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"50° au-dessous de zéro", de Kim Stanley Robinson

Publié le par Nébal

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ROBINSON (Kim Stanley), 50° au-dessous de zéro, traduit [de l’américain] par Dominique Haas, [Paris], Presses de la Cité, [2005] 2007, 487 p.
 
Chose promise, chose due (dans la mesure où je ne suis pas un homme politique) : après Les quarante signes de la pluie, voici donc le deuxième volume de la nouvelle trilogie de Kim Stanley Robinson, intitulé 50° au-dessous de zéro. Bon, je ne vais pas revenir ici sur la présentation de l’auteur, sur les thématiques de la trilogie, et sur le résumé de l’épisode précédent, pas que ça à fout’ non mais ho. On va faire plus court, cette fois-ci, et reprendre directement là où les choses s’étaient arrêtés.
 
C’est-à-dire à Washington sous la flotte. Une vilaine inondation catastrophique, comme un avant-goût des perturbations sévères que le réchauffement climatique risque de susciter prochainement. Washington est encore une zone sinistrée, où les sans-abris pullulent. Parmi eux, il en est un qui tranche quelque peu, dans la mesure où ce ne sont pas les brouzoufs qui lui manquent : Frank Vanderwal. Le scientifique cynique et obsédé par la sociobiologie des Quarante signes de la pluie est en effet clairement le personnage principal de 50° au-dessous de zéro, roman beaucoup moins marqué par les points de vue multiples que le précédent (certains, comme K2R2 sur le Cafard cosmique, se félicitent de cette relative évacuation du charmant couple Quibler ; pas moi, mais j’aurai le temps de revenir là-dessus…). Frank, à la fin du volume précédent, était déjà censé abandonner son appartement, désireux dans un premier temps de retourner à San Diego pour se livrer à nouveau à la recherche ; mais, rappelez-vous, sur une impulsion due à la rencontre d’une étrange femelle dans un ascenseur, il profite du quasi-ultimatum narquois de sa supérieure, Diane Chang, l’enjoignant de remodeler de fond en comble la NSF pour lui donner les moyens de lutter efficacement contre le changement climatique, et éventuellement d’aboutir à un salutaire changement de paradigme. Frank relève le défi, mais ne s’en retrouve pas moins à la rue, et trouver un logement à Washington après le déluge n’est pas chose aisée…
 
Ce n’est finalement pas un problème pour Frank, qui décide de profiter des événements pour se livrer à une petite expérience : convaincu que l’homme contemporain ne pourra trouver un bonheur relatif que dans la perpétuation des activités et des réflexes de son primate d’ancêtre, il décide tout simplement de se construire une cabane dans un arbre et de se contenter à peu de choses près du minimum. Il essaye même de retrouver les réflexes du chasseur, mais en partie seulement : en adhérant à une association vouée au repérage et éventuellement à la capture des animaux exotiques échappés du zoo lors du déluge et qui se sont réfugiés dans le parc où il a établi en toute illégalité et dans l’ignorance totale de ses collègues sa résidence, ou en accompagnant une bande de squatters végétariens vaguement néo-babas se livrant à un étrange sport à base de course façon steeple-chase et de lancer de frisbee. Et puis il y a les Potes, un petit groupe de clodos pour qui l’inondation n’a sans doute pas changé grand chose, et qui vivote sur une aire de pique-nique dans le parc abandonné…
 
En même temps, il faut bien qu’il travaille, directement en relation avec Diane Chang cette fois. L’inondation de Washington n’était en rien un aboutissement, ne constituant tout au plus qu’un premier symptome. Les événements s’enchainent bien vite : notamment, le gulf stream se retrouve totalement bouleversé par la fonte d’une partie de la banquise arctique (libérant accessoirement le légendaire passage du Nord-Ouest, ainsi qu’on le constate au cours d’une scène surréaliste), ce qui risque de susciter un changement climatique brutal, plongeant une bonne partie de l’hémisphère nord dans une nouvelle ère glaciaire. L’hiver à Washington est ainsi catastrophique, la température chutant parfois aux 50° en-dessous de zéro du titre… Parallèlement, l’hémisphère sud n’est guère plus gâté : le Khembalung disparaît ainsi sous les flôts… Puis un immense iceberg se détâche de l’Antarctique, menaçant d’une rapide montée des flots d’environ 7 m, destinée à remodeler entièrement le littoral de la planète entière… La NSF se lance donc dans des projets mégalomanes pour sauver les meubles.
 
Mais le réchauffement climatique est plus que jamais une question politique. Face à l’attentisme et aux dénégations suicidaires de la Maison-Blanche, Phil Chase, plus ou moins poussé par son conseiller Charlie Quibler, décide de se présenter à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle : il se veut le candidat efficace de l’écologie et de la lutte contre le changement climatique, et ressemble à vrai dire beaucoup à la modélisation réalisée par la NSF du « candidat scientifique », opposé à l’aveuglement des Républicains qui n’ont que le vain mot de « terrorisme climatique » à la bouche pour évoquer ces tragiques événements…
 
Mais il y a peut-être quelque chose de plus. Les autorités, d’une manière ou d’une autre, semblent bien s’intéresser malgré tout aux travaux de certains chercheurs en la matière, et les ont placés sous surveillance. C’est le cas, notamment, de Frank ; et la femme de l’ascenseur a bien des révélations à lui faire…
 
Voilà voilà… Bon. Bilan ?
 
Ben c’est pas fameux. J’ai franchement un sentiment radicalement opposé à celui de K2R2 dans sa chronique précédemment évoquée. Autant Les quarante signes de la pluie m’avait plutôt séduit en dépit de ses allures de long prologue, autant 50° au-dessous de zéro a constitué à mes yeux une assez cruelle déception. Ca y est, ça devait bien arriver un jour : Kim Stanley Robinson ne m’a pas convaincu avec ce roman… Non qu’il soit abominablement nul, hein : il est toujours plutôt agréable à lire, et fourmille de bonnes idées, comme d’habitude. Seulement il abonde aussi en défauts…
 
Premier constat : il tire atrocement à la ligne. De même que dans Les quarante signes de la pluie, mais sur 100 pages de plus, et sans l’excuse du « prélude », il ne se passe pas grand chose dans ce roman. La faute en incombe probablement au parti pris de l’auteur de se focaliser sur le personnage de Frank Vanderwal, ce qui est à mon sens désastreux. Frank était un personnage plutôt intéressant dans Les quarante signes de la pluie, plus complexe, moins unilatéral que les autres. Ici, il devient bien vite agaçant ; dans son expérience paléolithique, il est assez souvent ridicule, absurdement bobo dans ses courses à frisbee, d’une condescendance répugnante dans son comportement avec les Potes. Et l’auteur, à mon sens, manque de distance par rapport à ce personnage avec lequel il tend à s’identifier. Sous cet angle, 50° au-dessous de zéro m’a un peu rappelé Des parasites comme nous d’Adam Johnson : là encore un roman raté car beaucoup trop long, mais reposant en partie sur une expérience du genre ; Johnson, ceci dit, et en dépit des nombreux défauts de son roman, avait le bon goût de traiter cette question avec humour et dérision, de souligner le ridicule et la mesquinerie de la chose… Ce n’est pas le cas ici ; du coup, la bondieuserie écolo-bobo dégoulinante et l’éventuelle tentation réactionnaire de l’écologisme, que Kim Stanley Robinson avait su exposer avec lucidité et en toute honnêteté dans sa géniale « Trilogie martienne », et qui ne venait pas parasiter excessivement Les quarante signes de la pluie, tend ici à se retrouver au premier plan, sans être véritablement critiquée, ce qui est plutôt triste…
 
D’autant que Frank Vanderwal ne fait pas grand chose, en définitive : si les scènes « bureaucratiques » à la NSF sont toujours aussi réussies (et si les solutions scientifiques qui y sont exposées sont passionnantes), elles sont néanmoins bien rares, et tendent à se faire attendre ; en lieu et place, on est contraint de subir de bien trop longues séquences affreusement niaises sur la vie dans les bois de Frank Vanderwal… Kim Stanley Robinson, en outre, essaye à l’occasion d’insérer dans son roman une certaine dimension de thriller : objectivement, c’est plutôt bien fait, et les scènes finales sont assez haletantes ; mais on peut craindre le pire pour ce qui est de la suite des événements, et en tout cas rester un peu perplexe pour le moment devant ce nouvel ingrédient qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe…
 
Frank étant au centre du roman, les autres personnages ne peuvent guère rattraper ces écueils. Les Quibler, que l’on a donc pu juger horripilants car trop gentils (oui, certes, mais terriblement attachants aussi, et finalement moins gnan-gnan que ce Frank rupestre…), passent clairement au second plan ; Anna n’est quasiment pas évoquée, et Charlie à peine, et seulement pour deux thématiques qui déçoivent un peu dans la manière dont elles sont traitées : il en va ainsi de la candidature de Phil Chase à l’élection présidentielle, à laquelle on pouvait s’attendre certes, mais qui présente deux travers assez agaçants ; d’une part, son discours est – de manière très réaliste, hélas… – abominablement démagogique, sans que l’on sente pointer véritablement l’ombre d’une critique à nouveau ; d’autre part, la thématique politique manque à trouver son équilibre entre l’universalisme du problème (qui suscite parfois des discours étranges…) et la politique politicienne à l’américaine : Kim Stanley Robinson manque terriblement de subtilité dans ces passages-là, et aboutit bien plus encore que dans le premier volume à un triste manichéisme opposant les gentils Démocrates aux méchants Républicains (et à leur trifouillages électoraux, bien sûr…). La deuxième thématique justifiant l’intervention de Charlie et de son charmant bambin Joe est quant à elle tout simplement ridicule : là où le bouddhisme des Khembalais, dans Les quarante signes de la pluie, autorisait une réflexion sur la science que je ne trouvais franchement pas inintéressante, il n’intervient ici que pour quelques séquences assez pathétiques avec une légère teinte de fantastique parfaitement inappropriée…
 
Tout ça n’est donc pas glorieux. 50° au-dessous de zéro ne me semble pas tenir les promesses des Quarante signes de la pluie, et tend de plus en plus à ressembler à ce que je craignais par rapport au thème du réchauffement climatique… Ce roman, sans être totalement nul, m’a donc terriblement déçu, ce qui est une première pour Kim Stanley Robinson. Ceci dit, je maintiens qu’il est un des auteurs de science-fiction les plus intéressants à l’heure actuelle, et suis prêt à lui pardonner la maladresse de ce roman raté. On verra bien quand Sixty Days and Counting paraîtra en français…

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