ; je tente aussi de lui passer délicatement une main dans le dos, mais ça la fait sursauter : il est trop tôt. Je la conduis cependant vers Patrick, en insistant encore sur le fait que nous resterons ensemble et nous en sortirons ensemble, ce qui la rassure. Patrick prend cependant un peu de temps pour étudier le livre en anglais (américain) ; c’est une sorte de grand carnet de notes, rempli aux trois quarts, et signé Charles Reis. Il n’en retire cependant pas grand-chose d’autre, et Fran lui dit que ce n’est vraiment pas le moment, qu’il est taré de s’en occuper de suite : « Il peut revenir ! » Je suis plutôt d’accord, et dis à Patrick de prendre le livre, que nous étudierons plus tard, au calme. Patrick prend aussi le parchemin. Fran nous explique que Templesmith, quand il venait, empruntait toujours le couloir à l’ouest – celui par lequel nous sommes également arrivés…

 

Sur l’astéroïde, Moira reprend conscience après que Johnny l’a lâchée, pris de folie furieuse. Peut-être s’est-elle évanouie ainsi en raison de ses deux téléportations successives en un court laps de temps ? Toujours est-il que le hurlement de rage de Johnny la réveille. Elle prend vaguement conscience d’être sur une sorte d’astéroïde – bien loin de New York où elle se trouvait juste avant… alors qu’elle était à Arkham quelques minutes plus tôt. Elle voit la Lune toute proche, distingue l’étoile mouvante qui éclaire la scène… Elle entrevoit aussi la silhouette de Johnny brandissant une hache, qui fracasse la serre et donne de violents coups à l’intérieur pour trancher une chose qu’elle ne voit pas… Elle aperçoit cependant, confusément, le nuage de pollen qui s’en échappe. Johnny a massacré les branches supérieures – il obtient confirmation qu’un corps humain, en dessous, sert d’engrais ou de nourriture à la plante qu’il assaille. Un liquide crémeux goutte des tiges tranchées, et le pollen se dissipe autour de lui, après avoir pénétré dans sa bouche et ses narines. Il ne peut dès lors retenir un sourire qui reste figé sur son visage, mais pleure à chaudes larmes en même temps… Cette drogue inconnue lui remet en mémoire de vieux souvenirs – en fait, toutes les (nombreuses) fois où il a délibérément fait du mal à quelqu’un… Il a déjà dévasté un quart de la serre.

 

Clive, plus loin, est effrayé par l’état de Johnny. Mais il se tourne dans une autre direction, en entendant les gamins qui sortent de la grande bâtisse. Ceux-ci ont l’air encore à moitié endormis : « C’est qui, eux ? Pourquoi ils cassent la serre à ʺXixisʺ ? » Certains semblent repartir en arrière pour réveiller d’autres de leurs camarades. Moira les voit elle aussi ; Clive et elle repèrent parmi eux des enfants qu’ils avaient déjà croisé à Arkham. Un des gamins interpelle Moira. Elle s’approche gentiment, demande s’ils savent où ils sont… Ils reculent, sauf leur « leader » (qu’on apprendra s’appeler Vladimir), qui arbore lui un rictus de mépris, et se tourne vers les autres : « C’est pas des alliés de ʺXixisʺ ou de Tina ! C’est une épreuve ! Faut qu’on les bute ! » Moira lui demande de qui il parle, et dit qu’elle ne leur veut aucun mal… Déclaration qui ne suscite aucun écho. Une gamine, en fait, tente de s’approcher discrètement de Moira pour passer dans son dos et l’attaquer par surprise, mais Moira s’en rend compte et l’arrête : « Mais enfin ! Ta maman ne t’a pas appris… » La gamine ne lui laisse pas le temps d’achever et lui mord le doigt avec un sourire ravi… Moira la repousse : « Mais ça va pas ? » Les autres gamins se mettent à taper du pied en rythme : « Sacrifice ! Sacrifice ! Sacrifice ! » Moira cherche ses armes à feu par réflexe… mais réalise qu’elles ont été remplacées par deux dagues (celle de gauche étant un peu plus légère que l’autre), plus ou moins « orientales », courbées et assez larges. Elle met sa main sur la garde de la dague de droite et recule… Mais Moira, très perturbée par cet environnement inconnu, ne peut pas surveiller les enfants au mieux ; des gamins en profitent pour essayer de lui jeter des pierres – elle les évite cependant, ce qui ramène son attention sur ses agresseurs. Clive s’approche à son tour, en levant son cimeterre et en insultant les gamins – il cherche visiblement à les intimider, voire à les effrayer. Moira essaye à son tour, à sa manière : « Si vos parents n’ont pas su vous éduquer, je vais le faire, moi ! » Ce qui les fait rire : « On va te montrer… » Ils sortent eux aussi des armes blanches, très diverses (parfois des simples fourchettes et couteaux de table)…

 

Johnny s’amuse de ses souvenirs sadiques, et en retire du mépris pour tout vie, y compris la sienne ; il est secoué par de grands rires nerveux tandis qu’il continue de balancer des coups de hache dans la serre (sans faire attention au corps humain en dessous de la plante, qu’il tranche comme le reste). Il y a un bruit spongieux, une nette odeur de décomposition… La serre, bien fragilisée, commence à s’écrouler sur Johnny ; il s’en rend compte quand il essaye de dégager la pique à l’arrière de sa hache, qui s’est enfoncée dans une paroi. Il sort donc de la serre… et voit Moira et Clive qui essayent de tenir à distance des gamins avec leurs lames. Johnny, sourire vissé aux lèvres, des larmes ruisselant sans interruption sur ses joues, s’avance dans leur direction. Et, cette fois, ça perturbe un peu les gamins, qui se taisent… Moira lui dit de ne pas avancer davantage, et de ne pas leur parler… Mais Johnny ne saisit pas tout – et continue de toute façon d’avancer, souriant, en trainant sa hache…

 

Clive balance aux enfants des insultes irlandaises. Moira et lui se rendent alors compte que Bridget fait partie du petit groupe, qui les désigne du doigt, et dit aux autres enfants qu’elle les reconnaît. Ceux-ci doutent visiblement, sont sans doute angoissés, mais leurs intentions sont clairement violentes. Clive demande : « Est-ce qu’on va vraiment le faire ? » Moira dit qu’elle ne comprend pas… puis dit que non, c’est totalement exclu ! Johnny continue d’avancer… Bridget dit à ses camarades dit qu’ils doivent se montrer dignes de « Xixis », en lui apportant les dépouilles des intrus… Clive s’approche de Moira : « Tu crois vraiment qu’il y a une autre solution ? » Moira cherche désespérément une autre issue… et demande même aux gamins ! Ils sont pour le moins perplexes… Et l’un d’entre eux commence même à dire : « On pense que… », mais Bridget lui donne une tape à l’arrière du crâne avant qu’il en dise davantage… Moira crie : « Bridget ! Et ta maman ? » Ce qui énerve la petite… Elle dit aux autres enfants : « Si vous en êtes pas capables, moi je m’en charge ! » Elle prend alors une grosse paire de cisailles dans les mains d’un gamin plus indécis, et commence à s’approcher de Moira ; celle-ci dégaine sa dague la plus longue, et dit à Bridget qu’elle va la ramener chez elle… Mais Vladimir réagit : « Vous voyez, ils ne savent rien ! On va à la cabane, on s’arme et on les fume ! » Et il se dirige vers la cabane de jardin. Mais Johnny est sur son chemin… Le gamin s’arrête, mais il n’a pas peur, c’est juste un calcul réfléchi ; il se tourne vers les autres gamins et leur chuchote quelque chose que Johnny ne comprend pas… Bridget continue d’avancer vers Moira, qui recule à chacun de ses pas : « Tu ne devrais pas faire ça… » Mais elle se rend compte que, en reculant, elle donne en fait du courage aux autres gosses ! Clive hésite, regarde souvent Johnny – qui pousse enfin un hurlement et charge Vladimir (et cette fois, le petit éprouve une peur instinctive) ; le « leader » essaye cependant de contourner Johnny pour atteindre la cabane de jardin, mais se rend bien vite compte que ce n’est pas suffisant, et se jette de côté pour éviter le coup de hache que lui assène « La Brique ». Certains des enfants reculent devant cet assaut, mais d’autres arborent un sourire semblable en fait à celui de Johnny… Ils sont à l’évidence tout aussi drogués. Bridget, de son côté, est maintenant épaulée par quatre autres enfants, armés. Elle se jette sur Moira, tentant de lui cisailler les jambes… Moira essaye de la désarmer, mais ne s’en expose que davantage, et Bridget la blesse à la jambe. Les gamins autour d’elle s’enflamment maintenant que le premier sang est versé, et hurlent un cri de guerre : « Xixis ! »

 

Dans le souterrain, Fran nous intime de nous en aller. Patrick approuve, mais veut d’abord jeter un œil à la dernière pièce, et je l’approuve – en maintenant qu’on allait rester tous ensemble. Mais Patrick constate que Fran, de temps à autre, se mordille la phalange de l’index gauche… On passe à côté de générateurs « faits maison », et Patrick ouvre la porte de la dernière pièce : c’est une armurerie, où l’on trouve notamment une mitraillette Thompson flambant neuve, une table surchargée d’outils d’entretien pour armes sur laquelle se trouve également un calibre 38, des caisses de munitions, et des râteliers avec notamment un fusil. Fran se dirige instinctivement vers la Thompson, et Patrick l’intercepte – ce qui effraie Fran : Patrick serait-il un de ses ennemis ? Mais ce dernier lui demande si elle saurait s’en servir. Fran dit qu’elle n’en a jamais utilisé, non, mais qu’elle sait se servir d’armes de poing, c’est simple… Patrick lui explique que non, ce n’est pas si simple ; il l’invite plutôt à prendre le calibre 38, et dit qu’il va se charger lui-même de la mitraillette (il n’a guère d’expérience avec cette arme, mais néanmoins plus que tout autre ici du fait de son passé dans l’IRA – il me demande cependant si je saurais m’en servir, à tout hasard, et je lui réponds que ce n’est clairement pas le cas… Je n’ai pas davantage d’expérience avec les fusils, à vrai dire, mais m’empare quand même de celui qui est accroché à un râtelier, à tout hasard). Fran admet que Patrick a raison, et sa tension redescend tandis qu’elle s’empare du calibre 38 (effectivement, d’après ses gestes quand elle s’empare de l’arme, et notamment les vérifications auxquelles elle se livre, nous supposons qu’elle a bel et bien de l’expérience avec ce genre d’armes de poing). Patrick ouvre les caisses : on y trouve énormément de munitions – dont des chargeurs « camemberts » pour la Thompson, des munitions de .38, des cartouches pour le fusil… Nous prenons chacun des munitions adéquates pour nos armes. Fran, en voulant glisser ses chargeurs dans la veste que je lui avais prêtée, trouve dans la poche un des mystérieux bonbons que j’avais trouvés dans l’entrepôt du Corail d’ébène ; elle commence à le déballer, prête à l’avaler, mais je lui dis qu’il ne faut pas, que nous ne savons pas exactement de quoi il s’agit, mais que c’est au mieux suspect – et qu’il vaudra mieux se pencher sur la question plus tard, quand nous serons en sécurité… Fran m’écoute – notamment pour ce dernier argument. Patrick s’équipe de chargeurs pour la mitraillette – des holsters sont suspendus au mur, mais on y trouve aussi des sacs à cet effet, pouvant contenir chacun trois « camemberts », et il en prend un. J’entends des bruits de chaînes en provenance des cellules – sans doute les être mutilés qui s’y agitent…

 

Nous nous dirigeons vers le tunnel de gauche – celui par lequel nous étions arrivés. Fran s’interrompt cependant avant qu’on ne s’y engage : « On ne peut pas les laisser comme ça… », dit-elle en désignant les victimes de Templesmith. Mais je lui dis que nous ne pouvons rien faire, nous n’en avons ni le temps, ni les moyens, et ce serait beaucoup trop dangereux, nous ne devons pas nous attarder. Fran semble comprendre, mais se tourne vers Patrick – qui confirme que nous ne pouvons pas rester, nous risquerions trop de nous attirer des ennuis. J’abonde : c’est un choix qu’on ne peut pas se permettre. Patrick ajoute : « Ils sont déjà morts… » Fran crache une insulte dans sa barbe (quelque chose de slave, peut-être ? Son physique, ses manières, nous font supposer qu’elle est polonaise…), mais se résigne. Nous retournons là où nous étions arrivés – en tombant. Du coup, moi qui éclairais le chemin, je lève ma lampe vers le plafond : Patrick distingue, à deux mètres environ, une porte horizontale (perpendiculaire par rapport à nous) ; elle a une poignée en forme de boule, avec en dessous un logement pour une petite boîte cubique. Patrick nous montre tout cela – mais il n’a plus sa boîte, qui a été « consommée » quand il l’avait utilisée chez Templesmith, et les deux boîtes du mannequin sont hors d’usage. Mais qu’importe : Patrick essaye de s’accrocher à la poignée… et nous tombons tous les trois inconscients après avoir ressenti un léger choc frontal – à peine avons-nous eu le temps de sentir une odeur de vieux bois…

 

Sur l’astéroïde, un groupe de gamins emmené par Bridget se précipite sur Moira et Clive, tandis que d’autres, parmi lesquels Vladimir, contournent Johnny pour se rendre à la cabane de jardin. Moira essaye d’attaquer Bridget, qui s’abaisse et esquive. Johnny, quant à lui, donne sans l’ombre d’une hésitation de grands coups de hache aux enfants à portée – il entend faire un exemple… et y parvient on ne peut mieux : il en éventre un, et, dans son élan, tranche la tête d’un second ! Clive se jette lui aussi dans la mêlée, aux côtés de Moira, en brandissant son cimeterre ; il pare un vicieux coup de fourche, et se découvre, sous le coup de l’adrénaline, un vrai talent d’épéiste : il empale un gamin en plein cœur… et son arme ressortant dans le dos de sa première victime blesse aussi un autre enfant à la gorge ! Vladimir, de son côté, atteint cependant la cabane de jardin. Parmi les enfants qui le suivaient, certains sont maintenant clairement effrayés, mais d’autres sont plus que jamais forcenés (ils ont les mêmes traits sadiques que Johnny, témoignant de leur état drogué, et le sang les excite). Deux d’entre eux se jettent sur Johnny – armés, l’un d’une fourchette, l’autre d’un couteau de table… mais ils semblent être en mesure de s’en servir au mieux, pour toucher des points précis. Pas assez bien cependant : ils ratent Johnny, l’effleurant à peine. Deux autres s’en prennent à Moira – avec des armes similaires… Mais le premier n’arrive à rien, et est contraint de s’arrêter ; celui qui le suivait trébuche et, du fait d’un faux mouvement, se retrouve avec son propre couteau dans l’œil ! Bridget essaye de s’en prendre à Clive tant que l’arme de ce dernier est coincée, mais elle l’effleure à peine. Moira en profite pour l’assaillir, une arme dans chaque main – elle lui assène des coups terribles, et la tue. Moira se repositionne alors, dos à Clive, et fait ainsi face à deux autres gosses. De l’autre côté, Johnny enragé s’en prend à ceux qui l’ont vainement attaqué, et leur assène un gros coup de hache – avec toujours autant de réussite : il en tue un sur le coup, et tranche le bras droit de l’autre ! Clive dégage son arme et essaye de toucher l’adversaire le plus proche, mais celui-ci fait un petit saut en arrière et esquive sa botte. Il en reste un dans le dos de Johnny, qui pousse un véritable cri de guerre et lui grimpe dessus, en essayant de le mordre – ceci, toutefois, il n’y arrive pas. Il en reste deux contre Moira, et deux contre Clive, mais tous ratent leurs assauts (l’un d’entre eux trébuche même sur les cadavres et les agonisants). Moira et Johnny entendent alors un bruit étrange en provenance de la cabane de jardin – qui leur évoque l’automate chez Templesmith… mais peut-être aussi Mortimer ?

 

Patrick, Fran et moi reprenons conscience – et c’est comme si notre corps reprenait le contrôle au fur et à mesure. Nous sentons nos différents organes « reprendre place » – nous avons craint un moment qu’ils ne soient plus là ! Mais ce n’est pas le cas. Nous sommes confinés dans un espace étroit – et je relève une odeur qui m’évoque les « vieux richards » chez qui j’étais femme de ménage autrefois (un mélange de pommades, de parfums, de bouquets, du bois verni, de la laque pour cheveux…). Nous réalisons que nous sommes dans une vaste penderie ; les vêtements (masculins) suspendus aux cintres semblent de très bonne qualité – du velours, ce genre de choses. Fran, quand elle reprend conscience, est sur le point de hurler… mais je m’en rends compte, lui plaque la main sur la bouche, et lui chuchote de se taire : nous ne savons pas où nous sommes… Elle obtempère, mais reste crispée sur ma main, elle a besoin de la serrer. Ma lampe est hors d’usage, mais une lumière très légère filtre à l’intérieur du placard (la lumière du jour ?). Patrick ressent des picotements à l’œil droit – là où il avait pris la pulvérisation en trafiquant la serrure de l’armoire, dans la chambre de Templesmith ; il cligne des yeux, tout vire à la lumière rouge et il ressent outre une virulente douleur interne – comme si ses côtes étaient prises dans un étau… Fran fouine parmi les vêtements sur les cintres, et profite de l’obscurité pour se changer – elle me rend ma veste, que je remets, après quoi j’ouvre doucement la porte…

 

Le décor évoque une vieille famille WASP fortunée – c’est luxueux, mais aussi très vieux jeu (un peu style colonial), avec çà et là des signes religieux. Nous sommes dans une chambre – plus précisément une chambre d’amis, supposons-nous : n’y figurent pas de traits personnalisés, des photos par exemple. Mais la chambre est très bien équipée. Fran se précipite sur la fenêtre, qu’elle ouvre en grand : le soleil est resplendissant, elle prend de grandes respirations avec un soulagement éloquent. Je perçois une légère odeur de thé… mais surtout des bruits de pas, en dessous – évoquant des talons bas ou talonnettes. Je vais jeter un coup d’œil à la fenêtre : nous sommes au deuxième étage d’une sorte de manoir, un vaste jardin sépare la demeure d’un mur de trois mètres de haut environ, avec des tessons au sommet ; au-delà, je distingue des rues – qui ne m’évoquent en rien Arkham, mais probablement une ville plus grande. Patrick sort douloureusement du placard. Je demande à Fran si elle sait où nous sommes, et elle me répond que nous sommes à Boston – chez les parents Templesmith : Fran précise que c’est le dernier endroit où elle est allée, avec son père… Je signale les bruits de talonnettes à Patrick – qui dit qu’il s’expliquerait volontiers avec les Templesmith, en brandissant sa mitraillette… Je suis partagée, me demande si les parents Templesmith sont aussi coupables que leur fils… Que faut-il en penser ? Patrick le demande à Fran, mais elle ne nous écoute pas vraiment, toute à son soulagement… Puis elle répond, avec un temps de retard : pour elle, les parents Templesmith sont avant tout de parfaits pigeons… Elle nous explique que son père et elle étaient des escrocs et des faussaires, et qu’ils avaient tenté de profiter du vieil âge des Templesmith, qui ne sont rien d’autres que des vieux cons de WASP pleins aux as… Mais Hippolyte Templesmith, lui, avait flairé l’arnaque – d’où la suite des événements… L’évocation de ses activités criminelles amène Fran à nous questionner à ce sujet : elle a deviné que nous travaillions pour O’Bannion, à Arkham, et suppose que nous ne connaissons pas Boston… Je lui demande si elle connaît la maison et saurait comment en sortir discrètement, mais ce n’est pas le cas : elle n’est venue que deux fois, et ne connaît rien d’autre que le rez-de-chaussée. Patrick lui demande si les Templesmith ont une voiture : oui, plusieurs, et des chauffeurs aussi ! Nous n’avons pas le choix, il nous faut y aller – j’insiste cependant sur la discrétion, et qu’il faut éviter de faire des bêtises… Or Fran veut se venger. Mais Patrick concède que la priorité est de retourner à Arkham, où nous reprendrons des forces, ce qui nous permettra d’agir au mieux. Fran retient difficilement une insulte… Elle dit que, pour elle, c’est une question d’honneur – mais je lui fais entendre que ce n’est pas là son vocabulaire, et qu’il vaut mieux agir avec méthode et efficacité. Patrick aussi essaye de la raisonner, lui disant que nous ne sommes pas dans la bonne position. « Tu comprends ? » Il répète cette question, assez durement… Fran est bougonne, à la manière d’une adolescente contrariée voire exaspérée, mais dit qu’elle est d’accord – c’est surtout qu’elle se souvient que nous l’avons sauvée, et qu’elle nous en doit une… L’autorité, cependant et de manière générale, lui pèse sur les nerfs, à l’évidence.

 

Patrick entrouvre la porte de la chambre, qui donne sur un couloir richement décoré, donnant sur plusieurs portes fermées ; au bout du couloir, un escalier descend. Nous nous y rendons discrètement, moi en tête – et je guette les bruits de pas. Nous arrivons au premier étage ; un couloir à droite donne sur plusieurs portes, dont un bureau et un salon que nous pouvons entrapercevoir. Des titres honoraires, très divers, sont affichés un peu partout, ainsi que des photos de famille, avec Hippolyte Templesmith et ses parents ; je remarque un meuble sur lequel se trouvent plusieurs de ces photos, et me rends compte que bon nombre de celles-ci masquent Howard Templesmith pour mettre en évidence, à sa place, son fils Hippolyte. Nous nous dirigeons vers l’autre escalier et descendons prudemment…

 

Sur l’astéroïde, Moira essaye de frapper les gosses à sa portée, mais échoue. Johnny, pour sa part, se rue vers la cabane de jardin – il a toujours un gamin accroché sur le dos… Il essaye, en pleine course, de le dégager en lui donnant un coup de la pique au dos de sa hache : il y parvient, et même le tue, mais se blesse un peu lui-même au passage, et le cadavre du gosse reste accroché sur lui… Peu importe : il arrive devant la porte de la cabane et l’ouvre ; Vladimir attendait à l’intérieur, sur le côté, et donne instinctivement un grand coup de binette, mais Johnny s’y attendait et esquive sans souci. Clive n’a pas plus de succès que Moira de son côté – mais leurs assaillants reculent un peu. Johnny est rentré dans la cabane, où un gamin psalmodie – il cherche visiblement à lui jeter un sort…Johnny lève son bras droit pour le frapper – mais il hurle subitement tandis que sa hache tombe au sol : il n’a plus d’os dans le bras droit ! Il reste quatre gamins du côté de Moira et Clive – qui ont entendu Johnny hurler –, mais ces agresseurs changent de tactique et se précipitent à leur tour vers la cabane.

 

Moira, suivie de Clive, profite de cette accalmie pour jeter un œil à une autre cabane, sur la droite, au-delà d’une sorte d’aire de piquenique : c’est une sorte de salle de jeu, dont les murs sont cependant couverts de dessins ignobles, comme ceux de Bridget ; on y trouve aussi des « étendoirs » portant des écorchés, comme dans le tunnel souterrain, avec non loin des râteliers surchargés d’outils chirurgicaux et autres lames. Parmi les dessins, certains semblent clairement avoir pour but d’apprendre aux enfants comment écorcher un corps, en indiquant en outre les points les plus douloureux…

 

Johnny fou furieux fonce vers le gamin dans la cabane, l’empoigne de son bras gauche, et le plaque violemment contre le mur – dans l’idée de le défoncer ! Le mur craque effectivement, malgré ses deux couches de planches, et le gamin pisse le sang : des éclats de bois se sont fichés dans son crâne… Johnny sort de la cabane par cette nouvelle issue tandis que, de l’autre côté, les gamins restants y pénètrent par la porte. Johnny court alors vers le bâtiment abritant les cages, par où il était arrivé avec Clive et Moira, en hurlant : « Radzak, le dîner est servi ! » Il ne voit cependant pas le chat… mais, par contre, un navire d’ébène approche des quais. Les enfants se rendent compte que « La Brique » a quitté la cabane et veulent en sortir à leur tour… mais les deux premiers s’accrochent aux planches détruites et bouchent le passage aux autres.

 

Moira, avec Clive, revient vers la cabane de jardin, afin d’attaquer les gamins qui s’y trouvent (Clive a tiqué en entendant Johnny appeler Radzak, mais pas Moira, qui était inconsciente lors de leur discussion avec le chat). Moira blesse un des enfants assez méchamment, mais le deuxième qu’elle assaillait a pu faire un pas de côté et s’en tire avec une simple estafilade à l’épaule gauche ; Clive essaye de toucher ce dernier et rate. Johnny continue de courir vers les cages – mais son bras droit se tord du fait de ses mouvements instinctifs de balancier, ce qui est très douloureux et le ralentit… Un gamin essaye de toucher Clive, qui esquive cependant – les autres s’en prenaient à Moira, sans plus de succès, mais elle ne parvient pas non plus à riposter efficacement… Un des petits, cependant, se met à chialer : il a perdu toute combattivité, et pleure en appelant désespérément sa maman… Clive en blesse un autre, maintenant à l’agonie. Moira sort de la cabane, en disant à Clive de la suivre…

 

(Les joueurs incarnant Johnny et Moira s’en sont tenus là pour la soirée ; le joueur incarnant Patrick et moi-même étant encore disponibles et ayant une longue scène à gérer de notre côté, sans nécessité pour les autres d’intervenir, nous avons poursuivi.)

 

Patrick, Fran et moi n’entendons rien en descendant. Au rez-de-chaussée, nous voyons qu’une grande cuisine se trouve à notre droite, tandis qu’il y a plusieurs autres pièces inconnues dont les portes sont fermées ; on aperçoit enfin, au bout d’un hall sur la gauche, la porte d’entrée. Je m’avance instinctivement dans cette direction, mais Fran me dit que je suis folle de vouloir sortir par devant. Je lui demande si elle connaît une meilleure sortie, ce n’est pas le cas, mais Patrick suggère de jeter un œil à la cuisine. Nous y retournons donc : il n’y a pas de porte donnant sur l’extérieur, mais nous devrions pouvoir sortir par la grande fenêtre au-dessus de l’évier. Patrick l’ouvre délicatement : elle ne donne pas sur l’arrière du jardin, mais sur un côté du manoir. Nous entendons la porte d’entrée s’ouvrir au moment même où Fran, la première, se glisse dehors par la fenêtre. Je la suis, puis Patrick, qui arme à tout hasard sa Thompson… Nous tentons de rester discrets, mais sans grand succès : en traversant, je touche avec mes jambes une pile d’assiettes, et Patrick de même un peu plus tard – d’autant que ses douleurs internes le reprennent en pleine action ! Nous entendons une voix féminine : « Il y a quelqu’un ? Herbert ? »

 

Tandis que Patrick oriente sa mitraillette en direction de la porte de la cuisine, Fran et moi repérons l’extérieur : c’est pour l’essentiel un jardin à l’anglaise, courant sur soixante mètres avant de laisser la place à un mur d’environ trois mètres de haut et surmonté de tessons. Vers l’avant, à distance, il y a une sorte de cour, avec un kiosque et des bancs, où nous repérons un petit groupe – nous comprenons par la suite que s’y trouve notamment Jacqueline Templesmith, tandis que son mari Howard est couché sur une table à l’intérieur de ce que nous saurons alors être un poumon d’acier (un dispositif censé soigner les maladies respiratoires ; à l’évidence, il n’est pas donné à tout le monde d’en avoir un…). Nous tentons alors de contourner la maison par la droite, vers l’arrière. Je parviens à l’angle sans un bruit, Fran de même, mais Patrick, alors qu’il accélère un brin, est de nouveau pris d’une terrible douleur au ventre qui le fait s’interrompre… et lâcher par réflexe une interjection. Les pas à l’intérieur s’accélèrent, et Patrick voit bientôt un visage féminin (avec un col d’uniforme de domestique) se pencher par la fenêtre. Elle ouvre grands ses yeux en apercevant Patrick – lequel pose son doigt sur sa bouche pour lui signifier de se taire, geste qu’il accompagne d’un grand sourire et d’un clin d’œil complice… tout en brandissant sa Thompson. Elle rentre la tête à l’intérieur, et nous l’entendons crier : « Mon Dieu ! »

 

Il nous faut presser le pas. Derrière, le jardin est plus ou moins entretenu, et il s’y trouve une cabane à outils. J’envisage brièvement de grimper, mais sais que Patrick en sera incapable ; Fran dit cependant qu’il faut y aller, que nous n’avons pas le choix… Patrick tente quand même de nous rejoindre. Je demande à Fran si elle sait où se trouve le garage : oui, c’était le bâtiment à l’avant de la priorité, au-delà du petit groupe que nous avions aperçu… Patrick dit qu’il va falloir y aller les armes à la main – ce qui m’inquiète, mais il précise qu’il ne s’agit pas forcément de tirer sur qui que ce soit… Nous devons donc repasser devant la fenêtre de la cuisine ; la femme de ménage ne s’y trouve pas, mais Patrick l’entend, affolée, se débattre avec le téléphone… Nous devons continuer – en essayant de nous faufiler discrètement par les haies. Mais nous entendons alors une voix féminine qui hurle : « Madame Jacqueline ! Des intrus ! Ils sont armés ! » Jacqueline Templesmith se lève, ahurie, se penche dans notre direction, mais ne nous aperçoit pas ; la femme de ménage, par contre, a rejoint la porte d’entrée principale, tandis que le garde de la guérite située à côté du portail se précipite vers son employeuse…

 

Patrick sort alors de l’abri de la haie et met en joue le garde avec sa mitraillette : « Lâche ton arme ! » Mais la distance les séparant est trop grande pour que la menace soit efficace, le garde en est bien conscient et a le temps de se planquer derrière une autre haie sans que Patrick ait pu faire quoi que ce soit… Jacqueline, pour sa part, panique et s’enfuit en direction du mur. Je m’avance de l’autre côté, en restant abritée derrière la haie – j’ai le temps de voir que Howard, dans son poumon d’acier, est incapable de bouger, et qu’il a des guêpes sur le visage. Je fais de mon mieux… mais le garde me voit – plus précisément, il ne sait pas avec exactitude où je me trouve, mais sait que Patrick n’est pas le seul intrus dans la propriété… Il essaye de nous raisonner, nous invitant à nous rendre… Patrick n’en tient pas compte : il continue à avancer, même à découvert, et tire enfin au jugé – il ne touche pas sa cible, mais le recul réveille ses douleurs internes… J’entends un cri étouffé de Jacqueline, mais ne la vois pas – et je ne vois pas davantage Fran. Je contourne la haie et interpelle le garde tourné vers Patrick, en lui disant de lâcher son arme ; le garde comprend qu’il est en fâcheuse posture, mais me dit qu’il ne se rendra pas tant que mon collègue menacera de lui tirer dessus, bien sûr… Je crie : « John ! Tire pas ! » Mais le garde a d’autres exigences : il veut s’assurer que Jacqueline Templesmith va bien. Patrick crie : « Tess ! Appelle Fran ! » Mais nous entendons immédiatement après trois détonations, suivies d’insultes dans une langue slave… Le garde, désemparé, est prêt à se rendre… Mais il nous demande de lui tirer une balle dans le bras pour le couvrir. Patrick dit qu’il va s’en charger, l’assurant même qu’il veillera à ce que la balle ne fracture pas l’os… Le garde pose son arme, Patrick s’exécute avec son automatique – sa cible crache une injure, mais se montre satisfaite : d’une certaine manière, le garde semble même nous estimer, et hoche la tête. Fran surgit alors de derrière la haie, braque le garde, mais Patrick lui dit de ramasser son arme et que nous nous en tiendrons là.

 

Puis nous nous rendons au garage. Nous y trouvons deux véhicules : une grosse voiture familiale, et une autre plus sportive – sans doute celle de Hippolyte Templesmith, et nous la prenons. Patrick doit bricoler pour la démarrer, et y parvient sans souci, tandis que Fran et moi nous occupons de la grille. Je m’installe derrière le volant, avec Fran à mes côtés et Patrick armé à l’arrière. Je demande à Fran de me guider dans cette ville que je ne connais pas, mais elle est obsédée par ses idées de vengeance, comme en transe, et ne se montre d’aucune aide. Or nous entendons des sirènes derrière nous… Patrick, sur le siège arrière, s’accroche d’une main à la banquette – mais il est pris d’une soudaine migraine qui lui fait cligner des yeux : machinalement, il ferme l’œil droit, et voit des sortes de « cristaux », formant une tache rouge de plus en plus grande qui emplit son champ de vision… Puis il perçoit une image différente, avec la sensation de voir à travers les yeux d’un autre : une main avec une montre en or très onéreuse amène une flute de champagne à ses lèvres… tandis que l’autre main est ensanglantée, appuyée sur une table à côté d’un scalpel ; ce point de vue extérieur « clignote » puis disparaît, et Patrick retrouve sa vision normale. Quant à moi, emportée par mon élan, je tamponne la voiture d’un petit vieux qui roulait très lentement – le conducteur mange son volant et bouge la tête douloureusement. C’est alors que Fran sort enfin de sa transe, et je lui répète qu’elle doit me guider, tandis que je me dégage de la voiture du vieillard, puis la contourne. Fran réagit, cette fois, et son aide s’avère précieuse ; elle finit par nous amener à une route de terre en périphérie, à l’arrière d’un centre commercial. Une sirène de police nous dépasse, mais Fran est confiante : effectivement, la voiture poursuit sa route, et la sirène s’éloigne. Nous sommes pour le moment en sécurité.

 

Il est un peu plus de 13h. Fran demande une cigarette, et je lui en donne une – qu’elle savoure avec une sensation de plaisir extrême. Je lui dis qu’il nous faut abandonner cette voiture, trouver où nous planquer dans Boston, et enfin retourner à Arkham. Mais Fran continue de fumer, sans un mot, totalement détachée… J’en profite, et Patrick de même, pour reprendre mon souffle et me calmer. Je vérifie au passage si j’ai sur moi tout ce que j’avais pris dans la demeure d’Hippolyte Templesmith puis dans le tunnel souterrain, et c’est bien le cas. Patrick ne se sent visiblement pas très en forme, et je demande à Fran si elle pourrait trouver quelqu’un pour l’ausculter. Elle acquiesce, mais nous demande d’abord nos noms, et nous les lui donnons ; après quoi elle nous demande si O’Bannion aurait du travail pour elle – jusqu’à présent, elle travaillait seulement avec son père –, et je lui dis que c’est bien possible. Elle apprécie visiblement, et se montre enfin plus active. Il nous faut abandonner la voiture – et rejoindre un garage de sa connaissance. Mais elle entend d’abord se défouler sur le véhicule rutilant d’Hippolyte Templesmith… et se met à déchirer les fauteuils avec sa lame. Patrick lui montre comment abîmer le moteur et la batterie ; mais pour ma part, je ne me mêle pas de ça…

 

Après quoi Fran nous entraîne, par des ruelles piétonnes très discrètes, jusqu’à un quartier plus populaire, habité essentiellement par des immigrés (dont des Irlandais) ; nous pénétrons dans un garage un peu délabré, au nom de la rue où il se trouve : « East End ». Apparaît un garagiste avec de l’embonpoint, pas très propre sur lui, qui reconnaît Fran et se précipite sur elle, la serrant dans ses bras (je remarque qu’il affiche un air surpris en nous voyant…). Le garagiste demande à Fran comment va son père ; elle retient un sanglot, et demande à lui parler en privé – en prenant tout de même le temps de dire que Patrick et moi sommes « OK ».

 

Le garagiste et Fran s’éloignent dans une pièce adjacente – mais il nous tend d’abord un journal, avec en guise de gros titre : « CAMBRIOLAGE À ARKHAM CHEZ HIPPOLYTE TEMPLESMITH » Il y a en dessous une grande photo sur laquelle Patrick et moi nous reconnaissons parfaitement, ainsi que Clive et Moira (Johnny était cagoulé). Par ailleurs, l’article cite nos noms… Templesmith a placé une prime de 2000 $ sur chacun d’entre nous ; le maire d’Arkham, scandalisé, a affirmé que les odieux criminels devaient être arrêtés à tout prix, et l’enquête a été confiée à l’inspecteur Harrigan. Je parcours le reste du journal : le deuxième article principal parle d’un cadavre retrouvé avec une carte d’as (mais de trèfle, cette fois) en main, et le journal évoque une guerre des gangs. Un troisième article attire mon attention : il y a eu un braquage dans une grande banque d’Arkham, et les coupables sont deux jeunes Noirs, en fuite (l’article en rajoutant bien sûr tant dans le racisme que dans la déploration du comportement des jeunes d’aujourd’hui en général)…

 

Je cherche à me procurer de quoi me maquiller, ainsi qu’une perruque, et fais de même en sorte que Patrick soit moins reconnaissable (ceci étant, depuis la photo, il a perdu tous ses cheveux et ses sourcils, ce qui change déjà considérablement la donne…). Fran est revenue auprès de nous, et nous dit qu’il n’y aura pas de souci pour avoir une voiture discrète afin de retourner à Arkham ; elle suggère cependant de ne pas faire le moindre mouvement avant la nuit, et de partir un peu avant l’aube. De toute façon, nous avons tous bien besoin de nous reposer, et le garagiste, qu’elle présente comme étant son oncle, peut nous héberger en attendant… Il nous confie une chambre avec un grand lit. Patrick va prendre une douche – quand il en sort et reprend la direction de la chambre, le garagiste l’interpelle et lui fait signe d’approcher pour discuter ; il se désigne comme étant Otto, et Patrick se présente ; le garagiste lui sert la main avec respect : il a appris, de la bouche de Fran, que nous l’avons sauvée… Il aimerait qu’elle reste avec lui à Boston, mais elle n’a semble-t-il qu’une idée en tête : aller avec nous à Arkham. « Je peux compter sur vous pour que la gamine s’en sorte bien ? » Patrick le lui certifie : « On l’a aidée, et elle nous a aidés aussi, on n’oublie jamais une chose pareille. » Otto demande à Patrick de le suivre jusqu’à une planque, où il dissimule une belle bouteille de whisky irlandais (qu’il devait boire avec le père de Fran, Archibald, après la réussite du coup chez les Templesmith) : il veut en boire un verre ou deux avec Patrick, et aussi « la rouquine ». Il parle un peu de Fran, dit qu’elle est « parfois un peu chiante », c’est son caractère, mais qu’elle en vaut la peine.

 

Nous dormons – à peine réveillés à un moment de la nuit par Fran qui braille des choses que nous ne comprenons pas. Puis, un peu avant l’aube, elle nous réveille vraiment ; elle a cette fois de vrais vêtements (dont un pantalon), mais d’allure assez passe-partout – et elle me donne un chapeau. Elle nous emmène alors devant une voiture familiale, d’apparence tout à fait banale, mais dont les vitres sont un peu opaques – et qui en a dans le ventre, ainsi que je m’en rends compte très vite en m’installant derrière le volant. Otto est également là, qui nous explique qu’il y a une cache à l’arrière du siège passager avant. Fran lui fait visiblement un peu la gueule, mais il la prend dans les bras, elle rouspète pour la forme, puis se laisse faire. Fran monte à l’avant, à côté de moi, et Patrick reste à l’arrière. Fran ouvre un paquet de cigarettes et m’en offre une, que j’accepte bien volontiers. Nous partons pour Arkham…

 

À suivre…

 

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Sandman, vol. 4, de Neil Gaiman

Publié le par Nébal

Sandman, vol. 4, de Neil Gaiman

GAIMAN (Neil), Sandman, volume 4, [Sandman #40-48, The Absolute Sandman Volume 3, Vertigo Preview #1, Sandman Special #1, Winter’s Edge #3, The Sandman Companion], illustré par Kent Williams, Jill Thompson, Vince Locke, Bryan Talbot, Mark Buckingham, Dick Giordano et Michael Zulli préface de Jill Thompson, traduction [de l’anglais] de Patrick Marcel, [s.l.], Urban Comics, coll. Vertigo Essentiels, [1991-1993, 2008] 2014, 424 p.

 

Retour à Sandman, l’immense BD conçue et écrite par Neil Gaiman (et dessinée par plein de gens, même si, dans le présent volume, c’est Jill Thompson qui accomplit l’essentiel – avec plus ou moins de réussite à mon goût, mais bon). Et – oui, je me répète : c’est de loin ce que Neil Gaiman a fait de mieux. Cela se confirme à chaque nouveau volume de cette très belle intégrale chez Urban Comics, par ailleurs riche d’annexes fascinantes (dont de passionnants entretiens avec Gaiman – notons au passage que c’est dans ce volume-ci que l’on trouve les commentaires portant sur les histoires courtes de Fables et reflets, disséminées entre le présent volume et le précédent), et qui remplace avantageusement les anciennes éditions françaises, de toute façon parcellaires.

 

Ce volume se consacre essentiellement à l’arc intitulé Vies brèves. Sauf erreur, on en arrive ainsi aux épisodes que je n’avais jusqu’alors lus qu’en anglais – avant que Panini les reprenne en français, mais avec plus ou moins de brio, disons… On y trouve cependant quelques histoires courtes pour compléter la chose, en début de volume : le très bref récit « La Peur de choir », que je ne connaissais pas (et qui est sans doute anecdotique) ; le très beau « Le Parlement des Freux », où Caïn, Ève et Abel racontent, chacun à sa façon, une histoire à un bébé égaré dans le domaine du Rêve (avec, bien sûr, cette idée géniale de Jill Thompson portant sur les « P’tits Infinis », en l’espèce ici Lil’ Dream et Lil’ Death, qui, en quelque cases à peine, phagocytent presque le pourtant brillant récit de Gaiman pour le sublimer en une terrible kawaïtude – ça a débouché sur des albums conçus par Jill Thompson dans ce style mangateux, que je n’ai toutefois pas lus. Ah, une note en passant : j’ai l’habitude de désigner les Infinis sous leur nom anglais – les sept, voire huit, noms commençant tous par la lettre « D » –, aussi est-ce ce que je vais faire dans ce compte rendu, mais ils sont traduits dans cette édition, hein) ; « Le Chant d’Orphée », enfin, plus long – et consistant en une adaptation finalement guère libre du mythe d’Orphée dans le cadre bien particulier de Sandman : cette fidélité globale a pu faire dire à Gaiman qu’il ne trouvait guère d’intérêt à cet épisode, mais il n’en est pas moins très efficace, riche de séquences fortes et brillamment intégrées – et, par ailleurs, sans doute nécessaire pour pleinement apprécier les enjeux de Vie brèves ; à en croire Gaiman dans l’entretien en fin de volume, il fallait donc en passer par-là, tant nombre de lecteurs ne voyaient absolument pas de quoi il parlait quand il leur évoquait le mythe d’Orphée…

 

Mais Vies brèves, donc – arc composé de neuf chapitres. Je ne vous cacherai pas que c’est loin d’être mon TPB préféré de Sandman – ce qui ne veut certainement pas dire qu’il est mauvais ou médiocre… Loin de là : ça reste du Sandman, et c’est donc tout à fait brillant. Je crois en fait que, ce que je lui reproche – s’il m’est permis de parler de « reproche », ce n’est pas garanti –, c’est d’être quelque peu frustrant en définitive. Mais, à vrai dire, cette frustration a sans doute quelque chose d’illusoire ou mesquin ; en effet, à vue de nez, on pourrait croire qu’il ne se passe pas forcément grand-chose dans ces neuf épisodes… Mais c’est une erreur : ils sont en fait cruciaux, et, oui, il s’y passe beaucoup de choses – seulement, c’est sur un plan tout particulièrement intimiste, qui demande à être appréhendé pour ce qu’il est, et, sans doute, mûrement réfléchi (on se pose, on y revient, et on voit – enfin).

 

Plus que jamais, bien sûr, l’histoire ne s’arrête pas à la dernière case… La séparation des volumes ne doit pas faire illusion : nous sommes ici en plein dans la trame globale de Sandman – illustration d’un état d’esprit de l’Infini, dépressif par essence, appelé cependant à s’ouvrir sur un monde qu’il ne connaît au fond guère, tant (c’est ce que l’on dit de ses relations amoureuses, en tout cas) il se montre plus amoureux de l’idée de l’amour, d’un mouvement peut-être, que d’une réalité, d’un fait, qu’il n’appréhende tout simplement pas. Dès lors, il n’a guère de solutions pour quitter enfin l’impasse dans laquelle il stagne : lui qui était là au début ou presque (seuls Death et, sauf erreur, Destiny étaient là avant lui – j’ai appris au passage que Destiny, d’ailleurs, n’était pas une création de Gaiman, mais qu’il l’avait repris d’épisodes antérieurs pour constituer sa famille autour de lui…), doit maintenant changer – et sans doute sa captivité n’y est-elle pas pour rien. Or ce nouveau mouvement sera bien suscité par sa quête plus ou moins vaine de celui qui a toujours (ou presque, justement…) incarné le changement : son frère Destruction – qui a en fait tellement changé, l’artiste, qu’il a décidé de quitter son poste, laissant les choses aller comme bon leur semble ; un acte qui n’a pu que paraître irréfléchi voire scandaleux à certains de ses frères et sœurs… et au premier chef Dream, qui, obsédé par les lois et les règles – car il y a bien des lois et des règles dans le Rêve –, s’avère étonnamment conservateur.

 

C’est leur petite sœur, Delirium – autrefois Delight –, qui l’entraîne dans cette quête. Et Delirium s’accapare le récit d’une manière remarquable, de par sa présence vaguement dérangeante et clairement envahissante, exprimée tant dans un langage corporel outré qui la fait se rouler dans toutes les positions au gré de ses fantaisies, que dans des répliques hallucinées mais non moins délicieuses : on pourrait toutes les citer ou presque – mais que voulez-vous répondre à la « jeune fille », on ne peut plus punkette en vrille, demandant par exemple si un « faux mouvement » est si différent que cela d’un vrai ? Il y a comme de juste une forme de sagesse dans la folie de Del – et l’égarée, à l’occasion, via une réplique anodine en apparence, bien placée pourtant, ou de manière plus frontale et volontaire, peut très bien remettre à leur place ses prétentieux interlocuteurs : Dream, bien sûr… mais aussi Destiny.

 

Delirium a toujours été, des membres de la famille des Infinis, la plus proche de Destruction – elle aimait profondément son grand-frère (qui le lui rendait bien), sympathique apôtre du changement, toujours le rire aux lèvres. Elle souhaite donc le retrouver – pour que leur famille redevienne unie, bien sûr, ça n’y manquera pas ! Ses frères et sœurs, pourtant – moins naïfs peut-être en ce qui concerne la réalité de toute famille, et pas seulement la leur : peut-on vraiment concevoir une famille qui ne serait pas, selon l’expression consacrée, « dysfonctionnelle » ? –, n’entendent pas participer à sa quête (et notamment Desire, toujours aussi redoutable, et Despair, dans son rôle). Dream acceptera, pourtant… mais à sa manière, et pour ses raisons ; il avoue à ses serviteurs ne pas croire un seul instant qu’ils parviendront à retrouver Destruction sur Terre, et que cela vaut sans doute mieux… Toutefois, abîmé par une énième peine de cœur (qui ne sera éclaircie que dans un volume ultérieur), le romantique Dream, imposant à tous son humeur massacrante sous la forme d’une pluie glaciale sous laquelle il se morfond en en faisant des tonnes, a bien besoin de se changer les idées… mais peut-être aussi retrouvera-t-il sur Terre la trace de sa bienaimée ? Ce mince espoir, vaguement morbide, n’arrange probablement rien à l’affaire…

 

Mais Delirium et Dream vont ainsi parcourir la Terre – en y voyageant « réellement », quand ils pourraient très bien s’en passer. En chemin, ils croiseront des individus hors-normes (et en manqueront d’autres, aussi bien) – des immortels… ou presque ; presque, car la mission de Dream et Delirium, sans qu’ils en aient la volonté, semble enfin sonner le tocsin pour ces anomalies – qui, en fin de compte, au fil des siècles voire des millénaires, n’auront bel et bien vécu qu’une vie ; et une vie brève, puisqu’elle a un terme… Un autre aspect du changement, sans doute. L’apogée de cette évocation de destins discrets quand bien même intrinsèquement autres résidera dans cette séquence remarquable où nos deux Infinis rencontreront Ishtar, l’ancienne déesse de l’amour, un temps compagne de Destruction d’ailleurs, et qui subsiste discrètement, sans faire de vagues, en dansant dans une boîte de strip-tease – en retenant sa danse, cependant, car il n’est pas donné à tout le monde de voir danser la déesse de l’amour…

 

Une quête vaine, pourtant – il faut dire que Dream n’y met pas vraiment du sien… et lâche bien vite l’affaire. À vrai dire, le personnage-titre ne se montre franchement pas ici sous son meilleur jour – arrogant, borné, vaguement condescendant aussi, laconique enfin, il n’est guère sympathique, au fond… Il mérite bien (enfin, c’est à débattre, mais on ne va pas se lancer dans une controverse sur la dépression, hein – a fortiori la dépression d’un Infini…) qu’on lui secoue les puces, et qu’on lui fasse prendre conscience de certaines choses – dont, essentielle, sa capacité à évoluer, que sa passion irraisonnée des lois et des règles lui avait toujours dissimulée.

 

Alors Delirium parviendra à le convaincre de se remettre au travail. Et, oui, ils trouveront bien Destruction (avec son adorable chien Barnabas). Mais pour ce faire, et après coup, Dream devra prendre sur lui – en écartant, le moment d’un inconcevable acte de générosité, bien tardif sans doute mais qu’importe, la rigueur qu’il n’avait cessé d’afficher au fil des siècles, comme si elle lui était inhérente. Mais peut-être pas, en définitive…

 

Ce résumé ne fait probablement guère honneur à la richesse thématique et à la finesse de Vies brèves. Au risque de me répéter, c’est là un arc qu’il faut lentement savourer et bien prendre le temps d’intégrer – quitte, une fois la dernière page tournée, à revenir en arrière, s’arrêter ici ou là, et remarquer enfin toute une kyrielle de signes avant-coureurs, qui prennent alors tout leur sens. Mais c’est sans doute là une caractéristique essentielle de la BD dans son ensemble, riche de détails paraissant tout d’abord anecdotiques, mais pouvant à terme trouver une résonance fascinante, quelques épisodes plus loin – quelques dizaines d’épisodes parfois…

 

Il ne faut donc sans doute pas s’arrêter, et tout particulièrement dans le cas de Vies brèves, aux sentiments spontanés émergeant en fin de volume. Il faut s’y arrêter un instant, et dresser une sorte de bilan. C’est alors que la BD prend tout son sens – au niveau de l’arc comme au niveau de la série : on obtient alors confirmation, si cela était encore nécessaire, que ce monument du neuvième art est d’une subtilité extraordinaire et peut-être sans pareille. Gaiman mérite bien d’être adulé pour cette merveille. Et à suivre, donc…

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The Last Celt, de Glenn Lord

Publié le par Nébal

The Last Celt, de Glenn Lord

LORD (Glenn), The Last Celt. A Bio-Bibliography of Robert E. Howard, edited and compiled by Glenn Lord, introduction by E. Hoffmann Price, New York, N.Y., Berkley Windhover Books, [1976] 1977, 415 p.

 

Où l’on poursuit les lectures autour de Robert E. Howard avec un ouvrage sans doute essentiel en son temps, mais nettement moins utile aujourd’hui… Un ouvrage, aussi, dont la couverture s’avère étrangement trompeuse.

 

Déjà, ce n’est pas tout à fait un ouvrage de Glenn Lord (qui gérait alors les droits de Howard hors Conan, si je ne m’abuse, et a été d’un grand poids dans le développement des études portant sur l’auteur), même si c’est bien ainsi qu’il figure en bibliographie : il serait plus juste de dire qu’il s’agit d’un ensemble compilé et édité par Glenn Lord – on y croise bien des auteurs au-delà.

 

Par ailleurs, il ne s’agit guère, contrairement à ce que prétend le sous-titre, d’une « bio-bibliographie » : en fait de biographie, on ne dispose que de quelques brefs articles, dont un seul – d’une dizaine de pages à peine – est effectivement signé Glenn Lord ; par contre, sa bibliographie de Howard occupe bien l’essentiel du bouquin (pp. 103-352, tout de même…), or ce n’est pas là quelque chose que l’on lit à proprement parler, mais un outil de recherche – par ailleurs probablement dépassé aujourd’hui, même s’il a longtemps constitué la base sur laquelle fonder tout le reste…

 

Enfin, on peut s’étonner de la présentation de l’ouvrage – un tantinet racoleuse à l’occasion (jusqu’au mauvais goût, la quatrième de couverture, pourtant lapidaire, ne manquant pas de dire que l’on y trouverait « the story of his tragic suicide »… par ailleurs à peine esquissée !). On s’étonnera de même, dans ce goût-là, de cette mention nécessaire en couverture : « the creator of Conan » ; car le public auquel est véritablement destiné ce « reference book » (cette fois la quatrième de couverture est plus juste), non seulement sait parfaitement ce qu’il en est, mais en attend probablement bien davantage… là où quelqu’un qui se contenterait d’être un « amateur » de Conan (qui plus est à l’époque travesti et déformé par Lyon Sprague de Camp) risquerait d’être pour le moins décontenancé par le contenu hétéroclite et plus qu’à son tour pointu de The Last Celt (et qu’aurait-il à faire de cette abondante bibliographie ?).

 

Ceci étant admis, on peut passer au contenu. L’ouvrage débute par une introduction de E. Hoffmann Price (que je connaissais surtout pour être le coauteur, avec H.P. Lovecraft, de « Through the Gates of the Silver Key », pas forcément un très grand titre de gloire – notons cependant que, dans cette introduction, E. Hoffmann Price n’évoque Lovecraft qu’en passant, et à un rang très subalterne, ce qui m’a surpris, mais il y reviendra plus tard dans l’ouvrage), qui est présenté comme étant le seul écrivain associé à Weird Tales et compagnie à avoir rencontré en personne l’auteur texan (brièvement, à deux reprises, mais cela a suffi à imposer un certain statut à ses réminiscences sur Howard, au risque d’ailleurs d’en donner une image quelque peu tordue ; par ailleurs, dans ce texte comme dans l’autre qui lui est dû dans cette anthologie critique, j’ai quand même le sentiment qu’il se la pète un peu…). Suit une « préface » de Glenn Lord, lapidaire mais utile en ce qu’elle resitue la plupart des textes ultérieurs dans leur contexte.

 

La première partie de The Last Celt s’intitule « Autobiography », et on y trouve donc des textes (fort brefs) de Robert E. Howard lui-même… mais tenant régulièrement plus de la curiosité qu’autre chose, et ne permettant certainement pas d’en dresser un tableau global. En fait, on perçoit de suite, dans cette première partie, le caractère pointu de l’ouvrage – dévoilant des textes peu ou pas connus, en tant que tels d’un intérêt souvent limité, mais qui peuvent intéresser les exégètes de Robert Ervin Howard (probablement beaucoup moins, voire pas du tout, les simples amateurs de Conan…).

 

« The Wandering Years. A History of the Howard Family and its Branches » est un texte inachevé, sur lequel Howard semblait travailler peu avant sa mort. En fait, ce document fait d’emblée mentir son titre de travail, en ce qu’il porte bien plus sur les Ervin (et notamment le charismatique George Washington Ervin) que sur les Howard… Cette évocation familiale, bizarrement, insiste autant sinon plus sur le contexte dans lequel ont vécu ces ancêtres que sur leur propre vie (autrement terne sans doute) ; notamment, on y voit Howard contribuer à un certain mythe de la Frontière, avec l’idée d’un Texas violent, façon western – Howard y traite finalement bien plus de figures telles que John Wesley Hardin ou encore Billy the Kid, etc., que de ses aïeuls…

 

« An Autobiography » est sans doute d’un intérêt encore plus limité : c’est un très bref et très laconique texte scolaire de 1921 (la plume de l’ado pas encore écrivain y patine de façon charmante…), on n’en retiendra guère que l’évocation sèche des multiples déménagements des Howard durant l’enfance de Robert…

 

« A Touch of Trivia » date pour sa part de 1930 environ ; c’est à nouveau un texte inachevé ; Robert E. Howard, en fait d’autobiographie, y parle surtout de son goût pour l’histoire (et de son mépris des sujets « qui ne l’intéressent pas »), en mettant en avant une certaine passion de l’Irlande – que l’on a maintes fois l’occasion de constater dans son œuvre, son ascendance le travaillait… La « fin » du texte vire même à la géopolitique. On retiendra cependant de ce fragment hétéroclite son ton assez humoristique, ou du moins narquois…

 

Suit une lettre de Robert E. Howard à Farsnworth Wright de Weird Tales, probablement écrite en 1931 – le rédacteur en chef avait demandé à l’auteur quelques mots de présentation, et c’est l’objet de cette lettre (qui ne sera pas publiée dans Weird Tales, mais dans laquelle Wright piochera à l’occasion). Il y a décidément – confirmation éventuellement paradoxale après les petits textes qui précédaient ? – une certaine réticence de Howard à parler véritablement de lui (du moins sans déguiser son expérience au travers d’une fiction, il a après tout composé un « roman autobiographique », et on trouve d’autres allusions du genre un peu partout dans son œuvre) ; en fait, une fois de plus, nous le voyons ici s’intéresser bien davantage à son ascendance… Les mœurs de l’époque, sans doute (après tout, plus tard dans le volume, la notice nécrologique de Lovecraft ne manquera pas de s’étendre à son tour sur cette dimension qui tenait vraisemblablement beaucoup à cœur à Howard).

 

Tout ceci, vous vous en doutez, n’est guère palpitant… On touche enfin à quelque chose de plus enrichissant (au-delà de l’exégèse de pointe, disons), avec « On Reading – and Writing », qui n’est cependant pas un texte de Howard à proprement parler, ou qui, plus exactement, n’a pas été conçu comme tel : il s’agit en fait d’une compilation d’extraits sélectionnés par Glenn Lord dans la correspondance de Howard de 1928 à 1936. On y trouve quelques éléments notables : sa détestation de l’école, en parallèle d’un goût précoce pour la lecture (mais sans « méthode », il n’y cherchait pas autre chose qu’un pur plaisir sur le moment, ce qui est bien légitime), quand bien même les conditions de cette passion n’avaient rien d’optimal : ses parents lui achetaient rarement des livres, mais il fréquentait assidument les petites bibliothèques texanes, prenant ce qu’il y trouvait ; il aurait aimé pouvoir lire bien davantage, mais les livres étaient trop rares (et, bizarrement ou pas, les magazines encore plus). Il insiste cependant : il lisait ce qu’il aimait – sans tenir compte de l’opinion des critiques (il y revient tout le temps, et assez « brutalement » d’ailleurs…). Les extraits suivants peuvent témoigner de choses très diverses – par exemple de sa très haute opinion de Lovecraft… mais aussi, dans un registre plus inattendu, de Sappho (qui ne pouvait être homosexuelle, calomnie). Il parle ensuite régulièrement de l’Irlande, mais aussi des Pictes (sa fascination, qu’il ne s’explique pas forcément toujours très bien, pour le peuple originel avec ses mystères, et ce qu’il en a fait dans ses fictions)… Il traite de son goût des récits historiques, mais aussi, au fur et à mesure, d’une envie de plus en plus prégnante d’écrire des nouvelles dans un cadre texan – au fond le seul qu’il connaisse vraiment… On y voit aussi des témoignages de la « facilité » qu’il éprouvait pour écrire les récits de Conan (à l’en croire du moins), mais il savait très bien que cela ne durerait pas toujours… On le voit admettre sans peine qu’il manque de l’esprit scientifique nécessaire pour écrire de la (bonne ?) science-fiction – genre dont il critique vertement le tout-venant… Enfin, les extraits les plus tardifs témoignent de son orientation vers le western en fin de carrière, et notamment de son envie d’écrire sur John Wesley Hardin. On notera qu’il détestait le genre « policier », qu’il a abordé à l’occasion mais vite abandonné ; il constatait à regret que les fictions historiques qu’il adorait ne se vendaient pas assez bien pour en vivre ; par ailleurs, son intérêt pour les aventures « orientales » a peu à peu diminué au fil du temps…

 

On en arrive à la deuxième partie de The Last Celt, « Biography » ; là encore, pas de grand texte d’ensemble, mais de brefs articles ne livrant guère que des aperçus de la vie de Robert E. Howard (sans même parler de son œuvre).

 

On commence avec un très bref article signé Alvin Earl Perry et intitulé « A Biographical Sketch of Robert E. Howard » : le texte en lui-même n’a franchement aucun intérêt, si ce n’est d’avoir été a priori le seul article biographique de Howard paru du vivant de l’auteur (Perry était en correspondance avec lui, mais il n’est pas sûr qu’ils se soient rencontrés). C’est pour le moins lapidaire, et passablement niais (voire puéril)…

 

Le niveau est tout autre, bien sûr, avec la nécrologie « Robert Ervin Howard : A Memoriam », hommage de H.P. Lovecraft à la mort de son ami et correspondant, revenant sur sa vie et son œuvre. Cependant, l’auteur, par pudeur peut-être, ne fait guère ressortir d’émotion dans ce texte… On notera cependant l’accent mis sur diverses questions : le statut d’écrivain professionnel, la sincérité de la plupart des textes de Howard pourtant… Enfin, il glisse quelques allusions à la fameuse controverse sur la civilisation et la barbarie – interrompue bien brutalement… Peut-être même Lovecraft se montre-t-il ici plus juste envers l’apologie du barbare chez Howard que dans ses lettres.

 

Suit le seul véritable article de Glenn Lord dans ce volume à son nom, avec « Lone Star Fictioneer » : c’est un bref article biographique, plus englobant cependant que tous les autres figurant dans cette section ; j’imagine qu’il a pu être important alors, mais sans doute n’est-il guère satisfaisant aujourd’hui… J’ai en effet l’impression que Glenn Lord prend peut-être quelques déclaration de Howard lui-même un peu trop au pied de la lettre, notamment pour ce qui est de son enfance et de ses origines. Après quoi l’article se focalise sur les aspects professionnels – dressant même le catalogue des divers petits boulots de Howard, puis établissant pour chaque année ses revenus d’auteur une fois qu’il est devenu un écrivain professionnel, en mentionnant les magazines qui faisaient office de débouchés, d’un point de vue strictement commercial. Du coup, cet article étonne, avec son mélange étrange de précision dans ces aspects clairement définis (au point d’y faire figurer des anecdotes ou références guère utiles au fond, et donnant l’impression d’être déplacées dans un article aussi court) et de laconisme pour tout le reste… Rien à voir, du coup, avec le long article de Fabrice Tortey dans Échos de Cimmérie, auquel on renverra le lecteur francophone – ou a fortiori avec le Blood & Thunder de Mark Finn : des références récentes qui ont sans doute largement changé la donne.

 

On retrouve ensuite E. Hoffmann Price, avec « A Memory of R.E. Howard » (un texte figurant à l’origine dans le recueil de Howard Skull-Face and others, édité par Arkham House). Cette fois, l’auteur évoque bien davantage, et dans le cadre des réminiscences howardiennes, ses échanges avec Lovecraft. Par contre, décidément, je trouve qu’il se la pète toujours pas mal… Par ailleurs – c’est plus fâcheux – il se trompe sans doute à plusieurs reprises dans ses allégations concernant le Texan : ainsi, sur le plan « professionnel », il dit qu’Howard n’a jamais exercé d’autre métier qu’écrivain (c’est faux, même si ses expériences antérieures ont été brèves et jamais satisfaisantes), ou encore qu’il a de suite vendu beaucoup de textes et gagné beaucoup d’argent (même si l’ascension de Howard à cet égard a été somme toute rapide et indéniablement fructueuse à terme, je trouve néanmoins que ce tableau est bien trop simpliste)… E. Hoffmann Price parle alors de ses deux rencontres avec Howard, en 1934, puis en 1935. On peut, çà et là, y piocher quelques éléments intéressants… Par exemple, la thématique des « Enemies » ; j’avoue n’avoir pas été très convaincu par ce qu’écrivait Mark Finn à ce sujet dans Blood & Thunder… mais le rapport de Price évoque bien une sorte de paranoïa, diagnostic ou pas – cela dit, il contribue peut-être à la légende à cet égard, en évoquant un Robert brimé par ses camarades quand il était enfant… D’autres points soulevés : Howard préférait globalement les westerns à la fantasy ; ses histoires disaient parfois la vérité, mais pas toujours (ce qui peut renvoyer, j’imagine, toujours chez Finn, aux développements sur le « tall-tale »)… La fin du texte reproduit quelques longues citations d’Isaac Howard, le père de Robert. Et des remarques qui m’ont laissé un goût amer en bouche : E. Hoffmann Price loue le « courage » du docteur Howard, et déplore inévitablement que Robert n’en ait pas fait preuve…

 

Reste un article, qui a semble-t-il donné son titre à l’ouvrage : « The Last Celt », de Harold Preece (par ailleurs lui aussi écrivain), qui a rencontré Howard dès 1927 et correspondu avec lui – y compris dans le cadre de The Junto, petit jeu littéraire empruntant la forme d’une « revue » à tirage unique qui passait successivement entre les mains des divers auteurs. Le titre l’indique assez : c’est le thème celtique, essentiel, qui a fondé l’amitié de Preece et Howard – et Preece joue peut-être d’une ambiguïté délibérée entre le Conan des mythes irlandais et le personnage éponyme de Howard ; mais il évoque aussi, par exemple, le « Petit Peuple », même si essentiellement au travers du prisme de son intégration dans les mythes celtiques (on se réfèrera ici au recueil Bran Mak Morn, avec le cas échéant des renvois à Arthur Machen) ; Preece se montre cependant un peu confus, ainsi quand il évoque l’anthropologue « Elizabeth » Murray, qui aurait prouvé les dires de Howard à ce sujet – je suppose que Preece veut parler en fait de Margaret Murray, auteure de The Witch-Cult in Western Europe, ouvrage régulièrement cité par Lovecraft (et qu’on a parfois même fait intégrer le corpus des « livres maudits », ce qui est pour le moins étonnant dans le cas d’un essai anthropologique du XXe siècle…), mais qui, contrairement à ce que prétend Preece ici, a en fait été de plus en plus critiquée et finalement rejetée après sa mort en 1963… Mais Preece revient sur la question de l’intérêt pour les ancêtres, corrélée éventuellement à la « mémoire raciale », thème cher à Howard, qu’il enrichit de références (plus ou moins pertinentes ?) à Carl Gustav Jung. Preece fait en tout cas preuve d’une fierté irlandaise et celtique de tous les instants (probablement même plus exacerbée que celle de Howard ?), même s’il entend préciser : « it didn’t turn me into ancester worshipper or ethnic xenophobe ». Mais, à ce sujet, Howard disait semble-t-il : « the last Celt should have died a thousand years ago »…

 

Suivent 250 pages de bibliographie (quand même). Je ne peux bien évidemment rien en dire ici…

 

La fin de l’ouvrage, plus hétéroclite que jamais, reproduit quelques textes plus ou moins rares, et livre surtout des documents très divers (fac-similés ou illustrations). Pas grand-chose à dire sur « The Hand of Nergal », très bref fragment howardien en deux parties autonomes (apparaît dans la première « un Cimmérien »…) ; même chose pour « The Hall of the Dead », simple synopsis conanesque.

 

Côté fictions, j’ai bien davantage apprécié la relecture d’un texte pourtant plus ou moins à sa place ici : « The Battle That Ended the Century (M.S. Found in a Time Machine) », nouvelle über-potache écrite par H.P. Lovecraft (pardon : Horse Power Hateart, qui niait pour le principe en être l’auteur : « it is scarcely the sort of thing a staid old-timer would be likely to start »...) et Robert H. Barlow (pas crédité dans cette édition) ; le texte a circulé vers la mi-1934 parmi tout un cercle d’auteurs « weird », tout juste maquillés sous des pseudonymes délicieusement lourdingues, et offrant bien des opportunités de gags savoureux (à condition d’en piger les très nombreuses références – j’étais sans doute passé totalement à côté lors de ma première lecture, il y a quelques années de ça ; nombre de ces allusions m’échappent toujours, ceci dit…). Au premier plan du récit (un match de boxe improbable dans un lointain futur tout aussi improbable), on trouve donc « Two-Gun Bob, the Terror of the Plains », dont la violence est mise en avant, et qui est opposé à « Knockout Bernie, the Wild Wolf of West Shokan », c’est-à-dire Bernard Austin Dwyer…

 

Restent des documents très divers… Je retiens notamment The Golden Caliph, mystérieuse « publication » (une tentative de journal amateur ?) par ailleurs inconnue (on n’en a trouvé que deux exemplaires, dont un incomplet, et tous deux figurent dans les papiers de Howard), datant de 1922 ou 1923, et comprenant plusieurs poèmes et articles du jeune homme (dont un sur le jazz, ou un autre sur les épées…) ; amusant…

 

Enfin, plein de couvertures de Weird Tales, abondant en jeunes filles dénudées (voire carrément à poil – ce qui m’a un peu surpris, naïf de moi, ce que j’en connaissais n’était pas à ce point dans mes souvenirs) – tout particulièrement celles signées par Margaret Brundage…

 

Au final, The Last Celt est donc un ouvrage fait de bric et de broc, sans doute essentiel en son temps pour le développement des études howardiennes (ne serait-ce qu’en raison de son abondante bibliographie, qui bouffe tout le reste), mais je doute qu’il présente véritablement d’intérêt aujourd’hui, si ce n’est pour les plus pointus des exégètes, curieux tant de la vie et de l’œuvre de Robert E. Howard que de sa réception critique et du développement des études howardiennes… Ça demeure un document, disons – un témoignage d’une autre époque…

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Daredevil (saison 2)

Publié le par Nébal

Daredevil (saison 2)

Marvel’s Daredevil, saison 2 (treize épisodes), 2016

 

Oui, il y aura probablement des SPOILERS dans ce qui suit, vous êtes prévenus…

 

La première saison de Daredevil, sur Netflix en 2015, avait vraiment constitué une bonne à très bonne surprise à mes yeux ; j’avais pas mal lâché l’affaire tant en matière de séries que de super-héros, et, sous ces deux angles, ça m’a bien donné envie de m’y remettre (même si, faute de temps disons, ça n’a pas forcément débouché sur grand-chose… pour le moment). Si l’ultra-violence affichée de la série avait pu me déconcerter (ceci étant, j’ai fait avec sans vraies difficultés dès l’instant que j’ai assimilé ce parti-pris, hein), j’avais été enchanté, globalement, par le rendu des personnages, bien dessinés (aha) et bien campés par des acteurs globalement bons à très bons – la cerise sur le gâteau résidant dans la qualité singulière de l’adaptation, qui parvenait à se montrer étonnamment fidèle, mais sans être servile pour autant, belle performance.

 

Dès lors, je ne pouvais qu’être alléché à l’idée d’une deuxième saison. Et, très vite, on a su quels personnages y figureraient – un duo de choc : le Punisher, et Elektra. Et là, je dois dire, malgré mon enthousiasme initial, j’étais globalement craintif… Parce que ces personnages, certes très bons sur le papier, a fortiori quand ils sont employés par les meilleurs auteurs du genre (Frank Miller bien sûr – créateur d’Elektra par ailleurs –, mais aussi, pour ce que j’en sais, Garth Ennis pour le Punisher), me paraissent aussi redoutables à mettre en scène, tant leur concept brillant s’accommode mal d’un traitement en demi-teinte, ne survivant pas à la moindre tentative d’édulcoration, et présentant par ailleurs toujours le risque de sombrer dans la caricature…

 

Mais ce sont bien, originellement, des personnages faits pour Daredevil – au sens premier du terme pour Elektra, créée par Miller dans son légendaire run du début des années 1980 et intimement liée à Matt Murdock (c’est peu dire), mais le Punisher y a également toute sa place (quand bien même il était déjà apparu ailleurs auparavant – sauf erreur dans Spider-Man, en tant que vilain) : l’intérêt de Frank Castle confronté à Matt Murdock en particulier – oui, au-delà des alias super-héroïques (la série en joue assez habilement, de même que des identités réelles) – réside dans une interrogation essentielle (mais courant toujours le risque d’être réduite à une fade parodie, donc…) sur la notion de justice (aveugle – forcément aveugle), autant que sur celle de droit, à distinguer de la précédente. En effet, le « Justicier dans la ville » Castle, incarnation ultime du vigilante brutal et qu’on qualifierait instinctivement de gros facho, secoue nécessairement les puces de Murdock, en le confrontant à ses contradictions : Daredevil a bien, lui aussi, au fond, son côté fascisant – peut-être inhérent au rôle même de super-héros, même si des décennies de traitement du thème ont bien montré que c’était sans doute un peu plus compliqué que ça –, dès lors qu’il endosse son costume, et quand bien même il ne saurait l’admettre devant quiconque ; mais, tout en se montrant ultra-violent, et limite tortionnaire dans ses interrogatoires, il ne franchit pas la (seule ?) ligne rouge du meurtre, au nom de principes plus ou moins bien définis, et plus ou moins pertinents : parce que catholique, parce que avocat et d’obédience assez clairement libérale, Murdock « ne finit pas le travail », ainsi que Castle lui en fait très vite le reproche… en le traitant nécessairement de « tapette ». S’agit-il alors d’hypocrisie de la part du démon de Hell’s Kitchen ? Or, au-delà même de ce questionnement des principes, il y a la réalité, concrète, terrible : Daredevil (qui, à la différence de bon nombre de ses comparses super-héroïques, exerce dans la rue, et souvent contre des criminels parfaitement humains, et non des super-vilains aux facultés surnaturelles – ce qui le rapproche probablement de Batman chez la Distinguée Concurrence) est contraint à affronter toujours les mêmes personnages, qu’il tabasse, assomme et envoie en taule – en attendant qu’ils en ressortent pour commettre exactement les mêmes crimes… et seules leurs victimes seront nouvelles. Fallait-il alors empêcher définitivement ces criminels de nuire à nouveau ? C’est bien entendu la rhétorique du Punisher, ou probablement plus encore celle de ses soutiens dans la société civile (aussi nombreux sans doute que ceux qui conspuent le faf)… Quoi qu’il en soit, ce triste sort ne différencie guère Daredevil, sous cet angle, des gens du commun, bien loin de toutes velléités super-héroïques : les flics d’Hell’s Kitchen, bien sûr, mais peut-être tout autant l’infirmière Claire Temple (Rosario Dawson, décidément très bien dans ce rôle – secondaire en termes d’apparitions à l’écran, essentiel au-delà), qui évoque sans détours ce problème… mais fait avec. Pourtant, sa nature même de vigilante devrait les en distinguer… Dès lors, Murdock est oppressé par une contradiction permanente, et ne peut s’en tirer (plus ou moins indemne, lui qui prend cher aussi bien au moral qu’au physique dans la série, ce qui n’est pas peu dire, et pour combien de temps encore ?) qu’en se raccrochant à des Principes Majuscules, ceux de la religion, et ceux du droit – qui ne supportent sans doute guère à terme l’examen critique tant ils deviennent leur propre justification : on ne peut que ressentir, de la manière dont c’est amené, une certaine gêne quand Murdock parle de « l’espoir » au cynique Castle… voire réserve en dernier ressort à Dieu le choix de l’instant où tout un chacun doit mourir. Ces principes, pourtant (qui sont largement les miens, hein, Dieu mis à part, je ne suis pas exactement un apôtre de l’autodéfense et de la justice sauvage…), se doivent d’être là, pour éviter que Daredevil, à l’instar du Punisher, tourne du justicier au criminel, ressemblant de plus en plus, meurtre après meurtre, à ceux-là mêmes qu’il est censé combattre…

 

La série joue bien de ces thématiques (plus complexes qu’elles n’en ont l’air, ma présentation est sans doute bien laborieuse…), et fait ainsi honneur au personnage du Punisher. Celui-ci, déjà adapté plusieurs fois au cinéma, ne s’y était alors guère montré sous son meilleur jour (en même temps, je dis ça, je crois n’en avoir vu que la version avec Thomas Jane, fade et lisse bisserie… Il y en a semble-t-il deux autres – la plus ancienne avec Dolph Lundgren…) ; mais il est vraiment brillamment campé ici, et superbement interprété par Jon Bernthal – j’assume pleinement le « superbement », j’avoue avoir été assez bluffé. Physiquement, ce Frank Castle-ci est sans doute assez éloigné du personnage de la BD, mais peu importe – au contraire, même, sa « gueule » contribue à la réussite de l’adaptation ; on devine forcément, au premier regard et sans le moindre cabotinage, que ce Frank Castle en a chié – mais sans caricature pour autant (voir à ce sujet, sans doute, les débats sur le trouble de stress post-traumatique qui « expliquerait », sinon « justifierait », sa croisade nécessairement psychopathe, aux yeux de ceux qui entendent se rassurer en affirmant la folie nécessaire du personnage). Et l’acteur est habité, qui se montre tour à tour – et sans que le passage d’un état à l’autre donne une impression d’artifice, ce qui n’était pas gagné – aussi inquiétant qu’émouvant. La maestria martiale du personnage, invraisemblable machine à tuer (il y a des scènes de combat et de fusillade proprement, ou plutôt salement, épiques, ça oui), n’est pas seule à le définir ; y participent tout autant ces échanges tendus (avec Daredevil alias « Red », avec Nelson et Murdock en tant qu’avocats, avec enfin Karen Page), où la haine et la certitude obstinée de la justesse de sa cause patinent à l’occasion, dans des éclats de voix brisée, dès lors que le passé, insupportable, doit refaire surface – ces scènes sont bien jouées, mais aussi remarquablement écrites : j’ai trouvé intéressant, ainsi, que le discours de Castle évoquant le massacre de sa famille soit aussi décousu, en plus d’être douloureux… Il fait vrai. C’est là la grande qualité de ce Punisher : « bigger than life » quand il se bat et tue, il est d’une humanité sensible et presque étouffante au-delà ; et pourtant il n’y a aucune contradiction entre ces deux dimensions.

 

Le cas d’Elektra est sans doute différent – et plus redoutable encore… Voilà un personnage totalement hors-normes, peu ou prou unique dans l’histoire des comics pour le peu que j’en sais, d’un charisme certain quand il est bien employé, au point éventuellement de voler la vedette à Daredevil, d’ailleurs, mais qui ne supporte absolument pas la médiocrité. On se souvient, hélas, du pathétique Daredevil de Mark Steven Johnson, honteux naveton qui avait abominablement détruit le personnage – qui s’était pourtant vu attribuer un film à part entière, que j’avoue ne pas avoir eu le masochisme de regarder… Ce fâcheux précédent pouvait laisser craindre le pire – à plus ou moins bon droit : après tout, le Daredevil de Charlie Cox avait heureusement et sans souci enterré celui de Ben Affleck… Mais bon, je suis d’un naturel pessimiste, hein. Cela dit, j’avais eu de bons échos de cette nouvelle incarnation avant de me lancer dans le visionnage de cette deuxième saison…

 

D’emblée, cependant, on peut noter que la série a plutôt soigné l’apparition du personnage à l’écran. Il y avait certes eu des allusions dès la première saison (plutôt en rapport avec Stick et Nobu, sauf erreur), et l’on savait depuis un moment qu’Elektra serait au cœur de cette deuxième saison. Il fallait sans doute lui préparer le terrain, ce que les auteurs ont plutôt bien accompli… au travers du personnage de Karen Page – interprétée par Deborah Ann Woll, que j’avais trouvée insupportable lors de la première saison, pourtant, tant elle donnait une pénible impression de dinderie tout du long. Est-ce le travail autour du personnage qui a changé entre les deux saisons, ou bien est-ce mon regard qui a évolué ? Je ne saurais rien affirmer ici avec certitude – tout en notant que d’autres camarades visionneurs l’ont trouvée aussi agaçante dans cette deuxième saison que dans la première… Pourtant, je l’ai trouvée autrement plus convaincante pour ma part – à la fois plus iconique et plus authentique. Évidemment, la romance, à terme, ne pouvait qu’être de la partie – et c’est une dimension qui prend de l’importance, progressivement, dans les premiers épisodes de cette nouvelle saison… Cela aurait pu m’ennuyer, mais non ; en fait, j’ai trouvé ça plutôt réussi, notamment dans la mesure où le personnage de Karen – que je trouvais donc largement débarrassé de la « vulgarité », disons, de ses anciens épisodes – est devenue, certes très séduisante, mais à un point que j’aurais envie de qualifier de douloureux. Il s’agit, dès lors, de cultiver cette mise en place… pour la massacrer juste avant le climax, via la réapparition inévitablement chronométrée d’Elektra, l’ex troublante de Matt Murdock, qui, rien qu’en étant en elle-même (si j’ose dire, bon…), dépasse toutes les conventions du désir et de la romance.

 

Je n’étais pas sûr que ça fonctionne très bien à cet égard, pourtant ; mais sans doute est-ce parce que, lors des épisodes où est apparue Elektra, j’étais contraint par une bête prévention forcément pessimiste… Et, forcément, je doutais du choix de l’actrice – là où le Punisher m’avait donc immédiatement convaincu. Je n’ai pas eu cette impression avec Élodie Yung, il m’a fallu attendre – en définitive, pourtant, elle s’en tire bien, et sans doute mieux que ça. Surtout, elle parvient – en s’appuyant sur un scénario bien conçu et une direction d’acteurs plus que correcte – à bien camper à l’écran la complexité du personnage de la BD. Au fil des épisodes, on oscille toujours dans notre perception de ce qu’est au juste Elektra – et c’est sans doute bien là ce qui en fait l’intérêt. Car Elektra est beaucoup de choses en façade – ce ne sont d’ailleurs probablement pas les aspects les plus sympathiques qui ressortent ainsi : enfant gâtée, vicieuse et sadique dominatrice, femme fatale au point d'en être psychopathe – et sans doute plus encore au fond, de manière autrement plus subtile : ressortent alors ces éléments de caractérisation, plus ou moins saisissables, qui font d’Elektra une figure à part, et justifient pleinement, au-delà d’une seule fascination par essence morbide, l’attachement irrémédiable, l’élan douloureux et le désir irrépressible d’un Matt Murdock qui ne peut évidemment pas lâcher l’affaire, quoi qu’il en dise… et redevient peut-être même le naïf jeunot séduit en son temps, dans ses années de fac, par l’icône inaccessible – et ne parvenant pas à comprendre comment il a pu y accéder.

 

Ceci, c’est sans doute la base. Il y a plus – et notamment, dans un questionnement parallèle à celui de la justice via la confrontation entre Daredevil et le Punisher, l’accent est justement mis sur la thématique de la liberté, ou peut-être plus exactement du libre-arbitre (avec ses corollaires, le choix, l’éducation confinant au conditionnement, peut-être plus largement le déterminisme, qu’il soit génétique ou social – et, non loin derrière, l’implacable et terrifiante idée du destin…). Force est de reconnaître, là encore, que les auteurs s’en sont bien tirés.

 

D’autant qu’il s’agissait d’un matériau dangereux, au-delà même de la seule complexité du personnage. On pouvait s’en douter après les apparitions de Stick et de Nobu en ninja dans la première saison, mais l’irruption d’Elektra impliquait sans doute de recourir dans cette deuxième saison à la Main. Or la Main, avec ses ultra-ninjas pléthoriques, habiles et silencieux, peut s’avérer aussi terrifiante que ridicule – fonction de comment on l’emploie au juste. J’avoue avoir eu très peur à cet égard, dans cette deuxième saison, du fait d’une scène cruciale qui m’a paru ne vraiment pas fonctionner : quand Stick revient dans la vie de Matt Murdock – pile au bon moment –, et lui résume ce qu’est la Main et ce que sont ses objectifs en trente secondes grand max. Ce qui sonne vraiment comme une blague – délibérément à certains égards, je veux bien le croire, mais ça ne m’a pas paru pertinent. Là, j’ai vraiment craint pour la suite – et pourtant, j’étais bien content de revoir Stick à l’écran, personnage que j’aimais beaucoup dans la BD, et brillamment campé par un Scott Glenn parfait pour le rôle… Heureusement, la suite des événements vient réparer les torts de cette mise en bouche hâtive – et, oui, la Main fait peur (parvenant sans peine à effacer les tristes et désormais inévitables clichés nanardesques sur les ninjas – oui, on est sans surprise très, très loin des films d’auteur de Godfrey Ho…). Reste à voir, cependant, ce qui sera fait de la dimension résolument fantastique introduite dans la série via la Main – tranchant sur l’atmosphère de guérilla urbaine et de corruption étouffante qui collaient jusqu’alors à la série : je ne me prononce pas pour le moment.

 

Confronté à tout ceci, Matt Murdock est bien sûr contraint d’évoluer – et Daredevil tout autant (avec son costume qui me laisse toujours un peu perplexe, mais bon, c’est le jeu – son casque lui boudine cependant le visage, non, ou alors c’est moi ?). Charlie Cox se montre toujours convaincant dans le rôle – mais nous apprenons plus que jamais à en découvrir des aspects guère sympathiques, tant le personnage, tiraillé de toutes parts, plus que jamais sous le coup de ses contradictions, et perdu dans un emploi du temps qui ne peut que le dépasser, est contraint à une multitude de choix douloureux… et il est loin de toujours faire les meilleurs. Ce qui introduit un drama douloureux dans le cadre de ses relations « professionnelles » avec Karen et Foggy, dont je ne sais trop que penser pour le moment… Au-delà cependant de cet aspect soap plus ou moins convaincant, j’ai en fait apprécié de voir Matt Murdock/Daredevil se planter régulièrement – ou, plus exactement sans doute, être du moins remis brutalement à sa place, que ce soit par ses amis (Foggy, Karen, Claire) ou par ses ennemis (la rencontre en prison avec Wilson Fisk est fabuleuse – globalement, d’ailleurs, le retour du Caïd, toujours aussi bien interprété par Vincent D’Onofrio, bien loin de constituer un bête « fan service », génère des scènes très fortes, peut-être même au point de balayer les quelques doutes que j’avais pu éprouver dans les épisodes du milieu de saison, certes pas mauvais, mais constituant peut-être quand même une sorte de ventre mou…), et, bien sûr, par d’autres personnages plus difficiles à cerner, au cœur même du propos (le Punisher, Elektra, Stick).

 

La série, enfin, bénéficie toujours globalement de sa technique, peu ou prou irréprochable – et ce quand bien même nombreux sont les réalisateurs embarqués dans l’affaire (le niveau reste heureusement assez constant). Comme dans la première saison, les combats sont soignés, bien chorégraphiés et dynamiques – le plus souvent du moins ; à ce jeu-là, cependant, il faut mentionner à part une séquence d’anthologie, vers la fin du troisième épisode (réalisé par Marc Jobst), où Daredevil se fritte avec des bikers dans un escalier, dans un long plan-séquence (ou peut-être faux plan-séquence, mais l’illusion est là, en gros) tout simplement phénoménal – c’est à n’en pas douter une des meilleures scènes de combat que j’aie jamais vues, tous formats confondus, toutes origines aussi. On avait pas mal parlé, lors de la première saison, d’un autre très beau plan dans le genre – un long et rude combat dans un couloir (alors forcément, couloir, baston, on pense à Old Boy, et il y a pire comme référence)… Mais, en ce qui me concerne, cette scène-là est encore plus stupéfiante. Largement.

 

J’imagine que l’on pourrait pester sur quelques éléments çà et là – certains ayant déjà été mentionnés, comme un potentiel ventre mou vers le milieu de saison, du drama très soap dans la vie « civile » de Matt Murdock peut-être un peu trop envahissant à l’occasion, des discours plus ou moins convaincants (Foggy à l’hôpital avec les ahuris des gangs, notamment – peut-être aussi, c’est plus gênant, quelques scènes judiciaires…), sans doute ici ou là quelques twists pour le coup un peu trop tordus… et, probablement, et comme pour la première saison d’ailleurs, un dernier épisode pas tout à fait satisfaisant au regard de ce qui précédait.

 

(Avec aussi le gag témoignant de ce que l’on peut parfaitement torturer un homme, et très graphiquement encore, à l’écran, mais certainement pas un chien…)

 

Des choses à relever, sans doute, mais qui, en définitive, sont de peu de poids dans mon appréciation de cette deuxième saison – qui s’en est plus que bien tirée, a fortiori si l’on prend en compte tous les éléments particulièrement casse-gueule qu’elle devait gérer. C’est plus qu’honorable, donc – et, pourquoi ne pas le dire ? Oui, c’est bien, voire très bien. J’ai le vague sentiment d’avoir un brin préféré la première saison, mais reste très satisfait de ce que j’ai vu. Et je veux bien d’une suite, oui.

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Almuric, de Robert E. Howard

Publié le par Nébal

Almuric, de Robert E. Howard

HOWARD (Robert E.), Almuric, traduit de l’anglais (États-Unis) et édité par Patrice Louinet, illustrations de Stéphane Collignon, Paris, Bragelonne, coll. Robert E. Howard, 2015, 423 p.

 

Almuric, qui conclut la trilogie informelle rassemblant les récits de fantasy et de fantastique de Robert E. Howard hors cycles à héros récurrents (après Les Dieux de Bal-Sagoth et Les Ombres de Canaan) est aussi le douzième volume de la belle collection consacrée à Robert E. Howard chez Bragelonne, sous la supervision du spécialiste Patrice Louinet… et aussi, semble-t-il, le dernier. Même si ces volumes étaient loin de constituer des chefs-d’œuvre individuellement (leur orientation exhaustive, presque « scientifique » d’une certaine manière, pesait sur la qualité globale des volumes, qui comprenaient tous leur lot de textes médiocres voire pires – j’aurai assurément l’occasion d’y revenir en traitant du présent ouvrage), je ne peux m’empêcher de le regretter, tant j’ai appris, à leur lecture, à découvrir et apprécier Robert E. Howard au-delà du seul arbre Conan, dissimulant une forêt fort touffue. J’étais curieux d’en lire encore d’autres choses – au premier chef les westerns de l’auteur, qu’il s’agisse de textes « légers » à la Breckinridge Elkins, ou d’autres plus sombres… Mais je suppose que l’on peut envisager les choses différemment, et se féliciter de ce que cette collection ne se soit pas arrêtée aux seuls trois volumes consacrés à Conan – ce qui, j’imagine, n’était pas gagné d’avance. J’ai tout particulièrement apprécié Bran Mak Morn, notamment… Et la collection étant publiée chez un éditeur orienté « imaginaire », j’imagine que la publication des récits historiques de Le Seigneur de Samarcande était d’autant plus improbable, et nous ne pouvons que nous en féliciter (par ailleurs, il m’en reste dans ce goût-là, El Borak et Agnès la Noire figurent encore dans ma bibliothèque de chevet…).

 

Ceci étant, pour en venir à ce volume précis, on reconnaîtra qu’il y a dedans à boire et à manger, ou, de manière peut-être plus juste, le pire comme le meilleur. À vrai dire, ce n’est certainement pas le volume le plus enthousiasmant de la collection – que non : globalement, même, c’est vraiment pas glorieux… Bien plus que son prédécesseur Les Ombres de Canaan, à mon sens, Almuric s’adresse donc aux fans de l’auteur (ou éventuellement aux plus curieux de ses lecteurs occasionnels, j’imagine que je me reconnaîtrais davantage dans cette catégorie) ; par ailleurs, j’ai le sentiment qu’une bonne part de son intérêt (car il y en a quand même un) réside dans l’appréhension globale de l’œuvre de Robert E. Howard, impliquant plus que jamais d’inscrire chaque texte dans un contexte : de manière peut-être un peu hardie, je pourrais dire que la plupart des récits compilés dans Almuric ne valent pas tant pour eux-mêmes que pour le parcours qu’ils dessinent (mais n’exagérons rien, il y a quand même d’appréciables exceptions).

 

Cette impression se dégage très tôt – à vrai dire dès le premier texte du recueil, et le plus long, à savoir le roman Almuric ; court pour un roman, sans doute, mais quand même bien trop long… Et pourtant probablement inachevé, en fait – se pose une question pour l’heure sans réponse bien définie quant à l’identité de l’auteur des dernières pages du manuscrit, dressant une conclusion précipitée et bien vilaine, façon happy end niaiseux, qui n’est visiblement pas Robert E. Howard lui-même… Ne pas commettre pour autant l’erreur d’en faire le mythique « dernier texte » de Robert E. Howard, il remonte en fait à février 1934 – à l’évidence, une entreprise ayant été conçue dans un cadre bien précis (un éditeur anglais qui demandait à Howard un roman – ce qui a plutôt débouché en définitive sur L’Heure du Dragon, compendium de Conan pas forcément très satisfaisant non plus, mais sans doute plus appréciable globalement), et justement abandonnée tant ça prenait l’allure d’une fausse route. Et effectivement : à tout prendre, Almuric, c’est quand même pas fameux, hein. Disons – avec un goût prononcé pour l’euphémisme – que « c’est du brutal »… Le héros est un certain Esau Cairn, une sorte d’ersatz de John Carter (la référence sans doute inévitable pour ce récit de « sword and planet », même si Patrice Louinet met en avant une autre saga d’Edgar Rice Burroughs), qui nous est présenté d’emblée comme une montagne de muscles – pas bête, non, certainement pas, mais qui n’en tend pas moins à régler tous les problèmes avec ses poings, parce que. Fuyant la police (pour des raisons, euh, « compliquées »…), il trouve refuge chez un « scientifique » (auteur de la « préface » du roman), lequel trouve tout naturel d’user de son « Grand Secret » (sans rire) sur le fugitif, pour le projeter sur une lointaine planète inconnue (il n’entend bien sûr pas fatiguer les lecteurs avec quelque chose d’aussi saugrenu qu’une « explication », pas plus qu’il ne dit comment il a pu malgré tout recevoir le récit des aventures de Cairn, mais j’imagine que ça fait partie du jeu). La planète a nom Almuric (donc), et a bien quelque chose d’une utopie barbare… Esau Cairn y cause un peu (en anglais, ou alors en fait non, mais euh on sait pas, bon pas grave) avec les hommes velus du coin et leurs gracieuses femelles (non, pas velues, elles, bizarrement), dont une a le bon goût de se faire enlever par les méchants (des hommes volants au service d’une reine démoniaque et potentiellement lubrique) ; surtout, il passe en fait tout son temps ou presque à se battre en beuglant (tout le monde beugle dans ce roman, le terme revient très souvent). Ça n’arrête pas, du début à la fin, de la baston à chaque page ou presque. Et, euh, ben… c’est pas fameux. Donc. Répétitif et vite saoulant, à force d’action frénétique mais sans guère d’enjeu – et encore moins de semblant d’originalité… En fait, à la lecture « dans le vide », je n’ai pas manqué, instinctivement, d’inscrire ce machin dans le cadre de la fameuse controverse opposant Robert E. Howard à son non moins fameux correspondant H.P. Lovecraft, civilisation contre barbarie, et, dans le cadre d’un sous-débat corrélé, mental contre physique ; dans le vide, là, comme ça, j’ai eu l’impression d’une sorte d’exutoire aux considérations les plus frustrantes du débat, tant ça pousse l’éloge de la barbarie et la passion du muscle à des extrêmes impressionnants… Hypothèse qui semble confirmée par Patrice Louinet dans son indispensable postface, ouf.

 

« Le Jardin de la peur » est un récit de James Allison (a priori le dernier). Le bonhomme est en bien mauvais état, comme d’habitude, et se souvient, comme d’habitude, d’une de ses vies antérieures (avec l’idée de « mémoire raciale » peut-être plus que de réincarnation à proprement parler – thème cher à Howard, qu’il y ait à proprement parler « cru » ou pas), autrement « physique » – cette fois le nordique Hunwulf, il y a bien des milliers d’années. Bon, au-delà de ce prétexte, la trame ne passe pas très bien, hein : là encore, une jolie jeune femme qui a la bonne idée de se faire enlever par un homme noir volant (juste après Almuric, c’est un peu gag, du coup – mais le roman est semble-t-il un brin postérieur à cette nouvelle)… Quelques choses pas inintéressantes, pourtant : l’idée de cette créature comme étant le dernier représentant d’une ancienne race qui n’éveille pas pour autant la curiosité de l’héroïque barbare et, dans le même registre, les perceptions différentes de Hunwulf et James Allison, qui se superposent sans nécessairement se recouper – des idées que nous retrouverons à plusieurs reprises dans ce volume, riche en tentatives et tout autant en abandons ou du moins en traitements guère satisfaisants, y compris sans doute aux yeux de l’auteur lui-même, patinant sur le sujet. Le présent texte n’en est pas moins globalement quelconque – et, à titre de comparaison, il n’a pas le souffle de « La Vallée du Ver », autre récit de James Allison qu’on trouvait dans Les Ombres de Canaan.

 

« La Voix d’El-lil » se passe pour l’essentiel en Afrique de l’Est, où deux explorateurs censément bien différents (un gros dur de narrateur – au deuxième degré –, et un érudit qui a la bonne idée d’être originaire de Nouvelle-Angleterre) tombent inopinément sur une colonie secrète de Sumériens, restée inconnue du monde (enfin, du monde blanc, et arabe sans doute) pendant près de quatre mille ans – un thème assez récurrent sous une forme ou une autre, dans ce volume mais aussi bien au-delà, qui s’accompagne ici de considérations sur les origines et les mouvements des peuples et sur la décadence inéluctable des grandes civilisations, narquoises cependant quant à la chimère du progrès (la stabilité/stagnation des Sumériens exilés paraissant dans un sens préférable…). Le problème est sans doute que Howard n’en fait pas grand-chose en définitive : une fois que les héros, capturés, ont eu le temps d’avoir un aperçu de leurs étonnants geôliers et ont fini de papoter sur ces origines et déplacements antiques et sur la grandeur de Sumer, une jeune femme autochtone (la seule à pouvoir servir d’interprète – ben oui, elle avait été enlevée en son temps par les Noirs du coin) prend fort à propos sur elle de les libérer, et donc baston, et pif-paf-boum, hop. Classique, quoi – mais plus ou moins enthousiasmant, et sans doute plutôt moins que plus. Le style, parallèlement, oscille entre l’efficacité actionneuse habituelle, et quelques tentatives assez lourdes à mes yeux et mes oreilles de poétiser la chose (notamment le coup du gong, donc, puisque c’est ceci « La Voix d’El-lil »), jusqu’au délire, sans grande réussite… Patrice Louinet, dans sa postface, note que la nouvelle est à peu près contemporaine du début de la correspondance entre Robert E. Howard et H.P. Lovecraft (qui se penche alors entre autres, à longueur de pages, sur cette question des origines des peuples et de leurs migrations antiques – aussi bien du côté de l’Irlande que du Moyen-Orient) ; dès lors, le coup du scientifique spécifié comme étant originaire de Nouvelle-Angleterre, avec son comparse plus fruste, pourrait être une allusion aux deux correspondants… ou pas (j’avoue être un peu sceptique – même si la précision sur l’origine de l’érudit a quelque chose de troublant ; ça me paraît un peu tôt dans la relation des deux bonshommes, en fait ; en tout cas, les deux ont bien échangé sur ce texte précis après sa parution, Lovecraft disant – comme toujours ? – l’avoir apprécié, mais prenant le temps de relever des « erreurs » plus ou moins excusables de la part de son jeune collègue…).

 

« La Hyène » est un récit de jeunesse (Howard avait dix-huit ans, il avait tout juste réalisé ses premières ventes), alors on ne sera pas trop sévère… Afrique. Narrateur pas trop aimer Noirs, surtout Noir beau à poil. Mais femme blanche aimer regarder Noir beau à poil (gros kiki ?). Narrateur dire pas bien, mais femme blanche pas écouter (salope). Forcément. Et forcément Noir beau à poil enlever femme blanche – et vouloir tuer Blancs. Femme blanche couiner à l’aide, narrateur viril (lui aussi gros kiki, ah !) arriver, tuer Noirs, et comprendre Noir beau à poil être en fait hyène. Ah ! L’aurait pu y avoir un truc pas inintéressant dans le point de vue – entre jalousie et racisme paranoïaque biaisant tout –, mais en fait non… À tort ou à raison, j’y ai vu un lointain brouillon de « Les Ombres de Canaan », mais sans le métier sauvant (presque) ce récit plus tardif…

 

On passe à tout autre chose avec « Une sonnerie de trompettes », un texte coécrit avec F. Thurston Torbett, fin 1934, début 1935 – qui est une nouvelle pour le moins étonnante… Réussie, je n’en suis franchement pas certain, mais étonnante… Rendez-vous compte, il faut attendre la toute fin pour avoir un ersatz de baston ! Mais normal, en fait, dans la mesure où cette aventure indienne relève avant tout de la romance surnaturelle – avec une jeune femme anglaise en guise de personnage point de vue (diantre), qui tombe sous le charme d’un mystérieux et beau yogi. Bon, c’est passablement laborieux à l’occasion, hein… Mais pas inintéressant. Surprenant, oui… Pas forcément réussi, mais surprenant…

 

Suivent quelques textes plus courts, et tout d’abord « Le Cobra du rêve », qui adopte à nouveau un contexte indien, mais à peine esquissé – et sans grande importance probablement. Il s’agit en fait d’y reprendre le cauchemar howardien déjà évoqué dans « Le Serpent du rêve » (dans Les Ombres de Canaan), développé cette fois sous la forme d’un supplice un peu tordu, dont le traumatisme persiste, bientôt fatal. Pas plus convaincant que ça tant c’est globalement cousu de fil blanc – probablement bien plus réussi cependant que la nouvelle originale.

 

« Le Fantôme sur le seuil » est à nouveau un court récit en forme de « confession » (je ne connaissais pas le terme, sauf erreur, avant de lire Les Ombres de Canaan, où on en trouvait quelques autres), rapportant une banale histoire de fantôme, que le contexte irlandais (et historique) ne parvient pas à sauver. Sans intérêt aucun…

 

« Delenda Est » (le titre est de Glenn Lord) est à nouveau un récit historique à base de fantôme, mais autrement plus convaincant. Le cadre historique, cette fois, est celui de l’agonie de l’Empire romain d’Occident, telle qu’elle est perçue chez les Vandales de Genséric ; je ne suis pas sûr que ça tienne parfaitement la route au regard de la réalité historique (j’en doute un peu, mais ne m’y connais pas assez pour me prononcer), et l’identité du fantôme ne fait aucun doute bien avant sa « révélation » dans une chute qui tombe à plat, mais j’ai trouvé que ça marchait bien – il y a une vraie chouette ambiance, et des personnages qui ont suffisamment de chair et d’âme pour qu’on s’y intéresse. Outre, bien sûr, la joie de la perspective de massacrer Rome et donc la civilisation, en rejoignant hardiment le camp des barbares…

 

« Le Fléau de Dermod », enfin, est une nouvelle tentative de raconter une histoire de fantôme dans un cadre irlandais (contemporain cette fois, mais imprégné de sombres réminiscences historiques). Sans être extraordinaire, ça fonctionne autrement mieux que l’inutile « Le Fantôme sur le seuil », et le cadre parvient à captiver l’attention – même si la trame, minimale, est là encore passablement convenue ; l’ensemble parvient cependant à se montrer étrangement émouvant, c’est déjà ça.

 

On retourne alors à deux textes plus longs. « La Vallée Perdue » (1931-1932) est sans doute à replacer avant toute chose dans le contexte de son écriture pour Howard (c’est vrai pour bien d’autres récits de ce recueil, donc, mais ça me paraît d’autant plus important ici). Adonc, ce texte est à peu près contemporain de « Les Vers de la Terre », très chouette nouvelle de Bran Mak Morn, et brode sur la même idée – enfin, c’est une des idées de ce texte très riche… – d’une civilisation dégénérée repliée dans les souterrains ; sans doute y a-t-il là un écho de la thématique du « Petit Peuple » (illustrée plus globalement par le recueil Bran Mak Morn, en dehors des seuls récits consacrés au roi des Pictes), débouchant d’une certaine manière sur un texte pouvant évoquer, assez clairement, le correspondant Lovecraft (et notamment celui de « Le Tertre », antérieur mais pas publié, et de Les Montagnes Hallucinées, roman sauf erreur contemporain – mais qui ne serait publié qu’un peu plus tard –, et enfin de « Dans l’abîme du temps », nouvelle toutefois bien postérieure) ; la dimension horrifique porte sans doute l’empreinte du gentleman de Providence, mais à vue de nez, j’aurais tendance à envisager tout ça, globalement, comme une convergence d’intérêts, davantage que comme une influence à proprement parler (mais c’est peut-être à débattre ; notons au passage que lesdites civilisations envisagées par Lovecraft dans les textes cités sont pré-humaines, pas celles d’Howard). Mais cette nouvelle est aussi contemporaine, pour Howard, de la vente de « L’Horreur dans le tertre », chouette nouvelle figurant dans Les Ombres de Canaan, et dans laquelle l’auteur, bien inspiré, avait inscrit son thème fantastique dans le cadre hautement évocateur, et alors inhabituel dans ce genre, du Texas, empreint de réminiscences de western – dimension encore accentuée, c’est rien de le dire, dans « La Vallée Perdue », qui s’ouvre sur une sanglante vendetta opposant d’habiles et fanatiques maniaques de la gâchette. Le mélange de ces deux dimensions aurait pu être hasardeux, mais il me paraît en fait bienvenu et plutôt convaincant – voire plus : ça fonctionne très bien, en fait. Et la conclusion particulièrement rude en rajoute encore dans l’intérêt de ce texte, clairement un des meilleurs de ce recueil (certes globalement médiocre à mon sens…), et probablement même le meilleur.

 

Je ne suis pas vraiment aussi enthousiaste pour ce qui est de « Le Roi du Peuple Oublié »… Pourtant, ça partait plutôt bien – avec un cadre mongol évocateur quand bien même abstrait, d’inévitables références à l’inévitable modèle Gengis Khan, et, très vite, des délires de « weird science » on ne peut plus pulp (avec d’emblée des araignées géantes, paf !), et plutôt sympathiques : on avait en effet demandé à Howard de tenter la chose, en remplaçant son fantastique relativement traditionnel par de la science ou pseudoscience, typiques sans doute d’une SF en gestation, ou peut-être plus exactement déjà en évolution rapide. Le problème, à mon sens, c’est que Howard veut mettre trop de choses dans ce texte – et à force d’accumuler les trouvailles pseudoscientifiques (sans véritables explications, bien sûr, comme dans Almuric), en les mêlant artificiellement à une vague trame globale qui semble bifurquer en permanence, mais pouvant peut-être, en définitive, évoquer L’Homme qui voulut être roi de Kipling, en moins subtil, l’auteur se disperse, et ça ne prend plus (pour moi, en tout cas) ; en fait, plus on avance, et moins le texte se montre convaincant – se plongeant même graduellement, et en roue libre, dans le ridicule le plus achevé, que le délire pulp ne parvient pas à justifier – à mon sens toujours, hein. Et la fin (au sens large, j’imagine, et au-delà de son vague racisme bien dans les critères du temps sans doute, et n’appelant probablement pas davantage de commentaires) m’a franchement fait l’effet d’une parodie…

 

On entre alors dans les appendices, assez conséquents, avec tout d’abord quatre fragments d’histoires de James Allison, débutant peu ou prou de la même manière (avec une exception notable) : « J’ai été untel… » ou une variante de même signification, après quoi James Allison, agonisant, se lance dans une tirade nécessaire sur le thème de la « mémoire raciale » qui lui est associé – vantant la dimension « physique » de l’ancêtre dont il va narrer les exploits.

 

Quatre fragments, donc, et d’intérêt divers. Le premier est probablement le plus « classique », et, en tant que fragment, ne présente pas forcément beaucoup d’attraits. En fait, des scènes et des phrases entières en ont été reprises (en tout cas dans « Le Jardin de la peur », dans le même volume) ; je n’y vois pas grand-chose de plus à noter… si ce n’est cette étrange expression, portant sur « la vallée d’Akram, hantée par les démons » ; inévitablement, j’ai pensé à cette expression qu’on rencontre sauf erreur plusieurs fois chez Lovecraft, envisageant « Arkham, ville hantée des sorcières… » ou « Arkham, hantée par tant de légendes… » Peut-être une simple coïncidence plutôt qu’une allusion (gratuite, de toute façon) à proprement parler, je n’en sais rien… Mais ça m’intrigue, donc.

 

Le deuxième fragment témoigne clairement d’un échec. Sur une base évidemment similaire, Howard se perd bien vite dans des considérations ethno-historiques passablement lourdes, guère à leur place dans un récit de fiction, en tout cas sous cette forme, tant ça tourne à l’essai, et presque au pamphlet, maladroitement maquillé (et guère fondé sans doute) ; après quoi Howard se précipite, sur la brièveté d’un canevas directement repris dans « Le Jardin de la peur » avec une ampleur bien différente, vers une « conclusion temporaire », bien trop hâtive, et clairement pas satisfaisante (avec joyeux mariage, paf, allons bon…) ; mieux valait laisser tomber, en effet.

 

Le troisième fragment est par contre celui qui m’a le plus intéressé, et le plus singulier par ailleurs ; il ne débute pas comme les autres, repoussant l’implication de James Allison et sa tirade quant à son rapport à la « mémoire raciale » après une introduction bien autrement efficace : la naissance d’un enfant à la jambe difforme, abandonné comme il est d’usage au froid et aux loups ; mais les loups adoptent l’enfant et le nourrissent… Howard en fait le point de départ des nombreux récits mythiques construits sur cette base – manière élégante, je suppose, de relativiser la référence immédiate pour nous à Romulus et Remus, fondateurs d’une Rome destinée à incarner à terme la pire des abjections pour notre auteur pro-barbares ? Ainsi, il opte pour une méthode employée dans un autre récit de James Allison, « La Vallée du Ver » (dans Les Ombres de Canaan), et fournit un substrat fascinant à son récit épique, qui permet de le transcender via la profondeur mythologique. Hélas, il s’arrête bien vite… C’est dommage, car j’ai trouvé ce début vraiment prometteur. Et puis le nom du personnage est enfin avancé dans les derniers paragraphes du fragment : Ghor. Ce qui m’a fait un peu tilter – non, pas à cause du Gor de John Norman, voyons… C’est que je me souvenais vaguement d’un bouquin de Necronomicon Press croisé lors de mes fouinages lovecraftiens, intitulé Ghor, Kin-Slayer : The Saga of Genseric’s Fifth-Born Son (le sous-titre confirme bien le lien au-delà du seul nom) et dans lequel moult auteurs notables (parmi lesquels Karl Edward Wagner, Michael Moorcock, ou Ramsey Campbell – plus quelques noms terrifiants, comme A.E. Van Vogt ou Brian Lumley…) ont écrit la suite de cette alléchante introduction… Aucune idée de ce que ça vaut, par contre (je ne me fais guère d’illusions, à vrai dire, mais je suis d’un naturel pessimiste…).

 

Le très bref quatrième fragment consiste pour l’essentiel en une scène de supplice, et il n’est pas possible d’en tirer grand-chose… Il est cependant accompagné d’un synopsis développant un peu l’histoire telle qu’elle était projetée. Guère palpitante… On retrouve l’idée exposée dans « Le Jardin de la peur » de cette survivance de temps anciens que doit affronter le héros. Une chose à noter, cependant – et qui change peut-être pas mal la donne : cette fois, Howard ne se contente pas de poser son héros en « Aryen » d’une époque fort ancienne mais autrement indéterminée, et de faire de son ennemi une créature clairement surnaturelle à nos yeux – le héros est désigné (mais dans le synopsis uniquement) comme un Cro-Magnon, et la bestiole qu’il doit vaincre est un Neandertal…

 

« Le Cavalier-Tonnerre » (titre de Glenn Lord) est une nouvelle inachevée qui, à vue de nez, ressemble beaucoup à du James Allison ; mais cette nouvelle histoire de « mémoire raciale » (affectant un certain John Garfield, cette fois) s’en éloigne cependant quelque peu et de manière finalement bienvenue, en adoptant un cadre différent : en effet, l’ancêtre mythique n’est pas ici un Aryen archétypal des temps antédiluviens, mais un Comanche – et les épisodes remémorés datent de notre XVIe siècle. Howard bénéficie donc une nouvelle fois de l’inscription de son récit dans le cadre du sud-ouest des États-Unis, Texas et Oklahoma en gros, ce qui lui a régulièrement réussi, et en tire quelque chose de plus original encore, sans doute, en faisant de l’Indien fruste son héros (ça ne devait pas arriver tous les jours à l’époque, je suppose). Bizarrement (ou pas ?), j’ai trouvé que c’est à partir du moment où l’élément purement imaginaire entre en jeu (hors prétexte de la « mémoire raciale », ceci dit assez finement détaillé dans ses conséquences les plus intéressantes – les points de vue et éthiques incompatibles, disons), avec une énième civilisation oubliée (d’inspiration aztèque, on va dire) que Howard perd le fil – la fin du texte tient clairement plus du plan qu’autre chose, c’est totalement précipité et largement convenu, jusqu’à une conclusion foireuse… Dommage, parce qu’il y avait matière.

 

Même chose à certains égards pour « Nekht Semerkeht » (titre de Glenn Lord là encore), semble-t-il un des derniers récits sur lesquels a travaillé Robert E. Howard avant son suicide, et peut-être même le dernier. Même cadre géographique en gros, et historique aussi à vrai dire, et même dérive vers une civilisation inconnue ; mais le héros est cette fois un conquistador du nom de Hernando De Guzman, cherchant tel Coronado quelque mystérieuse cité d’or dans ce qui deviendra le sud, ou sud-ouest, des futurs États-Unis. Et, ce qui fait l’intérêt du fragment (là encore, sa dernière partie tient plus du synopsis qu’autre chose), c’est probablement la noirceur profonde du ton, encore accentuée par les monologues morbides du héros… Inévitablement, on tend maintenant à lire ce texte en ayant en tête le suicide de l’auteur. Ce qui n’est pas sans conséquences quant à l’appréhension du récit, bien sûr…

 

Et même chose encore, à certains égards, pour le poème « Le Tentateur » (en version bilingue, comme d’habitude), qui achève ce dernier volume – encore que ce soit plus compliqué que ça. Le père de Robert E. Howard, le docteur Isaac Howard, avait présenté ce texte comme un des derniers sur lesquels a travaillé son fils – un peu la même chose, peut-être, encore qu’avec une dimension mythologique moindre, que ce que l’on avait alors prétendu concernant le célèbre « All fled, all done… » censé (à tort) avoir été trouvé dans la machine à écrire de l’auteur quand il s’est tiré une balle dans la tête… « Le Tentateur » date en fait de 1929 au plus tard ; dès lors, l’intérêt de ce poème extrêmement morbide et désespéré consiste plutôt à relativiser le contexte précis du suicide de Robert E. Howard – le coma terminal de sa mère décidant du geste fatal –, en insistant sur l’ancienneté des pulsions autodestructrices de l’auteur. Oui, sans doute… Encore que minimiser le contexte précis de 1936 de ce seul fait ne me paraisse pas forcément très pertinent, chose qui m’avait déjà interpellé dans la biographie de Mark Finn Blood & Thunder (d’autant qu’il faut prendre en compte le caractère impulsif du geste…). Conclusion rude, cependant, pour le volume, et pour la collection, donc…

 

Un goût amer en bouche quand on retourne la dernière page, du coup… Pour plein de raisons : la dernière nouvelle et le poème morbides à souhait, et l’arrêt de la collection, peut-être plus en fait que la médiocrité relative de cet ultime volume. Oui, Almuric n’est effectivement « pas très bon »… En fait, c’est peut-être le volume le plus faible de la collection, pour ce que j’en ai lu et pour autant que je m’en souvienne ; peut-être, dès lors, ne devrait-on pas le lire uniquement pour les textes en eux-mêmes – pour le plaisir que l’on pourrait en retirer indépendamment de toute analyse reposée, indépendamment de leur contexte aussi… Le regard global a ici son importance, sans doute plus qu’ailleurs. Dès lors, on ne prétendra pas qu’Almuric constitue un ultime feu d’artifices tout à la gloire de l’auteur dans ses œuvres, certes pas ; loin de là, c’est un recueil en demi-teinte, assez clairement, qui demande à être approché d’une manière bien particulière – il a cependant alors son intérêt, mais aux yeux des fans, donc, ou du moins des lecteurs curieux, prêts à subir des textes plus faibles, car désireux de mieux comprendre, derrière, une œuvre globale, et un auteur étonnant…

 

Je n’en ai cependant pas fini avec Robert E. Howard – ma prochaine lecture en la matière sera sans doute El Borak ; à un de ces jours…

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