MAUMEJEAN (Xavier), Freakshow!, [s.l.], Baleine, coll. Club Van Helsing, 2007, 189 p.
Club Van Helsing, épisode 4. Enfin, en ce qui me concerne, puisque je les lis comme je les trouve… Or Freakshow! est le dernier épisode – le huitième – de cette première « saison » de la collection. Le terme de « saison » n’est pas anodin, et employé par Xavier Mauméjean lui-même, co-directeur de la collection avec Guillaume Lebeau-non-je-n’en-dirai-pas-davantage, et qui signe ce final. Le Club Van Helsing a bien une base feuilletonesque, dans un sens passablement télévisuel, chaque volume constituant un récit à part entière, s’insérant néanmoins dans une « méta-histoire » plus vaste. Je ne reviendrai pas plus en détail sur le Club Van Helsing ici, j’ai d’autres chats à fouetter (curieuse expression, j’aime bien…) ; voyez mes notes sur l’excellent Délires d’Orphée de Catherine Dufour, le très sympathique Mickey Monster de Bretin et Bonzon, et, mais seulement si vous l’osez, l’étronesque Tous ne sont pas des monstres de Maud Tabachnik-non-je-ne-ferai-pas-de-jeu-de-mots.
Abordons directement cet ultime opus. Qui m’alléchait, je dois dire, because of que Xavier Mauméjean est quelqu’un qui m’inspire plutôt confiance (bien qu’étant diplômé en philosophie, ce qui a de quoi faire peur, je vous l’accorde). Je m’étais en effet régalé avec le superbe La Vénus anatomique, uchronie déjantée et réjouissante mettant en scène La Mettrie (auteur supposé de la recension), Casanova, Vaucanson et Fragonard (pas le peintre, l’anatomiste, avec ses fameux écorchés), entre autres, un petit bijou d’érudition hilarante et d’aventure foutraque qui avait très légitimement remporté le prix Rosny-Aîné. Autant de points positifs laissant augurer, bien que dans un genre très différent, un Freakshow! pour le moins jouissif.
C’est Noël. Youpie… Au Bedlam Asylum, c’est la fête, comme partout ailleurs. Enfin, façon de parler, dans la mesure où nos chasseurs préférés s’emmerdent quand même plus qu’un peu. Pas très longtemps, ceci dit, le papa Noël débarquant bien vite sous la forme d’un commando vicelard de vampires et de loups-garous, blanc cadavre et rouge sang. Les convives s’en prennent plein la poire, en dépit de l’intervention musclée du Giri, trouble organisation nippone qui sent fort le ninja et le yakuza. On compte quelques fâcheuses pertes pour le Club, et Hugo Van Helsing doit bien vite se rendre à l’évidence : le chasseur qu’il était est désormais chassé, et les rôles s’inversent pour la plus grande joie des lecteurs (et au mépris de la « règle » imposant en principe « un chasseur, un monstre », mais bon, c’est pas la première fois, et puis on sait bien que les lois n’existe que pour être violées…).
Van Helsing identifie bien vite son ennemi : ce ne peut être que le légendaire Phineas Taylor Barnum, le fameux homme de cirque, le maître des freaks. Qui n’est pas mort, bien entendu, de même que ses fidèles serviteurs l’arrogant Tom Pouce ou les Siamois Chang et Eng, parmi bien d’autres. Les monstres ont déclaré la guerre aux chasseurs, et leurs méthodes ont évolué avec le siècle : tous les comptes bancaires de Van Helsing sont gelés, et il se retrouve dans l’incapacité d’agir…
Il se rend donc aux Etats-Unis pour y affronter son ennemi, accompagné de la survivante ultime, l’ex-tueuse du KGB Tatiana Dovchenko, impatiente de jouer de la faucille et du marteau (en uranium de Tchernobyl, s’il vous plaît) contre la parade des monstres, et d’un avocat hippie et incompétent, tandis qu’un autre rescapé du Club, James Citrin, mène son enquête et prépare la riposte en Angleterre, bien vite rejoint par la top model psychopathe Farimba Rochelle ; l’occasion de retrouver ce bon vieux Turkish Delight, l’éternel indic qui sait tout sur tout, ou encore de croiser l’énigmatique Aidan Most, légendaire auteur de comics indépendants et amateur de magie, qui ne manque pas de faire penser à un certain Alan Moore (c’est-à-dire Dieu), bien au-delà de ses seules initiales…
Sur cette base hétéroclite, Xavier Mauméjean a concocté un épisode jubilatoire et débile, ne laissant aucun répit au lecteur, comme un chouette épisode de 24 heures chrono. Il en résulte une certaine dispersion, les scènes d’action invraisemblables mais néanmoins menées de main de maître entrecoupant des digressions improbables mais érudites sur la biographie de Barnum, les grands illusionnistes, les compagnies militaires privées ou le must en matière d’armement en ce début du XXIe siècle. Freakshow! va à fond la caisse et dans toutes les directions, ce qui aurait sans doute été rédhibitoire pour tout autre que Xavier Mauméjean ou en dehors du contexte du Club Van Helsing.
Mais le fait est que là ça marche très bien : l’auteur se fait plaisir, mais n’oublie pas le lecteur pour autant. Et cet épisode totalement foutraque et riche en références ou allusions (de Lenny Kravitz à Hugh Jackman en passant par Le Prisonnier, outre les évidents Alan Moore et Tod Browning, mais on pourrait sans doute en citer bien d’autres) constitue ainsi un divertissement de haut vol, prenant et drôle comme une bonne série B accompagnée de bières et de chips, où l’action ne connaît pas de pause et où l’imagination ne se voit imposer aucune limite, la vraisemblance et le bon goût étant remisés au fin fond d’un placard bordélique et poussiéreux pour laisser la place à l’outrance et à la baston qui tranche et qui gicle.
Tout ce que j’espérais avec le Club Van Helsing, sans vraiment l’avoir rencontré jusque-là (sauf peut-être avec Mickey Monster, mais dans une ambiance beaucoup moins délirante). Une littérature populaire joyeusement débile et efficace, prenante et outrancière ; on rit avec le roman et jamais de lui. Comme le dit le lieu commun, Freakshow! n’a probablement pas d’autre prétention que celle de faire rire ; mais, ainsi que le remarquait le grand, l’unique, l’incomparable Pierre Desproges, avec un fiel et une verve que je ne saurais imiter, elle est énorme, cette prétention… Et Xavier Mauméjean s’en est bien montré digne avec Freakshow!. De même que Catherine Dufour, il a su plier le cadre du Club Van Helsing à sa propre personnalité, jouer avec les contraintes sans se renier lui-même.
Alors j’applaudis, et je refais des provisions de bières et de chips, dans l’attente d’une deuxième saison que j’ose espérer meilleure que la première, ce Freakshow! final ayant placé la barre assez haut.
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