SIMONSON (Walter), Thor, 1983-1984, [s.l.], Panini Comics / Marvel, coll. L’intégrale, série Thor, [1983-1984] 2007, [s.p.].
Dans la longue série des grands super-héros Marvel, Thor est probablement un de ceux qui me paraissent le moins intéressants ; j’ai toujours trouvé notre blondinet baraque au langage ampoulé vite lourd, et manquant (et pour cause) de l’humanité et des faiblesses qui font la richesse des meilleurs personnages Marvel. Ben oui, c’est un dieu ; alors, en tant que Donald Blake, c’est sûr qu’il la ramène moins, mais bon ; à faire tout le temps intervenir cette seule et unique faiblesse, on se répète un peu. Et puis, finalement, qu’est-ce qu’il peut être plat ! C’est souvent juste un type balaise avec des fringues ridicules et un gros marteau. On lui préférera, et de très très loin, son pendant dans l’univers Ultimate, créé par le très bon Mark Millar : Thor, en alter-mondialiste néo-babos potentiellement schizo et résolument pacifiste, même s’il a toujours son gros marteau, est beaucoup plus sympathique, tout de même ; et accessoirement, quand il s’énerve, ben là on sent vraiment que c’est un dieu…
Alors, quand j’ai vu l’autre jour dans les rayonnages de ma librairie préférée ce premier volume d’une « intégrale » (en fait, pas vraiment) consacrée au fils d’Odin, j’ai été pour le moins surpris, et un brin sceptique. Mais, la curiosité et la collectionite aiguë aidant, le gros volume n’en a pas moins fini dans mes achats.
Première surprise : le nom, unique, de l’auteur, Walter Simonson ; je savais que le sieur Simonson avait eu son heure de gloire, à la fois en tant que dessinateur et scénariste, fut un temps. J’ignorais, par contre, que Marvel avait eu l’audace de lui confier le scénario et le dessin d’une même série (et pas n’importe laquelle, qui plus est) ; ça arrive pas tous les jours, quand même : il y a bien eu Frank Miller sur Daredevil (et, semble-t-il, David Mack de même), ou encore Todd McFarlane sur Spider-Man, mais je n’en vois pas 36 000 autres exemples. Et, en tout bien tout honneur, il faut bien reconnaître que Simonson n’est pas vraiment McFarlane, et encore moins Miller… La couverture laisse déjà entendre que son dessin, s’il peut être sympathique et dynamique, est parfois, mmf, « contestable » (j’aime bien l’anatomie qui part en couille, encore faut-il l’utiliser à bon escient, et c’est pas toujours le cas ici).
Mais, heureusement, le scénario est beaucoup plus intéressant… et, au final, j’ai passé un excellent moment à lire ce gros recueil qui a nettement contribué à faire remonter Thor dans mon estime.
Simonson, qui est semble-t-il un fan de la première heure, a en effet l’intelligence de ne garder que ce qui fait le meilleur de Thor, et d’éliminer au plus tôt les diverses casseroles qu’il peut se traîner. Il sait, par exemple, que Thor n’est guère convaincant dans des aventures super-héroïques traditionnelles, pour les raisons évoquées plus haut ; il s’agit, par contre, d’un personnage de choix pour des récits de fantasy ou de « science-fiction » (encore que cette dernière appellation ne soit pas très juste ; j’entends par-là les récits « cosmiques » qui, chez Marvel, fourmillent de dieux et autres entités inconcevables). Le premier épisode, ainsi, commence par poser, en trois pages fort énigmatiques, les premières bases d’une saga (et, du coup, le terme est pour une fois particulièrement approprié) destinée à se prolonger, semble-t-il, sur l’ensemble du run de Simonson ; puis, après un bref passage « terrestre » centré sur le falot Donald Blake, Thor fait son apparition, et prend immédiatement le chemin de l’espace. Il y fait une rencontre déterminante, celle de l’alien surpuissant Beta Ray Bill, destiné à endosser à son tour l’armure de Thor et à brandir Mjolnir ! Un personnage très réussi, à l’apparence monstrueuse, mais incarnant une certaine bonté supérieure, avec un charisme triste qui n’est pas sans évoquer Elric le Nécromancien. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais sachez seulement qu’au terme de cette rencontre, la vie de Thor sera entièrement bouleversée : exit Donald Blake, Thor sera désormais toujours Thor ; et, étrangement, cela fera ressortir d’autant plus ses véritables faiblesses, et lui forgera enfin un caractère… Et il sera bientôt impliqué dans de nouvelles aventures, généralement cosmiques ou mystiques – un petit tour en Faërie, par exemple, dans le sinistre royaume des Elfes noirs et de leur cruel chef Malekith –, récits tous plus palpitants les uns que les autres, constituant peu à peu la saga, jusqu’à parvenir à un final apocalyptique… et un cliffhanger particulièrement frustrant ! M’est d’ores et déjà avis que le prochain volume de cette « intégrale » pourra se résumer par la sentence favorite de la Chose : « Ca va castagner ! » Chouette…
Mais il y a aussi bon nombre d’autres bonnes idées, ici ; Simonson sait, le temps d’un interlude, mettre de côté son héros pour se concentrer sur d’attachantes figures secondaires, par exemple celle de Balder le Brave, cet ancien héros reclus dans la dépression et l’obésité, terrassé jour et nuit par le souvenir des innombrables morts qu’il a sur la conscience. Les divers personnages du Walhalla sont employés à merveille, ainsi le sympathique Volstagg, ou encore Odin, souvent ambigu, et, bien sûr, Loki, plus fourbe que jamais… Et certains récits sont portés par un souffle épique très appréciable, comme, par exemple, celui racontant le destin du dernier des vikings. Un peu d’humour de temps à autre, un peu de romance également (avec ce qu’il faut de manipulations et de tromperies pour rendre la chose intéressante…), viennent de temps à autre faire quelque peu diversion, sans qu’on ne tombe jamais dans la gratuité.
Ce premier volume d’une « intégrale » de Thor (comprenant en fait uniquement les épisodes créés par Walter Simonson) constitue donc en fin de compte une bonne surprise et une lecture agréable ; j’attends pour ma part la suite avec impatience...
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